Décision

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Placements SCP inc. (Séquestre de) et Lemieux Nolet inc.

2015 QCCS 6021

 

COUR SUPÉRIEURE

(Chambre commerciale)

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

 QUÉBEC

 

N° :

200-11-021975-142 

 

DATE :

 17 DÉCEMBRE 2015

 

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE 

L’HONORABLE

SIMON RUEL, j.c.s. (JR 1676)

______________________________________________________________________

 

 LES PLACEMENTS SCP INC. 

 

Débitrice

et

LEMIEUX NOLET INC.

 

Requérante

et

9167-6114 québec inc.

 

Intimée

et

BANQUE DE DÉVELOPPEMENT DU CANADA

et

BANQUE ROYALE DU CANADA

et

CAPITAL TRANSIT

et

BANQUE HSBC

et

LES ENTREPRISES G. POULIOT LTÉE

et

POMPAGE INDUSTRIEL INC.

et

PROPANE G.R.G. INC.

et

BÉTON CHEVALIER INC.

et

AGENCE DU REVENU DU QUÉBEC

et

AGENCE DU REVENU DU CANADA

et

LE REGISTRAIRE DU  BUREAU DE LA PUBLICITÉ ET DES DROITS DE LA CIRCONSCRIPTION FONCIÈRE DE LÉVIS

et

LE REGISTRAIRE DU REGISTRE DES DROITS PERSONNELS ET RÉELS MOBILIERS

et

LA VILLE DE LÉVIS

et

BANQUE NATIONALE DU CANADA

 

Mis en cause

 

 

JUGEMENT

(sur Requête en directive du séquestre aux biens de Placements SCP)

 

L’aperçu

[1]          Pierre Chamberland assure le contrôle des compagnies de Groupe GPC. GPC Excavation offre des services d’entrepreneur général en génie civil. Location GPC détient les actifs roulants et les loue à GPC Excavation pour ses opérations.

[2]          La Banque Royale du Canada finance GPC Excavation pour ses opérations courantes sur une marge de crédit garantie par cautionnement de Location GPC et d’une hypothèque mobilière du 29 juin 2012 sur tous les biens corporels et incorporels, présents et futurs, de Location GPC.

[3]          Parallèlement, M. Chamberland souhaite construire une usine de préparation de bitume en vue d’alimenter ses entreprises. M. Chamberland crée la compagnie Placements SCP qui détiendra les actifs.

[4]          La Banque de développement du Canada offre le financement pour l’acquisition des terrains et la construction de l’usine de bitume. Les actifs de l’usine détenus par Placements SCP sont garantis par une hypothèque immobilière de premier rang en faveur de la Banque de développement du Canada datée du 6 septembre 2013.

[5]          Groupe GPC souffre d’une importante crise de liquidités qui entraîne la nomination, le 15 octobre 2014, d’un séquestre avec pour mandat de vendre la totalité des biens de Placements SCP au bénéfice de ses créanciers.

[6]          L’enjeu central du présent litige concerne les droits que prétendent avoir les institutions bancaires sur les composantes de l’usine de bitume qui ont été en grande partie acquises par Location GPC aux États-Unis en novembre et décembre 2012.

[7]          La Banque Royale prétend que ces composantes sont un bien meuble qui est grevé par son hypothèque mobilière du 29 juin 2012 sur les biens de Location GPC. La Banque de développement du Canada plaide que les composantes de l’usine sont un bien immeuble grevé par son hypothèque immobilière de premier rang du 6 septembre 2013 sur les actifs de Placements SCP.

[8]          Le Tribunal juge que les composantes de l’usine de bitume sont un bien immeuble par adhérence, en application de l’article 900 du Code civil du Québec, étant donné qu’elles sont immobilisées et fixées au sol avec un caractère de permanence. L’avis de conservation de droits hypothécaires de la Banque Royale est donc radié.

[9]          Les Entreprises G. Pouliot enr. fournit le béton pour la construction de l’usine. G. Pouliot inscrit un avis de conservation d’hypothèque légale de construction à l’encontre de Placements SCP le 2 octobre 2014. Selon l’article 2727 du Code civil du Québec, l’avis de conservation d’hypothèque légale de construction doit être inscrit dans les trente jours de la fin des travaux.

[10]       Le Tribunal estime que les travaux de construction sont suspendus en mars 2014 compte tenu des difficultés financières sévissant au sein de Groupe GPC. G. Pouliot apprend qu’ils sont définitivement arrêtés le 24 septembre 2014. L’hypothèque légale de construction de G. Pouliot est donc valable.

 

 

Le contexte

[11]       Pierre Chamberland assure le contrôle des entreprises de Groupe GPC, comprenant particulièrement aux fins du présent dossier : GPC Excavation inc., Location GPC inc., Placements SCP inc. et Bitutek inc.

[12]       M. Chamberland crée la compagnie GPC Excavation en 1994. GPC Excavation offre des services d’entrepreneur général en génie civil. GPC Excavation est la compagnie opérante de Groupe GPC.

[13]       Dans l’organisation corporative de Groupe GPC, les actifs sont localisés dans Location GPC. Location GPC loue ses équipements à GPC Excavation pour ses services d’entrepreneur en génie civil, notamment le matériel roulant.

[14]       La Banque Royale du Canada finance GPC Excavation pour ses opérations courantes. En effet, le 29 juin 2012, la RBC consent à GPC Excavation une marge de crédit rotative de 3,6 M $,[1] avec les garanties suivantes :

14.1.     Une hypothèque mobilière de 5 M $ sur les créances et l’inventaire de GPC Excavation;

14.2.     Un cautionnement de 4,6 M $ de Location GPC envers GPC Excavation et une subordination de créances de Location GPC envers la Banque Royale;[2]

14.3.     Une hypothèque mobilière de 5 290 M $ sur les actifs corporels et incorporels, présents et futurs de Location GPC, soit sur « [t]ous les biens mobiliers, présents et futurs, corporels et incorporels [de Location GPC], y compris tous les biens mobiliers acquis en remplacement de ceux-ci ou autrement ».[3] [4]

[15]       Dans l’évolution de ses affaires, M. Chamberland souhaite faire l’acquisition d’une usine de préparation de bitume en vue d’assurer l’autosuffisance de ses entreprises et, éventuellement, également aux fins de vente à des personnes tierces.

[16]       M. Chamberland approche la Banque Royale pour le financement de son projet. La Royale juge que les entreprises de M. Chamberland n’ont pas les reins suffisamment solides et que les informations financières sont déficientes. Elle décide de ne pas financer le projet. Cette décision est communiquée à M. Chamberland, qui est mis en garde de ne pas financer son projet d’usine de bitume à même les facilités de crédit de la Royale.

