Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier

Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Pelletier et autres) c. Commission scolaire des Phares

2009 QCTDP 19

TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

 

 

 

CANADA

 

PROVINCE DE QUÉBEC

 

DISTRICT DE

RIMOUSKI

 

 

 

 

No:

100-53-000012-085

 

 

 

 

DATE :

2 décembre 2009

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

MICHÈLE RIVET

 

 

 

AVEC L’ASSISTANCE DES ASSESSEURES :

Mme Renée Lescop

Me Manon Montpetit

 

______________________________________________________________________

 

 

COMMISSION DES DROITS DE LA PERSONNE ET DES DROITS DE LA JEUNESSE, organisme public constitué en vertu de la Charte des droits et libertés de la personne (L.R.Q., c. C-12), ayant son siège au 360, rue Saint-Jacques Ouest, Montréal (Québec) H2Y 1P5, agissant en faveur de madame JEANNETTE PELLETIER et monsieur ROBERT POTVIN, tant en leur nom qu'au nom de leur fils mineur JOËL POTVIN

 

Partie demanderesse

 

c.

 

 

COMMISSION SCOLAIRE DES PHARES, personne morale de droit public légalement constituée ayant son siège social au 435 avenue Rouleau, Rimouski (Québec) G5L 8V4

 

Partie défenderesse

 

ET

 

 

 

 

 

JR0330

 

JEANNETTE PELLETIER, agissant pour elle-même et au nom de son fils mineur JOËL POTVIN, résidant et domiciliée au [...], Rimouski (Québec) [...]

 

ET

 

 

ROBERT POTVIN, agissant pour lui-même et au nom de son fils mineur JOËL POTVIN, résidant et domicilié au [...], Rimouski (Québec) [...]

 

ET

 

 

JOËL POTVIN, résidant et domiciliée au [...], Rimouski (Québec) [...]

 

Parties victimes devant la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse

 

ET

 

 

ASSOCIATION DE LA DÉFICIENCE INTELLECTUELLE, personne morale de droit privé, ayant son siège social au 215 rue Tessier, Rimouski (Québec) G5L 8X9

 

Partie plaignante et intéressée devant la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse

 

______________________________________________________________________

 

 

 

JUGEMENT

 

______________________________________________________________________

 

 

 

 

 


 

1. L'ORIGINE ET LE CONTEXTE DU LITIGE 9

2. LE CONTEXTE FACTUEL TEL QUE MIS EN PREUVE     11

2.1 L'année scolaire 2005-2006           11

2.1.1 L'encadrement scolaire de Joël  11

2.1.2 L'élaboration de la démarche d'évaluation personnalisée pour les élèves EHDAA, à la suite du jugement de la Cour d'appel du Québec          14

2.1.3 L'application de la démarche d'évaluation personnalisée à Joël Potvin  19

2.1.4 Le classement de Joël pour l'année 2006-2007 21

2. 2 L'année scolaire 2006-2007          26

2.2.1 L'encadrement scolaire de Joël  26

2.2.2 La décision de classement pour l'année scolaire 2007-2008     31

2.3 L'année scolaire 2007-2008           32

2.3.1 L'encadrement scolaire de Joël  32

2.3.2 La décision de classement pour l'année 2008-2009       37

2.4 L'année scolaire 2008-2009           41

2.4.1 L'entrée de Joël à l'école secondaire St-Jean     41

2.4.2 Le plan d'intervention de Joël      42

2.5 La preuve statistique relative aux élèves présentant une déficience moyenne à sévère   44

2.6 Les expertises       45

2.6.1 Madame Catherine Pidgeon       47

2.6.2 Madame Caroline Pouliot            47

2.6.3 Madame Lorraine Doucet           48

2.6.4 Docteur Robert Dubé     50

2.6.5 Madame Line Jacques    51

2.6.6 Madame Élise Bujold      52

3. LES QUESTIONS EN LITIGE          52

4. LE DROIT APPLICABLE     53

4.1 Le droit international           53

4.2 Le droit québécois et canadien      59

4.2.1 Le cadre législatif prévu par la Charte    59

4.2.2 Les paramètres découlant de la Loi sur l'instruction publique auxquels renvoie l'article 40 de la Charte            60

4.2.3 L'exercice du droit à l'instruction publique gratuite, en toute égalité, sans discrimination fondée sur le handicap.            64

4.2.4 La portée du motif de discrimination interdit, le handicap, dans le contexte de l'intégration scolaire      64

4.2.5 L'intérêt de l'enfant en tant que principe juridique            67

4.2.6 Le fardeau de preuve      69

4.2.7 La discrimination systémique     72

5. L'ANALYSE DE LA PREUVE           77

5.1 L'encadrement et les conditions d'intégration de Joël        79

5.1.1 En 2005-2006     79

5.1.2 En 2006-2007     84

5.1.3 En 2007-2008     91

5.1.4 En 2008-2009     93

5.2. Les décisions de classement découlant du processus d'évaluation        94

5.2.1 La décision de classement pour l'année scolaire 2006-2007     95

5.2.2 La décision de classement pour l'année scolaire 2007-2008     107

5.2.3 La décision de classement pour l'année scolaire 2008-2009     109

5.3 Les conclusions relatives à l'encadrement, aux conditions d'intégration et au processus ayant mené aux classements de Joël Potvin : la discrimination systémique     112

6. LES RÉPARATIONS           118

6.1 Les dommages moraux    119

6.2 Les dommages punitifs     121

6.3 Les ordonnances mandatoires      122

7. LE DISPOSITIF       126

 


 

[1]           Le Tribunal des droits de la personne (ci-après le «Tribunal») est saisi d'une demande introductive d'instance dans laquelle la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (ci-après la «Commission»), agissant dans l'intérêt public et en faveur de Joël Potvin, allègue que pour les années scolaires 2006-2007 et 2007-2008, la défenderesse, soit la Commission scolaire des Phares, a porté atteinte au droit de Joël Potvin de conclure un acte juridique ayant pour objet des services ordinairement offerts au public, soit des services éducatifs dans le cadre ordinaire d'enseignement avec l'adaptation requise, ainsi qu'à la reconnaissance et à l'exercice de son droit à l'instruction publique gratuite sans discrimination fondée sur le handicap, contrairement aux articles 10, 12 et 40 de la Charte des droits et libertés de la personne[1] (ci-après la «Charte»).

[2]           La Commission allègue de plus que la défenderesse a porté atteinte au droit de Joël Potvin et de ses parents, madame Jeannette Pelletier et monsieur Robert Potvin, à la reconnaissance et à l'exercice en pleine égalité de leur droit au respect de leur dignité sans discrimination fondée sur le handicap ou l'état civil, contrairement aux articles 4 et 10 de la Charte.

[3]           Plus précisément, la Commission allègue que la Commission scolaire des Phares n'a pas procédé au classement de Joël suivant les prescriptions émises par la Cour d'appel du Québec, dans un jugement rendu le 25 janvier 2006, concernant l'intégration scolaire de Joël[2]

[4]           Dans ses conclusions[3], la Commission demande au Tribunal :

D'ACCUEILLIR la présente demande;

DE CONDAMNER la Commission scolaire des Phares à verser aux victimes Jeanette Pelletier et Robert Potvin une somme de trente-sept mille cinq cent dollars (37 500,00$) répartie également entre eux comme suit :

a)          un montant de vingt-deux mille cinq cent dollars (22 500,00$), à titre de dommages moraux;

b)          un montant de quinze mille dollars (15 000,00$), à titre de dommages punitifs.

DE CONDAMNER la Commission scolaire des Phares de verser à la victime Joël Potvin une somme de trente-sept mille cinq cent dollars (37 500,00$) répartie comme suit :

a)          une somme de vingt-deux mille cinq cent dollars (22 500,00$), à titre de dommages moraux;

b)         une somme de quinze mille [dollars] (15 000,00$), à titre de dommages punitifs.

D'ORDONNER à la Commission scolaire des Phares, prenant en considération les besoins et l'intérêt de Joël Potvin :

a)          De procéder à une évaluation personnalisée de Joël Potvin dans le but de déterminer ses besoins ainsi que l'étendue de ses capacités scolaires et sociales, en adaptant les normes d'évaluation et de classement pour tenir compte de son handicap;

b)          D'élaborer un plan d'intervention envisageant toutes les adaptations raisonnables pouvant permettre l'intégration de Joël en classe ordinaire, le plus près possible de sa résidence;

c)          De déterminer, à la lumière de l'évaluation et du plan d'intervention, si l'intégration de Joël Potvin en classe ordinaire rejoint son meilleur intérêt.

LE TOUT dans un délai de 60 jours du jugement à intervenir.

D'ORDONNER à la Commission scolaire des Phares, prenant en considération l'intérêt public, d'offrir à tout son personnel enseignant et celui responsable des services éducatifs adaptés, une formation sur les principes régissant l'intégration scolaire des enfants présentant une déficience intellectuelle ou un handicap, laquelle formation serait donnée par une personne consultante en pédagogie inclusive, en collaboration avec la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, dans un délai de 120 jours du jugement à intervenir.

D'ORDONNER à la Commission scolaire des Phares de cesser d'effectuer le classement des élèves présentant une déficience intellectuelle ou un handicap en fonction du regroupement des élèves nécessitant des services adaptés.

D'ORDONNER à la Commission scolaire des Phares, dans l'intérêt public, de modifier sa Politique sur l'organisation des services aux élèves handicapés ou en difficulté d'adaptation ou d'apprentissage, SE-02-08-27, dans un délai de 60 jours du jugement à intervenir, et de procéder à une réorganisation de ses services éducatifs adaptés afin de respecter, dans l'octroi des services adaptés aux élèves présentant une déficience intellectuelle ou un handicap ou des difficultés d'adaptation ou d'apprentissage, les obligations énoncées par la Cour d'appel:

a)          De procéder à une évaluation personnalisée de l'élève présentant un handicap dans le but de déterminer ses besoins ainsi que l'étendue de ses capacités scolaires et sociales, en adaptant les normes d'évaluation et de classement pour tenir compte de son handicap;

b)          D'élaborer un plan d'intervention envisageant toutes les adaptations raisonnables pouvant permettre l'intégration en classe ordinaire de l'élève présentant un handicap, le plus près possible de sa résidence;

c)          De déterminer, à la lumière de l'évaluation et du plan d'intervention, si l'intégration en classe ordinaire de l'élève présentant un handicap rejoint son meilleur intérêt.

D'ORDONNER à la Commission scolaire des Phares, compte tenu de ses obligations en matière d'octroi de services adaptés, d'obtenir une évaluation des élèves présentant une déficience intellectuelle ou un handicap ayant pour objectif de déterminer l'intérêt particulier de chaque élève de recevoir les services adaptés en classe ordinaire, afin que la décision de classement repose sur les besoins et l'étendue des capacités scolaires et sociales de chaque élève, et non sur son degré de déficience intellectuelle ou son handicap, non plus que sur l'organisation et le regroupement des services adaptés en classe spéciale par la Commission scolaire, particulièrement pour les principales matières académiques telles le français et les mathématiques.

D'ORDONNER à la Commission scolaire des Phares, de mettre en place toutes les mesures nécessaires (supports, formations, ressources) afin de favoriser la réussite de l'intégration en classe ordinaire lorsque l'intégration en classe ordinaire d'un élève présentant une déficience intellectuelle ou un handicap rejoint son meilleur intérêt, suite à l'évaluation de ses besoins et de l'étendue de ses capacités scolaires et sociales.

D'ORDONNER à la Commission scolaire des Phares de mettre sur pied un comité chargé d'élaborer et superviser l'implantation de toutes les mesures (supports, formations, ressources) visant à favoriser la réussite de l'intégration en classe ordinaire lorsque l'intégration en classe ordinaire d'un élève présentant une déficience intellectuelle ou un handicap rejoint son meilleur intérêt suivant une évaluation de ses besoins et de l'étendue de ses capacités scolaires et sociales.

D'ORDONNER à la Commission scolaire des Phares de rendre compte au Tribunal du respect des présentes ordonnances, à la date fixée par le Tribunal au moment de rendre jugement.

LE TOUT avec intérêt au taux légal et l'indemnité additionnelle conformément à l'article 1619 C.c.Q., depuis la signification de la proposition de mesures de redressement, soit le 5 novembre 2007, pour les dommages moraux, et à compter du jugement pour les dommages punitifs, ainsi que les entiers dépens, incluant le cas échéant, les frais d'experts, tant pour la préparation de leur rapport que leur présence à la cour.

[5]           La Commission scolaire des Phares nie pour sa part que le classement de Joël Potvin ait été effectué de façon discriminatoire, sans égard aux prescriptions de la Cour d'appel relatives aux modalités d'intégration en milieu scolaire. Au contraire, la Commission scolaire des Phares allègue que, dès le mois de mars 2006, elle aurait élaboré une démarche personnalisée adaptée au handicap et à la personne de Joël, soit la «Démarche d'évaluation personnalisée pour les élèves EHDAA»[4].

[6]           Aux fins du classement de Joël pour les années 2006-2007 et 2007-2008, la Commission scolaire des Phares allègue avoir tenu compte de l'évaluation de ses besoins et de l'étendue de ses capacités en se fondant sur les observations, les commentaires et les évaluations faites par les différents intervenants entourant Joël. 

[7]           Un plan d'intervention pour Joël aurait été mis en place, pour chaque année scolaire, lors de rencontres tenues par le Comité d'aide pédagogique de l'école. Ce dernier se serait réuni à plusieurs reprises pendant le cours de l'année scolaire pour faire l'évaluation du plan d'intervention afin de voir si les moyens utilisés ont permis l'atteinte du but à poursuivre dans les différentes sphères d'intervention ou encore pour en faire la révision.

[8]           Tout comme cela était le cas pour l'année 2006-2007, la défenderesse prétend que les intervenants de l'école auraient reçu, tout au long de l'année 2007-2008, diverses modalités de formation, d'accompagnement et de suivi au regard des besoins de Joël ainsi que des mesures et des adaptations à mettre en place pour celui-ci.

[9]           Quant aux allégations de discrimination systémique, la Commission scolaire des Phares allègue que la Commission ne peut se fonder sur une preuve statistique afin de prouver que le classement des élèves autres que Joël dans les classes spécialisées est discriminatoire, la Cour d'appel du Québec ayant établi qu'aucune présomption ne permet de déduire qu'un classement en classe spécialisée est contraire à la Charte. Il faut établir pour chaque élève si son placement en classe spécialisée ou ordinaire est dans son intérêt. Selon la Commission scolaire des Phares, aucune preuve de cette nature n'a été présentée par la Commission concernant les autres élèves que Joël.

[10]        Par conséquent, la Commission scolaire des Phares demande le rejet de toutes les conclusions recherchées. Elle réaffirme que l'ensemble des démarches effectuées vise la recherche du meilleur intérêt de Joël et tient compte de l'évaluation de ses besoins et de l'étendue de ses capacités en se fondant sur les observations, les commentaires et les évaluations faits par les différents intervenants qui l'entourent.

[11]        Subsidiairement, la Commission scolaire des Phares allègue que les parents de Joël ne peuvent réclamer des dommages pour eux-mêmes puisque l'article 49 de la Charte ne donne droit à un recours en réparation qu'à la victime dont les droits et libertés ont été violés.

1. L'ORIGINE ET LE CONTEXTE DU LITIGE

[12]        Le litige découle d'une plainte déposée par l'Association de la déficience intellectuelle[5] à la Commission le 20 juillet 2006, à la suite du classement scolaire de Joël Potvin pour l'année 2006-2007 l'orientant en classe spécialisée avec une participation en classe ordinaire minimale et réduite par rapport à l'année 2005-2006. Au soutien de cette plainte, l'Association de la déficience intellectuelle allègue, notamment, que la Commission scolaire des Phares n'a pas procédé au classement de Joël suivant les prescriptions de la Cour d'appel du Québec, émises dans un jugement rendu le 25 janvier 2006[6], en appel d'un jugement du Tribunal concernant l'intégration scolaire du même enfant.

[13]        Dans un jugement rendu le 30 novembre 2004[7], le Tribunal concluait que le classement de Joël recommandant l'enseignement en classe spécialisée à temps plein, pour l'année scolaire 2001-2002, était discriminatoire puisque, d'une part, la preuve établit que les outils d'évaluation appliqués à Joël sont les mêmes que ceux appliqués aux enfants n'ayant pas de handicap et, d'autre part, qu'aucune mesure d'adaptation n'a été envisagée afin d'assurer une intégration en classe ordinaire. De plus, le Tribunal concluait que l'intégration à demi-temps en classe ordinaire, pour l'année scolaire 2003-2004, était discriminatoire en ce que qu'elle constituait une intégration formelle plutôt que réelle - Joël et son accompagnateur travaillant isolément, formant pour ainsi dire un sous-groupe au sein de la classe. Le Tribunal ordonnait alors à la Commission scolaire des Phares de procéder à l'intégration de Joël en classe ordinaire, pour mi-temps, dans l'école de son quartier, en s'assurant que l'intégration sera substantielle et non pas seulement formelle.

