Décision

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Robichaud c. Lemay

2013 QCCS 6046

JC00M7

 
COUR SUPÉRIEURE

(Chambre civile)

 

CANADA

PROVINCE DU QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

N° :

500-17-066309-116

 

DATE :

Le 21 novembre 2013

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L'HONORABLE

ROBERT CASTIGLIO, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

MARIE-LOUISE ROBICHAUD

et

ALAIN CYR

Demandeurs/défendeurs reconventionnels

 

c.

 

LOUISE LEMAY

Défenderesse/demanderesse reconventionnelle

et

9172-7065 QUÉBEC INC.

Défenderesse

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 18 décembre 2008, Marie-Louise Robichaud et son conjoint Alain Cyr (Robichaud et Cyr) achètent de Louise Lemay (Lemay) un duplex situé sur la rue Basile-Routhier à Montréal.

[2]           Au moment de cet achat, Robichaud et Cyr savent que l’immeuble a subi, en juin et juillet 2008, d’importants travaux visant à corriger et enrayer un problème d’infiltration d’eau et de moisissures. Ces travaux ont été effectués par la codéfenderesse 9172-7065 Québec inc. (Les Professionnels ou la codéfenderesse).

[3]           Persuadés que ces travaux ont corrigé la situation, ils procèdent quand même à la transaction, un investissement de 322 000 $ visant à leur assurer des revenus de location.

[4]           Quelques années plus tard, en mars 2011, Robichaud est avisée par un de ses colocataires que des champignons ont de nouveau transpercé le plancher de la chambre à coucher du logement situé au rez-de-chaussée.

[5]           Sans délai, Robichaud retient les services de différents experts afin de la conseiller et de corriger la situation. L’analyse effectuée par un laboratoire spécialisé identifie le champignon comme étant le serpula lacrimans, mieux connu sous le nom de mérule pleureuse, une espèce particulièrement envahissante, susceptible d’attaquer l’ensemble de la structure de l’immeuble.

[6]           Robichaud et Cyr affirment avoir été trompés par Lemay qui, au moment des négociations ayant mené à la vente de l’immeuble, s’était engagée à enrayer toute trace de contamination et de moisissures et à prévenir et corriger les problèmes d’infiltration d’eau.

[7]           À l’égard de la codéfenderesse, les demandeurs invoquent que celle-ci doit être déclarée responsable en raison de la perte d’un ouvrage survenu dans les cinq ans de la réalisation des travaux.

[8]           Les demandeurs réclament une condamnation solidaire des défenderesses pour les montants suivants[1] :

a)            39 715,55 $ pour les travaux de décontamination;

b)            17 488,76 $ pour l’installation d’un drain français;

c)             9 053,91 $ pour les travaux de reconstruction à l’intérieur de l’immeuble;

d)            2 550,85 $ pour les travaux de plomberie;

e)            2 450 $ en compensation des montants versés aux locataires pour la perte de biens contaminés;

f)              4 960 $ pour les pertes de revenus de location en raison des travaux effectués sur l’immeuble;

g)            15 000 $ à titre de dommages et intérêts pour les ennuis, inconvénients et stress occasionnés par la situation.

[9]          Lemay affirme ne pas être responsable de ce dernier épisode de contamination de l’immeuble.

[10]       Elle affirme avoir dénoncé l’ensemble des problèmes affectant l’immeuble et avoir fait exécuter tous les travaux de décontamination et de réfection appropriés au cours de l’été 2008, travaux effectués par la codéfenderesse, Les Professionnels.

[11]       Lemay soutient que la contamination survenue en 2011 n’est pas reliée à celle de 2008. Elle affirme que c’est en raison de la négligence des acheteurs, qui n’ont pas suivi les recommandations contenues au rapport d’inspection préachat[2], que cette nouvelle contamination est survenue.

[12]       Comme le rapport d’inspection préachat recommandait certains travaux et suivis pour assurer un entretien adéquat de l’immeuble, Lemay maintient que les vices affectant l’immeuble n’étaient pas cachés et que la réclamation doit être rejetée.

[13]       Jugeant par ailleurs la réclamation abusive, Lemay réclame à son tour une somme de 15 000 $ afin de la dédommager pour les ennuis et frais occasionnés par le recours des demandeurs.

[14]       La codéfenderesse, Les Professionnels, a cessé toute activité. Elle n’a déposé aucune comparution au dossier.

[15]       Le Tribunal traitera des éléments suivants :

1.      Lemay a-t-elle manqué à son obligation de délivrance?

2.      Le cas échéant, quels sont les dommages subis?

3.      Le recours intenté contre la codéfenderesse, Les Professionnels, est-il bien fondé?

4.      Lemay a-t-elle droit à des dommages pour procédures abusives?

*****************************************************

1.          Lemay a-t-elle manqué à son obligation de délivrance?

[16]       Lemay affirme avoir dûment dénoncé aux demandeurs les problèmes d’infiltration d’eau et de moisissures survenus à l’automne 2007. Elle soutient n’avoir rien à se reprocher et maintient que le recours des demandeurs est abusif, d’où sa demande reconventionnelle.

[17]       Lemay invite le Tribunal à examiner la situation, non pas sous l’angle d’une prétendue obligation de délivrance, mais plutôt dans le contexte d’une allégation de vices cachés. Comme elle a dénoncé les problèmes affectant l’immeuble, elle affirme que la réclamation des demandeurs doit être rejetée.

[18]       Les demandeurs reconnaissent avoir été dûment avisés des problèmes d’infiltration d’eau et de moisissures survenus à l’automne 2007.

[19]       Ils précisent toutefois que Lemay leur a garanti que les travaux correctifs appropriés avaient été complétés afin d’enrayer cette problématique et que sans une telle garantie, ils n’auraient jamais acheté l’immeuble.

[20]       Puisque les travaux exécutés par Les Professionnels, à la demande de Lemay, n’ont pas corrigé la situation, ils invoquent l’obligation de délivrance stipulée à l’article 1716 du Code civil du Québec et affirment que Lemay doit être tenue responsable de tous les dommages qu’ils ont subis.

[21]       Le Tribunal partage le point de vue des demandeurs.

[22]       Lemay a bel et bien garanti aux acheteurs que les travaux exécutés à l’été 2008 avaient corrigé la situation et que les problèmes d’infiltration d’eau et de moisissures avaient été enrayés.

