Décision

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Modèle de décision CLP - juin 2011

Ouellet et Institut de recherche en santé & sécurité

2013 QCCLP 2420

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Salaberry-de-Valleyfield

11 avril 2013

 

RĂ©gion :

Richelieu-Salaberry

 

Dossier :

473691-62C-1206

 

Dossier CSST :

138762539

 

Commissaire :

Sonia Sylvestre, juge administratif

 

Membres :

Jacques Lesage, associations d’employeurs

 

Osane Bernard, associations syndicales

 

 

Assesseur :

Jean-Marie Latreille, médecin

______________________________________________________________________

 

 

 

Annie Ouellet

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Institut de recherche en santé & sécurité

 

Partie intéressée

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 1er juin 2012, madame Annie Ouellet (la travailleuse) dĂ©pose Ă  la Commission des lĂ©sions professionnelles une requĂŞte par laquelle elle conteste une dĂ©cision de la Commission de la santĂ© et de la sĂ©curitĂ© du travail (la CSST) rendue le 7 mai 2012, Ă  la suite d’une rĂ©vision administrative.

[2]           Par cette dĂ©cision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 29 fĂ©vrier 2012 et dĂ©clare que la travailleuse n’a pas subi de lĂ©sion professionnelle le 19 dĂ©cembre 2011.

[3]           Une audience s’est tenue Ă  Salaberry-de-Valleyfield le 26 fĂ©vrier 2013 en prĂ©sence de la travailleuse, de sa reprĂ©sentante, d’une reprĂ©sentante de l'Institut de recherche en santĂ© et sĂ©curitĂ© (l’employeur) et de sa procureure.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]           La travailleuse demande au tribunal de dĂ©clarer qu’elle a subi une lĂ©sion professionnelle le 19 dĂ©cembre 2011 reliĂ©e aux risques particuliers de son emploi de technicienne de laboratoire.

LA PREUVE

[5]           La travailleuse, qui est droitière, est technicienne de laboratoire au service de l’employeur depuis 27 ans. Ă€ ce titre, elle effectue depuis 2008, l’analyse d’échantillons de tissus pulmonaires afin d’y repĂ©rer et de documenter la prĂ©sence de fibres d’amiante chez des travailleurs ayant Ă©tĂ© exposĂ©s Ă  cette composante. Au moment des Ă©vĂ©nements pertinents, elle est la seule technicienne chez l’employeur habilitĂ©e Ă  faire ces analyses.

[6]           Le travail de la travailleuse se divise en deux Ă©tapes. La première consiste Ă  prĂ©parer les Ă©chantillons de tissus pulmonaires. Ce travail s’effectue dans les locaux de l’employeur et s’exerce en grande partie en position debout. Lors de cette Ă©tape, la travailleuse effectue Ă©galement le repĂ©rage de fibres d’amiante Ă  l’aide d’un microscope optique. Elle exĂ©cute cette première Ă©tape deux jours par semaine.

[7]           Les trois autres jours de la semaine sont consacrĂ©s Ă  la seconde Ă©tape qui consiste Ă  faire le repĂ©rage de fibres d’amiantes Ă  l’aide d’un microscope Ă©lectronique Ă  transmission. Cet instrument de haute technologie n’est pas disponible chez l’employeur. En 2008, la travailleuse effectuait ses analyses avec le microscope Ă©lectronique Ă  transmission de l’UniversitĂ© McGill, selon une entente en vigueur entre cette institution et l’employeur. Depuis 2010, l’employeur a conclu une nouvelle entente et loue le microscope Ă©lectronique de l’École Polytechnique. L’horaire des disponibilitĂ©s du microscope Ă©tant moins flexible Ă  cet Ă©tablissement, la travailleuse doit effectuer des analyses pendant trois jours consĂ©cutifs, soit les mardis, mercredis et jeudis. Elle dĂ©bute Ă  7 h 30 et doit nĂ©cessairement libĂ©rer le local pour 15 h.

[8]             Le 19 dĂ©cembre 2011, la travailleuse produit une rĂ©clamation Ă  la CSST dans laquelle elle Ă©crit ce qui suit :

Après mes séances de travail en microscopie électronique et en microscopie optique je ressens des douleurs aux épaules qui se manifeste aussi dans mes bras. J’ai décidé de consulter mon médecin car je ne suis plus capable de récupérer de cette fatigue musculaire même après des répits de fin de semaine. [sic]

 

[9]           Au soutien de cette rĂ©clamation, la travailleuse produit un rapport mĂ©dical du 19 dĂ©cembre 2011 de la docteure Talbot qui diagnostique un spasme au trapèze gauche secondaire Ă  une position prolongĂ©e au microscope. Elle recommande une Ă©valuation du poste de travail et prescrit des traitements de physiothĂ©rapie et une mĂ©dication, sans arrĂŞt de travail. Sur la prescription de traitements de physiothĂ©rapie, elle note qu’il y a des douleurs cervicales et aux deux Ă©paules, secondaires Ă  une position de travail prolongĂ©e. Elle recommande Ă©galement des restrictions temporaires au travail, notamment d’éviter de garder la mĂŞme posture plus d’une heure de mĂŞme que d’éviter la posture statique tĂŞte penchĂ©e.

[10]        Le 31 janvier 2012, la travailleuse consulte le docteur Baril qui ajoute le diagnostic de tendinite Ă  l’épaule (sans plus de prĂ©cision) Ă  celui de spasme des trapèzes. Le 1er mars 2012, celui-ci prĂ©cise le diagnostic de tendinite Ă  l’épaule gauche, rĂ©itère celui de spasme des trapèzes et dirige la travailleuse pour une consultation en ergothĂ©rapie et en physiatrie. Il recommande alors un arrĂŞt de travail complet. Le 22 mars 2012, le docteur Baril reprend le diagnostic de tendinite Ă  l’épaule gauche et maintient l’arrĂŞt de travail.

