Décision

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Milot c. Directeur général des élections du Québec

2020 QCCS 1382

COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

TERREBONNE

 

 

N° :

700-36-001563-195

 

(CQ : 700-61-148292-177)

 

DATE :

22 AVRIL 2020

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

MYRIAM LACHANCE, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

 

ROBERT MILOT

APPELANT-défendeur.

c.

 

DIRECTEUR GÉNÉRAL DES ÉLECTIONS DU QUÉBEC

INTIMÉ-poursuivant

 

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

1.            L’APERÇU

[1]           L’appelant se pourvoit en appel d’un jugement[1] rendu le 27 novembre 2019 par la Cour du Québec, l’honorable Lucie Marier, le trouvant coupable d’une infraction à la Loi sur les élections et les référendums dans les municipalités[2], à savoir telle qu'originellement portée :

À Sainte-Adèle, le ou vers le 25 juillet 2016, alors qu’il s’est présenté comme candidat indépendant autorisé lors des élections partielles du 1er mai 2016 dans cette municipalité et qu’il était son propre représentant et agent officiel, a transmis un rapport de dépenses électorales incomplet ou qui contenait une mention ou un renseignement faux, commettant ainsi l'infraction prévue au paragraphe- 2° de l’article 595 de la Loi sur les élections et les référendums dans les municipalités (RLRQ, c. E-2.2), et se rendant passible de l'amende prévue à l'article 640.0.1 de cette même loi.

L'infraction reprochée constitue une manœuvre électorale frauduleuse au sens de l’article 645 de la Loi sur les élections et les référendums dans les municipalités (RLRQ, c. E-2.2), comme cette disposition se lisait au moment de la perpétration de l’infraction.

L'amende minimale est de 5 000 $.

Soyez informé que la personne déclarée coupable d’une manœuvre électorale frauduleuse perd notamment le droit de se livrer à un travail de nature partisane, de voter et d’être candidate à une élection, et ce, pour une période de 5 ans.

[2]           L’appelant soutient que son procès n’a pas été tenu dans un délai raisonnable suite à la période de délibération de six mois avant que le verdict ne soit rendu.

[3]           Dans un premier temps, l’appelant plaidait que ce délai devait être inclus dans le plafond de 18 mois établi par la Cour suprême dans l’arrêt Jordan[3]. Il s’est désisté de ce moyen puisque depuis l’audition de l’appel, la Cour suprême a rendu l’arrêt KGK où elle a tranché que le temps de délibération est exclu du calcul des plafonds de l’arrêt Jordan. Ces plafonds s’appliquent seulement jusqu’à la fin de la présentation de la preuve et des plaidoiries dans le cadre du procès[4].

[4]           La qualification du temps de délibération avait fait l’objet d’un débat jurisprudentiel au Canada et la Cour suprême a confirmé la position des juges majoritaires de la Cour d’appel du Manitoba[5] qui avait conclu que cette étape du procès devait être exclue du calcul. C’était aussi l’état du droit actuel au Québec[6].

[5]           D’autre part, l’appelant invoque que ce temps de délibération de six mois est déraisonnable eu égard à la complexité de son dossier puisque l’alinéa 11b) de la Charte canadienne des droits et libertés (« Charte ») s’applique aussi à la période de délibération en vue du prononcé du verdict, même s’il n’est pas inclus dans les plafonds fixés par l’arrêt Jordan[7].

[6]           Selon l’appelant, ce temps de délibération en vue du prononcé du verdict « a été nettement plus long qu’il aurait dû raisonnablement l’être compte tenu de l’ensemble des circonstances » [8].

[7]           Après analyse, il y a lieu de rejeter l’appel.

2.            LE MOYEN D’APPEL

[8]           L’appelant invoque le moyen suivant :

1)    Le temps de délibération de six mois en vue du prononcé du verdict a-t-il été déraisonnable compte tenu de l’ensemble des circonstances?

3.            LE CONTEXTE

[9]           Le constat d’infraction est signifié à l’appelant le 9 août 2017.

[10]        La preuve lui est divulguée en octobre 2017 et novembre 2017.

[11]        Les parties fixent des dates pro forma les 24 novembre 2017 et 17 janvier 2018.

[12]        La poursuite divulgue de la preuve supplémentaire les 7 février 2018 et 4 mai 2018.

[13]        Devant la cour de première instance, les parties conviennent que deux jours de procès seront nécessaires puisque la poursuite a annoncé dix témoins. Le juge de gestion décide tout de même de fixer une seule journée d’audition, soit le 30 mai 2018.