[23]       Or, la preuve révèle que les travaux exécutés par la codéfenderesse n’ont pas été effectués selon les règles de l’art et n’ont pas corrigé, tel que promis par Lemay, les vices affectant l’immeuble.

[24]       Le Tribunal conclut en conséquence que Lemay n’a pas livré aux acheteurs un immeuble conforme à celui qui a été convenu.

ANALYSE

            a)         Les engagements de Lemay

[25]       Lemay acquiert le duplex de la rue Basile-Routhier en décembre 2000.

[26]       L’immeuble possède un sous-sol en terre (le vide sanitaire), ce qui nécessite certaines précautions afin d’en assurer une ventilation adéquate.

[27]       Après avoir résilié le bail d’un locataire, Lemay emménage dans le logement du rez-de-chaussée avec sa fille, à compter de juillet 2001.

[28]       En août 2006, Lemay obtient un emploi dans la ville de Sherbrooke. Elle ne réside plus en permanence dans le logement qui demeure toutefois occupé par sa fille, jusqu’au printemps 2007.

[29]       Durant les années où Lemay habite le duplex, elle n’a pas connaissance de problèmes de moisissures ou d’odeur d’humidité. Elle s’assure alors de ventiler régulièrement le vide sanitaire.

[30]       À compter du printemps 2007, le logement du rez-de-chaussée est occupé par deux colocataires qui y demeureront jusqu’en mars 2011.

[31]       Au moment de louer le logement, Lemay avise les deux colocataires de l’importance de bien aérer et ventiler le vide sanitaire. Elle reconnaît toutefois ne pas s’être assurée du respect de cette directive vu son éloignement à Sherbrooke.

[32]       En novembre 2007, Lemay est avisée par le colocataire du rez-de-chaussée, Mathieu St-Jean (St-Jean), de la présence de moisissures et de champignons dans la chambre à coucher située à l’avant de l’immeuble.

[33]       La contamination est importante : le plancher de la chambre à coucher est pourri et d’importants travaux doivent être entrepris.

[34]       Bien que Lemay affirme n’avoir jamais entendu parler de champignons à l’époque, mais bien seulement de moisissures, le courriel transmis par St-Jean le 27 novembre 2007[3] réfère bel et bien à une problématique de moisissures et de champignons.

[35]       Quoi qu’il en soit, dès qu’elle est avisée du problème, Lemay tente de trouver les personnes ressources compétentes.

[36]       Elle communique avec son assureur qui l’informe que le dommage n’est pas couvert par sa police d’assurance. L’assureur la réfère alors à la codéfendresse, Les Professionnels, une entreprise prétendument spécialisée dans la correction des problèmes d’infiltration d’eau.

[37]       Lemay retient éventuellement les services de la codéfenderesse afin de réaliser les travaux correctifs. Ces travaux ne pouvant être exécutés en période hivernale, ils seront exécutés en juin et juillet 2008, au coût de 34 991,25 $ (taxes incluses)[4].

[38]       La gestion de l’immeuble étant devenue difficile en raison de son éloignement, Lemay décide de le mettre en vente en mai 2008. Elle fixe le prix à 355 000 $[5].

[39]       Au moment où Lemay met l’immeuble en vente, les travaux correctifs n’ont toujours pas été entrepris par Les Professionnels. La fiche descriptive de l’immeuble remise aux acheteurs potentiels contient la note suivante :

« Le vendeur va entreprendre d’autres rénovations avant la vente (ex. : fissures, solives, parquets). »

[40]       Lemay complète aussi le formulaire intitulé « Déclaration du vendeur »[6].

[41]       Puisque les demandeurs affirment avoir acheté l’immeuble en raison des engagements souscrits par Lemay dans le cadre de cette déclaration du vendeur, il y a lieu de reproduire les questions et réponses traitant de la problématique des infiltrations d’eau, de moisissures ou d’humidité que l’on retrouve à cette déclaration :

« D5.2 : À votre connaissance, y a-t-il ou y a-t-il déjà eu présence de fissures de fondation, pourriture ou autres problèmes affectant le sous-sol?

R : Oui.

D6.1 : À votre connaissance, y a-t-il ou y a-t-il déjà eu condensation importante et régulière en hiver, par exemple sur les fenêtres, les verrières, la porte-patio, les murs, les plafonds ou autre?

R : Oui : ponctuelle (fenêtres et murs), liée à l’absence de chauffage du locataire.

D6.3 : À votre connaissance, y a-t-il eu ou y a-t-il déjà eu trace de moisissure ou de pourriture?

R : Oui : au sous-sol et lié à D6.1. (moisissure) sera enrayée par les travaux à venir (devis). 

D14.2 : Avez-vous fait des travaux importants à l’immeuble ou des rénovations autres que celles déjà mentionnées?

R : Non : Travaux à venir au sous-sol.

D14.4 : Avez-vous des plans et devis relatifs à ces travaux?

R : Pas encore, devis à réviser. »

[42]     À l’égard des travaux qu’elle entend effectuer sur l’immeuble, Lemay indique ce qui suit :

« D15 : je prévois faire les rénovations requises pour corriger et prévenir les infiltrations d’eau au sous-sol et réparer toute détérioration liée à l’infiltration (solives, plancher, fissures, murs, etc.). »

[43]       Bien que le devis final des travaux confiés à la codéfenderesse ne soit pas encore finalisé au moment où Lemay complète la déclaration du vendeur, il demeure que celle-ci promet aux éventuels acheteurs de faire les travaux requis afin de corriger et prévenir les infiltrations d’eau au sous-sol et réparer toute détérioration liée à ces infiltrations.

[44]       C’est sur la base de ces engagements et du devis des travaux exécutés par la codéfenderesse, dont copie a été remise aux demandeurs, que ceux-ci procèdent à l’achat de l’immeuble, malgré les problèmes survenus à l’automne 2007.

b)         Les travaux confiés à la codéfenderesse

[45]       Les travaux visant à enrayer et corriger la situation sont exécutés en juin et juillet 2008, moyennant une somme de 34 991,25 $.

