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DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION
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[1] Le 5 août 2003, la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête en révision à l'encontre de la décision rendue le 18 juillet 2003.
[2]
Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles
déclare qu'en relation avec la lésion professionnelle subie le 14 novembre
2001, monsieur Gilbert Jean Saintus (le travailleur) a droit au minimum
prévu par les dispositions de l'article
[3] À l'audience prévue pour le 26 mars 2004, aucune des parties n'étaient présentes. Par contre, la CSST qui est représentée par procureur, a fait parvenir une argumentation au soutien de sa requête.
L’OBJET DE LA REQUÊTE
[4]
La CSST
demande de réviser la décision rendue le 18 juillet 2003 et de déclarer que le
travailleur n'a pas droit au minimum de 500 $ prévu à l'article
L’AVIS DES MEMBRES
[5]
Le membre
issu des associations d'employeurs est d'avis que la requête devrait être
accueillie. La décision rendue le 18 juillet 2003 comporte une erreur évidente,
soit que le préjudice esthétique ne constitue pas un déficit
anatomo-physiologique. Le libellé de l'article
[6]
Le membre
issu des associations syndicales est d'avis que la requête devrait être
rejetée. L'article
LES FAITS ET LES MOTIFS
[7] Pour faciliter la compréhension de la présente requête, le tribunal est d'avis qu'il y a lieu de rapporter certains passages de la décision rendue le 18 juillet 2003.
« […]
[10] Le 14 novembre 2001, le travailleur subit une lésion professionnelle alors qu’il est frappé au visage par une roue qui était placée temporairement au sommet d’une échelle.
[11] Cette lésion professionnelle est consolidée en date du 21 janvier 2001 par le docteur Saine dans son rapport, indique que le travailleur présente une lacération faciale qui est résolue et qu’il garde une cicatrice non vicieuse de 1 cm.
[12] Un rapport d’évaluation médicale fait par le docteur Paine en date du 21 février 2002 reconnaît que le travailleur conserve une atteinte permanente en raison d’une cicatrice de 1 cm, donnant ainsi droit à un pourcentage d’atteinte permanente de 0,1 %, auquel il faut rajouter le pourcentage pour douleurs et perte de jouissance de la vie correspondant, le tout donnant un total de 0,11 %.
[13] La CSST et la révision administrative ont procédé à un calcul déterminant que le 0,11 % d’atteinte permanente correspondait à 45,21 $ à titre d’indemnité pour dommages corporels.
[…]
[15] À l’audience, le travailleur ne conteste pas le
pourcentage d’atteinte permanente et ne contrevient donc pas ici aux
dispositions des articles
[16] À cet effet, il soumet que les dispositions de l’article 86 doivent trouver leur application :
86. Le montant de l'indemnité pour dommages corporels ne peut être inférieur à 500 $ lorsque le travailleur a subi un déficit anatomo - physiologique.
________
1985, c. 6, a. 86.
[17] Cette disposition prévoit qu’un montant minimal doit être octroyé lorsqu’un travailleur conserve un déficit anatomo-physiologique, peu importe que ce déficit anatomo-physiologique résulte d’un préjudice esthétique.
[18] Il faut lire l’article 86 avec les dispositions de l’article 83 qui prévoient :
83. Le travailleur victime d'une lésion professionnelle qui subit une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique a droit, pour chaque accident du travail ou maladie professionnelle pour lequel il réclame à la Commission, à une indemnité pour dommages corporels qui tient compte du déficit anatomo‑physiologique et du préjudice esthétique qui résultent de cette atteinte et des douleurs et de la perte de jouissance de la vie qui résultent de ce déficit ou de ce préjudice.
________
1985, c. 6, a. 83.
[19 ]La preuve au dossier démontre donc que le travailleur a
subi une lésion professionnelle ayant entraîné un préjudice corporel, tel que
prévu à l’article
[20] L’article 86 stipule que l’indemnité pour préjudice corporel doit tenir compte, en vertu de l’article 83, du déficit anatomo-physiologique et du préjudice esthétique comme dans le présent dossier. La cicatrice qui résulte de la lésion professionnelle constitue donc une atteinte à l’intégrité physique puisque cette lésion a modifié l’état extérieur du travailleur et constitue donc un déficit anatomo-physiologique qui est reconnu au chapitre du préjudice corporel.
[21] Un très grand nombre de décisions ont donné une interprétation différente de celle retenue par le soussigné. Ces interprétations sont restrictives et donc préjudiciables au bénéficiaire et contraires aux règles d’interprétation et de la jurisprudence, qui veulent qu’une loi remédiatrice doit être interprétée dans le sens de donner effet au texte de loi plutôt que de le nier.
