Décision

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Directeur des poursuites criminelles et pénales c. Castiel

2018 QCCQ 9418

COUR DU QUÉBEC

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

TERREBONNE

LOCALITÉ DE

 SAINT-JÉRÔME

« Chambre criminelle et pénale »

N° :

700-61-146046-179

 

DATE :

21 décembre 2018

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE MME CAROLINE ROY, JUGE DE PAIX MAGISTRAT

 

______________________________________________________________________

 

DIRECTEUR DES POURSUITES CRIMINELLES ET PÉNALES

Poursuivant

 

c.

 

PHILIPPE CASTIEL

Défendeur 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

 

CONTEXTE

[1]           On reproche au défendeur d’avoir exercé des activités de lobbyisme auprès d’un titulaire d’une charge publique sans être inscrit au Registre des lobbyistes du Québec, ci-après « Registre », contrevenant ainsi aux articles 25 et 61 de la Loi sur la transparence et l’éthique en matière de lobbyisme[1]; ci-après « Loi ».

QUESTION EN LITIGE

[2]           L’envoi d’un courriel le 12 février 2016 par le défendeur au directeur de l’urbanisme de la ville de Boisbriand, demandant la tenue d’un conseil municipal extraordinaire, représente-t-il une activité de lobbyisme au sens de la Loi sur la transparence et l’éthique en matière de lobbyisme?

[3]           Le cas échéant, le défendeur peut-il bénéficier de l’exemption prévue à l’article 5, 2e alinéa de la Loi?

LES FAITS

[4]           Le défendeur est ingénieur de formation et travaille comme chargé de projets pour des clients privés concernant des projets de développement.

[5]           Il est le représentant officiel désigné par la Corporation Bais Halevy, ci-après « Corporation », auprès de la ville de Boisbriand concernant le projet de prolongement de la rue Moishe.[2]

[6]           Il s’agit de la phase II d’un projet de développement résidentiel.

[7]           La Corporation est propriétaire de tous les terrains visés par le changement de zonage.

[8]           Monsieur Jean-Luc Léger est l’arpenteur-géomètre mandaté par la Corporation pour effectuer le plan de lotissement.

[9]           Monsieur Léger s’est inscrit au Registre des lobbyistes du Québec vers le 1er septembre 2015 pour la période du 1er septembre 2015 au 31 décembre 2016.[3]

[10]        Les demandes de permis de lotissement sont déposées par monsieur Léger vers la fin de l’année 2015.

[11]        Monsieur Denis Lechasseur est le directeur du service d’urbanisme de la ville de Boisbriand.

[12]        Monsieur René Lachance est le directeur général de la ville de Boisbriand.

[13]        Entre l’été 2015 et l’hiver 2016, plusieurs rencontres ont lieu entre messieurs Lechasseur, Léger et le défendeur concernant la phase II du projet de développement de la rue Moishe.

[14]        Durant la même période, plusieurs courriels sont échangés entre les intervenants de la ville de Boisbriand et le défendeur.

[15]        Le règlement concernant la modification de zonage est adopté et en vigueur à la fin de l’année 2015.

[16]        Le 12 février 2016, le défendeur envoie un courriel à monsieur Lechasseur  demandant la tenue d’un conseil municipal extraordinaire concernant le permis de lotissement.[4]

[17]        À cette date, le défendeur n’est pas inscrit au Registre.[5]

[18]        Le défendeur communique à 3 reprises avec le Commissaire au lobbyisme du Québec, ci-après « Commissaire », soit le 15 juillet, le 27 août et le 31 août 2015 afin de connaître ses obligations.[6]

[19]        Le 27 août 2015, lors du deuxième appel, des informations sont données au défendeur quant aux activités de lobbyisme. Le responsable de l’appel, monsieur Denis Labonté, indique dans le système informatique que l’inscription au Registre n’est pas requise mais lui recommande de communiquer avec le service juridique du Commissaire afin de clarifier ses obligations.[7]

[20]        Le défendeur ne communique pas avec le service juridique du Commissaire.

[21]        Il communique avec un avocat en septembre 2015.

[22]        Le défendeur a été rémunéré par la Corporation BNEI Levi pour ses services.[8]

[23]        Entre janvier 2015 et février 2016, 12 assemblées régulières et 9 assemblées spéciales ont été tenues par la ville de Boisbriand.

