Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier

Cuisine Laurier et Pelchat

2011 QCCLP 7481

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Québec

22 novembre 2011

 

Région :

Mauricie-Centre-du-Québec

 

Dossier :

412859-04B-1006-R

 

Dossier CSST :

134297753

 

Commissaire :

Monique Lamarre, juge administratif

 

Membres :

René Pépin, associations d’employeurs

 

Jean-Pierre Périgny, associations syndicales

______________________________________________________________________

 

 

 

Cuisine Laurier

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Émilie Pelchat

 

Partie intéressée

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 25 novembre 2010, Cuisine Laurier (l’employeur), dépose une requête en révision à l’encontre d’une décision rendue par la Commission des lésions professionnelles, le 5 novembre 2010.

[2]           Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles accueille la plainte déposée par madame Émilie Pelchat, le 7 mai 2009, en vertu de l’article 32 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) et déclare qu’elle a droit de recevoir le salaire et les avantages aux mêmes taux et conditions que ceux dont elle aurait bénéficié si elle avait continué son emploi de sableuse chez l’employeur, pour la période du 20 avril au 20 août 2009.

[3]           L’audience sur la requête en révision a lieu, le 13 septembre 2011, à Drummondville, en présence de l’avocat de l’employeur et de la travailleuse qui est assistée de son avocat. Le 12 octobre 2011, l’avocat de l’employeur a fait parvenir de la jurisprudence à la Commission des lésions professionnelles pour appuyer son argumentation soumise à l’audience. Le délibéré a été suspendu et un délai a été accordé à l’avocat de la travailleuse afin de soumettre ses commentaires. Ceux-ci sont reçus à la Commission des lésions professionnelles, le 27 octobre 2011, et la cause est mise en délibéré à cette date.

L’OBJET DE LA REQUÊTE

[4]           L’employeur demande de réviser la décision rendue, le 5 novembre 2010, et de rejeter la plainte déposée par la travailleuse en vertu de l’article 32 de la loi.

L’AVIS DES MEMBRES

[5]           Le membre issu des associations syndicales est d’avis que la requête doit être rejetée. L’employeur n’a pas démontré que le premier juge administratif a commis une erreur manifeste et déterminante dans son interprétation qu’il fait de l’article 236 de la loi. Cette interprétation se justifie en fonction des faits au dossier.

[6]           Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis d’accueillir la requête de l’employeur. Il retient que le premier juge administratif a ajouté au texte de l’article 236 de la loi en concluant que la travailleuse doit être réintégrée « prioritairement » dans un emploi d’un autre établissement que celui où elle travaillait au moment de la lésion professionnelle. De plus, il est d’avis qu’il omet de tenir compte de la notion d’établissement tel que définie à la loi.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[7]           Le tribunal siégeant en révision doit déterminer s’il y a lieu de réviser la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 5 novembre 2010.

[8]           L’article 429.49 de la loi prévoit qu’une décision rendue par la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel :

429.49. Le commissaire rend seul la décision de la Commission des lésions professionnelles dans chacune de ses divisions.

 

Lorsqu’une affaire est entendue par plus d’un commissaire, la décision est prise à la majorité des commissaires qui l’ont entendue.

 

La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s’y conformer sans délai.

____________

1997, c. 27, a. 24.

 

 

[9]           Le recours en révision ou en révocation est prévu à l’article 429.56 de la loi :

429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendue:

 

 

1°   lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;

 

2°   lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;

 

3°   lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.

 

Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.

__________

1997, c. 27, a. 24.

 

 

[10]        Le recours en révision ou en révocation s’inscrit dans le contexte de l’article 429.49 de la loi qui prévoit qu’une décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel. Une décision ne peut être révisée ou révoquée que si l’un des motifs prévus par l’article 429.56 de la loi est établi.

[11]        Aux fins de l’analyse de la présente requête, il y a lieu de préciser quant à l’expression « vice de fond .. de nature à invalider la décision » qu’elle a été interprétée par la Commission des lésions professionnelles[2] comme étant une erreur manifeste, de droit ou de fait, ayant un effet déterminant sur l’issue du litige.

[12]        Il a été maintes fois réitéré que ce recours ne peut constituer un appel déguisé compte tenu du caractère final d’une décision de la Commission des lésions professionnelles énoncé au troisième alinéa de l’article 429.49 de la loi.

[13]        Dans l’affaire C.S.S.T. et Fontaine[3], la Cour d’appel a été appelée à se prononcer sur la notion de « vice de fond ». Elle réitère que la révision n’est pas l’occasion pour le tribunal de substituer son appréciation de la preuve à celle déjà faite par la première formation ou encore d’interpréter différemment le droit. Elle établit également que la décision attaquée pour motif de vice de fond ne peut faire l’objet d’une révision interne que lorsqu’elle est entachée d’une erreur dont la gravité, l’évidence et le caractère déterminant ont été démontrés par la partie qui demande la révision. Dans l’affaire Fontaine, comme elle l’avait déjà fait dans la cause TAQ c. Godin[4], la Cour d’appel invite et incite la Commission des lésions professionnelles à faire preuve d'une très grande retenue dans l'exercice de son pouvoir de révision.