[14]        En appel, la Cour d'appel du Québec confirme qu'il y a eu discrimination fondée sur le handicap et conclut à l'existence de discrimination dans l'évaluation et le classement de Joël ainsi que dans la façon dont celui-ci a été intégré en classe ordinaire. La Cour d'appel infirme toutefois deux ordonnances émises par le Tribunal, précisant à cette occasion que bien que la norme d'intégration soit une norme d'application générale, cette norme n'a pas pour effet de créer une présomption d'intégration ni de constituer une norme juridique impérative. Par conséquent, la Cour d'appel estime que le Tribunal ne pouvait ordonner l'intégration de Joël sans que l'appelante n'ait d'abord procédé à une évaluation personnalisée qui démontre qu'un tel classement serait dans l'intérêt de Joël. Sur ce même fondement, la Cour d'appel infirme l'ordonnance de nature systémique émise par le Tribunal. À cette occasion, la Cour d'appel énonce les étapes[8] à suivre afin de déterminer si l'intégration est dans le meilleur intérêt de l'enfant.

[15]        Dans la plainte déposée à la Commission le 20 juillet 2006 par l'Association de la déficience intellectuelle, qui agit en tant que partie intéressée dans le présent litige, il est reproché à la Commission scolaire des Phares d'avoir à nouveau effectué un classement discriminatoire à l'endroit de Joël en ne respectant pas les prescriptions émises par la Cour d'appel dans son jugement rendu en 2006.

[16]        Le 2 mai 2008, la Commission dépose au Tribunal une demande introductive d'instance en faveur de Joël Potvin et de ses parents, madame Jeannette Pelletier et monsieur  Robert Potvin.

[17]        L'audition de la preuve a débuté  le 8 décembre 2008 pour se terminer le 17 avril 2009. Au total, le Tribunal a entendu 25 témoins, dont 6 témoins experts, au cours de 16 jours d'audience. L'affaire a été prise en délibéré le 17 avril 2009.

[18]        Le Tribunal a rendu deux décisions interlocutoires[9] au cours de la présente affaire.

[19]        Le Tribunal a pris une objection sous réserve lors d'un interrogatoire au préalable quant à la preuve du classement pour l'année scolaire 2008-2009. Lors de l'audience, le Tribunal a rejeté cette objection en précisant que les éléments de preuve concernant cette année scolaire seraient appréciés en fonction de l'ensemble de la preuve. Le Tribunal accepte donc la preuve relative à tout ce qui concerne l'année scolaire 2008-2009, dans la mesure où ces éléments de preuve sont reliés aux questions qui nous sont soumises dans le cadre du présent litige.

2. LE CONTEXTE FACTUEL TEL QUE MIS EN PREUVE

[20]        Joël, né le [...] 1994, vit avec une trisomie 21. Il présente une déficience intellectuelle moyenne qui se manifeste, notamment, par un retard au niveau du développement du langage.

[21]        Madame Jeannette Pelletier et monsieur Robert Potvin sont les parents de Joël Potvin. Ils habitent à Rimouski. Il s'agit de la deuxième fois qu'ils exercent un recours à l'encontre d'une décision de la Commission scolaire des Phares relativement au classement de leur fils.

[22]        Selon eux, la décision de la Commission scolaire des Phares d'orienter Joël vers la classe spécialisée pour les années scolaires 2006-2007 et 2007-2008 avec un temps d'intégration réduit à la classe régulière - environ six heures par semaine - était un net recul par rapport aux années scolaires 2004-2005 et 2005-2006, au cours desquelles il avait été intégré en classe ordinaire à demi-temps à l'école l'Aquarelle, même si, par ailleurs, cette école n'était pas l'école de quartier de Joël.

[23]        Les parents de Joël insistent sur le fait que Joël aurait du être intégré le plus possible en classe ordinaire dans son école de quartier, à tout le moins pour la moitié du temps.

2.1 L'année scolaire 2005-2006

2.1.1 L'encadrement scolaire de Joël

[24]        Au début de l'année scolaire 2005-2006, Joël est inscrit en cinquième année à l'école l'Aquarelle, à mi-temps en classe ordinaire et à mi-temps en classe spécialisée.

[25]        L'école l'Aquarelle est une école primaire d'environ 300 enfants répartis entre classes ordinaires et classes spéciales. Il n'y a pas de division dans l'école entre les 300 enfants qui la fréquentent; ils se retrouvent ensemble pendant la récréation, à la cafétéria et participent aux mêmes activités parascolaires.

[26]        Ce partage moitié-moitié à l'école l'Aquarelle avait été convenu pour les années scolaires  2004-2005 et 2005-2006 de Joël, en attente des jugements du Tribunal et de la Cour d'appel du Québec quant au classement discriminatoire ou non de Joël[10].

[27]        Les cours que Joël suivait l'après-midi dans la classe ordinaire étaient : science et technologie, univers social, enseignement religieux et moral, informatique, bibliothèque et les spécialités telles que l'éducation physique, l'anglais et la musique.

[28]        Madame Johanne Tremblay est la titulaire de la classe ordinaire de Joël, laquelle regroupe 8 élèves de 4ième année dont un enfant atteint de paralysie cérébrale et 17 élèves de 5ème année, dont Joël, à demi-temps tous les après-midis. 5 des 25 élèves qui composent cette classe ont des troubles de comportement. C'est la première fois que madame Tremblay reçoit un enfant trisomique dans sa classe depuis qu'elle a eu sa permanence, en 2000. C'est sa première année d'enseignement à l'école l'Aquarelle.

[29]         Madame Tremblay témoigne avoir reçu, en début de cette année scolaire, une formation d'une journée sur la déficience intellectuelle et sur le programme adapté de l'école québécoise. Cette formation était organisée par la commission scolaire et donnée, notamment, par madame Louise Dionne. C'est la première fois au cours de ses 21 ans d'expérience en enseignement que madame Tremblay a un enfant trisomique dans sa classe.

[30]        Madame Tremblay témoigne qu'elle n'avait pas besoin de moyens d'adaptation particuliers dans le cadre de l'enseignement qu'elle donnait à Joël. À partir d'une leçon, elle ressortait un élément essentiel à la compréhension de Joël, ce qui était le plus signifiant pour lui. Elle témoigne ainsi à ce sujet :

Nous quand on enseigne on est habitué de toujours travailler en fonction des besoins puis des capacités d'un enfant, des enfants. Puis dans nos classes tous les enfants sont différents : je ne portais pas plus d'attention que de l'un ou que de l'autre: Joël était dans la classe comme un autre et je travaillais pour que ce soit le plus simple pour lui.[11]

[31]        Quant à l'adaptation du matériel, madame Tremblay découpait des images et grossissait les lettres pour que Joël comprenne la tâche à faire. Elle témoigne avoir adapté les apprentissages à partir de sa propre expérience d'enseignement. Interrogée sur ce qu'elle avait appris plus précisément de cette formation quant à la façon d'adapter son enseignement pour Joël, elle ajoute :

Moi je n'avais pas besoin d'une formation proprement dit parce que ça fait 21 ans que j'enseigne et que j'adapte toujours.[12]

[32]        Elle mentionne que l'enseignement consiste à savoir adapter :

Tout ce que j'avais à faire c'était d'aller chercher des notions spéciales pour la compréhension de Joël, pour que cela soit plus signifiant pour lui.[13]

[33]        Madame Tremblay reçoit l'aide d'une technicienne en éducation spécialisée, madame Odette Sirois, laquelle accompagne Joël en classe ordinaire. Elle bénéficie aussi de l'accompagnement, au besoin, des deux conseillères pédagogiques de la Commission scolaire des Phares qui sont à sa disposition pour répondre à ses questions.

[34]        Madame Nadine Banville est la titulaire de la classe spécialisée, laquelle compte huit élèves auxquels deux nouveaux élèves se sont ajoutés en janvier 2006.

[35]        Madame Banville détient un baccalauréat en adaptation scolaire obtenu en 1993-1994. Elle a une expérience de travail avec des élèves ayant une déficience auditive, avec des élèves ayant des difficultés d'apprentissage en lecture et en écriture et quelques élèves ayant une déficience intellectuelle légère. C'est alors sa première expérience avec un enfant trisomique et sa deuxième expérience avec un enfant ayant une déficience intellectuelle moyenne.

[36]        Madame Banville a suivi, en septembre 2005, la même formation que madame Tremblay, la titulaire de la classe ordinaire, sur les enfants ayant des déficiences intellectuelles ainsi que sur le programme adapté. Cette formation a duré une journée. Elle témoigne aussi avoir rencontré les enseignants précédents de Joël qui lui avaient parlé de lui.

[37]        L'enseignement en classe spécialisée se fait de façon individualisée ou par petits groupes, selon les cas. Chaque enfant a son programme adapté et, souvent, arrive ou quitte à des heures différentes. Madame Banville précise qu'il lui arrive de donner un enseignement magistral mais seulement pour de très courtes périodes.

[38]        Dans le cadre de son enseignement, madame Banville reçoit l'aide d'une technicienne en éducation spécialisée, madame Johanne Bérubé. Cette dernière s'occupe de l'ensemble du groupe mais elle peut aussi accompagner Joël dans d'autres activités. Elle mentionne pouvoir bénéficier du soutien et de l'accompagnement de la conseillère pédagogique en adaptation scolaire qui est venue à quelques reprises observer sa classe, aux mois de novembre et décembre.

[39]        Selon madame Banville, une période est prévue à l'horaire à chaque semaine, lors de laquelle madame Tremblay et elle se rencontrent pour discuter de l'enseignement qu'elles donnent  à Joël.

[40]        Elle explique que, de façon générale, Joël comprenait bien les consignes dans la mesure où il s'agissait de consignes claires et concises.

[41]        Madame Joyce O'Breham est directrice de l'école l'Aquarelle. Elle occupe ce poste à partir de mars 2006. Elle a déjà procédé à l'intégration d'un enfant trisomique en classe régulière alors qu'elle était directrice à l'école Durocher-d'Auteuil avec le support de madame Louise Dionne, personne-ressource au service régional de soutien et d'expertise en adaptation scolaire du ministère de l'Éducation, des Loisirs et des Sports (ci-après le «MELS»). C'était alors la première fois qu'une enfant trisomique fréquentait l'école Durocher-d'Auteuil.

[42]        Madame Dionne est orthophoniste de formation. À partir de novembre 2004, elle est personne-ressource auprès de deux commissions scolaires, des Phares et Monts et Marées. Elle travaille à des activités de soutien et de formation continue du personnel scolaire dans le cadre du développement de l'expertise requise pour la prestation des services aux élèves handicapés et en difficultés d'apprentissage présentant une déficience intellectuelle et un trouble envahissant de comportement (EHDAA).

[43]        Bien qu'aucune formation n'apparaisse à son curriculum vitae concernant l'intégration en classe ordinaire d'enfants trisomiques, elle dit cependant avoir travaillé avec un enfant trisomique entre 1992 et 1998 et avoir assisté à un atelier de formation en mai 2005 duquel elle retient que l'intégration en classe ordinaire est possible et souhaitable à la condition de mettre en place les mesures nécessaires. Elle décrit ces mesures comme étant la formation et l'accompagnement des intervenants, la planification pédagogique, l'intervention de professionnels afin d'aider les enseignants, la collaboration étroite de la famille ainsi qu'une franche volonté et un leadership de la part de la direction de l'école.

2.1.2 L'élaboration de la démarche d'évaluation personnalisée pour les élèves EHDAA, à la suite du jugement de la Cour d'appel du Québec

[44]        Le 25 janvier 2006, la Cour d'appel du Québec confirme la décision du Tribunal notamment quant à l'existence de discrimination dans l'évaluation et le classement de Joël aux cours des années scolaires précédentes.

[45]        Afin de répondre aux ordonnances de la Cour d'appel, laquelle établit un processus en trois étapes afin de déterminer si l'intégration scolaire est dans le meilleur intérêt de l'enfant, madame Marie Dubé, agissant alors en tant que personne-ressource en adaptation scolaire à la Direction des services éducatifs de la Commission scolaire des Phares, témoigne qu'un «Plan d'action pour Joël Potvin» est présenté à l'équipe de gestion des services éducatifs de la Commission scolaire des Phares, le 6 février 2006[14].

[46]        Ce plan d'action contient trois recommandations, accompagnées pour chacune d'une proposition de démarche. Le plan d'action prévoit aussi un échéancier des démarches à réaliser de février à juin 2006. Ces recommandations, qui reprennent essentiellement les ordonnances rendues par la Cour d'appel[15],  sont les suivantes :

Recommandation 1 :

De procéder à une évaluation personnalisée de Joël, dans le but de déterminer ses besoins ainsi que l'étendue de ses capacités scolaires et sociales, notamment de bien cerner ses forces et ses faiblesses, en adaptant les normes d'évaluation et de classement pour tenir compte de son handicap.

Recommandation 2 :

D'élaborer un plan d'intervention envisageant toutes les adaptations raisonnables pouvant permettre l'intégration de Joël en classe ordinaire, le plus près possible de sa résidence.

Recommandation 3 :

De déterminer, à la lumière de l'évaluation et du plan d'intervention, si l'intégration de Joël en classe ordinaire rejoint son meilleur intérêt en ce qu'elle sera de nature à faciliter ses apprentissages et sa socialisation.

[47]        Une des démarches prévues au plan d'action consiste à obtenir la collaboration du MELS afin de soutenir les mesures à mettre en place par la Commission scolaire des Phares.

[48]        Dans une lettre datée du 13 mars 2006, la Direction de l'adaptation scolaire du MELS, «considérant que ce jugement est de portée nationale»[16], autorise madame Élise Bujold, à titre de professionnelle à la Direction de l'adaptation scolaire, ainsi que madame Louise Dionne, personne-ressource régionale en déficience intellectuelle, à participer au processus de mise en place d'un plan d'intervention à l'égard de Joël Potvin, le MELS précisant toutefois que ces personnes travailleront sous la responsabilité directe de la Commission scolaire des Phares, compte tenu des responsabilités respectives du MELS et de la Commission scolaire. 

[49]        Le 14 mars 2006, une équipe de travail composée de quatre personnes est constituée. Il s'agit de madame Marie Dubé, de madame Élise Bujold, de madame Louise Dionne ainsi que de madame Johanne Trudeau, conseillère pédagogique en adaptation scolaire à la Commission scolaire des Phares[17]. Cette équipe travaille de concert avec l'équipe-école, soit la directrice de l'école l'Aquarelle, madame Joyce O'Breham, et les deux enseignantes de Joël, mesdames Nadine Banville et Johanne Tremblay.

[50]        Madame Élise Bujold dit s'être appuyée sur le «Programme d'études adaptées» (PEA) mis à l'essai depuis 1996 par le MELS[18], afin d'élaborer le contenu d'une démarche visant à mettre en place un processus d'évaluation.

[51]        Le 22 mars 2006, soit une semaine seulement après la constitution de l'équipe de travail, un document intitulé «Démarche d'évaluation personnalisée pour les élèves EHDAA»[19] est présenté par mesdames Élise Bujold et Marie Dubé au comité consultatif de gestion de la Commission scolaire des Phares.

[52]        Le préambule de la «Démarche d'évaluation personnalisée pour les élèves EHDAA» se lit comme  suit :

PRÉAMBULE

Chaque élève handicapé ou en difficulté d'adaptation ou d'apprentissage a des besoins et des capacités qui lui sont propres. Le plan d'intervention et les modalités d'intégration et de regroupement proposées à l'élève doivent prendre en considération l'évaluation personnalisée des capacités scolaires et sociales et des besoins de celui-ci, y compris son handicap s'il y a lieu.

Avant de déterminer, dans la mesure des forces et des limites de l'élève, si ses apprentissages et son insertion scolaire seraient facilités dans une classe ordinaire, la Commission scolaire doit envisager toutes les adaptations raisonnables pouvant permettre une intégration profitable à son intérêt. À cette étape, on pourra, selon les capacités, la nature et l'ampleur des besoins de l'élève, considérer les adaptations envisageables, notamment en ce qui a trait aux stratégies d'enseignement, au matériel pédagogique et à l'environnement éducatif ainsi que l'affectation de ressources et de mesures d'appui et de soutien.

À la lumière de ces considérations, pour un élève donné, l'intégration en classe ordinaire peut être l'avenue à privilégier alors que pour un autre élève, une telle intégration ne serait pas dans son intérêt.

Dans le but de mettre en place un plan d'intervention qui réponde aux besoins de l'élève handicapé ou en difficulté d'adaptation ou d'apprentissage, la démarche d'évaluation personnalisée suivante est proposée, que ce plan s'actualise dans le contexte de la classe ordinaire ou dans tout autre environnement éducatif.

