Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier

Corbin c. 9179-2333 Québec inc.

2015 QCCS 1996

JJ0379

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

TROIS-RIVIÈRES

 

N° :

400-17-003534-142

 

 

 

DATE :

8 mai 2015

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE : L’HONORABLE DENIS JACQUES, j.c.s.

______________________________________________________________________

 

 

CHANTAL CORBIN

Demanderesse

c.

 

9179-2333 QUÉBEC INC.

Défenderesse

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT SUR Requête EN JUGEMENT DÉCLARATOIRE

______________________________________________________________________

 

[1]           Dans le cadre d’une requête en délaissement forcé et prise en paiement, la demanderesse présente une requête en jugement déclaratoire demandant au Tribunal d’établir le taux d’intérêt applicable pour des prêts consentis à la défenderesse.

[2]           La réponse à la question soulevée sur le taux d’intérêt est susceptible d’emporter le règlement du fond du dossier.

[3]           La demanderesse soutient qu’en 2013, elle a prêté à la défenderesse dont l’administrateur unique monsieur Denis Couture était à l’époque son conjoint, une somme d’environ 144 500 $ à un taux convenu verbalement de 30 %. Le fils de monsieur Couture, Christian, est le seul actionnaire de la défenderesse.

[4]           Cette position est contestée par monsieur Couture qui affirme que si un taux a été convenu, c’est celui que la demanderesse devait payer sur sa marge de crédit, soit 2 % ou 3 %.

LE CONTEXTE

[5]           Monsieur Denis Couture travaille dans le domaine agricole depuis son enfance. Pendant longtemps il se spécialise dans l’élevage animalier pour ensuite, au tournant des années 2000, transférer vers la culture de céréales.

[6]           De 1990 à 2000, monsieur Couture fait affaire pour toute sa comptabilité avec une firme où travaille la demanderesse comme technicienne comptable.

[7]           La demanderesse et monsieur Denis Couture se revoient en juin 2012 et débutent une période de fréquentation amoureuse qui s’étendra, selon la demanderesse, jusqu’à l’automne 2013 alors que monsieur Couture situe la séparation davantage en mars 2014.

[8]           La défenderesse a un besoin de liquidités en octobre 2012 pour quelques semaines, la période de récolte permettant les entrées d’argent suffisantes.

[9]           Dans ce contexte, la demanderesse prête à la défenderesse 100 000 $, montant qu’elle emprunte sur sa marge de crédit au taux de 3 %.

[10]        La traite bancaire[1] complétée par la demanderesse porte la mention suivante : « Prêt à la société, terme 1 mois, taux 3 %. »

[11]        Malgré cette mention, la défenderesse rembourse moins d’un mois plus tard par le biais d’un de ses acheteurs de céréales un montant de 102 500 $ à la demanderesse. La prime de 2 500 $ représente alors un taux d’intérêt annualisé de 32.6 %. Le remboursement a été fait directement par la cliente de la défenderesse et monsieur Couture n’a pas alors requis le remboursement du 2 500 $ additionnel de la demanderesse.

[12]        En 2013, cinq nouveaux prêts sont effectués par la demanderesse à son conjoint et à son entreprise aux dates et pour les montants suivants :

15 mars 2013 :

61 000 $

28 mars 2013 :

39 000 $

7 mai 2013 :

15 000 $

13 juin 2013 :

5 000 $

4 juillet 2013 :

24 500 $

[13]        Les traites bancaires à l’ordre de la compagnie défenderesse totalisant 144 500 $ portent toutes la mention suivante :

Prêt à demande à la société 9179-2333 Québec inc. et solidairement et conjointement à l’actionnaire Christian Couture et à l’administrateur Denis Couture.

[14]        Aucun écrit n’établit un taux d’intérêt exigible.

[15]        Avant de remettre la dernière traite bancaire, la demanderesse veut être rassurée et demande une garantie à son conjoint Denis Couture.

[16]        Il est alors convenu de lui consentir une garantie hypothécaire. Monsieur Couture contacte sa notaire afin qu’elle prépare les projets nécessaires.

[17]        La notaire Martine Baribeau conformément à son mandat transmet tant à la demanderesse qu’à monsieur Couture un projet d’acte de garantie hypothécaire.