[17]       M. Chamberland va néanmoins de l’avant avec son projet et identifie une usine de bitume qui est à vendre aux États-Unis. En novembre et décembre 2012, Location GPC en fait l’acquisition au montant de 370 000 US $, incluant les frais de démantèlement, le tout étant financé par M. Chamberland personnellement.[5]

[18]       Il crée deux entreprises : Placements SCP inc. en vue de détenir les actifs de l’usine de bitume, et Bitutek inc. qui sera l’entreprise opérante de vente et de distribution de bitume.

[19]       En vue de concrétiser son projet, M. Chamberland sollicite du financement d’autres sources.

[20]       Le 8 juillet 2013, Capital Transit octroie à Bitutek un financement de 750 000 $ pour le projet d’usine de bitume, garanti par une hypothèque mobilière sur l’universalité de ses biens et équipements, datée du 15 juillet 2013.[6] [7]

[21]       Le 12 août 2013, la Banque de développement du Canada octroie à Location GPC et Placement SCP un financement de 1,950 M $ pour le projet d’usine de bitume.[8]

[22]       À une date non précisée, Location GPC vend les actifs de l’usine de bitume acquis aux États-Unis à GPC Excavation. Le 20 août 2013, GPC Excavation vend les actifs de l’usine à Placements SCP.[9]

[23]       En garantie du prêt de la Banque de développement du Canada, le 6 septembre 2013, Location GPC et Placements SCP consentent à une hypothèque immobilière de premier rang de 1,950 M $ sur les biens immeubles de ces entreprises en lien avec l’usine de bitume, soit les terrains, les bâtisses et les constructions.[10] [11]

[24]       Le ou vers le 10 septembre 2013, Location GPC fait l’acquisition des terrains de la Ville de Lévis, situés à Pintendre, en vue de la construction de l’usine de bitume.[12] Le 23 septembre 2013, les terrains en question sont vendus par Location GPC à Placements SCP.[13]

[25]       Le permis de construction de l’usine de bitume est émis par la Ville de Lévis à Location GPC le 17 septembre 2013.[14] Les travaux de construction de l’usine débutent alors.

[26]       Les Entreprises G. Pouliot ltée est retenue pour la préparation et la livraison du béton requis pour la construction de l’usine.[15] G. Pouliot livre du béton de la mi-octobre jusqu’à janvier 2014 pour les principales structures bétonnées, particulièrement la dalle de béton devant accueillir les composantes de l’usine.

[27]       Dès septembre 2013, la Banque Royale constate que la marge de crédit consentie à GPC Excavation pour ses opérations est très entamée. En décembre 2013, l’entreprise est placée sur la liste de surveillance. En mars 2014, la Royale reçoit une alerte indiquant que la marge de crédit de GPC Excavation est pleine.

[28]       Constatant que sa cliente fait face à une crise importante de liquidités, le 17 mars 2014, la Banque Royale confie à PricewaterhouseCoopers (« PWC ») le mandat de faire un examen diagnostic de Groupe GPC, considérant que des dépassements de coûts sont survenus dans la cadre du projet de construction de l’usine de bitume et que le manque à gagner serait financé par les facilités de crédit de la Royale.[16]

[29]       Dans son rapport diagnostic du 9 avril 2014, PWC conclut que les compagnies du Groupes GPC ont un important déficit de couverture. PWC indique que la construction de l’usine de bitume par Placements SCP est la principale cause de la crise de liquidités sévissant dans les compagnies de Groupe GPC, dans GPC Excavation en particulier.[17]

[30]       PWC conclut que GPC Excavation utilise les facilités de crédit octroyées par la Banque Royale pour la construction de l’usine de bitume (près de 1,972 M $), contrairement aux engagements pris par M. Chamberland.[18]

[31]       PWC recommande une série de mesures de redressement à la Banque Royale, notamment l’arrêt immédiat des travaux à l’usine de bitume et l’obtention d’un cautionnement hypothécaire de Placements SCP sur les sommes avancées par GPC Excavation pour l’usine.[19] La Royale obtient effectivement un tel cautionnement de Placements SCP ainsi qu’une hypothèque de deuxième rang de 6,8 M $ sur les biens immobiliers de Placements SCP, le 31 mai 2014.[20]

[32]       Il appert qu’à la suite de la production du rapport diagnostic de PWC, une partie du matériel roulant de Location GPC est vendue à la demande de la Banque Royale et une portion des sommes recueillies est versée à la Royale à la suite d’un encan.[21]

[33]       Selon M. Chamberland, la vente de ces actifs fait en sorte que la construction de l’usine de bitume est sérieusement affectée, les équipements de construction n’étant plus disponibles pour faire avancer le projet.

[34]       Les travaux de construction de l’usine de fabrication de bitume sont donc suspendus en mars 2014. Le projet de construction n’est alors pas terminé puisqu’il reste un certain nombre de composantes à installer, notamment le centre de contrôle.

[35]       Considérant que les compagnies du Groupe GPC sont endettées envers la Banque Royale d’un montant de 6,285 M $, le 13 mai 2014, la Royale offre à M. Chamberland de surseoir ses recours jusqu’au 28 juin 2014, selon certaines conditions contraignantes qui n’exigent cependant pas l’arrêt immédiat des travaux sur le chantier de l’usine de bitume.[22]

[36]       M. Chamberland témoigne qu’à ce moment, il entend toujours compléter le projet d’usine de bitume et cherche du financement privé.

[37]       Ses espoirs ne se concrétisent cependant pas.

[38]       Les derniers travaux des fournisseurs pour la construction de l’usine de bitume sont effectués fin avril, début mai 2014, soit des services de grutage.

