Laflamme et Exceldor Coop. avicole |
2011 QCCLP 6547 |
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COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES |
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Saint-Hyacinthe |
7 octobre 2011 |
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Région : |
Yamaska |
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Dossier CSST : |
136993490 |
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Commissaire : |
Guylaine Henri, juge administratif |
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Membres : |
Christian Tremblay, associations d’employeurs |
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Noëlla Poulin, associations syndicales |
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Partie requérante |
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et |
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Exceldor Coop. Avicole |
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Partie intéressée |
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[1] Le 17 mars 2011, madame France Laflamme (la travailleuse) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 10 mars 2011 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 1er octobre 2010 et déclare que la travailleuse n’a pas droit à un remboursement pour remplacer ou réparer ses lunettes.
[3] L’audience s’est tenue le 30 septembre 2011 à Saint-Hyacinthe en présence de la travailleuse et de son représentant. Exceldor Coop. Avicole (l’employeur) est absent; sa représentante, madame Kim Beauregard, ayant informé la Commission des lésions professionnelles et la travailleuse qu’elle ne se présenterait pas à l’audience.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] La travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’elle a droit à une indemnité pour le remplacement de ses lunettes endommagées le 31 août 2010.
LES FAITS
[5] La travailleuse travaille pour l’employeur depuis 26 ans. Au mois d’août 2010, elle occupe la fonction « d’accrocheuse coupe en neuf ». Elle travaille à plein temps. Son horaire de travail comprend une pause d’une heure pour le dîner, une pause santé de 15 minutes en avant-midi et en après-midi ainsi que de deux pauses « toilette » de 10 minutes en avant-midi et en après-midi.
[6] L’employeur exige que les employés, tels que la travailleuse, portent ce qui suit dans l’exercice de leurs fonctions :
- des chaussures à cap d’acier recouvertes de chaussures en caoutchouc;
- un manteau (freezer coat);
- 2 sarraus;
- 1 capuchon;
- des gants de coton par-dessus lesquels les travailleurs doivent enfiler des gants de caoutchouc.
[7] Le port de gants de coton et de caoutchouc est obligatoire puisqu’il est interdit aux employés de toucher aux aliments qu’ils manipulent avec leurs mains nues, pour des raisons de salubrité.
[8] Les fonctions « d’accrocheuse coupe en neuf » nécessitent l’exécution de quatre opérations que la travailleuse effectue par rotation, à raison d’une demi-heure chacune. Ces opérations sont les suivantes :
- L’accrochage qui consiste à saisir les poulets qui arrivent, à raison de 50 à la minute, sur des convoyeurs remplis d’eau et de glace et à les accrocher;
- L’inspection qui consiste à trier les morceaux de poulet afin de s’assurer que seuls ceux qui sont conformes sont retenus;
- L’opération « starflex » qui consiste à enfiler des filets de poulet sur un cône;
- Le test de qualité qui est effectué au moyen de bâtonnets de métal, d’acier et de fer. La travailleuse peut ensuite travailler sans ses gants afin de remplir les formulaires faisant état de cette vérification.
[9] À chacune de ces opérations, les travailleurs sont susceptibles de percer leurs gants en raison de la présence de petits os dans les morceaux de poulet ou d’aspérités dans les instruments qu’ils manipulent. Les mains deviennent alors rapidement très froides et les travailleurs doivent changer de gants. Ils ne peuvent toutefois s’absenter de leur travail pour remplacer leurs gants de caoutchouc ou de coton. Les directives de l’entreprise leur interdisent de quitter leur poste de travail en dehors de leurs pauses, de sorte qu’ils ne peuvent remplacer leurs gants qu’au cours de l’une ou l’autre de leurs pauses santé, de dîner ou « toilette ».
[10] Au cours de l’après-midi du 31 août 2010, la travailleuse perce ses gants dans l’exercice de ses fonctions. La première pause qui suit cet événement est l’une des pauses « toilette » de l’après-midi.
[11] En sortant de son département au moment de sa pause « toilette », les lunettes de la travailleuse se couvrent de buée en raison de la différence de température. Bien que sa vision s’en trouve altérée, la travailleuse se rend à l’étagère où les gants de coton et de caoutchouc sont entreposés. Elle doit se pencher pour prendre les gants dont elle a besoin puisqu’ils sont posés sur une tablette inférieure de l’étagère. En se penchant, elle frappe, avec ses lunettes, une tablette située au-dessus de celle où sont posés les gants : sa monture se brise et l’un des verres tombe. Les lunettes de la travailleuse sont si endommagées qu’elle doit emprunter des lunettes à une collègue de travail pour continuer son quart de travail. Elle ne peut toutefois le terminer en raison d’une céphalée résultant du port de ces lunettes qui ne sont pas adaptées à sa vue.
[12] L’opticien que la travailleuse consulte l’informe qu’elle doit changer de lunettes. Il répare tant bien que mal celles qui sont endommagées afin de lui permettre de travailler en attendant la réception de ses nouvelles lunettes. La travailleuse produit la facture de remplacement de ses nouvelles lunettes avec sa réclamation à la CSST.
