Équipement de ferme Turgeon ltée |
2009 QCCLP 3365 |
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DÉCISION SUR DOSSIER
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[1] Le 15 juillet 2008, Équipement de ferme Turgeon ltée (l’employeur) dépose une requête devant la Commission des lésions professionnelles à l’encontre d’une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 2 juillet 2008 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme la décision rendue initialement le 24 août 2007 et déclare que le coût des prestations versées à monsieur Albert Gosselin (le travailleur) à la suite de la lésion professionnelle subie le 27 juin 2003 doit être imputé au dossier de l’employeur.
[3] Une audience est prévue devant la Commission des lésions professionnelles le 30 janvier 2009. Cependant, l’employeur renonce à cette audience et envoie plutôt une argumentation écrite qu’il demande au tribunal de prendre en considération dans le cadre de son délibéré.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de lui accorder un transfert de coûts en vertu de l’article 327, paragraphe 1, de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) et d’ainsi transférer aux employeurs de toutes les unités le coût des prestations versées au travailleur à compter du 29 septembre 2003.
LES FAITS
[5] Le travailleur occupe un emploi d’installateur de structures chez l’employeur au moment où il se blesse le 27 juin 2003. Il fait alors une chute d’une hauteur d’environ huit pieds et se fracture le coude droit de même que de multiples côtes.
[6] Le jour même, il consulte le docteur Dorion qui pose un diagnostic de fracture de l’olécrane du coude droit et de la tête radiale du coude droit.
[7] Le lendemain, soit le 28 juin 2003, le travailleur subit une intervention chirurgicale, soit une réduction ouverte de la fixation interne de l’olécrane droit et une excision d’un fragment de la tête radiale droite. Cette intervention est effectuée par le docteur Jean-Martin Turgeon, orthopédiste. À la suite de cette intervention, le médecin procède à une immobilisation plâtrée.
[8] Le 7 juillet 2003, le travailleur consulte à l’urgence de l’hôpital. Il se plaint alors de douleurs occasionnées par l’immobilisation plâtrée. Le docteur Michel Nadeau qu’il consulte à l’urgence fait une nouvelle attelle plâtrée.
[9] Le 10 juillet 2003, le travailleur est réopéré, cette fois pour une réduction fermée de la tête radiale droite avec embrochage percutané. Une nouvelle attelle plâtrée est alors posée.
[10] Le 3 août 2003, le travailleur consulte à l’urgence du Centre de santé Paul Gilbert en raison de douleurs et d’inconforts qu’il ressent en lien avec l’attelle plâtrée qui a été mise en place deux semaines plus tôt. Il rencontre alors le docteur Beaulieu qui fait une nouvelle attelle plâtrée.
[11] Le 6 août 2003, la CSST rend une décision acceptant la réclamation du travailleur pour une fracture du coude droit et des fractures multiples des côtes. Cette décision ne fait l’objet d’aucune contestation.
[12] Le 7 août 2003, la broche est retirée.
[13] Le 29 septembre 2003, lors d’une consultation auprès du docteur Turgeon, ce dernier pose un diagnostic de dystrophie sympathique réflexe (DSR) possible. Il prescrit une scintigraphie osseuse.
[14] Le 4 octobre 2003, le travailleur passe la scintigraphie osseuse demandée par le docteur Turgeon. Le docteur Xuan-Huyen Phan, radiologiste, interprète les résultats de ce test. Il conclut à un aspect scintigraphique compatible avec une dystrophie sympathique réflexe ou un syndrome épaule/main droite. Il mentionne des séquelles post-traumatiques et post-chirurgicales du coude droit. Il note une arthrose ou inflammation d’activité modérée de l’articulation acromio-claviculaire et sterno-claviculaire droite de même qu’une captation modérée en projection de la 3e jonction carpo-métarcarpienne gauche représentant le site d’injection.
[15] Le 24 octobre 2003, le travailleur est opéré pour une exérèse de broches et fils au coude droit (olécrane) et manipulation sous anesthésie générale du coude droit. C’est le docteur Turgeon qui procède à l’opération.
[16] Le 5 novembre 2003, le travailleur consulte le docteur Pinard qui prescrit un bloc stellaire.
