Décision

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Modèle de décision CLP - juillet 2015

TBC Constructions inc. et Bradette

2016 QCTAT 1187

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL

(Division de la santé et de la sécurité du travail)

 

 

Région :

Québec

 

Dossiers :

567608-31-1503      569940-31-1504

574235-31-1505

 

Dossier CNESST :

500263066

 

 

Saguenay,

le 24 février 2016

______________________________________________________________________

 

DEVANT LE JUGE ADMINISTRATIF :

Jean Grégoire

______________________________________________________________________

 

 

 

T.B.C. Constructions inc.

 

Partie demanderesse

 

 

 

et

 

 

 

Stéphane Bradette

 

Partie mise en cause

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 17 septembre 2015, monsieur Stéphane Bradette (le travailleur) dépose une requête par laquelle il demande la révision d’une décision de la Commission des lésions professionnelles rendue le 17 août 2015.

[2]           Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles accueille la requête de T.B.C. Constructions inc. (l’employeur) dans le dossier 567608-31-1503, infirme la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) à la suite d'une révision administrative le 2 mars 2015 et déclare que le travailleur n’a pas subi de lésion professionnelle le 26 novembre 2014.

[3]           Toujours dans la décision rendue le 17 août 2015, la Commission des lésions professionnelles déclare sans objet les requêtes déposées par l’employeur dans les dossiers 569940-31-1504 et 574235-31-1505 ainsi que sans effet, les décisions rendues par la CSST dans ces dossiers.

[4]           Le 1er janvier 2016, la Loi instituant le Tribunal administratif du travail[1] (la LITAT) est entrée en vigueur. Cette loi crée le Tribunal administratif du travail qui assume les compétences de la Commission des relations du travail et de la Commission des lésions professionnelles. En vertu de l’article 261 de cette loi, toute affaire pendante devant la Commission des relations du travail ou devant la Commission des lésions professionnelles est continuée devant la division compétente du Tribunal administratif du travail.

[5]           De plus, depuis le 1er janvier 2016, la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (la Commission) assume les compétences autrefois dévolues à la CSST.

[6]           En l’espèce, aucune des parties n’a demandé qu’une audience soit tenue sur la présente requête en révision. Dans une telle situation, comme le prévoit l’article 50 de la LITAT, la décision est rendue sur la base du dossier tel que constitué.

[7]           C’est donc dans ce contexte que le soussigné a procédé à l’étude du dossier le 16 décembre 2015 en compagnie de monsieur André Beaulieu, membre issu des associations d’employeurs ainsi que de monsieur Germain Lavoie, membre issu des associations syndicales. Toutefois, l’article 260 de la LITAT prévoit que le mandat des membres autre que les commissaires prend fin le 31 décembre 2015 et que ces membres ne terminent pas les affaires qu’ils avaient commencées. Comme l’affaire n’était pas terminée en date du 31 décembre 2015, l’avis des membres issus des associations syndicales et d’employeurs n’a pas à être rapporté.

[8]           De plus, l’article 258 de la LITAT prévoit que le mandat des commissaires de la Commission des lésions professionnelles se poursuit à titre de membre du Tribunal administratif du travail. La présente décision est donc rendue par le soussigné en sa qualité de membre du Tribunal administratif du travail.

L’OBJET DE LA REQUÊTE

[9]           Le travailleur demande de réviser la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 17 août 2015 et reconnaître qu’il a bel et bien subi une lésion professionnelle le 26 novembre 2014.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[10]        Le Tribunal administratif du travail doit déterminer s’il y a lieu de réviser la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 17 août 2015.

[11]       Tout d’abord, il est pertinent de rappeler que le premier alinéa de l’article 51 de la LITAT, qui remplace depuis le 1er janvier 2016 l’article 429.49 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[2] (la loi) et qui lui est similaire, prévoit qu’une décision rendue par le Tribunal est sans appel :

51. La décision du Tribunal est sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.

 

[…]

__________

2015, c. 15, a. 51.

           

 

[12]       Néanmoins, le législateur a prévu qu’à certaines conditions, une décision pouvait être révisée ou révoquée, lesquelles sont maintenant prévues à l’article 49 de la LITAT et sont similaires à celles antérieurement mentionnées à l’article 429.56 de la loi :

49. Le Tribunal peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'il a rendu:

 

1° lorsque est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;

 

2° lorsqu'une partie intéressée n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, présenter ses observations ou se faire entendre;

 

3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à l'invalider.

