Syndicat des professionnelles et professionnels municipaux de Montréal c. Gravel |
2014 QCCS 2002 |
COUR SUPÉRIEURE |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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N° : |
500-17-076510-133 |
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DATE : |
28 avril 2014 |
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L'HONORABLE CLAUDE DALLAIRE, J.C.S. |
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Syndicat des professionnelles et professionnels municipaux de Montréal |
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Demandeur |
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c. |
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Me Marc Gravel |
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Défendeur |
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et |
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Ville de Montréal |
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Mise en cause |
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JUGEMENT |
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[1] Nous devons décider si la sentence arbitrale rendue le 25 février 2013 par l’arbitre de grief Gravel[1] doit être révisée. Dans la décision sous étude, l’arbitre fait droit à une objection préliminaire et déclare le grief pour harcèlement psychologique que le Syndicat a déposé au nom de Madame Laterreur « prescrit à toutes fins que de droit ».
[2] Le Syndicat nous demande d’annuler cette décision et de déclarer que le grief n’est pas prescrit. Il souhaite que le dossier soit ensuite transmis à un autre arbitre, afin que ce dernier décide des deux autres moyens préliminaires soumis et du mérite du grief, l’arbitre Gravel ayant selon lui perdu l’apparence d’impartialité requise pour continuer le dossier à en juger par la manière dont il a rédigé ses motifs.
[3] La demande de révision porte donc essentiellement sur le délai de prescription applicable, sur l’appréciation que l’arbitre a faite de la dernière manifestation de harcèlement psychologique devant être utilisée pour le calcul de la prescription, et sur la motivation qu’il fournit pour expliquer sa décision.
[4] En résumé, le Syndicat plaide que l’arbitre utilise le délai de prescription de 60 jours prévu à la convention collective pour le dépôt des griefs, plutôt que le délai minimal de 90 jours de la Loi sur les normes du travail, qui est pourtant d’ordre public. La conclusion que le grief est prescrit ne peut être que déraisonnable dans les circonstances.
[5] Même si elle reconnaît que la décision est de primes abords nébuleuse à ce sujet, la Ville prétend que la sentence, dans son ensemble, démontre que l’arbitre applique le bon délai de prescription. Elle plaide ensuite que la conclusion à laquelle l’arbitre arrive sur ce qu’il considère être ou ne pas être la dernière manifestation de harcèlement psychologique fait partie des issues possibles et raisonnables, au sens de l’arrêt Dunsmuir, de sorte que nous devrions faire preuve de déférence et ne pas intervenir. Si nous intervenons au sujet de la prescription, la Ville ne voit aucun empêchement à retourner le dossier à l’arbitre Gravel, vu sa connaissance approfondie du dossier.
[6] Depuis 2003, Madame Laterreur travaille à la Ville de Montréal comme conseillère en aménagement. Elle est représentée par le Syndicat requérant.
[7] À l’automne 2008, elle est affectée au projet Saint-Viateur. En mai 2009, après divers problèmes relatifs à la gestion du projet, Madame Laterreur demande qu’une portion de la mise en œuvre des travaux relatifs à ce mandat lui soit retirée, ce que l’employeur accepte au début du mois de mai[2]. Ce serait à la suite du retrait de cette portion du mandat que Madame Laterreur note un changement d’attitude de la part de quelques-uns de ses superviseurs, lesquels seraient plus froids, plus fermés et tiendraient des propos plus négatifs à son endroit.
[8] Les faits et gestes que Madame Laterreur allègue comme étant des manifestations de harcèlement psychologique se déroulent entre le 20 mai 2009 et le 26 novembre 2010, puis le 22 février 2011, date à laquelle une mesure disciplinaire lui est transmise alors qu’elle est en congé de maladie depuis la fin du mois de novembre 2010[3].
[9] Le 23 février 2011, le Syndicat dépose un grief alléguant que l’employeur « a violé la violation de la convention collective ainsi que les lois publiques en tolérant et en perpétuant du harcèlement psychologique envers Mme Isabelle Laterreur, conseillère en aménagement ». Le Syndicat allègue que si la situation décrite ne constitue pas du harcèlement psychologique au sens de la Loi sur les normes du travail, « elle constitue une violation de l’article 46 de la Charte des droits et libertés de la personne »[4].
[10] Après le dépôt du grief, le Syndicat dépose une lettre précisant les dates et la nature des faits et gestes sur lesquels Madame Laterreur s’appuie pour justifier sa plainte de harcèlement. Cette lettre fait état d’évènements se déroulant entre le 20 mai 2009 et 22 février 2011, inclusivement[5].
[11] Il est convenu que l’arbitre entendra en même temps trois objections préliminaires soulevées par la Ville[6], dont une soulevant la prescription du grief, ainsi que le mérite de la cause.
[12] L’audition devant l’arbitre dure plusieurs jours.
[13] La Ville plaide alors que l’ensemble de la preuve permet à l’arbitre d’avoir un éclairage complet sur les faits pouvant constituer du harcèlement et devant être retenus aux fins de la décision à rendre sur la prescription.
[14] Sur l’objection préliminaire portant sur le calcul du délai de prescription du grief, la Ville prétend que la dernière manifestation de harcèlement que l’arbitre peut considérer est celle survenue le 26 novembre 2010. Le dépôt du grief ayant été fait le 23 février 2011, le dossier était prescrit.
[15] Sur le mérite de la plainte, elle plaide que cette preuve n’établit aucun harcèlement psychologique mais démontre plutôt un problème de relations de travail lié à des problèmes de comportement de la part de Madame Laterreur.
[16] Le Syndicat prétend que le dernier événement de harcèlement qui doit servir aux fins du calcul du délai de prescription est le 22 février 2011 ou le 26 novembre 2010, et que peu importe le choix, le grief n’était pas prescrit le 23 février 2011.
[17] Afin de comprendre la décision de l’arbitre, voici les paragraphes pertinents aux sujets qui lui ont été présentés.
[18] La décision attaquée comporte 94 pages, divisées en 468 paragraphes. De ces paragraphes, 22 se retrouvent dans la rubrique « mise au point et décision », soit les paragraphes 446 à 468.
[19] Avant cette section, il se trouve quelques paragraphes pertinents à l’analyse présentée par les parties. Les voici :
[4] Ces pièces déposées, les procureurs ont admis que le tribunal avait pleine et entière compétence pour décider du litige, mais que, le procureur patronal affirma qu’il avait trois objections à faire valoir devant l’arbitre, objections qui sont les suivantes :
1) L’article 8.1.1 de la convention collective n’a pas été respecté, car la salariée n’a pas tenté de régler la situation avec sa supérieure, comme l’exige cet article.
2) L’article 8.1.3.2 n’a pas été suivi non plus puisqu’il n’y a eu aucune rencontre ou même tentative de rencontre pour chercher à régler le problème comme le veut cet article.
3) Le grief serait prescrit à la face même de la convention collective et en tenant compte ne serait-ce que des précisions fournies à la pièce S-3 où la dernière manifestation, qui en serait une de harcèlement psychologique ou de vexation aurait été le 26 novembre 2010, donc ayant une date de départ de la prescription pour Madame Laterreur elle-même que pour son Syndicat en vertu de l’article 8.1.3.1. »
[5] Effectivement, il se serait passé plus de 60 jours entre cette dernière manifestation et le dépôt du grief lui-même, rendant celui-là prescrit à toute (sic) fin que de droit.
[6] Cependant, le Tribunal est bien d’accord avec eux, les procureurs se sont mis d’accord pour ne pas plaider dès le départ ces objections puisqu’il va de soi qu’il faut, pour réussir un tel grief, démontrer les faits qu’il y a eu harcèlement psychologique, attitude vexatoire, etc., et surtout, démontrer par une preuve prépondérante quand a eu lieu la dernière manifestation de ces attitudes et sur quels faits le Tribunal pourrait-il arriver à la conclusion qu’il y a eu telle attitude, à tel jour, qui serait le point de départ du délai de 60 jours prévu à la convention collective pour introduire le grief sous peine de déchéance.