[14]        La défense avise par la suite la Cour qu’elle ne pourra pas procéder à cette date et renonce au délai occasionné de six mois et quatre jours. Le procès est refixé pour deux jours en décembre 2018.

[15]        Le procès débute les 3 et 4 décembre 2018, mais une troisième journée de procès est nécessaire.

[16]        Le 1er mars 2019, la poursuite demande un complément d’enquête et une divulgation supplémentaire est transmise à la défense le 28 mars 2019.

[17]        La présentation de la preuve se termine le 17 avril 2019, les parties sont prêtes à faire leurs représentations finales, mais la juge d’instance préfère reporter le dossier au 28 mai 2019.

[18]        Suite aux plaidoiries du 28 mai 2019, le dossier est pris en délibéré et le jugement déclarant l’appelant coupable est rendu le 27 novembre 2019.

[19]        Les délais suivants sont admis des parties :

1)    Du 9 août 2017 (signification du constat d’infraction) au 24 novembre 2017 (première date pro forma) : délai de trois mois et quinze jours imputable à la poursuite ;

2)    Du 30 mai 2018 (première date de procès) aux 3 et 4 décembre 2018 (remise à la demande de la défense) : délai de six mois et quatre jours imputables à la défense ;

3)    Le délai entre la signification du constat et le jugement est de 27 mois.

[20]        Bien que le Tribunal n’ait plus à se pencher sur la question de l’inclusion du temps de délibéré dans le plafond de 18 mois, certaines remarques des parties sur les délais méritent d’être commentées.

[21]        D’abord, la poursuite souligne qu’elle était prête à fixer le procès entre le 24 novembre 2017 et le 1er janvier 2018. Elle plaide que ce délai d’un mois et 24 jours ne doit pas lui être attribuable puisqu’elle a toujours été diligente et prête à procéder aux dates offertes par le Tribunal.

[22]        Cependant, la défense n’avait reçu qu’une partie de la preuve le 24 novembre 2017.

[23]        La poursuite rétorque que la majorité de la preuve était divulguée et que le procès aurait dû être fixé étant donné la simplicité de la preuve complémentaire transmise par la suite.

[24]        Cet argument ne peut être retenu. Bien que l’obligation de divulgation de la poursuite soit constante et continue d’exister durant tout le procès[9], le défendeur a le droit de se préparer adéquatement et évaluer s’il manque des éléments nécessaires à la présentation de sa défense pleine et entière[10].

[25]        La poursuite plaide également qu’elle était prête à procéder dès la première date de procès suggérée par la Cour, soit le 19 avril 2018, plutôt que la date retenue du 30 mai 2018. Il en est de même du délai pour fixer la troisième journée du procès. Elle était prête dès le 1er mars 2019 alors que la date retenue a été le 17 avril 2019. Elle invoque le même argument concernant le report des plaidoiries entre les 17 avril 2019 et 28 mai 2019, puisqu’elle était prête à plaider le 29 avril 2019, selon les mêmes disponibilités de la Cour.

[26]         Cet argument doit aussi être rejeté puisque l’agenda de la défense, comme celui de la poursuite, doit être considéré avant de fixer une date de procès et en l’absence de tactique dilatoire ou d’abus de la part de l’appelant, ces courts délais ne doivent pas lui être imputables[11].

[27]        Comme le rappelle le juge Cromwell dans l’arrêt Godin : « L’établissement d’un calendrier pour le déroulement d’une instance requiert une disponibilité et une coopération raisonnables; il n’exige pas, pour l’application de l’al. 11b), que les avocats de la défense demeurent disponibles en tout temps »[12].

[28]        Une fois ces remarques sur la classification des délais complétées, le délai net est de 15 mois et 5 jours, soit le délai entre la signification du constat d’infraction (9 août 2017) et la fin des plaidoiries (28 mai 2019), moins la renonciation expresse de six mois et quatre jours de la part de l’appelant.

[29]        Ce délai net est donc en deçà du plafond maximal de 18 mois applicable aux affaires instruites en cour provinciale puisque la Cour suprême a tranché que le délai de délibération ne doit pas faire partie de ce plafond[13].

[30]        L’appelant plaide tout de même que ce délai de délibération de six mois pour rendre le verdict est déraisonnable.

[31]        La poursuite est plutôt d’avis que le temps de délibération était nécessaire eu égard à la preuve administrée.