[39]       Le 6 mai 2014, la Banque Royale inscrit un avis de conservation de son hypothèque mobilière du 29 juin 2012 sur les biens de Location GPC pour « tous les biens ayant servi à la mise en place d’une usine de préparation d’asphalte », c'est-à-dire les composantes de l’usine,[23] qui auraient été acquis par Placement SCP hors du cours normal de ses affaires, sans la connaissance et l’approbation de la Royale.[24]

[40]       Le 23 septembre 2014, la Banque de développement du Canada rappelle son prêt auprès de Placements SCP et de Location GPC.[25]

[41]       Le 2 octobre 2014, G. Pouliot inscrit un avis de conservation d’hypothèque légale de construction au Registre foncier à l’encontre de Placements SCP, pour un montant de 119 427,30 $.[26] Un préavis d’exercice d’un droit hypothécaire est inscrit le 31 octobre 2014.[27]

[42]       Le 15 octobre 2014, Lemieux Nolet est nommé à titre de séquestre aux biens de Placements SCP en vertu de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité,[28] à la demande de la Banque de développement du Canada, jusqu’à la vente de la totalité de ses biens.[29]

Le caractère mobilier ou immobilier de l’usine de préparation de bitume

[43]       Étant donné que la Banque Royale détient une hypothèque mobilière sur les actifs corporels futurs de Location GPC, datée du 29 juin 2012, la question essentielle est de savoir si les composantes de l’usine de bitume sont un bien meuble qui peut être revendiqué par la Banque Royale.

[44]       Par contre, si les composantes de l’usine sont un bien immeuble, c’est la Banque de développement du Canada qui détient des droits sur celles-ci en vertu de son hypothèque sur les actifs immobiliers de Placements SCP, datée du 6 septembre 2013.

[45]       De manière plus précise, le Tribunal doit déterminer si les composantes de l’usine de bitume sont un immeuble par adhérence selon le premier alinéa de l’article 900 du Code civil du Québec. Sinon, sont-elles un immeuble par attache ou réunion matérielle en application de l’article 903 du Code civil du Québec?

Les considérations juridiques

[46]       L’immobilisation des biens peut s’opérer de trois façons : par adhérence (article 900 du Code civil du Québec), par intégration (article 901 du Code civil du Québec) et par attache ou réunion matérielle (article 903 du Code civil du Québec).[30]

[47]       Le premier alinéa de l’article 900 du Code civil du Québec prévoit que : « [s]ont immeubles les fonds de terre, les constructions et ouvrages à caractère permanent qui s'y trouvent et tout ce qui en fait partie intégrante ». Notre soulignement. Il s’agit de l’immobilisation par adhérence.

[48]       Le Tribunal note que l’immobilisation de biens meubles par intégration (sous le premier alinéa de l’article 900, in fine, et de l’article 901 du Code civil du Québec) n’est pas en cause en ce qui concerne les composantes de l’usine de bitume. Les parties en conviennent avec le Tribunal.

[49]       Il s’agit d’une méthode juridique distincte d’immobilisation d’un bien de celle de l’immobilisation par adhérence.[31] L’immobilisation par intégration vise par exemple les matériaux de construction, la tuyauterie, les composantes sanitaires ou électriques qui sont intégrés à un immeuble pour en faire partie intégrante.[32]

[50]       L’usine de bitume est une construction en soi qui adhère à un fonds de terre (premier alinéa de l’article 900 du Code civil du Québec) ou encore qui est attachée ou réunie à un fonds de terre (article 903 du Code civil du Québec), selon la qualification juridique qui sera retenue.

[51]       Dans ses commentaires, le ministre de la Justice souligne que les dispositions du premier alinéa de l’article 900 du Code civil du Québec concernant l’immobilisation par adhérence sont conformes au droit antérieur, c'est-à-dire qu’elles reprennent les critères d’immobilisation concernant les immeubles sous le Code civil du Bas Canada et développés par la jurisprudence.[33]

[52]       L’article 376 du Code civil du Bas Canada prévoyait que : « [l]es fonds de terre et les bâtiments sont des immeubles par nature ». L’article 377 du Code civil du Bas Canada assimilait les moulins à vent ou à eau à des immeubles par nature dans la mesure où ils sont « fixés sur des piliers » et « édifiés pour perpétuelle demeure ». Selon l’article 385 du Code civil du Bas Canada, « toutes usines non fixées par des piliers et ne faisant pas partie du fonds, sont meubles ».

[53]       Selon le ministre, l’article 900 du Code civil du Québec précise les règles applicables en conférant un caractère immobilier aux « constructions ou ouvrages qui adhèrent au fonds et la notion de permanence vient accroître le caractère de stabilité de ces biens ».[34]

[54]       Par ailleurs, le mot « bâtiment » dans l’article 376 du Code civil du Bas Canada est remplacé par les mots « constructions et ouvrages » dans l’article 900 du Code civil du Québec. L’objectif était d’élargir le spectre de cette disposition « de façon à couvrir tout type de structure, incluant les ponts et les réseaux d'adduction et de distribution d'eau ».[35]

[55]       Ces précisons historiques étant faites, les critères d’immobilisation par adhérence sous le premier alinéa de l’article 900 du Code civil du Québec sont les suivants : (1) la présence d’une construction ou d’un ouvrage; (2) l’adhérence au sol; et (3) le caractère permanent de la construction ou de l’ouvrage.[36]

[56]       Ces trois critères d’immobilisation par adhérence sont les seuls applicables et la notion d’utilité de la construction ou de l’ouvrage à l’immeuble n’est pas pertinente.[37]

[57]       L’immobilisation par attache ou réunion matérielle est régie par l’article 903 du Code civil du Québec. Les critères sont les suivants : (1) la présence d’un immeuble; (2) une attache ou réunion matérielle d’un bien meuble à un immeuble; (3) la conservation de l’individualité du bien meuble et l’absence d’incorporation à l’immeuble; (4) le lien à demeure avec l’immeuble; et (5) une fonction du meuble assurant l’utilité de l’immeuble.[38]

[58]       L’immobilisation par attache ou réunion matérielle vise notamment des lustres ou luminaires installés au plafond d’un immeuble, une antenne de réception fixée sur un toit, un poêle à combustion lente, les sièges dans une salle de cinéma ou encore les bandes de patinoire dans un aréna.[39]

[59]       En ce qui concerne l’exercice de droits hypothécaires, la particularité de l’immobilisation d’un bien par attache ou réunion matérielle est que le meuble qui est grevé d’une hypothèque conserve sa nature mobilière aux fins hypothécaires, en application de l’article 2672 du Code civil du Québec.

L’application aux faits du dossier

En l’espèce, le Tribunal juge que les composantes de l’usine de bitume sont immobilisées par adhérence, en application du premier alinéa de l’article 900 du Code civil du Québec.

Cette conclusion exclut la possibilité d’immobilisation par attache ou réunion matérielle en vertu de l’article 903 du Code civil du Québec et l’application de l’article 2672 du Code civil du Québec portant sur la préservation des droits hypothécaires sur un bien meuble immobilisé par attache ou réunion matérielle.