[17] Le travailleur fait ensuite l’objet d’un suivi médical régulier auprès du docteur Pinard qui procède à plusieurs autres blocs stellaires.
[18] Le 6 novembre 2003, le travailleur revoit le docteur Turgeon qui pose un diagnostic de DSR et constate une ankylose sévère.
[19] Le 19 décembre 2003, la CSST rend une décision acceptant deux nouveaux diagnostics en relation avec l’événement du 27 juin 2003, soit le diagnostic de fracture de côtes multiples ainsi que le diagnostic de dystrophie sympathique réflexe au membre supérieur droit. Cette décision n’a pas été contestée par l’employeur.
[20] Le 2 février 2004, le travailleur consulte le docteur Lirette, orthopédiste, en lien avec une ankylose post-traumatique au coude droit. Le docteur Lirette fait alors référence à une tomodensitométrie qui a été demandée et qui a démontré une souris articulaire importante en postérieur. Le docteur Lirette recommande la tenue d’une arthrolyse du coude droit, d’une exérèse de l’atteinte radiale et d’une exérèse de la souris articulaire postérieure, de même qu’une manipulation de l’épaule droite. Cette intervention chirurgicale a lieu le 4 mars 2004.
[21] Le 20 septembre 2004, le travailleur est évalué par le docteur Lirette qui complète un rapport d’évaluation médicale (REM). Au questionnaire, le travailleur se plaint de douleurs résiduelles et d’ankylose au niveau de l’épaule droite, particulièrement en élévation, de même que de douleurs résiduelles et d’ankylose avec sensation de crépitement lors des mouvements de rotation du coude droit. Il se plaint également de douleurs et d’ankylose au niveau du poignet droit et de dysesthésie diffuse au niveau du membre supérieur droit.
[22] À l’issue de son examen physique, le docteur Lirette dresse le bilan suivant des séquelles :
Code |
Description |
DAP |
102383 |
Atteinte des tissus mous membre supérieur droit avec séquelles fonctionnelles |
2 % |
104808 |
Perte d’abduction à 160 degrés de l’épaule droite |
1 % |
104906 |
Perte d’élévation antérieure de l’épaule droite |
1 % |
105004 |
Perte de rotation externe à 80 degrés de l’épaule droite |
1 % |
100330 |
Fracturation/luxation tête radiale avec résection |
2 % |
105317 |
Perte de flexion au coude droit à 125 degrés |
5 % |
105380 |
Perte d’extension au coude droit à 25 degrés |
4 % |
105585 |
Perte de pronation au coude droit à 70 degrés |
1 % |
105647 |
Perte de supination au coude droit à 40 degrés |
4 % |
106183 |
Perte d’extension du poignet droit à 40 degrés |
1 % |
106236 |
Perte de flexion du poignet droit à 50 degrés |
2 % |
[23] De plus, le docteur Lirette est d’avis que le travailleur conserve les limitations fonctionnelles suivantes :
Ø il devrait éviter un travail nécessitant l’utilisation du bras droit plus haut que la hauteur des épaules;
Ø il ne peut faire de mouvements d’amplitude extrême au niveau du coude droit;
Ø il ne peut faire de gestes répétitifs au niveau du membre supérieur droit;
Ø il ne peut manipuler des charges de plus de 10 kilogrammes.
[24] Le 15 décembre 2004, la CSST rend une décision déterminant l’emploi convenable de manœuvre à la coupeuse de métal, à la coupeuse de tuyaux, à la scieuse de métal et à la torche automatique chez l’employeur, à la suite d’un processus de réadaptation professionnelle.
[25] Le 12 juin 2006, l’employeur produit à la CSST une demande de transfert de coûts en vertu de l’article 327 de la loi. Comme principal motif au soutien de sa demande, l’employeur prétend que le diagnostic d’algodystrophie réflexe posé constitue une lésion professionnelle au sens de l’article 31 de la loi et que, de ce fait, il a droit à un transfert du coût des prestations à compter du 29 septembre 2003, date à laquelle ce diagnostic a été posé pour la première fois.
