Aliments Dare ltée c. Commission des lésions professionnelles |
2016 QCCS 387 |
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JP 1736 |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
BEAUHARNOIS |
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No: |
760-17-003537-142 |
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DATE: |
1er février 2016 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE MICHEL A. PINSONNAULT, J.C.S. |
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LES ALIMENTS DARE LTÉE |
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Demanderesse |
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c. |
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COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES |
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Défenderesse |
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et |
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SARTO TREMBLAY |
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et |
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COMMISSION DE LA SANTÉ ET SÉCURITÉ DU TRAVAIL |
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Mis en cause |
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JUGEMENT |
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[1] La demanderesse, Les Aliments Dare ltée (« Dare »), demande la révision judiciaire d’une décision rendue le 20 mars 2014 par la Commission des lésions professionnelles (la « CLP »)(P-2).
[2] Aux termes de cette décision, la CLP a accueilli l’appel interjeté le 5 février 2013 par le mis en cause Sarto Tremblay (« Tremblay[1] »), un des employés syndiqués de Dare.
[3] La CLP a alors infirmé la décision rendue le 29 janvier 2013 par la Commission de la santé et sécurité du travail (la « CSST ») (la « Décision CSST ») et a accueilli la plainte déposée le 12 juillet 2011 par Tremblay en vertu de l’article 42 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[2] (la « LATMP »), et ordonné à Dare de verser à son employé Tremblay une indemnité de vacances pour l’année 2011-2012 comme s’il avait exercé son emploi pendant toute la période de référence applicable, à savoir du 1er mai 2010 au 30 avril 2011 avec une déduction des sommes qu’il a déjà reçues (la « Décision CLP »).
[4] Les faits sont relativement simples et ne sont pas contestés.
[5] Tremblay est à l’emploi de Dare depuis le 16 mai 1988.
[6] Le 19 août 2009, il est victime d’une lésion professionnelle. Le Tribunal comprend que Tremblay est par la suite en assignation temporaire du 20 août au 1er novembre 2009, du 6 novembre 2009 au 3 janvier 2010, du 14 janvier au 15 février 2010 et du 9 septembre 2010 au 24 avril 2011. Le reste du temps, il est en arrêt de travail et reçoit des indemnités de remplacement du revenu.
[7] Le 25 avril 2011, Tremblay reprend son travail régulier.
[8] Le 16 juin 2011, il prend ses vacances annuelles et reçoit une indemnité de vacances de 541,20 $ pour chacune des cinq semaines de vacances auxquelles il a droit en raison de son ancienneté, soit l'équivalent de 40 heures au taux horaire de 13,530 $.
[9] Dare a effectué ce calcul en fonction d’une des deux méthodes prévues aux articles 18.01 à 18.03 de la convention collective alors applicable. Cette méthode de calcul de l’employeur a toujours été utilisée de façon constante pour ses travailleurs accidentés depuis 1998.
[10] Les articles 18.01 à 18.03 de la convention collective (P-4) se lisent comme suit :
« ARTICLE 18 - VACANCES
18.01 Période de référence
Pour les fins de calcul des périodes de vacances, celles-ci seront calculées du 1er mai au 30 avril de chaque année. Cependant, par exception, tout employé dont la date d'anniversaire de service continu tombe entre le 1er mai et le 30 octobre et qui, selon le régime ci-bas, aurait droit à trois (3) semaines ou plus de vacances si telle date tombait le 30 avril précédent, reçoit un nombre de semaines et une rémunération de vacances établis comme si de ce fait sa date anniversaire était le 30 avril précédent.
18.02 Acquisition de vacances
L'employeur accorde à tous les employés, des vacances payées selon les conditions suivantes :
Année de service |
Semaines accordées |
% payables * |
Moins de un (1) an |
Un (1) jour par mois maximum deux (2) semaines |
4 % |
Un (1) an mais moins de quatre (4) ans |
2 semaines |
4 % |
Quatre (4) ans mais moins de dix (10) ans |
3 semaines |
6 % |
Dix (10) ans mais moins de quinze (15) ans |
4 semaines |
8 % |
Quinze (15) ans mais moins de vingt-cinq (25) ans |
5 semaines |
10 % |
Vingt-cinq (25) ans et plus |
6 semaines |
12 % |
* Le % est basé sur le total du salaire gagné durant l’année de référence.
18.03 Calcul de l’indemnité
Le calcul de l’indemnité pour vacances payées sera compté sur le salaire total gagné pendant la période s’étendant du 1er mai de l’année précédente au 30 avril de l’année suivante ou au taux de sa fonction régulière, multiplié par le nombre d’heures formant sa semaine de travail et ce, pour chaque semaine de vacances à laquelle il a droit, le plus élevé des deux, à condition que l’employé ait travaillé mille cent (1100) heures[3] au courant de l’année de référence. Les paies de vacances sont payées le jeudi suivant la semaine de vacances, telles des paies régulières. À sa demande, l’employé, ayant travaillé moins de mille cent (1100) heures au cours de l’année de référence des vacances, peut prendre moins de semaine de vacances tout en respectant la loi des normes du travail. »
[11] Ainsi, en juin 2011, la période de référence aux fins du calcul de l’indemnité de vacances à laquelle Tremblay avait droit était du 1er mai 2010 au 30 avril 2011. L’employé devait alors avoir cumulé un minimum de 1,200 heures de travail pendant cette période pour bénéficier de la méthode la plus favorable de calcul prévue à la convention collective. Or, Tremblay n’ayant pu cumuler que 936 heures de travail en raison de sa lésion professionnelle, son indemnité de vacances a été établie en fonction du salaire qu’il avait réellement gagné pendant cette année de référence.
[12] Par conséquent, l’employeur a établi l’indemnité de vacances de Tremblay pour la période 2011-2012 en fonction de son salaire gagné pendant l’année de référence antérieure (1er mai 2010 au 30 avril 2011), qui était de 27 064,25 $, multiplié par 10 %, le taux auquel le travailleur avait alors droit en fonction de ses années de service. Ainsi, l’indemnité de vacances à laquelle avait droit le travailleur, selon cette méthode de calcul pour l’année 2011-2012, est de 2 706,22 $, ce qui représente, si l’on considère qu’il a droit à cinq semaines de vacances, une indemnité équivalente à un taux horaire de 13,530 $.[4]
[13] Or, si Tremblay avait effectivement cumulé plus de 1,200 heures travaillées lors de cette même période de référence, son indemnité de vacances pour l’année 2011-2012 aurait été d’environ 4 284 $ puisqu’il aurait pu bénéficier de la méthode de calcul plus avantageuse. Son indemnité aurait alors été calculée sur la base de son taux horaire régulier (21,07 $) majoré d’une prime de soir X 40 heures semaines X 5 semaines (nombres de semaines de vacances auxquelles il avait alors droit).[5]
[14]
Tremblay soutient qu’en raison de sa lésion professionnelle, il n’a pu
cumuler le nombre suffisant d’heures de travail qu’il aurait normalement fait.
Il considère donc que Dare l’a pénalisé ou sanctionné injustement au niveau du
versement de son indemnité de vacances 2011-2012, et ce, en violation des
dispositions de l’article
[15]
Le 12 juillet 2011, Tremblay dépose une plainte auprès de la CSST fondée
sur les articles
[16]
Bref, le présent litige se situe au niveau de l’interprétation que les
parties donnent à la convention collective relativement au versement de
l’indemnité de vacances payable à un employé victime d’une lésion
professionnelle suite à son retour au travail, et ce, à la lumière de l’article
[17] Essentiellement, d’une part, le syndicat qui représente les intérêts de son membre invoque, au nom du travailleur Tremblay, que celui-ci ne doit pas être pénalisé par une absence au travail causée par sa lésion professionnelle et qu’une fois de retour au travail, il devait bénéficier de l’indemnité de vacances à laquelle il aurait normalement eu droit comme s’il n’avait pas été absent. Le syndicat soutient qu’en conformité avec l’esprit de la LATMP, Dare devait calculer le montant de l’indemnité de vacances 2011-2012 en considérant que Tremblay avait effectivement travaillé pendant la période de référence le nombre d’heures requis pour appliquer la méthode de calcul la plus avantageuse. En ce faisant, Tremblay aurait dû percevoir la somme de 4 284 $ au lieu des 2 706,22 $ qui lui ont été versés.