[11]        Le 13 avril 2012, la travailleuse consulte le docteur Benhaim, physiatre, Ă  la demande de son mĂ©decin. Ă€ la note de consultation adressĂ©e au docteur Baril, celui-ci indique qu’à titre de technicienne de laboratoire, la travailleuse passe des nombreux jours sur un microscope avec une position en flexion du cou et abduction complète des deux Ă©paules. Suivant son examen physique, le docteur Benhaim retient le diagnostic de capsulite adhĂ©sive glĂ©no-humĂ©rale gauche surajoutĂ©e Ă  une tendinopathie de la coiffe des rotateurs sous-jacente. ConsidĂ©rant la prĂ©sence de limitation articulaire, de douleurs persistantes ainsi que l’atteinte d’un plateau malgrĂ© les traitements de physiothĂ©rapie et d’ergothĂ©rapie, il recommande de procĂ©der Ă  des arthro-distensions glĂ©no-humĂ©rales cortisonnĂ©es sous fluoroscopie, de mĂŞme que la poursuite de physiothĂ©rapie agressive en vue de maintenir les amplitudes. Un arrĂŞt de travail jusqu’à l’ajustement du poste de travail et la rĂ©solution des symptĂ´mes est aussi recommandĂ©.

[12]        Une Ă©chographie de l’épaule gauche, rĂ©alisĂ©e le 4 mai 2012, dĂ©montre un processus compatible avec le diagnostic de capsulite. Il n’y a pas de dĂ©chirure ni de dĂ©pĂ´t calcaire notĂ©.

[13]          Ă€ ses notes cliniques du 26 juin 2012, le docteur Benhaim Ă©crit que la travailleuse va beaucoup mieux et qu’il y a une amĂ©lioration de 75 % avec l’infiltration et les traitements de physiothĂ©rapie. Il prĂ©voit un retour au travail progressif. Ă€ son rapport mĂ©dical du 27 novembre 2012, il reprend le diagnostic de capsulite adhĂ©sive de l’épaule gauche avec Ă©volution favorable et consolidation probable en fĂ©vrier. Ă€ ses notes cliniques, il prĂ©cise que la travailleuse a repris un travail Ă  temps plein Ă  un nouveau poste n’impliquant pas l’utilisation d’un microscope Ă©lectronique. Le 15 fĂ©vrier 2013, il produit un rapport mĂ©dical final Ă©tablissant Ă  cette date la consolidation de la lĂ©sion professionnelle, avec un dĂ©ficit anatomo-physiologique, Ă©tant donnĂ© la limitation de mouvement, mais sans limitations fonctionnelles. Aucun rapport d'Ă©valuation mĂ©dicale n’est toutefois produit le jour de l’audience.

[14]          En tĂ©moignage, la travailleuse explique que peu de temps après le dĂ©but de l’utilisation du microscope Ă©lectronique Ă  l’École Polytechnique, elle commence Ă  ressentir une fatigue au niveau des Ă©paules en fin de journĂ©e, plus marquĂ©e les mercredis et jeudis et que ces malaises disparaissent après la fin de semaine. Toutefois, Ă  compter de novembre 2011, une douleur localisĂ©e Ă  la face antĂ©rieure de l’épaule gauche irradiant au niveau cervical puis entre les omoplates, se fait de plus en plus constante au point oĂą la travailleuse n’arrive plus Ă  rĂ©cupĂ©rer, malgrĂ© le rĂ©pit de quatre jours oĂą elle n’est pas affectĂ©e au microscope Ă©lectronique. Le jeudi 15 dĂ©cembre 2011, les douleurs sont importantes et ne diminuent pas pendant le week-end, ce qui l’amène Ă  consulter le lundi 19 dĂ©cembre 2011. Elle confirme ne pas avoir d’antĂ©cĂ©dents mĂ©dicaux au niveau des Ă©paules.

[15]          La travailleuse ne fait pas mention de ses malaises comme tels Ă  son employeur, mais prĂ©cise qu’en janvier 2011, elle avait abordĂ© son supĂ©rieur pour lui suggĂ©rer de former une autre technicienne afin qu’elle puisse faire une rotation avec celle-ci en ce qui a trait Ă  l’utilisation du microscope Ă©lectronique. Toutefois, elle a souvent fait Ă©tat de sa condition douloureuse Ă  monsieur Jean-Philippe Masse, qui est notamment le responsable de l’utilisation du microscope Ă©lectronique Ă  l’École Polytechnique.

[16]          Ce dernier tĂ©moigne Ă  l’audience et confirme que la travailleuse s’est souvent plainte Ă  lui de maux occasionnĂ©s par l’utilisation du microscope Ă©lectronique. Elle a mĂŞme parfois refusĂ© son offre de faire plus d’heures, allĂ©guant ses douleurs. Lui-mĂŞme utilise ce microscope tous les jours et confirme que sur une longue pĂ©riode en position statique, la tĂŞte penchĂ©e sur le hublot en mode observation, cela lui crĂ©e des douleurs au cou et moins intensĂ©ment aux Ă©paules. Cela ne l’a toutefois pas amenĂ© Ă  consulter un mĂ©decin. Suivant une analyse ergonomique, le poste a quelque peu Ă©tĂ© modifiĂ©, mais cela rend l’opĂ©ration de l’appareil moins efficace.

[17]          Ce n’est que le 4 janvier 2012 que la travailleuse avise son employeur de son Ă©tat de santĂ© en complĂ©tant le registre des accidents, mĂŞme s’il n’y a pas d’arrĂŞt de travail. Ă€ compter de cette date, elle n’effectue presque plus d’analyse sur le microscope Ă©lectronique et assure la formation d’une autre personne pour effectuer ces tâches. Elle cesse de travailler en mars 2012 sur les recommandations de sa physiothĂ©rapeute et retourne progressivement au travail en aoĂ»t 2012, puis Ă  temps plein Ă  l’automne 2012, mais n’a plus Ă  effectuer des analyses Ă  l’aide du microscope Ă©lectronique de l’École Polytechnique.