POSITION DE LA POURSUITE

[24]        La poursuite allègue avoir établi tous les éléments essentiels de l’infraction et que le défendeur n’a pas démontré qu’il bénéficie d’une exemption. De plus, il ne peut prétendre avoir agi avec diligence dans les circonstances.

POSITION DE LA DÉFENSE

[25]        La défense prétend que le défendeur n’a pas exercé une activité de lobbyisme. Selon la défense, les représentations faites dans le cadre d’une assemblée d’un conseil municipal n’étant pas visées par la Loi, comment la demande de tenir une assemblée pourrait-elle l’être?

LE DROIT

[26]        Les dispositions pertinentes de la Loi sont les suivantes :

2. Constituent des activités de lobbyisme au sens de la présente loi toutes les communications orales ou écrites avec un titulaire d’une charge publique en vue d’influencer ou pouvant raisonnablement être considérées, par la personne qui les initie, comme étant susceptibles d’influencer la prise de décisions relativement :

 […]

2° à l’attribution d’un permis […]

Le fait, pour un lobbyiste, de convenir pour un tiers d’une entrevue avec le titulaire d’une charge publique est assimilé à une activité de lobbyisme.

[…]

4. Sont considérés titulaires d’une charge publique aux fins de la présente loi :

[…]

5° les maires, les conseillers municipaux ou d’arrondissements, les préfets, les présidents et autres membres du conseil d’une communauté métropolitaine, ainsi que les membres de leur personnel de cabinet ou du personnel des municipalités et des organismes visés aux articles 18 ou 19 de la Loi sur le régime de retraite des élus municipaux (chapitre R-9.3).

5. La présente loi ne s’applique pas aux activités suivantes :

[…]

2° les représentations faites dans le cadre d’une commission parlementaire de l’Assemblée nationale ou dans le cadre d’une séance publique d’une municipalité ou d’un organisme municipal;

[…]

25. Nul ne peut exercer des activités de lobbyisme auprès d’un titulaire d’une charge publique s’il n’est inscrit sur le registre des lobbyistes relativement à ces activités.


 

ANALYSE

[27]        L’objet de la Loi est de rendre transparentes les activités de lobbyisme exercées auprès des titulaires de charge publiques dans les institutions parlementaires, gouvernementales et municipales.[9]

[28]        Il s’agit d’une activité règlementée. Les personnes exerçant des activités de lobbyisme auprès des personnes visées ont l’obligation de s’inscrire au Registre.

[29]        Il s’agit d’une infraction de responsabilité stricte.[10] Le poursuivant doit démontrer tous les éléments essentiels de l’infraction. Le défendeur, pour être acquitté, doit soulever un doute raisonnable quant à un des éléments essentiels de l’infraction.

[30]         Il peut également démontrer, selon la prépondérance de preuve, qu’il a agi avec diligence pour éviter de commettre les infractions reprochées.[11]

[31]        Lorsque le poursuivant a établi hors de tout doute raisonnable tous les éléments de l’infraction, le défendeur peut démontrer qu’il bénéficie d’une exemption ou d’une excuse.[12]

[32]        Les éléments essentiels de l’infraction sont :[13]

a) Exercer des activités de lobbyisme;

b) Sans être inscrit sur le Registre relativement à ses activités;

c) Auprès d’un titulaire d’une charge publique.

a)  Exercer des activités de lobbyisme

[33]        L’activité de lobbyisme est définie à l’article 2 de la Loi. Ainsi, toute communication orale ou écrite avec un titulaire d’une charge publique en vue d’influencer ou pouvant raisonnablement être considérées, par la personne qui les initie, comme étant susceptible d’influencer la prise de décisions relativement, entre autres, à l’attribution d’un permis est une activité de lobbyisme.

[34]        La jurisprudence reconnaît que l’envoi de courriels auprès d’un directeur d’une municipalité peut constituer une activité de lobbyisme.[14]

[35]        Les travaux parlementaires, lors de l’étude du projet de loi n° 80, Loi sur la transparence et l’éthique en matière de lobbyisme[15], démontrent également que le terme écrit réfère à l’ensemble des moyens de communication.[16]

[36]        Les maires, les conseillers municipaux, ainsi que les membres de leur cabinet ou du personnel d’une municipalité sont considérés comme titulaires d’une charge publique selon l’article 4 de la Loi. En l’espèce, le directeur de l’urbanisme de la ville est un titulaire d’une charge publique.