[13] La police d’assurance collective, applicable aux employés de l’unité dont la travailleuse fait partie, prévoit le remboursement des frais d’achat de lentilles intraoculaires, lorsque celles-ci sont nécessaires pour corriger les effets d’une maladie de l’œil qui ne peuvent être corrigés au moyen de lentilles cornéennes ou de lunettes.
[14] La travailleuse ne souffre d’aucune maladie de l’œil nécessitant le port de lentilles intraoculaires et n’a droit à aucune indemnité en vertu d'un autre régime pour le remplacement de ses lunettes.
L’AVIS DES MEMBRES
[15] Les membres issus des associations d’employeurs et des associations syndicales sont d’avis que la travailleuse a droit au remboursement prévu à l’article 113 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) puisqu’elle remplit les quatre conditions d’application de cet article. Le membre issu des associations d’employeurs est de cet avis en raison des conditions particulières de ce dossier, à savoir que le port de gants est une condition de travail de la travailleuse et que c’est l’employeur qui détermine l’endroit où ils sont entreposés.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[16] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si la travailleuse a droit à une indemnité pour le remplacement de ses lunettes en vertu de l’article 113 de la loi :
113. Un travailleur a droit, sur production de pièces justificatives, à une indemnité pour la réparation ou le remplacement d'une prothèse ou d'une orthèse au sens de la Loi sur les laboratoires médicaux, la conservation des organes et des tissus et la disposition des cadavres (chapitre L-0.2) endommagée involontairement lors d'un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant par le fait de son travail, dans la mesure où il n'a pas droit à une telle indemnité en vertu d'un autre régime.
L'indemnité maximale payable pour une monture de lunettes est de 125 $ et elle est de 60 $ pour chaque lentille cornéenne; dans le cas d'une autre prothèse ou orthèse, elle ne peut excéder le montant déterminé en vertu de l'article 198.1 .
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1985, c. 6, a. 113; 1992, c. 11, a. 5; 2001, c. 60, a. 166; 2009, c. 30, a. 58.
[17] Le respect de quatre conditions est nécessaire pour que cette disposition s’applique.
[18] La prothèse ou l’orthèse remplacée doit avoir été endommagée involontairement. La preuve démontre sans contredit que c’est involontairement que la travailleuse a brisé ses lunettes.
[19] Il faut également démontrer que c’est lors d’un événement imprévu et soudain que les lunettes de la travailleuse ont été brisées. Il ne fait pas de doute dans l’esprit du tribunal que cette seconde condition est également satisfaite.
[20] La travailleuse doit également démontrer qu’elle n’a droit à aucune autre indemnité en vertu d’un autre régime. Cette condition est également satisfaite : l’assurance groupe existant au sein de l’entreprise ne prévoit que le remboursement de lentilles intraoculaires, ce qui n’est pas le cas des lunettes de la travailleuse. De plus, le témoignage non contredit de la travailleuse démontre qu’elle ne bénéficie d’aucun autre régime lui donnant droit à une indemnité pour le remplacement de ses lunettes.
[21] Le tribunal est également d’avis que la travailleuse a démontré qu’elle a brisé ses lunettes « par le fait de son travail ».
[22] Comme la Commission des lésions professionnelles l’écrivait dans une autre affaire[2] concernant l’application de l’article 113 de la loi:
[16] Le fait que la travailleuse se soit rendue à la salle de bain avec sa collègue pour s’y laver les mains était non pas seulement connexe au travail en cours mais une étape nécessaire à la poursuite de la séquence des tâches auxquelles ces employées étaient alors affectées.
[17] La travailleuse ainsi que sa collègue ne pouvaient, de toute évidence, procéder à la vérification et au tri des documents prêts à être expédiés aux clients en manipulant le papier blanc avec leurs mains qu’elles avaient salies lors de l’étape précédente, à savoir le nettoyage des boîtes contenant les documents en question.
[23] Dans le présent dossier, le tribunal constate d’abord que le port de gants est une condition essentielle du travail de la travailleuse. La preuve démontre de plus que la travailleuse devait changer ses gants percés par le fait de son travail.
[24] Par ailleurs, le fait que la travailleuse ait brisé ses lunettes au moment d’une pause n’empêche pas l’application de l’article 113 de la loi. La preuve démontre en effet que la travailleuse n’avait d’autre choix que de remplacer ses gants à la première pause survenant après qu’elle eût percé ses gants, en raison des règles édictées par l’employeur. C’est ce qu’elle a fait en l’espèce.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de madame France Laflamme (la travailleuse);
INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative le 10 mars 2011;
DÉCLARE que la travailleuse a droit à une indemnité pour le remplacement de ses lunettes.
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Guylaine Henri |
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Guy Rivard |
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T.U.A.C. (local 1991-P) |
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Représentant de la partie requérante |
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.