[18]
D’autre part, Dare considère avoir traité Tremblay exactement comme
l’employeur l’a toujours fait avec tous ses autres employés victimes de lésions
professionnelles depuis 1998[6]
en appliquant fidèlement la convention collective négociée et conclue avec le syndicat sans
qu’aucune contestation, aucun grief et aucune plainte n’aient jamais été
soulevés par celui-ci ou ses employés syndiqués auparavant. L’employeur est
d’opinion que l’article
- La Décision CSST du 29 janvier 2013[7]
[19] Le 29 janvier 2013, la CSST déclare irrecevable la Plainte de Tremblay et, par conséquent, la rejette.
[20]
La CSST considère que Tremblay n’a pas fait l’objet d’une sanction aux
termes de l’article
[21]
La CSST note à ce sujet qu’il existe deux orientations
jurisprudentielles concernant l’application de l’article
« [31] La première orientation soutient qu’en vertu d’une fiction juridique la période d’absence dans le cadre d’une lésion professionnelle doit être considérée comme du temps travaillé.
[32] La deuxième orientation ne permet pas de transformer en heures travaillées celles qui n’ont pas été effectivement travaillées durant la période d’absence.
[33] La Commission adhère à la deuxième orientation de l’article 242 de la loi, soit de ne pas considérer la période d’absence résultant d’une lésion professionnelle comme étant des heures travaillées.
[34] Selon cette orientation, il n’y a donc pas lieu de compenser rétroactivement le salaire et les avantages durant la période d’absence.
[35] Qui plus est, l’article 67 de la loi trouve ici, application. En effet, les indemnités de vacances ont déjà été perçues par le travailleur puisque celles-ci étaient incluses dans ses indemnités de remplacement de revenu, pendant la période visée par sa requête.
[36] Dans ces circonstances, la Commission considère que de rémunérer le travailleur pour ses vacances pour cette même période, lors de son retour au travail lui ferait bénéficier d’une double compensation et conduirait à un résultat avantageux par rapport aux autres travailleurs.
[37] D’ailleurs, à cet effet, les tribunaux ont affirmé à différentes occasions que la loi doit être interprétée largement, mais ne doit pas avoir pour effet d’octroyer des avantages indus aux travailleurs accidentés.
[38] Considérant l’analyse précédente, la Commission conclut qu’il y a absence de sanction. »
[22] En ce faisant, la CSST s’est rangée du côté de l’orientation jurisprudentielle qui ne permet pas de transformer en heures travaillées celles qui n’ont pas été effectivement travaillées durant la période d’absence de l’employé. De plus, la CSST a exprimé l’avis que Tremblay avait été entièrement compensé en termes d’indemnité de vacances jusqu’au jour de son retour au travail au moyen des indemnités de remplacement de revenu qu’il avait perçues pendant son absence.
- La Décision CLP du 20 mars 2014[8]
[23] Tel que susmentionné, la CLP a infirmé la Décision CSST en retenant, à toutes fins pratiques, l’autre orientation jurisprudentielle identifiée par la CSST, celle que la CSST n’a pas préférée.
[24]
La CLP conclut que Tremblay a été privé d’un avantage auquel il avait
droit au sens de l’article
[25]
Selon la CLP, puisque le versement de l’indemnité de vacances a été
effectué dans les six mois de son retour au travail, elle a conclu que Tremblay
bénéficiait également de la présomption de l’article
[26]
À ce sujet, malgré que la CLP a estimé que Dare avait agi de bonne foi
en appliquant au travailleur les dispositions de la convention collective
afférente à l’indemnité de vacances, comme il l’avait toujours fait auparavant pour
tous les autres travailleurs accidentés depuis 1998, la Commission a conclu que
dans la mesure où cette pratique enfreignait l’article
- La Sentence arbitrale du 28 octobre 2013 impliquant l’employé Jean Latour[9]
[27]
Il importe de souligner qu’après le dépôt par Tremblay de la Plainte, M.
Jean Latour (« Latour »), un autre employé de Dare travaillant
à la même usine que Tremblay, a déposé un grief contre son employeur en vertu
de l’article
[28] Le grief a été déposé car Dare avait calculé l’indemnité de vacances à laquelle Latour avait droit à son retour au travail au prorata des journées réellement travaillées, comme l’employeur l’avait fait pour Tremblay. Latour croyait plutôt avoir droit à une indemnité établie en vertu de la méthode de calcul la plus avantageuse.
[29]
Outre le fait que dans le cas de Latour, son absence au travail
découlait d’un accident de travail survenu dans le cadre de son second emploi à
titre de pompier volontaire, poste qu’il occupait concurremment à son travail
chez Dare, et qu’il a plutôt choisi de déposer un grief, comme le permet aussi
l’article
[30] Le 28 octobre 2013, dans une sentence arbitrale rendue par l’arbitre Me Joëlle L’Heureux (la « Sentence arbitrale »), cette dernière confirme que la méthode de calcul utilisée par l’employeur était conforme à la convention collective et respectait la LATMP.
[31]
L’Heureux précise qu’à aucun endroit à l’article
[32] L’Heureux traite aussi de l’article 235[14] de la LATMP ainsi :
« [40] Un exercice similaire peut
se faire avec d’autres articles de la LATMP. Par exemple, l’article
[41] On constate donc ici aussi une
nette différence dans le libellé de l’article 235 et celui de l’article
[33] L’arbitre L’Heureux souligne également l’existence des deux orientations jurisprudentielles mentionnées précédemment. Voici ce qu’elle écrit à ce sujet en donnant préséance à l’orientation préconisée par l’employeur :
« [42] Le plaignant veut qu’on
lui reconnaisse des heures travaillées pendant sa période d’absence. À
aucun endroit le législateur ne dit, à l’article
[43] En plus des affaires précitées de Cargill
et de Fabrication Powercast, l’employeur a déposé une série d’autres
décisions[15]
qui confirment cette interprétation. L’article
[44] Les décisions déposées par le syndicat ne permettent pas de renverser cette tendance. La décision de l’arbitre Claude Fabien, datée de 2003[16], illustre très bien le courant minoritaire qui considère que l’article 242 crée une présomption implicite, et que le travailleur a droit à ses vacances comme s’il avait continué à exercer son emploi pendant son absence. L’article 242 garantirait à l’employé le plein bénéfice des vacances annuelles payées par l’employeur, indépendamment de l’année de référence et indépendamment des dispositions de la convention.
[…]
[46] En résumé, l’article 242 ne permet pas, comme le demande le syndicat, de considérer que l’employé a gagné du salaire ou a effectivement travaillé pendant son absence en accident du travail.
[…]
[49] Il faut donc conclure que l’employeur a respecté la convention. Ni la LATMP, ni la Loi sur les normes du travail ne lui imposent d’obligation additionnelle quant au calcul de l’indemnité de vacances. »
[34] La Sentence arbitrale fut portée à l’attention de la CLP par l’employeur Dare.
[35] Or, la CLP a conclu qu’elle n’était pas liée par cette sentence, malgré qu’elle portait essentiellement sur les mêmes dispositions de la convention collective et impliquait un litige similaire, ne serait-ce que par souci de cohérence ou de stabilité. Pour la CLP, l’affirmation de l’arbitre L’Heureux voulant que la jurisprudence majoritaire confirme l’interprétation qu’elle préconise serait basée sur une analyse de décisions arbitrales, et non sur celles de la CLP, lesquelles demeurent mitigées ou partagées sur cette question précise.
[36] À la fin de sa décision, la CLP dit concevoir que le principe de la stabilité en matière de relation de travail est certes souhaitable et celle-ci reconnaît que sa décision ne fera que faire perdurer une question litigieuse entre le syndicat et l’employeur. Toutefois, la Commissaire déclare devoir rendre cette décision non pas sur la foi dudit principe de stabilité, mais sur le mérite réel de la cause dont elle était alors saisie, le tout dans le contexte d’une loi d’ordre public qu’est la LATMP.
- Les dispositions législatives applicables
[37] Les dispositions légales pertinentes sont :
« 1. La présente loi a pour objet la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu’elles entraînent pour les bénéficiaires.
Le processus de réparation des lésions professionnelles comprend la fourniture des soins nécessaires à la consolidation d’une lésion, la réadaptation physique, sociale et professionnelle du travailleur victime d’une lésion, le paiement d’indemnités de remplacement du revenu, d‘indemnités pour préjudice corporel et, le cas échéant, d’indemnités de décès.
La présente loi confère en outre, dans les limites prévues au chapitre VII, le droit au retour au travail du travailleur victime d’une lésion professionnelle.
4. La présente loi est d’ordre public.
Cependant, une convention collective ou une entente ou un décret qui y donne effet peut prévoir pour un travailleur des dispositions plus avantageuses que celles que prévoit la présente loi.