[46]       La description des travaux exécutés[7] démontre l’importance de la problématique à l’époque; les items suivants sont particulièrement pertinents :

-                  remplacer la poutre centrale (en partie);

-                  remplacer les solives;

-                  réparer le sous-plancher des chambres;

-                  changer tous les planchers de bois franc dans les deux chambres;

-                  réparer certains « montants » des murs dans deux chambres.

[47]       Quant aux travaux visant à enrayer les problèmes d’infiltration d’eau, d’humidité excessive et de moisissures, de même que ceux visant à décontaminer l’immeuble, ils sont ainsi décrits :

-                  fournir et installer une pompe de fond et raccorder le tout sur la ligne principale de la maison;

-                  appliquer de la chaux dolomitique sur le sol, dans le vide sanitaire;

-                  installer un polythène sur le sol, en laissant 12 pouces de libre en périphérie, pour que la chaleur se transmette au sol, sur le long des fondations intérieures dans le vide sanitaire;

-                  poser un drain français le long de la maison;

-                  raccorder le drain français à un puits le long du trottoir;

-                  décontamination du vide sanitaire;

-                  ajout de 4 pouces de sable au plancher du vide sanitaire;

-                  colmater certaines fissures à la base du mur côté nord.

[48]       Les travaux de construction exécutés par la codéfenderesse sont garantis pour une durée de deux ans; la clause de garantie est ainsi libellée :

« La garantie de 2 ans s’applique sur tous les travaux de construction qui ont été effectués et est transférable en cas de vente de la propriété. »[8]

c)         La promesse d’achat

[49]       Robichaud visite le duplex une première fois le 25 octobre 2008, quelques mois après l’exécution des travaux de la codéfenderesse. Elle prend alors connaissance de la fiche descriptive[9].

[50]       Robichaud visite le duplex une deuxième fois le 8 novembre 2008. On lui remet alors une fiche descriptive révisée qui indique un prix réduit à 325 000 $. On y indique que le vendeur « a entrepris d’autres rénovations en août dernier de 35 000 $ (selon le vendeur) (ex. : fissures, solives, parquet, pompe) »[10].

[51]       Cette nouvelle fiche descriptive précise aussi que Lemay s’engage à refaire la toiture de l’immeuble avant la prise de possession.

[52]       Le 12 novembre 2008, Robichaud signe une première promesse d’achat au montant de 295 000 $. À cette date, son courtier lui a déjà remis copie de la déclaration du vendeur complétée par Lemay en mai 2008[11]. Robichaud a aussi reçu de son courtier copie de la facture de la codéfenderesse qui décrit l’ensemble des travaux exécutés sur l’immeuble[12].

[53]       Le 17 novembre 2008, les parties s’entendent sur un prix d’achat de 322 000 $, à la condition que la toiture soit refaite aux frais du vendeur.

[54]       Les travaux de réfection de la toiture sont éventuellement complétés en novembre 2008, au coût de 9 820,13 $[13].

[55]       L’engagement des demandeurs est par ailleurs conditionnel à une inspection préachat satisfaisante.

[56]       Au moment où Robichaud promet d’acheter l’immeuble, elle croit que les travaux visant à enrayer et corriger les problèmes d’infiltration d’eau et de moisissures de même que ceux visant à décontaminer l’immeuble ont été dûment complétés.

d)         L’inspection préachat

[57]       À l’initiative de Robichaud, une inspection préachat est complétée par un inspecteur en bâtiment, Stéphane Simard (Simard), le 25 novembre 2008.

[58]       Bien que l’inspection ait lieu quatre mois après la fin des travaux exécutés par la codéfenderesse, l’inspecteur note certains éléments déficients[14] :

« 204    Revêtement […] Le revêtement est proche ou en contact avec le sol à l’arrière; nous recommandons de dégager ou protéger le revêtement et le joint avec la fondation afin d’éviter des dommages d’eau. Idéalement le joint entre le revêtement et la fondation devrait être a (sic) plus de 6 pouces du sol.

[…]

209a)   Margelle [...] Incapable de déterminer l’efficacité du drainage; nous recommandons d’assurer le drainage adéquat des margelles afin d’éviter l’accumulation d’eau et les dommages conséquents. […]

Les bases des fenêtres sont en contact (sic) le fond des margelles; nous suggérons de dégager afin d’aider à éviter des dommages d’eau.

[…]

212       Pente/Drainage […] La pente du terrain à la fondation semble inadéquate en quelques endroits; nous recommandons de remblayer ou niveler au besoin afin d’assurer le drainage du terrain à partir de la fondation vers l’extérieur. L’accumulation d’eau à la fondation favorise les dommages d’eau et par le gel.

[…]

402a)   Drain/Puisard) Aucun. Deux trous ont été creusés au centre et à l’arrière droit pour l’installation de pompes; pompes testées et opérationnelles. Nous suggérons l’installation de cuves adéquates afin d’assurer l’efficacité des pompes.

[…]

403       Fondation. […] Effritement observé à l’avant et au côté gauche, indication de saturation des matériaux ou d’infiltration d’eau. En raison des techniques et matériaux de construction d’époque, il n’y a probablement pas de drain français et/ou d’imperméabilisation efficace autour de la fondation.

404       Solive […] Détérioration observée au point de support avec la fondation, plusieurs réparations ont été faites, sauf dans la section arrière droite; […]

[…]

407 Ventilation […] Nous recommandons d’assurer la ventilation adéquate du sous-sol afin d’éviter l’accumulation d’humidité, la condensation et les dommages conséquents.

Nous suggérons l’installation d’un ventilateur d’extraction contrôlé par un hygrostat, avec un clapet pour l’entrée d’air, afin d’assurer la ventilation adéquate du sous-sol.

[…]

510 Échangeur d’air Aucun; nous suggérons l’installation d’un échangeur d’air afin d’aider à contrôler la qualité et l’humidité de l’air ambiant. »

[59]       Satisfaite malgré tout de l’état général de l’immeuble et rassurée par les engagements de Lemay et les importants travaux exécutés quelques mois auparavant par la codéfenderesse, Robichaud décide d’aller de l’avant avec la transaction.

[60]       Après avoir modifié la promesse d’achat afin d’y inclure le nom de Cyr, les demandeurs procèdent à l’achat de l’immeuble le 18 décembre 2008[15], le tout avec garantie légale.