[14]        Ainsi, un juge administratif saisi d'une requête en révision ne peut pas écarter la conclusion à laquelle en vient le premier juge administratif qui a rendu la décision attaquée et y substituer sa propre conclusion au motif qu'il n'apprécie pas la preuve et le droit de la même manière que celui-ci.

[15]        Il y a d’abord lieu de rapporter brièvement les faits afin de situer le litige dont était saisi le premier juge administratif.

[16]        La travailleuse occupe l’emploi de sableuse à l’établissement de l’employeur situé à Dosquet, lorsque le 12 novembre 2008, elle subit un accident du travail entraînant une épicondylite droite. Il n’y a pas de convention collective chez cet employeur.

[17]        Dès le lendemain, elle débute une assignation temporaire à l’établissement de Dosquet. Elle travaille en assignation temporaire jusqu’au 3 décembre 2008, date où cet établissement passe au feu.

[18]        À la suite de cet incendie, 13 employés sur 21 sont mis à pied et les autres sont assignés soit à l’autre établissement de l’employeur, situé à Laurier-Station, ou à celui de Dosquet pour y faire du ménage. Après l’incendie, l’employeur est dans l’obligation de réagir rapidement pour rencontrer les obligations de son carnet de commandes. Il crée un nouveau quart de travail de soir à l’établissement de Laurier-Station.

[19]        Quant à la travailleuse, son médecin recommande la fin de l’assignation temporaire étant donné que le trajet est trop long jusqu’à l’établissement de Laurier-Station.

[20]        À la mi-février 2009, le médecin traitant autorise de nouveau l’assignation temporaire que la travailleuse effectue à l’établissement de Laurier-Station.

[21]        Les 16 et 23 février 2009, mesdames Fournier et Bergeron, qui travaillaient à l’établissement de Dosquet et qui ont été mises à pied après l’incendie, sont rappelées pour travailler comme sableuses à l’établissement de Laurier-Station. Elles possèdent toutes deux moins d’ancienneté que la travailleuse chez l’employeur.

[22]        Le 27 février 2009, la travailleuse ainsi que mesdames Fournier et Bergeron sont mises à pied.

[23]        Le 23 mars 2009, mesdames Fournier et Bergeron sont rappelées pour travailler comme sableuses à l’établissement de Laurier-Station.

[24]        Le 30 mars 2009, le médecin traitant de la travailleuse remplit un rapport médical final consolidant la lésion pour le 20 avril 2009, sans atteinte permanente ni limitations fonctionnelles.

[25]        La travailleuse remet ce rapport médical final à l’employeur lui indiquant qu’elle est apte à refaire son emploi de sableuse sur n’importe quel quart de travail. Au moment de remettre ce rapport médical, la travailleuse constate que mesdames Fournier et Bergeron travaillent à l’établissement de Laurier-Station à titre de sableuses, alors qu’elles ont moins d’ancienneté qu’elle.

[26]        Finalement, l’employeur communique avec la travailleuse et l’informe qu’elle est mise à pied parce qu’il ne veut pas mettre à pied quelqu’un d’autre.

[27]        Le 7 mai 2009, la travailleuse dépose une plainte en vertu de l’article 32 de la loi demandant d’être réintégrée à son poste de travail qu’elle est apte à occuper depuis le 20 avril 2009.

[28]        Finalement, madame Fournier quitte son emploi en juin 2009 et madame Bergeron, le 20 août 2009. Après cette date, il y a toujours des sableurs qui travaillent à l’établissement de Laurier-Station, mais ils ont tous plus d’ancienneté que la travailleuse.

[29]        Le conciliateur-décideur de la CSST accueille la plainte de la travailleuse et déclare qu’elle a droit au salaire et aux avantages liés à son emploi pour la période comprise entre le 20 avril et le 20 août 2009.

[30]        L’employeur conteste cette décision devant la Commission des lésions professionnelles. Le premier juge administratif pose ainsi l’objet en litige devant lui :

 

[43]      La Commission des lésions professionnelles doit décider si la plainte logée par la travailleuse le 7 mai 2009 en vertu de l’article 32 de la loi est fondée. Plus précisément, si le 22 avril 2009, l’employeur l’a illégalement mise à pied en raison de sa lésion professionnelle du 12 novembre 2008.

 

 

[31]        Au paragraphe [48], il précise que la travailleuse réclame l’application de l’article 236 de la loi et soumet qu’elle est en droit de réclamer le retour à son poste de travail prioritairement, notamment, à deux travailleuses qui ont moins d’ancienneté qu’elle.

[32]        Devant le premier juge administratif, sauf pour un élément qui ne concerne pas la présente requête, les faits n’étaient pas contestés et les parties s’en remettaient à ceux rapportés dans la décision rendue par le conciliateur-décideur de la CSST.

[33]        Le litige concernait essentiellement des questions de droit impliquant l’interprétation de l’article 236 de la loi et la notion d’établissement qui est définie à la Loi sur la santé et la sécurité du travail[5] (la LSST) tel que le prévoit l’article 2 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles :

236.  Le travailleur victime d'une lésion professionnelle qui redevient capable d'exercer son emploi a droit de réintégrer prioritairement son emploi dans l'établissement où il travaillait lorsque s'est manifestée sa lésion ou de réintégrer un emploi équivalent dans cet établissement ou dans un autre établissement de son employeur.