[18]        La travailleuse explique en dĂ©tail, photographies Ă  l’appui, les tâches rĂ©alisĂ©es de mĂŞme que les postures exigĂ©es lorsqu’elle utilise le microscope Ă©lectronique de l’École Polytechnique. Elle prĂ©cise bĂ©nĂ©ficier d’une pause de 15 minutes en avant-midi et de 30 minutes pour le dĂ®ner.

[19]        En ce qui a trait Ă  la configuration du poste de travail, se trouve au centre de la table de travail le corps du microscope muni d’un hublot dans lequel la travailleuse, qui est assise devant, regarde dĂ©filer les images sur un Ă©cran. La boĂ®te de contrĂ´le avec bouton pressoir (contrĂ´leur), qui permet Ă  la travailleuse de rĂ©gler la vitesse de balayage ou d’arrĂŞter l’image, est placĂ©e devant le hublot. De chaque cĂ´tĂ© du hublot sont disposĂ©es, en angle, des consoles surĂ©levĂ©es sur lesquelles se trouvent diverses commandes. Ă€ l’extrĂŞme gauche de la table de travail se trouve un ordinateur qui transmet les donnĂ©es relatives au microscope que la travailleuse n’a pas Ă  utiliser comme tel. Deux autres Ă©crans, avec un clavier et une souris, se trouvent Ă  l’extrĂŞme droite de la table de travail. C’est le poste informatique utilisĂ© par la travailleuse. Il y a un espace pour mettre les jambes au centre de la table de travail seulement, devant le hublot.

[20]        Ă€ son arrivĂ©e, la travailleuse procède Ă  certaines vĂ©rifications d’usage du microscope et y introduit de l’azote liquide. Cela se fait gĂ©nĂ©ralement debout et prend environ cinq minutes. Elle doit attendre par la suite une vingtaine de minutes lors de laquelle elle en profite pour mettre en marche les autres ordinateurs, dĂ©marrer les logiciels et ajuster sa chaise de travail. Elle prĂ©cise que depuis avril 2011, elle utilise une chaise ergonomique ajustable, mais qu’elle ne peut la rĂ©gler Ă  la hauteur souhaitable, Ă©tant limitĂ©e par le long rebord de la table de travail.

[21]        Par la suite, la travailleuse ferme les lumières du local afin que la seule source lumineuse provienne du hublot. Elle introduit un Ă©chantillon dans le microscope et procède Ă  la mise au point en regardant dans le hublot et en rĂ©glant l’image Ă  l’aide des commandes situĂ©es sur les consoles de chaque cĂ´tĂ©. Elle est alors assise, le dos lĂ©gèrement flĂ©chi vers l’avant, avec les avant-bras appuyĂ©s sur le rebord de la table de travail. Selon les photographies, il y a alors abduction des Ă©paules Ă  environ 45°. Le cou est dans le mĂŞme axe que la colonne dorsale ou en lĂ©gère flexion antĂ©rieure. Cette mise au point prend environ six Ă  sept minutes.

[22]        La mise au point terminĂ©e, la travailleuse dĂ©bute la tâche du repĂ©rage visuel de fibres d’amiante en regardant les images dĂ©filant dans le hublot. Il s’agit de la majeure partie de sa tâche. La travailleuse, qui est assise, doit garder la tĂŞte en position statique devant le hublot tout en restant concentrĂ©e sur l’image. Elle contrĂ´le les dĂ©placements et la vitesse de l’image Ă  l’aide du contrĂ´leur qu’elle manie avec ses deux mains. Selon les photographies dĂ©posĂ©es en preuve, son dos est flĂ©chi vers l’avant et le thorax appuyĂ© sur la table de travail. Son cou est dans le mĂŞme axe que la colonne dorsale ou parfois en lĂ©gère flexion. Les mains sont jointes sur le contrĂ´leur avec les avant-bras et coudes en appui de chaque cĂ´tĂ© d’elle sur la table de travail. L’abduction des Ă©paules est estimĂ©e Ă  environ 70° Ă©tant donnĂ© la hauteur de la table de travail.

[23]        La travailleuse peut analyser deux Ă©chantillons par jour. Chaque Ă©chantillon est divisĂ© en 100 petites ouvertures. Au moment des Ă©vĂ©nements pertinents, la travailleuse procède au repĂ©rage de fibres d’amiante de 40 Ă  60 ouvertures par Ă©chantillon, alors qu’initialement, en 2008, elle pouvait ĂŞtre appelĂ©e Ă  n’en analyser qu’une dizaine. Ă€ compter de 2011, l’employeur lui a demandĂ© de procĂ©der Ă  l’analyse d’un plus grand nombre d’ouvertures, compte tenu du rattrapage Ă  faire. La travailleuse explique que plus elle doit analyser d’ouvertures, plus le balayage visuel s’exerce Ă  grande vitesse et plus elle doit demeurer concentrĂ©e et garder une position statique.

[24]        Lorsqu’une fibre d’amiante est repĂ©rĂ©e, la travailleuse doit la photographier, l’analyser, la mesurer et l’identifier. Elle entre par la suite les donnĂ©es recueillies au poste informatique situĂ© Ă  sa droite. Pour ce faire, elle demeure assise face au hublot, fait une torsion du tronc vers la droite et s’étire les bras pour atteindre le clavier et la souris. Ă€ une question de la procureure de l’employeur, la travailleuse prĂ©cise ne pas se dĂ©placer avec sa chaise sur roulettes face au poste informatique, car cela engendre une perte de temps, et de plus, elle ne peut s’asseoir confortablement face au poste informatique, puisqu’il n’y a pas d’espace sous la table pour ses jambes.

[25]        Selon la photographie correspondant Ă  la tâche d’entrĂ©e de donnĂ©es, le bras gauche de la travailleuse est en flexion antĂ©rieure, près de la hauteur des Ă©paules, sans appui. L’entrĂ©e de donnĂ©es prend de deux Ă  trois minutes. Par la suite, la travailleuse revient au hublot et doit procĂ©der Ă  une nouvelle mise au point Ă  l’aide des boutons sur les consoles, avant de reprendre le repĂ©rage d’autres fibres. 