[22] De plus, l’interprétation de l’article 86 ne supporte pas une telle interprétation qui spécifie que le minimum du montant pour l’indemnité, prévu pour préjudice corporel, ne peut être inférieur à 500 $ lorsqu’un travailleur subit un déficit anatomo-physiologique, déficit anatomo-physiologique qui doit tenir compte du préjudice esthétique, tel que défini à l’article 83. De plus, le Règlement sur le barème des dommages corporels[2] (le barème) comprend les pourcentages pour atteinte pour préjudice esthétique, ce qui permet de conclure qu’un préjudice esthétique constitue un déficit anatomo-physiologique. D’ailleurs, il tombe sous le sens qu’une personne qui conserve une cicatrice a subi un déficit anatomo-physiologique, puisque cette cicatrice vient modifier de façon permanente l’état physique d’une personne et résulte d’une atteinte à l’intégrité physique du travailleur.
[23] Le soussigné, avec respect, n’adhère pas à l’interprétation retenue, qui écarte l’application de l’article 86 dans le cas d’atteinte permanente résultant uniquement de préjudice esthétique.
[8] Dans sa requête écrite datée du 5 août 2003, la CSST soumet :
« […]
La décision rendue par la CLP comporte, à sa face même, des vices de fond ou de procédure de nature telle qu'elle doit être invalidée;
L'article
[…]
L'APIPP est donc composé de trois éléments distincts:
Ø déficit anatomo-physiologique (DAP)
Ø préjudice esthétique (PE)
Ø douleurs et perte de jouissance de la vie (DPJV);
L'article
[…]
Nous vous soumettons que le Commissaire fait une erreur
manifeste d'application des notions prévues à l'article
«Cette disposition [article
En effet, le DAP ne peut résulter d'un préjudice esthétique,
il s'agit de deux éléments distincts constitutifs de l'APIPP en vertu de
l'article
De plus, le Commissaire introduit erronément une notion de
préjudice corporel, qui une fois établi, donnerait ouverture au seuil minimum
prévu à l'article
Le Commissaire arrive également à la conclusion que l'article
Le Commissaire ajoute ainsi au texte de loi de l'article
En effet, nous vous soumettons que le libellé de l'article
C'est d'ailleurs la position retenue par la CALP et la CLP de façon unanime, lorsqu'une telle question a été soulevé[3];
En concluant, au paragraphe 20, que la cicatrice, comme elle
constitue une atteinte à l'intégrité physique, constitue par ce fait même un
DAP, le Commissaire commet une erreur manifeste dans l'appréciation de la
notion d'atteinte permanente prévue à l'article
Le Commissaire se fonde également, au paragraphe 21, sur les principes d'interprétation des lois voulant qu'une loi remédiatrice doit être interprétée dans le sens de donner effet au texte de loi plutôt que le nier;
Nous vous soumettons que ce principe d'interprétation ne peut
trouver application dans le cas d'un texte de loi clair, sans équivoque, et
transposant clairement la volonté du législateur, comme il le fait dans
l'article
Nous vous soumettons également que le Commissaire commet une erreur de droit manifeste et déterminante au paragraphe 22 lorsqu'il indique :
«De plus, le Règlement sur le barème des dommages corporels (le barème) comprend les pourcentages pour atteinte pour préjudice esthétique, ce qui permet de conclure qu'un préjudice esthétique constitue un déficit anatomo-physiologique » (notre soulignement)
En effet, ce n'est pas parce que l'attribution d'un
pourcentage est prévue par le barème qu'il devient de ce fait un DAP. Au
contraire, le barème, conformément à l'article
Nous vous soumettons donc que la décision comporte des erreurs manifestes et déterminantes qui sont de nature à l'invalider;
La présente requête est bien fondée en faits et en droit et vous est soumise dans un délai raisonnable. »
[9] Bien qu'informé de la requête en révision déposée par la CSST, aucun argument n'a été soumis par le travailleur non plus que par son représentant
[10] Le tribunal doit donc décider s'il y a lieu de réviser la décision rendue le 18 juillet 2003.
[11]
C’est l’article
429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :
1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.
________
1997, c. 27, a. 24.
[12]
Cette disposition doit cependant être lue en conjugaison avec
l’alinéa troisième de l’article
429.49. Le commissaire rend seul la décision de la Commission des lésions professionnelles dans chacune de ses divisions.
Lorsqu'une affaire est entendue par plus d'un commissaire, la décision est prise à la majorité des commissaires qui l'ont entendue.
La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.
________
1997, c. 27, a. 24.
[13] Le tribunal est d’avis que le législateur a voulu ainsi s’assurer de la stabilité juridique des décisions rendues. Il y a donc lieu de tenir compte de ces objectifs, aux fins d’interpréter ces deux dispositions législatives.