[61]       Après la vente de l’immeuble, le logement du rez-de-chaussée continue d’être occupé par les deux mêmes colocataires qui y habitent depuis le printemps 2007.

e)         La contamination de 2011

[62]       En mars 2011, St-Jean, l’un des colocataires du logement du rez-de-chaussée, informe Robichaud qu’il ne renouvellera pas son bail.

[63]       Quelques jours plus tard, Robichaud se rend sur place afin de prendre des photos du logement, dans le but de procéder à sa location.

[64]       Au moment où elle rencontre St-Jean, Robichaud aperçoit des traces de moisissure au bas du mur de la chambre à coucher; après avoir déplacé la base du lit, elle réalise qu’un champignon a transpercé le plancher. À la vue du champignon, St-Jean s’exclame : « c’est revenu ».

[65]       St-Jean informe alors Robichaud que le champignon est similaire à celui qu’il avait vu et photographié en novembre 2007[16].

[66]       Fortement préoccupée par ce qu’elle vient de découvrir, Robichaud contacte sans délai différentes personnes ressources afin de déterminer la nature de la contamination et les correctifs requis.

[67]       Quelques jours plus tard, Robichaud dénonce la situation à Lemay. Elle invite celle-ci à désigner un expert afin d’examiner les lieux et effectuer les travaux correctifs requis. Lemay est également avisée qu’à défaut de donner suite à la mise en demeure, les travaux correctifs seront entrepris à ses frais[17].

[68]       Lemay ne donnera pas suite à cette mise en demeure.

[69]       Dans le but d’identifier la nature de la contamination et les travaux correctifs requis, Robichaud retient les services de plusieurs entreprises spécialisées.

[70]       La firme Enviro-Option reçoit le mandat d’évaluer la qualité de l’air intérieur et l’état des surfaces du bâtiment.

[71]       Gino Dechamplain (Dechamplain) est désigné par Enviro-Option pour procéder à cette évaluation, avec l’aide du laboratoire Environex.

[72]       Les analyses de laboratoire[18] révèlent alors la présence d’une espèce de champignon nommé serpula lacrymans, mieux connu sous le nom de mérule pleureuse.

[73]       Tel que le confirment les experts entendus, tant en demande qu’en défense, cette espèce de champignon est la plus nuisible pour le bois de charpente et autres matériaux de construction.

[74]       Dans le cadre de l’inspection qu’il fait du bâtiment, Dechamplain note plusieurs déficiences dans les travaux de décontamination exécutés par la codéfenderesse, Les Professionnels, au cours de l’année 2008.

[75]       À l’égard du vide sanitaire, Dechamplain note que le polythène installé sur le sol l’a été de façon aléatoire. Le polythène n’est pas scellé sur les murs de fondation; il est déchiré plutôt que découpé et laisse en conséquence de nombreuses ouvertures. L’installation du polythène est non conforme au protocole de décontamination applicable.

[76]       Dechamplain note aussi que la chaux vive a été installée sur le polythène plutôt que sur le sol. Cette exécution est également contraire au protocole de décontamination.

[77]       Au cours de ses visites, Dechamplain aperçoit de l’eau dans le vide sanitaire, en périphérie du puisard dans la section arrière du sous-sol. Des traces de contamination fongique sont aussi visibles sur la terre.

[78]       Deux puisards ont été installés de façon artisanale, dont l’un est dépourvu de connexion électrique ou de membrane périphérique; il est complètement bouché.

[79]       Sous la chambre arrière du rez-de-chaussée, Dechamplain identifie des champignons microscopiques sur les matériaux, lisses d’assise, solives et sous-planchers, le tout d’une superficie de 10 à 15 mètres carré. Il confirme que le champignon en question est bien la mérule pleureuse.

[80]       En examinant les solives, Dechamplain identifie les réparations effectuées par Les Professionnels quelques années auparavant. Il note que du bois en état de pourriture est toujours présent entre les nouvelles solives installées par la codéfenderesse. Cette façon de faire est également contraire au protocole de décontamination approprié.

[81]       Au coin du mur arrière gauche de l’immeuble, Dechamplain note aussi des dommages importants causés par l’eau. Des traces de contamination sont visibles sur le béton.

[82]       Des traces abondantes de contamination fongique sont aussi présentes sur une grande part des solives, sous-planchers et poutres de soutien.

[83]       Les dommages ne se limitent pas au vide sanitaire. La contamination est aussi présente dans les chambres à coucher du logement situé au rez-de-chaussée.

[84]       Les analyses et l’examen des lieux amènent Dechamplain à conclure de la façon suivante[19] :

« Le vide sanitaire est l’emplacement ayant la concentration de moisissures viables la plus élevée (5 583 UFC/m3). Penicillium griseofulvum est une moisissure généralement associée à des bâtiments endommagés par une humidité excessive. Elle prédomine dans le vide sanitaire, à une concentration près de sept (7) fois supérieure à l’extérieur (1 396 UFC/m3), indiquant une contamination fongique à cet endroit. Aussi, même si Cladosporium cladosporoides est une moisissure qui peut être retrouvée de façon normale dans l’air intérieur des bâtiments, sa concentration élevée (279 UFC/m3) suggère un débalancement de la mycologie intérieure du bâtiment. Il en va de même pour Alternaria alternata. C’est également dans le vide sanitaire que l’on retrouve la plus grande diversité fongique. En effet sept (7) différentes espèces ont été identifiées. Parmi elles, quatre (4) sont absentes du milieu extérieur, indiquant une source de contamination fongique à l’intérieur du bâtiment. Il s’agit d’Aspergillus aculeatus, Aspergillus caesielus, Aspergillus deflectus et Penicillium chrysogenum. Elles ne correspondent pas à des moisissures normalement retrouvées dans l’air intérieur des bâtiments. A. caesielus et A. deflectus sont des pathogènes opportunistes alors que P. chrysogenum est une moisissure reconnue pour causer des effets néfastes à la santé par les substances toxiques qu’elle produit (mycotoxines).

La chambre arrière du rez-de-chaussée présente aussi une forte concentration de moisissures viables (4 452 UFC/m3). Là aussi, P. griseofulvum est celle qui (sic) prédomine, à une concentration près de quinze (15) fois supérieure à l’extérieur 93 339UFC/m3), indiquant une contamination fongique importante à cet endroit. A. aculeatus, A. caesielus et A. deflectus sont les trois autres moisissures retrouvées dans cette chambre. Elles sont absentes du milieu extérieur, indiquant une source de contamination fongique à l’intérieur du bâtiment.