[26]        Le nombre de fibres d’amiante repĂ©rĂ©es dans un Ă©chantillon peut varier de 15 Ă  90. Chaque dĂ©tection de fibres d’amiante implique une entrĂ©e de donnĂ©es au poste informatique. En revanche, un Ă©chantillon ayant un faible taux de fibres d’amiante nĂ©cessite le maintien d’une posture statique de la tĂŞte, le maniement du contrĂ´leur de manière importante et une concentration soutenue alors que les yeux de la travailleuse doivent demeurer braquĂ©s sur le hublot oĂą dĂ©filent parfois rapidement les images. Puisqu’elle doit maintenir un contact visuel avec l’écran et un niveau de concentration Ă©levĂ©, la travailleuse prĂ©cise qu’elle ne peut se permettre de faire des micros pauses.

[27]        La travailleuse explique que c’est surtout lorsqu’elle a Ă  manier le contrĂ´leur et demeurer la tĂŞte et les Ă©paules en position statique qu’elle ressent plus de douleurs. Elle prĂ©cise utiliser davantage son bras droit dans le cadre de ses tâches, notamment pour manipuler la souris d’ordinateur.

[28]        Tel que recommandĂ© par le mĂ©decin de la travailleuse, une Ă©valuation du poste de travail au microscope Ă©lectronique Ă  l’École Polytechnique a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©e le 1er fĂ©vrier 2012. Les conclusions prĂ©liminaires ont Ă©tĂ© rapportĂ©es dans un courriel acheminĂ© Ă  l’employeur le 8 fĂ©vrier 2012 par madame Monique Martin. Il n’est toutefois pas prĂ©cisĂ© si celle-ci est ergonome. Il est mentionnĂ© dans ce courriel que le rapport officiel sera transmis ultĂ©rieurement, mais celui-ci n’a pas Ă©tĂ© dĂ©posĂ© en preuve.

[29]        Dans ce sommaire, madame Martin indique que la travailleuse est au microscope pendant six heures et demie Ă  sept heures afin d’analyser 40 Ă  60 carrĂ©s (ouvertures) par jour, prĂ©cisant que la productivitĂ© est un Ă©lĂ©ment incontournable dans la problĂ©matique Ă©tant donnĂ© les frais inhĂ©rents Ă  la location du microscope. Madame Martin note que la conception du microscope entraĂ®ne la nĂ©cessitĂ© pour la travailleuse d’adopter les postures suivantes :

            -  Une flexion marquée du haut du dos et du cou pour regarder dans l’écran de       l’appareil (le hublot) car il faut nécessairement que la travailleuse s’approche de    l’écran pour être en mesure de voir les fibres d’amiante;

            -  Une abduction bilatérale des épaules pour rejoindre la souris et les appareils     sur la table de travail en raison de la hauteur de celle-ci. Elle précise que la   conception du microscope ne permet pas à la travailleuse de hausser son            fauteuil pour réduire les contraintes.

[30]        En conclusion, elle Ă©crit Â« Madame Ouellet rapporte des douleurs bilatĂ©rales aux trapèzes, de mĂŞme qu’au membre supĂ©rieur gauche, compatibles avec la rĂ©gion sollicitĂ©e dans son travail. Â». Ă€ titre de recommandation, elle suggère que la visualisation s’exerce Ă  mĂŞme un Ă©cran standard d’ordinateur plutĂ´t que dans le hublot  et d’intĂ©grer une table ajustable au poste de travail. Elle prĂ©cise que lors d’analyses plus poussĂ©es oĂą la travailleuse n’aura d’autre choix que de s’installer au poste standard, celle-ci devra s’accorder des micros pauses rĂ©gulièrement (15 secondes d’étirement Ă  toutes les 15 minutes).

[31]        Lors de son argumentation, la reprĂ©sentante de la travailleuse a dĂ©posĂ© de la documentation traitant des facteurs de risques associĂ©s au dĂ©veloppement de lĂ©sions musculo-squelettiques qu’il y a lieu de rapporter Ă  titre de preuve pertinente.

[32]        Le premier document est un extrait de l’ouvrage intitulĂ© Guide pour le diagnostic des lĂ©sions musculo-squelettiques attribuables au travail rĂ©pĂ©titif - Les tendinites de l’épaule[1]. Dans cet ouvrage, il est indiquĂ© que les facteurs Ă  considĂ©rer dans l’étiologie des atteintes tendineuses de l’épaule sont : les facteurs individuels (l’âge, le sexe, le vieillissement, la condition physique, les antĂ©cĂ©dents mĂ©dicaux), les facteurs biomĂ©caniques (la force, la rĂ©pĂ©titivitĂ© et les postures) et les facteurs organisationnels (la cadence, et le rythme de travail).

[33]        En ce qui a trait aux postures, on y prĂ©cise que des postures statiques maintenues de façon prolongĂ©e ou des postures associĂ©es Ă  des mouvements exĂ©cutĂ©s de façon rapide et continuelle constituent des facteurs de risque dans le dĂ©veloppement de lĂ©sions au cou, Ă  la rĂ©gion cervico-scapaulaire, aux Ă©paules, aux poignets et aux mains. Il est notĂ© que « L’évidence est encore plus forte si ce facteur est combinĂ© aux deux autres facteurs biomĂ©caniques Â» en l’occurrence la force et la rĂ©pĂ©titivitĂ©.

[34]        En ce qui a trait plus particulièrement aux facteurs de risque de dĂ©velopper une lĂ©sion Ă  l’épaule, il est prĂ©cisĂ© que le travail musculaire statique fixe l’épaule en position de fonction, ce qui permet l’exĂ©cution d’un travail dynamique avec la main. Les postures contraignantes maintenues de manière prolongĂ©e, les bras en Ă©lĂ©vation et en abduction, avec manutention rĂ©pĂ©titive de poids, constituent Ă©galement un risque Ă©levĂ© de dĂ©velopper des tendinites.

