Décision

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COUR SUPÉRIEURE

JL 0716

 
COUR  SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

No:

500-11-017543-022

 

DATE:

 7  octobre  2003.

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE:

L’HONORABLE

DENIS LÉVESQUE, j.c.s.

______________________________________________________________________

 

DENIS Y. TREMBLAY,

demandeur-requérant

 

c.

 

ACIER LEROUX INC.

et

3652581 CANADA INC.

et

3652599 CANADA INC.

et

3652661 CANADA INC.

et

GESTION GILLES LEROUX INC.

et

GILLES D. LEROUX,

et

LE GROUPE CANAM MANAC INC.

et

MARCEL E. DUTIL,

et

SYLVAIN LEROUX,

et

SERGE BERGERON,

et

CATHERINE FRIGON,

défendeurs-intimés

 

et

 

POUTRELLES DELTA INC. / DELTA JOISTS INC.

et

GILLES LACHANCE,

et

RÉNALD FILLION,

et

DELTA STEEL JOIST INC.

et

VINCENT R. FERLISI,

mis en cause

______________________________________________________________________

 

J U G E M E N T

 

______________________________________________________________________

 

[1]                Dans le contexte d'un recours original et amendé pour ordonnances provisoires de sauvegarde, interlocutoires et définitives en vertu des articles 240, 241, 242, 243, 247 et 248 et suivants de la Loi canadienne sur les sociétés par actions (L.R.C. (1985), ch. C-44) (la Loi), assorti de conclusions alternatives et complémentaires en dommages intérêts basées sur les articles 66.2, 77, 78, 79 et 85 et suivants de la Loi sur la concurrence (L.R.C. (1985), ch. C-74), sur les articles 6, 7, 300, 317, 321 et suivants, 1375, 1457 et suivants, 1526, 1631 et suivants et 2130 et suivants du Code civil du Québec et sur les articles 2, 20, 46, 742 et suivants, 751 et suivants, 828 à 842 et 844 du Code de procédure civile et déclaration amendée pour oppression et concurrence déloyale, le demandeur-requérant veut obtenir une ordonnance provisoire, mesure de sauvegarde et interlocutoire à l'endroit de tous les défendeurs dont la demande se lit ainsi:

 

ORDONNER que les pièces P-11, P-12, P-40, P-41, P-93, P-95, P-96, P-98, P-104 et P-106 de la présente action soient mises sous scellés sous la garde du Juge coordonnateur de la présente cause afin de protéger le caractère confidentiel desdites pièces et que les procureurs des défendeurs Acier Leroux Inc., 3652581 Canada Inc., 3652599 Canada Inc., 3652661 Canada Inc., Gestion Gilles Leroux Inc., Gilles D. Leroux, Le Groupe Canam Manac Inc., Marcel E. Dutil, Sylvain Leroux, Serge Bergeron et Catherine Frigon puissent uniquement en prendre connaissance au bureau du Juge coordonnateur sans droit pour ces derniers d'en prendre copie ou encore de révéler, de quelque manière que ce soit, toutes informations relatives au contenu desdites pièces aux défendeurs Acier Leroux Inc., 3652581 Canada Inc., 3652599 Canada Inc., 3652661 Canada Inc., Gestion Gilles Leroux Inc., Gilles D. Leroux, Le Groupe Canam Manac Inc., Marcel E. Dutil, Sylvain Leroux, Serge Bergeron et Catherine Frigon en l'instance et/ou à quelques tierces parties que ce soit.

1.         LES FAITS

[2]                Sans en révéler le contenu, toutes les pièces dont la mise sous scellés est requise par le demandeur-requérant consistent essentiellement dans les états financiers de Poutrelles Delta du 21 mars 1994 jusqu'au 2 février 2002, c'est-à-dire jusqu'à l'institution du recours original et un procès-verbal du 1er octobre 1998 (P-40) et d'une mise au point du 23 février 1998 (P-41). Concernant la mise en cause Poutrelles Delta, dans ses états, certaines données fournissent aussi des informations sur la mise en cause Delta Steel Joist Inc.