La présence d’une construction ou d’un ouvrage

[60]       Le terme « construction » signifie tout ce qui est construit par intervention humaine, qu’il s’agisse d’une construction habitable ou non.[40] Un « ouvrage » est une construction ou un gros œuvre de plus grande importance, tel un pont ou un ouvrage de distribution d’eau.[41]

[61]       Il peut donc s’agir de toute construction ou de tout ouvrage, intérieur ou extérieur, qui adhère au sol de manière à en faire partie intégrante.[42]

[62]       Il n’est pas véritablement contesté que les composantes de l’usine de bitume sont une « construction ». Il s’agit d’une construction extérieure faite par l’intervention humaine. L’usine pourrait également se qualifier d’« ouvrage », compte tenu de l’importance et du caractère industriel de sa construction.

L’adhérence au sol

[63]       La notion d’adhérence réfère à la composante physique de l’immobilisation sous le premier alinéa de l’article 900 du Code civil du Québec. Pour satisfaire à ce critère, il faut que la construction ou l’ouvrage rejoigne le sol et fasse corps avec lui, acquérant ainsi un caractère de stabilité.[43]

[64]       La construction ou l’ouvrage doit être immobilisé ou uni au sol avec un caractère de permanence, soit en raison de sa masse considérable, ou encore s’il est ancré ou matériellement attaché au sol.[44]

[65]       L’adhérence requiert un lien physique fort et durable entre la construction ou l’ouvrage et le fonds de terre.[45] Comme le précise la Cour suprême dans Cablevision (Montréal) Inc. c. Sous-ministre du Revenu (Qué.), le critère d’immobilisation est satisfait quand un ouvrage adhère à un fonds de terre et acquiert une assiette fixe (« a fixed foundation »).[46]

[66]       Il n’est cependant pas requis que la construction ou l’ouvrage soit incorporé ou intégré au sol pour que l’immobilisation par adhérence puisse s’effectuer.[47]

[67]       En l’espèce, les composantes physiques de l’usine de bitume sont installées sur une « assiette fixe » en ce qu’une dalle de béton doit être spécifiquement conçue et préparée selon les spécifications particulières et les plans de l’usine à installer.

[68]       Dans la mesure où l’usine pourrait être démantelée et réinstallée ailleurs, la préparation d’une dalle de béton spécifiquement conçue pour recevoir les équipements doit être refaite sur le nouveau site.

[69]       Les fondations et les composantes de l’usine font corps commun en vue de permettre les opérations de l’usine de bitume. Les composantes de l’usine font plusieurs tonnes et adhèrent au sol en raison de leur seule masse. Certaines composantes de l’usine, le centre de contrôle en particulier devaient reposer sur des fondations granulaires. Cependant, la plupart des autres structures sont boulonnées à des ancrages fixes (chimiques) qui sont intégrés à la fondation de béton.

[70]       Ces considérations font en sorte que les composantes de l’usine de bitume adhèrent au sol par ancrage ou sont autrement matériellement attachées au sol. Une fois installées, les composantes de l’usine de bitume acquièrent un caractère de stabilité. Il s’agit en l’espèce d’une usine de bitume « fixe » par opposition à une usine « mobile ».

[71]       Comme discuté, les dispositions du premier alinéa de l’article 900 du Code civil du Québec concernant l’immobilisation par adhérence sont conformes au droit antérieur. Sous le droit antérieur, les moulins ou usines fixés par ou sur des piliers ou des fondations de béton étaient des immeubles par nature.[48]

[72]       Dans le présent dossier, l’usine de bitume est fixée à une fondation de béton sur des ancrages qui sont eux-mêmes fixes. Le poids des composantes de l’usine font en sorte qu’elles adhèrent au sol. Il existe donc un lien physique fort et durable entre les composantes de l’usine et le fonds de terre satisfaisant le critère d’adhérence.

Le caractère permanent de la construction ou de l’ouvrage

[73]       Le troisième critère de l’immobilisation par adhérence réfère à son caractère temporel.[49] Il doit s’agir d’une immobilisation « à caractère permanent ».[50] La notion de permanence implique un lien durable et indéfini, par opposition à une adhérence passagère ou accidentelle.[51]

[74]       Les composantes de l’usine de bitume sont très lourdes et encombrantes. Elles ont été désinstallées aux États-Unis à l’aide de grues, placées sur des fardiers, entreposées au Québec, puis réinstallées à Pintendre à l’aide de grues. Les travaux d’érection de la structure ont débuté en janvier 2014 et n’étaient pas terminés en mars 2014 lorsque le matériel roulant de Location GPC a été vendu à l’encan.

[75]       Il n’est rationnellement pas concevable qu’une telle opération soit faite dans une perspective temporaire.

[76]       M. Chamberland souhaitait faire l’opération d’une usine de bitume pour assurer la pérennité des opérations de ses entreprises. Comme le note PWC dans son rapport diagnostic du 9 avril 2014, « [p]our le plan de pavage, [M. Chamberland] estime qu’il s’agit d’un investissement qui sera très rentable et il est peu enclin à le mettre en vente ».[52]

[77]       Pour M. Chamberland, il s’agissait donc d’une construction permanente. Il entendait faire l’opération de l’usine et non pas la déménager.

[78]       L’argument central de la Banque Royale est que les composantes de l’usine de bitume peuvent être assez rapidement démantelées, transportées et réinstallées ailleurs. Il ne s’agirait donc pas d’un ouvrage à caractère permanent.

[79]       M. René Deziel, directeur chez Construction Gely, témoigne au procès. Construction Gély a déposé une soumission non retenue en vue de l’acquisition des composantes de l’usine de bitume dans le cadre du processus de vente des actifs de Placements SCP entrepris par le séquestre.

[80]       M. Deziel explique avoir fait par le passé l’acquisition, la déconstruction, le transport et la réinstallation des composantes d’usines fixes de bitume. Par exemple, Construction Maskimo a fait l’acquisition d’une usine fixe de bitume au Nouveau-Brunswick qui a été démantelée et réinstallée « comme un jeu de mécano » au Québec. La même usine a par la suite été redémantelée puis réinstallée ailleurs au Québec.

[81]       Construction Gély souhaitait faire l’acquisition des composantes de l’usine de pavage dans le présent dossier pour la démanteler et la réinstaller au Nunavut.

[82]       M. Deziel estime que trois jours auraient été requis pour démonter l’usine de Pintendre avec des grues. Entre une et deux semaines auraient été requises pour transporter les composantes de l’usine à Montréal sur des fardiers. Il aurait fallu par la suite les transporter par navire cargo à Iqualuit.