D’autre part, les résultats d’analyse du morceau de bois prélevé au sous-sol ont révélé la présence de Serpula lacrymans. « Auparavant appelé Merulius lacrymans, il est connu comme le champignon de la pourriture sèche (aussi appelée pourriture cubique); il est de loin le mycète le plus nuisible pour le bois de charpente et le plus destructif. Il peut occasionner beaucoup de dommages en décomposant les hydrates de carbone des matériaux contenant du bois, qui sont présents dans les maisons. Souvent désigné sous le nom de cancer des bâtiments, ce mycète est considéré comme le ravageur le plus préjudiciable aux matériaux de construction comprenant du bois dans les zones tempérées du globe; il peut même endommager occasionnellement la maçonnerie. Cependant, ce mycète n’est souvent détecté que lorsque le bois attaqué présente des stades avancés de pourriture. » (http://www.inspq.qc.ca/moissures)

À la lumière de ce qui précède, en plus des observations faites sur le terrain, nous jugeons que l’air intérieur du bâtiment situé au 9337, rue Basile-Routhier, à Montréal, présente un profil fongique anormal qui nécessite l’application de mesures correctives. À cet effet, un protocole de décontamination est élaboré dans les pages qui suivent. »

[85]       Devant la nature et l’importance de la contamination, Dechamplain propose un protocole de décontamination basé principalement sur le protocole de New York[20].

[86]       Le Tribunal tient à noter que les constatations et conclusions de Dechamplain, sur la nature de la contamination de même que sur la nécessité d’appliquer le protocole de New York, ne sont aucunement contestées par les experts dont les services ont été retenus par Lemay.

[87]       Les travaux correctifs recommandés par Dechamplain sont énoncés à la section 7.2 de son rapport.

f)          La responsabilité de Lemay

[88]       Les travaux correctifs et de décontamination exécutés par la codéfenderesse sont déficients à plusieurs égards, tel que le démontrent les rapports d’expertise produits d’une part par Enviro-Option[21] et d’autre part par l’expert en bâtiment Claude Latulipe (Latulipe)[22].

[89]       D’une part, la codéfenderesse a fait défaut de remplacer adéquatement toutes les pièces de bois pourri. Selon le protocole de décontamination, le bois doit être remplacé jusqu’à une distance de 4 pieds de toute trace de contamination. Les photos produites par Dechamplain démontrent que ceci n’a pas été fait.

[90]       Le polythène recouvrant le sol du vide sanitaire aurait dû être scellé aux fondations afin d’assurer son efficacité. Tel qu’il appert de la facture de la codéfenderesse, celle-ci a plutôt laissé une distance de 12 pouces entre le polythène et les fondations, et ce, tout autour du vide sanitaire. Ainsi installé, le polythène était inefficace.

[91]       La chaux visant à contrôler l’humidité aurait dû être déposée directement sur le sol, en dessous du polythène. Au lieu de cela, la codéfenderesse a déposé la chaux sur le polythène, rendant celle-ci inefficace.

[92]       Tel que l’indique la facture de la codéfenderesse, un drain français devait être installé tout au long de la maison et être raccordé à un puits le long du trottoir. Rien de tel n’a été fait.

[93]       En effet, au moment de l’excavation, les experts embauchés par Robichaud découvrent qu’aucun drain français n’est correctement installé et raccordé.

[94]       Contrairement à ce que la codéfenderesse s’était engagée à faire, une seule section de drain français a été installée du côté du mur gauche de l’immeuble; ce drain n’était pas recouvert correctement de pierres, n’était pas raccordé et n’était aucunement efficace.

[95]       La codéfenderesse a aussi négligé de colmater adéquatement les fissures dans les murs de fondation, négligeant ainsi d’enrayer le phénomène d’infiltration d’eau.

[96]       Dans son rapport d’expertise de juin 2011, Latulipe note les déficiences suivantes dans les travaux d’imperméabilisation des fondations exécutés en 2008 :

« Suite à une excavation le long du mur réalisée le 18 mai 2011, force est de constater que la fondation d’origine en moellons et de mortier a simplement été recouverte d’une épaisse couche de béton coulé sans toutefois être revêtue d’une membrane d’étanchéité et d’un système de drainage approprié. En fait seul un conduit de plastique enrobé d’une membrane géotextile se retrouvait contre le nouveau mur de fondation à une profondeur de +/- 12’’ sous le sol fini. Ce dernier ne pouvait permettre un écoulement adéquat car les deux extrémités sont enfouies dans le sol et se trouvent obstruées par ce dernier. Le non-respect des règles de l’art dans cette situation a pour effet de faire en sorte que le sol et la fondation sont toujours maintenues(sic) dans un milieu humide et donc offrir(sic) un milieu favorable à la formation de la mérule pleureuse et de permettre à ce champignon de proliférer facilement. De plus, l’agencement des nouveaux murs de fondation permet des infiltrations importantes puisque les joints de coulé sont béants. [23] »

[97]       Robichaud et Cyr étaient certes au courant des problèmes d’infiltration d’eau et de moisissures découverts en novembre 2007. Ils ont cependant été rassurés par les engagements de Lemay de même que par la description des travaux exécutés par la codéfenderesse.

[98]       Sans cet engagement de Lemay et cette assurance découlant de la description des travaux exécutés par la codéfenderesse, les demandeurs n’auraient pas acheté l’immeuble au prix convenu.

[99]       Bien que le Tribunal ne doute aucunement de la bonne foi de Lemay, qui s’est fiée à une firme recommandée par ses assureurs, il demeure que celle-ci n’a pas livré aux acheteurs l’immeuble convenu.

[100]    Malgré un investissement de plus de 35 000 $ en juin et juillet 2008 afin de corriger les déficiences de l’immeuble, la situation n’a pas été corrigée adéquatement.

[101]    En premier lieu, des analyses auraient dû être complétées à l’époque afin d’identifier correctement le type de contamination affectant l’immeuble. Ces analyses n’ont pas été faites.

[102]    Si ces analyses avaient été complétées, on aurait alors correctement identifié la nature de la contamination (la mérule pleureuse).

[103]    Tous les experts qui ont témoigné devant le Tribunal sont d’avis que le champignon photographié à l’époque par St-Jean est, en toute probabilité, la mérule pleureuse.