 

2.         LA PROBLÉMATIQUE

[3]                Les principales raisons évoquées pour que telle ordonnance ne soit pas accordée sont les suivantes:

1.      Les loi et règles de procédures applicables en matière de révélation de pièces exigent que celles-ci soient produites et mises entre les mains non seulement des avocats des parties mais aux parties elles-mêmes qui donnent mandat;

2.      Plusieurs des parties ont droit de connaître le contenu des pièces en raison de leur statut de dirigeants, d'administrateurs et d'actionnaires indépen-damment des procédures en cours;

3.      L'information contenue dans ces pièces est déjà connue ou doit être connue des actionnaires, des dirigeants ou des administrateurs pour accomplir leurs droits et devoirs;

4.      Le demandeur-requérant a lui-même informé des tiers du contenu des pièces et ne peut donc plaider qu'il est de bonne foi ou qu'il a les mains propres.

 

3.         MOTIFS DU JUGEMENT

 

3.1       De l'utilité légale d'une mesure de protection:

[4]                Sur le premier moyen, il arrive que l'application des règles de preuve et du judiciaire privé soit suspendue ou aménagée à cause de l'intérêt public ou de l'ordre public. En matière de concurrence déloyale, d'abus de droit de la majorité à l'égard de la minorité, le contrôle des sources des délits peut faire l'objet d'ordonnance de scellés, ou de non publication ou de huis-clos.

[5]                Les faits mis en preuve par affidavit dans le présent dossier justifient ce genre d'intervention du Tribunal. En effet, il appert clairement de la convention d'actionnaires que les dirigeants, administrateurs ou actionnaires d'Acier Leroux ont posé des gestes qui sont au détriment du demandeur-requérant comme minoritaire et plaignant. De même, il existe à première vue des actes de concurrence déloyale qui ont été posés par ceux-ci au détriment de Poutrelles Delta et de ses affiliés et finalement contre le demandeur qui se qualifie comme plaignant suivant la Loi.

[6]                Il est aussi acquis que pour rendre efficaces les demandes d'ordonnances provisoires, de sauvegarde, interlocutoires et permanentes sollicitées dans le recours principal, les recours de droit commun ou même la sentence arbitrale des arbitres du jugement sur l'autorisation d'intenter un recours oblique, il peut être nécessaire de protéger l'information contenue dans les pièces dont on demande la mise sous scellés, d'autant que dans le cas présent, les défendeurs visés par l'ordonnance à titre d'informateurs potentiels sont représentés par avocats.

 

3.2              Le droit applicable aux secrets d'affaires

[7]                Les principes généraux en matière de confidentialité ont été bien explicités dans l'arrêt Loto-Québec c. Moore[1] et surtout l'opinion du Juge Décary dans Hunter c. Canada[2]. En l'instance, comme il s'agit d'un secret qui relève d'un recours en iniquité en droit des sociétés par action et de concurrence déloyale, les considérations qui ressortent de l'arrêt Molson Breweries c. Labatt Brewing Co.[3], du jugement dans Kimberley-Clark Corp.[4] et de l'arrêt de Lab Chrysotile Inc. c. Société Asbestos Ltée[5] ont une pertinence certaine.

[8]                Ces jugements soulignent que l'autorisation accordée à un avocat de prendre connaissance des documents en l'absence de la partie qu'il représente est une mesure plus exceptionnelle que beaucoup d'autres dont l'énumération est faite en particulier dans l'arrêt Hunter c. Canada, mais elle n'est pas définitivement écartée telle que le révèle l'opinion du Juge Robert ( AZ-99011191 6, p. 6) et du Juge Fish (loc. cit. p. 10) où il écrit:

 

The reasons of Décary J.A. in Hunter, supra, were cited extensively and with approval in Molson Breweries v. Labatt Brewing Co. [1992] F.C.J. no 506 (F.C.A.). Speaking for a unanimous court, MacGuigan J.A. added:

         It seems clear, from these enunciations of it, that the law leans against any fetter on the openness of proceedings, and that the normal way of reconciling the conflicting demands of openness and confidentiality, where required with respect to documents, is to disclose to parties' counsel any confidential information, on their undertaking that they will maintain that confidentiality even from their clients.

While I see in this passage a further judicial endorsement of the practice, where necessary, of providing confidential access to counsel alone, I am persuaded that the Court did not intend to depart from the balanced and comprehensive approach adopted by Décary J.A. in Hunter, supra: In each instance, the reviewing tribunal must choose the degree and kind of disclosure that, in the particular circumstances of the case, best accommodates the competing values of fairness and confidentiality.