[53]        Cette Démarche, révisée le 29 mars 2006, est illustrée par un schéma représentant les étapes à réaliser : 1) planification; 2) prise d'information; 3) interprétation; 4) jugement; 5) communication et; 6) décision action-orientation. Elle est accompagnée de huit «outils» devant servir au processus d'évaluation de l'élève. Ces «outils» sont les suivants :

1) Résumé des rapports faisant état des besoins et capacités de l'enfant pour l'année[20];

2) Portrait synthèse des besoins et de l'étendue des capacités[21];

3) Mesures d'appui, de soutien et d'adaptations liées aux besoins de l'élève[22];

4) Démarche de planification et d'évaluation personnalisée en fonction des programmes d'études adaptés pour les élèves présentant une déficience moyenne à sévère[23];

5) Démarche de planification et d'évaluation personnalisée en fonction du programme de formation de l'école québécoise[24];

6) Profil des besoins de soutien en milieu scolaire[25];

7) Organisation pédagogique de la participation de l'élève intégré en classe ordinaire et grille d'évaluation du niveau de participation de l'élève[26];

8) Bulletin scolaire intégrant dans un même document les résultats de l'élève dans les programmes d'études adaptés et les programmes de formation de l'école québécoise[27].

[54]        Comme le spécifie le préambule, la «Démarche d'évaluation personnalisée pour les élèves EHDAA» vise à mettre en place un plan d'intervention qui réponde aux besoins de l'élève handicapé ou en difficulté d'adaptation ou d'apprentissage. Mesdames Louise Dionne et Johanne Trudeau ont participé tant à l'élaboration du plan d'intervention de Joël qu'à l'application des outils prévus dans la Démarche.

[55]        Madame Dionne participe à la formulation des objectifs spécifiques, des moyens et des échéanciers prévus au plan d'intervention de Joël du 14 septembre 2005, révisé le 3 mars et le 3 mai 2006. Elle accompagne madame Johanne Trudeau et l'équipe-école dans l'évaluation de l'atteinte des objectifs en juin 2006.

[56]        Madame Trudeau participe aussi à l'élaboration du plan d'intervention. Elle témoigne que tous les outils, portrait, bilan des compétences, plan d'intervention, rapports professionnels, doivent les amener à une orientation vers une classe ordinaire.

[57]        Lors de leurs témoignages, mesdames Trudeau et Dionne ont décrit l'utilité de chacun des outils comme suit.

[58]        La «Démarche de planification et d'évaluation personnalisée en fonction des programmes d'études adaptés pour les élèves présentant une déficience moyenne à sévère» et la «Démarche de planification et d'évaluation personnalisée en fonction du programme de formation de l'école québécoise»[28] permettent à l'enseignante de cibler les compétences de façon personnalisée pour ensuite travailler avec l'élève sur ces compétences et ce, dans chacun des programmes.

[59]        Le «Profil des besoins de soutien de Joël pendant l'année scolaire 2005-2006»[29] vise à évaluer le degré d'autonomie de Joël dans certaines sphères d'activités et ses besoins en matière de soutien et d'accompagnement.

[60]        Les «Mesures d'appui et d'adaptation en fonction des capacités et besoins des élèves»[30] constituent une liste de mesures d'adaptation concernant les contenus, les processus, les productions et les structures dans laquelle l'enseignante choisit celles qui sont pertinentes en fonction du portrait de l'élève et de ses besoins.

[61]        Le «Profil des besoins de soutien de Joël pendant l'année scolaire 2005-2006»[31] permet de dégager des priorités d'intervention de soutien dans les domaines de la vie quotidienne, de la vie scolaire, des apprentissages et de la santé et la sécurité de l'enfant ayant une déficience intellectuelle.

[62]        Le «Bulletin scolaire» intègre dans un même document les résultats de l'élève dans les programmes d'études adaptés et les programmes de formation de l'école québécoise[32].

[63]        La différence principale entre le bulletin de l'année 2005-2006[33] et le bulletin de l'année précédente 2004-2005[34] se trouve au niveau de la cotation, laquelle prévoit maintenant la mesure dans laquelle les tâches ont pu être effectuées. Les objectifs sont les mêmes et sont déterminés à partir du plan d'intervention.

2.1.3 L'application de la démarche d'évaluation personnalisée à Joël Potvin

[64]        À partir du mois d'avril jusqu'à la fin de l'année scolaire, en juin 2006, tous les outils de la démarche sont appliqués à Joël[35]. Ces outils constituent pour la plupart les éléments sur lesquels la recommandation[36] de classement pour l'année scolaire 2006-2007 s'est appuyée.

[65]        Madame Trudeau témoigne de son implication dans cette démarche d'évaluation personnalisée de Joël en déclarant qu'à partir de mars 2006 elle a été la principale accompagnatrice des enseignantes de Joël, mesdames Nadine Banville et Johanne Tremblay.

[66]        Madame Trudeau est titulaire d'un baccalauréat en orthopédagogie obtenu en 1997 et d'un certificat en interprétation visuelle obtenu en 2000. Avant d'être recrutée par la Commission scolaire des Phares en mars 2004, elle agissait en tant que personne-ressource en déficience auditive au MELS où elle accompagnait les conseillères pédagogiques auprès des personnes ayant une déficience auditive. Elle n'a elle-même jamais enseigné.

[67]        Avant d'entreprendre son mandat de conseillère pédagogique auprès de l'équipe-école qui s'occupait de Joël, en mars 2006, madame Trudeau n'avait pas acquis d'expérience en intégration scolaire d'élèves trisomiques ou ayant une déficience moyenne à sévère, son expérience se limitant alors à la classe spécialisée. Elle a mentionné que sa formation consistait en des lectures sur le sujet, sans pour autant pouvoir citer un ouvrage en particulier. Contre-interrogée quant à savoir ce qu'elle en retenait, elle mentionne que ces élèves doivent faire des apprentissages qui aient une signifiance dans leur quotidien et qui soient utiles et fonctionnels.

[68]        Quant à sa formation sur les bienfaits de l'intégration en classe ordinaire, elle dit avoir eu une formation en intégration scolaire donnée en mars 2006 par mesdames Louise Dionne et Élise Bujold, dans laquelle il a été question des conditions nécessaires pour réussir l'intégration d'un enfant en classe ordinaire. Selon elle, l'objectif est de faire les meilleures interventions possibles auprès de l'enfant.  

[69]        Madame Trudeau indique que son mandat consiste notamment à observer Joël en classe, à soutenir le personnel enseignant sur les situations d'apprentissage de Joël et à valider les interventions des enseignants. Elle témoigne aussi qu'elle consulte madame Louise Dionne pour s'assurer que les interventions correspondent aux besoins de Joël. C'est madame Louise Dionne qui l'a mise au fait de tous les aspects au plan cognitif, intellectuel, affectif et social de Joël. Ces informations lui ont été données au cours de conversations qu'elle a eues avec elle.

[70]        Madame Trudeau s'est engagée, lors de son interrogatoire préalable[37], à remettre à la Commission le dossier de Joël qu'elle avait en sa possession. Ce dossier est constitué essentiellement de compte rendus de rencontres ayant trait à Joël. Il a été déposé en preuve lors de l'audience[38].

[71]        Contre-interrogée à savoir plus précisément à combien de reprises elle serait allée observer Joël en classe, madame Trudeau se rappelle avoir observé la classe ordinaire de madame Tremblay une seule fois, soit le 26 avril 2006. Elle dit cependant avoir observé Joël trois fois en classe ordinaire pendant l'année 2006-2007.

[72]        Quant à madame Louise Dionne, celle-ci mentionne l'importance de respecter l'autonomie d'action de chaque enseignant. Elle considère que son rôle se situe au niveau de l'accompagnement, celui de la conseillère pédagogique étant plus important voir même majeur, celle-ci devant dénombrer les problèmes. Son rôle est d'aider la conseillère pédagogique lorsque celle-ci dénote un problème afin de trouver une solution pour que l'activité soit la plus signifiante pour l'élève.

[73]        Interrogée sur la formation donnée aux enseignants quant à l'application du programme d'étude adaptée et sur la forme que prend cette formation, madame Dionne indique que «s'il y a des contenus qui doivent être passés», que les gens le veuillent ou non,  il y a aussi des échanges et des discussions.

[74]        En ce qui concerne plus spécifiquement la formation donnée sur la façon d'adapter l'enseignement pour des élèves qui ont des besoins particuliers, madame Dionne précise qu'à ce niveau la formation constitue plutôt une amorce préliminaire, c'est-à-dire qu'on les amène sur ce terrain-là. Comme les enseignants sont accompagnés très étroitement par la suite, c'est dans cet accompagnement que l'on va aller voir les choses de façon encore plus précise.

[75]         Selon madame Dionne, les professeurs ont leur propre marge d'autonomie d'action. Selon elle, il est important que la conseillère pédagogique puisse apprendre à s'ajuster au style de chaque enseignant, puisque ceux-ci choisissent leur méthode d'enseignement.

[76]        C'est l'équipe-école, composée de la directrice, des deux enseignantes de Joël, des deux techniciennes en éducation spécialisée, de la conseillère pédagogique en adaptation scolaire qui, lors des réunions du Comité d'aide pédagogique qui ont eu lieu en mars et mai 2006, va s'occuper de communiquer à la mère de Joël et à l'intervenante du Centre de recherche en déficience intellectuelle (CRDI), madame Johanne Vignola, certaines informations sur le plan d'action mis en place pour Joël depuis le jugement de la Cour d'appel en janvier 2006.

[77]        Lors de la réunion du Comité d'aide pédagogique du 3 mars 2006, la conseillère pédagogique en adaptation scolaire[39] questionne la pertinence de la place de Joël dans la classe régulière. Joël ne serait pas heureux lorsqu'il est en classe régulière, le contenu est trop difficile pour lui, il ne comprend pas.

[78]        De son côté, la technicienne en enseignement spécialisé mentionne qu'elle écrit les réponses que Joël fournit verbalement et que c'est une façon d'adapter, sinon Joël travaillerait en parallèle de façon régulière. 

[79]        Madame Pelletier n'est pas d'accord avec cette façon de faire car ceci n'incite pas Joël à écrire tout seul. Elle se pose aussi des questions sur la capacité de la technicienne en enseignement spécialisé d'adapter le matériel et sur le soutien qui lui est offert, par exemple, l'aide d'une orthopédagogue. En effet, lors de la dernière réunion sur le plan d'intervention, madame Pelletier avait trouvé que la technicienne ne semblait plus savoir comment adapter.

[80]        Madame O'Breham explique que l'adaptation relève de l'enseignante et que si la technicienne en adaptation scolaire se questionne, elle doit référer à l'enseignante. Quant à l'adaptation du matériel, elle est effectuée par la conseillère pédagogique en collaboration avec les enseignantes de la classe ordinaire et de la classe spécialisée.

[81]        Les objectifs de la réunion du Comité d'aide pédagogique du 3 mai 2006[40], à laquelle assiste madame Pelletier, sont de réviser le plan d'intervention et de présenter les différentes modifications que l'on a apportées au nouveau bulletin. Lors de cette rencontre, madame Pelletier se dit satisfaite du nouveau bulletin lequel permet de mieux comprendre le vécu de Joël ainsi que les interventions effectuées en classe.

2.1.4 Le classement de Joël pour l'année 2006-2007

[82]        Toute la démarche d'évaluation individualisée a conduit à la «Décision-Orientation» de juin 2006[41] recommandant d'offrir à Joël, pour l'année scolaire 2006-2007, un programme au sein d'une classe spécialisée qu'il fréquentera la majorité du temps.

[83]         La décision de classement en classe spécialisée indique qu'il est prioritaire pour Joël de développer ses compétences fonctionnelles en classe spécialisée et ce, compte tenu que le nombre d'élèves y est réduit et que les élèves qui composent cette classe présentent déjà des besoins nécessitant une adaptation de l'enseignement. De plus, compte tenu de son organisation, la classe spécialisée permet d'offrir à Joël l'enseignement systématique et continu dont il a besoin au sein d'un groupe où les élèves bénéficient déjà d'une programmation personnalisée.

[84]        La décision de classement prévoit une intégration minimale en classe ordinaire, soit environ six heures par semaine. Il y est indiqué que Joël pourrait développer ses habiletés sociales au sein d'une classe ordinaire dans les domaines de la science et technologie, des habiletés sociales, de l'enseignement moral et religieux, de la musique et de l'éducation physique. L'école qui offre ces services le plus près de la résidence de Joël est l'école l'Aquarelle.

[85]        À la lecture de ce texte, on comprend que la recommandation de classement de Joël repose sur deux éléments : 1) l'évaluation qui a été faite de Joël à partir des «outils», dont on trouve la liste en introduction du document, indique l'intérêt de Joël à recevoir un enseignement systématique et continu; 2) l'analyse de la situation à l'école de l'Estran, laquelle ne permet pas de répondre aux besoins de Joël.

[86]        Il convient ici de reproduire les éléments de la «Décision-Orientation» de juin 2006 :

Malgré les adaptations envisageables et l'analyse de la situation à l'école de l'Estran.

Il n'est pas dans l'intérêt de Joël de l'intégrer dans une classe ordinaire à temps plein principalement pour les considérations suivantes:

Malgré les adaptations fournies, le développement de ses compétences fonctionnelles en classe ordinaire n'est pas facilité parce que les activités d'apprentissage vécues dans l'ensemble du groupe ne peuvent être adaptables mais sont plutôt modifiées pour favoriser le développement des compétences ciblées chez cet élève. C'est ainsi que l'enseignement des compétences fonctionnelles dans le contexte de la classe ordinaire amène une plus grande intervention de l'adulte qui doit interagir directement auprès de Joël de façon systémique et continue dans des contenus hautement différents de ceux abordés avec l'ensemble du groupe.

L'élève est donc plus enclin à développer une dépendance aux consignes de l'intervenant qui lui sont adressées personnellement et à ne pas se sentir concerné par l'enseignement fourni à l'ensemble du groupe, d'autant plus que les besoins qu'il présente au plan de sa compréhension langagière font en sorte qu'il comprend très difficilement les propos tenus par l'enseignante. Il devient alors difficile de voir comment Joël pourra assumer de plus en plus de responsabilités et d'initiative dans l'exécution des tâches.

De plus, les tâches proposées aux élèves du troisième cycle impliquent la manipulation de contenus de plus en plus abstraits qui ne rejoignent pas les contenus des programmes d'études adaptés. Ces contenus abstraits correspondent difficilement à Joël qui, par ses capacités et besoins, requiert des activités signifiantes d'apprentissage exploitant des contextes réels, qui présentent des défis à sa portée, c'est-à-dire, qui ont des retombées utiles, fonctionnelles et immédiates.[42]

[87]        La conclusion de ce document mentionne qu'il est prioritaire et dans l'intérêt de Joël de lui offrir une programmation spécialisée lui permettant à la fois :

De développer des compétences fonctionnelles au sein d'une classe spécialisée où le nombre d'élèves est réduit et où ces derniers présentent des besoins nécessitant une adaptation de l'enseignement. De par son organisation, la classe spécialisée permet d'offrir à Joël l'enseignement systématique et continu il peut recevoir un enseignement systématique et continu au sein d'un groupe où la pédagogie est adaptée à ses besoins et les élèves bénéficient d'une programmation personnalisée.

De développer des habiletés sociales au sein de la classe ordinaire, pour des domaines d'apprentissage qui tiennent compte des intérêts de Joël et de ses capacités et besoins. Il est également envisageable qu'il puisse profiter d'activités d'enseignement dans les domaines de la science et de la technologie, de l'enseignement moral et religieux, de la musique et de l'éducation physique mais ce, dans le contexte où les mesures d'appui, de soutien et d'adaptation sont appliquées et où la programmation aborde des contenus signifiants pour l'élève. De plus, la classe ordinaire peut s'avérer être un milieu additionnel permettant la rétention des apprentissages par la pratique autonome d'apprentissages déjà effectués en classe spécialisée.[43]

[88]        Selon madame Johanne Trudeau, conseillère pédagogique en enseignement adapté, la décision de classement telle que présentée dans ce document est le fruit de plusieurs rencontres qui se sont tenues entre mars et juin 2006 avec madame Marie Dubé et la directrice de l'école de l'Estran, madame Hélène D'Amours. Plusieurs hypothèses envisageant l'intégration en classe ordinaire ont été regardées. Ces hypothèses ont toutefois été rejetées car elles ne correspondaient pas aux besoins et capacités de Joël, pouvant même compromettre le développement de ses compétences fonctionnelles compte tenu qu'il avait besoin d'un enseignement systématique et continu, donné par une personne constamment à ses côtés.

[89]        Compte tenu de l'importance de développer les compétences fonctionnelles de Joël, la question était de savoir, selon madame Marie Dubé, si un enseignement systématique pouvait être donné à Joël à l'école de l'Estran, son école de quartier.

[90]        Madame Louise Dionne, qui a participé à la «Décision-Orientation» de juin 2006 ayant conduit à la recommandation de classement de Joël en 2007-2008 à l'école l'Aquarelle, se dit d'accord avec la recommandation, tout en soulignant que le questionnement n'était pas simple.

[91]        Elle témoigne s'être rendue à l'école de l'Estran afin de voir si des adaptations étaient possibles en classe ordinaire pour le développement des compétences fonctionnelles de Joël. Selon elle, les compétences fonctionnelles :

[V]isent la communication orale et écrite, la manipulation des nombres et de l'argent, la capacité de se situer dans le temps et l'espace et ce, dans le but de trouver un travail correspondant à ses intérêts, d'avoir une vie sociale épanouissante, de rendre des services à la communauté et d'atteindre le niveau d'autonomie le plus grand possible.[44]

[92]        Le compte rendu d'une de ces rencontres indique que Joël «aurait fonctionné en parallèle et en individuel avec un adulte durant la moitié de son parcours scolaire et n'aurait eu aucune activité d'apprentissage signifiante». Sans oublier «la difficulté de faire un transfert et de la généralisation»[45].