[104]    C’est aussi l’opinion de l’expert de Lemay, le microbiologiste Guy McSween (McSween) qui a dû admettre, malgré certaines hésitations reliées au fait qu’aucune analyse formelle n’avait été faite à l’époque, que le champignon présent en 2007 était en toute probabilité la mérule pleureuse.

[105]    Confrontée à la présence de ce champignon particulièrement dommageable, la codéfenderesse se devait d’appliquer un protocole de décontamination précis et rigoureux.

[106]    Rien de tel n’a été fait.

[107]    Comme l’indique Dechamplain à la section 7 de son rapport, le travail de la codéfenderesse ne se limitait pas à la décontamination, mais devait aussi viser à contrôler l’humidité dans le bâtiment.

[108]    Pour ce faire, l’entrepreneur devait éliminer toutes les infiltrations d’eau provenant des fondations ou du sol.

[109]    Ce travail n’a pas été fait ou a été fait incorrectement.

[110]    Comme le Tribunal l’a déjà souligné, aucun drain français, dûment raccordé, n’a été installé, contrairement à la fiche descriptive des travaux complétée par la codéfenderesse et remise aux acheteurs.

[111]    Les fissures dans les fondations n’ont pas été réparées adéquatement et aucune membrane d’étanchéité n’a été installée.

[112]    Au surplus, l’installation des puisards et des pompes, dans le vide sanitaire, a été mal exécutée, rendant le tout inefficace.

[113]    La codéfenderesse se devait aussi de décontaminer l’immeuble.

[114]    En raison de la présence de la mérule pleureuse, la décontamination du vide sanitaire exigeait entre autres les étapes suivantes[24] :

-        enlever une couche du sol (entre 6 et 12 pouces) et asperger le sol d’une solution germicide afin l’éliminer les spores de la mérule pleureuse;

-        enlever toute portion de sol affecté par la mérule pleureuse ou ses racines;

-        appliquer la chaux directement sur le sol;

-        sceller le tout parfaitement sur les murs de fondation et en périphérie des poutres de soutien et des puisards, à l’aide d’une membrane.

[115]     Une simple lecture de la fiche descriptive des travaux exécutés par la codéfenderesse démontre que ce travail n’a pas été fait correctement.

[116]     Tous les matériaux poreux contaminés par le champignon devaient aussi être remplacés. Comme le démontrent les photos produites en annexe au rapport de Dechamplain, la codéfenderesse n’a pas remplacé l’ensemble du bois montrant des traces de contamination.

[117]     Comme l’ont reconnu tous les experts, tant en demande qu’en défense, afin d’éliminer la mérule pleureuse, l’on se doit d’appliquer un protocole de décontamination précis et rigoureux; on doit aussi éliminer les sources d’humidité et d’infiltration d’eau.

[118]     Lorsque ces travaux ne sont pas correctement exécutés, la contamination peut demeurer latente pendant un certain temps et réapparaitre par la suite. Ce fut le cas en l’espèce.

[119]     Le Tribunal conclut que la contamination apparue en 2011 résulte de la mauvaise qualité des travaux effectués par la codéfenderesse en 2008.

[120]    La présence récurrente d’eau dans le vide sanitaire et une décontamination imparfaite de cet espace constituent les causes directes de l’épisode de contamination survenue en 2011.

[121]    Contrairement à ce qu’affirme Lemay, la contamination apparue en 2011 ne résulte pas d’une absence de ventilation du vide sanitaire, mais bel et bien du fait que les travaux exécutés par la codéfenderesse en 2008 ont été déficients.

[122]    Or, en complétant la déclaration du vendeur et en remettant aux demandeurs le devis des travaux exécutés par la codéfenderesse, Lemay a bel et bien garanti à ceux-ci que les déficiences de l’immeuble avaient été corrigées. Malheureusement pour Lemay, ce ne fut pas le cas.

[123]    Le Tribunal conclut que Lemay doit assumer l’entière responsabilité de cette contamination réapparue en 2011.

[124]    Lemay s’étant engagée, vis-à-vis les demandeurs, à décontaminer l’immeuble et à exécuter les travaux visant à enrayer les problèmes d’infiltration d’eau, la situation n’en est pas une de vices cachés, mais bien d’un manquement à l’obligation de délivrance du vendeur.

[125]    Dans Labrie c. Vanasse[25], la Cour d’appel retient la responsabilité du vendeur qui avait faussement représenté à l’acheteur que la maison était pourvue d’une fosse septique, d’un champ d’épuration et d’un puisard collecteur d’eaux.

[126]    Notant que tel n’était pas le cas, la Cour conclut :

« [8]      À proprement parler, il ne s’agit pas d’une situation de vices cachés, mais bien d’un manquement du vendeur à l’obligation de délivrance qui lui impose les articles 1561 et 1716 du Code civil du Québec. Cette obligation comprend celle de délivrer un bien rigoureusement conforme à celui qui a été convenu. »

[127]    Notant que la situation devait être étudiée en fonction d’une garantie conventionnelle et non en regard des règles applicables aux vices cachés, la Cour d’appel accorde aussi des dommages et intérêts :

« [16]    En ce qui a trait au refus du premier juge d’octroyer des dommages et intérêts, il n’a plus lieu d’être puisque le fondement de l’action n’est plus le vice caché, mais l’obligation de délivrance. »

[128]    De même, dans Ronis c. Pavillet[26], la Cour d’appel retient la responsabilité du vendeur qui avait faussement représenté aux acheteurs que l’immeuble avait été décontaminé :

« [37]    La juge a également déterminé que l’appelante, par les agents immobiliers qui la représentaient, a donné aux intimés la garantie que l’immeuble qui leur était vendu était complètement décontaminé. Comme la preuve a établi clairement que tel n’était pas le cas, l’appelante est redevable envers les intimés des dommages que leur a causés la persistance de la contamination. »

(Soulignement du Tribunal)

[129]    Bien que l’inspection préachat ait identifié certaines déficiences de l’immeuble, il demeure que Robichaud s’est fiée à l’engagement de Lemay de faire exécuter tous les travaux requis afin de décontaminer l’immeuble et enrayer les infiltrations d’eau.