 

Dans le cas visé au paragraphe 3° du premier alinéa, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le membre qui l'a rendu.

__________

2015, c. 15, a. 49.

           

 

[13]        En l’espèce, de la requête déposée par le travailleur le 17 septembre 2015, le Tribunal en comprend que les reproches qu’il adresse à l’encontre de la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 17 août 2015, sont de l’ordre d’un vice de fond, motif spécifiquement prévu au troisième paragraphe du premier alinéa de l’article 49 de la LITAT. Comme souligné précédemment, cette dernière disposition étant identique au troisième paragraphe du premier alinéa de l’article 429.56 de la loi en vigueur jusqu’au 31 décembre 2015, l’interprétation de la notion de « vice de fond » développée au cours des années par la jurisprudence, est encore applicable.

[14]       Dans l’affaire Produits forestiers Donohue inc. et Villeneuve[3], la Commission des lésions professionnelles interprétait cette notion comme référant à une erreur manifeste de fait ou de droit ayant un effet déterminant sur l’issue du litige.

[15]        Cette interprétation fut aussi retenue en 2003 par la Cour d’appel dans l’affaire Bourassa c. CLP[4], où l’on précisait que le recours en révision n’était pas un appel sur la base des mêmes faits ou une occasion pour une partie d’ajouter de nouveaux arguments :

[21]    La notion est suffisamment large pour permettre la révocation de toute décision entachée d’une erreur manifeste de droit ou de fait qui a un effet déterminant sur le litige. Ainsi, une décision qui ne rencontre pas les conditions de fond requises par la loi peut constituer un vice de fond.

 

[22]    Sous prétexte d’un vice de fond, le recours en révision ne doit cependant pas être un appel sur la base des mêmes faits. Il ne saurait non plus être une invitation faite à un commissaire de substituer son opinion et son appréciation de la preuve à celle de la première formation ou encore une occasion pour une partie d’ajouter de nouveaux arguments (1).

_______________

1           Voir : Y. OUELLETTE, Les tribunaux administratifs au Canada, Procédure et Preuve, Montréal, Les Éditions Thémis, 1997, p. 506-508. J.P. VILLAGI, dans Droit public et administratif, Vol. 7, Collection de droit 2002-2003, Éditions Yvon Blais, 2002, p. 127-129.

 

[sic]

 

[notre soulignement]

 

 

[16]        En 2005, la Cour d’appel réitérait cette interprétation dans l’affaire CSST c. Fontaine[5], de même que dans l’affaire CSST c. Touloumi[6]. Dans cette dernière décision, la Cour d’appel soulignait que seule une erreur grave, évidente et déterminante sur l’issue d’un litige, pouvait amener une révision de la décision rendue par le premier juge administratif.

[17]        Encore récemment, la Cour d’appel a rappelé, dans l’affaire Moreau c. Régie de l’assurance maladie du Québec[7], que le recours en révision ou révocation est exceptionnel et que le vice de fond de nature à invalider une décision « est une erreur fatale qui entache l’essence même de la décision, sa validité même ». 

[18]        Appliquant ces paramètres jurisprudentiels à la présente affaire, le soussigné entend donc déterminer si la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 17 août 2015 est entachée d’un vice de fond de nature à l’invalider, soit une erreur manifeste de fait ou de droit ayant un effet déterminant sur l’issue du litige.

[19]        Afin de statuer sur cette question, il convient d’abord de revenir sur les principaux faits de cette affaire et qui sont nécessaires pour saisir le contexte entourant le dépôt de la requête en révision par le travailleur.

[20]        En 2014, le travailleur occupait un poste de journalier chez l’employeur.

[21]        Le 26 novembre 2014, en transportant un conduit de ventilation avec un collègue, le travailleur allègue avoir ressenti des douleurs à la hanche droite.

[22]        Le même jour, il consulte le docteur Guy Chouinard qui pose le diagnostic d’entorse à la hanche droite. Une assignation temporaire est autorisée par le docteur Chouinard le 5 décembre 2014.

[23]        Par la suite, le médecin traitant maintient le diagnostic d’entorse à la hanche droite et recommande des traitements de physiothérapie, puis d’ergothérapie à compter du 8 décembre 2014.

[24]        À la demande de l’employeur, le travailleur rencontre, le 28 janvier 2015, le docteur Pierre Legendre (chirurgien orthopédiste). À la suite de l’examen clinique du travailleur, le médecin indique être d’accord avec le diagnostic d’entorse à la hanche droite, mais considère que la lésion et consolidée, et ce, sans séquelle permanente ni limitation fonctionnelle.