[93]        Contre-interrogée par la procureure de la Commission à savoir où l'on retrouve dans la démarche d'évaluation personnalisée l'étape d'évaluation des moyens raisonnables visant l'intégration de Joël en classe ordinaire, madame Marie Dubé réfère au document «Décision-Orientation» de juin 2006, lequel réfère à un ensemble de documents sur lequel s'appuie une démarche complète, notamment le plan d'intervention et les mesures d'appui et d'adaptation.

[94]        Madame Élise Bujold, qui a également participé à la «Décision-Orientation» de juin 2006, témoigne que tous les outils bâtis avec la démarche d'évaluation personnalisée ont servi à prendre la «Décision-Orientation» de juin 2006 et que la question qui a guidé l'analyse de l'équipe a été celle du meilleur intérêt de Joël. Cependant, répondant à une question de la procureure de la demanderesse, elle ne peut identifier précisément dans quels outils se trouvent les mesures d'adaptation qui ont été envisagées dans la classe ordinaire avant de procéder au classement.

[95]        Madame Dubé confirme qu'un temps de concertation était prévu à l'horaire afin de favoriser le travail des enseignantes quant à l'adoption de mesures d'adaptation. Elle ne peut cependant dire à partir de quand ce temps de libération a été prévu. Toutefois, elle mentionne qu'aucune politique ne vient baliser dans un cadre de référence précis la question du temps de libération. Cette question dépend plutôt des besoins de chaque élève.

[96]        Questionnée par la procureure de la demanderesse sur l'enseignement systématique et continu, elle répond que cela vient des politiques du ministère et du programme adapté. C'est un enseignement individualisé qui demande beaucoup de temps et qui implique, s'il est donné en classe ordinaire, de retirer l'élève.

[97]        C'est finalement un régime de fréquentation de la classe spéciale à 75% et de la classe ordinaire à 25% à l'école l'Aquarelle qui a été retenu. Cette école, témoigne madame Élise Bujold, offre des conditions facilitant l'intégration par la formation de ses enseignants, par la concertation qui y est pratiquée et par ses attitudes générales.

[98]        La décision du classement de Joël a été communiquée aux parents de Joël le 21 juin 2006 lors d'une rencontre à laquelle participaient la directrice, les deux enseignantes de Joël, mesdames Johanne Tremblay et Nadine Banville, la conseillère pédagogique en adaptation scolaire, madame Johanne Trudeau, ainsi que madame Lise Gaudreault de l'Association pour l'intégration sociale.

[99]         La directrice, madame Joyce O'Breham, qui préside la rencontre[46], présente aux parents de Joël le plan d'intervention, le document intitulé «Portrait synthèse des besoins et capacités de Joël Potvin en fin d'année scolaire 2005-2006»[47].

[100]     L'enseignante de la classe spécialisée présente ensuite aux parents le «Bulletin scolaire»[48] de Joël en français, mathématiques et sciences humaines en fonction des programmes d'études adaptés pour les élèves présentant une déficience moyenne à sévère.

[101]     L'enseignante de la classe ordinaire, madame Johanne Tremblay, poursuit la présentation du bulletin concernant les éléments du programme de formation québécoise.

[102]     La directrice explique aux parents que la recommandation de l'intégration de Joël en majeure partie dans une classe spécialisée de l'école l'Aquarelle est celle qui répond le mieux aux besoins et capacités de Joël en ce qu'elle permettra le développement de  ses compétences fonctionnelles et fera l'objet d'un enseignement systématique et continu, en prévision de son passage prochain au secondaire.

[103]     Madame Joyce O'Breham témoigne de la réaction négative des parents à la suite de l'annonce de la décision de classement : le père s'est levé et est parti en leur disant qu'elles ne comprenaient rien; la mère pleurait.

[104]     Dans son témoignage, le père de Joël, monsieur Robert Potvin, se rappelle qu'au moment de l'annonce par la directrice de la décision de classement, il est sorti du local après avoir dit que l'école ne le verra pas de sitôt. Il était d'autant plus déçu qu'il avait cru à une ouverture de la commission scolaire après le jugement de la Cour d'appel. Depuis plusieurs années, il espérait que Joël soit intégré dans une classe régulière et jamais il n'avait pensé qu'il y aurait un tel recul.

[105]     L'impact sur la famille a été important. Selon le père de Joël, les parents se sont retrouvés à la case départ et ont pensé sérieusement à déménager dans le territoire d'une commission scolaire plus ouverte à l'intégration. Mais, indique-t-il, refaire sa vie ailleurs n'est pas facile.

[106]     Bien que madame Pelletier soit d'avis que le portrait synthèse des besoins et capacités de Joël le représente bien, elle ne voit pas pourquoi Joël ne pouvait pas être intégré, malgré ou avec ce portrait synthèse.

[107]     Elle espérait tout au moins que Joël soit intégré en classe ordinaire une demi-journée, comme c'était le cas avant. Le pire, selon elle, est qu'il se faisait enlever sa demi-journée d'intégration acquise lors de son passage à l’école Roy de Rivière-du-Loup. De plus, Joël ne pourra pas, encore une fois, faire son année scolaire dans l'une ou l'autre de ses écoles de quartier qui sont l'Annonciation et de l'Estran.

[108]     Aucune demande n'a été faite à la Commission scolaire des Phares pour modifier le classement de Joël car c'était peine perdue, indique madame Pelletier. Cependant, une nouvelle plainte a été déposée en juillet 2006 à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse.

2. 2 L'année scolaire 2006-2007

[109]     Madame Pelletier, découragée, refuse l'invitation de madame O'Breham à venir la rencontrer le 28 août[49]. Elle attend les résultats de la rencontre de médiation qui devait avoir lieu à la fin du mois d'août entre la Commission et la Commission scolaire des Phares, à la suite de la nouvelle plainte de discrimination.

[110]     La médiation n'ayant pas permis une entente, elle accepte, le 11 septembre 2006, de participer au Comité d'aide pédagogique pour la mise en place du plan d'intervention à privilégier pour Joël durant la présente année.

2.2.1 L'encadrement scolaire de Joël

[111]     Joël ne reçoit qu'environ six heures d'enseignement en classe ordinaire. Il est donc en classe spécialisée pour environ 75% du temps. 

[112]     Les programmes adaptés qu'il suit en classe spécialisée sont le français, les mathématiques et les sciences humaines auxquels se sont ajoutés la période de bibliothèque, les arts plastiques, l'anglais et l'informatique qu'il ne fait plus en classe ordinaire comme c'était le cas auparavant.

[113]     La classe spécialisée regroupe 12 élèves ayant des troubles graves d'apprentissage ou des troubles de comportement. Tous les élèves de sa classe sont en classe spécialisée à temps plein. Joël est le seul enfant trisomique de sa classe et aussi le seul à fréquenter une classe ordinaire quelques heures par semaine.

[114]     Madame Carole Marquis est titulaire de la classe spécialisée de Joël. Orthopédagogue de formation, elle est à l'emploi de la Commission scolaire des Phares depuis 19 ans et titulaire depuis 11 ans d'une classe spécialisée où elle enseigne à des enfants ayant des difficultés d'apprentissage et des troubles graves de développement. Elle a déjà travaillé avec 2 élèves âgés de 12 ans ayant une trisomie, en 1999.

[115]     La formation qu'elle a reçue avant la rentrée des classes consiste en la révision des programmes d'études adaptés avec mesdames Louise Dionne et Johanne Trudeau et ce, pendant une durée d'une heure et demi. Elle a eu une formation d'une demi-journée, donnée par madame Louise Dionne, sur la trisomie 21 et a assisté à la présentation d'un «PowerPoint» sur la méthode de lecture VPL (Vivre, Parler, Lire) utilisée pour les élèves ayant une déficience intellectuelle. Elle dit avoir bénéficié d'une formation continue sous la forme d'observations que venaient faire les deux conseillères pédagogiques, mesdames Johanne Trudeau et Louise Dionne, dans sa classe. Il y avait, selon elle, un suivi mensuel des besoins de Joël.

[116]     Elle rencontrait aussi l'enseignante de la classe régulière lors de périodes libres comme, par exemple, pendant l'éducation physique, après l'école ou pendant la récréation.

[117]     Les élèves en classe spécialisée reçoivent un enseignement magistral de sept à dix minutes par heure, suivi par un atelier dans lequel ils reçoivent l'aide de l'éducatrice et de l'enseignante.

[118]     Madame Marquis témoigne que des périodes d'une heure complète de travail autonome sont prévues afin de développer l'autonomie de Joël.

[119]     C'est madame Joanne Tremblay qui, comme l'année précédente, est la titulaire de la classe ordinaire de Joël. Elle reçoit Joël dans sa classe cinq heures par semaine, avec le soutien d'une technicienne en éducation spécialisée[50], pour les matières suivantes : science et technologie, enseignement religieux et moral, habiletés sociales.

[120]     Des activités d'intégration ont été planifiées afin que des liens soient créés entre les deux classes comme, par exemple, l'intégration de Joël dans les deux classes lors de l'éducation physique ou la préparation de l'horaire du cinéma en classe spécialisée, ensuite présenté aux élèves de la classe ordinaire[51].

[121]     Madame Suzanne Doucet est la technicienne en éducation spécialisée (TES) de Joël pour l'année 2006-2007 en classe ordinaire et en classe spécialisée. Sa formation sur la trisomie 21 et la déficience intellectuelle moyenne remonte à l'université mais, en ce qui a trait à Joël, elle le connaissait déjà puisqu'elle s'était occupée de lui en classe ordinaire en 2004-2005.

[122]     Selon madame Doucet, l'enseignante prévoyait les mesures d'adaptation mais elle-même pouvait en préparer au besoin. Madame Doucet témoigne de ce qui suit : «C'est un travail de tous les jours. L'enseignante me montrait ce qu'elle avait préparé pour le lendemain. Elle n'avait pas de temps de libération pour cela mais cela se faisait après l'école, la veille du cours ou lors des nombreuses rencontres de concertation»[52].

[123]     Selon madame Doucet, le transfert des apprentissages de la classe spéciale à la classe ordinaire se résume à un réinvestissement de ce qui est appris en classe spécialisée dans ce qui est enseigné en classe ordinaire.

[124]     Le plan d'intervention 2006-2007[53] est remis à madame Pelletier lors du Comité d'aide pédagogique du 29 septembre 2006.

[125]     S'informant des raisons pour lesquelles Joël ne fait plus les matières qu'il faisait en classe ordinaire en 2005-2006, madame Pelletier se fait expliquer que la période consacrée à la bibliothèque étant en lien avec le français, il est préférable que cette activité soit faite avec la classe spécialisée. Quant à l'anglais, il serait très difficile d'adapter l'enseignement pour Joël en classe ordinaire car les notions enseignées ne sont pas de son niveau et ne le rejoignent pas[54]. Il en est de même pour la période de l'informatique parce que les notions enseignées en classe ordinaire dépassent les capacités de Joël[55]

[126]     Les mesures d'appui et d'adaptation liées aux besoins de Joël[56] font également l'objet d'une discussion entre madame Pelletier, l'équipe-école et la conseillère pédagogique.

[127]     Selon la conseillère pédagogique, madame Trudeau, ces adaptations ont leurs limites comme l'indique le rapport de rencontre du Comité d'aide pédagogique du 29 septembre 2006 :

Les élèves devaient en premier lieu faire la distinction entre les notions dur/mou ce qui rejoignait Joël. En deuxième lieu les élèves devaient expérimenter d'autres propriétés de la matière : ténacité - densité - flexibilité. Ces termes ne rejoignaient plus Joël. Celui-ci n'écoutait plus l'enseignante malgré toutes les adaptations qui avaient été apportées à l'activité : réduire le nombre d'items dans la page, grossir l'image. L'activité ne faisait plus de sens pour l'élève. Les intervenantes ont donc décidé que le jeune allait continuer à expérimenter plus en profondeur les notions dur/mou en individuel avec la technicienne en éducation spécialisée.[57]

[128]     Madame Trudeau prend la direction des interventions en matière de formation, d'accompagnement et de suivi au regard des besoins, des mesures et des adaptations à mettre en place pour Joël[58]. Elle donne ce qu'elle appelle du support dans la planification et l'évaluation personnalisée des apprentissages aux enseignantes de la classe spécialisée et de la classe ordinaire, à l'éducatrice spécialisée, aux spécialistes d'éducation physique et de musique et au spécialiste de l'anglais, le tout complété par des périodes d'observation en classe.

[129]     Madame Trudeau écrit le 17 janvier 2007, dans son compte rendu d'une rencontre de support tenue le jour précédent avec les enseignantes de Joël, que l'enseignante de la classe spécialisée, madame Marquis, «semble démunie face aux activités à proposer à Joël»[59], notamment en français. Madame Trudeau ajoute avoir constaté que l'enseignante n'avait pas complété la démarche de planification pour les mathématiques et les sciences.

[130]     Madame Trudeau lui propose de l'aide quant à la planification des compétences en lien avec les programmes d'études adaptés ainsi que sur les différentes activités qu'elle pourrait proposer à Joël pour le français.

[131]     Madame Marquis a témoigné qu'en début d'année 2007, elle n'avait pas encore  complété la démarche de planification pour les mathématiques et les sciences humaines et que les compétences qui avaient été ciblées dans les programmes d'études adaptés ne l'avaient été que pour le français[60].

[132]     Elle admet qu'elle n'avait pas une bonne connaissance de la démarche personnalisée et qu'elle ne s'était pas encore familiarisée avec les nouveaux outils. Elle dit avoir par la suite réalisé seule le travail de planification des adaptations du matériel pour Joël, en le faisant ensuite approuver par madame Trudeau.

[133]     Au cours de cette même rencontre de support du 16 janvier 2007, madame Johanne Trudeau discute des points suivants : l'utilisation par Joël de l'ordinateur pour écrire ses réponses, l'importance pour Joël d'utiliser des activités beaucoup plus signifiantes et en lien avec son vécu, la possibilité d'utiliser le matériel du 1er cycle lorsque l'activité n'est pas trop détachée de l'âge chronologique de l'élève.

[134]     Dans un courriel envoyé par madame Trudeau le 17 janvier 2007, où il est question d'une rencontre avec l'enseignant en anglais, celle-ci écrit que l'enseignante semble un peu démuni face aux activités à proposer à Joël.

[135]     En février 2007, dans une lettre envoyée à la directrice madame O'Breham, madame Jeannette Pelletier fait une demande de dérogation, en vertu de l'article 96-18 de la Loi sur l'instruction publique afin que Joël puisse faire une année additionnelle au primaire pour l'année 2007-2008. Madame Pelletier souhaite que Joël puisse consolider davantage ses acquis avant de passer au niveau secondaire[61].

[136]     Une réunion du comité pédagogique a lieu le 28 février 2007 à laquelle participe madame Pelletier.  Lors de cette rencontre, il est constaté que Joël est de plus en plus difficile à comprendre et que son débit est très rapide. Les membres de l'équipe-école s'accordent avec la mère pour dire qu'une évaluation en orthophonie serait nécessaire[62].

[137]     Selon madame Johanne Vignola, orthophoniste, qui est en congé de maternité et qui n'a pas été remplacée, même si la clientèle ciblée est de zéro à huit ans, «elle verra auprès de ses supérieurs si des services en orthophonie peuvent être fournis à Joël»[63].

[138]     Entre le 28 février et le 20 juin 2007, huit rencontres sont organisées par la conseillère pédagogique en adaptation scolaire avec l'équipe-école[64]. Ces rencontres visent à préparer la réunion du Comité d'aide pédagogique qui doit avoir lieu le 20 juin 2007 et au cours de laquelle on présentera, en présence des parents, le nouveau plan d'intervention et le classement de Joël pour l'année 2007-2008[65].

[139]     Dans le même temps, la plupart des outils élaborés l'année précédente dans le cadre de la «Démarche d'évaluation personnalisée pour les élèves EHDAA»[66], mise en place par la commission scolaire aux fins de consigner le cheminement scolaire de Joël et d'en arriver à une décision-orientation, sont révisés. Selon madame Louise Dionne qui participe à la révision, il s'agit d'une démarche de raffinement des outils.

2.2.2 La décision de classement pour l'année scolaire 2007-2008

[140]     La «Décision-Orientation» de juin 2007, élaborée selon le même modèle que la première «Décision-Orientation» pour l'année 2006-2007[67], contient la même conclusion qu'il n'est pas dans l'intérêt de Joël d'intégrer une classe ordinaire et ce, pour les trois mêmes considérations. Il convient ici de reprendre les trois considérations ayant mené à la décision de classement de Joël ainsi que l'explication de la décision privilégiée :

§  Malgré les adaptations fournies, le développement de ses compétences fonctionnelles en classe ordinaire n'est pas facilité parce que les activités d'apprentissage vécues dans l'ensemble du groupe doivent être modifiées pour favoriser le développement des compétences ciblées chez Joël. C'est ainsi que l'enseignement des compétences fonctionnelles dans le contexte de la classe ordinaire amène une plus grande intervention de l'adulte qui doit interagir directement auprès de Joël de façon systématique et continue dans des contenus hautement différents de ceux abordés avec l'ensemble du groupe.