4.            L’ANALYSE

LA TARDIVETÉ DE L’ARGUMENT INVOQUANT LES DÉLAIS DÉRAISONNABLES

[32]        Dans un premier temps, le Tribunal a soulevé la question de la tardiveté de l’argument invoquant les délais déraisonnables puisque cette question survient pour la première fois dans le cadre de cet appel.

[33]        La juge Arbour, alors juge à la Cour d’appel d’Ontario, a indiqué dans l’arrêt R. v. Rabba que le défaut de présenter une requête soulevant les délais déraisonnables lors du procès est, la plupart du temps, fatal et équivaut à une renonciation de l’accusé à son droit constitutionnel :

In my view, the failure to move for a stay of proceedings, either before trial or at trial, would, in most cases, be fatal. The failure to move for a stay of proceedings would normally amount to a waiver of any claim which may arise under s. 11(b) of the Charter. To hold otherwise would amount to imposing a duty on the trial judge to examine, in each case, the entire history of the proceedings, on his or her own motion, in order to ascertain whether or not the trial was ready to proceed within a reasonable time. …. [E]ven if the accused need not assert that he wishes to exercise his right to be tried within a reasonable time, he must, at some relevant point, assert explicitly that his right has been infringed and seek the appropriate remedy. [14]

[Soulignement ajouté]

[34]        La renonciation à invoquer un droit constitutionnel doit cependant être non équivoque comme le souligne la Cour suprême dans l’arrêt Jordan : « Le délai imputable à la défense comporte deux volets. Le premier concerne le délai que la défense renonce à invoquer (Askov, p. 1228-1229; Morin, p. 790-791). La renonciation peut être explicite ou implicite, mais elle doit être claire et sans équivoque dans les deux cas »[15].

[35]        Elle ajoute, en se référant à l’arrêt R. c. Conway     [16], que « [l]’inculpé doit avoir pleinement connaissance de ses droits et de l’effet que la renonciation aura sur eux. […] il ne faut pas perdre de vue [qu’elle] ne vise pas le droit lui-même, mais simplement l’inclusion de certaines périodes dans l’appréciation générale du caractère raisonnable »[17].

[36]        Le Tribunal doit donc tenir compte de l’ensemble des circonstances pour inférer qu’un accusé a renoncé aux délais et ainsi contextualiser la raison pour laquelle il soulève la question des délais déraisonnables pour la première fois en appel[18].

[37]        Le défaut d’agir est qualifié de « fatal » dans l’arrêt Rabba puisque le juge d’instance n’avait pas eu l’opportunité de se prononcer sur le bien-fondé de l’argument invoquant les délais déraisonnables[19].

[38]        Toutefois, le présent dossier mérite une distinction puisque le principal argument de l’appelant réside dans le délai de six mois pris par la juge d’instance avant de rendre son jugement. C’est ce délai qui a fait en sorte que le droit de l’appelant prévu à l’alinéa 11b) de la Charte aurait été enfreint.

[39]        Il importe de souligner que l’argument des délais déraisonnables survit à la condamnation. Comme l’indiquait le juge Lamer dans l’arrêt Rahey, « [l]e calcul du délai ne cesse pas au moment de l'ouverture du procès, mais se poursuit plutôt jusqu'à la toute fin de l'histoire, et le tout doit se dérouler dans un délai raisonnable »[20].

[40]        Dans la présente affaire, l’appelant n’a cependant pas eu l’opportunité de plaider les délais déraisonnables avant l’imposition de sa peine, bien qu’il ait pu communiquer avec la juge d’instance afin qu’elle rectifie, dans un jugement rendu oralement le 23 décembre 2019, le délai accordé pour le paiement de l’amende.

[41]        À ce stade, la peine minimale de 5 000 $ prévue par la loi était déjà infligée depuis le 27 novembre 2019, ce qui mettait fin au dossier de première instance, sauf quant à la modalité de paiement de cette amende.

[42]        La question des délais déraisonnables a été soulevée par la suite de façon à ce que la juge d’instance n’avait plus compétence pour l’entendre, d’où cet appel[21].

[43]        Les faits au dossier diffèrent de l’arrêt Rahey où le juge d’instance avait délibéré pendant 11 mois avant de rendre sa décision sur une requête en verdict imposé d’acquittement.

[44]         L’inaction de l’appelant pendant le temps de délibération de six mois de la juge d’instance se distingue d’une affaire qui implique une délibération eu égard à une décision interlocutoire.

[45]        Est-ce que l’omission d’avoir soulevé la question des délais déraisonnables pendant la période de délibération de la juge d’instance constitue une renonciation à invoquer son droit constitutionnel en temps opportun[22]?

