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[1] Le 28 septembre 2004, Gingras et Fils Ressorts inc. (l’employeur) dépose, à la Commission des lésions professionnelles, une requête à l’encontre d’une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 22 septembre 2004, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle initialement rendue le 1er juin 2004 et déclare que la CSST était justifiée de ne pas procéder à une nouvelle détermination de l’imputation au motif que l’employeur n’a soumis aucun fait essentiel justifiant une imputation différente.
[3] À l’audience tenue le 13 janvier 2005 à Saint‑Jérôme, l’employeur est représenté par monsieur Gingras, propriétaire, accompagné de son procureur.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4]
L’employeur demande à la Commission des lésions
professionnelles d’appliquer les dispositions du deuxième alinéa de l’article
LES FAITS ET LES MOTIFS
[5]
La Commission des lésions professionnelles doit
déterminer s’il y a lieu de répartir l’imputation du coût des prestations de la
maladie professionnelle survenue au travailleur le 1er juin 2000,
selon le second alinéa de l’article
328. Dans le cas d'une maladie professionnelle, la Commission impute le coût des prestations à l'employeur pour qui le travailleur a exercé un travail de nature à engendrer cette maladie.
Si le travailleur a exercé un tel travail pour plus d'un employeur, la Commission impute le coût des prestations à tous les employeurs pour qui le travailleur a exercé ce travail, proportionnellement à la durée de ce travail pour chacun de ces employeurs et à l'importance du danger que présentait ce travail chez chacun de ces employeurs par rapport à la maladie professionnelle du travailleur.
Lorsque l'imputation à un employeur pour qui le travailleur a exercé un travail de nature à engendrer sa maladie professionnelle n'est pas possible en raison de la disparition de cet employeur ou lorsque cette imputation aurait pour effet d'obérer injustement cet employeur, la Commission impute le coût des prestations imputable à cet employeur aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités ou à la réserve prévue par le paragraphe 2° de l'article 312.
__________
1985, c. 6, a. 328.
[6] La Commission des lésions professionnelles retient les faits pertinents suivants.
Ø Le travailleur, mécanicien chez l’employeur depuis plus de onze ans, soumet une réclamation pour un problème à l’épaule droite et au coude gauche diagnostiqué en juin 2000.
Ø Le 31 août 2000, la CSST accepte la réclamation du travailleur pour une tendinite à l’épaule droite et une épicondylite au coude gauche à titre de maladies professionnelles.
Ø Le 1er septembre 2000, elle rend une décision par laquelle elle impute les coûts de la Réclamation du travailleur au dossier de l’employeur.
Ø Le 7 septembre 2000, l’employeur conteste les deux précédentes décisions.
Ø
Le 8
novembre 2001, la CSST à la suite d’une révision administrative estime qu’il
n’y a pas lieu de traiter la demande de révision concernant l’avis d’imputation
du 15 septembre 2000 [sic], compte
tenu des articles
326
et
Ø Le 23 novembre 2001, la CSST confirme la décision portant sur l’admissibilité, à la suite d’une révision administrative.
Ø Ces décisions ne sont pas contestées par l’employeur.
Ø
Le 8
décembre 2003, l’employeur soumet une opinion médicale et demande à la CSST un
partage des coûts en vertu de l’article
Ø Le 20 mai 2004, la CSST refuse cette demande au motif que l’employeur n’a pas démontré que le travailleur présentait un handicap lorsque s’est manifestée sa lésion professionnelle. Cette décision n’est pas contestée par l’employeur.
Ø Le 14 mai 2004, l’employeur fait parvenir à la CSST, pour faire suite à sa demande d’imputation, l’historique des emplois antérieurs du travailleur.
Ø Le 1er juin 2004, la CSST rend une décision stipulant qu’après avoir analysé la demande du 14 mai 2004, elle ne peut y donner suite puisqu’elle n’est appuyée sur aucun fait essentiel lui permettant de procéder à une nouvelle détermination de l’imputation. Cette décision est contestée le 8 juin 2004, donnant lieu à la décision rendue en révision administrative faisant l’objet du présent litige.