[83]       M. Deziel estime la durée de la construction d’une usine de bitume à six semaines, incluant le bétonnage et l’érection des structures.

[84]       Bien que le Tribunal accepte qu’il soit techniquement possible de démanteler une usine fixe de pavage et de la réinstaller ailleurs, ceci requiert des ressources importantes et des équipements de grande puissance - grues industrielles, fardiers lourds, transport maritime par cargo. Il s’agit d’une opération manifestement complexe.

[85]       Le fait qu’une structure massive puisse être démantelée et que ses composantes puissent être déplacées et réinstallées sur un autre site ne fait pas obstacle à la possibilité d’immobilisation par adhérence, dans la mesure où la structure est immobilisée au sol de manière fixe.[53]

[86]       C’est le cas en l’espèce.

[87]       Par analogie, les tribunaux ont jugé dans certaines affaires que des équipements ou structures industriels ou commerciaux, qui sont fixés au sol dans une perspective permanente, sont des immeubles par nature - ou des immobilisations par adhérence, selon la terminologie actuelle.[54]

[88]       Dans Saint - Basile, Village Sud (Corporation municipale de) c. Ciment Québec Inc., la Cour suprême accepte qu’une machine pour faire tourner des meules employées pour réduire des grains en farine, fixée sur une base de béton, rencontre les critères d’immobilisation au sens du droit civil en tant qu’immeuble par nature.[55]

[89]       Un silo à grains, un moulin à scie et un four adjacent à une scierie ont été qualifiés d’immeubles par nature dans d’autres dossiers.[56]

[90]       Dans l’affaire Daumer c. Mensing, la Cour d’appel juge qu’une tour de téléski nautique, reliée au sol à des blocs de bétons, permettant la pratique du ski nautique sur un plan d’eau par un système de câbles, est un immeuble par nature.[57]

[91]       Dans Les industries Samson inc. c. 2326-1431 Québec inc., la Cour estime qu’un remonte pente dans un centre de ski qui est fixé sur des bases de béton est un immeuble par nature.[58]

[92]       Dans Caisse Desjardins de la Rive-Nord du Saguenay c. Société d’aide au développement des communautés du Fjord inc., la Cour détermine qu’une maison démontable et transférable devient un immeuble par nature une fois assemblée sur un solage avec raccordement aux services municipaux et aux services d’électricité.[59]

[93]       Une maison mobile fixée solidement au sol à l’aide de piliers de béton a aussi été qualifiée d’immeuble par nature.[60]

[94]       Toutes ces structures peuvent possiblement être démantelées et réinstallées ailleurs en utilisant des ressources techniques majeures. Cependant, de par leur nature, elles étaient fixées au sol avec un objectif de permanence.

[95]       Au-delà des possibilités techniques, qui sont par ailleurs presque illimitées, il faut analyser l’objet de la construction et l’intention du constructeur.

[96]       En l’espèce, l’objet de la construction était l’établissement d’une usine fixe de bitume. L’intention de M. Chamberland était de construire une usine à caractère permanent en vue de desservir ses entreprises en bitume et éventuellement des tiers.

La conclusion sur l’immobilisation des composantes de l’usine de bitume

[97]       En plus des considérations précédentes, le Tribunal ajoute que le projet de construction de l’usine de bitume s’inscrivait dans un cadre résolument immobilier.

[98]       La construction de l’usine de bitume est autorisée par la Ville de Lévis en tant que « Projet particulier de construction, de modification ou d'occupation d'un immeuble » (« PPCMOI »), en application des dispositions de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme.[61] Un PPCMOI est essentiellement un processus de zonage particulier pour un projet immobilier ou, pour utiliser une expression anglaise, un « spot zoning ».[62]

[99]       Le conseil de la Ville de Lévis approuve le PPCMOI pour l’usine d’enrobés bitumineux le 8 avril 2013, ce qui permet l’émission du permis de construction de l’usine le 17 septembre 2013.[63]

[100]    De l’avis du Tribunal, les composantes de l’usine de bitume étaient un immeuble par adhérence, selon le droit québécois, alors qu’elles se trouvaient installées sur le site de l’usine aux États-Unis. Elles n’ont pas perdu leur caractère immobilier pour la simple raison que  les composantes ont été démantelées et transportées sur un autre site.

[101]    Comme le confirme l’auteur Lafond, la jurisprudence accepte qu’une construction ou un ouvrage puisse être transporté d’un endroit à un autre sans perdre son caractère immobilier, pourvu que la construction ou l’ouvrage soit destiné à être rattaché de nouveau au sol.[64]

[102]    L’institution financière qui souhaite obtenir une sûreté pour garantir le financement de structures industrielles ou commerciales qui adhèrent au sol de manière permanente, constituant ainsi un immeuble au sens du premier alinéa de l’article 900 du Code civil du Québec, devait obtenir une hypothèque immobilière.[65]

[103]    La Banque Royale ne détient pas une hypothèque immobilière de premier rang sur les biens immeubles de Placement SCP.

[104]    Réalisant qu’elle est exposée financièrement, compte tenu de l’utilisation excessive de la marge de crédit par GPC Excavation pour la construction de l’usine de bitume, la Banque Royale obtient un cautionnement de Placements SCP ainsi qu’une hypothèque de 6,8 M $ sur les biens immobiliers de Placements SCP le 31 mai 2014.[66]

[105]    Cette hypothèque cède rang à celle obtenue par la Banque de développement du Canada le 6 septembre 2013.

[106]    Ces éléments démontrent que la Banque Royale jugeait ses créances en péril compte tenu de l’insuffisance de ses garanties.

[107]    En somme, les composantes de l’usine de bitume étant un bien immeuble, elles peuvent être revendiquées par la Banque de développement du Canada. L’avis de conservation de droits hypothécaires de la Banque Royale est donc radié.

La validité de l’avis de conservation d’hypothèque légale de construction de Les Entreprises G. Pouliot

[108]    La Banque de développement du Canada conteste la validité d’un avis de conservation d’hypothèque légale de construction de G. Pouliot, inscrit à l’encontre de Placements SCP le 2 octobre 2014, au montant de 119 427,30 $, pour deux motifs.

[109]    Premièrement, les travaux de construction auraient effectivement été arrêtés en mars 2014 compte tenu des difficultés financières des entreprises de M. Chamberland et n’auraient jamais repris. Or, selon les dispositions de l’article 2727 du Code Civil du Québec, l’hypothèque légale de construction doit être inscrite dans les trente jours de la fin des travaux.