[25]        Le 16 février 2015, le docteur Chouinard complète un rapport final pour la CSST sur lequel il écrit que l’entorse à la hanche droite est consolidée sans séquelle permanente ni limitation fonctionnelle.

[26]        Le 1er avril 2015, le travailleur est évalué par le docteur Marcel Dufour du Bureau d'évaluation médicale, qui confirme également que la lésion est consolidée depuis le 16 février 2015, et ce, sans séquelle permanente ni limitation fonctionnelle.

[27]        Sur le plan administratif, la CSST a reconnu, le 23 décembre 2014, que le travailleur a subi un accident du travail le 26 novembre 2014 lui ayant causé une entorse à la hanche droite. Cette décision a été confirmée, à la suite d'une révision administrative, le 2 mars 2015, d’où l’un des litiges dont était saisi le premier juge administratif (dossier 567608-31-1503).

[28]        De plus, le 21 janvier 2015, la CSST a rendu une autre décision par laquelle elle refusait, en vertu de l’article 142 de la loi, de suspendre les indemnités de remplacement du revenu versées au travailleur. Cette décision a été aussi confirmée à la suite d'une révision administrative le 26 mars 2015, d’où l’un des autres litiges dont était saisi le premier juge administratif (dossier 569940-31-1504).

[29]        Finalement le premier juge administratif était aussi saisi d’un litige portant sur certaines questions médicales ayant fait l’objet d’un avis du docteur Dufour du Bureau d'évaluation médicale le 6 avril 2015 (dossier 574235-31-1505).

[30]        Dans sa décision rendue le 17 août 2015, le premier juge administratif fait d’abord état qu’il doit statuer sur les questions suivantes :

1.      Survenance d’une lésion professionnelle le 26 novembre 2014;

 

2.      Droit du travailleur l’indemnité de remplacement du revenu entre le 20 décembre 2014 et le 4 janvier 2015 en lien notamment avec les dispositions de l’article 142 de la loi;

 

3.      En lien avec la lésion du 26 novembre 2014, les questions de la date de consolidation, des soins ou traitements de l’atteinte permanente, des limitations fonctionnelles, de la capacité de travail, du droit à l’indemnité de remplacement du revenu et du droit à l’indemnité pour préjudice corporel.

 

[sic]

 

 

[31]        Abordant d’abord la question de la survenance d’une lésion professionnelle le 26 novembre 2014, et plus particulièrement d’un accident du travail, le premier juge administratif fait mention, aux paragraphes 26 et 27 de sa décision, de la notion d’accident du travail ainsi que de la présomption de l’article 28 de la loi.

[32]        Après avoir reproduit les différentes déclarations du travailleur au sujet des circonstances de sa lésion, le premier juge administratif indique qu’il est lié, en l’absence d’un avis d’un membre du Bureau d'évaluation médicale sur la question du diagnostic, par celui d’entorse à la hanche droite.

[33]        Analysant par la suite l’applicabilité tant de la présomption de l’article 28 de la loi que de la notion d’accident du travail prévue à l’article 2, le premier juge administratif fait l’analyse suivante :

[37]    Il est évident que le diagnostic d’entorse à la hanche droite constitue une blessure au sens de l’article 28 de la loi.

 

[38]    Toutefois, le tribunal ne croit pas que le travailleur ait démontré que cette blessure soit arrivée sur les lieux du travail alors qu’il effectuait son travail.

 

[39]    Une décision importante a été rendue sur toute la question de la présomption prévue à l’article 28 de la loi dans l’affaire Boies et CSSS Québec-Nord5.

 

[40]    Parmi les indices pouvant être pris en compte par le tribunal dans le cadre de l’exercice d’appréciation de la force probante de la version du travailleur visant la démonstration des trois conditions de l’article 28 de la loi, on doit notamment tenir compte de la crédibilité du travailleur en présence de différentes versions de l’événement en cause ou des circonstances d’apparition de la blessure lorsqu’elles sont imprécises, incohérentes ou contradictoires.

 

[41]    Or, le tribunal note des contradictions dans la preuve au dossier.

 

[42]    Notamment, le travailleur mentionne à l’audience que la lésion serait survenue alors qu’il manipulait un conduit de ventilation avec un collègue et que ce dernier serait tombé à un certain moment, obligeant le travailleur à effectuer un mouvement de flexion lombaire avant, puis de flexion latérale droite pour enlever le conduit se trouvant sur son collègue.