[282] Effectivement, les représailles que madame Laterreur craignait se sont avérées le 26 novembre. Ce jour-là, elle arrive à son bureau, s’y installe pour travailler sur le dossier des équipements de mécanique, un dossier qui lui a été donné précédemment. Malgré ses difficultés, elle était remplie de bonnes idées ce matin-là et elle avait le goût de travailler à ce dossier. Elle aimait son travail.
[283] Madame Laurin passe devant son bureau et lui dit que la rencontre qui devait se tenir en après-midi avec madame Marlène Schwartz est annulée et remplacée par une rencontre avec l’agent de personnel Giguère, elle-même et madame Laterreur. Elle s’informe du sujet de cette rencontre pour se faire répondre :
« Suis-moi à mon bureau, je vais te le dire ».
[284] Madame Laterreur s’y rend, ferme la porte et alors Madame Laurin lui dit en quelques phrases que suite aux événements récents et au ton de voix employé qu’elle n’avait pas apprécié, qu’elle ferait ce qu’elle avait écrit dans sa lettre du 17 septembre sur les mesures disciplinaires pouvant aller jusqu’à une suspension. Madame Laterreur nous dit :
« j’ai dit OK, je suis partie. Je ne filais vraiment pas. Je shakais de partout, j’avais de la misère à respirer. Ça n’avait pas de bon sens, ce n’est pas à cause d’un ton qu’on donne une mesure disciplinaire. Je me retenais de ne pas pleurer devant tout le monde. Je ne voulais pas vivre cette réunion en après-midi, me faire peinturer dans un coin avec deux personnes qui me traitent injustement. Je me sentais abusée. »
[285] Elle s’assoit à son bureau, prend son téléphone portable et se rend dans la cage d’escalier et appelle son Syndicat. Lorsqu’elle eut son représentant syndical au bout de la ligne, elle éclata en sanglots et a pleuré tout le temps de ce téléphone. C’était la première fois qu’elle téléphonait au Syndicat depuis avril 2009.
[286] Son interlocuteur lui a dit qu’elle n’était pas en état de poursuivre le travail ce jour-là, de prendre congé le reste de la journée et de le rappeler plus tard pour voir ce qui pourrait être fait pour lui venir en aide ou la représenter.
[287] Lorsqu’elle a raccroché, elle était en état de choc et tremblait de partout.
[288] Elle était d’accord qu’elle devait partir. Cependant, avant de quitter, elle est allée voir son collègue Gilles Roy, architecte-paysagiste, dans son bureau et lui a raconté ce qui venait de se passer et qu’en après-midi elle devait avoir une rencontre avec madame Laurin et monsieur Giguère. Monsieur Roy lui a aussi donné le conseil de quitter, mais d’aller voir l’agent de personnel Maxime Giguère pour lui dire qu’elle partirait pour l’après-midi.
[289] Elle y est allée, mais ne pensait pas être capable de lui dire quoique ( sic) ce soit sans pleurer. Elle est entrée dans son bureau, est restée bien droite et lui a seulement dit qu’elle se sentait harcelée. Ils ont ensuite parlé (sic) l’absence pour l’après-midi.
[290] (…) elle a passé tout l’après-midi au bureau du Syndicat et a parlé au représentant syndical prénommé Robert, de tous les événements qu’elle avait vécus à partir de mai 2009. (Soulignements et emphases ajoutés)
[20] Au dernier paragraphe de sa décision, l’arbitre conclut ce qui suit sur l’objection préliminaire fondée sur la prescription :
[468] Vu ce qui précède, vu la date du grief (Pièce S-2), vu les dispositions de l’article 8.1.3.1 de la convention collective et la prescription de soixante (60) jours qui y est écrite de façon absolue et impérative, vu que le 23 février 2011 cette prescription était acquise, le tribunal fait droit à l’objection, déclare le grief prescrit à toutes fins que de droit. » (emphase ajoutée)
[21] Dans la partie « mise au point et décision », l’arbitre écrit ceci au sujet de la date de la dernière manifestation de harcèlement retenue aux fins de calcul du délai de prescription :
« [447] … il est clair que la dernière manifestation, s’il y en a eu, de harcèlement psychologique a eu lieu le 24 novembre 2010 et c’est bien ce que reprend la lettre (Pièce S-3) sous la rubrique 24 novembre 2010. » (Soulignements ajoutés)
[22] La pièce S-3, à laquelle il réfère, est déposée comme pièce P-3 au soutien de la requête en révision judiciaire; il s’agit de la lettre fournissant les précisions sur les évènements de harcèlement que la plaignante prétend avoir vécus. Après la date du 24 novembre 2010, la lettre énonce deux autres dates avec des faits que madame Laterreur considère être des manifestations du harcèlement subi : 1) le 26 novembre 2010, où il est indiqué : « convocation au bureau de Claude Laurin. Reproches professionnels faits à Madame Laterreur » et 2) le 22 février 2011, où il est indiqué : « lettre de Claude Laurin pour remise d’une mesure disciplinaire ».
[23] L’arbitre rejette l’événement du 26 novembre 2010 en ces mots :
« [448] On ne peut pas considérer la convocation au bureau de madame Claude Laurin le 26 novembre 2010, comme constituant un fait de harcèlement ou de conduite vexatoire, car madame Laterreur ne s’est pas rendue à cette convocation.
[449] Ce jour-là cependant (26 novembre 2010), constitue cependant la connaissance par un représentant officiel du Syndicat de la situation vécue par Madame Laterreur.
[450] Il ne se passe absolument rien entre cette dernière date et le 23 février 2011, jour où madame Gougeon du Syndicat envoie à la Directrice de l’arrondissement du Plateau Mont-Royal, Isabelle Cadrin, par télécopieur, le grief de la plaignante, qu’elle lui fera suivre l’original par la poste. (…)» (soulignements ajoutés)
[24] C’est en vain que nous avons recherché comment il traite de ce que la lettre S-3 précise à la rubrique correspondant à la date du 26 novembre 2010 et de ce qu’elle précise à la date du 22 février 2011. Aucune explication n’est fournie nous permettant de comprendre pourquoi il rejette ces faits comme étant des manifestations de harcèlement.
[25] Il ne discute pas davantage de l’impact des faits survenus le matin du 26 novembre 2010, qu’il relate pourtant en détail aux paragraphes 282 à 290 précédemment cités.
[26] Il n’explique également pas pourquoi il ne retient par la manifestation du 22 février 2011.
[27] Discutant de l’argument sur la prescription et de la date du 26 novembre 2010, il poursuit toutefois en ces termes :
[450] (…) Du 24 ou 26 novembre 2010 au 23 février 2011, il y a donc au moins 90 jours qui se sont écoulés et il ne faut pas oublier que cette convention collective comporte une définition du mot « jour » autre que la définition courante et on la lit ainsi :
Article 1.2.8 « Jour » :
Signifie, aux fins de 1.2 et 6.3, trois heures et trente minutes (3 h 30) de travail et plus dans une journée normale de sept heures (7 h).
Puisque cette définition n’a rien à voir, il faut se référer à la définition usuelle du mot « jour » pour déterminer un délai en jour, soit la période entre 00 h et 24 h 00. Ici il y a donc 90 jours qui se sont écoulés entre la prétendue dernière manifestation de harcèlement ou d’attitude vexatoire et le 23 février 2011, date où l’employeur reçoit par télécopieur le grief signé par une représentante autorisée du Syndicat.
[451] Au chapitre 8 de leur convention, les parties ont prévu une procédure des règlements et arbitrage. La convention ne définissant pas ce qu’est un grief, on doit donc se remettre à la définition qu’en donne le Code du travail de la province de Québec. C’est l’article 1 f) du Code du travail : le grief comprend « toute mésentente relative à l’interprétation ou à l’application d’une convention collective. Or, l’article 8.1.3 et suivants de la convention collective, tels 8.2.2 nous disent ceci :
« 8.2.2 Tout grief est soumis à l’arbitre par écrit. Le document doit contenir le résumé des faits qui ont donné naissance au grief et copie de ce document est soumise au directeur du Service ou de l’arrondissement concerné et en même temps au directeur des Relations professionnelles ou au Syndicat, selon le cas.