__________

1985, c. 6, a. 236.

 

 

2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :

 

« établissement » : un établissement au sens de la Loi sur la santé et la sécurité du travail;

__________

1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.

 

 

[34]        L’article 1 de la LSST définit comme suit la notion d’établissement :

1. Dans la présente loi et les règlements, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par:

 

«établissement»: l'ensemble des installations et de l'équipement groupés sur un même site et organisés sous l'autorité d'une même personne ou de personnes liées, en vue de la production ou de la distribution de biens ou de services, à l'exception d'un chantier de construction; ce mot comprend notamment une école, une entreprise de construction ainsi que les locaux mis par l'employeur à la disposition du travailleur à des fins d'hébergement, d'alimentation ou de loisirs, à l'exception cependant des locaux privés à usage d'habitation;

__________

1979, c. 63, a. 1; 1985, c. 6, a. 477, a. 521; 1986, c. 89, a. 50; 1988, c. 61, a. 1; 1992, c. 21, a. 300; 1992, c. 68, a. 157; 1994, c. 23, a. 23; 1997, c. 27, a. 34; 1998, c. 39, a. 188; 1999, c. 40, a. 261; 2002, c. 38, a. 10; 2001, c. 26, a. 168; 2002, c. 76, a. 1; 2005, c. 32, a. 308.

 

 

[35]        Le premier juge administratif rapporte ainsi l’argumentation des deux parties :

[37]      L’employeur soutient qu’il n’a pas imposé de sanction ni agi de façon illégale envers la travailleuse le 22 avril 2009, moment où cette dernière fut mise à pied.

 

[38]      Il soumet tout d’abord qu’en l’absence de convention collective, son obligation se résume à agir selon le bon jugement et l’équité, ce qu’il prétend avoir fait. Ensuite, il précise qu’il existe deux établissements au sens de la loi et non un seul. Comme la preuve le révèle dit-il, il y a eu transfert d’un établissement à l’autre compte tenu de l’incendie du 3 décembre 2008. En fonction des besoins, l’employeur a alors mis à pied et rappelé mesdames Fournier et Bergeron, et ce, avant que la travailleuse ne redevienne capable d’occuper le poste de sableur le 20 avril 2009. Conséquemment, ce que la travailleuse réclame le 20 avril 2009 est un droit de déplacement dans un établissement différent de celui où elle travaillait lorsque s’est manifestée sa lésion, droit que la loi ne lui accorde pas. L'employeur soumet deux décisions au soutien de ses prétentions.

 

[39]      L’employeur en conclut donc que puisqu’au moment où il rappelle au travail mesdames Bergeron et Fournier la travailleuse n'est pas capable d’occuper l’emploi de sableur, il ne lui impose aucune sanction ni mesures de représailles, il ne fait que combler ses besoins ponctuels en personnel.

 

[40]      La travailleuse, de son côté, soumet qu’au moment où elle reprend le travail en assignation temporaire à la mi-février 2009, elle le fait à l’établissement de Laurier Station, ce qui, dit-elle, ne semble pas être un empêchement à ce moment. Pourquoi en irait-il autrement le 20 avril 2009? Elle affirme qu’au moment où elle peut exercer son droit de retour au travail, le 20 avril 2009, elle en informe aussitôt l'employeur. La preuve démontre selon elle que l’employeur ne l’y autorise pas simplement parce qu'il refuse de mettre quelqu’un d’autre à pied, ce qui est illégal puisqu’elle détient un droit de réintégration prioritaire à son emploi. Qu’il existe ou non une convention collective, son droit de retour au travail à son emploi de façon prioritaire existe au moment où elle peut l’exercer, soit le 20 avril 2009, et l’employeur l’en a privée sans motif valable.

 

 

[36]        Le premier juge administratif conclut que la travailleuse détenait un droit prioritaire de réintégration au travail en vertu de l’article 236 de la loi, ce qui l’amène à accueillir la plainte de la travailleuse.

[37]        Il motive sa décision comme suit :

[49]      Les textes respectifs des articles 236 et 239 de la loi laissent clairement voir l’intention première du législateur eu égard au droit au retour au travail. En vertu de l’article 236 de la loi, cette intention se traduit par le désir de voir le travailleur réintégrer prioritairement son emploi ou à défaut, un emploi équivalent. Dans le cas où le travailleur demeure incapable d’exercer son emploi en raison de sa lésion professionnelle, l’article 239 de la loi prévoit alors que ce dernier a le droit d’occuper le premier emploi convenable qui devient disponible. Il est aisé de constater compte tenu des termes utilisés que la nature ainsi que la primauté du droit au retour au travail dont bénéficie un travailleur est différente en fonction de sa capacité ou non à exercer son emploi. C'est aussi le constat que pose le tribunal dans l’étude du cas Raymond :

 

[34]          Le fait qu’un travailleur occupe « son emploi » ou un « emploi convenable » est déterminant dans le chapitre du droit du retour au travail prévu à la Loi.