§  Joël présente toujours des besoins importants au plan de sa compréhension langagière faisant en sorte qu'il comprend très difficilement les propos tenus par l'enseignante en classe ordinaire. Il devient alors difficile pour Joël de faire preuve d'initiative dans l'exécution des tâches d'apprentissage.

§  De plus, les tâches proposées aux élèves du troisième cycle impliquent la manipulation de contenus de plus en plus abstraits qui ne rejoignent pas les contenus des programmes d'études adaptés. Ces contenus abstraits conviennent difficilement à Joël qui, par ses capacités et besoins, profite des activités signifiantes d'apprentissage exploitant des contextes réels, qui présentent des défis à sa portée, c'est-à-dire, qui ont des retombées utiles, fonctionnelles et immédiates.

Orientation privilégiée

À la lumière du portrait synthèse des capacités et des besoins de Joël et malgré les adaptations envisageables au sein de la classe ordinaire et ce, tenant compte de la demande de dérogation formulée par les parents le 26 février 2007, il n'est pas dans l'intérêt de Joël d'intégrer une classe ordinaire à temps plein principalement pour les mêmes considérations qui ont été dégagées lors de l'évaluation du plan d'intervention.[68]

[141]     Madame Louise Dionne, dans son témoignage, confirme qu'il est dans l'intérêt de Joël de continuer à lui offrir une organisation comme celle qu'il avait eue l'année précédente puisqu'il avait progressé et que l'évolution était favorable.

[142]     Lors de la rencontre du Comité d'aide pédagogique du 20 juin 2007, la directrice annonce à la mère que le classement se fera de la même manière que pour celui de l'année en cours, cette organisation permettant, selon elle, le développement des compétences de Joël, selon ses besoins.

[143]     La directrice témoigne qu'il n'a pas été question d'intégration dans la demande de dérogation de madame Pelletier.

[144]     En effet, si l'on se fie au compte rendu du Comité d'aide pédagogique du 20 juin 2007, le seul commentaire sur l'intégration de Joël en classe ordinaire est à l'effet «qu'une attention soit portée sur la possibilité pour Joël d'intégrer la classe ordinaire lors d'activités spéciales et de sorties éducatives. Une demande qui selon les mots de la directrice, sera prise en considération»[69].

[145]     À une question de la directrice qui lui demande si elle constate les progrès de son enfant, madame Pelletier constate que Joël a fait des progrès. Elle mentionne être contente de ce qui se fait à l'école.

[146]     Contre-interrogée par le procureur de la Commission scolaire sur le fait qu'elle ne semblait pas en désaccord avec la «Décision-Orientation» de la Commission scolaire, madame Pelletier a dit que «son souhait c'était d'intégrer Joël le plus possible. Si on n'intègre pas Joël dans son école de quartier, qu'on l'intègre à défaut à l'école l'Aquarelle le plus possible. Si on ne l'intègre pas à mi-temps, au moins qu'on l'intègre le plus possible»[70].

2.3 L'année scolaire 2007-2008

2.3.1 L'encadrement scolaire de Joël

[147]     Dans son témoignage, la mère de Joël a mentionné qu'elle souhaitait que Joël poursuive ses acquis au primaire avant de passer au secondaire tout en étant le plus possible intégré en classe ordinaire même si, à partir du classement 2006-2007, celle-ci avait cessé «de se battre». Elle a mentionné vouloir «le mieux» pour Joël compte tenu des circonstances de la contestation de la décision de classement auprès de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse.

[148]     En septembre 2007, Joël se retrouve donc à l'école l'Aquarelle, en classe spécialisée avec un horaire[71] prévoyant une intégration en classe ordinaire de 6ième année, à raison de six heures par semaine.

[149]     La titulaire de sa classe spécialisée est la même que l'année précédente, soit madame Carole Marquis. Cette classe est composée d'une douzaine d'enfants, de 11 à 12 ans avec des troubles graves d'apprentissage et des troubles de langage. Joël est le seul élève de sa classe à fréquenter la classe ordinaire.

[150]     Madame Marquis donne un enseignement magistral en sous-groupes. Joël et un autre élève suivent le programme adapté avec des objectifs de 5ième année en mathématiques et de 4ième en français, tandis que les autres élèves suivent le programme de l'école québécoise. 

[151]     La titulaire de la classe ordinaire de Joël est madame Josée Mainville. Elle est détentrice d'un certificat en enseignement et d'un baccalauréat en adaptation scolaire. Elle a acquis dix années d'expérience à la Commission scolaire des Phares. C'est la première fois qu'elle a un enfant présentant une trisomie 21 et une déficience intellectuelle dans sa classe.

[152]     En septembre, elle a bénéficié d'une formation d'une journée sur l'intégration des enfants déficients intellectuels donnée par mesdames Louise Dionne et Johanne Trudeau. Elle a aussi suivi une formation d'une demi-journée sur le programme adapté pour savoir ce que Joël apprenait en classe spécialisée.

[153]     Elle adaptait son enseignement à partir du programme de formation de l'école québécoise. Elle modifiait les activités avec l'aide de madame Johanne Trudeau et en se référant aux activités préparées par madame Johanne Tremblay l'année précédente. Par exemple, une fois le thème choisi, elle allait chercher dans le dossier de Joël ce qui pouvait être signifiant et concret pour lui.

[154]     Madame Julie Proulx est la technicienne en éducation spécialisée. Elle aide Joël dans les deux classes, spécialisée et ordinaire, selon l'horaire qui a été établi en début d'année. Elle a acquis de l'expérience avec des enfants présentant une déficience intellectuelle moyenne à sévère car elle a travaillé à l'école Paul-Hubert qui est une école secondaire accueillant des élèves ayant une déficience intellectuelle. C'est la première fois qu'elle travaille avec un enfant trisomique.

[155]     Madame Proulx témoigne que c'est madame Josée Mainville, l'enseignante de la classe ordinaire, qui faisait les adaptations et qui préparait le matériel. Elle s'occupait plutôt  d'expliquer à Joël ses tâches, en lui montrant l'image, en la lui faisant découper, en l'aidant à lire.

[156]      Les interactions de Joël avec les élèves de la classe ordinaire ont été de plus en plus nombreuses au fur et à mesure que l'année s'est déroulée. En début d'année, Joël semblait gêné et il se mêlait peu. Après les fêtes, il en va différemment.

[157]     Le 7 septembre 2007, madame Marie Dubé présente pour la troisième fois au Comité consultatif de gestion de la Commission scolaire des Phares le document élaboré par elle-même, mesdames Louise Dionne et Johanne Trudeau, avec la collaboration de madame Élise Bujold, et intitulé «Démarche de planification et d'évaluation personnalisée pour les élèves handicapés ou en difficulté d'adaptation ou d'apprentissage»[72].

[158]     On trouve aux annexes 1 à 13 de ce document, l'ensemble des outils qui ont été utilisés pour le portrait des besoins et des capacités de Joël pour l'année scolaire 2007-2008.

[159]     Le 3 octobre 2007, se tient la rencontre du Comité d'aide pédagogique dont l'objectif est la mise en place du nouveau plan d'intervention de Joël. Les discussions portent sur les progrès de Joël, sur ses besoins et sur les mesures d'adaptation à mettre en place[73].

[160]     Le plan d'intervention qui est remis aux parents de Joël, en début d'année scolaire 2007-2008, est bâti sur le même format que ceux qui l'ont précédé mais il comporte certaines modifications au plan des besoins prioritaires et des buts poursuivis.

[161]      Le développement des compétences fonctionnelles, de l'autonomie et des habiletés sociales apparaît toujours dans les besoins prioritaires de Joël mais la poursuite du développement du langage et de la communication du plan d'intervention précédent a fait place à un besoin prioritaire plus précis qui est «l'utilisation du je et la généralisation du vocabulaire VPL»[74].

[162]     Par rapport aux mesures d'appui envisagées pour les années 2005-2006 et 2006-2007[75], le document du 3 octobre 2007 qui porte la signature de la directrice, des deux enseignantes et de madame Pelletier, est  plus élaboré.

[163]     Dans la sphère de l'autonomie, Joël est en progrès sur plusieurs points. Toutefois la mère se questionne sur l'aide de la TES dans la classe ordinaire et insiste sur le fait que Joël a besoin de développer son autonomie. Selon elle, la TES n'a pas besoin d'être toujours à proximité de son fils. Les intervenantes répondent que si l'on veut rendre Joël autonome dans ses activités d'apprentissage, il faut s'assurer de les adapter afin qu'elles soient compréhensibles pour Joël et pour cela il est important de vérifier sa compréhension.

[164]     Dans la sphère des apprentissages, tous les moyens à mettre en place pour le développement des compétences fonctionnelles de Joël en classe ordinaire sont à poursuivre.

[165]     Dans la sphère sociale/affective, Joël est en progrès sur le plan des comportements à adopter pour entrer de façon adéquate dans une relation avec les intervenantes scolaires selon le niveau d'intimité. Il se réfère de moins en moins à son cercle social.

[166]     Joël participe à une activité de récupération de papier, deux fois/semaine selon une séquence qui lui est remise et qu'il doit respecter. Les intervenantes constatent qu'il est très fier de lui quand il fait cette tâche et qu'il s'applique beaucoup.  

[167]     Quant à son horaire personnalisé, Joël s'y réfère plus souvent et de façon autonome et il se repère mieux dans le temps.

[168]     En ce qui a trait au travail d'équipe, l'enseignante de la classe spécialisée ainsi que celle de la classe ordinaire font remarquer que «Joël est porté à dépendre des autres, il faut l'encourager à parler. Par contre, après quelques minutes la gêne disparaît et il participe plus aux discussions. Elles constatent que Joël est un enfant solitaire et qui aime bien s'occuper de lui-même à des activités parallèles. La mère observe également ce fait»[76].

[169]     Dans la sphère du développement du langage, la demande d'une évaluation en orthophonie auprès du CRDI qui avait été faite le 14 décembre est réitérée le 23 janvier. Il y a peu de progrès. Les moyens à mettre en place sont à poursuivre. «Il faut demander à Joël de prendre son temps pour parler. À ce moment-là le bégaiement diminue et le langage est plus compréhensible»[77]. En ce qui a trait à l'utilisation du «je»,  les intervenantes scolaires notent qu'il est très difficile pour Joël de l'utiliser. L'enseignante de la classe spécialisée poursuit malgré tout cet objectif mais constate que Joël ne réinvestit pas cet apprentissage de façon spontanée.

[170]     La participation de la mère à ce Comité d'aide pédagogique consistera à exprimer son accord face aux mesures d'appui et à demander un conseil sur l'achat d'une montre.

[171]     Lors de la réunion du Comité d'aide pédagogique du 18 juin 2008[78], la directrice remet les bulletins à madame Pelletier en l'invitant à les regarder et à poser des questions. Étant donné le nombre de bulletins, celle-ci préfère les regarder plus tard et poser des questions dans un autre temps.

[172]     Il y a le bulletin scolaire spécialisé pour l'année scolaire 2007-2008 et un autre bulletin pour chacune des spécialités, musique, éducation physique et anglais langue seconde, qui rend compte de l'état du développement des compétences de Joël.

[173]     Deux points sont à l'ordre du jour lors de cette réunion : la présentation du portrait des capacités et des besoins de Joël et  l'évaluation du plan d'intervention.

[174]     La directrice fait d'abord la lecture du «Portrait synthèse des capacités et des besoins de l'élève au plan scolaire en fin d'année scolaire 2007-2008 : Joël Potvin»[79].

[175]     La directrice demande à la mère si elle est d'accord avec le portrait de son fils. La mère acquiesce et note que ce sont des capacités et des besoins qui sont observés au plan scolaire et elle signe le portrait. Les enseignantes et la directrice font de même.

[176]     La directrice insiste sur l'importance de cette évaluation pour répondre aux besoins de Joël. Elle note à la mère que le portrait des capacités et des besoins de Joël ne peut pas être complet sans les données de l'évaluation orthophonique. Madame Vignola ajoute qu'elle n'a pas de «pouvoir » pour faire accélérer le tout. La directrice précise que la démarche sera faite pour faire avancer la situation. La directrice s'adresse à la mère pour lui indiquer qu'elle peut demander que l'évaluation se réalise le plus tôt possible.

[177]     La réunion se termine par la lecture des recommandations inscrites au plan d'intervention pour l'année suivante où il est mentionné, notamment, que Joël ira au secondaire pour l'année 2008-2009.

[178]     La conseillère pédagogique précise à la mère que les recommandations inscrites au plan d'intervention visent à informer le milieu scolaire pour qu'il puisse les appliquer au secondaire. Au sujet du classement de Joël, la directrice avise la mère que le milieu scolaire n'ayant pas reçu l'évaluation en orthophonie et le portrait des capacités et besoins de Joël étant donc incomplet, le classement ne peut se faire pour l'instant. Elle informe madame Pelletier que la direction du secondaire et la directrice générale adjointe de la commission scolaire, madame Marie Dubé, communiqueront avec elle pour le classement de la prochaine année scolaire.

[179]     Deux nouveaux rapports d'évaluation, celui de l'ergothérapeute Chantal Bouillon, en avril 2008, et celui de la psychologue Mylène Martin, en juin 2008, ont été ajoutés par son entremise au «Résumé des rapports professionnels faisant état des capacités et des besoins de Joël Potvin», révisé le 23 juin 2008[80].

[180]     La directrice demande à la mère de lui signer une nouvelle autorisation pour recevoir les rapports d'évaluation du CRDI en ergothérapie, en orthophonie et en psychologie. Une demande avait été faite en décembre mais le CRDI a retourné à la commission scolaire les anciens rapports d'évaluation. Elle doit donc écrire au CRDI pour réitérer sa demande, ce qu'elle fera le lendemain en souhaitant que les rapports lui parviennent le plus rapidement possible[81].

[181]     Le 19 juin 2008, une rencontre est convoquée avec les enseignantes de la classe spécialisée et de la classe ordinaire, les spécialistes d'éducation physique, de musique, d'anglais et l'éducatrice spécialisée de Joël afin de connaître leurs recommandations[82].

[182]     Participent également à la réunion la directrice générale adjointe, madame Marie Dubé, la directrice de l'école l'Aquarelle, madame Joyce O'Breham, la directrice de l'école secondaire Saint-Jean, madame Édith de Champlain, le directeur adjoint de l'école secondaire Paul-Hubert, la personne-ressource au SRSE-DI-TED, mesdames Louise Dionne et Johanne Trudeau.

[183]     Plusieurs possibilités de classement pour Joël au secondaire ont été envisagées.

[184]     L'inscription en secondaire 1 à l'école Saint-Jean, qui est demandée par la mère de Joël, soit dans une classe de formation générale, soit dans une classe en cheminement particulier de type temporaire, favoriserait une orientation plus académique. L'inscription en secondaire 1 à l'école Paul-Hubert, dans une classe en cheminement particulier de type continu, favoriserait le marché de l'emploi, permettant des applications signifiantes et concrètes des apprentissages et préparant plus directement à la vie active[83].

[185]     Le consensus qui se dégage est de privilégier le milieu adapté que représente l'école Paul-Hubert, l'école Saint-Jean n'étant pas adaptée au développement de Joël.

2.3.2 La décision de classement pour l'année 2008-2009

[186]     Dans un document intitulé «Analyse des adaptations raisonnables basée sur l'étendue des capacités et besoins de Joël Potvin aux fins de son orientation pour l'année scolaire 2008-2009»[84], daté du 15 août 2008, les trois hypothèses qui avaient été envisagées pour l'inscription de Joël au secondaire sont analysées de façon à déterminer si ses apprentissages et son insertion sociale seraient facilités dans l'une des trois classes.

[187]     D'entrée de jeu, la classe ordinaire en formation générale à l'école Saint-Jean est écartée. Les raisons invoquées peuvent se résumer ainsi. Les apprentissages de Joël sont particuliers et adaptés à ses besoins alors que les apprentissages du groupe (moyenne de 30 élèves) sont de l'ordre de première secondaire. Cette option aurait pour effet d'augmenter le temps en enseignement individualisé, réduisant les possibilités d'interaction avec les autres élèves et entraînant plus de dépendance à l'égard de l'adulte. De plus, il n'est pas dans l'intérêt de Joël d'avoir neuf enseignants et enseignantes en fonction des matières de la grille horaire. Enfin, Joël ayant besoin d'un espace de travail autonome aménagé, cette option rend difficile la fréquentation de 9 locaux différents, impliquant l'équivalant de 36 changements sur un cycle de 9 jours.