8.2.3 Les pouvoirs de l’arbitre sont limités à décider des griefs suivant la lettre et l’esprit de la présente convention. L’arbitre n’a autorité en aucun cas, pour ajouter, soustraire, modifier ou amender quoi que ce soit dans cette convention. En matière disciplinaire, l’arbitre a juridiction pour maintenir ou abroger toute mesure disciplinaire, ordonner la réinstallation du professionnel dans tous ses droits à la fonction qu’il occupait ainsi que de décider de toute indemnité, laquelle ne doit jamais dépasser le total du traitement perdu. L’arbitre a aussi juridiction pour rendre toute autre décision qui peut lui sembler plus juste dans les circonstances. Le de la preuve incombe à l’Employeur.
8.1.3.1 Le grief que le Syndicat juge à propos de formuler est soumis par écrit au directeur du Service ou de l’arrondissement concerné, avec un rapport sommaire de ce qui constitue le grief et les principaux articles en litige. En même temps une copie de l’énoncé du grief est soumise au directeur des Relations professionnelles.
Le grief doit être soumis dans les soixante (60) jours de la connaissance de l’événement par le professionnel visé ou par le Syndicat selon la première des deux éventualités. Sauf dans l’application du 7.3.5, un grief ne peut être déposé plus de quatre (4) mois après la date de l’événement qui a donné naissance au grief. (Soulignements de l’arbitre, mais notre emphase)
[452] Aux fins exclusives de 7.3.5, le grief doit être soumis dans les soixante (60) jours de la réclamation » mais cet article est sans objet ici. (Note de l’arbitre)
[453] Ainsi donc quand le Syndicat qui sait au moins depuis le 26 novembre 2010 ce que madame Laterreur avait à dire sur la façon dont elle était, selon elle, traitée par sa supérieure, madame Laurin, lorsqu’il dépose le grief le 23 février 2011, il est manifeste que ce grief est prescrit à toutes fins que de droit.
[454] De toute façon, il est loin d’être prouvé que la réunion voulue par les supérieurs de madame Laterreur le 26 novembre 2010, constitue un geste positif de harcèlement psychologique.
[455] Le tribunal croit, bien au contraire, que celui-ci s’inscrivait dans une démarche de relations de travail particulières à la situation qui existait à ce moment-là et qui pouvait de l’opinion de madame Laurin et de monsieur Ouellet faire l’objet d’explications, de discussions et de recherche de solutions quelles qu’elles soient. (nos soulignements et emphase)
[28] Bien que non requis de pousser plus loin l’analyse que sur le moyen préliminaire portant sur la prescription, qu’il accueille et qui justifie à lui seul de rejeter le dossier, l’arbitre écrit ceci :
[456] Le tribunal n’oublie pas que la preuve syndicale n’a absolument rien démontré qui puisse être reproché à monsieur Ouellet.
[457] En réalité, la seule personne qui est visée par le grief, c’est la supérieure immédiate de madame Laterreur, madame Claude Laurin.
[458] Or, les faits démontrés par madame Laterreur, elle les a interprétés comme étant du harcèlement psychologique ou une attitude vexatoire de sa supérieure vis-à-vis elle.
[459] Le tribunal n’est pas de cet avis.
[460] Que madame Laurin soit devenue à certains moments plutôt froide dans ses relations avec madame Laterreur après que celle-ci eut, facilement il faut le dire, obtenu son retrait du dossier Saint-Viateur, ne surprend pas vraiment. Peut-être qu’une explication franche entre les deux eut été préférable, mais elle n’a pas eu lieu. L’attitude froide ne constitue pas du harcèlement psychologique et le seul élément qui peut avoir apparu vexatoire est lorsque madame Laurin a demandé à la plaignante de « ramasser les plans » qu’elle venait d’étaler sur la table devant les stagiaires. Même là cet élément est encore antérieur au 26 novembre et s’il sert de point de départ à la prescription, celle-ci était encore plus acquise au 23 février suivant.
[461] Le tribunal note aussi que pour une personne qui aurait fait l’objet de mesures vexatoires, de harcèlement psychologique et autres actions ou omissions de même eau, la plaignante a quand même obtenu un premier congé sans solde et ensuite un congé de trois ans pour pouvoir faire un doctorat en urbanisme tout en ne perdant pas son lien d’emploi à la Ville de Montréal.
[462] Lorsque madame Laterreur s’est aperçue qu’elle n’avait pas les connaissances d’un ingénieur lorsque la phase finale des travaux de Saint-Viateur est arrivée, au lieu de se mettre à angoisser, elle aurait dû expliquer immédiatement à ses supérieurs au lieu de laisser son anxiété prendre le dessus, anxiété qui lui faisait certainement voir différemment les attitudes ou les instructions verbales prononcées dans le cours normal des discussions entre elle et madame Laurin et même avec monsieur Ouellet.
[463] Il est apparu au tribunal qu’elle s’était enfermée dans son angoisse qui allait en augmentant plus la phase finale des travaux de Saint-Viateur approchait.
[464] Le tribunal revient encore une fois là-dessus, car selon lui c’est le point majeur de toute cette situation qui démontre qu’il n’y a pas eu harcèlement psychologique ou attitude vexatoire tant de madame Laurin que de Monsieur Ouellet, c’est que ceux-ci dès que madame Latereur eut demandé qu’on lui retirât le projet Saint-Viateur, cette demande fut immédiatement acceptée.
[465] Comme le seront aussi ses demandes de congé sans solde.
[466] Le tribunal se serait demandé aussi, tout en n’étant pas psychologue si les angoisses et anxiétés vécues à certains moments par madame Laterreur ne lui faisaient pas voir différemment les attitudes ou des instructions verbales prononcées dans le cours normal de discussion entre madame Laurin, monsieur Ouellet et elle-même. Le tribunal en a assez dit et n’ira pas plus loin vu sa décision sur la prescription.
[467] L’employeur a aussi soulevé le fait que madame Laterreur n’a pas tenté de régler son problème avec madame Laurin avant de déposer un grief si elle croyait que ses droits étaient lésés comme le prévoit très clairement l’article 8.1.1 de la convention collective, toujours au chapitre 8 - Procédure de règlement des griefs et arbitrage, qui s’intitule - Mode de règlement des griefs (8.1) et - Règlement avec le supérieur immédiat (8.1.1). Il est vrai que cette étape n’a pas été exercée par la plaignante. Décider sur cette objection n’aurait qu’un caractère académique vu la décision rendue sur l’objection préliminaire de prescription. Le tribunal s’abstient donc dans (sic) d’en décider. (Soulignements et emphase ajoutés)
[29] L’arbitre aurait erré à divers égards sur la manière dont il dispose de l’objection préliminaire fondée sur la prescription.
[30] Sa première erreur porterait sur le choix de délai applicable.
[31] Le Syndicat concède que l’arbitre « flirte »[7] bel et bien avec le délai de 90 jours prévu à la Loi sur les normes du travail[8], mais qu’il applique finalement le mauvais délai de prescription, soit celui de 60 jours prévu à la convention collective.
[32] Le Syndicat précise que le délai de 60 jours était pertinent aux fins de l’analyse de l’argument subsidiaire fondé sur l’article 46 de la Charte, mais comme l’arbitre a finalement décidé de ne pas trancher cet argument, vu sa conclusion sur la prescription du recours[9], la seule conclusion qui s’impose est qu’il invoque ce délai à tort pour disposer de l’argument de la prescription, comme il le dit d’ailleurs clairement au dernier paragraphe de la décision.
[33] L’arbitre aurait commis une autre erreur dans la détermination de ce qui peut ou doit être considéré comme étant une manifestation de harcèlement aux fins du calcul du délai de prescription.