32. L'employeur ne peut congédier, suspendre ou déplacer un travailleur, exercer à son endroit des mesures discriminatoires ou de représailles ou lui imposer toute autre sanction parce qu'il a été victime d'une lésion professionnelle ou à cause de l'exercice d'un droit que lui confère la présente loi.
Le travailleur qui croit avoir été l'objet d'une sanction ou d'une mesure visée dans le premier alinéa peut, à son choix, recourir à la procédure de griefs prévue par la convention collective qui lui est applicable ou soumettre une plainte à la Commission conformément à l'article 253.
67. Le revenu brut d'un travailleur est
déterminé sur la base du revenu brut prévu par son contrat de travail et
lorsque le travailleur est visé à l'un des articles
Pour établir un revenu brut plus élevé, le travailleur peut inclure les bonis, les primes, les pourboires, les commissions, les majorations pour heures supplémentaires, les vacances si leur valeur en espèces n'est pas incluse dans le salaire, les rémunérations participatives, la valeur en espèces de l'utilisation à des fins personnelles d'une automobile ou d'un logement fournis par l'employeur lorsqu'il en a perdu la jouissance en raison de sa lésion professionnelle et les prestations en vertu de la Loi sur l'assurance parentale (chapitre A-29.011) ou de la Loi sur l'assurance-emploi (Lois du Canada, 1996, chapitre 23).
235. Le travailleur qui s'absente de son travail en raison de sa lésion professionnelle :
1° continue d'accumuler de l'ancienneté au sens de la convention collective qui lui est applicable et du service continu au sens de cette convention et au sens de la Loi sur les normes du travail (chapitre N-1.1);
2° continue de participer aux régimes de retraite et d'assurances offerts dans l'établissement, pourvu qu'il paie sa part des cotisations exigibles, s'il y a lieu, auquel cas son employeur assume la sienne.
Le présent article s'applique au travailleur jusqu'à l'expiration du délai prévu par le paragraphe 1 ° ou 2 °, selon le cas, du premier alinéa de l'article 240.
242. Le travailleur qui réintègre son emploi ou un emploi équivalent a droit de recevoir le salaire et les avantages aux mêmes taux et conditions que ceux dont il bénéficierait s'il avait continué à exercer son emploi pendant son absence.
Le travailleur qui occupe un emploi convenable a droit de recevoir le salaire et les avantages liés à cet emploi, en tenant compte de l'ancienneté et du service continu qu'il a accumulés.
255. S'il est établi à la satisfaction de la Commission que le travailleur a été l'objet d'une sanction ou d'une mesure visée dans l'article 32 dans les six mois de la date où il a été victime d'une lésion professionnelle ou de la date où il a exercé un droit que lui confère la présente loi, il y a présomption en faveur du travailleur que la sanction lui a été imposée ou que la mesure a été prise contre lui parce qu'il a été victime d'une lésion professionnelle ou à cause de l'exercice de ce droit.
Dans ce cas, il incombe à l'employeur de prouver qu'il a pris cette sanction ou cette mesure à l'égard du travailleur pour une autre cause juste et suffisante. »
- Les questions en litige
[38] L’avocat de l’employeur propose les questions suivantes :
i.
« La CLP a-t-elle erré en concluant que M. Tremblay a fait l’objet
d’une sanction au sens de l’article
ii. La CLP a-t-elle erré en n’appliquant pas le principe de l’autorité de la chose jugée à l’égard de la décision rendue par l’arbitre Joëlle L’Heureux en date du 28 octobre 2013, pièce P-5?
iii. La CLP a-t-elle erré en refusant de suivre la décision de l’arbitre Joëlle L’Heureux, pièce P-5, et en permettant la réouverture d’un débat sur une question qui avait déjà été définitivement tranchée par cette dernière?
iv. La CLP a-t-elle erré en rendant une décision qui est irréconciliable sur le plan opérationnel avec celle rendue par l’arbitre Joëlle L’Heureux, pièce P-5?
v. La CLP a-t-elle contrevenu aux principes de justice naturelle en consultant, lors du délibéré, de la jurisprudence en sus de celle déposée par les procureurs et ce, sans avertir les parties et sans leur donner la possibilité de faire des représentations à cet égard? »
[39] L’avocate de l’employé Tremblay propose plutôt :
« La CLP a-t-elle commis une erreur entraînant la révision judiciaire de sa décision P-2 déclarant bien fondée la plainte déposée par le travailleur le 12 juillet 2011? »
[40] Il est à souligner que tant la CLP que la CSST ont choisi d’être représentées dans le cadre des présentes procédures, leurs avocates respectives ayant participé activement à l’audience devant le soussigné.
[41] Outre la question de la norme de contrôle applicable, l’avocate de la CLP considère que le Tribunal doit déterminer si la décision que sa cliente a rendue le 20 mars 2014 devrait être révisée par la Cour supérieure, tout en suggérant que la réponse à cette question devrait être négative.
[42]
L’avocate de la CSST a essentiellement fait siennes les observations de
l’avocate de la CLP. Dans son mémoire, l’avocate de la CSST s’est portée en
faux face aux prétentions de l’employeur Dare, affirmant plutôt que les prescriptions
de l’article
[43]
Le Tribunal conclut que les interventions de la CSST et de la CLP ont
été particulièrement suscitées par l’argument formulé par l’employeur Dare que
la Sentence arbitrale portant sur l’interprétation de la convention collective
et de l’article
- La norme de contrôle applicable
[44] L’avocat de Dare a soutenu que chacune des cinq questions qu’il a soulevées demande l’application de la norme de contrôle de la décision correcte, car suivant les enseignements de la Cour suprême dans l’arrêt Dunsmuir[18], la norme de la décision correcte s’applique à une question de compétence.
[45]
En arrivant à la conclusion que l’employeur ayant appliqué la convention
collective, sans aucune discrimination et même de bonne foi, ne constituait pas
une cause juste et suffisante pour renverser la présomption qu’il aurait imposé
une sanction à Tremblay, au sens de l’article
[46] L’avocat de l’employeur ajoute que la Décision CLP nécessitait de la part de la CLP une analyse des principes généraux de droit reliés à la chose jugée, lesquels se situaient à l’extérieur de son domaine de compétence spécialisée. Plus spécifiquement, la conclusion de la CLP selon laquelle elle n’était pas liée par la Sentence arbitrale nécessitait une analyse des questions entourant l’importance de la stabilité des décisions administratives et de la finalité des jugements et, par conséquent, cette question ne pouvait être révisée selon une norme de contrôle justifiant la retenue[19].
[47] De plus, suivant une jurisprudence constante, le refus par un décideur administratif d’appliquer le principe de la chose jugée est révisable selon la norme de la décision correcte[20].
[48] Finalement, quant à la cinquième question proposée, la révision d’une décision fondée sur la violation d’un principe de justice naturelle entraîne l’application de la norme de la décision correcte[21].
[49] De l’autre côté, les avocates de Tremblay, de la CSST et de la CLP diffèrent totalement d’opinion à cet égard. Elles proposent toutes que seule la norme de contrôle de la décision raisonnable s’applique en l’espèce.
[50] S’appuyant également sur l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême du Canada est venue réaffirmer certains principes importants concernant les décisions des tribunaux administratifs et la déférence que doivent avoir les cours de justice à leur égard. En effet :
« [27] Lorsqu’elles s’acquittent de leurs fonctions constitutionnelles de contrôle judiciaire, les cours de justice doivent tenir compte de la nécessité non seulement de maintenir la primauté du droit, mais également d’éviter toute immixtion injustifiée dans l’exercice de fonctions administratives en certaines matières déterminées par le législateur.»
[51] À cette norme de contrôle, s’ajoute la déférence inhérente à la norme de la raisonnabilité :
« [49] La déférence commande en somme le respect de la volonté du législateur de s’en remettre, pour certaines choses, à des décideurs administratifs, de même que des raisonnements et des décisions fondées sur une expertise et une expérience dans un domaine particulier, ainsi que de la différence entre les fonctions d’une cour de justice et celles d’un organisme administratif dans le système constitutionnel canadien.»
[52] Bref, on propose que dans la présente affaire, le Tribunal se demande si la Décision CLP et la justification qui découle de sa lecture possèdent les attributs de la raisonnabilité au sens de Dunsmuir[22]. Le caractère raisonnable tient à la justification de cette décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables, pouvant se justifier au regard des faits et du droit.
[53] Avec grand respect pour l’opinion contraire, le Tribunal partage entièrement cette position quant à la norme de contrôle applicable.
[54]
Dans un contexte où une plainte a été déposée en vertu de l’article
«377. La Commission des lésions professionnelles a le pouvoir de décider de toute question de droit ou de fait nécessaire à l'exercice de sa compétence.