[35]        Dans un article intitulĂ© Savez-vous repĂ©rer les facteurs de risques?[2], l’auteure traite principalement des postures statiques Ă  titre de facteurs de risque, prĂ©cisant que ces postures exigent une force musculaire continue. Elle Ă©crit notamment :

La rigiditĂ© posturale imposĂ©e dans de nombreux postes (ex. : microscopie, Ă©chographie, hygiène dentaire) constitue un problème important. Ces problèmes affectent souvent les muscles de la ceinture scapulaire (cou, Ă©paules, haut du dos) qui sont contractĂ©s pour stabiliser les membres supĂ©rieurs et permettre la prĂ©cision des gestes effectuĂ©s avec la main.

 

[nos soulignements]

 

 

[36]        L’auteure rapporte que des Ă©tudes dĂ©montrent que le maintien des bras allongĂ©s vers l’avant, Ă  la hauteur des Ă©paules, requiert 20 % de l’activitĂ© maximale des muscles des Ă©paules. Elle note qu’une Ă©tude chez les secrĂ©taires a rĂ©vĂ©lĂ© une diffĂ©rence importante lorsque la table du clavier est trop haute et rĂ©fère Ă  une illustration Ă  titre d’explication. Selon cette illustration, une table de travail trop haute peut engendrer une Ă©lĂ©vation des Ă©paules, ce qui sollicite de 20 % les trapèzes et/ou une abduction des bras, ce qui les sollicite Ă  raison de 9 %.

[37]        Le tribunal remarque que selon l’illustration en question (figure 7), les avant-bras du personnage ne sont toutefois pas en appui.

[38]        Le troisième document dĂ©posĂ© est une fiche laboratoire intitulĂ©e Travail au microscope produit par l’ASSTSA[3]. On y dĂ©crit les postures ergonomiques Ă  adopter et prĂ©cise qu’il est recommandĂ© d’alterner toutes les heures, le travail statique avec des tâches dynamiques, de varier les postures assise et debout, de faire des pauses courtes et frĂ©quentes, d’adopter un rythme de travail raisonnable et rĂ©gulier, de faire des exercices d’étirement et de regarder au loin frĂ©quemment pour reposer les yeux. En ce qui a trait aux postures ergonomiques Ă  adopter, il appert des illustrations qu’elles s’appliquent plus spĂ©cifiquement Ă  un poste de travail au microscope optique, ce qui diffère quelque peu des positions adoptĂ©es par la travailleuse lors de l’utilisation d’un microscope Ă©lectronique.

L’ARGUMENTATION DES PARTIES

[39]        La reprĂ©sentante de la travailleuse allègue que le travail effectuĂ© par la travailleuse sollicite de manière constante les Ă©paules et le cou, compte tenu des positions statiques prolongĂ©es Ă  ces niveaux et sur une pĂ©riode prolongĂ©e d’environ cinq, six heures par jour, trois jours consĂ©cutifs par semaine, ce qui constitue des facteurs de risque Ă  dĂ©velopper une tendinite Ă  l’épaule. Elle prĂ©cise qu’avant d’utiliser le microscope Ă©lectronique de l’École Polytechnique, la travailleuse n’avait aucun problème musculo-squelettique. De plus, Ă  compter de 2011, il y a eu un accroissement considĂ©rable d’ouvertures Ă  analyser par la travailleuse, ce qui a nĂ©cessitĂ© de sa part des positions statiques davantage soutenues avec une concentration Ă©levĂ©e. Se rĂ©fĂ©rant Ă  la documentation soumise et Ă  l’étude au dossier, elle plaide que le poste de travail Ă©tait manifestement mal adaptĂ© et non ergonomique, ce qui a engendrĂ© une tendinite au niveau de l’épaule gauche. Elle soumet de la jurisprudence au soutien de ses prĂ©tentions.

[40]        En ce qui a trait au diagnostic de spasme aux trapèzes, la reprĂ©sentante prĂ©cise qu’aucune conclusion n’est recherchĂ©e en regard de ce diagnostic et que la rĂ©clamation de la travailleuse vise essentiellement Ă  faire reconnaĂ®tre sa tendinite Ă  l’épaule gauche Ă  titre de lĂ©sion professionnelle.

[41]        La reprĂ©sentante de l’employeur soumet pour sa part que la travailleuse ne peut bĂ©nĂ©ficier de la prĂ©somption de lĂ©sion professionnelle puisque la preuve ne dĂ©montre pas l’exercice de mouvements rĂ©pĂ©titifs de l’épaule gauche. Par ailleurs, il n’y a aucune preuve que cette lĂ©sion soit caractĂ©ristique du travail de technicienne en laboratoire. Quant aux risques particuliers du travail, elle allègue qu’outre le maintien d’une posture statique, aucun autre facteur de risque tel que la rĂ©pĂ©titivitĂ© ou contrainte de force ou d’effort n’y est associĂ©. Elle soutient qu’il y a donc absence de mouvements contraignants de l’épaule gauche. Elle soulève qu’aucune preuve mĂ©dicale prĂ©pondĂ©rante n’a Ă©tĂ© faite pour Ă©tablir une relation mĂ©dicale entre le travail exercĂ© et les lĂ©sions diagnostiquĂ©es. Ni le mĂ©decin traitant, ni le docteur Benhaim n’expliquent en quoi au niveau physiologique, les gestes effectuĂ©s par la travailleuse dans son travail sont de nature Ă  causer les lĂ©sions diagnostiquĂ©es.

 

L’AVIS DES MEMBRES

[42]        ConformĂ©ment Ă  l’article 429.50 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[4] (la loi), la soussignĂ©e a obtenu l’avis motivĂ© des membres ayant siĂ©gĂ© avec elle dans la prĂ©sente affaire.

[43]        Tant le membre issu des associations d’employeurs que le membre issu des associations syndicales tiennent Ă  ce que soit prĂ©cisĂ© dans leur avis que compte tenu de la nature particulière de ce dossier, un accord en conciliation sur l’admissibilitĂ© aurait Ă©tĂ© souhaitable.