[130]    Dans Dagenais c. Compagnie immobilière 8655 Foucher inc.[27], la Cour d’appel précise qu’en présence d’une garantie conventionnelle, le promettant acheteur peut se sentir partiellement libéré de l’obligation de vérifier l’état de l’immeuble :

« 17      Ces considérations plus théoriques posées, il est certain, en l’espèce, que la garantie d’absence de défauts nécessitant « des réparations majeures », requise par l’acheteur et donnée par le vendeur, a permis la conclusion de l’offre d’achat, elle-même fondement de la signature postérieure de l’acte de vente.

18         au surplus, le promettant acheteur, fort de cette garantie obtenue se son vendeur, pouvait légitimement se sentir partiellement libéré de l’obligation de vérifier l’état de l’immeuble.

19         Somme toute, cette garantie est certainement l’une des considérations principales qui a conduit le représentant de l’acheteur à contracter puisqu’il l’a ajoutée de sa main du document d’offre d’achat imprimé. »

[131]    Le Tribunal tient à préciser qu’il ne doute aucunement de la bonne foi de Lemay, qui s’est fiée à l’expertise de la codéfenderesse.

[132]    Croyant à tort que la codéfenderesse avait correctement exécuté les travaux de décontamination de même que les travaux correctifs visant à enrayer les infiltrations d’eau, Lemay n’a pas livré aux demandeurs le bien qui avait été convenu.

[133]    Le Tribunal conclut en conséquence que Lemay est responsable de tous les dommages subis par les demandeurs.

2.         Les dommages subis

[134]    À l’exception de la somme de 15 000 $ réclamée à titre de dommages et intérêts, les montants réclamés pour les travaux correctifs et de décontamination n’ont pas véritablement été contestés. Il en est de même des sommes versées aux colocataires afin de les dédommager pour leurs biens contaminés.

[135]    Les demandeurs ont aussi droit d’être indemnisés pour la perte de revenus de location durant la période des travaux.

[136]    Le Tribunal conclut que Lemay doit assumer la totalité du coût des travaux entrepris par les demandeurs.

a)         Les travaux de décontamination

[137]    Robichaud a retenu les services de l’entreprise Fraka Décontamination inc. afin d’exécuter les travaux de décontamination, lesquels ont été exécutés conformément au protocole de New York[28].

[138]    Puisque la contamination comportait des risques pour la santé des occupants de même que pour l’intégrité de la structure de l’immeuble, ces travaux étaient urgents et essentiels.

[139]    Les travaux ont été entrepris et complétés entre le mois de mai et juillet 2011, au coût de 39 715,55 $[29].

b)         L’installation d’un drain français et l’imperméabilisation des fondations

[140]    En procédant à des travaux d’excavation, Robichaud réalise qu’aucun drain français n’avait été correctement installé et raccordé, contrairement à la description des travaux exécutés par Les Professionnels.

[141]    De fait, la seule section de drain français retrouvée du côté du mur gauche de l’immeuble n’était pas correctement recouverte de pierres et n’était aucunement raccordée afin de favoriser l’écoulement de l’eau.

[142]    L’excavation a aussi permis de déterminer que les travaux d’imperméabilisation des fondations n’avaient pas été correctement exécutés par la codéfenderesse.

[143]    Robichaud a retenu les services de l’entreprise Les Groudrons du Québec inc. pour compléter l’ensemble des travaux requis (installation d’un drain français selon les règles de l’art et imperméabilisation des fondations). Le coût de ces travaux est de 17 488,76 $[30].

 

c)         Les travaux de construction

[144]    Robichaud a retenu les services de Construction Max-Tech pour effectuer les travaux de réfection à l’intérieur du bâtiment (murs, planchers, peinture, etc.). Le coût de ces travaux est de 9 053,91 $[31].

[145]    Des travaux de plomberie ont aussi été nécessaires. Ils ont été exécutés par la firme Plomberie Chauffage du Coteau, au coût de 2 550,85 $[32].

d)         La perte de revenus de location

[146]    Ces importants travaux de décontamination et de reconstruction ont occasionné des pertes de revenus de location. Les logements ont dû être libérés pour les périodes suivantes :

-               logement du rez-de-chaussée, pour une période de 4 mois entre avril et juillet 2011;

-               logement du 2e étage, pour le mois de juillet 2011.

[147]    Ces pertes de revenus de location découlent directement de la contamination et des travaux correctifs qui s’imposaient d’urgence.

[148]    Ces pertes de revenus représentent un total de 4 960 $ soit :

-           quatre mois à raison de 1 020 $ par mois pour le logement du rez-de-chaussée;

-           un mois à raison de 880 $ par mois pour le logement du deuxième étage.

e)         Dédommagement offert aux colocataires

[149]    Robichaud a dû dédommager les colocataires du rez-de-chaussée pour la perte de certains biens contaminés ainsi que pour la résiliation du bail. Un montant de 2 450 $[33] leur a été versé, montant que Lemay devra rembourser aux demandeurs.


f)          Les dommages et intérêts

[150]    Quant aux dommages et intérêts de 15 000 $ réclamés par Robichaud, la preuve établit effectivement que celle-ci a été perturbée, avec raison, par les événements survenus à compter de mars 2011.

[151]    Robichaud a dû négliger son travail afin de voir à la supervision des nombreux travaux qui devaient être exécutés de façon urgente dans l’immeuble.

[152]    Robichaud a dû contracter un prêt afin de payer pour ces travaux.

[153]    Par ailleurs, Robichaud a vendu l’immeuble en novembre 2011 au prix de 390 000 $ alors qu’elle avait payé l’immeuble 322 000 $ en 2008.

[154]    Pour l’ensemble des inconvénients subis, le Tribunal conclut que Robichaud a droit à des dommages de 5 000 $.