Elle peut confirmer, modifier ou infirmer la décision, l'ordre ou l'ordonnance contesté et, s'il y a lieu, rendre la décision, l'ordre ou l'ordonnance qui, à son avis, aurait dû être rendu en premier lieu. »
[55]
L’article
[56] La CLP devait donc déterminer si Tremblay avait fait l’objet d’une sanction ou d’une mesure prohibée par la LATMP parce que son employeur Dare ne lui a pas payé l’indemnité de vacances à laquelle il prétendait avoir droit pour l’année 2011-2012, en raison de son absence due à sa lésion professionnelle.
[57] Ainsi, pour répondre à cette question, la CLP devait analyser, interpréter et appliquer certaines dispositions de la LATMP (articles 1, 4, 32, 242 et 255). Il s’agissait donc d’une question au cœur du domaine d’expertise de la CLP.
[58] Depuis l’arrêt Dunsmuir[23], il est reconnu que lorsque la jurisprudence a déjà établi de manière satisfaisante la norme de contrôle s’appliquant à la décision attaquée, il n’est pas nécessaire de refaire l’analyse relative à cette norme[24].
[59] Dans l’arrêt Ganotec mécanique inc. c. CSST[25], la Cour d’appel s’est prononcée comme suit relativement à la norme de contrôle applicable aux décisions de la CLP et à la clause privative dont ses décisions bénéficient en raison de sa loi constitutive :
« [53] La LATMP vise la mise
en place d’un régime d’indemnisation des victimes d’accidents du travail ou de
lésions professionnelles, dont le financement est assuré par les employeurs. Loi
à vocation sociale, la LATMP comporte ses propres mécanismes de contestation.
Les questions en jeu devant la CLP, organisme à qui le législateur a confié la
juridiction de décider des contestations des décisions prises par la CSST en
ces matières, relèvent de son domaine d’expertise. De plus, les décisions de la
CLP sont protégées par une clause privative étanche, sinon complète (art.
[54] Ces caractéristiques militent nettement en faveur de la norme de la raisonnabilité ou, dit autrement, du caractère raisonnable de la décision. Comme le droit et les faits ne peuvent ici être facilement dissociés, cette norme s’impose davantage. La présence d’une clause privative forte renforce l’idée que la retenue s’impose envers les décisions du décideur administratif (CLP) à qui le législateur a confié la juridiction en matière de contestation des décisions de la CSST. »
[60]
La jurisprudence a clairement établi que la norme de contrôle qui
s’applique aux décisions de la CLP portant sur l’indemnisation des travailleurs
à la suite d’une lésion professionnelle et sur les questions incidentes à cette
détermination, dont les plaintes en vertu de l’article
[61] L’interprétation par un tribunal administratif de sa propre loi constitutive ou d’une loi étroitement liée à son mandat et dont elle a une connaissance approfondie commande la déférence[27].
[62] La norme de la décision correcte ne s’applique que lorsque le litige porte sur des questions constitutionnelles, des questions de droit qui revêtent une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et qui sont étrangères au domaine d’expertise du décideur, des questions portant sur la délimitation des compétences respectives de tribunaux spécialisés concurrents, de même que la catégorie exceptionnelle des questions touchant véritablement à la compétence[28]. [Soulignement ajouté]
- La Sentence arbitrale et la question de la chose jugée
[63] Le Tribunal note que les questions ii, iii et iv proposées par l’avocat de Dare sont toutes reliées à la Sentence arbitrale dont les conclusions correspondent à la position de l’employeur. Comme la Sentence arbitrale a été prononcée avant la Décision CLP, la CLP devait considérer celle-ci comme chose jugée et aurait dû rendre une décision compatible avec celle-ci.
[64] De plus, en rendant une décision contraire à cette Sentence arbitrale et surtout en se fondant sur une orientation jurisprudentielle minoritaire, la CLP a créé un « conflit opérationnel » qui doit nécessairement être réglé par une intervention de la Cour supérieure.
[65] Le Tribunal retient des arguments de l’avocat de Dare que la norme de la décision correcte doit nécessairement s’appliquer, particulièrement dans la mesure où la CLP n’a pas accepté d’appliquer l’exception de la chose jugée relativement à la Sentence arbitrale du 28 octobre 2013.
[66] Sur la foi de ce qui précède, le Tribunal ne peut retenir la conclusion recherchée par l’employeur qui considère que la CLP a erré, sinon commis un excès de juridiction, en tranchant la Plainte d’une façon qui allait à l’encontre de la Sentence arbitrale rendue suite au dépôt d’un grief par Latour. En ayant connaissance de la Sentence arbitrale, la CLP se devait dès lors de rendre une décision qui respectait ou, à tout le moins, qui était compatible avec les conclusions tirées par l’arbitre L’Heureux et non pas une diamétralement opposée à celles-ci.
[67]
Bref, dès qu’elle a pris connaissance de la Sentence arbitrale et a
constaté que celle-ci visait l’article
[68] Avec grands égards, le Tribunal est d’avis qu’en l’espèce, il n’y a pas chose jugée, d’autant plus que les employés visés ne sont pas les mêmes. De plus, le principe du stare decisis ne pouvait s’appliquer à la Sentence arbitrale rendue par l’arbitre L’Heureux, car si cette décision ne pouvait s’imposer de droit aux autres arbitres[29], elle ne pouvait certes pas s’imposer à tous les membres de la CLP.
[69]
Or, les décisions rendues par les juges administratifs de la CLP ne lient
pas plus leurs collègues[30]. En font foi les
diverses décisions contradictoires portant sur les deux orientations données à
l’article
[70] Le Tribunal traitera à la fin du présent jugement de la question soulevée relativement au « conflit opérationnel » causé par la Sentence arbitrale et la Décision CLP.
- La violation des règles de justice naturelle par la Commissaire de la CLP
[71] Enfin, en ce qui a trait à la cinquième question par l’avocat de l’employeur, à savoir qu’en ayant consulté à l’insu de l’employeur de la jurisprudence non citée par les parties à l’audience, la Commissaire de la CLP aurait violé les règles de justice naturelle, le Tribunal est d’accord avec l’avocat de Dare qu’une fois le constat fait de l’existence d’une telle violation des règles de justice naturelle par le décideur ayant rendu la décision attaquée, aucune déférence ne devrait être portée à une telle décision.
[72] Par ailleurs, le Tribunal doit avant tout déterminer si le reproche adressé au juge administratif constitue une véritable violation des règles de justice naturelle[31].
[73] Avec grands égards, cet argument doit être écarté.
[74]
Il n’y a ici aucune violation des règles de justice naturelles. La
jurisprudence consultée par la Commissaire avait trait à la controverse
jurisprudentielle qui existe parmi les membres de la CLP relativement à
l’interprétation donnée à l’article
[75] Encore une fois, dans le cas qui nous occupe, cette « nouvelle jurisprudence » portait sur des points déjà plaidés de part et d’autre et n’avait pour but que d’alimenter la réflexion ou l’analyse de la Commissaire sur l’ampleur de la controverse pour manifestement lui permettre de prendre une décision laquelle, malheureusement pour l’employeur Dare, n’était pas celle qu’il recherchait.
[76]
Il reste maintenant à traiter de la question principale, à savoir si la
Décision CLP est raisonnable. L’avocat de Dare a plutôt proposé comme première
question de déterminer si la CLP avait erré en concluant que l’employé avait
fait l’objet d’une sanction au sens de l’article
-
L’absence de « sanction » au sens de l’article
[77]
L’employeur reproche avant tout à la CLP d’avoir erré en droit en
concluant que son employé Tremblay avait fait l’objet d’une « sanction »
au sens de l’article
[78] Pour la CLP, le fait de ne pas avoir voulu appliquer ou respecter la convention collective conformément à ce que Dare a toujours fait depuis 1998 sans qu’aucune plainte et aucun grief n’aient été déposés antérieurement à la Plainte de Tremblay, constitue, aux yeux du Tribunal, la pierre angulaire des reproches formulés par l’employeur à l’endroit de la Décision CLP, d’autant plus que la Sentence arbitrale appuyait incontestablement la position de Dare.
[79]
Selon la demanderesse Dare, la CLP aurait commis une erreur justifiant
l’intervention de la Cour supérieure en concluant que Tremblay a fait l’objet
d’une sanction, au sens de l’article
[80] Étant donné que la CLP a même reconnu la bonne foi de l’employeur en appliquant correctement les dispositions de la convention collective, comment celle-ci pouvait-elle raisonnablement conclure que Dare a « sanctionné » son employé en ne faisant qu’appliquer la convention collective négociée et convenue avec le syndicat?