 

 

[50]      L’article 236 de la loi prévoit donc que le travailleur qui redevient capable d’exercer son emploi a droit de réintégrer prioritairement celui-ci.

 

[51]      L’utilisation de l’expression « réintégrer prioritairement » à l’article 236 de la loi revêt tout son sens lorsque l’on constate que le texte de l’article 239 de la loi prévoit non pas le droit de réintégrer prioritairement, mais plutôt le droit d’occuper le premier emploi convenable qui devient disponible, et ce, sous réserve des règles relatives à l’ancienneté, prévues le cas échéant par la convention collective applicable.

 

[52]      Contrairement au texte de l’article 239 de la loi, celui de l’article 236 n’impose pas au travailleur que son emploi soit disponible ni qu’il doive se soumettre à quelques règles que ce soit relatif à l’ancienneté pour être en mesure de le réintégrer, ceci pour deux raisons. Premièrement, il détient un droit prioritaire de réintégration et deuxièmement, les règles relatives à l’ancienneté ou au service continu le cas échéant, ne peuvent de toute manière poser problème puisque l’article 235 de la loi prévoit que le travailleur qui s’absente de son travail en raison de sa lésion professionnelle continue notamment d’accumuler de l’ancienneté au sens de la convention collective applicable ou du service continu selon cette même convention ou encore en vertu de la Loi sur les normes du travail .

 

[53]      De l’avis du tribunal, le choix des termes dans la version anglaise de l’article 236 de la loi fait ressortir encore davantage la priorité que détient le travailleur qui requiert de réintégrer son emploi dans le cadre de l’exercice de son droit au retour au travail. L’article 236 de la loi se lit ainsi dans sa version anglaise :

 

236.  A worker who has suffered an employment injury and again become able to carry on his employment is entitled to be reinstated by preference to others in his employment in the establishment where he was working when the employment injury appeared or reassigned to equivalent employment in that establishment or in another establishment of his employer.

 

[notre soulignement]

 

 

[54]      Le législateur reconnaît un droit de préférence au travailleur sur ses collègues de travail lorsque vient le temps de réintégrer son emploi ou un emploi équivalent à la suite d’une lésion professionnelle.

 

[55]      Pour le présent tribunal, il est manifeste que lorsqu’un travailleur fait valoir son droit au retour au travail à son employeur et requiert d’occuper son emploi, dans la mesure où il en a la capacité, il ne bénéficie pas d’un droit de déplacement, mais du droit de récupérer son emploi, lequel fut tout simplement dépourvu de son titulaire légitime temporairement, soit depuis la survenance de sa lésion professionnelle. Sinon l’utilisation de l’adverbe prioritairement accolé au verbe réintégrer devient vide de sens puisqu’il signifie ce que le Petit Robert (édition 1991) définit comme « avoir priorité, qualité de ce qui passe en premier, dans le temps. Actions de priorité, qui donnent certains avantages à leurs titulaires. Droit de passer le premier. »

 

[56]      Ceci dit avec égards, le présent tribunal est d’opinion que les deux décisions que fait valoir le savant procureur de l'employeur pour étayer sa position lorsqu’il affirme que la travailleuse recherche à faire valoir un droit de déplacement que la loi ne lui reconnaît pas ne visent tout simplement pas la même situation qu’en l’espèce. En effet, les décisions Therrien et Foyer de Rimouski réfèrent à des cas de postes de remplacement devant être comblés par le biais d’une liste d’appels pendant l’absence d’un travailleur en raison d’une lésion professionnelle. C’est ce que prend d'ailleurs la peine de spécifier la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Therrien :

 

[44]          Au surplus, les motifs sur lesquels s’appuie la Commission des lésions professionnelles dans sa décision du 10 septembre 2002, font référence à des décisions de la Commission d’appel et à des décisions arbitrales pour justifier son interprétation, à l’effet que le droit réclamé par le travailleur, celui d’effectuer le remplacement, était déchu pendant son absence.

 

[45]          La Commission des lésions professionnelles ne voit aucune erreur manifeste et déterminante dans le fait que la Commission des lésions professionnelles souligne que rien dans la loi ne prévoit le droit d’un travailleur d’intégrer un poste en remplacement. Par ailleurs, les décisions de Foyer de Rimouski et Landry et Centre de santé Lebel et Plamondon vont dans le même sens.

 

[nos soulignements]

 

 

[57]      Dans le cas présent, la travailleuse fait valoir son droit au retour au travail pour réintégrer prioritairement son emploi et non pour revendiquer le droit d’intégrer un poste en remplacement.

 

[58]      Les faits en l’espèce s’apparentent beaucoup plus à ceux en cause lors de l’étude du litige opposant Pinkerton du Québec ltée et Cossette et CSST. La Commission d’appel en matière de lésions professionnelles s’exprimait de la façon suivante dans le cadre du dépôt d’une plainte en vertu de l’article 32 de la loi et l’application de l’article 236 :

 

Dans la présente cause, l'emploi occupé par le travailleur lorsque s'est manifestée sa lésion existait encore au moment où il est redevenu capable de l'exercer. La preuve prépondérante est à l'effet que le travailleur possédait les qualifications professionnelles requises pour réintégrer son emploi. Devant ces faits, la Commission d'appel est d'avis que l'employeur avait l'obligation de réintégrer le travailleur prioritairement à son emploi, même si cet emploi avait été comblé pendant l'absence du travailleur. La Commission d'appel ne retient pas les prétentions de l'employeur à l'effet qu'il lui appartient de décider à quel emploi il réintégrera le travailleur. Si tel avait été le cas, le législateur n'aurait pas créé un droit de réintégration prioritaire à son emploi pour le travailleur.