[26] Le 24 août 2007, la CSST rend une décision faisant suite à la demande de transfert de l’imputation des coûts formulée par l’employeur. La CSST refuse cette demande en invoquant comme principal motif que la preuve ne fournit pas la démonstration qu’une blessure ou qu’une maladie est survenue par le fait ou à l’occasion des soins reçus par le travailleur pour sa lésion professionnelle ou à la suite de l’omission de tels soins.
[27] Il appert des motifs retenus par l’agente Francine Jobin de la CSST qui a analysé la demande de transfert, que le diagnostic d’algodystrophie fait partie intégrante de la lésion professionnelle. La révision administrative confirme ce refus et le tribunal est actuellement saisi d’une requête à l’encontre de cette décision.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[28] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si l’employeur a droit à un transfert du coût des prestations en vertu du 1er paragraphe de l’article 327 de la loi. Cet article se lit comme suit :
327. La Commission impute aux employeurs de toutes les unités le coût des prestations :
1° dues en raison d'une lésion professionnelle visée dans l'article 31 ;
2° d'assistance médicale dues en raison d'une lésion professionnelle qui ne rend pas le travailleur incapable d'exercer son emploi au-delà de la journée au cours de laquelle s'est manifestée sa lésion.
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1985, c. 6, a. 327.
[29] Quant à l’article 31 de la loi, il prévoit ce qui suit :
31. Est considérée une lésion professionnelle, une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion :
1° des soins qu'un travailleur reçoit pour une lésion professionnelle ou de l'omission de tels soins;
2° d'une activité prescrite au travailleur dans le cadre des traitements médicaux qu'il reçoit pour une lésion professionnelle ou dans le cadre de son plan individualisé de réadaptation.
Cependant, le premier alinéa ne s'applique pas si la blessure ou la maladie donne lieu à une indemnisation en vertu de la Loi sur l'assurance automobile (chapitre A-25), de la Loi visant à favoriser le civisme (chapitre C-20) ou de la Loi sur l'indemnisation des victimes d'actes criminels (chapitre I-6).
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1985, c. 6, a. 31.
(Notre soulignement)
[30] Dans la présente affaire, la CSST refuse le transfert des coûts demandé par l’employeur en se basant notamment sur le fait que le diagnostic d’algodystrophie réflexe sympathique du membre supérieur droit a été accepté par la CSST comme étant en lien avec l’événement initial subi le 27 juin 2003.
[31] Ce motif est-il suffisant pour permettre à la CSST de refuser le transfert de l’imputation des coûts demandé par l’employeur ?
[32] Le tribunal répond par l’affirmative à cette question pour les motifs ci-après exposés.
[33] D’entrée de jeu, le tribunal rappelle que l’absence de décision explicite par la CSST qualifiant une lésion professionnelle de lésion survenue en vertu de l’article 31 de la loi ne constitue pas une fin de non-recevoir à une demande de transfert des coûts en vertu du 1er paragraphe de l’article 327 de la loi.
[34] Par ailleurs, la jurisprudence du présent tribunal interprète la lésion professionnelle sous l’article 31 comme étant non seulement une lésion différente de la lésion initiale mais également une lésion qui doit survenir à l’occasion des soins ou de l’omission des soins.
[35] Cependant, dans le présent dossier, le tribunal constate que l’employeur n’a pas contesté la décision du 19 décembre 2003 qui déclare que le nouveau diagnostic d’algodystrophie réflexe est en relation avec l’accident du travail du 27 juin 2003.
[36] Or, de l’avis du tribunal, cette décision constitue l’assise sur laquelle pouvait se baser l’employeur pour demander que cette pathologie soit qualifiée non pas de lésion professionnelle au sens de l’article 2 de la loi mais plutôt de lésion professionnelle au sens de l’article 31 de la loi.
[37] Dans ces circonstances, il est difficile de prétendre que la dystrophie sympathique réflexe est reliée aux soins ou à l’omission de soins, alors qu’une décision explicite indique plutôt qu’elle est en lien avec l’événement initial.
[38] À défaut de contester cette décision, le tribunal est d’opinion que la décision du 19 décembre 2003 a acquis un caractère final et irrévocable.