[81] En pareilles circonstances, Tremblay ne pouvait être raisonnablement considéré comme ayant été sanctionné pour avoir été privé d’un avantage auquel il n’avait clairement pas droit en vertu de la convention collective.
[82]
Quoi qu’il en soit, l’avocat de Dare a soutenu que l’article
[83] Après tout, si le législateur avait voulu que le temps d’absence de l’employé soit considéré comme du temps travaillé, il l’aurait prévu spécifiquement audit article 242, comme il l’a fait ailleurs, tel que constaté par l’arbitre L’Heureux dans sa Sentence arbitrale.
[84]
En référant à l’article
[85] En concluant à l’existence d’une « sanction » en l’espèce, la CLP aurait donc commis un excès de juridiction qui requiert l’intervention de la Cour supérieure.
[86] Il n’y a pas lieu de s’attarder plus amplement sur l’expression « sanction », car la CLP retient plutôt qu’en appliquant les dispositions de la convention collective à Tremblay, qui revenait d’une absence causée par une lésion professionnelle, l’employeur a appliqué une mesure prohibée par la LATMP qui doit prendre préséance sur la convention collective en raison du caractère d’ordre public de cette loi. On aurait pu parler de représailles ou de mesure discriminatoire, le résultat serait le même.
[87]
Malgré que la logique incontestable des arguments de l’avocat de Dare
dans son analyse au sens stricte du libellé de l’article
[88]
En réalité, tel que mentionné précédemment, Dare soutient que la CLP
aurait dû retenir la même interprétation que celle donnée à l’article
[89] Avec respect, le Tribunal a déjà décidé qu’il n’y avait pas en l’espèce une situation de chose jugée ni de stare decisis qui liaient la CLP en rendant sa décision relativement à la Plainte logée par Tremblay.
[90]
Les demandes formulées par Latour et Tremblay, même si elles sont toutes
deux fondées sur les articles
[91] Le Tribunal ne peut croire que pour des circonstances similaires, telles que celles entourant le grief déposé par Latour et la Plainte portée par Tremblay, la première décision rendue devrait nécessairement lier le second décideur saisi d’un tel grief ou d’une telle plainte.
[92] Quelle aurait été la position de Dare si, à l’instar de Latour, Tremblay avait déposé un grief? Le second arbitre aurait-il été obligé de trancher de la même façon que le premier arbitre, ce second arbitre étant, à toutes fins pratiques, lié par cette première décision?
[93] La jurisprudence citée précédemment établit clairement que les arbitres de griefs ne sont pas liés par les décisions de leurs collègues et le Tribunal ne voit pas comment, à cet égard, les décideurs de la CLP devraient être traités différemment dans l’exercice de leur compétence.
[94]
Chaque grief et chaque plainte fondés sur l’article
[95] Qui plus est, les personnes qui ont déposé la Plainte et le grief ne sont pas les mêmes personnes.
[96] On peut ne pas être en accord avec l’interprétation que la CLP a donné aux faits et au droit applicable dans la présente affaire, mais il ne peut être question d’excès de juridiction de la part de la CLP.
[97]
Avec égard, on ne peut avoir un cas plus patent de l’exercice par la CLP
d’une compétence qui lui est exclusive, celle de réviser de façon finale une
décision de la CSST qui tranche une plainte fondée sur les articles
[98]
En révisant la Décision CSST, la CLP devait nécessairement déterminer si
la mesure exercée par l’employeur face à l’employé était prohibée en vertu de
l’article
[99]
En déterminant que l’indemnité de vacances versée à Tremblay constituait
une situation prohibée au sens de l’article
[100] Encore fallait-il que la Décision CLP revête un caractère raisonnable au sens de Dunsmuir. Qu’en est-il?
- La Décision CLP a-t-elle un caractère de raisonnabilité?
[101] Tel qu’en fait amplement foi la jurisprudence applicable, il revient au Tribunal de déterminer si la Décision CLP comporte les attributs de la raisonnabilité identifiés dans l’arrêt Dunsmuir.
[102] Le Tribunal doit donc se demander si la Décision CLP et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité, en gardant à l’esprit que le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’aux issues possibles acceptables pouvant se justifier en regard des faits et du droit appartenant à la décision.
[103] Voici les principaux motifs qui sous-tendent la Décision CLP :
« [48] La soussignée souscrit à ces arguments et à l’interprétation de l’article 242 de la loi préconisée dans cette décision. Elle estime que le recours à la « fiction juridique » dans le présent litige n’a pas d’effet rétroactif, mais prospectif.[33] Décider autrement ferait en sorte que lors de son retour au travail et afin de profiter de ses vacances à venir, le travailleur serait pénalisé monétairement en recevant une indemnité de vacances moindre que celle dont il aurait eu droit n’eut été de son absence en raison de sa lésion professionnelle.
[49] Une telle situation ne peut se concilier avec les articles 1 et 4 de la loi qui stipulent :
1. La présente loi a pour objet la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu'elles entraînent pour les bénéficiaires.
Le processus de réparation des lésions professionnelles comprend la fourniture des soins nécessaires à la consolidation d'une lésion, la réadaptation physique, sociale et professionnelle du travailleur victime d'une lésion, le paiement d'indemnités de remplacement du revenu, d'indemnités pour préjudice corporel et, le cas échéant, d'indemnités de décès.
La présente loi confère en outre, dans les limites prévues au chapitre VII, le droit au retour au travail du travailleur victime d'une lésion professionnelle.
__________
1985, c. 6, a. 1; 1999, c. 40, a. 4.
4. La présente loi est d'ordre public.
Cependant, une convention ou une entente ou un décret qui y donne effet peut prévoir pour un travailleur des dispositions plus avantageuses que celles que prévoit la présente loi.
__________
1985, c. 6, a. 4.
[50] La Commission des lésions professionnelles conclut donc que le travailleur a été privé d’un avantage au sens de l’article 242 de la loi puisque l’employeur n’a pas tenu compte des heures pendant lesquelles il était absent en raison de sa lésion professionnelle aux fins du calcul de son indemnité de vacances pour l’année 2011-2012. Il s’agit là d’une mesure prohibée au sens de l’article 32 de la loi[34].
[51] Puisque le travailleur a subi cette mesure prohibée à l’intérieur des six mois suivant son retour au travail, la présomption de l’article 255 de la loi s’applique, à moins que l’employeur ne prouve qu’il ait agi ainsi pour une cause juste et suffisante.
[52] Certes, l’employeur a agi de bonne foi en appliquant au travailleur les dispositions de la convention collective afférente à l’indemnité de vacances comme il le fait pour tous les autres travailleurs accidentés, et ce, depuis 1998. Toutefois, dans la mesure où le présent tribunal en arrive à la conclusion que cela enfreint l’article 242 de la loi, laquelle est d’ordre public, cet argument ne peut constituer une cause juste et suffisante.
[53] Le procureur de l’employeur soutient également que cette disposition a été négociée et acceptée par le syndicat, malgré que ce dernier connaissait l’existence de la controverse jurisprudentielle, et reflète donc la volonté des parties. Il soumet une sentence arbitrale[35] où cet argument est retenu par le décideur au soutien de son refus de reconnaître la présence d’une sanction de la part de l’employeur.
[54] Cet argument a toutefois peu de poids en l’instance. Que les dispositions de la convention collective aient été acceptées telles quelles par l’employeur et le syndicat ne change en rien la conclusion de la soussignée voulant qu’il y ait eu, dans leur application, contravention à une disposition d’ordre public affectant les droits du travailleur.
[55] Dans le même ordre d’idée, le tribunal estime qu’il n’est pas lié par la sentence arbitrale rendue le 28 octobre 2013 portant sur les mêmes dispositions de la convention collective et impliquant un même litige, ne serait-ce par souci de cohérence ou de stabilité.
[56] L’affirmation de l’arbitre l’Heureux voulant que la jurisprudence majoritaire confirme l’interprétation qu’elle préconise est basée sur une analyse de décisions arbitrales, et non du présent tribunal lesquelles demeurent partagées sur la question. L’argument de la cohérence décisionnelle est donc vain.
[57] Par ailleurs, la Commission des lésions professionnelles conçoit que le principe de la stabilité en matière de relation de travail est souhaitable et que la présente décision ne fera que faire perdurer une question litigieuse entre le syndicat et l’employeur. Toutefois, la soussignée doit rendre sa décision non pas sur la foi de ce principe, mais sur le mérite réel de la cause dont elle est saisie le tout, dans un contexte d’une loi d’ordre public.