[7] Dans sa décision, la CSST se réfère au Règlement sur la nouvelle détermination de la classification, de la cotisation et de l'imputation du coût des prestations[3] (le Règlement) lequel prévoit en ses articles 2 et 3 les modalités suivantes :
2. La
Commission peut, de sa propre initiative et pour corriger toute erreur,
déterminer à nouveau la classification d’un employeur attribuée conformément à
la section III du chapitre IX de la loi, ou l’imputation du coût des
prestations effectuée conformément à la section VI de chapitre, dans les 6 mois
de sa décision, si celle-ci n’a pas elle-même fait l’objet d’une décision en
vertu de l’article
1° en regard de sa classification, au plus tard, le 31 décembre de la cinquième année qui suit l’année de cotisation à laquelle elle se rapporte :
2° en regard de l’imputation du coût des prestations, au plus tard le 31 décembre de la cinquième année qui suit celle pendant laquelle l’accident est survenu ou la maladie est déclarée.
3. La Commission peut également, de sa propre initiative ou à la demande de l’employeur, déterminer à nouveau cette classification ou cette imputation si sa décision a été rendue avant que soit connu un fait essentiel.
[…]
[8] Après avoir statué qu’un fait essentiel doit consister en un fait qui existait au moment où la CSST a rendu sa décision initiale, mais que pour une raison ou une autre, la CSST ou une des parties en ignorait l’existence, la CSST conclut que l’avis d’un membre du Bureau d'évaluation médicale invoqué par l’employeur comme fait essentiel existait déjà lorsque la CSST a rendu sa décision initiale. Ainsi, la révision administrative ne pouvait voir en quoi l’avis du membre du Bureau d'évaluation médicale permettait une nouvelle détermination de l’imputation.
[9] Aux fins de compréhension de cette conclusion, soulignons que :
Ø Lors de la lésion initiale, le docteur P.-E. Renaud examine le travailleur le 15 septembre 2000, notant un syndrome d’accrochage à l’épaule droite peu symptomatique.
Ø Le dossier fera l’objet d’un avis rendu par un membre du Bureau d'évaluation médicale le 22 novembre 2000 portant sur le diagnostic (tendinite de la coiffe de l’épaule droite avec syndrome d’accrochage à épicondylite résolue au coude gauche), la date de consolidation (non consolidé) et la nature des soins.
Ø À la suite d'une nouvelle opinion du docteur P.-E. Renaud du 17 avril 2001, consolidant la lésion, un avis est rendu par un membre du Bureau d'évaluation médicale le 25 juillet 2001 et la lésion est consolidée au 25 juillet 2001.
Ø Le docteur Lamarre remplit un Rapport final et un Rapport d’évaluation médicale le 22 août 2001, n'attribuant aucun déficit anatomo-physiologique ou atteinte permanente.
Ø Le 3 novembre 2002, le travailleur présente une récidive, rechute ou aggravation de tendinite des deux épaules. À la suite d’une expertise du docteur Lemieux pour le compte de l’employeur en février 2003, le dossier est acheminé à un membre du Bureau d'évaluation médicale. Dans un avis du 6 juin 2003, la lésion est consolidée au 18 février 2003 avec atteinte permanente et limitations fonctionnelles.
[10]
Les notes de la révision administrative
mentionnent, dans le traitement du dossier, que la CSST explique à l’employeur
que l’article
[11]
Commentant la décision rendue en révision
administrative, le procureur de l’employeur plaide que la demande de
l’employeur ne fait référence à aucun fait essentiel et ne demande aucune
reconsidération. La demande logée par
l’employeur le 14 mai 2004 est en fonction des prescriptions énoncées au
deuxième alinéa de l’article
[12] Au soutien de ses prétentions, le procureur soumet une jurisprudence et demande à la Commission des lésions professionnelles de statuer sur l’application de l’article 328 de la loi[4].