[46]        Comme l’indique le juge Lamer dans l’arrêt Rahey, « [i]l est probable que l'accusé consentira à un bref ajournement lorsque le juge est en train de délibérer sur la requête en obtention d'un verdict imposé. Ce juge se trouve en situation d'autorité et l'accusé serait bien conseillé par son avocat de faire montre de la plus grande obligeance envers le juge. Une telle conduite ne peut toutefois pas s'interpréter comme une renonciation visant la totalité du délai de onze mois »[23].

[47]        Il en est de même ici et le Tribunal considère que soulever la question des délais uniquement au stade de l’appel n’est pas fatal au droit de l’appelant.

[48]        Une renonciation « claire, sans équivoque et éclairée » au sens de l’arrêt Rahey[24] n’a pas été établie dans un contexte où l’appelant aurait pu « donner l’impression d’intervenir de façon inappropriée dans le processus judiciaire »[25].  

[49]        En conséquence, la question de savoir si le délai attribuable au temps de délibération en vue du prononcé du verdict a porté atteinte au droit de l’appelant d’être jugé dans un délai raisonnable au sens de l’alinéa 11b) de la Charte mérite une analyse par cette Cour, même si elle n’a pas été soulevée en première instance.

Le temps de délibération

[50]        L’arrêt Jordan[26] a été rendu avant le début des procédures à l’endroit de l’appelant.

[51]        Le 8 juillet 2016, la Cour suprême énonce un nouveau cadre d’analyse fixant un seuil au-delà duquel le délai est présumé déraisonnable, peu importe la gravité du crime ou les préjudices spécifiques à l’accusé[27].

[52]        Ce nouveau cadre d’analyse a été confirmé et précisé dans l’arrêt Cody[28], rendu le 16 juin 2017.

[53]        Une fois ce plafond atteint, il revient à la poursuite de justifier son dépassement[29], ce qui n’est pas nécessaire ici puisque le délai entre le début des procédures et la fin des plaidoiries est de 15 mois, ce qui est en deçà du plafond applicable de 18 mois.

[54]        Comme indiqué plus tôt, la Cour suprême a tranché dans l’arrêt K.G.K. que le temps de délibération pour rendre le verdict ne fait pas partie des plafonds fixés par l’arrêt Jordan[30].

[55]        La question du présent pourvoit se limite donc à déterminer si le droit de l’appelant d’être jugé dans un délai raisonnable au sens de l’alinéa 11b) de la Charte a été enfreint par le délai de six mois avant de le déclarer coupable[31].  

[56]        Selon l’appelant, ce temps de délibération a été nettement plus long qu’il aurait dû raisonnablement l’être compte tenu de l’ensemble des circonstances[32].

[57]        Le lourd fardeau de renverser l’application de la présomption d’intégrité judiciaire appartient à l’appelant puisque « les juges de première instance sont les mieux placés pour mettre en balance les diverses considérations éclairant le temps de délibération en vue du prononcé du verdict »[33].

Le caractère déraisonnable du délai inférieur au plafond Jordan

[58]        La Cour suprême, sous la plume du juge Moldaver dans l’arrêt K.G.K., a indiqué que « lorsqu’il s’agit de déterminer si le délai attribuable au temps de délibération en vue du prononcé du verdict a porté atteinte au droit de l’accusé d’être jugé dans un délai raisonnable, il faut se demander si ce temps de délibération a été nettement plus long qu’il aurait dû raisonnablement l’être compte tenu de l’ensemble des circonstances »[34].

[59]        Dans son analyse, le Tribunal doit considérer la présomption d’intégrité dont bénéficient les juges qui « sont tenus de respecter leur serment professionnel et de s’acquitter des obligations qu’ils ont fait le serment de remplir »[35].

[60]        Cette présomption d’intégrité judiciaire fait en sorte qu’il incombe à l’accusé de la réfuter « en expliquant pourquoi, compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’affaire, le temps de délibération en vue du prononcé du verdict a été nettement plus long qu’il aurait dû raisonnablement l’être »[36].

[61]        L’appelant plaide que son dossier ne présentait aucune complexité dans l’administration de la preuve de la poursuite et que ses défenses d'erreur de fait raisonnable et de diligence raisonnable n’avaient rien d’exceptionnel.