[37]        Afin de constituer une activité de lobbyisme, la communication doit être faite dans le but d’influencer ou pouvant raisonnablement être considérée, par la personne qui les initie, comme étant susceptible d’influencer la prise de décision.

[38]        Les expressions « en vue de » ou « pouvant raisonnablement être considérées » n’ajoutent pas d’élément intentionnel à l’infraction. Le législateur réfère plutôt à un critère objectif, celui de la personne raisonnable.[17]

[39]        Durant les mois précédant l’envoi du courriel litigieux, plusieurs rencontres ont lieu entre le directeur de l’urbanisme, l’arpenteur-géomètre et le défendeur. D’ailleurs une rencontre est tenue le matin même du 12 février 2016. À ce stade, le règlement sur le changement de zonage est déjà adopté.

[40]        Toutefois, le projet ne respectant pas l’échéancier prévu, le défendeur envoie au directeur du service d’urbanisme de la ville un courriel demandant la tenue d’un conseil municipal extraordinaire la semaine suivante  pour le permis de lotissement. Il écrit :

Bonjour M. Lechasseur,

Je me devais de vous faire la demande de tenir un conseil municipale extraordinaire la semaine prochaine pour le permis de lotissement. C’est une demande de la communauté dues aux délais occasionés que j’ai omis de vous mentionner ce matin.

Merci de faire suivre le message à M. Lachance et à la Mairesse puisque cette décision est la leure.

Merci de votre collaboration

Philippe Castiel

(sic)

[41]        Monsieur Lechasseur transfère le message à monsieur Lachance et lui demande de répondre au défendeur.

[42]         Le 15 février 2016, monsieur Lachance, le directeur de la ville, répond par courriel[18] au défendeur qu’ils ne pourront donner suite à sa demande, aucune séance spéciale n’étant prévue pour le moment. Il ajoute que la prochaine séance du conseil municipal est prévue pour le 1er mars 2016. Il lui rappelle qu’il reste des dossiers à régler de la phase I de la rue Moishe et lui demande d’y donner suite.

[43]        Les articles 323 et 324 de la Loi sur les cités et villes[19] prévoient que seuls le maire et dans certains cas les membres du conseil peuvent ordonner la convocation d’une séance extraordinaire du conseil.

[44]         En demandant au directeur de l’urbanisme de la ville de faire suivre sa demande à la mairesse et au directeur général de la ville, le défendeur espère que le projet sera mis à l’agenda du conseil dans les meilleurs délais.

[45]         Ainsi, il souhaite accélérer le processus d’approbation du permis de lotissement.

[46]         L’examen des courriels échangés entre les intervenants permet au Tribunal de constater que la communauté souhaite un développement rapide du projet.

[47]         D’ailleurs, dès le 27 juillet 2015, le défendeur, dans un courriel adressé à monsieur Lechasseur, fait part de son empressement quant à l’adoption du projet.[20] Il y est ainsi écrit :

[…]

L’option qui semble la plus viable est celle de passer au travers du processus de changement de zonage en mode accéléré. Je vous réitère l’importance de comprimer l’échéancier afin de maintenir engagé les différentes parties prenantes au projet de prolongement de l’avenue Moishe. La communauté souhaite ardemment qu’on s’organise pour une adoption finale du projet de règlement au début octobre 2015.

Bien que je reconnais que l’échéance est serrée, la communauté serait reconnaissante d’un effort particulier. À mon humble avis, ceci pourrait possiblement améliorer les relations entre la communauté juive et la ville.

[…]

Soyez assuré de mon engagement personnel à maintenir la cohérence au sein des parties prenantes ainsi qu’à éviter des changements de directions qui pourraient complexifier notre tache commune vers un changement de règlement de  zonage accéléré.

Je vous remercie une fois de plus pour vos efforts à rencontrer les besoins spécifiques de la communauté juive de Boisbriand

(sic) (nous soulignons)

[48]         Ce courriel et certains autres envoyés par le défendeur[21] font état du désir de la communauté à ce que le projet avance rondement et bénéficie d’un traitement particulier de la part des élus et du personnel de direction de la ville;

[49]         Dans un courriel envoyé le 30 juillet 2015 à madame Line Robert, l’adjointe de monsieur Lachance, le défendeur sollicite une rencontre avec le directeur de la ville et si nécessaire avec la mairesse afin de voir la possibilité de comprimer l’échéance du projet de changement de règlement de zonage.[22]