[34] Il aurait erré en retenant le 24 novembre 2010 comme dernière manifestation de harcèlement avant la plainte plutôt que le 26 novembre 2010 ou le 22 février 2011. Cette deuxième erreur se divise en quatre volets :
1) il ne discute pas de la manifestation de harcèlement du 26 novembre 2010 qui se trouve à la lettre S-3[10] pour expliquer pourquoi il ne la retient pas, mais décide toute de même du mérite des événements qui ressortent du témoignage de Madame Laterreur sur ce qu’elle a perçu comme étant une manifestation de harcèlement à cette date; il n’avait pas à faire l’étude du mérite de ces manifestations pour décider de l’objection préliminaire fondée sur la prescription;
2) d’autres paragraphes de la décision font référence à l’événement du 26 novembre 2010, mais ce que l’arbitre écrit sème la confusion sur ce qu’il retient ou ce qu’il aurait dû en retenir par rapport à ce qui s’est passé à cette date en terme de faits générateurs de harcèlement psychologique[11]; dans divers paragraphes de sa décision, l’arbitre se contredit sur ce qu’il retient de ce qui s’est passé le 26 novembre 2010;
3) il ne tient pas du tout compte de l’avis disciplinaire du 22 février 2011 comme étant une manifestation de harcèlement psychologique, alors que cet événement se trouve aussi dans cette lettre S-3, et
4) il est impossible de déterminer pourquoi il ne retient pas l’avis disciplinaire comme étant une manifestation de harcèlement, car il n’écrit rien à ce sujet.
[35] Sur le premier reproche, le Syndicat plaide qu’aux paragraphes 447 et 448, l’arbitre n’avait pas à décider du mérite de l’allégation de harcèlement de Madame Laterreur relativement à la rencontre du 26 novembre 2010, qu’il aurait dû se limiter à tenir le fait pour avéré pour disposer de l’argument de la prescription.
[36] Sur le deuxième reproche, dans l’hypothèse où l’arbitre devait se pencher sur le mérite de la preuve de harcèlement pour trancher l’argument de la prescription, l’arbitre aurait erré en ne retenant pas la rencontre matinale du 26 novembre 2010 au cours de laquelle la supérieure de Madame Laterreur lui annonce qu’il y aura une autre rencontre le même jour, en après-midi, lors de laquelle elle entend lui remettre une mesure disciplinaire relativement à son ton de voix. Selon le Syndicat, ce geste constituait un geste de harcèlement s’inscrivant dans le continuum des autres allégués dans la plainte et dans les précisions additionnelles et cet élément est différent de la rencontre qui devait avoir lieu en après-midi et qui n’a pas eu lieu.
[37] Si l’arbitre avait retenu l’événement du 26 novembre 2010 et qu’il avait appliqué la bonne prescription, le dossier n’aurait pas été déclaré prescrit, bien que très près de l’être.
[38] Sur les troisième et quatrième reproches, le Syndicat soumet qu’aux fins de la détermination de l’objection sur la prescription, l’arbitre aurait dû retenir l’événement du 22 février 2011 comme étant une manifestation de harcèlement psychologique intervenue durant la période de son analyse. Si cet événement avait été retenu, la prescription de 90 jours n’aurait d’ailleurs causé aucun problème, vu le dépôt du grief le 23 février 2011.
[39] Minimalement, l’arbitre aurait dû expliquer pourquoi il ne retient pas ce fait. Comme il ne l’a pas fait, sa décision est incorrecte puisque le fait de ne pas expliquer pourquoi il rejette l’événement du 22 février 2011 constitue une violation de la règle audi alteram partem, cette absence de motivation empêchant la révision de la décision sur des bases éclairées. Le Syndicat fait valoir que la remise d’une mesure disciplinaire peut, dans certains cas, constituer une manifestation de harcèlement et même être considérée comme étant le point culminant d’un dossier de harcèlement dans certains cas.
[40] Le Syndicat reproche aussi à l’arbitre de n’avoir pas élaboré sur les critères du harcèlement pour expliquer ce qui l’amène à conclure qu’il n’y a aucun geste de harcèlement à la suite de son analyse. Comme il passe par l’étude du mérite de la plainte pour décider que les faits allégués du 26 novembre 2010 ne s’inscrivent pas dans des gestes révélant un tel harcèlement, encore aurait-il fallu qu’il justifie comment il arrive à une telle conclusion.
4.2 Deuxième erreur : la décision sommaire qui conclut à l’absence de harcèlement
[41] Les deux parties considèrent que la partie de sa décision dans laquelle il discute du mérite de la plainte de harcèlement et dans laquelle il conclut à l’absence de harcèlement après avoir entendu toute la preuve n’est qu’un obiter.
[42] Or, même si cette partie de sa décision ne devait être considérée que comme un obiter, le Syndicat plaide que le mal est fait si le dossier lui est retourné advenant une révision de sa décision sur la prescription : il ne pourra jamais être impartial et revenir en arrière sur la vision qu’il a eue du dossier et qu’il exprime en des termes qui ne souffrent d’aucune ambiguïté. Il aurait fait son lit en concluant qu’il n’y a pas eu de preuve de harcèlement psychologique et en motivant sa décision de la manière dont il l’a fait. Le Syndicat se prétend donc justifié de penser que si le dossier poursuit son cours, il devrait être retourné à un autre arbitre.
[43] Si la décision sur le mérite du harcèlement devait être considérée autrement que comme un obiter, le syndicat plaide alors que la décision contient de graves lacunes en ce qui a trait à sa motivation, ce qui viole l’article 102.2 du Code du travail et les principes de justice naturelle. Il soumet que l’arbitre ne discute que d’un événement de harcèlement sur les 31 soumis et que pour les autres, il conclut simplement qu’il n’y a pas de harcèlement, sans explication aucune. Il ne précise aucunement sur lequel ou lesquels des critères propres au harcèlement psychologique le Syndicat a échoué dans son fardeau de preuve.
5.1 Sur la prescription
[44] La Ville soutient qu’il incombait au Syndicat de démontrer à l’arbitre que la plainte de harcèlement a été déposée dans les délais et qu’il n’a pas réussi.
[45] Elle reconnaît que l’arbitre devait évaluer le point départ de la prescription en déterminant la date de la dernière manifestation de harcèlement et qu’il devait décider quel était le bon délai de prescription applicable entre ce dernier événement et la date de dépôt de la plainte.
[46] La conclusion à laquelle en arrive l’arbitre que la date de la dernière manifestation était le 24 novembre 2010 intervient après qu’il ait entendu une preuve durant 7 jours et après avoir étudié une preuve documentaire importante, de sorte que sa conclusion est certainement raisonnable dans les circonstances. Même s’il élabore sur la prescription de 60 jours, il retient finalement celle de 90 jours. Pour nous en convaincre, la Ville réfère au paragraphe 450 de la décision.
[47] Aux paragraphes 447, 448, 450, et 454, l’arbitre aurait bien motivé la raison pour laquelle il arrête son choix sur l’événement du 24 novembre 2010 plutôt que sur celui du 26 novembre 2010 comme dernière manifestation de harcèlement. La phrase « Effectivement, les représailles que madame Laterreur craignait se sont avérées le 26 novembre », que l’on retrouve au paragraphe 282 de la décision, ne serait pas du cru de l’arbitre, mais serait simplement la relation qu’il fait du témoignage rendu par la plaignante. De plus, dans la lettre pièce S-3, pour décrire l’incident du 26 novembre, la plaignante fait référence à des « reproches professionnels » et non à du harcèlement.
[48] La Ville soutient que l’arbitre a bel et bien pris l’événement du 22 février 2011 en considération. Pour nous en convaincre, elle réfère aux paragraphes 3 et 295 de la décision. Elle ajoute qu’étant donné que le grief ne conteste pas le contenu de la mesure disciplinaire imposée, cela peut en soi expliquer la raison pour laquelle l’arbitre ne retient pas cet événement, la plaignante le qualifiant elle-même de « mesure disciplinaire », alors que tous les autres événements contenus dans la lettre font référence à des choses de nature harcelante ou vexatoire. La décision devant se lire comme un tout, ce que retient l’arbitre ferait partie des issues possibles et raisonnables.