 

[43]    Or, lorsqu’il rencontre un médecin le jour même du prétendu événement, il mentionne que les douleurs sont plutôt arrivées simplement en soulevant un conduit, et non des suites du faux mouvement entrainé par la chute de son collègue dont il n’est aucunement question.

 

[44]    Dans sa réclamation, il parle plutôt de douleurs apparues pendant une déstabilisation et non en soulevant un conduit comme tel.

 

[45]    Dans son témoignage, le travailleur mentionne que les douleurs seraient apparues environ 5 à 10 minutes après l’événement allégué. À l’agente d’indemnisation le 23 décembre 2014, il parle plutôt de 15 minutes, alors qu’à sa réclamation il mentionne que les douleurs seraient survenues « dans les minutes qui ont suivi ».

 

[46]    Au surplus, le témoignage du travailleur est souvent imprécis et ce dernier fait preuve d’une mémoire sélective quant à certains éléments dont il se souvient très bien par rapport à d’autres dont il a peine à se souvenir.

 

[47]    Le tribunal n’a aucune hésitation à préférer le témoignage de madame Gina Audet, directrice de l’administration et de la qualité chez l’employeur, qui témoigne de façon claire, précise et sans aucune hésitation.

 

[48]    Or, des contradictions existent entre le témoignage du travailleur et celui de madame Audet.

 

[49]    Le travailleur mentionne dans un premier temps qu’au retour des vacances au début janvier 2015, il aurait remis lui-même à la réceptionniste de l’employeur les modules de formation qu’il avait complétés pendant la période des Fêtes à la demande de ce dernier, dans le cadre de son assignation temporaire. Madame Audet mentionne plutôt que ces documents lui ont été remis par un collègue de travail du travailleur. Le travailleur ajustera sa version plus tard dans son témoignage.

 

[50]    Une autre contradiction réside dans le fait que dans le cadre de son témoignage, le travailleur mentionne avoir rencontré madame Audet en janvier 2015 pour lui offrir de lui rembourser les vacances payées par l’employeur pendant la période des Fêtes, alors qu’il avait reçu l’indemnité de remplacement du revenu pour la même période. Il mentionne même qu’il avait l’argent sur lui, mais que madame Audet aurait refusé de le prendre étant donné l’existence d’un litige.

 

[51]    Madame Audet nie ce fait pendant son témoignage. Elle nie carrément la présence d’argent comptant dans une enveloppe.

 

[52]    Dans son témoignage, le travailleur mentionne qu’il a demandé de prendre ses vacances pendant la période des Fêtes plutôt que de vaquer à l’assignation temporaire de travail, puisqu’il devait revoir son médecin et qu’il ne savait pas réellement ce qui serait décidé. Lorsqu’il parle à l’agente d’indemnisation le 8 janvier 2015, le travailleur mentionne plutôt qu’il a décidé de prendre ses vacances pour être certain de recevoir un salaire, et rien de plus.

 

[53]    Il y a aussi la contradiction entre le témoignage du travailleur, selon lequel il allait encore très mal le 11 décembre 2014, et le contenu d’une note de physiothérapie dans laquelle il confie plutôt à son physiothérapeute qu’il ne ressent aucune douleur ni inconfort et qu’il se dit prêt pour un retour au travail. Le physiothérapeute ajoute même qu’avec l’accord du patient, il ferme son dossier à la CSST!

 

[54]    Une autre contradiction réside dans le fait que le travailleur a continué à exécuter son travail normalement tout le reste de la journée du 26 novembre 2014, tel qu’il appert d’une note évolutive du 17 décembre 2014, contrairement à ce qu’il dit à l’audience.

 

[55]    Une invraisemblance découle du fait que le travailleur rapporte au docteur Legendre que les douleurs initiales se situaient à « 10 sur 10 », alors qu’il a pu continuer à travailler toute la journée.

 

[56]    Ces contradictions, invraisemblances et imprécisions font en sorte qu’il n’est pas possible de conclure que la blessure diagnostiquée est arrivée sur les lieux du travail alors que le travailleur était à son travail6.

 

[57]    Il y a également eu poursuite des activités normales du travailleur, autre indice à être considéré selon la jurisprudence.

 

[58]    Le plus important cependant, c’est la disparité entre le moment d’apparition des premiers symptômes associés à la lésion alléguée et l’événement.