[50]         Considérant la nature des échanges entre le défendeur et les représentants de la ville, le directeur général, monsieur Lachance, dans deux courriels envoyés au défendeur le 31 juillet 2015 et 17 février 2016, croit utile de lui rappeler que le projet de la communauté aura le même traitement que celui réservé à d’autres projets. Dans le courriel du 31 juillet 2015, 7h36,[23]  il  écrit :

[…] Avant votre échange avec monsieur Lechasseur, ce dernier et moi avions eu une conversation sur votre demande d’accélérer le processus de changement de zonage. Nous avons convenu que nous allions respecter la procédure normale comme nous traitons l’ensemble des demandes. Il est très rare que nous utilisons le volet accéléré. […]

Par conséquent, il n’est pas nécessaire de prévoir une rencontre avec moi et/ou madame Cordato à cet effet et nous allons procéder selon l’échéancier à confirmer avec le Service de l’urbanisme. […] 

(sic)

[51]        Dans son courriel du 17 février 2016, 12h33,[24] monsieur Lachance écrit au défendeur :

[…] Soyez assuré que nous voulons assurer un développement harmonieux dans ce secteur avec les représentants de la Communauté, mais il faudra comprendre que la Communauté sera traitée avec les mêmes égards que tout autre projet dans la Ville de Boisbriand […]

[52]        Monsieur Lechasseur, le directeur du service de l’urbanisme, témoigne au même effet. Il mentionne qu’il « sentait que le défendeur insistait énormément pour faire accélérer le processus d’approbation par le conseil et même au niveau du comité d’urbanisme ». [25]

[53]         Il mentionne avoir jugé important de lui rappeler qu’il n’agissait pas en fonction de ses demandes et qu’il n’était pas responsable de l’agenda du conseil; [26]

[54]         À plusieurs reprises, un rappel est fait au défendeur par monsieur Lachance et monsieur Lechasseur qu’il a l’obligation de s’inscrire au Registre;[27]

[55]         La défense allègue que le défendeur n’était que le messager de la communauté et que les activités de lobbyistes étaient exercées par monsieur Léger. La preuve révèle plutôt que le défendeur a eu un rôle très actif dans les échanges avec le directeur de l’urbanisme et la direction de la ville;

[56]         Le Tribunal considère, en l’espèce, que la démarche du défendeur peut être raisonnablement envisagée, selon le critère objectif, comme étant susceptible d’influencer la prise de décision ou le moment où cette décision sera prise, relativement à l’octroi de permis.

b)  Auprès d’un titulaire d’une charge publique

[57]        La défense admet que monsieur Lechasseur, le destinataire du courriel envoyé par le défendeur,[28] est détenteur d’une charge publique.

c)  Sans être inscrit au Registre des lobbyistes

[58]        La poursuite a déposé en preuve le certificat relatif à l’état d’une inscription au Registre attestant que le défendeur n’est pas inscrit audit Registre à la date de l’infraction.[29] La défense admet ce fait.

[59]        La preuve révèle que l’arpenteur-géomètre impliqué dans le projet est inscrit au Registre des lobbyistes du Québec pour la période du 1er septembre 2015 au 31 décembre 2016.[30]

[60]        Toutefois, cela ne dispense pas le défendeur de son obligation d’y être également inscrit.

[61]        Le Tribunal considère que la poursuite a démontré tous les éléments essentiels de l’infraction. 

[62]        Le défendeur peut-il bénéficier d’une exception prévue à la Loi?

EXCLUSIONS DE L’APPLICATION DE LA LOI

[63]        Il est prévu au paragraphe 5(2) que la Loi ne s’applique pas aux représentations faites dans le cadre d’une séance publique d’une municipalité ou d’un organisme municipal.

[64]        Cette disposition inclut-elle la demande écrite de tenir une séance publique extraordinaire ?

[65]        Le courriel envoyé par le défendeur n’est pas public. Sa demande de tenir un conseil municipal extraordinaire afin que soit abordée la question du permis de lotissement n’est donc pas connue des citoyens de la ville.

[66]        La démarche du défendeur n’est pas celle d’un citoyen qui cherche à porter à l’attention du conseil municipal un sujet, mais plutôt celle d’un porte-parole d’une corporation qui est mandaté afin de les représenter auprès de la ville dans le cadre d’un projet de développement.