[49] En terminant, la Ville soutient que ces deux derniers événements s’inscrivent non pas dans un continuum de harcèlement psychologique, mais plutôt dans une démarche de relations de travail, et que ce qu’il écrit au paragraphe 455 est suffisant en termes de motivation.
[50] L’exclusion de l’événement du 26 novembre 2010 serait bien motivée : il s’agit d’un pur problème de relations de travail qui n’entre pas dans la définition de manifestation de harcèlement psychologique. Une telle conclusion se situe à l’intérieur de sa juridiction spécialisée, elle n’est pas déraisonnable à la lecture du reste de la décision et ne mérite pas d’être révisée.
[51] En ce qui concerne l’absence de motivation sur l’événement du 22 février 2011, la Ville plaide que le décideur n’a pas à écrire sur tout un chacun des arguments plaidés pour que sa décision respecte la règle audi alteram partem. La décision en cause serait suffisamment motivée pour rencontrer les standards requis pour ne pas être révisée.
[52] Enfin, elle plaide que peu importe le délai utilisé, le calcul pour la période entre le 24 novembre 2010 et le 23 février 2011 dépasse les 90 jours du délai prévu à la Loi sur les normes du travail, de sorte que la décision sur ce point constitue un tout intelligible dont la conclusion se situe parmi les issues possibles et raisonnables, donc non sujette à révision.
[53] La Ville plaide que la décision attaquée porte essentiellement sur la prescription et non sur le mérite de la plainte de harcèlement. Selon elle, il n’y a pas lieu pour le Syndicat de s’attaquer à la partie de la décision qui contient certains commentaires sur le mérite de la plainte de harcèlement, car il s’agit d’un obiter dictum et que la conclusion à laquelle l’arbitre en arrive sur ce sujet est de surcroît raisonnable[12].
[54] Elle concède au Syndicat que la question de savoir si l’arbitre a suffisamment motivé sa décision sur ce sujet s’évalue à la lumière de la norme de la décision correcte. Elle est d’avis que l’analyse globale de la décision révèle de manière suffisamment claire que l’arbitre conclut à l’absence de harcèlement simplement parce qu’il adhère à la thèse que les problèmes entre Madame Laterreur et son employeur relèvent d’un problème de relations de travail et de discipline, la perception de la plaignante qu’il y ait eu du harcèlement à son endroit ne correspondant pas à la réalité.
[55] Selon elle, l’arbitre a aussi tranché l’argument soulevant une violation à l’article 46 de la Charte, ce dernier étant également prescrit, en application du délai de 60 jours inclus dans la convention collective et ce, que l’arbitre ait retenu la date du 24 ou du 26 novembre comme étant le moment où le Syndicat a été avisé par la plaignante.
[56] Enfin, en ce qui concerne la demande de transfert du dossier à un autre arbitre, la Ville prétend que le contenu de la décision n’est pas suffisant pour faire naître une crainte réelle de partialité à l’endroit de ce dernier. Rien ne s’oppose donc à ce que le reste du dossier lui soit retourné ni qu’il puisse trancher le mérite de la plainte sa faveur de la plaignante.
[57] La première question à laquelle nous devons répondre consiste à déterminer si la décision de l’arbitre est déraisonnable ou incorrecte, selon les reproches formulés.
[58] Si nous décidons que la décision doit être annulée, nous devrons ensuite décider s’il y a lieu de référer le dossier à un autre arbitre pour la suite des choses.
[59] Il est clair que la détermination des faits pertinents à la computation des délais pour le dépôt d’une plainte de harcèlement psychologique en vue de décider si cette dernière a été déposée dans le délai prescrit, que la détermination de l’existence ou non de harcèlement psychologique sont de la compétence spécialisée de l’arbitre. Dès lors, nous devons faire preuve de déférence à l’égard de la décision qu’il rend sur ces sujets.
[60] Les parties s’entendent que ces questions doivent être étudiées selon la norme de la décision raisonnable, ce avec quoi nous sommes d’accord.
[61] En ce qui concerne l’argument portant sur l’insuffisance ou l’absence de motivation de la décision, elles s’entendent aussi qu’il doit être analysé sous l’angle de la décision correcte, car il peut en résulter un manquement à une règle de justice naturelle[13].
[62] Les parties ne contestent pas le test élaboré au paragraphe 47 de l’arrêt Dunsmuir. La Ville nous demande toutefois de tenir compte de l’application que la Cour suprême a par la suite faite de Dunsmuir dans les arrêts Nurses[14] et Construction Labour[15], respectivement rendus en 2011 et en 2012, qui nous invitent à trouver les motifs implicites des décisions contestées avant de les annuler.
[63] La convention qui lie le Syndicat et la Ville ne comporte aucune disposition sur les modalités des plaintes de harcèlement psychologique. Les articles 12, 81.11, 81.20, 93, 94, 123.6 et 123.7 de la Loi sur les normes du travail doivent donc guider la décision que l’arbitre est appelé à rendre sur un tel sujet.
[64] Ces articles visent la prescription applicable à une telle plainte, les éléments pertinents à considérer pour décider de la prescription, ainsi que les critères à rencontrer pour démontrer l’existence d’une situation de harcèlement psychologique.
[65] Par contre, en ce qui a trait à l’argument fondé sur l’article 46 de la Charte, la convention collective prévoit un délai de 60 jours. Ce délai se calcule entre autres à partir de la date de la connaissance par le syndicat du fait dommageable.
[66] Les parties s’entendent que si la date du 24 novembre 2010 est retenue comme étant la dernière manifestation de harcèlement, la plainte en cause était prescrite au 23 février 2011, alors que si la date du 26 novembre 2010 est retenue, la plainte n’était pas prescrite, le délai applicable étant bel et bien le délai de 90 jours prévu à la Loi sur les normes et non celui de 60 jours applicable à tous les griefs, prévu dans la convention collective. Évidemment, si la date du 22 février 2011 est celle retenue, la question de la prescription de la plainte ne se pose même pas.
[67] Quant aux guides à considérer pour décider du mérite d’une plainte de harcèlement psychologique, ils sont bien exposés à l’article 81.18 de la Loi sur les normes du travail, qui est automatiquement incorporé à la convention collective par l’effet de l’article 81.20 :
81.18 « Pour l’application de la présente loi, on entend par « harcèlement psychologique » une conduite vexatoire se manifestant soit par des comportements, des paroles, des actes ou des gestes répétés, qui sont hostiles ou non désirés, laquelle porte atteinte à la dignité ou à l’intégrité psychologique ou physique du salarié et qui entraîne, pour celui-ci, un milieu de travail néfaste. »
[68] La première chose que l’arbitre devait déterminer était le délai de prescription applicable à un grief portant sur le harcèlement psychologique.
[69] Il ne fait aucun doute que le délai applicable est celui de 90 jours prévu à l’article 123.7 de la Loi sur les normes du travail, puisque l’article 93 de cette loi édicte qu’on ne peut déroger aux délais minimaux qui y sont prévus pour faire valoir les droits qu’on y retrouve[16].
[70] Évidemment, si la convention collective avait été plus avantageuse, opter pour le délai prévu à cette convention n’aurait pas posé problème[17].
[71] Toutefois, en l’espèce, le délai de la convention liant les parties est plus court que le délai minimum. Si l’arbitre a retenu ce délai plus court pour disposer de l’objection préliminaire fondée sur la prescription du grief, cela cause un problème.
[72] L’analyse de l’ensemble de la décision nous permet de conclure que l’arbitre a appliqué le mauvais délai de prescription.
[73] Le paragraphe 468 ne souffre d’aucune ambiguïté (voir paragraphe 20 de notre décision). De plus, l’interaction entre les paragraphes 449, 450, 451 et 468 ne permet pas de conclure que l’arbitre applique le délai de 90 jours, contrairement à ce que suggère la Ville.