3.         La réclamation contre Les Professionnels

[155]    Au soutien de leur requête à l’encontre de la codéfenderesse Les Professionnels, Robichaud et Cyr allèguent :

« [51]    Quant à la défenderesse, Les Professionnels inc., elles étaient tenues d’exécuter adéquatement et conformément aux règles de l’art les travaux de décontamination et de construction demandés par la défenderesse Louise Lemay, au cours de l’été 2008;

[52]       Par ailleurs, une garantie de deux ans sur l’ensemble des travaux qu’elle a effectués s’appliquait et a été transféré aux demandeurs lors la vente de l’immeuble locatif, le tout tel qu’il appert d’une copie de la facture révisée de la défenderesse Les Professionnels inc., déjà communiquée au soutien des présentes comme pièce P-4;

[53]       La défenderesse, Les Professionnels inc., a été avisé des vices importants affectant l’immeuble des demandeurs et a reçu l’opportunité d’honorer sa garantie et d’effectuer elle-même ou à ses propres frais, tous les travaux de décontamination requis, le tout tel qu’il appert d’une correspondance datée du 13 avril 2011 et des preuves de signification, communiquées en liasse au soutien des présentes comme pièce P-15;

[54]       La défenderesse a refusé et/ou négligé de procéder aux travaux de décontamination de l’immeuble des demandeurs;

[55]       La défenderesse, Les Professionnels inc., est donc solidairement responsable avec la défenderesse Louise Lemay de tous les dommages qui ont été occasionnés aux demandeurs; »

[156]    Invitée par le Tribunal à identifier la nature du recours intenté contre Les Professionnels, vu l’absence de lien de droit entre les demandeurs et cette codéfenderesse, la procureure des demandeurs invoque la garantie quinquennale de l’article 2118 C.c.Q. applicable en cas de perte d’un ouvrage immobilier.

[157]    Le Tribunal est d’avis que le recours intenté contre la codéfenderesse est mal fondé.

[158]    Dans un premier temps, aucune perte de l’ouvrage au sens de l’article 2118 C.c.Q. n’est survenue.

[159]    Lemay a retenu les services de la codéfenderesse dans le but d’enrayer les infiltrations d’eau, de décontaminer le vide sanitaire et de réparer les dommages au logement situé au rez-de-chaussée.

[160]    Ce travail a été réalisé en mai et juin 2008.

[161]    La preuve établit que le travail de décontamination n’a pas été accompli selon les règles de l’art. Il en est de même du travail visant à enrayer les infiltrations d’eau.

[162]    De l’avis du Tribunal, c’est plutôt l’article 2120 C.c.Q. qui s’applique, soit une garantie contre les malfaçons existantes au moment de la réception ou découvertes dans l’année qui suit la réception de l’ouvrage.

[163]    Vu l’écoulement du temps, cet article ne peut justifier le recours intenté par Robichaud et Cyr.

[164]    Les demandeurs n’ont pas de recours non plus en vertu de la garantie conventionnelle de deux ans, transférable à un éventuel acheteur, tel qu’indiqué à la facture P-3.

[165]    D’une part, cette garantie s’applique aux travaux de construction et non aux travaux de décontamination. À cet égard, le Tribunal note que l’entreprise Fraka, qui a procédé aux travaux de décontamination à la demande de Robichaud, ne garantit pas non plus le résultat de son travail.

[166]    Au surplus, la garantie conventionnelle de deux ans expirait en juillet 2010, soit avant l’épisode de contamination découverte en mars 2011.

[167]    Vu l’absence de lien de droit entre les demandeurs et la codéfenderesse Les Professionnels, le Tribunal conclut que le recours intenté contre cette codéfenderesse doit être rejeté.

 

4.         La demande reconventionnelle

[168]  Étant donné les conclusions du Tribunal à l’égard de la responsabilité de Lemay, il va sans dire que la demande reconventionnelle de celle-ci est sans fondement. Dans les circonstances, le Tribunal est d’avis qu’elle doit être rejetée, sans frais.

[169]  Quant aux frais des différents experts, le Tribunal les accordera à titre de dépens, à l’exception des frais du témoin Marc Hamilton qui n’avait pas déposé de rapport d’expertise au dossier.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[170]  COMDAMNE Louise Lemay à payer aux demandeurs une somme de 76 219,07 $ avec intérêts et indemnité additionnelle à compter du 31 mars 2011;

[171]  COMDAMNE Louise Lemay à payer à Marie-Louise Robichaud une somme de 5 000 $ avec intérêts et indemnité additionnelle à compter du 31 mars 2011;

[172]  AVEC DÉPENS, y incluant les frais d’experts, à l’exception de ceux du témoin Marc Hamilton.

[173]  REJETTE la requête introductive d’instance à l’encontre de 9172-7065 Québec inc., sans frais;

[174]  REJETTE la demande reconventionnelle de Louise Lemay, sans frais.

 

 

 

__________________________________

ROBERT CASTIGLIO, J.C.S.

 

 

Me Catia Larose

DE CHANTAL, D’AMOUR, FORTIER

Procureure des demandeurs/défendeurs reconventionnels

 

Me Maurice Charbonneau

CHARBONNEAU, AVOCATS

Procureur de la défenderesse/demanderesse reconventionnelle

 

 

 

 



[1]     Tous les montants incluent les taxes applicables. Le montant de 39 715,55 $ (paragraphe a)) fait suite à l’amendement de la requête, autorisé par le Tribunal au cours du procès.

[2]     Pièce P-4.

[3]     Pièce P-27.

[4]     Pièce P-3.

[5]     Pièce D-5.

[6]     Pièce P-2.

[7]     Pièce P-3.

[8]     Id.

[9]     Pièce D-5.

[10]    Pièce P-23.

[11]    Pièce P-2.

[12]    Pièce P-3.

[13]    Pièce D-8.

[14]    Pièce P-4.

[15]    Pièce P-1.

[16]    Pièces P-27 et P-28.

[17]    Pièce P-5.

[18]    Pièce P-7.

[19]    Pièce P-7.

[20]    Guidelines on Assessment and Remediation of Fungi in Indoor Environments, New York City, Department of Health and Mental Hygiene, Bureau of Environmental and Occupational Disease Epidemiology, January 2002.

[21]    Pièce P-7.

[22]    Pièce P-21.

[23]    Pièce P-21, p.4

[24]    Pièce P-7, section 7.2.

[25]    Labrie c. Vanasse, EYB 2005-85787.

[26]    Ronis c. Pavillet, EYB 2010-178537.

[27]    Dagenais c. Compagnie immobilière 8655 Foucher inc., EYB 1989-56804.

[28]    Pièce P-9.

[29]    Pièces P-17 (A) et P-17 (A1).

[30]    Pièce P-17 (B).

[31]    Pièce P-17 (C).

[32]    Pièce P-17 (D).

[33]    Pièce P-8.

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