[67]        Il est mandaté par la Corporation pour agir dans ce dossier et rémunéré pour ses services.[31]

[68]        D’ailleurs, la facture envoyée à la Corporation par le défendeur indique que les services rendus sont : consultation / project management.

[69]        Le Tribunal, dans son analyse, ne doit pas isoler le courriel du 12 février 2016[32] du contexte dans lequel il est écrit et envoyé.

[70]        Ainsi, l’examen des échanges entre les représentants de la ville et le défendeur, dans les mois précédents l’envoi du courriel à l’origine de l’accusation, démontre que le projet de développement résidentiel, bien que sur les rails, ne progresse pas au rythme souhaité par la communauté.

[71]        Le courriel du 12 février 2016[33] exprime l’insatisfaction de la communauté à cet égard et vise à accélérer le processus d’approbation du permis de lotissement.

[72]        Il demande d’ailleurs que la séance extraordinaire du conseil municipal soit tenue dans un délai très rapproché, soit la semaine suivante, ce qui laisse peu de temps pour envoyer un avis public.

[73]        L’article 322 de la Loi sur les cités et villes[34] prévoit que les séances du conseil sont publiques et qu’une période est réservée pour la pose de questions aux membres du conseil par les personnes présentes.

[74]        Dans son témoignage, monsieur Lachance explique que dans un souci de transparence, les séances extraordinaires du conseil sont rarement tenues en matière d’urbanisme puisque les citoyens ne sont pas nécessairement avisés et que certaines modifications peuvent avoir un impact.

[75]        Le Tribunal croit, dans ce contexte, que la démarche du défendeur ne peut bénéficier de l’exception prévue au paragraphe 5(2) de la Loi.

[76]        Le rôle de l’élu municipal et du personnel des municipalités n’est pas de veiller aux seuls intérêts de la Corporation mais plutôt à ceux de l’ensemble des citoyens.

[77]        À ce sujet, le juge François Kouri mentionne dans la décision Directeur des poursuites criminelles et pénales c. Simard :[35]

[…] Il ne faut pas oublier qu’une personne qui se qualifie de lobbyiste au sens de la Loi peut se voir exemptée de son application si ses doléances ou ses arguments aux élus municipaux sont présentés dans le cadre d’une séance publique d’une municipalité ou d’un organisme municipal (article 5(2) de la Loi).

À cela, le Tribunal ajoute que si le législateur a pris soin d’exclure les représentations dans la cadre d’une séance publique d’une municipalité, a contrario, les communications d’influence adressées aux élus municipaux à l’extérieur de ce cadre sont donc a priori assujetties à la Loi. Le rôle de cet élu est de veiller aux intérêts de l’ensemble de son électorat et non à ceux d’un seul de ses électeurs. 

[78]        Le Tribunal considère que l’exception, dans le cas présent, doit être interprétée de façon stricte. Concernant, les dispositions d’exception dans un texte de loi, l’auteur Pierre-André Côté de l’ouvrage Interprétation des lois[36] mentionne :

1783. Les tribunaux considèrent l’uniformité du droit comme une valeur juridique importante : le fait qu’une disposition présente un caractère d’exception peut entraîner son interprétation et son application stricte. En cas de doute, le juge peut être justifié d’appliquer la règle générale plutôt que l’exception.

1784. Le juge Gonthier a donné une juste expression du principe dont il est ici question lorsqu’il a écrit que « lorsque le législateur prévoit une règle générale et énumère certaines exceptions, ces dernières doivent être considérées comme exhaustives et dès lors interprétées de façon stricte ». (Québec (Communauté urbaine) c. Corp. Notre-Dame de Bon secours, [1994] 3 R.C.S. 3,18.) On aura noté qu’il est ici question de ne pas étendre une disposition d’exception et non de l’interpréter de la façon la plus étroite possible. En effet, les motifs qui ont conduit le législateur à énoncer des règles d’exception sont aussi dignes de respect que ceux qui justifient les règles générales. Le principe est donc que les exceptions ne doivent pas être étendues : dans le doute, on doit favoriser l’application de la règle générale plutôt que celle de l’exception.

[79]        Enfin, l’objectif de transparence visé par le législateur ne serait pas atteint si le Tribunal retenait l’interprétation proposée par la défense à l’effet que l’exception prévue au paragraphe 5(2) de la Loi inclut les demandes de tenir une séance du conseil municipal.