[110]    Deuxièmement, la preuve documentaire démontre que G. Pouliot a transigé avec GPC Excavation. Or, il est établi que le véritable propriétaire de l’usine de bitume est Placement SCP. G. Pouliot n’aurait donc pas dénoncé son contrat à Placement SCP, contrairement aux prescriptions de l’article 2828 du Code civil du Québec.

[111]    Pour les raisons qui suivent, le Tribunal juge que l’hypothèque légale de construction de G. Pouliot est valide et conforme aux dispositions de l’article 2727 du Code civil du Québec.

L’arrêt des travaux

[112]    Contrairement aux prétentions de la Banque de développement du Canada, les travaux de construction de l’usine n’ont pas été arrêtés en mars 2014.

[113]    À ce moment, le projet n’est pas complété. Il reste plusieurs composantes importantes à être installées, notamment le centre de contrôle de l’usine et la balance utilisée pour la pesée des matériaux.

[114]    En ce qui concerne G. Pouliot particulièrement, l’entreprise livre du béton pour les dalles qui accueilleront les composantes de l’usine de bitume à partir de la mi-octobre jusqu’à janvier.

[115]    Cependant, à la suite de l’assemblage des composantes de l’usine de bitume, G. Pouliot devait revenir sur le site pour compléter les éléments bétonnés, en particulier les dalles pour le chargement des camions et les bordures. Pour G. Pouliot, les travaux n’étaient pas terminés en mars 2014.

[116]    Malgré ces difficultés, la preuve démontre que M. Chamberland souhaite poursuivre la construction de l’usine de bitume et cherche de nouvelles sources de financement. Il refuse de vendre l’usine, malgré l’existence de difficultés financières importantes.

[117]    Dans son rapport diagnostic du 9 avril 2014, PWC recommande à la Banque Royale d’ « [e]xiger l’arrêt de tous les travaux au plan de pavage ».[67] Cependant, dans son offre de sursis du 13 mai 2014, la Royale n’exige pas l’arrêt immédiat des travaux.[68]

[118]    Entretemps, G. Pouliot cherche à se faire payer. Le 10 avril 2014, M. Chamberland indique à la représentante de G. Pouliot, Mme Geneviève Pouliot, qu’il entend « sortir un paiement ».[69] M. Chamberland explique à Mme Pouliot qu’il tente de restructurer ses affaires et de régler son problème de crédit.

[119]    À la mi-septembre, Mme Pouliot reçoit des informations selon lesquelles GPC Excavation est en difficulté et communique avec M. Chamberland. Le 18 septembre 2014, Pierre Chamberland écrit à Mme Pouliot lui indiquant « [a]ttends un peu je vais te revenir pour le plan de pavage ».[70]

[120]    Ce n’est que le 23 septembre 2014 que la Banque de développement du Canada rappelle son prêt auprès de Placements SCP et de Location GPC.

[121]    Le 24 septembre 2014, G. Pouliot reçoit de la Banque Royale un avis de retrait d’autorisation de percevoir des créances de GPC Excavation. C’est alors que Mme Pouliot comprend que les travaux sur le chantier de l’usine de bitume sont définitivement arrêtés.

[122]    De l’avis du Tribunal, il existe une distinction importante entre la suspension et l’arrêt ou l’abandon des travaux.[71]

[123]    L’abandon des travaux se manifeste par une interruption des travaux combinée à une volonté du propriétaire de les abandonner ou encore à l’existence de gestes posés par le propriétaire qui sont incompatibles avec son désir de continuer les travaux.[72] La suspension est l’interruption des travaux avec l’intention de les reprendre.[73]

[124]    Comme le souligne l’auteur Karim, « [la] suspension des travaux n’est pas de nature à fixer la date de la fin des travaux; il s’agit de l’interruption des travaux avec l’intention de les reprendre. Cette situation se produit souvent lorsque le propriétaire éprouve des difficultés financières temporaires ».[74]

[125]    Dans le même esprit, bien qu’elle puisse entraîner la suspension de travaux de construction, la faillite d’une entreprise ne constitue pas nécessairement un abandon ou un arrêt des travaux, qui peuvent être poursuivis par les créanciers.[75]

[126]    En l’espèce, la Banque de développement du Canada n’a pas démontré à la satisfaction du Tribunal que les travaux de construction de l’usine de bitume ont été arrêtés en mars 2014.

[127]    La preuve démontre plutôt que les travaux sont suspendus en mars 2014 compte tenu d’une crise de liquidités au sein de Groupe GPC. Les travaux ne sont cependant pas formellement arrêtés à ce moment.

[128]    M. Chamberland maintient le dialogue avec ses créanciers entre mars et septembre 2014 dans une perspective de résolution des difficultés financières de ses entreprises. En particulier, il maintient un dialogue avec G. Pouliot jusqu’à la fin septembre 2014. Il discute aussi avec d’autres prêteurs potentiels.

[129]    G. Pouliot réalise véritablement que la situation financière de son débiteur est irrécupérable le ou vers le 24 septembre 2014.

[130]    G. Pouliot inscrit son avis de conservation d’hypothèque légale de construction le 2 octobre 2014, donc à l’intérieur du délai de trente jours prévu à l’article 2727 du Code Civil du Québec.

La dénonciation du contrat

[131]    Comme le prévoit l’article 2728 du Code civil du Québec, dans le cas d’une personne qui n’a pas contracté directement avec le propriétaire de l’immeuble, l’hypothèque légale de construction ne vaut que si le contrat a été dénoncé au propriétaire.

[132]    Cette disposition vise la situation des sous-traitants qui n’ont pas contracté directement avec le propriétaire.[76] L’objectif est de permettre au propriétaire de retenir, sur le prix du contrat, les sommes suffisantes pour acquitter les créances des personnes qui peuvent faire valoir une hypothèque légale sur l’immeuble, conformément à l’article 2123 du Code civil du Québec. C’est pourquoi le contrat du sous-traitant doit être dénoncé au propriétaire.

[133]    L’article 2123 du Code civil du Québec spécifie que :

2123. Au moment du paiement, le client peut retenir, sur le prix du contrat, une somme suffisante pour acquitter les créances des ouvriers, de même que celles des autres personnes qui peuvent faire valoir une hypothèque légale sur l'ouvrage immobilier et qui lui ont dénoncé leur contrat avec l'entrepreneur, pour les travaux faits ou les matériaux ou services fournis après cette dénonciation. Notre soulignement.