 

[59]    Peu importe la version qu’on retient, il est clair que plusieurs minutes se sont écoulées avant que le travailleur ne ressente une douleur et c’est pourquoi d’ailleurs, autant dans les versions écrites au dossier qu’à l’audience, celui-ci est loin d’être catégorique quant au fait que la douleur serait due à l’événement allégué. Il utilise souvent des expressions comme « j’imagine » ou « ça doit être ».

 

[60]    Il appert notamment de la note évolutive du 17 décembre 2014 que le travailleur a déclaré l’événement à l’employeur en lui mentionnant : « J’ai donc dû me blesser à ce moment-là ».

 

[61]    La notion de « qui arrive » exige une corrélation temporelle entre le moment de la survenance de la blessure et l’accomplissement par le travailleur de son travail7.

 

[62]    Les trois juges administratifs qui se sont prononcés dans l’affaire Boies et CSSS Québec-Nord déjà citée rappellent que la notion de blessure comporte la caractéristique précise de l’absence de tout temps de latence eu égard à l’apparition de la lésion et de ses symptômes. Il doit y avoir apparition d’une douleur subite et concomitante de la sollicitation de la région anatomique lésée, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

 

[63]    Dans l’affaire United Parcel Service du Canada ltée et Saindon8, le tribunal rappelle qu’il n’y a pas de délai d’incubation en matière de traumatismes9.

 

[64]    Pour tous ces motifs, la présomption prévue à l’article 28 de la loi ne peut s’appliquer.

 

[65]    Pour les mêmes motifs, on ne peut conclure à la survenance d’un accident du travail au sens de l’article 2 de la loi. En effet, les contradictions dans la preuve empêchent cette constatation, tout comme le délai d’apparition des douleurs à la hanche droite.

 

[66]    Au surplus, le travailleur n’a pas démontré que le mouvement qu’il décrit à l’audience est de nature à solliciter de façon indue les structures de la hanche droite. C’est plutôt la région lombaire qui se trouvait alors sollicitée au premier chef par le mouvement de flexion antérieure suivie d’une flexion latérale droite.

 

[67]    Il y a donc absence totale de preuve de relation entre le mouvement allégué et le diagnostic liant le tribunal.

 

[68]    Au surplus, et le tribunal le répète, le travailleur est lui-même très peu catégorique quant à la cause se trouvant à la base de ses douleurs à la hanche droite.

 

[69]    Ainsi le travailleur n’a pas subi de lésion professionnelle le 26 novembre 2014.

____________

5        2011 QCCLP 2775, formation de trois juges administratifs.

6           Abmast inc. et Bossé, C.L.P. 362269-62B-0811, 18 décembre 2009, M. Watkins; Bossé et Atelier Gérard Laberge inc., C.L.P. 333544-62A-0711, 24 février 2009, M. Auclair       

                7           Précitée, note 4.

8           C.L.P. 227407-03B-0402, 18 mars 2005, R. Savard.              

9           Voir aussi : Gagné et Les salaisons Brochu inc., C.L.P. 224373-03B-0401, 15 février 2005, R. Savard; Coop de services Rive-Sud et Bilodeau, C.L.P. 239410-03B-0407, 13 janvier 2006, R. Savard; Sirois et Nordex enr., 2013 QCCLP 683; Shalwin inc. et Simon-Plouffe, 2013 QCCLP 5515; Dufour et Résidence de l’Arc-en-ciel Thetford Mines, 2013 QCCLP 2846, Arc. Infra. C. Service Maritime P-C et Verreault, 2015 QCCLP 3020.         

 

[sic]

 

 

[34]        Concluant à l’absence de lésion professionnelle le 26 novembre 2014, le premier juge administratif déclare donc sans objet, les requêtes déposées par l’employeur dans les dossiers 569940-31-1504 et 574235-31-1505 et déclare sans effet, les décisions rendues par la CSST dans ces dossiers.

[35]        Dans sa requête en révision, le travailleur allègue d’abord que le premier juge administratif commet une erreur en concluant, aux paragraphes 66 et 67 de sa décision, qu’il y a absence totale de preuve de relation entre les mouvements allégués et le diagnostic liant la Commission des lésions professionnelles. De façon plus spécifique, le travailleur réfère au rapport du docteur Legendre, médecin expert mandaté par l’employeur, où l’on peut notamment y lire :

[…]

 

Considérant un mouvement subit impliquant la flexion passive subite des hanches ;

 

Considérant la localisation des douleurs initiales au niveau de l’aspect antérieur de la crête iliaque supérieure droite ;

 

Considérant les trouvailles à l’examen d’aujourd’hui ;

 

Il est probable que le travailleur ait subi un étirement musculaire au niveau proximal des muscles s’insérant sur la crête iliaque antéro supérieur droite, soit le couturier, l’iliaque et possiblement le droit fémoral.