[62]        Selon l’appelant, la juge d’instance devait agir promptement au risque de porter atteinte à son droit à un procès dans un délai raisonnable[37], ce qu’elle n’a pas fait en refusant aux parties de présenter leurs plaidoiries finales le 17 avril 2019. Cela a nécessité le report de son dossier au 28 mai 2019. Il rappelle qu’il incombe à tous les participants du système judiciaire de travailler de concert pour accélérer le déroulement des procès en application de l'arrêt Jordan.

[63]        Le Tribunal ne peut retenir cette récrimination.

[64]        Il n’était pas déraisonnable pour la juge d’instance de reporter les plaidoiries puisqu’il était déjà 14h50, le 17 avril 2019, et qu'il s’agissait d’une troisième journée d’audition. Il était sage pour la juge d’instance de permettre aux parties de soumettre des arguments détaillés et de se donner du temps pour être réceptive lors de cette étape importante du processus judiciaire.

[65]        La défense a d’ailleurs pris la balle au bond et justement demandé une date plus éloignée afin de préparer un plan de plaidoirie détaillé contenant des références précises à la preuve administrée.

[66]        D’autre part, malgré les prétentions de l’appelant, la poursuite n’était pas dans une affaire où elle devait intervenir auprès de la juge d’instance pendant la période de délibération. Elle n’avait aucun indice de maladie ou d’empêchement quelconque[38] et en l’absence de mises à jour sur l’état du dossier, elle aurait pu « donner l’impression d’intervenir de façon inappropriée dans le processus judiciaire »[39].

[67]        Enfin, l’appelant plaide à bon droit que la juge de première instance devait prendre en considération la proximité de l’atteinte des plafonds fixés par l’arrêt Jordan[40].

[68]        Le délai de six mois pour rendre le jugement est certes long, mais considérant le nombre de témoins (12), les trois jours d’audition, les défenses invoquées, la période estivale ainsi que les motifs détaillés inclus dans le jugement écrit, ce délai n’a pas « été nettement plus long qu’il aurait dû raisonnablement l’être compte tenu de l’ensemble des circonstances »[41].

[69]        Qui plus est, la mise en balance de ces considérations et le prononcé du verdict « dans le délai indicatif de six mois fixé par le Conseil canadien de la magistrature » révèlent qu’il n’y a pas eu atteinte à l’équité de ce procès[42].

[70]        En conséquence, le droit d’être jugé dans un délai raisonnable de l’appelant, tel que prévu à l’alinéa 11 b) de la Charte, n’a pas été enfreint puisqu’il n’a pas démontré qu’il s’agit d’un des rares cas manifestes qui exigent d’imposer un arrêt des procédures[43].

5.            LES CONCLUSIONS

[71]        Le Tribunal d’appel n’est pas chargé d’évaluer l’état d’esprit subjectif réel de la juge de première instance. Le test est plutôt celui de l’observateur raisonnable[44].

[72]        Un observateur raisonnable constaterait ici que sans être un dossier juridiquement complexe, il a exigé l’administration d’une preuve qui surpasse le temps habituel d’un dossier en matière réglementaire[45].

[73]        Le délai de six mois a été d’une longueur qui est peut-être discutable, mais il ne s’agit pas d’un cas manifeste exigeant d’ordonner l’arrêt des procédures fondé sur l'alinéa 24(1) de la Charte.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[74]        REJETTE l’appel;

[75]        LE TOUT sans frais.

 

 

 

__________________________________mYRIAM LACHANCE, j.c.s.

 

 

 

Me Dominique Shoofey et Me Audrey-Bianca Chabauty

Procureurs de l’APPELANT-défendeur

 

 

Me Amélie Gélinas et Me Christina Chabot

Directeur général des élections du Québec

Procureures de l’INTIMÉ-poursuivant

 

 

Date d’audience :

11 mars 2020

 

 

 

 



[1]     Directeur général des élections du Québec c. Milot, 2019 QCCQ 7341.

[2]     Loi sur les élections et les référendums dans les municipalités, RLRQ, c. E-2.2, art. 595 par. 2.

[3]     R. c. Jordan, [2016] 1 R.C.S. 631, 2016 CSC 27.

[4]     R. c. K.G.K., 2020 CSC 7, par. 3.

[5]     R. v. KGK, 2019 MBCA 9, par. 159 à 165. Voir au même effet R. v. Chang, 2019 ABCA 315, par. 71 et R. v. Mamouni, 2017 ABCA 347, par. 94. Voir à l’effet contraire DMS v. R, 2016 NBCA 71, 353 CCC (3d) 396; Lecompte v. R., 2018 NBCA 33, 362 CCC (3d) 354; R. c. K.J.M., 2019 CSC 55, 2e note de bas de page où la Cour refuse de trancher la question.