[44]        Ceci Ă©tant dit, le membre issu des associations d’employeurs est d’avis de rejeter la requĂŞte de la travailleuse. Étant donnĂ© les diagnostics non contestĂ©s et liants, il est d’avis qu’aucune preuve mĂ©dicale prĂ©pondĂ©rante ne dĂ©montre que les postures adoptĂ©es par la travailleuse et les exigences de son travail constituent des risques Ă  dĂ©velopper une tendinite de l’épaule gauche et un spasme aux trapèzes.

[45]        Le membre issu des associations est d’avis d’accueillir la requĂŞte de la travailleuse. Selon elle, le travail exercĂ© par la travailleuse prĂ©sente des risques particuliers Ă  dĂ©velopper les lĂ©sions diagnostiquĂ©es et satisfait aux conditions Ă©dictĂ©es Ă  l’article 30 de la loi. Les positions statiques prolongĂ©es de flexion du cou et des Ă©paules en abduction constituent des positions non ergonomiques et l’étude au dossier dĂ©montre que les sites lĂ©sĂ©s sont compatibles avec les rĂ©gions anatomiques sollicitĂ©es au travail.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[46]        La Commission des lĂ©sions professionnelles doit dĂ©terminer si la travailleuse a subi une lĂ©sion professionnelle le 19 dĂ©cembre 2011. Ă€ ce titre, le tribunal entend d’analyser l’existence d’une lĂ©sion professionnelle en regard des deux diagnostics initialement posĂ©s par le mĂ©decin traitant, malgrĂ© qu’aucune conclusion ne soit recherchĂ©e quant au diagnostic de spasme aux trapèze, puisque la documentation dĂ©posĂ©e en preuve en traite.

[47]        La notion de lĂ©sion professionnelle se dĂ©finit comme suit :

2. Dans la prĂ©sente loi, Ă  moins que le contexte n'indique un sens diffĂ©rent, on entend par :

 

« lĂ©sion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou Ă  l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la rĂ©cidive, la rechute ou l'aggravation;

__________

1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.

 

 

[48]        En l’instance, il y a lieu d’analyser l’existence d’une lĂ©sion professionnelle sous l’angle de la maladie professionnelle puisque la travailleuse n’allègue pas la survenance d’un Ă©vĂ©nement particulier ni une rĂ©cidive, rechute ou aggravation d’une lĂ©sion professionnelle antĂ©rieurement reconnue.

[49]        La dĂ©finition de maladie professionnelle se lit comme suit :

2. Dans la prĂ©sente loi, Ă  moins que le contexte n'indique un sens diffĂ©rent, on entend par :

 

« maladie professionnelle » : une maladie contractĂ©e par le fait ou Ă  l'occasion du travail et qui est caractĂ©ristique de ce travail ou reliĂ©e directement aux risques particuliers de ce travail;

__________

1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.

 

 

[50]        En cette matière, les dispositions lĂ©gislatives pertinentes sont les suivantes :

29.  Les maladies Ă©numĂ©rĂ©es dans l'annexe I sont caractĂ©ristiques du travail correspondant Ă  chacune de ces maladies d'après cette annexe et sont reliĂ©es directement aux risques particuliers de ce travail.

 

Le travailleur atteint d'une maladie visée dans cette annexe est présumé atteint d'une maladie professionnelle s'il a exercé un travail correspondant à cette maladie d'après l'annexe.

__________

1985, c. 6, a. 29.

 

 

ANNEXE I

 

MALADIES PROFESSIONNELLES

(Article 29)

 

SECTION IV

 

MALADIES CAUSÉES PAR DES AGENTS PHYSIQUES

 

MALADIES

GENRES DE TRAVAIL

[…]

 

2.         LĂ©sion musculo-squelettique se manifestant par des signes objectifs (bursite, tendinite, tĂ©nosynovite):[…]

 

un travail impliquant des répétitions de mouvements ou de pressions sur des périodes de temps prolongées;

__________

1985, c. 6, annexe I.

 

30.  Le travailleur atteint d'une maladie non prĂ©vue par l'annexe I, contractĂ©e par le fait ou Ă  l'occasion du travail et qui ne rĂ©sulte pas d'un accident du travail ni d'une blessure ou d'une maladie causĂ©e par un tel accident est considĂ©rĂ© atteint d'une maladie professionnelle s'il dĂ©montre Ă  la Commission que sa maladie est caractĂ©ristique d'un travail qu'il a exercĂ© ou qu'elle est reliĂ©e directement aux risques particuliers de ce travail.

__________

1985, c. 6, a. 30.

 

 

[51]        Le tribunal est d’avis que la travailleuse ne peut bĂ©nĂ©ficier de la prĂ©somption de maladie professionnelle Ă©dictĂ©e Ă  l’article 29 de la loi bien que le diagnostic de tendinite soit visĂ© Ă  l’annexe I. Le travail de technicienne de laboratoire, tel que dĂ©crit par la travailleuse, ne satisfait pas au critère de « rĂ©pĂ©tition de mouvements Â» prĂ©vu Ă  cette annexe. Au contraire, c’est plutĂ´t l’absence d’une variĂ©tĂ© de mouvements et une posture statique prolongĂ©e au niveau de l’épaule gauche qui sont invoquĂ©es en l’instance. Quant au diagnostic de spasme des trapèzes, il n’est pas visĂ© par l’annexe I.

[52]        Il y a donc lieu de baser l’analyse de l’existence d’une maladie professionnelle en regard des critères Ă©tablis Ă  l’article 30 de la loi.

[53]        La travailleuse n’a soumis aucune preuve, de nature Ă©pidĂ©miologique ou autre, Ă©tablissant l’existence d’une relation probante entre le travail de technicienne de laboratoire et le dĂ©veloppement d’une tendinite Ă  l’épaule et d’un spasme aux trapèzes. La documentation soumise ne saurait constituer une preuve de cette nature qui revĂŞt une valeur probante prĂ©pondĂ©rante. Dès lors, il n’y a aucune preuve soutenant que les lĂ©sions diagnostiquĂ©es sont caractĂ©ristiques du travail exercĂ© par la travailleuse. 