[39] Dès lors, la démarche effectuée par l’employeur le 12 juin 2006, en vue d’obtenir un transfert de l’imputation des coûts sous l’angle des articles 327 et 31 de la loi, en se basant spécifiquement sur le diagnostic de dystrophie sympathique réflexe, ne peut donner réouverture à un droit de contestation qui s’est éteint par l’absence de contestation de la décision du 19 décembre 2003.
[40] Dans ce contexte, la position de la CSST selon laquelle le transfert des coûts ne peut être octroyé à l’employeur compte tenu du fait que la dystrophie sympathique réflexe a été reconnue à titre de lésion professionnelle au sens de l’article 2 de la loi constitue un motif suffisant pour permettre d’écarter la demande de transfert des coûts de l’employeur.
[41] Ainsi, le tribunal conclut qu’il ne peut faire droit à la demande de transfert de l’imputation de l’employeur formulée en vertu des articles 327 et 31 de la loi.
[42] Au surplus, le tribunal tient à préciser que même s’il s’était prononcé sur le fond du litige, il n’aurait pu faire droit à la demande de transfert de l’imputation produite par l’employeur puisqu’il ne dispose d’aucune preuve de nature médicale permettant de conclure que l’algodystrophie s’est développée, non pas à la suite du traumatisme important subi par le travailleur, soit une chute d’une hauteur de huit pieds, mais plutôt en lien avec les interventions chirurgicales et/ou les immobilisations plâtrées faisant suite à cette lésion.
[43] À cet égard, la preuve révèle que la lésion subie par le travailleur le 27 juin 2003 a nécessité une première intervention chirurgicale dès le lendemain.
[44] Il est reconnu par la littérature médicale à laquelle fait d’ailleurs référence l’employeur dans le cadre de son argumentation écrite que l’un des facteurs déclenchant de la dystrophie sympathique réflexe est, dans 70 % des cas, un traumatisme subi.
[45] Dans le présent dossier, il est exact que d’autres facteurs pouvant constituer des causes probables de la dystrophie sympathique réflexe, tels qu’une intervention chirurgicale ou une immobilisation plâtrée, étaient présents.
[46] Compte tenu des nombreux facteurs possibles, il appartenait à l’employeur de démontrer, au moyen d’une preuve médicale prépondérante, que la cause probable de la dystrophie sympathique réflexe dont a souffert le travailleur était plutôt l’intervention chirurgicale et/ou les immobilisations plâtrées, que le traumatisme comme tel.
[47] Or, l’employeur n’a aucunement fait cette démonstration, se contentant de soumettre cette possibilité en argumentation.
[48] Dans l’affaire Transport Dolbec inc.[2], une décision récente de la Commission des lésions professionnelles, le tribunal a rappelé qu’une argumentation écrite ne peut pallier au manque de preuve médicale.
[49] Bien que dans cette affaire, il était question d’une demande de partage de l’imputation des coûts en vertu de l’article 329 de la loi, la soussignée est d’avis que les principes établis trouvent application dans la présente affaire.
[50] Le tribunal s’exprimait comme suit quant à l’absence de preuve médicale :
[34] Dans le présent dossier, le tribunal constate les mêmes lacunes et l’argumentation de l’employeur ne peut aucunement tenir lieu et place d’une expertise médicale qui analyse de façon spécifique les éléments particuliers du présent dossier pour conclure à l’existence d’une déficience. L’employeur n’a pas assumé son fardeau de la preuve et sa demande de partage de coûts doit être rejetée.
(Notre soulignement)
[51] Tout comme dans cette affaire, le présent tribunal est d’avis que l’employeur n’a pas satisfait au fardeau de preuve qui lui incombait.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête déposée par Équipement de ferme Turgeon ltée (l’employeur) le 15 juillet 2008;
CONFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 2 juillet 2008 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que l’employeur doit être imputé de la totalité des coûts liés à la lésion professionnelle subie par monsieur Albert Gosselin (le travailleur) le 27 juin 2003.
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Ann Quigley |
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M. Frédéric Boucher |
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Medial conseil Santé Sécurité inc. |
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Représentant de la partie intéressée |
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