[80]        Bien que le défendeur ait effectué certaines démarches afin de se conformer à la Loi, il ne peut prétendre en l’espèce, avoir été diligent, ce que la défense n’allègue pas non plus.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[81]        Déclare le défendeur coupable;

[82]        Condamne le défendeur à une amende de 500.00 $, ainsi qu’au frais et à la contribution;

[83]        Accorde un délai de 90 jours.

 

 

 

 

CAROLINE ROY,

JUGE DE PAIX MAGISTRAT

 

Me Marie-Noëlle Lachapelle-Fakiris

Procureure de la poursuite.

 

Me Jean El Masri

Procureur de la défense

 

 

Dates d’audience :

13 et 22  juin 2018

 



[1] T-11.011;

[2] Pièce P-17, lettre de désignation envoyée par le président de la Corporation Bais Halevy, monsieur Rabbi Elimelech Lowy, à l’attention de monsieur Lachance, directeur général de la ville de Boisbriand;

[3] Pièce D-6, extrait du Registre des lobbyistes du Québec;

[4] Pièce P-14, courriel de monsieur Castiel à monsieur Lechasseur, 12 février 2016;

[5] Pièce P-4, certificat relatif à l’état d’une inscription au Registre des lobbyistes du Québec;

[6] Pièce D-5, note de René Labonté; pièce D-8, registre d’appels Telus; pièce P-21, extrait du Registre du Commissaire au lobbyisme du Québec;

[7] Pièce P-21, précité note 6;

[8] Pièce P-9, relevé chèque du compte Bnei Foundation, au montant de 2 299.50 $ pour le paiement de la facture # 1601-35; pièce P-10, facture # 1601-35 de la compagnie LNS à Bnei Foundation au montant de 2 299.50 $;

[9] Précité note 1, art. 1;

[10] R. c. Sault Ste-Marie [1978] 2 RCS 1299;

[11] R. c. Wholesale Travel Group Inc. [1991] 3 RCS 154;

[12] C-25.1, Cpp, art. 64(2);

[13] Directeur des poursuites criminelles et pénales c. Mathieu, 2010 QCCS 1906, parag. 21;

[14] Tourigny c. Reine, 2016 QCCS 4493;

[15] Précité note 1;

[16] QUÉBEC, ASSEMBLÉE NATIONALE, Journal des débats de la Commission des finances publiques, 2e sess., 36e légis., 11 juin 2002, « Étude détaillée du projet de loi n°80 - Loi sur la transparence et l’éthique en matière de lobbyisme », 12h10, en ligne : http://www.assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/commissions/cfp-36-2/journal-debats/CFP-020611.htlm%20;

[17] Directeur des poursuites criminelles et pénales c. Mathieu, 2011 QCCQ 12594, parag. 48 à 51;

[18] Pièce D-1, courriel de monsieur Lachance à monsieur Castiel, daté du 15 février 2016;

[19] C-19;

[20] Pièce P-11, courriel de monsieur Castiel à monsieur Lechasseur, daté du 27 juillet 2015, 11h09;

[21] Pièce P-13, courriel du 2 septembre 2015 à monsieur Lechasseur; pièce D-3, courriel du 30 juillet 2015 à Line Robert; pièce D-3, courriel du 10 août 2015 à Henri-Jean Filion;

[22] Pièce D-3;

[23] Pièce D-3;

[24] Pièce P-18;

[25] Témoignage de Denis Lechasseur, 13 juin 2018, 11h37;

[26] Pièce P-15, courriel de monsieur Lechasseur à monsieur Castiel, 17 février 2016, 10h;

[27] Pièce P-16, courriel de monsieur Lachance au défendeur, 15 juillet 2015; pièce P-12, courriel de monsieur Lechasseur au défendeur, 26 août 2015; pièce P-18, courriel de monsieur Lachance au défendeur, 17 février 2016;

[28] Pièce P-14, précité note 4;

[29] Pièce P-4, précité note 5;

[30] Pièce D-6, extrait d’une consultation au Registre des lobbyistes du Québec;

[31] Pièce P-9 et P-10 précité note 8;

[32] Pièce p-14, précité note 4;

[33] Précité note 4;

[34] Précité, note 17;

[35] 2014 QCCQ 4216, parag. 74 et 75;

[36] Pierre-André Côté, Interprétation des lois, 4e éd., Montréal, Les éditions Thémis, 2009, n° 1783-1784, p. 580-581.

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