 

Actuellement, il n’y a peu ou pas de signes résiduels d’une telle lésion. Nous sommes également d’accord avec le diagnostic d’entorse à la hanche droite, considérant que ce diagnostic est plus général et a été précisé aujourd’hui par le diagnostic que nous posons.

 

[sic]

 

 

[36]        Or, avec respect, le soussigné est d’avis que cet argument du travailleur doit être rejeté.

[37]        En effet, bien qu’il soit possible de considérer l’opinion du docteur Legendre comme établissant une relation entre les circonstances du fait accidentel et le diagnostic d’entorse à la hanche droite, il n’en demeure pas moins que la conclusion du premier juge administratif quant à l’« absence totale de preuve de relation » ne peut être considérée comme représentant une erreur déterminante sur l’issue du litige dont il était saisi, puisqu’il débute le paragraphe 66 de sa décision par les mots « Au surplus ».  Il en découle donc que pour le premier juge administratif, la question de l’absence de preuve de relation est un motif subsidiaire, qui ne fait que bonifier ses motifs, sans en changer le fondement.

[38]        D’ailleurs, une lecture de l’ensemble de sa décision met clairement en évidence que pour le premier juge administratif, ce qui est déterminant, c’est que la preuve ne démontre pas que la lésion soit survenue sur les lieux du travail, alors que le travailleur exécutait ses fonctions.

[39]        Dans ce contexte, même si l’affirmation du premier juge administratif sur l’absence totale de preuve de relation peut être considérée comme une erreur, il n’en demeure pas moins que celle-ci n’a pas un effet déterminant sur l’issue du litige.

[40]        Dans l’affaire Sablière de Warwick ltée (La) et Plante[8], la Commission des lésions professionnelles soulignait ce qui suit au sujet du caractère déterminant d’une potentielle erreur découlant d’un motif subsidiaire :

[83] Enfin, le procureur de l'employeur reproche à la conciliatrice de ne pas avoir respecté son rôle tel que décrit dans la loi. Il lui reproche d’avoir exigé un document additionnel plutôt que d’avoir simplement constaté par écrit l’accord intervenu entre les parties.

 

[84] Dans sa décision rendue le 6 novembre 2012, bien qu’il écrive que le seul fait que la condition acceptée par le représentant de l'employeur n’a pas été respectée suffise à clore le débat sur le moyen préalable, le premier commissaire répond à cet argument du procureur de l'employeur et conclut qu’il faisait partie du rôle du conciliateur d’agir ainsi.

 

[85] Le procureur de l'employeur prétend que cette conclusion constitue une erreur de droit.

 

[86] Pour le présent tribunal, cette partie de la décision en réponse aux prétentions de l'employeur concernant le rôle de la conciliatrice constitue un motif subsidiaire, qui n’est pas nécessaire à la décision. En effet, le premier commissaire écrit au paragraphe 130 de sa décision que les motifs qu’il vient d’exposer suffiraient à clore le débat sur le moyen préalable.

 

[87] À tout événement, le tribunal siégeant en révision estime que la conclusion du premier commissaire, voulant que la conciliatrice pouvait demander un avis médical pour appuyer les conclusions recherchées par le biais de la conciliation, est une issue possible compte tenu du droit applicable. L’interprétation de la loi et de la jurisprudence que fait le premier commissaire ne comporte pas d’erreur manifeste.

 

[88] Par ailleurs, si une erreur manifeste avait été démontrée dans cette application et interprétation des dispositions de droit applicables, il ne s’agirait pas d’une erreur déterminante puisque le premier commissaire a lui-même reconnu que cette conclusion n’était pas nécessaire pour rejeter le moyen préalable soulevé par le procureur de l'employeur.

 

 [sic]

 

[nos soulignements]

 

 

[41]        Comme mentionné précédemment, n’eût été cette conclusion subsidiaire du premier juge administratif sur l’absence totale de preuve de relation, il appert que sa décision aurait été la même. Il ne s’agit donc pas d’une erreur ayant un effet déterminant sur l’issue du litige.