[134]    Il s’agit donc des personnes qui ont contracté avec un entrepreneur, donc les sous-traitants, et non pas des personnes qui ont contracté directement avec le propriétaire, qui connaît déjà l’existence des créances de ses cocontractants.

[135]    À partir de l’automne 2013, M. Chamberland et ses employés entreprennent des discussions au sujet de l’usine de bitume avec G. Pouliot. Il appert de ces communications que GPC Excavation est le constructeur de l’usine.

[136]    Par exemple, dans une correspondance du 4 octobre 2013, M. Serge Noël écrit au nom de GPC Excavation : « [n]ous allons dans les prochaines semaines commencer les travaux de notre usine d’enrobés ».[77] Notre soulignement.

[137]    Mme Pouliot comprend que GPC Excavation se construit une usine de bitume, ce qui lui est confirmé verbalement par M. Chamberland.

[138]    La soumission pour la livraison de béton de G. Pouliot est acceptée par M. Chamberland pour le compte de GPC Excavation. Pendant la période de livraison du béton, les billets de livraison et les factures sont adressés à GPC Excavation.[78]

[139]    Lors de discussions en septembre 2014, M. Chamberland informe Mme Pouliot que G. Pouliot doit facturer Placements SCP, et non pas GPC Excavation. C’est alors qu’elle apprend que Placements SCP, et non GPC Excavation, est le véritable propriétaire de l’usine d’asphalte.

[140]    Le 4 octobre 2013, Mme Pouliot demande à la comptabilité de l’entreprise de faire des modifications pour refléter que les factures sont à Placements SCP et non pas à GPC Excavation.[79]

[141]    Lorsqu’elle transigeait avec M. Chamberland, Mme Pouliot a toujours cru traiter avec le véritable propriétaire de l’usine de bitume, alors identifié comme étant GPC Excavation, jusqu’à ce que la question soit corrigée administrativement.

[142]    De l’avis du Tribunal, G. Pouliot ne peut souffrir des finasseries corporatives de M. Chamberland, qui maintenait une confusion dans les rôles des compagnies de son groupe. La représentante de PWC témoigne d’ailleurs que les comptes de banque des compagnies de Groupe GPC étaient des vases communicants.

[143]     Le Tribunal juge donc qu’aucune dénonciation de contrat n’était nécessaire puisque G. Pouliot transigeait effectivement avec le véritable propriétaire de l’usine.

La validité de l’avis de conservation de droits hypothécaires de Capital Transit

[144]    Capital Transit inc. publie un avis de conservation de droits hypothécaires au Registre des droits personnels et réels mobiliers le 19 décembre 2013 à l’encontre de Bitutek sur les composantes de l’usine de bitume.[80] Capital Transit détient une hypothèque mobilière sur l’universalité des biens et des équipements de Bitutek.

[145]    L’avis de conservation de droits hypothécaires de Capital Transit doit être radié.

[146]    Capital Transit inc. n’a pas participé au procès. Le Tribunal ne dispose donc d’aucune preuve permettant de soutenir les prétentions de Capital Transit relatives à son avis de conservation de droits hypothécaires.

[147]    Par ailleurs, la preuve ne démontre pas que les composantes de l’usine de bitume ont été la propriété de Bitutek à quelque moment. De toute manière, les composantes de l’usine de bitume sont un bien immeuble et Capital Transit ne détient pas d’hypothèque immobilière.[81]

La validité des avis de conservation d’hypothèque légale de construction de pompage industriel inc., de Propane G.R.G. inc. et de Béton Chevalier inc.

[148]    Construction pompage industriel, Propane G.R.G. et Béton Chevalier n’ont pas participé au procès. Le Tribunal ne dispose donc d’aucune preuve permettant de soutenir leurs prétentions relatives à leurs avis d’hypothèque légale de construction.

[149]    Les avis d’hypothèque légale de construction doivent donc être radiés.

 

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[150]    DÉCLARE que les composantes de l’usine de préparation de bitume de Placements SCP, sise sur les lots No. 2 059 506 et 5 186 178 du cadastre de Québec, circonscription foncière de Lévis, sont des biens immeubles par adhérence, en application du premier alinéa de l’article 900 du Code civil du Québec;

[151]    ORDONNE la radiation de l’avis de conservation de droits hypothécaires inscrit au Registre des droits personnels et réels mobiliers le 6 mai 2014 par la Banque Royale du Canada à l’encontre de Placements SCP, sous le numéro 14-0385282-0001;

[152]    ORDONNE la radiation de l’avis de conservation de droits hypothécaires inscrit au Registre des droits personnels et réels mobiliers le 19 décembre 2013 par Capital Transit inc. à l’encontre de Placements SCP, sous le numéro 13-1126296-0001;

[153]    ORDONNE la radiation des hypothèques légales de construction et préavis suivants :

153.1.   Hypothèque légale de construction inscrite au Registre foncier le 28 avril 2014 par Pompage industriel inc., sous le numéro 20 696 808;

153.2.   Hypothèque légale de construction inscrite au Registre foncier le 22 mai 2014 par Propane G.R.G. inc., sous le numéro 20 760 021;

153.3.   Préavis d’exercice de vente sous contrôle de justice inscrit au Registre foncier le 17 juin 2014 par Pompage industriel inc., sous le numéro 20 839 022;

153.4.   Hypothèque légale de construction inscrite au Registre foncier le 7 juillet 2014 par Béton Chevalier inc., sous le numéro 20 892 963;

153.5.   Préavis d’exercice de vente sous contrôle de justice inscrit au Registre foncier le 13 août 2014 par Propane GRG inc., sous le numéro 20 980 167;

153.6.   Préavis d’exercice de vente sous contrôle de justice inscrit au Registre foncier le 15 décembre 2014 par Béton Chevalier inc., sous le numéro 21 251 861.

[154]    ORDONNE au Registraire du Registre des droits personnels et réels mobiliers de procéder aux radiations appropriées sur présentation d’une copie certifiée du présent jugement, accompagnée du formulaire requis et du paiement des frais prescrits.

[155]    DÉCLARE valable l’hypothèque légale de construction, inscrite au Registre foncier sous le numéro 21 092 840, par Les Entreprises G. Pouliot ltée à l’encontre de Placements SCP le 30 septembre 2014.

[156]    LE TOUT, avec dépens contre la Banque Royale du Canada.

 

 

 

 

 

__________________________________

SIMON RUEL, j.c.s.