[6]     R. c. Rice, 2018 QCCA 198, par. 4; Ste-Marie c. Autorité des marchés financiers, 2019 QCCA 1293, par. 11; A.E. c. R., 2019 QCCA 1865; Rasul c. R., 2019 QCCA 1539, par. 25-26; Autorité des marchés financiers c. Desjardins, 2019 QCCA 1037, par. 35; Palma c. R., 2019 QCCA 762, par. 72 (demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 12 décembre 2019, no 38744); J.B. c. R., 2019 QCCA 761, par. 24; Agostini c. R., 2018 QCCA 373, par. 11; Ste-Marie c. R., 2019 QCCS 5455, par. 54.

[7]     R. c. K.G.K., précité note 4, par. 3.

[8]     Id., par. 3-4 et 65.

[9]          R. c. Egger, [1993] 2 R.C.S. 451 et 466.

[10]    R. c. Godin, [2009] 2 R.C.S. 3, par. 11; R. c. Thanabalasingham, 2019 QCCA 1765, par. 92 à 94; Guimont c. R., 2017 QCCA 1754, par. 40; R. v. Albinowski, 2018 ONCA 1084, par. 32 à 35.

[11]    R. c. MacDougall, [1998] 3 R.C.S. 45, par. 48.

[12]    R. c. Godin précité note 10, par. 23.

[13]    R. c. K.G.K., précité note 4, par. 3 et 50.

[14]    R. v. Rabba, 1991 CanLII 7073 (ON CA), [1991] OJ No 883, 3 OR (3d) 238. Voir aussi R. v. Warring, 2017 ABCA 128, par. 12.

[15]    R. c. Jordan, précité note 3, par. 61.

[16]    R. c. Conway, [1989] 1 R.C.S. 1659 et 1686.

[17]    R. c. Jordan, précité note 3, par. 61.

[18]    M.G. c. R., 2019 QCCA 1170, par. 44 citant R. v. Warring, précité note 14, par. 27.

[19]    R. v. Rabba, précité note 14;  M.G. c. R., 2019 QCCA 1170, par. 42.

[20]    R. c. Rahey, [1987] 1 R.C.S. 588, par. 40, cité avec approbation dans R. c. K.G.K., précité note 4,                    par. 3.

[21]    Martin VAUCLAIR et Tristan DESJARDINS, Traité général de preuve et de procédure pénale, 26e éd., Montréal, Éditions Yvon Blais, 2019, par. 2997 : « En principe, un tribunal épuise sa compétence, c'est-à-dire devient functus officio, «when he makes a final pronouncement following a hearing on the merits. He cannot make a fresh adjudication or otherwise interfere with that judgment after finality has been achieved». Ainsi, dans un procès, la cour a épuisé sa compétence lorsqu'elle a acquitté l'accusé ou l'a déclaré coupable et lui a imposé une sentence. La doctrine du functus officio vise à la décision elle-même et non les motifs qui la sous-tendent, de sorte que certaines modifications peuvent intervenir, mais il devient alors impossible d'ordonner » (références omises).

[22]    R. c. Rahey, précité note 20, par. 45.

[23]    Id., par. 46. Voir aussi R. c. K.G.K., 2020 CSC 7, par. 47 et  74.

[24]    Id., par. 45.

[25]    R. c. K.G.K., précité note 4, par. 47 et 74.

[26]    R. c. Jordan, précité, note 3, par. 20.

[27]    Id., par. 81.

[28]    R. c. Cody, 2017 CSC 31.

[29]    R. c. Jordan, précité note 3, par. 56.

[30]    R. c. K.G.K., précité note 4, par. 3-4 et 65.

[31]    R. c. K.G.K., précité note 4, par. 3-4 et 50.

[32]    Id., par. 23, 24 et 26 à 30.

[33]    Id., par. 4 et 65-66.

[34]    Id., par. 54.

[35]    Id., par. 55 et 66.

[36]    Id., par. 56 et 65-66.

[37]    R. c. MacDougall, précité note 11, par. 49-50.

[38]    Id., par. 51 et 74 à 76.

[39]    R. c. K.G.K., précité note 4, par. 47 et 74.

[40]    Id., par. 57 et 61.

[41]    Id., par. 3-4 et 65.

[42]    Id., par. 63.

[43]    Id., par. 65, citant R. c. Jordan, précité note 3, par. 48.

[44]    Id., par. 73.

[45]    Id., par. 70.

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