[58] Pour tous ces motifs, la Commission des lésions professionnelles conclut que la plainte du travailleur est bien fondée. »
[104] Une lecture attentive de la Décision CLP permet de constater que tous les éléments requis pour lui conférer un caractère raisonnable s’y retrouvent, et ce, même si le Tribunal ne partage pas une portion de l’analyse et des conclusions de la Commissaire.
[105] Avec grands égards pour l’opinion contraire, un décideur ne devrait pas devoir créer ou avoir recours à une « fiction juridique » pour faire dire à un article de loi ce que celui-ci ne dit pas expressément afin de lui donner un sens ou une interprétation qu’il n’aurait pas autrement.
[106] La simple
lecture de l’article en question permet de bien comprendre le but recherché par
le législateur sans nécessité d’y assortir une « fiction juridique »
pour lui faire dire ce qu’il ne dit pas expressément. Qui plus est, comme
l’arbitre L’Heureux l’a si bien mentionné dans la Sentence arbitrale, tant la Loi
sur la santé et la sécurité du travail que la LATMP contiennent des exemples
où le législateur a précisé expressément la mention qu’on tente d’imputer à
l’article
[107] En
l’espèce, la seule façon pour la CLP de pouvoir infirmer la Décision CSST était
d’adopter le courant jurisprudentiel qui préconise l’utilisation de cette
« fiction juridique », sinon le libellé de l’article
[108] Ceci étant dit, le Tribunal conserve à l’esprit les enseignements suivants de la Cour suprême du Canada qui se retrouvent au paragraphe 47 de l’arrêt Dunsmuir :
« [47] La norme de déférence du caractère déraisonnable procède du principe à l’origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables. Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables. La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et de droit.»
[Soulignements ajoutés]
[109] À ce sujet, le Tribunal fait siens les propos de la juge Danielle Grenier dans la cause Huneault c. Provost[36], lesquels reflètent très bien sa pensée dans le contexte actuel :
« 61. La norme de la décision raisonnable qui se situe dans le contexte de la métaphore de la gamme à un niveau intermédiaire est difficile à appliquer. Comme le souligne le juge Iacobucci dans l'arrêt Ryan, le niveau de déférence requis dans le contrôle judiciaire d'une mesure administrative fait appel à l'autodiscipline. (Arrêt Ryan, par. 46) Il écrit :
…une cour sera souvent obligée d'accepter qu'une décision est raisonnable même s'il est peu probable qu'elle aurait fait le même raisonnement ou tiré la même conclusion que le tribunal.
62. Qu'entend-t-on par raisonnable? Toujours selon le juge Iacobucci, la norme de la décision raisonnable consiste essentiellement à se demander si après un examen assez poussé, les motifs donnés, pris dans leur ensemble, étayent la décision. (Arrêt Ryan, précité, par. 47.)
63. Il s'ensuit que, selon le juge Iacobucci, le tribunal de révision n'est pas invité à se livrer à sa propre analyse. Il doit plutôt se demander si la décision rendue est étayée par des motifs qui résistent à un examen assez poussé.(Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam inc., [1997] 1 R.C.S.) 748, par. 56. Cette norme exige donc que le tribunal de révision reste près des motifs donnés par le premier tribunal alors que lorsqu'il applique la norme de la décision correcte, le tribunal ou la cour de révision peut se livrer à son propre raisonnement.
64. La norme de la décision raisonnable commande donc un degré de retenue important. Même dans les cas où le tribunal de révision conclut que la réponse donnée par le tribunal inférieur n'est pas la meilleure, il doit refuser d'intervenir pour y substituer la sienne. En résumé, et pour reprendre à notre compte les propos du juge Iacobucci dans l'arrêt Ryan, cette norme signifie qu'une décision peut satisfaire à la norme du raisonnable si elle est fondée sur une explication défendable, même si elle n'est pas convaincante aux yeux de la cour de révision. (Ryan, précité, par. 49.). »
[Soulignements et caractère gras ajoutés, références omises]
[110] La retenue dont le Tribunal doit faire preuve face à la Décision CLP l’empêche de substituer sa propre analyse à celle effectuée par la Commissaire de la CLP. Il n’appartient donc pas au Tribunal, dans un contexte de révision judiciaire, de réapprécier la preuve et de substituer son opinion à celle de la CLP. Il ne revient pas non plus au Tribunal d’exercer un tel rôle ou un tel contrôle sur la Décision CLP.
[111]
Le Tribunal tient également à souligner qu’il doit tenir compte de
l’arrêt de la Cour d’appel dans l’affaire Marin[37] où il a été jugé que l’interprétation de l’article
[112] La Décision CLP a avalisé l’affaire Marin comme suit :
« [40] L’affaire Marin, à laquelle se réfère la juge administrative dans la décision Marier, met en cause des faits étrangement similaires au présent litige.
[41] Dans cette affaire, le travailleur prétendait avoir fait l’objet d’une sanction, car il ne pouvait bénéficier, à son retour au travail, d’un mode de calcul plus avantageux en regard de son indemnité de vacances, n’ayant pas cumulé 1 200 heures en raison d’absences dues à une lésion professionnelle pendant la période de référence.
[42] La Commission d’appel en matière de lésion professionnelle conclut que la paie de vacances dont il est question a été établie et remise après le retour au travail et que l’élément antérieur (soit l’accumulation des heures) se confond avec les termes « s’il avait continué à exercer son emploi pendant son absence » et en est indissociable. Plus particulièrement, elle écrit :
En l'instance, il faut examiner les dispositions de la loi relatives au droit de retour au travail puisque la sanction, dont il est question ici, se situe après que le travailleur fut retourné au travail.
L'article 242 de la loi se lit comme suit:
(texte omis)
Le premier alinéa de cet article est à l'effet que le retour au travail doit s'effectuer de telle manière que le travailleur se retrouve dans une situation similaire à celle où il se serait retrouvé en l'absence de lésion professionnelle, et ce eu égard à son salaire et à ses avantages. Ainsi, si le salaire du travailleur a été majoré (nouvelle convention collective, échelon annuel, etc.), il touchera le nouveau salaire à son retour.
De l'avis de la Commission d'appel, le terme «avantages» de l'article 242 couvre les divers bénéfices prévus dans la convention collective ou ailleurs et auxquels un travailleur a droit. Les vacances payées sont définitivement l'un de ces avantages.
Le travailleur avait donc droit à son retour de bénéficier de vacances "aux mêmes taux et conditions que ceux dont il bénéficierait s'il avait continué à exercer son emploi pendant son absence.
Le but de cet article et aussi des diverses dispositions de la loi (articles 235, 236, 240, 244, 245,259, 261) relatives au retour au travail visent, répétons-le, à permettre au travailleur de ne pas être pénalisé en raison de sa lésion professionnelle.
D'autre part, la Commission d'appel ne peut retenir l'avis de l'employeur à l'effet que la demande du travailleur a un aspect rétroactif non couvert par l'article 242. La Commission d'appel considère que la paie de vacances dont il est question ici a été établie et remise au retour ou après le retour au travail du travailleur et que l'élément antérieur (accumulation des heures) dans ce dossier se confond avec les termes "s'il avait continué à exercer son emploi pendant son absence" et en est indissociable.
Dans les circonstances, la Commission d'appel est d'avis que, dans cette situation, l'application de l'article 11.13-2.b) de la convention collective n'est pas conforme aux dispositions de la loi employeur matière de retour au travail et ne saurait avoir préséance sur cette loi qui est d'ordre public. Dès lors la Commission d'appel ne peut que conclure que l'employeur n'a pas prouvé une cause juste et suffisante au sens de l'article 255 de la loi.
[Soulignements de la CLP]
[43] Cette interprétation a été jugée rationnelle et fondée sur les textes de loi pertinents par la cour d’appel [dans l’arrêt Marin].
[44] Suivant une analyse de la jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles sur cette question précise, à savoir le calcul du cumul de vacances ou de l’indemnité de vacances auquel a droit un travailleur à son retour au travail, le tribunal constate que plusieurs décisions[38] abondent dans le même sens que l’affaire Marin, en développant d’autres arguments. »
[113] En prenant
connaissance de l’arrêt Marin, le Tribunal a constaté qu’effectivement
les faits s’apparentent étrangement aux faits de l’espèce. À l’instar du cas
qui nous occupe, la CSST avait rejeté la plainte de l’employé Marin, fondée sur
l’article
[114] En révision judiciaire, le juge Corriveau de la Cour supérieure avait cassé la décision de la CALP, qui a été subséquemment rétablie par la Cour d’appel, la Cour suprême du Canada ayant refusé d’entendre l’appel interjeté par l’employeur.