[74] D’ailleurs, le constat que fait l’arbitre au paragraphe 450 est en partie erroné. S’il est vrai qu’entre le 24 novembre 2010 et le 23 février 2011 il y a plus de 90 jours, ce n’est pas le cas pour le délai entre le 26 novembre et le 23 février 2011, puisqu’il n’y a que 89 jours entre ces deux dernières dates.
[75] Étant donné qu’il utilise alternativement le 24 et le 26 novembre aux fins du constat qu’il fait dans ce paragraphe, il faut nécessairement que la prescription qu’il est en train d’évaluer soit celle de 60 jours, la seule qui fait en sorte que son constat a du sens pour une date comme pour l’autre.
[76] D’ailleurs, le fait qu’il réfère au délai de 60 jours au paragraphe 451 nous aide à mettre le paragraphe précédent en contexte pour comprendre son raisonnement car pour conclure que le grief est « manifestement prescrit » à la date du 26 novembre 2010 (paragraphe 453), il faut nécessairement que l’arbitre soit en train d’appliquer le délai de 60 jours de la convention collective.
[77] Si l’arbitre a appliqué le délai de 90 jours, pourquoi réfère-t-il alors à la connaissance du représentant du Syndicat en la situant au 26 novembre pour conclure que le recours est prescrit? Ce constat suggère plutôt qu’il retient le délai de 60 jours, qui implique la référence à la connaissance du Syndicat comme base de calcul du délai de 60 jours, qui n’a rien à voir avec le calcul du délai de 90 jours, lequel prend plutôt assise sur « la dernière manifestation de harcèlement ».
[78] La seule façon de réconcilier les paragraphes 449 et 468 est d’inférer que l’arbitre applique le délai habituel de prescription de 60 jours pour les griefs déposés pour d’autres sujets que le harcèlement psychologique.
[79] Tout cela explique la conclusion non ambiguë du paragraphe 468 et cadre avec le résumé qu’il fait de l’objection préliminaire aux paragraphes 4 à 6 de sa décision (voir paragraphe 19 de notre décision).
[80] Le mauvais choix de délai applicable à une plainte de harcèlement psychologique rend la décision déraisonnable et justifie une intervention de notre Cour, car le délai de 60 jours de l’article 8.1.3.1 de la convention collective ne peut supplanter celui prévu à la Loi sur les normes du travail, qui est d’ordre public.
[81] Même si l’arbitre avait appliqué le bon délai, notre intervention serait également justifiée, car il a commis d’autres erreurs révisables, notamment quant à la méthodologie utilisée pour rejeter les événements du 26 novembre 2010 et du 22 février 2011 comme dernières manifestations de harcèlement psychologique.
[82] Les erreurs commises rendent sa décision à la fois incorrecte et déraisonnable, selon l’erreur commise.
[83] Dans l’analyse à laquelle il se livre aux paragraphes 455 et 456, l’arbitre s’inspire de la preuve au mérite sur ce qui s’est passé le 26 novembre 2010, ce qu’il ne pouvait faire à cette étape.
[84] Pour disposer d’une objection préliminaire fondée sur la prescription, l’arbitre devait plutôt faire trois choses : 1) vérifier si le grief ou la lettre expliquant les différentes manifestations de harcèlement psychologique indiquaient au moins un événement se situant dans la période critique de 90 jours précédant le dépôt du grief, 2) s’il y en avait, vérifier sommairement si les faits décrits pouvaient en apparence constituer des manifestations de harcèlement psychologique sur lesquelles l’enquête au mérite pourrait ensuite faire la lumière, une fois l’objection préliminaire tranchée et 3) motiver sa décision s’il retenait ou rejetait tel ou tel événement allégué durant la période de 90 jours.
[85] Si l’arbitre n’avait retrouvé aucun événement dans la période critique de 90 jours précédant la date du dépôt du grief, il aurait pu rejeter le grief en maintenant simplement l’objection préliminaire.
[86] Cependant, comme il a constaté l’existence de quelques événements dans la période critique de 90 jours, il devait ensuite déterminer si ceux-ci s’inscrivaient en apparence dans ce que l’on retrouve parfois, ou habituellement, dans un dossier de harcèlement psychologique.
[87] Si ces événements ne présentaient en apparence aucun lien avec un dossier de harcèlement psychologique, en ce sens qu’ils ne pouvaient pas en constituer des manifestations pertinentes, l’arbitre pouvait aussi rejeter le grief en maintenant l’objection préliminaire fondée sur la prescription, sans même avoir à entendre la preuve sur lesdites manifestations alléguées pour la période de 90 jours précédant le dépôt du grief ou de la plainte.
[88] À titre d’exemple, l’arbitre aurait pu maintenir l’objection préliminaire si les faits allégués dans la plainte ou dans la lettre explicative avaient ceux-ci : «20 février 2011 : rencontre entre mon collègue Tardif et mon supérieur. Ils se sont chicanés. » ou « rencontre avec mon supérieur pour la remise de mon évaluation annuelle; compliments de ce dernier sur le travail que j’ai accompli au cours de la dernière année » ou « 26 novembre 2010 : souper de Noël de l’équipe; le patron est assis à la table voisine et la soirée se déroule bien, sans aucune allusion à quoi que ce soit » ou « incident survenu entre le patron de mon collègue Tardif et moi, au cours duquel le patron de Tardif m’insulte devant des collègues ».
[89] Soit ces exemples ne démontrent pas de manifestation de harcèlement, de par leur contenu, soit ils visent quelqu’un d’autre que la plaignante ou une autre personne que le harceleur présumé selon le reste de la plainte. Mais l’un dans l’autre, ces faits allégués auraient pu justifier l’arbitre de maintenir l’objection préliminaire fondée sur la prescription sur la base des explications que nous venons de fournir pour justifier en quoi les événements identifiés ne se qualifient pas pour « sauver » le dossier, et ce, peu importe que le reste du dossier puisse a priori démontrer une trame factuelle de harcèlement psychologique. Comme les faits cités dans nos exemples ne peuvent en apparence être considérés comme de telles manifestations et qu’il n’y a rien d’autre dans les 90 jours précédant le dépôt du grief ou de la plainte, l’arbitre aurait eu raison de maintenir l’objection préliminaire et de rejeter ensuite le grief au motif qu’il est prescrit.
[90] Cependant, l’exercice auquel il se livre n’est pas celui décrit. Il s’inspire de ce que la preuve a révélé pour étoffer le mérite de la plainte de harcèlement, pour ensuite revenir en arrière et conclure que les faits allégués à la date du 26 novembre 2010 et à celle du 22 février 2011 ne sont pas des manifestations de harcèlement psychologique.
[91] S’il fallait que les arguments dits « préliminaires » soient décidés de la même manière qu’un argument annoncé et plaidé comme un moyen de défense au mérite, nous nous interrogeons sur l’intérêt de présenter de tels moyens, surtout lorsque l’objectif d’un tel moyen préliminaire est d’éviter d’administrer une longue preuve au mérite pour un dossier qui ne devrait pas être poussé plus loin, étant à sa face même prescrit.
[92] Bien que les parties conviennent régulièrement de tout plaider en même temps, aux fins d’une gestion efficace des ressources décisionnelles, comme cela a été le cas en l’espèce, cela n’opère pas pour autant une modification des règles applicables à chaque phase de l’exercice qu’elles ont convenu de faire.
[93] Nous nous inspirons de ce qui se passe lorsqu’une partie à un recours civil soulève l’article 165(4) C.p.c. pour présenter un moyen préliminaire d’irrecevabilité fondé sur la prescription du recours. Les tribunaux ont depuis longtemps établi qu’il faut tenir les faits allégués pour avérés pour décider d’un tel moyen. Jamais n’a-t-il été question de faire une incursion dans le mérite du dossier pour décider d’un tel moyen. Seule la procédure donnant naissance au recours et les documents invoqués dans celle-ci servent à disposer d’une telle irrecevabilité. Pourquoi devrait-il en être autrement du même type de moyen proposé dans une instance devant un arbitre? Nous n’avons réussi à trouver aucune explication justifiant la nécessité d’une telle distinction.