 

 

[59]      Somme toute, à compter du moment où un travailleur redevient capable d’exercer son emploi à l’intérieur du délai légal prévu pour ce faire par l’article 240 de la loi, qu’il en informe son employeur et que son emploi existe toujours à ce moment, l’employeur n’a d’autres choix que de réintégrer prioritairement le travailleur dans son emploi, et ce, indépendamment de la disponibilité de cet emploi.

 

[60]      Dans l’éventualité où, pour des raisons étrangères à sa lésion professionnelle, son emploi n’est plus disponible parce que par exemple il n’existe plus lors de l’exercice de son droit au retour au travail, le travailleur conserve par ailleurs le même droit, soit celui de réintégrer prioritairement un emploi équivalent. Dans l’affaire Allard et Jules Henri Couvreurs ltée, la Commission des lésions professionnelles tenait les propos suivants :

 

[35]          Dans l'affaire Gougeon et Canadian Tire3, la commissaire a bien indiqué que l'emploi équivalent vise les situations où le travailleur redevient capable d'exercer son emploi sans cependant pouvoir le réintégrer en raison de circonstances étrangères à la lésion professionnelle comme l'abolition du poste de travail pré-lésionnel.

__________

3        Gougeon et Canadian Tire, C.L.P. 111011-61-9902, 22 novembre 1999, G. Morin.

 

 

[61]      Encore une fois, prétendre qu’un travailleur qui redevient capable d’exercer son emploi à la suite d’une lésion professionnelle ne peut réintégrer celui-ci prioritairement lors de l’exercice de son droit au retour au travail parce qu’un autre travailleur l’occupe depuis son absence revient à stériliser complètement l’expression « réintégrer prioritairement » ou « by preference to others » et faire abstraction des termes de l’article 239 de la loi qui rendent conditionnel le droit d’occuper un emploi convenable à la disponibilité de celui-ci ainsi qu’aux règles relatives à l’ancienneté le cas échéant, conditions que le législateur n’impose pas au travailleur qui redevient capable d’exercer son emploi.

 

[62]      Le tribunal reconnaît qu’en l’absence de convention collective, les obligations de l'employeur, entre autres en cas de mises à pied et de rappels au travail, sont soumises aux critères généraux de bonne foi, d’équité et de non-discrimination. Quoi qu'il en soit, convention collective ou non, les règles prévues notamment aux articles 235 à 240 de la loi sont complètes en elles-mêmes et disposent de la question. C’est au surplus la position du tribunal dans l’affaire Therrien précitée :

 

[40]          Bien au contraire, il faut comprendre des dispositions des autres articles qu’elles visent plutôt à préciser les situations qui s’avéreraient conflictuelles et ce, en raison des dispositions de la loi.  De plus, la Commission des lésions professionnelles constate que l’on n’aurait pas fait référence dans la convention collective aux articles 12.08, 12.10, 12.11, 20.04 aux exceptions pour accidents du travail et maladies professionnelles, que cela n’aurait rien changé au texte même de ces articles et à l’interprétation que l’on doit en donner, puisque, en particulier, les articles 234 à 244 prévoient les modalités du droit de retour au travail.

 

 

[63]      C'est pourquoi le tribunal n’entend pas s’étendre plus longtemps sur le fait que lors d’un événement antérieur, la travailleuse aurait réintégré son emploi provoquant ainsi la mise à pied d’une autre travailleuse. Cet épisode n’a pas, de l’avis du tribunal, d’impact sur l’issue du présent litige.

 

[64]      En l’espèce, il n’est pas contesté que le 20 avril 2009, la travailleuse redevient capable d’exercer son emploi de sableuse et que cet emploi existe toujours. Elle en informe alors l'employeur et désire exercer à ce moment son droit au retour au travail, c'est-à-dire, son droit de réintégrer prioritairement son emploi de sableuse, ce que l'employeur lui refuse.

 

[65]      En considération de ce qui précède, le tribunal est d’avis que le 20 avril 2009, la travailleuse a fait l’objet d’une mesure visée à l’article 32 de la loi, en l’occurrence un déplacement, et ce, dans les six mois de la date où elle fut victime d’une lésion professionnelle, soit le 12 novembre 2008. En conséquence, conformément aux termes de l’article 255 de la loi, il y a présomption en faveur de cette dernière que le déplacement imposé par l’employeur l’a été parce qu’elle fut victime d’une lésion professionnelle. Il revient donc à ce dernier de prouver qu’il a imposé ce déplacement à la travailleuse pour une autre cause juste et suffisante.