[115] Il est intéressant
de noter qu’en 1990, le juge Corriveau avait noté l’existence des deux
orientations jurisprudentielles en question. Le juge parlait alors d’une
controverse parmi les commissaires de la CALP, qui divergeaient d’opinion
relativement à l’interprétation à donner aux articles
[116] Voici comment la Cour d’appel a traité de cette question de controverse et de divergence d’interprétation à la page 3 de l’arrêt Marin :
« Le juge de la Cour supérieure fait état d'une divergence d'opinion sinon d'une controverse parmi certains commissaires de la CALP relativement à l'interprétation des articles 32 et 242 de la Loi. Estimant qu'en face d'une divergence d'interprétation de la loi, il lui fallait intervenir, il a considéré qu'il était déraisonnable de donner à l'article 242 l'interprétation qui permettait au travailleur d'accumuler des heures pendant son absence. Voici comment il s'est exprimé :
Les conséquences des deux interprétations sont tout à fait différentes l'une de l'autre puisque selon la décision prise en référence, le travailleur se verra ou non octroyé des crédits pour les jours de travail au cours desquels il fut absent après avoir subi une lésion professionnelle.
Le Tribunal n'estime pas être en face d'une divergence d'interprétation de convention collective, mais bel et bien d'une divergence d'interprétation de la loi et il ne lui apparaît pas qu'il soit opportun de laisser libre cours à l'existence de différentes façons d'appliquer la loi au regard des principes soulevés par cette affaire.
De plus, et pour les motifs qui seront exposés ci-après, il conclut aussi qu'il doit intervenir en raison même des principes qui justifient son intervention en matière d'évocation, savoir que l'interprétation donnée par l'intimé Perreault ne peut rationnellement s'appuyer sur le texte même de la loi.
et plus loin:
Ainsi, le Tribunal ne peut convenir que le terme «avantages» contenu à l'article 242 de la loi permet au travailleur qui réintègre son emploi d'accumuler pendant son absence des heures de travail. C'est là faire dire à cet article plus que ce qu'il comprend et c'est même aller à l'encontre du dernier paragraphe de l'article 1 cité précédemment, qui circonscrit aux limites prévues au chapitre VII les droits au retour au travail du travailleur victime d'une lésion professionnelle.
La Cour estime qu'ici l'article 32 n'a pas d'application puisqu'il ne peut s'agir de sanction. Cet article traite des sanctions que l'employeur ne peut imposer à un travailleur en raison d'une lésion professionnelle subie.
Relativement à l'article 242, la question est pertinente de déterminer si les heures d'absence, en raison de lésions professionnelles subies par le travailleur, doivent être comptées aux fins de fixer l'indemnité de vacances à laquelle il a droit après son retour. L'article 242 stipule:
242. Le travailleur qui réintègre son emploi ou un emploi équivalent a droit de recevoir le salaire et les avantages aux mêmes taux et conditions que ceux dont il bénéficierait s'il avait continué à exercer son emploi pendant son absence.
Le travailleur qui occupe un emploi convenable a droit de recevoir le salaire et les avantages liés à cet emploi, en tenant compte de l'ancienneté et du service continu qu'il a accumulé.
De son côté, la CALP s'exprime comme suit quant à l'interprétation de l'article 242:
La Commission d'appel considère que la paie de vacances dont il est question ici a été établie et remise au retour ou après le retour au travail du travailleur et que l'élément antérieur (accumulation des heures) dans ce dossier se confond avec les termes "s'il avait continué à exercer son emploi pendant son absence" et en est indissociable.
Dans les circonstances, la Commission d'appel est d'avis que, dans cette situation, l'application de l'article 11.12-2.b) de la convention collective n'est pas conforme aux dispositions de la loi en matière de retour au travail et ne saurait avoir préséance sur cette loi qui est d'ordre public.
La Cour estime qu'est rationnelle et fondée sur les textes pertinents la décision dont l'effet est de considérer parmi les avantages visés par l'article 242 de la Loi, l'indemnité calculée en incluant les heures d'absence en raison de lésions professionnelles. Cette décision fait partie du champ de compétence exclusive de la CALP.
Quant au motif d'intervention basé sur l'existence d'une controverse et afin de décider s'il devait trancher entre des tendances divergentes, le premier juge s'est référé à deux décisions, l'arrêt Moalli[39] sur lequel il s'est appuyé pour tenter de mettre fin à la controverse et l'arrêt Syndicat canadien de la Fonction publique[40] qui considérait plutôt l'arrêt Moalli d'application exceptionnelle.
Depuis, plusieurs arrêts ont été rendus, surtout l'arrêt Domtar[41] de la Cour suprême qui représente l'état du droit sur la question: si la décision n'est pas déraisonnable, il ne faut pas intervenir, quitte à laisser persister la controverse. Madame la juge L'Heureux-Dubé a écrit l'opinion unanime de la Cour dans Domtar dont je cite les extraits suivants[42]:
L'impératif de cohérence dans l'application de la loi constitue, indéniablement, un objectif valable, donc un argument de poids. Que des justiciables reçoivent, relativement à la même question, des réponses diamétralement opposées selon l'identité des membres de tribunaux administratifs peut apparaître inacceptable à certains et même difficilement compatible avec plusieurs objectifs, parmi lesquels la primauté du droit. Or, comme l'indique la jurisprudence, la cohérence décisionnelle et la primauté du droit ne sauraient avoir un caractère absolu, dénué de tout contexte. Dans le cadre du contrôle judiciaire, le problème de l'incohérence décisionnelle au sein d'instances administratives est indissociable de l'autonomie décisionnelle, l'expertise et l'efficacité de ces mêmes tribunaux.
[...]
L'opportunité d'une intervention judiciaire en cas de conflit jurisprudentiel au sein de tribunaux administratifs, même grave et incontestable, ne saurait, dans ces conditions, s'inspirer uniquement du «triomphe» de la primauté du droit. Dans le cas de décisions intrajuridictionnelles non manifestement déraisonnables, le débat se résume, plutôt, à se demander si les principes sous-jacents à la retenue judiciaire doivent céder le pas à d'autres impératifs. À mon avis, la réponse est non.[43]
[...]
Ce processus a conduit à l'élaboration du critère de l'erreur manifestement déraisonnable. Si le droit administratif canadien a pu évoluer au point de reconnaître que les tribunaux administratifs ont la compétence de se tromper dans le cadre de leur expertise, je crois que l'absence d'unanimité est, de même, le prix à payer pour la liberté et l'indépendance décisionnelle accordées aux membres de ces mêmes tribunaux. Reconnaître l'existence d'un conflit jurisprudentiel comme motif autonome de contrôle judiciaire constituerait, à mes yeux, une grave entorse à ces principesCeci m'apparaît d'autant plus vrai que les tribunaux administratifs, tout comme le législateur, ont le pouvoir de régler eux-mêmes ces conflits. La solution qu'appellent les conflits jurisprudentiels au sein de tribunaux administratifs demeure donc un choix politique qui ne saurait, en dernière analyse, être l'apanage des cours de justice.[44]
La Cour suprême enseigne donc qu'il ne faut pas intervenir en matière de révision judiciaire aux motifs d'interprétations divergentes même quand la divergence porte sur l'interprétation de la loi constitutive de l'organisme administratif chargé de l'interprétation. À ce sujet, voici l'opinion de Madame la juge Wilson dans National Corn Growers Assn[45], citée dans Domtar[46], à la page 800:
Les cours de justice ont également fini par se faire à l'idée qu'elles ne sont peut-être pas aussi bien qualifiées qu'un organisme administratif déterminé pour donner à la loi constitutive de cet organisme des interprétations qui ont du sens compte tenu du contexte des politiques générales dans lequel doit fonctionner cet organisme.
C'est donc sur la base de l'erreur manifestement déraisonnable que la décision sous étude doit être appréciée et, comme nous l'avons vu, il n'y a pas lieu ici d'intervenir. »
[Soulignements et caractère gras ajoutés]
[117] Force est
de constater, qu’en 1996, la controverse jurisprudentielle relativement à
l’article
[118] La Cour
d’appel, confrontée à cette controverse d’interprétation des textes législatifs
par les membres de la CALP, a tranché que la décision de la CALP dans l’affaire
Marin confirmant l’existence de certains avantages conférés par
l’article
[119] Ainsi,
malgré que le Tribunal partage l’opinion du juge Corriveau ainsi que celles
découlant de la Décision de la CSST et de la Sentence arbitrale quant à
l’interprétation à donner à l’article
[120] Tel que mentionné précédemment, cette retenue empêche le Tribunal de substituer sa propre analyse et sa propre opinion à celles effectuées par la commissaire de la CLP.