[54]        Reste maintenant Ă  dĂ©terminer si la tendinite Ă  l’épaule gauche et le spasme aux trapèzes initialement diagnostiquĂ©s sont reliĂ©s aux risques particuliers du travail exercĂ© par la travailleuse.

[55]        Pour ce faire, le tribunal doit vĂ©rifier si la preuve prĂ©pondĂ©rante permet d’identifier les risques que comporte le travail occupĂ© par la travailleuse de mĂŞme qu’un lien de cause Ă  effet entre ceux-ci et les lĂ©sions diagnostiquĂ©es.

[56]        Relativement aux facteurs de risque, la travailleuse allègue que le poste au microscope Ă©lectronique Ă©tait mal adaptĂ© et impliquait une posture statique soutenue des Ă©paules en abduction Ă  plus de 60° avec une contracture du cou pendant environ six heures et demie par jour, trois jours consĂ©cutifs par semaine.

[57]        Le tribunal estime que cette prĂ©tention doit ĂŞtre nuancĂ©e en ce qui a trait Ă  la durĂ©e des positions statiques prolongĂ©es. La pĂ©riode oĂą la travailleuse procède au repĂ©rage de fibres en regardant fixement dans le hublot du microscope est interrompue chaque fois qu’une fibre est dĂ©tectĂ©e. En effet, le repĂ©rage d’une fibre implique que la travailleuse se tourne vers la droite afin d’entrer des donnĂ©es Ă  son poste informatique pour environ deux Ă  trois minutes. La frĂ©quence de ces interruptions peut certes varier d’une journĂ©e Ă  l’autre, mais il s’agit d’un Ă©lĂ©ment qui doit ĂŞtre considĂ©rĂ©. On ne peut affirmer que la travailleuse adopte des postures statiques pendant six heures et demie consĂ©cutives.

[58]        NĂ©anmoins, il appert clairement que le maintien de postures statiques est requis pour une part importante du temps de travail de la travailleuse. Nonobstant cela, la Commission des lĂ©sions professionnelles estime que la preuve ne dĂ©montre pas, de manière prĂ©pondĂ©rante, que les postures statiques adoptĂ©es par la travailleuse de manière importante constituent des facteurs de risque Ă  dĂ©velopper les lĂ©sions diagnostiquĂ©es.

[59]        MalgrĂ© une preuve testimoniale crĂ©dible et le dĂ©pĂ´t de documentation en la matière, la preuve mĂ©dicale au soutien des prĂ©tentions de la travailleuse est dĂ©ficiente.

[60]        La docteure Talbot note que la condition de la travailleuse est secondaire Ă  la posture prolongĂ©e au microscope et recommande une Ă©valuation du poste. Elle ne donne toutefois aucune prĂ©cision sur les postures dĂ©lĂ©tères visĂ©es ni d’explication sur la relation entre ces postures et le dĂ©veloppement d’une tendinite Ă  l’épaule gauche (alors que la travailleuse est droitière) ou d’un spasme aux trapèzes. 

[61]        Le docteur Benhaim, quant Ă  lui, ne se prononce aucunement sur la relation entre les postures adoptĂ©es par la travailleuse et les lĂ©sions diagnostiquĂ©es. Il note que la travailleuse passe de nombreux jours dans une position en flexion du cou, sans toutefois expliquer en quoi une flexion prolongĂ©e au niveau cervical est de nature Ă  causer les lĂ©sions diagnostiquĂ©es. En ce qui a trait aux Ă©paules, il rapporte que la travailleuse travaille en position d’abduction complète des deux Ă©paules, en omettant  de prĂ©ciser que ce faisant, les deux avant-bras de la travailleuse sont constamment en appui. De l’avis du tribunal, il s’agit d’un Ă©lĂ©ment important Ă  considĂ©rer dans le prĂ©sent dossier afin d’émettre une opinion conforme aux faits mis en preuve.

[62]        Quant Ă  l’évaluation ergonomique rĂ©alisĂ©e par madame Martin, le tribunal ne dispose pas du rapport final dĂ©taillĂ©, mais uniquement d’un sommaire rapportĂ© dans un courriel. Dans ce sommaire, madame Martin souligne que la travailleuse doit faire une flexion marquĂ©e du dos et du cou pour regarder dans le hublot. Les photographies dĂ©posĂ©es en preuve dĂ©montrent effectivement qu’une flexion Ă  ces niveaux est nĂ©cessaire, mais le tribunal ne peut la qualifier de marquĂ©e. Madame Martel note Ă©galement qu’il y a abduction bilatĂ©rale des Ă©paules, sans prĂ©ciser que les membres supĂ©rieurs sont en appui comme le rĂ©vèle la preuve. Elle conclut que la travailleuse ressent des douleurs au membre supĂ©rieur gauche et aux trapèzes, compatibles avec la rĂ©gion sollicitĂ©e au travail. Cette seule affirmation, sans autre explication, est nettement insuffisante de l’avis du tribunal, pour Ă©tablir, de manière prĂ©pondĂ©rante, la prĂ©sence de facteurs de risque susceptibles de causer une tendinite Ă  l’épaule gauche et un spasme aux trapèzes.

[63]        Bref, la preuve mĂ©dicale au dossier est non concluante et aucune opinion mĂ©dicale motivĂ©e et particularisĂ©e au cas spĂ©cifique n’a Ă©tĂ© dĂ©posĂ©e pour expliquer en quoi les postures adoptĂ©es dans le cadre du travail exercĂ© par la travailleuse constituent des risques de dĂ©velopper une tendinite Ă  l’épaule gauche et un spasme aux trapèzes.

[64]        La documentation soumise ne supporte pas davantage les prĂ©tentions de la travailleuse.

[65]        Dans le Guide pour le diagnostic des lĂ©sions musculo-squelettiques attribuables au travail rĂ©pĂ©titif, on souligne notamment que le facteur de risque associĂ© Ă  la posture a une Ă©vidence encore plus forte s’il est combinĂ© aux deux autres facteurs biomĂ©caniques. Or, en l’instance, outre une posture statique prolongĂ©e des membres supĂ©rieurs, il n’y a aucun Ă©lĂ©ment de rĂ©pĂ©titivitĂ© ni de force requis.