[42]        D’autre part, le travailleur reproche au premier juge administratif d’avoir commis une autre erreur lorsqu’il indique, aux paragraphes 54 et 56 de sa décision, qu’il n’est pas possible de conclure que la blessure soit arrivée au travail, alors que celui - ci exerçait ses fonctions. Afin d’appuyer ses prétentions, le travailleur joint à sa requête en révision, une « ATTESTATION DE VISITE » provenant du Centre Médical de Charlesbourg, confirmant qu’il a consulté le docteur Chouinard le 26 novembre 2014 à 14 h 05. Ce document, qui n’est pas daté, aurait été imprimé le 25 août 2015 à 15 h 32. Le travailleur soumet également des échanges de courriels avec un collègue de travail, monsieur Philippe Denis, soutenant que celui-ci a rempli un rapport d’accident au sujet de l’événement du 26 novembre 2014, mais qu’il n’en a pas conservé de copie.

[43]        Or, le soussigné ne peut retenir ces arguments, puisque par ceux-ci, le travailleur tente de bonifier sa preuve en soumettant de nouveaux éléments, ce que le recours en révision ou révocation ne permet pas de faire[9]. Dans l’affaire Bouchard (Succession de) et Construction Norascon inc.[10], la Commission des lésions professionnelles rappelait ce que constitue un fait nouveau et soulignait que le recours en révision n’était pas une occasion de bonifier la preuve faite devant le premier juge administratif :

[39]  De toute évidence, ces éléments ne peuvent constituer des faits nouveaux. Il s’agit de littérature et d’études existantes, qu’il était possible de déposer lors de l’audience de février 2007. Il est bien établi que le recours en révision ne peut pas permettre de compléter ou bonifier une preuve.

 

[40]  Il en va de même pour la possibilité d’obtenir une expertise de M. Côté. Tel que signalé plus haut au sujet d’une possible opinion du Dr Tétreault, une nouvelle expertise ne constitue pas un fait nouveau. Il aurait été possible d’obtenir cette preuve pour l’audience tenue par la première commissaire.

 

[…]

 

[46]   La Commission des lésions professionnelles conclut donc que les éléments de preuve soumis par la succession du travailleur ne constituent pas des faits nouveaux au sens du premier paragraphe de l’article 429.56 de la loi.  Il s’agit plutôt  d’une tentative pour parfaire une preuve. Une partie ne peut pas tenter de venir combler les lacunes de la preuve qu'elle a eu l'occasion de faire valoir en premier lieu par le recours en révision. Sa requête est donc rejetée à cet égard.

 

[sic]

 

[notre soulignement]

 

 

[44]        Telle est la situation en l’espèce puisque rien n’empêchait le travailleur, lors de l’audition tenue devant le premier juge administratif le 10 août 2015, de demander à ce que soit entendu son collègue de travail ou que le rapport d’accident soit déposé en preuve. Il en est de même de l’« ATTESTATION DE VISITE » de la Clinique Médicale de Charlesbourg, attestation que le travailleur aurait pu demander bien avant le 25 août 2015 et déposé en preuve lors de l’audience tenue devant le premier juge administratif.

[45]        Ce second argument du travailleur doit donc être rejeté.

[46]        Par la suite, il soumet que le premier juge administratif a commis des erreurs en soulignant l’existence de disparité entre le moment d’apparition des premiers symptômes et l’événement allégué, ainsi qu’au sujet des circonstances d’apparition de ses symptômes. Il ajoute qu’en faisant référence, au paragraphe 53 de sa décision, à des contradictions entre son témoignage et un rapport de physiothérapie du 11 décembre 2014, le premier juge administratif commet une autre erreur, puisque dès la fin des traitements de physiothérapie, des séances d’ergothérapie ont débuté.

[47]        Encore une fois, le Tribunal ne peut retenir ces arguments, puisque non fondés.

[48]        En effet, de par ceux-ci, il appert clairement que le travailleur n’est pas d’accord avec l’appréciation de la preuve faite par le premier juge administratif et qu’il souhaiterait une réappréciation de celle-ci, ce que le recours en révision ou révocation ne permet pas de faire[11].

[49]        Qui plus est, lorsque le premier juge administratif relate l’existence de contractions entre le témoignage du travailleur sur la présence de douleurs le 11 décembre 2014 et un rapport de physiothérapie de la même date, il ne commet aucune erreur, puisque ce rapport indiquait clairement l’absence de douleurs ou d’inconfort et que le travailleur se disait même prêt pour un retour au travail.