[14] Dans le présent dossier, c’est le motif d’un «vice de fond» qui est invoqué pour invalider la décision rendue. La Commission des lésions professionnelles s’est prononcée à plusieurs occasions sur la portée du paragraphe troisième de l’article 429.56[4]. La lecture de ces décisions indique qu’une erreur de faits ou de droit peut constituer un «vice de fond ou de procédure de nature à invalider la décision», si le requérant démontre que cette erreur est manifeste et déterminante concernant l’objet de sa contestation. Comme l’indique la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Hôpital Ste-Justine[5], « une erreur manifeste est une erreur flagrante pouvant être découverte à la simple lecture de la décision ».
[15] Le tribunal est d'avis qu'il y a lieu de retenir les arguments soumis par la CSST dans le cadre de la présente requête en révision.
[16]
La jurisprudence unanime du présent tribunal indique
clairement que l'indemnité prévue à l'article
« […]
La lecture de ces articles ne laissent pas de doute sur le fait que l'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique dont souffre un travailleur est constituée par le cumul de trois éléments, à savoir le déficit anatomo-physiologique, le préjudice esthétique et les douleurs et la perte de jouissance de la vie.
Ces trois éléments sont exclusifs l'un de l'autre et ils constituent les trois parties sous lesquelles les 19 chapitres du Règlements sur le barème des dommages corporels (1987) 119, G.O. II, 5576 se répartissent.
Dans ce contexte, la Commission d'appel ne peut que conclure
que lorsque le législateur emploie à l'article
Dans la présente affaire, le travailleur ne s'est vu reconnaître par son médecin aucun déficit anatomo-physiologique mais s'est vu attribuer un préjudice esthétique, compte tenu de la présence d'une cicatrice à sa main gauche.
Dans les circonstances, la Commission d'appel ne peut que
conclure que le travailleur ne peut se voir appliquer les dispositions de
l'article
[…] »
[17]
Ainsi au paragraphe 17 de la décision rendue le 18 juillet
2003, la Commission des lésions professionnelles a commis une erreur en
concluant qu'un déficit anatomo-physiologique résulte d'un préjudice
esthétique. Comme le soumet la CSST, le déficit anatomo-physiologique ne peut
résulter d'un préjudice esthétique puisqu'il s'agit de deux éléments distincts,
qui constituent l'atteinte permanente prévu à l'article
[18] Le tribunal est également d'avis que la décision rendue le 18 juillet 2003, comporte une erreur au paragraphe 22. La Commission des lésions professionnelles conclut erronément que le fait d'accorder un pourcentage pour préjudice esthétique, permet de conclure qu'un préjudice esthétique constitue un déficit anatomo-physiologique. Comme l'a soumis la procureure de la CSST, le barème prévoit trois sections différentes, une pour le déficit anatomo-physiologique, une pour le préjudice esthétique et une autre pour les douleurs et la perte de la jouissance de la vie. Ce n'est donc pas parce que le barème attribue un pourcentage au préjudice esthétique, que ce dernier devient alors un déficit anatomo-physiologique.
[19]
La Commission des lésions professionnelles commet également
une erreur au paragraphe 19 de la décision rendue le 18 juillet 2003. Comme le
soumet la procureure de la CSST, la Commission des lésions professionnelles
ajoute au texte de l'article
[20]
L'erreur commise dans la décision rendue le 18 juillet 2003, a
donc été de conclure qu'un pourcentage de préjudice esthétique constitue un
déficit anatomo-physiologique. Les articles
[21] Le tribunal conclut ainsi que la décision rendue le 18 juillet 2003, comporte une erreur de droit manifeste et déterminante et qu'il y a lieu de la réviser
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLEla requête de la Commission de la santé et de la sécurité du travail;
RÉVISE la décision rendue le 18 juillet 2003;
DÉCLARE que
l'article
DÉCLARE qu'en relation avec l'accident du travail survenu le 14 novembre 2001, le travailleur a droit à un montant de 45,21 $ à titre d'indemnité pour dommages corporels.
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Me Alain Suicco |
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Commissaire |
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Monsieur Martin Savoie |
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TEAMSTERS QUÉBEC (C.C. 91) |
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Représentant de la partie requérante |
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Me Lucie Jobin |
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PANNETON LESSARD |
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Représentant de la partie intervenante |
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[1] L.R.Q., c. A-3.001
[2] [1987] 119 G.O. II, 5576
[3] Poulin et Coopérative Fédérée de Québec et CSST, CALP 25188-03-9011; Papineau et Transport à Cabano inc., CALP 46131-64-9210; Bellemare et Association coopérative de travail de Guyenne, CLP 125753-08-9910.
[4] Produits forestiers Donohue inc. et
Villeneuve,
[5] [1999] C.L.P. 954
[6] Napoléon Poulin et Coopérative
Fédérée de Québec et Commission de la
santé et de la sécurité du travail,
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.