[188]     La classe ordinaire en cheminement particulier de formation de type temporaire à l'école Saint-Jean (moyenne de 18 élèves) est l'une des deux orientations privilégiées dans ce document parce que l'analyse démontre qu'il est possible d'y intégrer Joël en fonction de son intérêt et des adaptations raisonnables et parce qu'elle répond à la demande des parents. Il convient de reproduire les adaptations raisonnables possibles et envisageables qui ont conduit la Commission scolaire des Phares à favoriser cette option :

§  Dans le contexte d'une classe de 18 élèves et en tenant compte uniquement de ces forces et limites, il est possible de faire les adaptations nécessaires pour faciliter ses rapports avec les autres et ce, avec le soutien du TES;

§  Ce type d'organisation permet une intégration des matières dans l'enseignement et donc une certaine souplesse dans l'aménagement de l'horaire;

§  L'organisation permet l'application de différentes stratégies d'enseignement qui répondent aux capacités et besoins de chaque élève. Ce qui permet plus facilement d'augmenter les stratégies d'intervention et les possibilités d'interaction avec Joël et les autres élèves en recherchant des adaptations raisonnables;

§  De plus, la flexibilité dans l'organisation de l'enseignement permettrait à Joël de prendre plus de temps pour réaliser les tâches ou pour y revenir plus souvent à l'intérieur d'une même période, ce qui favoriserait le transfert des apprentissages;

§  Plus de temps individuel de l'enseignant pour intervenir auprès de chaque élève;

§  Ce type d'organisation permet une intégration des matières dans l'enseignement et donc une certaine souplesse dans l'aménagement de l'horaire;

§  La présence de moins d'intervenants qui interviennent a pour effet d'augmenter les opportunités d'interactions et par le fait même de développer une relation signifiante entre Joël et ses enseignants, et entre les enseignants et les autres élèves du groupe;

§  Plus grande stabilité et de continuité dans les interventions auprès des élèves;

§  La stabilité dans un local permet de répondre aux besoins d'adaptation physique de Joël.[85] (nos soulignements)

[189]     Dans la section «orientations privilégiées» du document, il est fait référence aux avantages que comporterait l'intégration de Joël dans une classe de l'école Paul-Hubert, par rapport à l'école secondaire St-Jean.

[190]     Notamment, la flexibilité dans l'organisation de l'enseignement à l'école Paul-Hubert devrait lui permettre «de favoriser la rencontre des objectifs suivants». Une liste de besoins de Joël auxquels le cheminement scolaire à l'école Paul-Hubert permettrait de mieux répondre suit, laquelle il convient de reproduire :

§  Besoin d'un enseignement adapté à ses particularités cognitives et langagières, comportant plusieurs stratégies favorisant son attention et sa compréhension comme la manipulation, des démonstrations, l'ajustement du niveau de langage;

§  Besoin de vivre des situations d'apprentissage signifiantes et concrètes ayant une portée tangible et fonctionnelle dans sa vie quotidienne;

§  Besoin d'un horaire personnalisé qui comporte des plages de travail autonome, une alternance entre les tâches exigeant un niveau d'attention plus ou moins élevé;

§  Besoin de développer des conduites autonomes qui requièrent une supervision plutôt qu'une assistance directe de l'adulte;

§  Besoin de vivre un cheminement qui favorise son sentiment d'appartenance à un groupe, plutôt que de vivre un accompagnement individuel servant principalement à fournir des mesures d'appui et d'adaptation amenant un niveau de participation parallèle;

§  Besoin d'être en contact avec des jeunes de son âge, dans des activités où il pourra performer et se sentir valorisé par ses réalisations;

§  Besoin d'une stabilité au niveau des liens d'amitié qu'il a créés.[86]

[191]     L'analyse se termine par la conclusion suivante :

C'est ainsi que de l'ensemble de ces données, il se dégage qu'il serait dans le meilleur intérêt de Joël de poursuivre son cheminement au sein d'un groupe d'élèves du cheminement particulier de type continu dispensé à l'école Paul-Hubert. Ce type de regroupement lui permettrait de recevoir les services éducatifs les plus conformes à ses besoins et à ses intérêts. Toutefois, compte tenu qu'il est possible d'intégrer Joël dans une classe ordinaire à l'école St-Jean selon les demandes formulées par les parents, il est recommandé de suggérer aux parents de faire un choix entre les deux types d'organisation.[87] (nos soulignements)

[192]     Madame Pelletier est informée de l'orientation prise par la Commission scolaire des Phares le 15 août 2008. Elle a été convoquée à une réunion à laquelle participaient la directrice adjointe de la commission scolaire, madame Francine Doucet, la conseillère pédagogique en adaptation, madame  Johanne Trudeau, la directrice de l'école Saint-Jean, madame Édith de Champlain, et le directeur de l'école Paul-Hubert, monsieur Jean-François Parent.

[193]     Deux options sont présentées à madame Pelletier : Joël pourrait être intégré soit dans une classe régulière de 18 élèves à cheminement particulier temporaire à l'école Saint-Jean ou soit dans une classe de cheminement particulier continu à l'école Paul-Hubert. Madame Pelletier demande de réfléchir à ces options pendant la fin de semaine.

[194]     Elle se rappelle avoir demandé à la directrice adjointe de la commission scolaire, madame Doucet, pourquoi intégrer Joël en secondaire 1 alors qu'en 5ième et 6ième il n'avait que des intégrations spécialisées? Celle-ci lui aurait alors répondu que Joël pouvait être reçu dans une classe ordinaire selon ses besoins et ses capacités. Il avait des acquis et il était sociable.

[195]     Contre-interrogée par la procureure de la Commission sur cet aspect, madame Johanne Trudeau a précisé qu'à la fin de 2006-2007 la mère avait demandé de la stabilité pour Joël. C'est donc «pour assurer une stabilité ainsi que pour le développement de ses compétences fonctionnelles et de son autonomie, que la commission scolaire avait décidé d'un classement en classe spécialisée. C'était l'environnement le plus approprié à ses besoins»[88].

[196]     Quant au père de Joël, il témoigne qu'il n'en croyait pas ses oreilles. On avait dit à sa femme que Joël était capable d'être intégré. Il s'est demandé, lui aussi, pourquoi cela se passait cette année et pas avant.

[197]     Par ailleurs, madame Pelletier témoigne que lors de la réunion elle n'avait pas de documentation. Il a fallu attendre le mois de septembre avant qu'on lui remette le document «Analyse des adaptations raisonnables basée sur l'étendue des capacités et besoins de Joël Potvin aux fins de son orientation pour l'année scolaire 2008-2009»[89].

2.4 L'année scolaire 2008-2009

2.4.1 L'entrée de Joël à l'école secondaire St-Jean

[198]     L'école St-Jean est une école secondaire de 394 élèves. Madame Édith de Champlain en est la directrice depuis juillet 2006. Elle a une maîtrise en sciences de l'éducation, volet musique, et elle a été enseignante en musique et danse pendant 17 ans avant de devenir à partir de 1997, directrice d'école primaire.

[199]     Sa formation sur la trisomie 21 lui a été transmise par mesdames Louise Dionne et Johanne Trudeau lors des réunions qui se sont tenues concernant Joël, du mois de mai jusqu'à la rentrée scolaire d'août. Lors de la rentrée des professeurs le 20 août 2009, cinq journées pédagogiques ont été dédiées à la formation, notamment sur les façons d'adapter.

[200]      Les deux titulaires principaux de la classe ordinaire en cheminement particulier de type temporaire sont madame Diane Dufresne et monsieur Normand Bouchard, pour les mathématiques et science et technologie. 

[201]     Monsieur Normand Bouchard ayant quitté pour occuper un autre poste, madame Diane Dufresne vient témoigner seule de l'intégration de Joël dans sa classe de secondaire 1 en début d'année 2008-2009.

[202]     Madame Dufresne a un baccalauréat en adaptation scolaire et sociale et enseigne la classe de première secondaire à l'école St-Jean depuis 1997. Elle a 13 élèves dans sa classe et c'est la première fois qu'elle a un enfant trisomique. Il lui est arrivé une seule autre fois, il y a quatre ans, d'avoir un élève avec une déficience légère sans pathologie.

[203]     Avant le début des classes, elle a bénéficié d'une formation donnée par mesdames Louise Dionne et Johanne Trudeau sur le programme PACTE[90] et la déficience légère et moyenne. C'est à travers les diverses rencontres d'équipe avec les enseignants spécialistes qu'elle reçoit une formation continue sur les moyens et les outils à appliquer dans son enseignement à Joël.

[204]     Madame Dufresne est aidée dans sa tâche par une technicienne en éducation spécialisée, madame Julie Guité.

[205]     Madame Diane Dufresne enseigne le français, l'éthique et culture religieuse, l'éducation à la citoyenneté et la géographie, pour un total de 16 périodes par semaine. Monsieur Normand Bouchard enseigne les mathématiques, l'éducation à la santé, science et technologie, pour un total de 11 périodes par semaine. Les huit périodes qui restent sont réparties entre la musique, les arts plastiques, l'éducation physique et l'anglais.

2.4.2 Le plan d'intervention de Joël

[206]      Une réunion est convoquée, le 23 septembre 2008, pour présenter à madame Pelletier le nouveau plan d'intervention de Joël[91].

[207]     L'annexe 2 du plan d'intervention prévoit les mesures d'appui et d'adaptation spécifiques aux capacités et aux besoins de l'élève. Madame Diane Dufresne témoigne que ces mesures ont été élaborées par mesdames Joanne Trudeau et Louise Dionne, tandis qu'elle est responsable de leur application.

[208]     Lors de cette rencontre, madame Pelletier signe le plan d'intervention et remet à la directrice, madame Édith de Champlain, une lettre lui proposant d'avoir recours aux services de madame Lorraine Doucet, orthopédagogue depuis 28 ans, conseillère en intégration scolaire, afin d'aider Joël «à s'outiller davantage pour réussir son intégration au secondaire en classe ordinaire»[92].

[209]     Dans une lettre datée du 6 octobre, madame de Champlain remercie madame Pelletier de sa suggestion, tout en déclinant sa proposition. Elle écrit que «nous avons à notre emploi des personnes qui ont la qualification et l'expérience pour outiller les élèves intégrés dans leur cheminement scolaire […] et mettre en place les adaptations raisonnables et faire vivre à Joël une belle intégration»[93].

[210]     Elle rappelle aussi que la direction de l'adaptation scolaire du MELS a mandaté une personne-ressource, soit madame Louise Dionne, auprès de la commission scolaire pour accompagner le développement des milieux et soutenir le développement de leur expertise.

[211]     Elle termine en écrivant qu'il n'est pas exclu que la Commission scolaire des Phares puisse s'adresser à des personnes externes si cela s'avérait utile mais que, pour l'instant, «nous faisons entièrement confiance à notre personnel en place»[94].

[212]     C'est la directrice, madame Édith de Champlain, qui est responsable de l'application des mesures à mettre en place dans le plan d'intervention. Elle est aussi responsable de l'évaluation de ce qui se fait dans la classe, avec l'aide de mesdames Louise Dionne et Johanne Trudeau.

[213]     Elle témoigne qu'au cours des mois d'octobre et de novembre, des communications avec les parents de Joël et des rencontres avec les enseignants et les personnes-ressources ont révélé certaines préoccupations quant au cheminement scolaire de Joël requérant que soient apportés certains réajustements au plan d'intervention du 23 septembre 2008.

[214]     Notamment, madame Trudeau lui aurait mentionné que l'enseignante madame Dufresne ne semblait pas être en mesure d'adapter l'enseignement pour Joël. Même avec une éducatrice, Joël avait besoin de plus d'encadrement[95].

[215]     Lors de son témoignage, madame Dufresne indique que Joël travaillait beaucoup en parallèle compte tenu du niveau d'apprentissages de secondaire 1. Selon elle, Joël ne peut comprendre ce qu'elle explique si quelqu'un ne lui explique pas personnellement.

[216]     Joël ayant pris beaucoup de retard dans ses apprentissages, une décision a été prise afin de lui offrir un enseignement individualisé pour l'aider davantage dans son apprentissage. Madame Édith de Champlain indique ne pas avoir préalablement évalué la liste des solutions possibles avant de prendre cette décision. Contre-interrogée par la procureure de la Commission qui lui demandait si elle avait envisagé d'avoir en classe les services d'une orthopédagogue en soutien à Joël et au professeur, elle répond qu'ils n'en avaient pas besoin.

[217]     Contre-interrogée par la procureure de la Commission sur le choix qui a été fait de recourir à l'enseignement individualisé plutôt que de mettre à la disposition de l'enseignante des spécialistes dans l'adaptation du matériel, madame Johanne Trudeau répond que Joël avait besoin d'un enseignement systématique avec des répétitions et des changements de situations et que cela ne pouvait se faire qu'en enseignement individualisé[96]

[218]     Madame Marie Boivin a donc été embauchée afin de donner un enseignement individualisé à Joël. Elle a fait une mineure en psychoéducation et un baccalauréat en adaptation scolaire en 1999. Elle a une expérience d'enseignement en classe de déficience intellectuelle légère, moyenne et sévère dans les deux classes, spécialisée et ordinaire.

[219]     Depuis le 19 novembre 2008, madame Boivin assume deux tâches d'enseignement individualisé à Joël : un enseignement en science et technologie et en mathématiques, pour 40% du temps, et un enseignement en français, pour 45% du temps, qu'elle donne dans la salle de conférence de l'école. L'enseignement individualisé que Joël reçoit totalise 8 périodes de 75 minutes sur 9 jours.

[220]     Madame Boivin travaille en concertation avec mesdames Louise Dionne et Johanne Trudeau sur la planification des transferts de connaissance de la classe ordinaire à l'enseignement individualisé, lors de rencontres qui sont à l'horaire au jour 1 et au jour 7.

[221]     Elle travaille aussi de concert avec la technicienne en éducation spécialisée qui s'occupe davantage du niveau comportemental, des pictogrammes et des références visuelles.

[222]     Une rencontre visant la révision du plan d'intervention a lieu en décembre 2008. Les changements intervenus lors de cette réunion de décembre 2008, qui marque la fin du dossier de Joël dans le cadre de la preuve faite par les deux parties au litige, sont assez mineurs et ne modifient pas le régime mis en place pour Joël à partir de novembre 2008 : celui d'une intégration partielle en classe ordinaire complétée par des périodes d'enseignement individualisé. 

2.5 La preuve statistique relative aux élèves présentant une déficience moyenne à sévère

[223]     Les statistiques de fréquentation des élèves handicapés du primaire et du secondaire dans les écoles de la Commission scolaire des Phares ont été présentées par madame Marie Dubé, lors des auditions du 8 décembre 2008 et du 16 mars 2009.

[224]     Selon le témoignage de madame Marie Dubé, le cheminement effectué pour la  détermination du classement en classe ordinaire ou en classe spécialisée d'un élève est décidé par la direction de l'école.

[225]     Les élèves handicapés ou en difficulté d'adaptation ou d'apprentissage regroupés (EHDAA), dont l'une des 12 sous-catégories est la déficience intellectuelle moyenne à sévère (DIMS) à laquelle appartient Joël Potvin, se retrouvent principalement dans 5 des 37 écoles que compte la Commission scolaire des Phares.

[226]     Au cycle primaire, ces écoles sont au nombre de trois : l'école l'Aquarelle, l'école Saint-Joseph et l'école de la Rivière. Ces écoles ont toutes des classes spécialisées.

[227]     Au cycle secondaire, l'école Paul-Hubert, qui accueille le plus gros contingent d'élèves EHDAA, et l'école le Mistral offrent aux élèves quatre programmes de cheminement particulier continu : le programme préparatoire au marché du travail, le programme axé sur l'emploi, le programme en déficience moyenne à sévère et le programme en déficience profonde.

[228]     À l'école secondaire Saint-Jean qui offre le 1er cycle du secondaire et qui accueille Joël pour l'année scolaire 2008-2009, il n'y a aucune classe spécialisée et le nombre d'élèves EHDAA y est presque nul.  Ainsi, avant l'arrivée de Joël en 2008-2009, il y avait un seul élève avec une déficience langagière en 2005-2006. En 2006-2007, deux élèves, l'un avec une déficience auditive, l'autre avec un trouble grave de comportement, sont inscrits à l'école Saint-Jean. En 2007-2008, le nombre d'élèves du groupe EHDAA s'élève à quatre, l'un avec des troubles de développement, un autre avec des troubles relevant de la psychopathologie et les deux autres avec une déficience auditive.  

[229]     Les tableaux préparés par la Commission et dont madame Marie Dubé, lors de l'audition, a confirmé qu'ils étaient représentatifs des statistiques de la Commission scolaire des Phares[97], indiquent le classement des élèves EHDAA et des élèves DIMS, selon la fréquentation en classe ordinaire et en classe spécialisée, au primaire et au secondaire, pour les trois années allant de 2005 à 2008.

[230]      Au primaire, la fréquentation de la classe ordinaire, à temps plein, par les élèves EHDAA, dans les trois écoles l'Aquarelle, Saint-Joseph et de la Rivière est de l'ordre de 13.6% en 2005-2006 (9/57) et en 2006-2007 (8/51) et de 23% (14/47) en 2007-2008.