[50]        La même remarque s’impose lorsque le premier juge administratif fait état, aux paragraphes 42 à 44 de sa décision, de divergences au sujet des circonstances de l’événement allégué du 26 novembre 2014. Celui-ci base notamment sa conclusion sur un « RAPPORT DE SUIVI D’UNE LÉSION MUSCULO-SQUELETTIQUE » complété par le docteur Chouinard le 26 novembre 2014, où il fait mention d’une douleur apparue en soulevant un conduit de ventilation, ce qui diffère du témoignage du travailleur ainsi que de la description de l’événement indiqué sur sa réclamation. Il est donc inexact de prétendre que cette conclusion du premier administratif ne repose pas sur la preuve au dossier.

[51]        En ce qui concerne les différents délais d’apparition des symptômes douloureux retrouvés au dossier, le premier juge administratif fait référence à cet élément pour souligner qu’il n’y a généralement pas de temps de latence lors de la survenance d’une blessure d’origine traumatique. Or, non seulement cet élément est conforme à la preuve, mais de plus, la prise en compte de celui-ci est aussi conforme à la jurisprudence[12]

[52]        C’est ainsi que lorsque le premier juge administratif prend en considération, le délai d’apparition des symptômes, les différentes déclarations relatives aux circonstances de l’événement allégué, ainsi que la crédibilité du témoignage du travailleur, celui-ci tient compte « d’indices » clairement retrouvés dans la jurisprudence[13] pour évaluer si une blessure est survenue au travail alors que le travailleur exécutait ses fonctions.

[53]        Procédant à cette évaluation, en particulier de la crédibilité du témoignage du travailleur, le premier juge administratif est alors au cœur même de son rôle d’adjudicateur et le soussigné n’a pas à y substituer son appréciation de la preuve. Les passages suivants de sa décision démontrent d’ailleurs de façon éloquente, que pour lui, le témoignage du travailleur pose un problème de crédibilité :

[46]    Au surplus, le témoignage du travailleur est souvent imprécis et ce dernier fait preuve d’une mémoire sélective quant à certains éléments dont il se souvient très bien par rapport à d’autres dont il a peine à se souvenir.

 

[47]    Le tribunal n’a aucune hésitation à préférer le témoignage de madame Gina Audet, directrice de l’administration et de la qualité chez l’employeur, qui témoigne de façon claire, précise et sans aucune hésitation.

 

[…]

 

[56]    Ces contradictions, invraisemblances et imprécisions font en sorte qu’il n’est pas possible de conclure que la blessure diagnostiquée est arrivée sur les lieux du travail alors que le travailleur était à son travail6.

______________________

6                Abmast inc. et Bossé, C.L.P. 362269-62B-0811, 18 décembre 2009, M. Watkins; Bossé et Atelier Gérard Laberge inc., C.L.P. 333544-62A-0711, 24 février 2009, M. Auclair.         

 

[sic]

 

 

[54]        Comme mentionné précédemment, il appartient au premier juge administratif d’évaluer la crédibilité d’un témoignage, ce qu’il a fait et s’en est expliqué. Non seulement sa décision est conforme à la preuve dont il disposait, mais aussi, elle fait partie des issues possibles. De plus, sa décision est motivée et l’on comprend le raisonnement suivi pour en arriver à la conclusion que le travailleur n’a pas subi de lésion professionnelle.

[55]        La requête du travailleur doit donc être rejetée.

 

 

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL :

REJETTE la requête de monsieur Stéphane Bradette, le travailleur.

 

 

__________________________________

 

Jean Grégoire

 

 

 

 

M. Stéphane Bradette

Pour lui-même

 

Mme Lucie-Hélène Simard

GROUPE CONSEIL B & G INC.

Pour la partie demanderesse

 

 

 



[1]          RLRQ, c. T-15.1.

[2]          RLRQ, c. A-3.001.

[3]           [1998] C.L.P. 733.

[4]           [2003] C.L.P. 601 (C.A.).

[5]           [2005] C.L.P. 626 (C.A.).

[6]           [2005] C.L.P. 921 (C.A.).

[7]           2014 QCCA 1067.

[8]           2014 QCCLP 1738.

[9]           Précitée, note 4.

[10]         C.L.P. 210650-08-0306, 18 janvier 2008, L. Nadeau.

[11]         Amar c. CSST, [2003] C.L.P. 606 (C.A.).

[12]         Boies et CSSS Québec-Nord, 2011 QCCLP 2775.

[13]         Id.

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