[66]        Qui plus est, le tribunal est d’avis qu’il n’y a pas dans le cas prĂ©sent un maintien prolongĂ© d’une posture statique contraignante au niveau de l’épaule gauche et des trapèzes, puisque la preuve rĂ©vèle que les membres supĂ©rieurs de la travailleuse sont en appui lorsqu’elle effectue les tâches dans lesquelles ses Ă©paules sont en abduction Ă  plus de 60°.

[67]        Dans l’article intitulĂ© Savez-vous repĂ©rer les facteurs de risques? on explique bien que dans la rigiditĂ© posturale imposĂ©e par certaines tâches, les muscles et tendons des Ă©paules, du cou ou du haut du dos sont contractĂ©s pour stabiliser les membres supĂ©rieurs alors que le travail se fait avec les mains. 

[68]        Or, la particularitĂ© du prĂ©sent dossier rĂ©side dans le fait qu’il y a appui des membres supĂ©rieurs lors de l’abduction prolongĂ©e des Ă©paules. De l’avis du tribunal, cette particularitĂ© diminue, voire Ă©limine l’élĂ©ment de contrainte mĂ©canique puisque les tendons de l’épaule gauche ou les muscles trapĂ©zaux n’ont pas Ă  se contracter pour stabiliser les membres supĂ©rieurs. Il s’agit d’une distinction fondamentale faisant en sorte qu’il y a lieu de nuancer les affirmations rapportĂ©es dans la documentation soumise.

[69]        MĂŞme en faisant fi des lacunes dans la preuve mĂ©dicale et un utilisant sa connaissance spĂ©cialisĂ©e, le tribunal ne retrouve pas, dans la description qu’a faite la travailleuse de son travail Ă  l’audience, la preuve de facteurs de risque « classiques Â» souvent reconnus en jurisprudence en matière de lĂ©sions musculo-squelettiques aux Ă©paules, Ă  savoir des mouvements en flexion ou en abduction Ă  plus de 60° du bras, avec force, rĂ©pĂ©titivitĂ© ou maintien prolongĂ©[5].

[70]        Tel que mentionnĂ© prĂ©cĂ©demment, on ne peut rĂ©ellement parler ici d’un maintien prolongĂ© du bras gauche en abduction compte tenu de l’appui dont bĂ©nĂ©ficie la travailleuse. Par ailleurs, la seule tâche qui requiert une Ă©lĂ©vation du membre supĂ©rieur gauche non en appui est lorsque la travailleuse saisit ses donnĂ©es au poste informatique. Cette posture n’est toutefois pas prolongĂ©e ni rĂ©pĂ©titive puisqu’une entrĂ©e de donnĂ©es prend de deux Ă  trois minutes et est nĂ©cessaire de 15 Ă  90 fois en moyenne, par quart de travail.

[71]        Le tribunal convient que le poste au microscope Ă©lectronique Ă  l’École Polytechnique semblait mal adaptĂ© et peu ergonomique, pouvant ainsi engendrer des douleurs chez ses utilisateurs comme il a Ă©tĂ© prouvĂ©. Toutefois, cela n’est pas suffisant pour satisfaire le fardeau de preuve qui incombait Ă  la travailleuse. Celle-ci devait dĂ©montrer, par une preuve mĂ©dicale prĂ©pondĂ©rante, la relation entre le mauvais amĂ©nagement du poste de travail et la survenance d’une tendinite Ă  l’épaule gauche et d’un spasme aux trapèzes. De l’avis du tribunal, on retrouve dans ce poste de travail des contraintes structurales affectant davantage la colonne cervicale que les Ă©paules, dont les fonctions de stabilisation ne sont pas sollicitĂ©es lorsque les membres supĂ©rieurs sont en appui au niveau d’avant-bras. Toutefois, mĂŞme si la travailleuse a rapportĂ© la prĂ©sence de douleurs cervicales, force est de constater qu’aucun diagnostic Ă  ce niveau n’a Ă©tĂ© retenu par les mĂ©decins.

[72]        Pour tous ces motifs, la Commission des lĂ©sions professionnelles est d’avis que la travailleuse n’a pas dĂ©montrĂ©, de manière prĂ©pondĂ©rante, avoir subi une maladie professionnelle lui ayant causĂ© une tendinite Ă  l’épaule gauche et un spasme aux trapèzes.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requĂŞte de madame Annie Ouellet, la travailleuse;

CONFIRME la décision rendue le 7 mai 2012 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative;

 

DÉCLARE que madame Annie Ouellet, la travailleuse, n’a pas subi de lésion professionnelle le 19 décembre 2011.

 

 

_________________________

 

Sonia Sylvestre

 

 

 

 

Mme Nathalie Courchesne

S.C.F.P.

Représentante de la partie requérante

 

 

Me Mélanie Lefebvre

Loranger Marcoux, avocats

Représentante de la partie intéressée

 

 

 

 

 



[1]           Louis PATRY et al., Guide pour le diagnostic des lĂ©sions musculo-squelettiques attribuables au travail rĂ©pĂ©titif, vol. 3, « Les tendinites de l'Ă©paule Â», Sainte-Foy, Éditions Multimondes, MontrĂ©al, Institut de recherche en santĂ© et en sĂ©curitĂ© du travail du QuĂ©bec, QuĂ©bec, RĂ©gie rĂ©gionale de la santĂ© et des services sociaux, 1998.

 

[2]           Rose-Ange PROTEAU, Savez-vous repérer les facteurs de risques? Objectif Prévention, vol 23, no 5, 2000.

[3]           L’association paritaire pour la santé et la sécurité du travail du secteur affaires sociales.

[4]           L.R.Q., c. A-3.001.

[5]      Voir Fontaine et Motel Amigo-Bar 57, C.L.P. 224007-09-0312, 13 octobre 2006, L. Desbois et la jurisprudence citée.

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