[231]      La fréquentation de la classe ordinaire à temps plein, en ce qui concerne uniquement les élèves DIMS,se présente différemment. 

[232]     Il appert du détail des statistiques fournies par madame Dubé en réponse aux engagements pris le 8 décembre 2008[98], ainsi que des tableaux de la Commission[99], que durant l'année scolaire 2005-2006, parmi les onze élèves DIMS du primaire de la Commission scolaire des Phares, un seul élève fréquentait la classe ordinaire à plein temps, à l'école Sainte-Agnès. Trois élèves la fréquentaient à temps partiel, dont Joël à raison d'environ six heures par semaine et deux autres élèves à raison de huit heures par mois.

[233]     Durant l'année 2006-2007, parmi les huit élèves DIMS du primaire, un seul élève fréquentait la classe ordinaire à temps complet et deux élèves la fréquentaient à temps partiel.

[234]     Durant l'année 2007-2008, deux élèves DIMS fréquentaient la classe ordinaire à temps complet et un élève la fréquentait à temps partiel.

[235]     En ce qui concerne le secondaire, pour les années scolaires 2005-2006, 2006-2007 et 2007-2008, aucun élève DIMS de la Commission scolaire des Phares n'a été classé pour fréquenter la classe ordinaire[100]. Il appert donc des tableaux statistiques que Joël Potvin est le premier élève DIMS à fréquenter en 2008-2009 une classe ordinaire d'une école secondaire ordinaire de la Commission scolaire des Phares.

2.6 Les expertises

[236]     La Cour suprême du Canada, dans l'arrêt R. c. Mohan[101], énonce que l'«admission de la preuve d'expert repose sur l'application des critères suivants : a) la pertinence; b) la nécessité d'aider le juge des faits; c) l'absence de toute règle d'exclusion; d) la qualification suffisante de l'expert.

[237]     Dans le cadre d'un recours sous la Charte, tels que le présent recours, les règles de la recevabilité de la preuve des faits législatifs, sociaux ou économiques sont moins restrictives que dans les litiges où la Charte n'est pas invoquée.

[238]     De plus, après avoir décidé qu'une preuve d'expert est admissible, le Tribunal doit apprécier la valeur probante de cette preuve. Le professeur Jean-Claude Royer énonce les critères qui doivent être pris en considération pour ce faire :

Le tribunal doit apprécier la crédibilité des témoins experts, ainsi que la valeur scientifique ou technique des faits qu'ils relatent ou des opinions qu'ils émettent. Les critères généraux relatifs à l'évaluation d'une preuve ordinaire s'appliquent à l'expertise. Le juge tient compte, de plus, de la nature et de l'objet de l'expertise, de la qualification et de l'impartialité de l'expert, de l'ampleur et du sérieux de ses recherches, ainsi que du lien entre les opinions proposées et la preuve. […] L'opinion qui est fondée sur des faits légalement prouvés est plus convaincante que celle qui s'appuie sur des théories générales ou abstraites ou sur du ouï-dire.[102]

[239]     Tant la Commission que la Commission scolaire des Phares ont présenté au Tribunal des expertises qui ont été admises en preuve. Le Tribunal a ainsi jugé qu'ils rencontraient les critères énoncés précédemment. Quant à leur valeur probante, il en sera question plus loin, dans la présentation des témoignages des experts.

[240]     La Commission a fait entendre à titre de témoins experts :

§  Madame Catherine Pidgeon, psychologue spécialisée en déficience intellectuelle;

§  Madame Caroline Pouliot, orthophoniste spécialiste auprès des enfants d'âge scolaire  dans la détermination des services scolaires;

§  Madame Lorraine Doucet, orthopédagogue, experte en intégration scolaire des enfants présentant une trisomie 21 et une déficience intellectuelle.

[241]     Quant à la Commission scolaire des Phares, elle a fait entendre :

§  Docteur Robert Dubé, pédiatre développementaliste notamment en ce qui concerne le retard mental;

§  Madame Line Jacques, orthophoniste spécialisée en déficience intellectuelle en milieu scolaire;

§  Madame Élise Bujold, professionnelle en adaptation scolaire.

2.6.1 Madame Catherine Pidgeon

[242]     Madame Catherine Pidgeon a évalué Joël à partir de la lecture des rapports professionnels et du dossier scolaire de Joël, d'une entrevue avec madame Jeannette Pelletier, de l'observation de Joël en cours d'évaluation à la maison, ainsi que de l'application à Joël de différents tests utilisés en psychologie.

[243]     Elle indique toutefois que l'évaluation des comportements adaptatifs de Joël a été faite sans prendre en compte quelque information que ce soit provenant de la Commission scolaire des Phares.

[244]     L'évaluation de madame Catherine Pidgeon confirme la présence d'un retard mental de niveau moyen chez Joël.

[245]     Joël se débrouille bien sur différents aspects tel que la communication, l'autonomie, les habiletés domestiques, l'utilisation des ressources communautaires, la santé et la sécurité. Il présente des aptitudes sociales et de loisirs semblables à celles des jeunes de son âge. Il se distingue ainsi de la majorité des adolescents présentant un retard mental de niveau moyen. Il ne présente pas de comportements déviants ni de particularités sur le plan de la santé mentale.

[246]     Compte tenu que madame Pidgeon n'a d'aucune manière pris connaissance  des informations que lui a transmises la Commission scolaire des Phares quant à l'évaluation des comportements adaptatifs de Joël, nous ne pouvons donc accorder de valeur probante à son expertise.

2.6.2 Madame Caroline Pouliot

[247]     Madame Caroline Pouliot fonde son expertise sur la lecture des rapports professionnels et du dossier scolaire de Joël de 2005 à octobre 2008, une rencontre avec madame Jeannette Pelletier, une rencontre d'évaluation avec Joël, totalisant six heures d'évaluation et trois heures d'intervention orthophonique à titre exploratoire, dans un local fermé.

[248]     Madame Pouliot, dans les conclusions de son rapport, indique que Joël pourrait grandement bénéficier d'une intégration en classe ordinaire afin de poursuivre sa scolarité. Il pourrait ainsi «mettre à profit sa grande capacité à imiter dans le but d'apprendre et d'entrer en relation avec les autres jeunes de son âge»[103].

[249]     Madame Pouliot constate dans son rapport que le classement a été déterminé en considérant principalement le diagnostic de déficience intellectuelle et de trouble sévère du langage plutôt que d'effectuer l'analyse des besoins et fournir le soutien professionnel nécessaire pour lui. «L'ampleur et le choix des moyens d'évaluation peuvent s'en trouver modifié, l'objectif n'étant plus de poser un diagnostic de déficience mais de contribuer à l'élaboration d'intervention mieux adapté à ses besoins»[104]. Selon madame Pouliot, c'est à partir des forces et des faiblesses de l'élève qu'il sera possible d'élaborer un plan d'intervention personnalisé.

[250]     Quant aux services fournis en orthophonie, madame Pouliot indique que Joël aurait dû bénéficier d'un suivi régulier en orthophonie afin d'améliorer l'intelligibilité de sa parole et un meilleur accès au langage écrit. Elle constate l'«'impact négatif sur ses apprentissages scolaires et le développement de certaines habilités de langage»[105]. Ainsi, la déficience de Joël au niveau de l'articulation aurait nui «à la communication fonctionnelle, la compréhension des concepts et du vocabulaire ainsi que de l'accès lexical»[106].

2.6.3 Madame Lorraine Doucet

[251]     Madame Lorraine Doucet a reçu le mandat d'analyser l'ensemble des documents fournis[107] par la Commission scolaire des Phares quant aux formations dispensées aux enseignants pour les années 2005-2006, 2006-2007, 2007-2008 et 2008-2009. Plus particulièrement, son mandat a consisté à formuler une opinion quant au contenu de la formation visant l'intégration scolaire en classe ordinaire des élèves ayant une déficience intellectuelle moyenne à sévère, dont ceux ayant une trisomie 21, et d'indiquer quelle formation serait susceptible de favoriser une intégration réussie pour ces élèves.

[252]     Madame Doucet, d'emblée, souligne la quantité et la qualité des formations données pour les différentes catégories d'élèves, soient celles touchant les troubles d'apprentissage, les troubles du comportement, la dyslexie, la dysphasie et les troubles envahissants du développement.

[253]     Résumant son analyse des formations recensées, madame Doucet souligne que seulement quelques-unes de ces formations concernent spécifiquement les élèves ayant une déficience moyenne à sévère. De plus, une seule de ces formations porte sur la trisomie 21.

[254]     Madame Doucet souligne dans son rapport que la formation offerte regroupe souvent tous les types de handicap sans donner plus de précisions sur la déficience intellectuelle moyenne à sévère ni sur la trisomie :

Par ailleurs, lorsqu'il est question de l'enseignement aux enfants présentant une déficience intellectuelle, il est surtout question du contenu pédagogique (soit le programme adapté) et enfin, lorsqu'il est question de l'application de ce programme adapté, les moyens préconisés et mis à la disposition des intervenants sont ceux qui, inévitablement, trouvent application dans un regroupement et un contexte de classes spéciales. Or, plusieurs autres moyens et méthodes pourraient permettre l'enseignement adapté dans un contexte de classes ordinaires.[108]

[255]     Selon madame Doucet, la formation devrait contenir certains sujets spécifiques se rapportant notamment aux dimensions des différents types de trisomie, à la sensibilisation sur l'intégration à la classe ordinaire, à l'évaluation inclusive des capacités et besoins de l'élève et à l'adaptation de l'enseignement sur les bases des capacités et des besoins du processus d'apprentissage de l'élève. Or, selon madame Doucet, des formations semblables existent déjà dans certains services régionaux et commissions scolaires du Québec, comme existent des outils qui pourraient soutenir le développement de ces formations à la Commission scolaire des Phares. Madame Doucet souligne que la Commission scolaire des Phares offre ce genre de formation pour d'autres types de clientèle soit, pour les élèves dyslexiques ou les enfants ayant des difficultés langagières comme la dysphasie.

[256]     Pour madame Doucet, la recherche universitaire et la recherche-action pour les personnes ayant une déficience intellectuelle ont connu un essor considérable depuis les années 2000. Madame Doucet indique l'importance de la différentiation pédagogique dans le but d'accompagner chaque élève dans son apprentissage y compris les élèves ayant une trisomie 21. Cependant, madame Doucet reconnaît que l'enseignant ne peut y arriver seul et que cela nécessite l'apport de l'enseignant orthopédagogue en classe, de ses pairs, de la direction et des services professionnels complémentaires pour «actualiser cette différenciation de l'acte pédagogique dans la classe hétérogène tel que vécu par d'autres commissions scolaires du Québec»[109].

[257]     Certaines formations de la commission scolaire démontrent une tendance vers ce type de pédagogie soutenue par une équipe multidisciplinaire pour certaines catégories d'élèves EHDAA.

[258]     Madame Doucet indique finalement que cette approche contribue à l'épanouissement des autres élèves. L'élève intégré bénéficie d'une stimulation de la classe ordinaire qui favorise son intégration à la communauté et à la société, mais il contribue également à l'épanouissement des autres élèves de la classe ordinaire par sa présence en suscitant le respect de la différence.

2.6.4 Docteur Robert Dubé

[259]     Le mandat de Docteur Dubé, tel qu'il le décrit dans son rapport d'expertise, est «d'émettre une opinion concernant l'adolescent Joël Potvin, porteur d'une trisomie 21, afin de donner un avis en regard des données disponibles sur sa condition et son évolution»[110].

[260]     Docteur Robert Dubé appuie son expertise sur la consultation et l'analyse des documents suivants soient : l'ensemble des rapports professionnels au dossier de Joël; les démarches d'évaluation personnalisée pour les élèves EHDAA pour les années 2005-2006, 2006-2007 et 2007-2008; les rapports de rencontres du Comité d'aide pédagogique; les bilans de soutien offert aux intervenants pour les années 2006-2007 et 2007-2008; les Décisions-Orientations pour les années 2006-2007 et 2007-2008 ainsi que l'analyse des adaptations raisonnables aux fins d'orientation pour l'année 2008-2009.

[261]     Il n'a aucunement rencontré Joël Potvin, non plus que ses parents.

[262]     Après avoir fait la revue des évaluations psychologiques, orthophoniques, orthopédagogiques, ainsi que les évaluations en ergothérapie et en physiothérapie, Docteur Dubé est d'avis que :

En définitive, toutes les évaluations décrivent bien le fonctionnement de Joël qui est propre à celui d'une déficience intellectuelle moyenne et mettent en lumière ses capacités, ses habiletés, ses forces, ses faiblesses et ses besoins.[111]

[263]     Docteur Dubé conclut ainsi quant aux interventions dont a bénéficié Joël :

Des rapports consultés, nous pouvons affirmer que Joël a réagi positivement aux démarches mises en place et on note même une évolution dans le contexte scolaire proposé. Il a bénéficié de services appropriés à sa condition et à ses besoins.[112]

[264]     Enfin, Docteur Dubé estime dans son rapport que «si un enfant progresse avec les interventions planifiées, c'est que les interventions étaient appropriées»[113]. Évaluant la façon dont a été intégré Joël jusqu'à maintenant, Docteur Dubé évalue la situation   ainsi :

Pour la majorité de son primaire, Joël a été intégré partiellement en classe ordinaire avec un temps passé en classe spécialisée qui est devenu plus important durant les deux dernières années du primaire. Est-ce que la fréquentation de la classe spécialisée doit-être considérée comme ayant été un frein à l'intégration de Joël? À notre avis, la réponse est non. La classe spécialisée fréquentée par Joël comportait certes des enfants avec des difficultés diverses mais qui, malgré les difficultés éprouvées, pouvaient être considérés comme des enfants typiques d'un groupe de pairs de l'âge de Joël ou presque. Ce sont des individus qui sont capables de fonctionner en milieu scolaire mais dont les difficultés génèrent des besoins particuliers et des adaptations dans le cursus scolaire. La crainte que Joël soit «discriminé» du fait de son introduction dans une classe spécialisée ne doit pas s'appuyer sur une perception discriminatoire des jeunes qui fréquentent ce type de classe.[114]

[265]     L'expert avait comme mandat d'émettre une opinion concernant Joël Potvin. Docteur Dubé n'ayant pas rencontré Joël Potvin et n'ayant basé son expertise que sur l'analyse de documents, notamment les évaluations de Joël effectuées par les professionnels qui l'ont suivi en milieu scolaire, la valeur probante de son témoignage ne peut qu'en être entachée. Il est certain qu'un expert qui aura rencontré la personne à expertiser jouira d'une plus grande crédibilité.

2.6.5 Madame Line Jacques

[266]     Madame Line Jacques appuie, quant à elle, son rapport sur : la lecture et l'analyse des informations provenant des évaluations professionnelles et scolaires réalisées en cours de scolarisation; la revue de la littérature sur le profil généralement retrouvé chez l'adolescent présentant une trisomie 21; la comparaison du profil de Joël à celui attendu chez les adolescents présentant une trisomie 21; l'identification des impacts de la difficulté de langage et de communication de Joël ainsi que l'identification des mesures d'aide au développement des habiletés de langage et de communication de Joël. Seuls les aspects propres à la modalité orale ont été analysés.

[267]     Elle conclut :

La démarche de développement des habiletés de langage et de communication auprès du jeune présentant une trisomie 21 et une déficience intellectuelle interpelle un ensemble d'acteurs. L'orthophoniste peut apporter sa contribution à la démarche particulièrement, dans le cadre de l'évaluation des habiletés et de l'identification des stratégies et des moyens d'intervention. Par contre, l'implication de l'environnement dans lequel le jeune évolue, son milieu familial et scolaire, est déterminante au niveau de l'intervention visant à soutenir le développement des habiletés.[115]

2.6.6 Madame Élise Bujold

[268]     Enfin, compte tenu de l'expertise spécifique de madame Bujold à titre de professionnelle en adaptation scolaire et de sa participation active au processus visant l'élaboration de la démarche du processus d'évaluation ainsi qu'à l'élaboration des différents outils d'évaluation devant servir au classement des élèves, le témoignage de celle-ci se retrouve inséré dans les faits pertinents relatifs aux années scolaires 2005-2006, 2006-2007 et 2007-2008.

3. LES QUESTIONS EN LITIGE

[269]     Les questions que le Tribunal doit trancher sont les suivantes :

1-     La Commission scolaire des Phares a-t-elle compromis le droit de Joël Potvin à la reconnaissance et à l'exercice en pleine égalité de son droit à l'instruction publique gratuite au sens des articles 10 et 40 de la Charte et au droit en matière d'intégration scolaire?

 

2-     La Commission scolaire des Phares a-t-elle compromis le droit de Joël Potvin, de Jeannette Pelletier et de Robert Potvin à la reconnaissance et à l'exercice en pleine égalité de leur droit au respect de leur dignité et de leur intégrité, au sens des articles 1, 4 et 10 de la Charte?

 

3-     Le cas échéant, les victimes ont-elles subi un préjudice en raison de l'atteinte à leurs droits protégés?

 

Si la réponse à ces questions est oui :

 

4-     Les sommes réclamées à titre de dommages moraux et punitifs sont-elles justifiées?