 

[66]      Or, dans les circonstances, l’employeur ne peut invoquer, à titre de cause juste et suffisante, le fait qu’au moment des rappels au travail le 23 mars 2009, la travailleuse est dans l’incapacité d’exercer son emploi (en l’occurrence en assignation temporaire de travail), pour la priver de son droit au retour au travail le 20 avril 2009 puisqu’elle possède à ce moment, conformément aux termes de l’article 236 de la loi, le droit de réintégrer prioritairement son emploi, lequel existe toujours.

 

[67]      L’autre moyen mis de l’avant par l’employeur à titre de cause juste et suffisante pour renverser l’application de la présomption prévue à l’article 255 de la loi est le fait qu’un travailleur qui désire réintégrer son emploi dans le cadre de l’exercice de son droit au retour au travail prévu à l’article 236 de la loi, doit le faire dans l’établissement où il travaillait lorsque s’est manifestée sa lésion. Or, argue l’employeur, cet établissement est celui de Dosquet et non celui de Laurier Station. En conséquence, l'employeur prétend n’avoir aucunement l’obligation de réintégrer prioritairement la travailleuse dans son emploi puisque l’établissement de Dosquet n’existe plus. Le tribunal ne partage pas l’opinion de l'employeur pour deux motifs.

 

[68]      D’abord, la preuve non contestée démontre qu’il y a eu transfert de main-d’œuvre de l’établissement de Dosquet à celui de Laurier Station. Ceci est particulièrement évident lorsque l’on considère le cas des travailleuses Bergeron et Fournier, toutes deux sableuses et affectées originalement à l’établissement de Dosquet. Il est aussi admis que la travailleuse effectue une assignation temporaire de travail à l’établissement de Laurier Station entre la mi-février et le 27 février 2009, ce que révèle d’ailleurs son relevé d’emploi. Il est en preuve qu’un quart de travail additionnel y fut ouvert pour répondre aux besoins engendrés par l’incendie de l’établissement de Dosquet. La preuve factuelle à laquelle les parties ont convenu de référer et tenue pour avérée démontre de plus qu’au moment où la travailleuse manifeste l’intention d’exercer son droit au retour au travail à l’établissement de Laurier Station, il n’a jamais été question de ne pouvoir le faire en raison de la situation physique de l’établissement ou de quelconques contraintes y étant reliées, mais plutôt parce que la responsable d’alors des dossiers d’accident du travail, madame Lambert, après consultation avec la directrice des ressources humaines, madame Bélanger, ne désire pas mettre quelqu’un d’autre en mise à pied.

 

[69]      Cette séquence d’événements renferme suffisamment d’indices graves, précis et concordants pour amener le tribunal à conclure que dans les faits, l’établissement de Laurier Station est devenu par la force des choses, l’établissement d’origine de la travailleuse, c'est-à-dire l’établissement où elle travaillait lorsque s’est manifestée sa lésion. Comment conclure autrement quand la preuve révèle notamment que des emplois de sableuses y furent transférés et que l’ouverture d’un nouveau quart de travail fut rendue nécessaire, et ce, en lien direct avec l’incendie de l’établissement de Dosquet.

 

[70]      Utiliser l’incendie de l’établissement de Dosquet en faisant abstraction totale des conséquences qui en résultent pour conclure que l’établissement où elle travaillait lorsque s’est manifestée sa lésion n’existe plus et par le fait même rendre impossible (ou empêcher) l’exercice par la travailleuse de son droit au retour au travail, constitue une interprétation littérale, stricte et rigide, laquelle cadre certes avec la lettre, mais d’aucune façon avec l’esprit de l’article 236 de la loi, lequel renferme l’intention clairement exprimée du législateur de voir un travailleur réintégrer prioritairement son emploi lorsqu’il redevient capable de l’exercer. Comme le tribunal l’a maintes fois répété, une loi d’ordre public, réparatrice et à caractère social telle la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles doit recevoir une interprétation souple et libérale de manière à en favoriser les effets et la réalisation de ses objectifs, plutôt qu’une interprétation trop restrictive qui en restreint la portée.

 

[71]      La Cour d’appel le rappelait encore récemment  dans le cadre de l’interprétation de l’article 57 de la loi relatif au droit du travailleur à l’indemnité de remplacement du revenu :

 

[49]          Les règles relatives au droit du travailleur victime d'une lésion professionnelle à l'indemnité de remplacement du revenu, et à l'extinction de ce droit, sont une chose, les règles relatives au paiement de l'indemnité par la CSST en sont une autre, sans pour autant nier le lien étroit qui les unit puisque la CSST ne verse que l'indemnité « à laquelle [le travailleur] a droit » (article 124 LATMP) et qu'elle doit recouvrer celle qu'il a reçue « sans droit » (article 133 LATMP). La solution retenue par la CLP découle non pas d'une quelconque confusion entre ces règles mais plutôt de la nécessité d'interpréter le paragraphe 1o de l'article 57 LATMP d'une façon souple et nuancée, dans le respect de l'économie générale de la loi et de l'objectif visé par la mise en place du régime d'indemnité de remplacement du revenu.