 

[9]                Dans le cas présent, il n'y a pas de tel engagement de la part des avocats et des parties. Néanmoins, les fins de la justice seraient mieux servies pour deux raisons. La première, c'est que les autres mesures envisagées contreviennent plus à l'exception que la solution proposée de telle sorte que la mesure à adopter serait encore plus restrictive. Il faut aussi retenir que l'avocat est un mandataire mais il est d'abord un auxiliaire de justice dans ces rapports avec les tribunaux.

[10]            La partie qui contracte un mandat avec lui est censé savoir à l'avance que les dispositions de la Loi, que ce soit le droit commun ou les règles d'éthique qui s'appliquent à l'avocat, font partie de son contrat de mandat (C.C.B.C. art. 1024 et C.c.Q. art. 1434).

[11]            Dans la mesure où l'on applique la Loi, les articles 2 et 40 de la Loi sur la preuve au Canada (L.R.C. (1985) ch. C-5) s'appliquent puisqu'il n'y a pas d'incompatibilité entre la Common Law et le droit provincial émanant de la Charte québécoise[6]. Pour les causes d'action relevant du droit provincial, le droit commun et la charte provinciale s'appliquent à plus forte raison.

[12]            Quant à la seconde raison, la solution offerte dans la conclusion sollicitée constitue une renonciation en partie au secret qui serait autrement protégé par une solution encore plus dommageable à la publicité de débats.

 

3.3       L'utilité factuelle de la mise sous scellés en l'instance et de l'exécution d'une ordonnance de mise sous scellés

[13]           Il est avéré que pour administrer Poutrelles Delta, les actionnaires, dirigeants et administrateurs de celle-ci doivent normalement avoir accès aux pièces. Pour certaines d'entre elles, ces parties peuvent les avoir en leur possession, notamment celles qui sont antérieures à l'introduction du recours original. Il peut même arriver que Canam Manac ou le défendeur Dutil aient en mains, du moins en partie, l'information antérieure à l'institution du recours original. Dans cette hypothèse, l'utilisation de pièces déjà connues se soulèvera dans le cadre d'une procédure ultérieure, le cas échéant. Il existe aussi les pièces dont le contenu n'est pas encore connu des défendeurs-intimés et dont l'existence n'est révélée que par le recours amendé.

[14]           Malgré ces faiblesses, l'opportunité d'une ordonnance de scellés demeure utile à la protection des droits du demandeur et peut-être des autres actionnaires et dirigeants minoritaires.

 

3.4       La bonne foi ou les mains propres

[15]           Le point sur lequel les défendeurs ont le plus insisté est celui de la bonne foi du demandeur à qui l'on reproche d'avoir courtisé et informé un concurrent de Poutrelles Delta, d'Acier Leroux et de Canam Manac pour faire une offre d'achat de la participation d'Acier Leroux dans Poutrelles Delta. On lui reproche également d'avoir négocié directement des offres de son départ avec le défendeur Dutil contrairement à la convention d'actionnaires. On a aussi insisté sur l'offre du 10 mai 2000 dont il est question dans le jugement pour autorisation de l'action (par. 32 à 35).

[16]           Avec égard, dans le cas de l'offre à Acier Leroux, il est évident d'une part que des négociations ne s'engageaient pas avec Canam Manac et étaient dans le cadre de la convention d'actionnaires et, d'autre part, il est aussi évident que le demandeur n'avait pas seul les ressources financières pour faire l'offre. En sollicitant une offre, Acier Leroux par son action renonçait implicitement à invoquer par la suite les informations financières de Poutrelles Delta pour confectionner cette offre comme une violation de ses devoirs d'administrateurs et de dirigeants d'Acier Leroux. Les mécanismes de la convention d'actionnaires n'ont donc pas été violés prima facie à ce stade-ci des procédures.

[17]           Dans le cas de l'offre faite par le défendeur Dutil et la défenderesse Canam Manac, les commentaires faits au paragraphe 36 du jugement autorisant le recours oblique s'appliquent au concept de la bonne foi et des mains propres relativement à la demande de mise sous scellés.

 

3.5       Les personnes visées

[18]           Quelques remarques supplémentaires s'imposent pour clarifier la situation. Les mots "quelques tierces parties" que l'on retrouve dans les conclusions sollicitées portent à ambiguïté. Ils s'appliquent évidemment à toutes autres personnes nommées dans l'intitulé des présentes procédures et à toutes personnes non nommées, comme le permet l'article 761 du Code de procédure civile et le droit de Chancery dont les principes bénéficient aux plaignants en vertu de la Loi.