[94] Bien entendu, lorsque le dossier passe à travers un moyen d’irrecevabilité fondé sur la prescription, cela ne signifie pas que l’arbitre ne puisse pas revenir sur le mérite de cet argument, une fois l’ensemble de la preuve présentée et analysée à la lumière de la jurisprudence applicable, mais tel n’était pas le programme annoncé.
[95] En effet, au paragraphe 4 (3) de sa décision, l’arbitre rapporte la nature de l’objection préliminaire que la Ville lui a soumise et précise qu’elle est « à la face même de la convention collective et en tenant compte ne serait-ce que des précisions fournies à la pièce S-3 où la dernière manifestation, qui en serait une de harcèlement psychologique ou de vexation aurait été le 26 novembre 2010. » (voir paragraphe 19 de notre décision). Même la Ville soutient que la dernière manifestation aurait été le 26 novembre 2010.
[96] Il semble bien qu’ en l’espèce, l’arbitre ait fait un « deux dans un » en décidant du moyen préliminaire et du moyen de défense au mérite, ce qu’on ne lui avait pas demandé de faire et ce qu’il ne pouvait faire, même si on le lui avait demandé.
[97] Dans une décision toute récente et fort étoffée[18], l’arbitre Louise Viau a très bien exposé la méthodologie qu’un arbitre devrait utiliser pour disposer d’un moyen préliminaire fondé sur la prescription lorsque ce moyen vise une plainte de harcèlement psychologique.
[98] Elle a étudié le contenu du grief, les lettres explicatives qui fournissaient des détails additionnels à ceux contenus dans le grief, et dans certains cas, des documents que les parties se sont entendues à lui soumettre. Sa démarche a été de regarder ce qui était allégué dans la fourchette du 90 jours précédant le grief comme devant éventuellement être prouvé si une audition au mérite devait se tenir, pour vérifier si, en apparence, il se trouvait certains faits significatifs et pertinents à la nature de la plainte de harcèlement qu’elle pourrait éventuellement entendre si l’objection préliminaire fondée sur la prescription devait être rejetée.
[99] En référant aux évènements qu’elle a considérés dans son analyse, elle écrit à plusieurs reprises les mots « allégués », « prima facie », « que le syndicat se propose de mettre en preuve » et « à sa face même »[19]. Nous sommes d’avis que cette façon de faire correspond à la méthode que l’arbitre Gravel aurait dû adopter.
[100] L’arbitre commet aussi d’autres erreurs dans la manière dont il s’y prend pour rejeter les événements du 26 novembre 2010 et du 22 février 2011.
[101] Dans un premier temps, il n’explique pas pourquoi il ne retient pas l’information qui est consignée dans la lettre explicative S-3 relativement à ce qui s’est passé à ces deux dates. Pourtant, au 26 novembre, il y est question du fait que Madame Laterreur a reçu des « reproches professionnels ». Or, l’on sait que des reproches professionnels peuvent être considérés comme des manifestations de harcèlement psychologique dans certains cas. Pourquoi n’ont-ils pas été retenus en l’espèce, la décision ne le précise pas. Pourtant, une conséquence importante sur les droits de la plaignante s’en suit.
[102] De plus, à supposer que l’arbitre ait pu utiliser la preuve au mérite pour décider de l’argument de la prescription, il se contredit sur ce qu’il en retient, ou il omet d’expliquer pourquoi il ne retient qu’une portion de ce qui s’est passé le 26 novembre 2010.
[103] Abordons tout d’abord la contradiction.
[104] Au paragraphe 282 de la décision, il écrit :
[282] Effectivement, les représailles que madame Laterreur craignait se sont avérées le 26 novembre. Ce jour-là, elle arrive à son bureau, s’y installe pour travailler sur le dossier des équipements de mécanique, un dossier qui lui a été donné précédemment. Malgré ses difficultés, elle était remplie de bonnes idées ce matin-là et elle avait le goût de travailler à ce dossier. Elle aimait son travail.
[105] Ensuite, dans les 8 paragraphes qui suivent, il décrit en détail tout ce que la preuve a révélé sur ce qui s’est passé dans l’avant-midi du 26 novembre. Il y a bel et bien eu une rencontre au cours de laquelle la patronne de Madame Laterreur lui a annoncé une réunion à venir en après-midi, lors de laquelle une mesure disciplinaire lui serait remise à cause du ton de voix qu’elle a utilisé à deux reprises à son endroit. L’on sait que la rencontre de l’après-midi n’a pas eu lieu.
[106] Par la suite, au paragraphe 448, il explique que la date du 26 novembre ne peut être retenue puisque la plaignante ne s’est pas rendue à cette réunion (qui devait se tenir en après-midi). Pourquoi ne retient-il rien de ce qui s’est passé en avant-midi le même jour? Il ne l’explique pas.
[107] La Ville plaide que c'est la plaignante et non l’arbitre qui s’exprime au paragraphe 282. Le Syndicat n'est pas d'accord; il analyse la décision pour nous démontrer la manière dont l’arbitre s'exprime lorsqu'il cite la plaignante.
[108] Nous avons aussi fait un exercice similaire et concluons que l'arbitre fait les deux au paragraphe 282 de sa citation. La phrase que nous avons reproduite est la sienne et celle qui suit est celle de la plaignante, et ce, même s'il fait un caveat au paragraphe 446, pour préciser qu'il a pris soin de reprendre les faits de « façon neutre et objective » afin de tenter de se dissocier de tout ce qui a été écrit avant.
[109] Il utilise presque partout « elle » pour décrire ce qui est raconté, et lorsqu’il s’agit des perceptions de la plaignante il l'écrit clairement[20]. Le paragraphe 282 n’est pas le seul où les commentaires de l’arbitre se distinguent de la simple relation des faits[21].
[110] De deux choses l’une : ou bien il y a des représailles le 26 novembre 2010, tel qu’il l’affirme au paragraphe 282, auquel cas il s’agit en apparence d’une manifestation de harcèlement psychologique qu’il aurait dû retenir aux fins de l’objection préliminaire, ou il manque un élément de motivation dans la décision pour comprendre pourquoi il ne retient pas ce qui s’est passé le matin du 26 novembre pour ne retenir que ce qui ne s’est pas passé ce jour-là en après-midi.
[111] Dans l’un ou l’autre de ces scénarios, comme le rejet de la date du 26 novembre fait perdre des droits à la plaignante, nous nous serions attendus à savoir pourquoi cette date n’a pas de pertinence avant que la plainte soit rejetée de manière préliminaire.
[112] Enfin, l’exercice est plus court en ce qui a trait à la manière par laquelle il arrive à rejeter la lettre 22 février, qui contient une mesure disciplinaire : il n’en dit tout simplement rien.
[113] Pourtant, dans certains cas, une mesure disciplinaire peut constituer une manifestation de harcèlement psychologique et même en être le point culminant[22]. Nous avons beau vouloir suivre les instructions de la Cour suprême et essayer de trouver les éléments implicites qui donnent un sens à la décision avant de l’annuler[23], en l’espèce, l’arbitre ne nous a pas laissé les éléments nécessaires pour ce faire. Il ne nous appartient donc pas de présumer du raisonnement qui l’a mené à rejeter tel ou tel élément, ni à adopter celui que la Ville nous propose comme étant celui qu’il aurait peut-être fait.
[114] La souplesse que les tribunaux laissent aux décideurs administratifs dans la rédaction de leurs décisions et dans la manière dont ils motivent celles-ci[24] comporte certaines limites. En l’espèce, elles ont été franchies, de telle sorte que l’intervention que sollicite le syndicat est justifiée.