 

[notre soulignement]

 

 

[72]      L’objectif premier de la loi est la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu'elles entraînent pour les bénéficiaires (article1). Dans les circonstances très particulières de la présente affaire, considérer l’établissement de Laurier Station comme étant l’établissement où elle travaillait lorsque s’est manifestée sa lésion de façon à permettre à la travailleuse d’exercer son droit au retour au travail, constitue aux yeux de ce tribunal une interprétation souple et nuancée de la loi qui en permet la réalisation et l’exercice des droits, et ce, dans le respect de ses grands objectifs.

 

[73]      À titre de second motif, et dans l’hypothèse où l’on doive considérer que l’établissement de Dosquet n’existe plus, et donc que la travailleuse est alors dans l’impossibilité de réintégrer prioritairement son emploi dans l’établissement où elle travaillait lorsque s’est manifestée sa lésion, il n'en demeure pas moins qu’en vertu des termes de l’article 236 de la loi, celle-ci conserve le droit prioritaire de réintégrer un emploi équivalent dans un autre établissement de l’employeur. Et ce, toujours indépendamment de la disponibilité ou des règles relatives à l’ancienneté le cas échéant ou du service continu. Droit que l'employeur lui refuse aussi le 20 avril 2009 à l’établissement de Laurier Station.

 

[74]      Le tribunal est donc d’opinion que dans les circonstances précises de la présente affaire révélées par la preuve, l’employeur ne peut faire valoir non plus à titre de cause juste et suffisante le fait que l’établissement de Dosquet fut la proie des flammes le 3 décembre 2008 pour priver la travailleuse de son droit au retour au travail le 20 avril 2009 à l’établissement de Laurier Station, soit le droit d’y réintégrer prioritairement son emploi de sableuse.

 

[75]      La Commission des lésions professionnelles juge donc que le 20 avril 2009, la travailleuse a été l’objet d’une mesure visée dans l’article 32 de la loi, plus précisément un déplacement, et ce, dans les six mois de la date à laquelle elle fut victime d’une lésion professionnelle, en l’occurrence le 12 novembre 2008. En conséquence, la travailleuse bénéficie de l’application de la présomption de l’article 255 de la loi, présomption que l’employeur n’a pas été en mesure de renverser en démontrant une autre cause juste et suffisante à l’origine de ce déplacement.

 

[76]      La Commission des lésions professionnelles juge que la travailleuse a donc droit de recevoir, à compter de sa réintégration, le 20 avril 2009, le salaire et les avantages aux mêmes taux et conditions que ceux dont elle aurait bénéficié si elle avait continué à exercer son emploi pendant son absence, le tout en conformité avec les dispositions de l’article 242 de la loi. Puisqu’il est admis qu’aucune embauche ne fut effectuée après le 20 août 2009, date du départ de madame Sophie Bergeron, et que la travailleuse aurait pu exercer son emploi de sableuse jusqu’à cette date, elle a donc droit de recevoir lesdits salaire et avantages jusqu’au 20 août 2009.

 

[38]        L’employeur soutient que cette décision comporte une erreur manifeste et déterminante essentiellement pour deux motifs.

[39]        Dans un premier temps, il soumet que, dans son interprétation de l’article 236 de la loi, le premier juge administratif fait fi de la définition de la notion d’établissement celle-ci étant définie comme l’ensemble des installations et de l’équipement regroupé sur un même « site » qui est un lieu délimité géographiquement et qui ne laisse aucune place à l’interprétation. En retenant que la travailleuse pouvait réintégrer son emploi dans l’établissement de Laurier-Station, il élimine le mot « site » de la définition d’établissement.

[40]        Le tribunal siégeant en révision est d’avis que le premier juge administratif n’a commis aucune erreur manifeste et déterminante en interprétant l’article 236 de la loi comme il l’a fait. Il était appelé à déterminer si la travailleuse pouvait bénéficier d’un droit de réintégration prioritaire dans son emploi au sens de l’article 236 de la loi, étant donné que l’établissement, où elle travaillait au moment de sa lésion professionnelle, a passé au feu.

[41]        Le premier juge administratif procède à faire une interprétation des dispositions de la loi, les unes par rapport aux autres.

[42]        D’abord, il compare l’article 236 à l’article 239 de la loi. Cet exercice l’amène à retenir que l’intention du législateur est de favoriser la réintégration prioritaire dans son emploi, d’un travailleur victime d’une lésion professionnelle. Il réfère également à la version anglaise de l’article 236 de la loi, qui fait, selon lui, ressortir encore davantage cette intention du législateur.

[43]        Puis, il explique en quoi il considère que la jurisprudence soumise par l’employeur ne s’applique pas à la situation de la travailleuse. À cet égard, il fait la distinction entre le droit de réintégrer prioritairement son emploi et celui de réintégrer un poste de remplacement.

[44]        Par ailleurs, il écarte l’argument de l’employeur selon lequel le droit de retour au travail prévu à l’article 236 de la loi doit nécessairement se faire dans l’établissement où la travailleuse occupait un emploi lorsque s’est manifestée sa lésion et que, compte tenu de l’incendie à Dosquet, elle ne bénéficiait plus d’un droit de réintégration prioritaire.