[13]
Le soussigné, après lecture de la cause Abattoir Colbex inc. déposée, partage en tous points l’opinion émise
par la commissaire Sénéchal lorsque celle-ci stipule, en se référant à la cause
Bell Canada[5],
qu’en invoquant l’application du règlement, la CSST impose à l’employeur une
procédure et surtout un délai que la loi ne prévoit pas pour les cas visés par
le second alinéa de l’article
[14]
Dans le présent dossier, il faut convenir,
lorsque l’employeur fait sa demande le 14 mai 2004, que ce n’est pas une
reconsidération de la décision générale et automatique qui est demandée, mais
bien que la CSST applique le second alinéa de l’article
[15]
Dans la cause Abattoir Colbex inc.[6],la Commission des lésions
professionnelles a analysé le libellé des articles
[…]
[41] Ainsi, lorsqu’un employeur formule une demande invoquant
le second alinéa de l’article
[…] (le tribunal souligne)
[16]
C’est à tort que la révision administrative de
la CSST a appliqué le Règlement à la suite de la demande de l’employeur
effectuée le 14 mai 2004, laquelle requiert d’appliquer l’article
[17]
Tenant compte de cette conclusion, de la preuve
soumise par l’employeur à l’audience et des éléments au dossier, le tribunal
estime qu’il y a lieu de procéder à une répartition d’imputation en vertu du
second alinéa de l’article
[18] Le travailleur témoigne avoir toujours occupé le métier de mécanicien aligneur. Dès son jeune âge, il a œuvré à la station-service de son père et a débuté son métier vers l’âge de 18 ans, soit à compter de 1970-1971. À ce moment, il alignait les roues, faisait les vidanges d’huile et procédait à l’entretien des véhicules automobiles. Il détient des cartes de compétence depuis 1977 à titre d’aligneur, de mécanicien classe D et d’aligneur classe B depuis 1980. Il a travaillé durant 15 à 17 ans chez son père pour, par la suite, acheter le commerce et y œuvrer quatre ans, soit de 1985 à 1989. Son horaire de travail était de 40 heures semaine et il effectuait toujours les mêmes travaux, soit de mécanique générale et d’alignement des roues.
[19] À la fermeture de son garage, il oeuvre chez l’employeur en avril 1989. Le travailleur affirme avoir effectué le même type de travail qu’auparavant. Il œuvrait dans un puits ou sous le monte-charge hydraulique pour aligner les roues et effectuer différentes opérations mécaniques sur la suspension et la direction, les bras toujours plus haut que la hauteur des épaules.
[20] Monsieur Gingras, directeur général chez l’employeur, confirme les données fournies à la CSST le 14 mai 2000 voulant que le travailleur a été sporadiquement mis à pied (totalisant tout près d’un an) entre le mois d’avril 1989 et le mois de février 1994, date à laquelle le travailleur a œuvré de façon continue jusqu’en octobre 2003.
[21] Il découle de ces témoignages que le travailleur a exercé un travail identique pour plus d’un employeur.
[22]
Les dispositions du second alinéa de l’article
[23] La preuve révèle que l’importance du danger s’avère la même pour les emplois exercés autant chez les employeurs antérieurs que chez l’employeur actuel, le témoignage du travailleur étant nettement à cet effet.
[24] La répartition des coûts devra donc être proportionnelle en fonction de la durée du travail pour chacun des employeurs. Il en découle que le travailleur a œuvré pour une période d’environ quinze ans chez son père, cinq ans à titre de propriétaire et dix ans[7] chez l’employeur actuel, et ce, jusqu’au moment de sa lésion professionnelle.
[25]
L’employeur doit donc être ainsi imputé d’un
pourcentage de 33 % représentant la durée proportionnelle de l’emploi du
travailleur chez ce dernier (dix ans sur un total de 30 ans), et ce,
considérant les prescriptions énoncées au second alinéa de l’article
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête déposée par Gingras et Fils Ressorts inc., le 28 septembre 2004 ;
INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 22 septembre 2004, à la suite d’une révision administrative ;
DÉCLARE qu’il y a lieu d’imputer au dossier de Gingras et Fils Ressorts inc. 33 % du coût des prestations de la maladie professionnelle subie par monsieur Guy Pilon le 1er juin 2000.
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Robert Daniel |
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Commissaire |
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André Leduc, Avocat |
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Représentant de la partie requérante |
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[1] L.R.Q., c. A-3.001
[2] L.R.Q., c. A-3.001
[3] (1998) 130 G.O. II, 6435
[4] Abattoir Colbex inc., C.L.P. 220865-04B-0311 et 220877-04B-0311, 04-11-18, S. Sénéchal
[5] Bell Canada, C.L.P.
[6] Précitée, note 4
[7] En soustrayant le total d’une année de mises à pied temporaires entre 1989 et 1994.
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