[18]        Après examen, la demanderesse communique avec la notaire afin d’obtenir la modification d’une des clauses, soit celle relative à l’aliénation.

[19]        Le 21 juin 2013, lors de la signature de l’acte, selon son témoignage à l’audience, la notaire Baribeau a expliqué aux parties le contenu de l’acte, le fait qu’il s’agissait d’une garantie hypothécaire jusqu’à concurrence de 160 000 $ au taux plafond de 25 % d’intérêt.

[20]        En effet, quant à l’hypothèque principale, elle est définie comme suit :

En garantie du remboursement de la dette et de l’accomplissement de toutes ses obligations envers le créancier en vertu des documents constatant l’endettement et des présentes, le débiteur hypothèque en faveur du créancier, jusqu’à concurrence d’une somme de CENT SOIXANTE MILLE DOLLARS (160 000,00 $) avec intérêt au taux de vingt-cinq pour cent (25 %) l’an, l’immeuble suivant […]

[21]        La notaire a aussi expliqué aux parties que l’acte ne comporte aucun taux d’intérêt quant au prêt et qu’il leur revient de le définir dans des modalités de remboursement établies dans un acte distinct.

[22]        Au surplus, aux termes de l’acte[2], il est clairement établi que « les conditions régissant la dette, notamment quant à son remboursement et au taux d’intérêt, sont énoncées au document constatant l’endettement ».

[23]        Selon la preuve, aucun document n’a été rédigé entre les parties pour établir les modalités de remboursement de la dette, notamment son taux d’intérêt.

[24]        Le 15 juillet 2013, la défenderesse acquiert un terrain qu’elle paie 85 000 $, 18 000 $ ayant été avancé à titre d’acompte en exécution d’un avant-contrat daté du 4 octobre 2012, 24 500 $ en date de la signature de l’acte de vente et un solde de 42 500 $.

[25]        Le solde du prix de vente de ce terrain doit être acquitté sans intérêts jusqu’au  30 novembre 2013, mais à un taux d’intérêt de 5 % par la suite.

[26]        Or, dès l’automne 2013, la défenderesse rembourse la totalité de la dette au vendeur, le tout malgré le taux d’intérêt favorable.

[27]        À la suite de la séparation des parties, la demanderesse réclame le remboursement du montant impayé de ses prêts, deux remboursements ayant été effectués par la défenderesse soit le 27 novembre 2013 et le 21 février 2014 pour un total de 31 000 $.

[28]        Le 15 avril 2014, une mise en demeure fut transmise à la défenderesse par les avocats mandatés par la demanderesse lui réclamant sa créance impayée de 111 500 $ ainsi que les intérêts calculés à un taux de 25 % l’an, soit 147 053,73 $.

[29]        Le 29 avril 2014, un premier préavis d’exercice d’un droit hypothécaire[3] fut enregistré au registre foncier faisant état d’une créance portant intérêts au taux de 25 % l’an.

[30]        Le 19 juin 2014, la demanderesse dépose sa requête introductive d’instance en délaissement et prise en paiement contre la défenderesse. Elle lui réclame le montant des prêts impayés ainsi qu’un taux d’intérêt de 25 %.

[31]        Dans les jours précédant l’audience, la demanderesse dépose un nouveau préavis d’exercice d’un droit hypothécaire réclamant cette fois un montant total de 211 725 $ calculé avec un taux d’intérêt annuel de 30 %.

ANALYSE ET DÉCISION

[32]        L’article 1565 du Code civil du Québec (C.c.Q.) prescrit que les intérêts se paient au taux convenu ou, à défaut, au taux légal.

[33]        L’article 2 de la Loi concernant l’intérêt[4] permet aussi aux parties de convenir d’un taux d’intérêt :

2. Sauf disposition contraire de la présente loi ou de toute autre loi fédérale, une personne peut stipuler, allouer et exiger, dans tout contrat ou convention quelconque, le taux d’intérêt ou d’escompte qui est convenu.

[34]        Par ailleurs, l’article 3 de la loi prescrit qu’en l’absence de convention, c’est le taux de l’intérêt de 5 % par an qui s’applique :

3. Chaque fois que de l’intérêt est exigible par convention entre les parties ou en vertu de la loi, et qu’il n’est pas fixé de taux en vertu de cette convention ou par la loi, le taux de l’intérêt est de cinq pour cent par an.