[19]           Cependant, l'ordonnance ne doit pas s'appliquer aux mis en cause Delta Steel Joist Inc. et Vincent Ferlisi dont les droits sont directement touchés dans les pièces. Quant aux mis en cause Fillion et Lachance, ils n'avaient pas comparu au moment de la prise du délibéré et n'ont rien demandé à la réouverture des débats. Les allégations de la requête ne permettent pas de connaître leur position sur le sujet. Pour le moment, l'ordonnance peut s'appliquer à eux. Cependant, le demandeur pourra, s'il le juge approprié, se désister à leur endroit avec l'autorisation du Juge coordonnateur ou eux pourraient demander au Tribunal ce qui leur convient.

[20]           Les défenderesses 3652581 Canada Inc., 3652599 Canada Inc., 3652661 Canada Inc., Gestion Gilles Leroux Inc. et Le Groupe Canam Manac Inc. ont formulé des requêtes pour rejet et mises hors cour. Le sort de ces requêtes est suspendu par la Cour d'appel. Toutefois, pour le moment, les parties demeurent au dossier relativement aux ordonnances de protection pour les motifs énoncés plus haut et dans le jugement d'autorisation d'intenter une action dérivée. C'est pourquoi elles sont parties à l'ordonnance. Si jamais les requêtes pour rejet sont accueillies, elles demeureront assujetties à l'article 761 du Code de procédure civile.

 

EN CONSÉQUENCE, LE TRIBUNAL:

ORDONNE que les pièces P-11, P-12, P-40, P-41, P-93, P-95, P-96, P-98, P-104 et P-106 de la présente action soient mises sous scellés sous la garde du Juge coordonnateur de la présente cause afin de protéger le caractère confidentiel de ces pièces et que les procureurs des défendeurs Acier Leroux Inc., 3652581 Canada Inc., 3652599 Canada Inc., 3652661 Canada Inc., Gestion Gilles Leroux Inc., Gilles D. Leroux, Le Groupe Canam Manac Inc., Marcel E. Dutil, Sylvain Leroux, Serge Bergeron et Catherine Frigon puissent uniquement en prendre connaissance au bureau du Juge coordonnateur sans droit pour ces derniers d'en prendre copie ou encore de révéler, de quelque manière que ce soit, toutes informations relatives au contenu desdites pièces aux défendeurs Acier Leroux Inc., 3652581 Canada Inc., 3652599 Canada Inc., 3652661 Canada Inc., Gestion Gilles Leroux Inc., Gilles D. Leroux, Le Groupe Canam Manac Inc., Marcel E. Dutil, Sylvain Leroux, Serge Bergeron et Catherine Frigon ou à quelques tierces parties que ce soit, à l'exception des mis en cause Vincent R. Ferlisi et Delta Steel Joist Inc. pour valoir jusqu'à la date qui déterminera celle du procès, à moins que par décision du Juge coordonnateur, il y ait lieu de suspendre ou de lever la présente ordonnance;

LE TOUT avec dépens réservés.

 

 

 

                      DENIS LÉVESQUE, j.c.s.

 

 

Me Chantal Perreault,

Me Guy Paquette,

PAQUETTE GADLER,

Procureurs du demandeur,

intimé à la requête

 

Me Guy Turner,

LANGLOIS, GAUDREAU,

Procureurs des défendeurs

Acier Leroux Inc., 3652581 Canada Inc., 3652599 Canada Inc.,

3652661 Canada Inc., Gestion Gilles Leroux Inc., Gilles D. Leroux,

Sylvain Leroux, Serge Bergeron et Catherine Frigon.

 

Me Claude Marseille,

FASKEN, MARTINEAU,

Procureurs de la défenderesse,

requérante à la requête,

Le Groupe Canam-Manac Inc.

 

Me François Aquin,

Procureur du défendeur Marcel E. Dutil

 

 

Date d’audience :

9 mai 2003.

 



[1]    [1999] C.A.I. 571 , JE 99-610 .

[2]    [1991] 3 F.C. 186 (C.A.F.).

[3]    [1992] F.C.J. no 506 (F.C.A.).

[4]    [1990] 31 C.P.R. 707 (CF)

[5]    [1993] R.D.J.  641 (C.A.) ( J.E. 93-1543 ).

[6]    Kruger c. Kruco Inc [1988] R.J.Q. 2323 (C.A.); 164461 Canada Inc. (Syndic de) [1997] R.J.Q. 529 (C.S.).

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