[115] Nous sommes d’avis que notre collègue André Roy résume très bien la réalité de notre dossier au sujet de la motivation de la décision attaquée :
« [41] (…) pour quel motif l’arbitre rejette-t-il l’argument syndical selon lequel ils devaient se voir offrir des heures additionnelles disponibles? La lecture de la sentence arbitrale ne permet pas de le savoir.
[42] Si les cours de révision n’ont pas à respecter aveuglément les interprétations des décideurs administratifs ni à imposer leurs propres vues, elles doivent une attention respectueuse aux motifs donnés à l’appui d’une décision; C’est ainsi que doit se traduire la déférence due aux tribunaux soumis à leur pouvoir de contrôle.
[43] Ces motifs doivent refléter une analyse qui permet raisonnablement d’étayer la conclusion du décideur administratif.
[44] Ici, cela dit avec égards, la sentence arbitrale ne comporte pas de motifs permettant au Tribunal de comprendre le fondement de la décision de l’arbitre sur le second volet du grief dont il était saisi et d’ainsi déterminer si la conclusion à laquelle il arrive fait partie des issues possibles acceptables. »[25]
[116] Pour tous ces motifs, nous ne pouvons nous rallier à la position de la Ville qui nous invite à conclure que la décision de l’arbitre fait partie des issues possibles et raisonnables. Le syndicat a démontré qu’il existe plusieurs raisons nous empêchant d’opter en ce sens.
[117] En résumé, que ce soit parce qu'il applique le mauvais délai de prescription, parce qu’il utilise une méthode d’analyse erronée pour disposer de l’objection préliminaire, parce qu’il ne motive pas assez sa décision sur ce qui l’amène à ne pas considérer le 26 novembre 2010 comme étant la dernière manifestation de harcèlement psychologique ou parce qu’il ne motive pas du tout pourquoi il ne retient pas la date du 22 février 2011 comme étant l’une de ces manifestations, ces lacunes rendent la décision de l’arbitre déraisonnable, pour les deux premières raisons, et incorrecte, pour les autres[26].
[118] Nous sommes dans une situation où nous pouvons déclarer que le dossier n’était pas prescrit puisque les faits allégués au 26 novembre 2010 et au 22 février 2011 dans la lettre S-3 constituaient en apparence des manifestations de harcèlement psychologique qui se sont produites dans la période de 90 jours précédant le dépôt du grief et que ces manifestations étaient suffisantes pour faire rejeter l’objection préliminaire fondée sur la prescription.
[119] Nous considérons que nous n’avons pas à qualifier la partie de la décision portant sur le mérite du harcèlement puisque le syndicat ne nous demande pas de réformer cette partie de la décision mais uniquement d’en tenir compte pour décider si l’arbitre a motivé adéquatement sa décision et pour juger s’il est plus approprié d’envoyer la suite du dossier à un autre arbitre, plutôt que de le retourner à l’arbitre Gravel.
[120] Les paragraphes 454 à 466 sont suffisamment précis pour anticiper de manière raisonnable qu’advenant que l’arbitre Gravel soit de nouveau saisi de ce dossier, il puisse difficilement faire marche arrière et conclure que la preuve démontre que Madame Laterreur a été victime de harcèlement psychologique.
[121] Aux fins de déterminer l’à-propos de lui retourner le dossier, le fait qu’il se soit prononcé de la façon dont il l’a fait sur le mérite de la plainte, alors qu’il n’était pas obligé de le faire, ne peut être ignoré.
[122] Nous sommes d’opinion que les craintes de partialité à l’égard de l’arbitre Gravel s’infèrent le la simple lecture de ces paragraphes et se justifient.
[123] Nous ne critiquerons pas davantage les divers motifs et conclusions de l’arbitre puisque cela n’est pas nécessaire pour nous acquitter du mandat qui nous est confié.
[124] Pour ces motifs, le Syndicat a raison de demander que le dossier soit retourné à un autre arbitre afin que les deux autres moyens préliminaires ainsi que le mérite de la plainte de harcèlement psychologique lui soient soumis.
[125] POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[126] ACCUEILLE la requête en révision judiciaire;
[127] CASSE la décision rendue par le défendeur, le 25 février 2013, portant sur l’objection préliminaire liée à la prescription du recours;
[128] DÉCLARE que le dossier de la plaignante Madame Laterreur n’était pas prescrit lors du dépôt du grief pour harcèlement psychologique, le 23 février 2011;
[129] ORDONNE que le dossier soit référé à un autre arbitre pour l’audition des autres moyens préliminaires ainsi que pour le mérite du dossier, si les parties jugent pertinent de joindre ces deux aspects du dossier;
[130] AVEC DÉPENS contre la mise en cause.
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__________________________________ HONORABLE CLAUDE DALLAIRE, J.C.S. |
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Me Chantal Poirier |
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Matteau Poirier avocats Inc. |
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Avocate du demandeur |
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Me Nicole Forget |
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Dagenais, Gagnier, Biron |
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Avocate de la mise en cause |
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Date d’audience : |
19 février 2014 |
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[1] P-4.
[2] P-5, pages 18 et 22, chronologie au 7 mai 2009 et lettre du 29 mai 2009.
[3] P-6, page 27.
[4] P-2.
[5] P-3.
[6] P-4, par. 4.
[7] Expression du procureur du Syndicat.
[8] Voir les articles 81.20, 123.6 et 123.7 de cette loi.
[9] Paragraphe de 467 de la décision.
[10] P-3 en révision judiciaire.
[11] Paragraphes 282 à 290, 448, 450, 454, 455.
[12] Monique Langevin c. Syndicat de l’enseignement de la région de Québec (SERQ) et Commission scolaire des Premières-Seigneuries, 2007 QCCRT 331.
[13] Syndicat national de l’automobile, de l’aérospatiale, du transport et des autres travailleuses et travailleurs du Canada (TCA-Canada), sections locales 187, 728, 1173 c. Brideau, 2007 QCCA 805, par. 38 à 43.
[14] Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et Labrador, [2011] 3 R.C.S. 708, par. 14 à 16.
[15] Construction Labour Relations c. Driver Iron inc., [2012] R.C.S. 65, par. 3.
[16] Voir à ce sujet SFPQ c. Québec (procureur général) [2010] 2 R.C.S.61, par. 40.
[17] Article 94 de la Loi.
[18] Syndicat des employé-e-s de techniques professionnelles et de bureau d’Hydro-Québec, section locale 2000 et 2000 annexe (SCFP - FTQ) c. Hydro-Québec 2014 QCTA 131.
[19] Voir tout particulièrement les paragraphes 45, 52, 53, 62, 64, 65, 67, 68, 72, 73 et 74 de sa décision.
[20] Voir les paragraphes 44, 114, 120, 129, 134, 156, 166, 173, 176, 181,182, 183, 184, 189, 192, 193, 194, 205, 214, 215, 221, 226, 228, 232, 235, 236, 237, 238, 244, 246, 251, 255, 258-261, 273, 278, 284, 302 sur les faits générateurs de la plainte pour harcèlement.
[21] Par. 24, 199 et 278.
[22] Syndicat des professeures et professeurs de l’UQTR et Université du Québec à Trois-Rivières, D.T.E. 2007T-765.
[23] Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et Labrador, [2011] 3 R.C.S. 708, par. 14 à 16; Construction Labour Relations c. Driver Iron inc., [2012] R.C.S. 65, par. 3.
[24] Syndicat national de l’automobile, de l’aérospatiale, du transport et des autres travailleuses et travailleurs du Canada (TCA-Canada), sections locales 187,728, 1173 c. Brideau, 2007 QCCA 805, par. 38 à 43; Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier (SCEO) c. Gagnon, 2013 QCCS 1347, par. 34-37.
[25] Union des employées et employés de la restauration - Syndicat des Métallos, section locale 9400 c. Lefebvre 2013 QCCS 326.
[26] Syndicat national de l’automobile, de l’aérospatiale, du transport et des autres travailleuses et travailleurs du Canada (TCA-Canada), sections locales 187,728, 1173 c. Brideau, 2007 QCCA 805, par. 38 à 43.
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