[45]        À cet égard, le premier juge administratif retient plutôt de la preuve soumise que, dans le présent cas, il y a eu transfert de main-d’œuvre de l’établissement de Dosquet à celui de Laurier-Station. Il prend en considération notamment les éléments de preuve suivants. Mesdames Bergeron et Fournier qui travaillaient originalement à l’établissement de Dosquet, occupent le même emploi de sableuse à Laurier-Station. La travailleuse a effectué une assignation temporaire à l’établissement de Laurier-Station alors que son accident du travail est survenu à celui de Dosquet. Un quart additionnel de travail fut ouvert à l’établissement de Laurier-Station pour répondre aux besoins engendrés par l’incendie de celui de Dosquet.

[46]        Ces éléments amènent le premier juge administratif à considérer que l’établissement de Laurier-Station correspond à celui de l’emploi occupé par la travailleuse au moment de la lésion professionnelle. Selon lui, cette interprétation respecte le caractère social et réparateur de la loi. Compte tenu des circonstances très particulières de cette cause, il indique favoriser une interprétation large et libérale qui respecte davantage l’esprit de l’article 236 de la loi, à celle littérale, stricte et rigide plaidée par l’employeur.

[47]        Le tribunal siégeant en révision considère que cette interprétation téléologique de la loi n’est pas dénuée de sens et qu’elle s’appuie sur un raisonnement juridique logique et défendable. Le premier juge administratif interprète l’article 236 de la loi de façon libérale en lui donnant un sens, qui à son avis, répond le mieux à l’intention du législateur et à l’objet de la loi en fonction de la situation factuelle soumise. On peut ne pas être d’accord avec cette interprétation de la loi et privilégier celle plus restrictive proposée par l’employeur. Cependant, tel qu’il a été décidé dans le passé, la divergence d’opinion sur l’interprétation d’un texte de loi ne justifie pas la révision d’une décision.

[48]        C’est ce qui a été décidé, en outre, dans l’affaire Amar c. CSST[6]. Dans cette décision, la Cour d’appel rappelle que l'interprétation d'un texte législatif ne conduit pas nécessairement au dégagement d'une solution unique et que l'exercice d'interprétation exige de procéder à des choix qui, bien qu'encadrés par les règles d'interprétation des lois, sont sujets à une « marge d'appréciation admissible ». Elle rappelle également qu’il appartient d'abord aux premiers décideurs d'interpréter le texte de loi et de lui donner le sens qui, à son avis, répond le mieux à l'intention du législateur, à l'objet de la loi et à la situation personnelle d’un travailleur. Or, c’est exactement l’exercice auquel s’adonne le premier juge administratif en interprétant les dispositions de la loi les unes par rapport aux autres et en tenant compte des circonstances particulières du cas.

[49]        Par ailleurs, l’employeur dépose une décision récente de la Cour d’appel, rendue dans l’affaire Syndicat canadien de la fonction publique c. Journal de Québec et als[7], qui a considéré que la Commission des relations du travail avait commis un excès de juridiction en donnant une portée trop étendue à la notion d’« établissement » prévue à l’article 109.1 (b) du Code du travail[8]. Tel que le soutient la travailleuse, cette décision concerne l’interprétation de la notion d’établissement dans le cadre d’une autre loi qui n’a pas le même objet que celle qui concerne le présent débat. Elle n’apporte aucun éclairage pour déterminer, si dans le présent cas, le premier juge administratif a commis une erreur manifeste et déterminante en interprétant la loi comme il l’a fait.

[50]        Ainsi, le premier argument invoqué par l’employeur ne peut être retenu.

[51]        Dans le contexte où le premier motif retenu dans la décision est suffisant en soi pour justifier le dispositif retenu, il n’y a pas lieu de s’attarder au deuxième argument soulevé par l’employeur selon lequel le premier juge administratif ajoute au texte de loi, en retenant que la travailleuse a un droit de réintégration « prioritaire » dans un emploi équivalent, dans un autre établissement de l’employeur, alors que le terme « prioritairement » n’est pas utilisé par le législateur dans la deuxième partie de l’article 236 de la loi. En effet, cet argument concerne un motif subsidiaire retenu par le premier juge administratif à partir du paragraphe [73] de la décision.

[52]        Par conséquent, il n’y a pas lieu de réviser la décision de la Commission des lésions professionnelles rendue le 5 novembre 2010.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requête de Cuisine Laurier, l’employeur.

 

 

 

 

 

Monique Lamarre

 

 

 

Me Bernard Cliche

LANGLOIS KRONSTRÖM DESJARDINS

Représentant de la partie requérante

 

 

Me Jean Gagné

GAGNÉ BÉLANGER, AVOCATS

Représentant de la partie intéressée

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001.

[2]           Voir notamment Produits forestiers Donohue inc. et Villeneuve, [1998] C.L.P. 733 ; Franchellini et Sousa, [1998] C.L.P. 783 .

[3]          [2005] C.L.P. 626 (C.A.).

[4]           Tribunal administratif du Québec c. Godin, [2003] R.J.Q. 2490 (C.A.).

[5]           L.R.Q., c. S-2.1.

[6]          [2003] C.L.P. 606 .

[7]           2009 QCCS 4168 (C.S.) pourvoi rejeté 2011 QCCA 1638 (C.A.).

[8]           L.R.Q., c. C-27.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.