 

 

Me Martin Simard

Bernier Beaudry

Casier 127

Pour Lemieux Nolet

 

Me Marie-Élaine Racine

Joli-Cœur Lacasse

Casier 6

Pour la Banque de développement du Canada

 

Christian Roy

Raphaëlle Lévesque-Mignault

Norton Rose Fullbright

Pour la Banque Royale du Canada

Casier 92

 

Éric Savard

Langlois Kronström Desjardins

Casier 115

Pour Les Entreprises G. Pouliot

 

Patrick Murray

Lévesque Lavoie

Casier 106

Pour Béton Chevalier

 

Dates d’audience :

9-10-11 septembre 2015 et 19 novembre 2015

 



[1] Pièce RBC-1, page 4.

[2] Pièce RBC-1, page 29.

[3] Pièce RBC-1, page 34.

[4] Inscrite au Registre des droits personnels et réels mobiliers le 4 juillet 2012.

[5] Pièces RBC-2, RBC-3, BDC-9

[6] Pièce R-12.

[7] Inscrite au Registre des droits personnels et réels mobiliers le 17 juillet 2013.

[8] Pièce BDC-1.

[9] Pièce R-13, Annexe « D ».

[10] Pièce P-6, Pièce BDC-1.

[11] Inscrite au Registre foncier le 9 septembre 2013.

[12] Pièce RBC-10.

[13] Pièce R-2.

[14] Pièce ENT-1.

[15] Pièce BDC-6.

[16] Pièce BDC-7.

[17] Pièce RBC-22, pages 4, 35.

[18] Pièce RBC-22, pages 4 .

[19] Pièce RBC-22.

[20] Pièce RBC-1, pages 58 ss. et 62 ss.

[21] Voir Pièce BDC-4.

[22] Pièce BDC-4.

[23] Qui sont énumérées non limitativement : une tour, des tamis, une balance, un dépoussiéreur, etc., Pièce P-7.

[24] Pièce P-7.

[25] Pièce ENT-12.

[26] Pièce ENT-2.

[27] Pièce ENT-3.

[28] Loi sur la faillite et l'insolvabilité, LRC 1985, c B-3.

[29] Pièce R-4.

[30] Pierre-Claude LAFOND, Précis du droit des biens, 2e édition, Les Éditions Thémis, 2007, page 58.

[31] Ibid., pages 58, 62.

[32] Ibid., page 78.

[33] Commentaires du ministre sur l’article 900 du Code civil du Québec.

[34] Id.

[35] Id.

[36] LAFOND, précité, note 30, page 62.

[37] Id.

[38] Ibid., page 88.

[39] LAFOND, précité, note 30, pages 94, 99, 100; Axor Construction Canada ltée c. 3099-2200 Québec inc., J.E. 2002-266 (C.A.).

[40] LAFOND, Ibid., page 59.

[41] Commentaires du ministre, précité, note 33; LAFOND, Id.

[42] LAFOND, Ibid., pages 61, 62.

[43] Ibid., pages 57, 58.

[44] Ibid., pages 61, 62

[45] Ibid., page 61.

[46] Cablevision (Montréal) Inc. c. Sous-ministre du Revenu (Qué.), [1978] 2 R.C.S. 64, page 73.

[47] François FRENETTE, Bilan décennal de la réforme du droit des biens, (2003) 105 R. du N. 309, pages 325, 326.

[48] Code civil du Bas Canada, articles 377, 385.

[49] LAFOND, précité, note 30, page 61.

[50] Id.

[51] Ibid., page 62.

[52] Pièce RBC-22, page 6.

[53] Daumer c. Mensing, 2007 QCCA 1560, para. 7.

[54] Jean-Claude PICARD, Chronique - La machinerie industrielle et l’article 48 de la Loi sur l’application de la réforme du Code civil du Québec : meuble ou immeuble?, Repères, janvier 2005, Droit civil en ligne (DCL), EYB2005REP304.

[55] Saint-Basile, Village Sud (Corporation municipale de) c. Ciment Québec Inc., [1993] 2 R.C.S. 823, page 848.

[56] LAFOND, précité, note 30, pages 63, 64.

[57] Daumer c. Mensing, précité, note 53, paras 7, 8.

[58] Les industries Samson inc. c. 2326-1431 Québec inc., C.S. Terrebonne, 29 janvier 1990, No. 700-05-000709-885 (juge André Forget, alors à la Cour supérieure).

[59] Caisse Desjardins de la Rive-Nord du Saguenay c. Société d’aide au développement des communautés du Fjord inc., 2010 QCCS 6499, para.  35.

[60] LAFOND, précité, note 30, page 64.

[61] Loi sur l'aménagement et l'urbanisme, RLRQ c A-19.1, articles 145.36 ss.

[62] Pièce BDC-11.

[63] Pièce ENT-1.

[64] LAFOND, précité, note 30, page 62.

[65] Louis PAYETTE, Les sûretés réelles dans le Code civil du Québec, 4e édition, Les Éditions Yvon Blais, 2010, page 196.

[66] Pièce RBC-1, pages 58 ss. et 62 ss.

[67] Pièce RBC-22, page 6.

[68] Pièce BDC-4.

[69] Pièce ENT-11.

[70] Pièce ENT-5.

[71] Dans l'affaire de la faillite de 9092-2535 Québec inc. et Protection Incendies Trepco inc., [2003] J.Q. no 9431 (C.S.), para. 25; Banque canadienne impériale de Commerce c. 3984583 Canada inc., 2011 QCCS 817, para. 47; Vincent KARIM, Contrat d’entreprise, Contrats de prestation de services et l’hypothèque légale, Wilson & Lafleur, 2e édition, 2011, page 759.

[72] Protection Incendies Trepco, Id.; Banque canadienne impériale de Commerce, Ibid., para. 48.

[73] Protection Incendies Trepco, Id.; Édith LAMBERT, Commentaires sur l’article 2727 C.c.Q., dans Commentaires sur le Code civil du Québec, Les Éditions Yvon Blais, 2002, page 19.

[74] KARIM, précité, note 71, page 758; voir également Banque Nationale du Canada c. 3093-0036 Québec inc., 2006 QCCQ 719, para. 19.

[75] Jacques DESLAURIERS, Les suretés réelles au Québec, Wilson & Lafleur, 2008, page 237; KARIM, Ibid., page 761.

[76] Permacon Ottawa c. Laplante et als., C.S. District de Hull, No. 550-05-001396-954, 8 juin 1998.

[77] Pièce ENT-7.

[78] Pièce BDC -6.

[79] Pièce BDC-6, pages 2, 4, 5.

[80] Pièce R-9.

[81] Pièce BDC-2.

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