[35]        La demanderesse soutient que par convention verbale avec son conjoint de l’époque Denis Couture, les prêts qu’elle a consentis portent intérêts au taux de 30 % l’an, ce que la défenderesse conteste.

[36]        Selon l’article 2803 C.c.Q., le fardeau de preuve d’une telle convention repose sur les épaules de la demanderesse :

2803. Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.

Celui qui prétend qu'un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée.

[37]        Or, en l’espèce, le Tribunal estime que la demanderesse ne s’est pas déchargée de son fardeau de preuve et que c’est le taux à l’intérêt légal qui doit prévaloir.

[38]        Le contexte des prêts doit être considéré : la demanderesse prêtait à son conjoint dans le cours de ses affaires.

[39]        La première traite bancaire de 2012 émise à la demande de la demanderesse en faveur de la défenderesse prévoit un taux d’intérêt non pas de 30 %, mais bien de 3 %.

[40]        S’il est vrai que monsieur Couture n’a pas réclamé de la demanderesse le montant versé en trop par la compagnie de grains à la demanderesse en remboursement du prêt, cela ne signifie pas que cette gratification dans les faits d’un taux de 32.6 % sur une base annuelle valait pour l’avenir.

[41]        Cinq autres billets successifs ont été émis par la demanderesse ne faisant état d’aucun taux d’intérêt.

[42]        La demanderesse est une personne avertie, ayant des connaissances comptables et d’affaires. Elle est technicienne en comptabilité et agit comme vérificatrice au ministère du Revenu.

[43]        Si un montant de 30 % d’intérêt avait été convenu entre les parties, taux évidemment très élevé et inusité surtout entre conjoints, le Tribunal estime que la demanderesse l’aurait indiqué sur les chèques qui, rappelons-le, ne portent aucune mention.

[44]        De plus, il semble invraisemblable que monsieur Couture ait remboursé son vendeur pour le solde dû sur le terrain à l’automne 2013 alors que le taux d’intérêt était de 0 % et de 5 % à compter du 1er décembre 2013 alors qu’il aurait maintenu une dette envers la demanderesse portant intérêts à 30 %.

[45]        La demanderesse elle-même dans sa mise en demeure et dans son premier préavis d’exercice de son droit hypothécaire réclame des intérêts au taux de 25 % et non pas de 30 % l’an.

[46]        S’il est vrai que l’acte d’hypothèque établit une garantie maximale de 160 000 $ à un taux plafond de 25 %, il apparaît clairement tant de l’acte que du témoignage de la notaire qu’il ne s’agit pas là du taux d’intérêt lié à la dette.

[47]        Quant à l’affirmation de monsieur Denis Couture que le taux convenu aurait été de 2 ou 3 %, son témoignage à cet égard est nettement trop vague et imprécis pour y donner suite. Il convient d’ailleurs à l’audience d’un intérêt au taux légal.

[48]        Eu égard ce qui précède, le Tribunal retient de la preuve que les parties alors que la demanderesse et monsieur Denis Couture formaient un couple, n’ont pas cru utile de convenir d’un taux d’intérêt précis pour les prêts et qu’en conséquence, c’est le taux légal qui doit être applicable.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[49]        REJETTE la requête en jugement déclaratoire de la demanderesse;

[50]        DÉCLARE que le taux d’intérêt sur la dette due par la défenderesse à la demanderesse est le taux légal;

[51]        AVEC DÉPENS.

 

 

__________________________________

DENIS JACQUES, j.c.s.

 

 

Me Marie-Ève Launier

Joli-cœur Lacasse, S.E.N.C.R.L.

25 rue des Forges
bureau 410
Trois-Rivières (Québec)  G9A 6A7

Procureurs de la demanderesse

 

 


 

Me Bruno Lévesque

LÉVESQUE LAVOIE
2500, Chemin du Petit-Village, bureau 100

Québec (Québec)  G1C 1V6

Procureurs de la défenderesse

 

 

Date d’audience :

 30 avril 2015

 



[1]     Voir pièce P-5.

[2]     Voir pièce P-2 acte du 21 juin 2013, p. 2.

[3]     Voir pièce P-3.

[4]     Loi concernant l’intérêt, LRC, chapitre I-15.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.