[121] En terminant, il importe de parler brièvement de la question soulevée par l’avocat de Dare, à savoir si la CLP a erré en rendant une décision qui était irréconciliable sur le plan opérationnel avec la Sentence arbitrale rendue par l’arbitre L’Heureux.
[122] Dans l’arrêt Québec (Procureur général) c. Commission des affaires sociales[47], l’honorable juge Gendreau écrit :
« Il y a « conflit opérationnel » lorsque l’exécution de la décision d’un tribunal administratif entraîne inévitablement la violation de l’autre. En d’autres termes, l’une ou les deux parties sont placées dans une situation irréconciliable où elles ne peuvent respecter les obligations imposées par les deux jugements. »
[123] En l’espèce, la Décision CLP et la Sentence arbitrale ne sont pas en conflit opérationnel puisque chacune des décisions, bien que contradictoires, peut être exécutée. L’employeur Dare est en mesure de respecter les obligations imposées par ces deux décisions, d’autant plus que celles-ci concernent deux employés différents.
[124] Il est clair qu’à la lumière de la Décision CLP, une incertitude jurisprudentielle existe de toute évidence, comme elle existait déjà en 1990. Mais, il ne s’agit pas d’un « conflit opérationnel » pouvant ou devant permettre l’intervention de la Cour supérieure.
[125] Face aux
interprétations clairement contradictoires de l’article
« […] Ceci m'apparaît d'autant plus vrai que les tribunaux administratifs, tout comme le législateur, ont le pouvoir de régler eux-mêmes ces conflits. La solution qu'appellent les conflits jurisprudentiels au sein de tribunaux administratifs demeure donc un choix politique qui ne saurait, en dernière analyse, être l'apanage des cours de justice.[48] »
[Soulignements ajoutés]
[126] À la
lumière de ce qui précède, après plus de 25 années de controverse
jurisprudentielle pendant lesquelles les membres de la CALP et de la CLP n’ont
manifestement jamais réussi à régler eux-mêmes ce conflit d’interprétation et à
en dégager une consistante et cohérente de l’article
[127] Les justiciables et, plus particulièrement, les employeurs et leurs employés seraient les premiers bénéficiaires de cette clarification législative qui aurait sans doute pour effet de limiter les griefs, les plaintes et les évocations judiciaires sur cette question précise.
[128] Il y a donc lieu de rejeter la présente requête en révision judiciaire de la demanderesse Les Aliments Dare ltée.
[129] Compte tenu de l’état controversé de la jurisprudence actuelle et, surtout de la Décision CSST et de la Sentence arbitrale, le Tribunal ne peut reprocher à la demanderesse d’avoir présenté la présente requête. Il serait cependant injuste et déraisonnable dans le contexte fort particulier actuel de condamner l’employeur aux dépens.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:
[130] REJETTE la présente requête introductive d’instance en révision judiciaire de la demanderesse, Les Aliments Dare ltée;
[131] MAINTIENT la décision rendue le 20 mars 2014 par la Commission des lésions professionnelles;
[132] LE TOUT sans frais.
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__________________________________ MICHEL A. PINSONNAULT, J.C.S. |
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Me Michel Gélinas |
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Lavery, De Billy |
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Procureurs de la demanderesse, Les Aliments Dare ltée |
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Me Émilie Lessard |
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Verge Bernier |
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Procureurs de la défenderesse, Commission des lésions professionnelles |
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Me Kathleen B.-Bourgault |
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SEPB-Québec |
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Procureurs du mis en cause monsieur Sarto Tremblay |
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Me Lucille Giard |
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Paquet Thibodeau Bergeron |
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Procureurs de la mise en cause CSST |
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Dates d’audience: |
21 et 22 septembre 2015 |
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[1] L'utilisation des noms de famille dans le présent jugement n’a que pour but d’alléger le texte. Le lecteur ne devrait pas y voir une marque de manque de respect envers les personnes mentionnées.
[2] Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, L.R.Q. c. A-3-001.
[3] Pour l’année 2010-2011, la convention collective prévoyait mille deux cents heures au lieu de mille cent.
[4] Paragraphe 9 de la Décision CLP.
[5] Paragraphe 10 de la Décision CLP.
[6] Le libellé de la clause ayant trait au calcul de l’indemnité n’a jamais été modifié autrement que le nombre minimal d’heures de travail requis pour avoir droit à la méthode de calcul la plus avantageuse a été réduit progressivement au fil des années pour atteindre 1,100 heures.
[7] 2013 QCCSST 15.
[8] 2014 QCCLP 1814.
[9] Le Syndicat des employées et employés professionnels-les et de bureau c. Les Aliments Dare ltée (Usine de Sainte-Martine) (Jean Latour employé), Me Joëlle L’Heureux (« L’Heureux »), arbitre, numéro de dépôt: 2014-0278.
[10] 76. Les représentants des travailleurs sont réputés être au travail lorsqu'ils participent aux réunions et travaux du comité.
[11] 96. Le représentant à la prévention est réputé être au travail lorsqu'il exerce les fonctions qui lui sont dévolues.
[12] 187. Pendant que dure une suspension des travaux ou une fermeture, les travailleurs sont réputés être au travail et ont ainsi droit à leur salaire et aux avantages liés à leur emploi.
[13] Chapitre S-2.1.
[14] 235. Le travailleur qui s'absente de son travail en raison de sa lésion professionnelle:
1° continue d'accumuler de l'ancienneté au sens de la convention collective qui lui est applicable et du service continu au sens de cette convention et au sens de la Loi sur les normes du travail (chapitre N-1.1);
2° continue de participer aux régimes de retraite et d'assurances offerts dans l'établissement, pourvu qu'il paie sa part des cotisations exigibles, s'il y a lieu, auquel cas son employeur assume la sienne.
Le présent article s'applique au travailleur jusqu'à l'expiration du délai prévu par le paragraphe 1° ou 2°, selon le cas, du premier alinéa de l'article 240.
[15] Canadian
Technical Tape ltd et Syndicat des travailleuses et travailleurs de Tuck-Tape
(CSN), 19 avril 2007,
[16] Ville
de Montréal - arrondissement Verdun et Syndicat canadien de la fonction
publique, section locale 301
[17] 4. La présente loi est d'ordre public.
Cependant, une convention ou une entente ou un décret qui y donne effet peut prévoir pour un travailleur des dispositions plus avantageuses que celles que prévoit la présente loi.
[18] Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick,
[19] Toronto (Ville) c. Syndicat canadien de la fonction
publique, section locale 79,
[20] Gazette
(The), une division de Canwest Publishing Inc. c. Courtemanche,
[21]Syndicat
des salariés de Béton St-Hubert- CSN c. Béton St-Hubert inc.,
[22] « [47] La norme de déférence du caractère déraisonnable procède du principe à l’origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables. Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables. La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et de droit.»
[23] Dunsmuir supra note 17, paragraphe 62.
[24] Nolan c. Kerry,
[25]
[26] Domtar Inc. c. Québec (Commission d'appel en matière
de lésions professionnelles), [1993] 2 R.C.S; Marin c. Société
canadienne de métaux Reynolds ltée
[27] Ouellet c. Commission des lésions professionnelles
(CLP)
[28] Dunsmuir supra note 17, paragraphes 58-61; Alberta
(Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association,
[29] Telus Communications inc. c. Syndicat québécois
des employées et employés de Télus, section locale 5044 du SCFP,
[30] Domtar Inc. c. Québec (Commission d'appel en
matière de lésions professionnelles), [1993] 2 R.C.S pages 799 à 801; Tremblay
c. Québec (Commission des affaires sociales),
[31] Gaulin c. Commission des lésions professionnelles
[32] Article
[33] Centre jeunesse Québec et Champagne, précitée note 3.
[34] Centre hospitalier St-Augustin et Boiteau,
[35] Ville de St-Constant et Syndicat de la fonction publique, section locale 2506, précitée note 3.
[36] Huneault c. Provost,
[37] Marin c. Société canadienne de métaux Reynolds
ltée,
[38] Marier et Brasserie Labatt inc, précitée note 4, à contrario; Emballages Mitchell Lincoln ltée et Laberge, précitée note 5 et la jurisprudence citée; Emballage Mitchel-Lincoln ltée et Pelletier; Carignan et Croustilles Yum-Yum inc.; Goulet et Ville de Gatineau, précitées note 3. CONTRA : Emballages Mitchel-Lincoln ltée et De Luca, précitée note 4.
[40] Syndicat canadien de la fonction publique c.
Commission des écoles catholiques de Québec,
[45] National Corn Growers Assn. c. Canada
(Tribunal des importations),
[47] Québec (Procureur général) c. Commission des affaires sociales, [1998] CanLII 12606.
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appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.