 

5-     Les conclusions relatives à l'évaluation, à l'élaboration d'un plan d'intervention et au classement de Joël Potvin peuvent-elles être accueillies?

 

6-     Les conclusions recherchées, au nom de l'intérêt public, peuvent-elles être accueillies?

 

4. LE DROIT APPLICABLE

4.1 Le droit international

[270]     La Cour suprême du Canada a reconnu à plusieurs reprises l'importance d'examiner le cadre international dans le but de clarifier la nature et l'étendue des droits fondamentaux de la personne[116]. Les instruments internationaux constituent ainsi des sources dans l'interprétation et l'application des droits fondamentaux protégés par le droit interne.

[271]     Le droit d'un élève handicapé à la reconnaissance et à l'exercice, en pleine égalité, de son droit à l'instruction publique gratuite s'est raffiné. Les instruments internationaux adoptés au cours des dernières années en matière de droit à l'éducation ont permis de consolider l'objectif d'intégration scolaire C'est à la lumière de l'évolution du droit international que la Charte doit être interprétée puisqu'elle s'inspire et tire sa source des textes internationaux. 

[272]     Dès 1948, la Déclaration universelle des droits de l'homme[117] énonce à son article 1 le principe que tous les être humains sont égaux en dignité et en droits. «Doués de raison et de conscience, ils doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité.»

[273]     La Déclaration prévoit de plus à son article 26[118] que «[l]'éducation doit viser au plein épanouissement de la personnalité humaine et au renforcement du respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales».

[274]     La communauté internationale a pour la première fois exprimé sa volonté de protéger spécifiquement le droit à l'instruction des personnes présentant une déficience intellectuelle dans la Déclaration des droits du déficient mental en 1971. Le texte prévoit notamment le droit à  «l'instruction, à la formation, à la réadaptation et aux conseils qui l'aideront [la personne atteinte d'une déficience] à développer au maximum ses capacités et ses aptitudes»[119].

[275]     Adoptée en 1989, la Convention relative aux droits de l'enfant[120] constitue pour sa part le premier instrument dans lequel l'incapacité est explicitement mentionnée dans la liste des motifs de discrimination. L'article 2 de cette Convention stipule expressément que :

Les États parties s'engagent à respecter les droits qui sont énoncés dans la présente Convention et à les garantir à tout enfant relevant de sa juridiction, sans distinction aucune, indépendamment de […] leur incapacité.

[276]     L'année suivante est adoptée la Déclaration mondiale sur l'éducation pour tous[121] en réponse aux obstacles qui continue d'exister dans l'école ordinaire à l'égard de certaines catégories d'élèves, notamment ceux atteints d'une déficience intellectuelle. Le paragraphe 5 de l'article III précise à cet effet que :

5. Les besoins éducatifs des handicapés exigent une attention spéciale. Il est nécessaire de prendre des mesures pour assurer, dans le cadre même du système éducatif, l'égalité d'accès à l'éducation de toutes les catégories de personnes handicapées. 

[277]     Cette volonté d'ouvrir et d'adapter le cadre éducatif régulier se consolide par la suite lors de l'adoption des Règles pour l'égalisation des chances des personnes handicapées[122] en 1993. Certaines de ces règles articulent de façon plus détaillée la norme d'égalité des chances telle qu'entendue dans le milieu scolaire pour les enfants atteints d'un handicap :

1. C'est aux services d'enseignement général qu'il incombe d'assurer l'éducation des handicapés dans un cadre intégré. Cette éducation devrait être intégrée à la planification de l'éducation nationale, à l'élaboration des programmes d'études et à l'organisation scolaire.

2. L'éducation des handicapés dans les établissements d'enseignement général suppose l'existence de services d'interprétation et d'autres services d'appui appropriés. L'accessibilité et des services d'appui conçus en fonction des besoins de personnes souffrant de différentes incapacités devraient être assurés.

[…]

6.  Pour que l'éducation des handicapés puisse être assurée dans le cadre de l'enseignement général, les États devraient :

a)  Avoir une politique bien définie, qui soit comprise et acceptée au niveau scolaire et par l'ensemble de la collectivité;

b) Établir des programmes d'études souples, adaptables et susceptibles d'être élargis;

c) Prévoir des matériaux didactiques de qualité, la formation permanente des enseignants et des maîtres auxiliaires.

[…]

8. Lorsque le système d'enseignement général ne répond pas encore aux besoins de tous les handicapés, un enseignement spécial peut être envisagé. Celui-ci devrait être conçu de manière à préparer les élèves à entrer dans le système d'enseignement général. Il devrait répondre aux mêmes normes et ambitions que l'enseignement général sur le plan de la qualité, et lui être étroitement lié. Au minimum, les élèves handicapés devraient bénéficier dans la même mesure des ressources allouées à l'enseignement que les élèves non handicapés. Les États devraient viser à intégrer graduellement les services d'enseignement spécial à l'enseignement général. Il est cependant reconnu qu'à ce stade, l'enseignement spécial peut dans certains cas être considéré comme la forme d'enseignement convenant le mieux aux élèves handicapés.

[278]     En 2007, dans son Observation générale No.9 relative aux droits des enfants handicapés, le Comité des droits de l'enfant réitère que l'intégration constitue un élément essentiel à l'épanouissement de l'enfant et une des conditions qui permet le développement de son estime personnelle :

L'éducation d'un enfant handicapé doit absolument viser à améliorer l'image qu'il a de lui-même, […]. L'intégration d'un enfant handicapé au milieu d'autres enfants dans une classe montre à l'enfant qu'il est reconnu dans son identité et qu'il appartient à la communauté des élèves, à celle des enfants de son âge et à l'ensemble des citoyens. L'utilité du soutien par les pairs pour développer l'estime que les enfants handicapés ont d'eux-mêmes devrait être plus largement reconnue.[123]

[279]     Compte tenu de ce rôle social important, le Comité est donc d'avis que :

L'éducation des enfants handicapés doit être axée sur leur intégration. Les modalités de cette intégration dépendent des besoins éducatifs individuels de l'enfant, puisque l'éducation de certains enfants handicapés nécessite des mesures d'assistance qui ne sont pas forcément proposées dans le système scolaire ordinaire.[124]

[280]     Ainsi, l'intégration ne saurait être réalisée en l'absence de mesures d'adaptation qui seules permettent de tenir compte des besoins particuliers de chacun. Pour ce faire, une démarche individualisée s'impose et le Comité présente cette démarche comme suit :

Étant donné que les enfants handicapés sont très différents les uns des autres, les parents, les enseignants et les autres professionnels spécialisés doivent aider chaque enfant à mettre au point ses propres techniques de communication et son propre langage, et à trouver les méthodes d'interaction, d'orientation et de résolution des problèmes les mieux adaptées à ses possibilités. Chacune des personnes qui s'efforce d'améliorer les compétences, les capacités et l'autonomie d'un enfant doit suivre de près son évolution et être attentive à ses messages verbaux et émotionnels, afin de soutenir du mieux possible son éducation et son épanouissement.[125]

[281]     Tout le milieu social de l'enfant doit donc être impliqué dans le processus et un suivi attentif est nécessaire pour répondre le plus efficacement possible à ses besoins et capacités.

[282]     Malgré l'importance qu'il accorde au principe d'éducation intégrée, le Comité juge qu'il ne s'agit toutefois pas d'un impératif selon lequel il doit toujours y avoir intégration complète de l'enfant en classe ordinaire. En effet, le Comité précise que :

Le concept [d'éducation intégrée] repose sur une série de valeurs, de principes et de pratiques ayant pour objectif l'instauration d'un mode d'éducation cohérent, efficace et de qualité qui tienne compte de la diversité des conditions et des besoins d'apprentissage, non seulement des enfants handicapés mais aussi de tous les élèves. Plusieurs formules peuvent être adoptées pour atteindre cet objectif en respectant la diversité des enfants. L'intégration peut aller du placement à plein temps de tous les enfants handicapés dans une classe ordinaire au placement pour certains cours seulement, complété par un enseignement spécialisé.[126]

[283]     L'intérêt de l'enfant, tel qu'entendu par l'article 3 de la Convention relative aux droits de l'enfant, doit en effet demeurer au cœur de la démarche.

[284]     Ces développements ont trouvé un écho avec l'adoption d'un texte visant spécifiquement la protection des personnes handicapées, soit la Convention relative aux droits des personnes handicapées[127]. Entrée en vigueur le 3 mai 2008, cette Convention enchâsse et consolide en un seul instrument l'ensemble des droits fondamentaux des personnes atteintes d'un handicap. La formulation positive, retenue tout au long du texte, indique une participation active des personnes handicapées dans toutes les sphères de la société. Bien que le Canada n'ait pas encore ratifié cette Convention, il en est tout de même signataire depuis mars 2007.

[285]     Le texte énonce les principes généraux[128], la non-discrimination, la participation et l'intégration pleines et effectives à la société et l'accessibilité. Est notamment prévu l'exercice, en pleine égalité, des droits des enfants handicapés, l'État ayant l'obligation de prendre toutes les mesures nécessaires afin de garantir la pleine jouissance de leurs droits au même titre que les autres enfants[129]. Le préambule de la Convention prévoit à son l'alinéa e) que :

Reconnaissant que la notion de handicap évolue et que le handicap résulte de l'interaction entre des personnes présentant des incapacités et les barrières comportementales et environnementales qui font obstacle à leur pleine et effective participation à la société sur la base de l'égalité avec les autres. (nos soulignements)

[286]     Dans le contexte scolaire, l'intégration constitue en vertu de la Convention la voie privilégiée pour atteindre l'égalité. L'article 24 prévoit que : 

2. Aux fins de l'exercice de ce droit, les États Parties veillent à ce que :

a) Les personnes handicapées ne soient pas exclues, sur le fondement de leur handicap, du système d'enseignement général […]

c) Il soit procédé à des aménagements raisonnables en fonction des besoins de chacun;

d) Les personnes handicapées bénéficient, au sein du système d'enseignement général, de l'accompagnement nécessaire pour faciliter leur éducation effective;

e) Des mesures d'accompagnement individualisé efficaces soient prises dans des environnements qui optimisent le progrès scolaire et la socialisation, conformément à l'objectif de pleine intégration.

[287]     Dans son rapport de 2007, présenté au Conseil des droits de l'homme des Nations Unies, concernant le droit à l'éducation inclusive des personnes handicapées, le Rapporteur spécial sur le droit à l'éducation, monsieur Vernor Muňoz, commente ainsi l'esprit de cet article : 

Pour lutter contre l'exclusion, un partenariat renforcé des mouvements «des droits de l'homme» et des «handicapés» a encouragé le modèle d'éducation généralement désigné [...] par l'expression «éducation inclusive». L'éducation inclusive repose sur le principe selon lequel tous les enfants doivent apprendre ensemble, chaque fois que possible, quelles que soient leurs différences. Elle reconnaît que chaque enfant a des caractéristiques, des intérêts, des aptitudes et des besoins d'apprentissage qui lui sont propres, et que les élèves qui ont des besoins particuliers doivent avoir accès à l'enseignement général et être intégrés dans cet enseignement grâce à une pédagogie axée sur l'enfant. L'éducation inclusive, parce qu'elle tient compte de la diversité des apprenants, cherche à combattre les attitudes discriminatoires, à créer des communautés conviviales, à réaliser l'éducation pour tous et à améliorer la qualité et l'efficacité des études dans l'enseignement général.[130]

[288]     Le Rapporteur spécial précise pourquoi une intégration qui comprend non seulement une composante individuelle axée sur l'enfant mais aussi une composante plus large vouée à influencer le milieu social est nécessaire

[289]     Cette composante est d'autant plus importante compte tenu des effets que peut avoir l'approche traditionnelle de «l'éducation spéciale» (ou classes séparées) pour les personnes atteintes d'un handicap :

En outre, la pratique qui consiste à isoler les élèves handicapées peut aboutir à les marginaliser davantage dans la société, situation à laquelle généralement les personnes handicapées sont déjà confrontées, ce qui ne fait qu'aggraver la discrimination. Au contraire, on s'est aperçu que l'éducation inclusive diminue la marginalisation, laquelle est source de stéréotypes erronés, de préjugés et, par conséquent, de discrimination.[131]

[290]     Conscient qu'une intégration d'apparence est insuffisante, le Rapporteur spécial rappelle en outre que «l'"intégration" peut tout simplement aboutir à l'exclusion au sein de l'enseignement général plutôt que dans une école spéciale»[132]. Pour cette raison, il juge essentiel que «[d]es politiques et des ressources visant à mettre au point des pratiques véritablement "intégratrices" [soient] substituées aux pratiques anciennes». Référant implicitement à l'article 2 de la Convention et à l'obligation d'aménagement raisonnable, le Rapporteur spécial réitère l'importance de moduler l'enseignement régulier pour que celui-ci puisse accommoder des enfants aux besoins divers.

[291]     S'il est important que l'intégration et les mesures d'adaptation qui s'en suivent ne soient pas synonyme de fardeau excessif pour l'établissement scolaire, il reste qu'une approche inclusive efficace peut être avantageuse en terme de coûts :

Les travaux de recherche montrent [...] que les États qui ont correctement mis en œuvre le modèle d'éducation inclusive ont constaté qu'il était moins coûteux à mettre en œuvre et à gérer que des services d'éducation spécialisée distincts, qu'il était plus bénéfique d'un point de vue éducatif et social pour les enfants et qu'il contribuait de manière significative au développement et à l'épanouissement professionnels des éducateurs.[133]

[292]     Toutefois, et comme le notait déjà le Comité des droits de l'enfant en 2006, l'éducation inclusive ne signifie pas l'intégration automatique sans prise en compte des besoins particuliers de l'enfant. Une telle intégration sans réelle inclusion au sein de l'environnement social peut au contraire nuire à l'élève handicapé dont l'intérêt est mieux servi dans un cadre spécialisé. Le Rapporteur spécial est donc d'avis que :

[L]'inclusion scolaire ne doit pas être considérée comme une solution universelle s'appliquant à toutes les situations. Il est essentiel de mettre en œuvre un processus d'application novateur, personnalisée et souple, fondé sur les principes de la participation et de la non-discrimination, qui tienne compte de tous les handicaps et de la diversité culturelle. Cela étant, l'éducation inclusive - lorsqu'elle concerne les enfants - doit avant tout prendre en compte «l'intérêt supérieur de l'enfant». Ce faisant, l'accent ne doit plus être mis sur le handicap - ce qui est l'approche médicale - mais sur les besoins éducatifs personnels de tous les enfants, qu'ils soient ou non handicapés. Il importe de bien garder à l'esprit ces considérations dans le cadre de la mise en œuvre d'un système éducatif général inclusif.[134] (nos soulignements)

[293]     Norme de référence, l'intégration scolaire doit être envisagée en fonction des besoins et capacités de chaque enfant. La mise sur pied de programmes inclusifs est en soi insuffisante, tant les méthodes d'évaluation des enfants atteints d'un handicap que les formations dispensées aux administrateurs, aux enseignants et au personnel d'appui devant être adaptées[135]. Seule une telle approche permet de répondre efficacement à l'intérêt des élèves. Les recommandations formulées par le Rapporteur spécial reflètent d'ailleurs cette préoccupation[136].

[294]     Le consensus en faveur de l'intégration s'est ainsi consolidé au cours des dernières années au niveau international. Compte tenu des avantages que procure la «normalisation» de  l'environnement éducatif tant pour l'enfant atteint d'un handicap que pour la collectivité qui l'entoure, «[l]es États devraient reconnaître l'éducation inclusive comme une composante inhérente du droit à l'éducation»[137].

4.2 Le droit québécois et canadien

4.2.1 Le cadre législatif prévu par la Charte

[295]     Les dispositions de la Charte pertinentes se lisent comme suit :

4.  Toute personne a droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation.

10. Toute personne a droit à la reconnaissance et à l'exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, la grossesse, l'orientation sexuelle, l'état civil, l'âge sauf dans la mesure prévue par la loi, la religion, les convictions politiques, la langue, l'origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l'utilisation d'un moyen pour pallier ce handicap.

Il y a discrimination lorsqu'une telle distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruire ou de compromettre ce droit.

40.  Toute personne a droit, dans la mesure et suivant les normes prévues par la loi, à l'instruction publique gratuite.

[296]     Le Tribunal[138], la Cour d'appel du Québec[139] et la Cour suprême du Canada[140], ont eu l'occasion de rappeler l'interaction complexe existant entre le droit à l'égalité prévu à l'article 10 de la Charte et les autres droits qui y sont prévus en précisant que l'article 10 ne crée pas, en soi, un droit autonome à l'égalité mais constitue plutôt «une modalité de particularisation des divers droits et libertés»[141].

[297]     L'obligation de jumeler le droit à l'égalité aux autres droits et libertés découle directement de la formulation de l'article 10 qui prévoit pour toute personne, le «droit à la reconnaissance et à l'exercice, en pleine égalité, des droits et libertés» prévus à la Charte.

[298]     Le droit à l'instruction publique gratuite, en peine égalité et sans discrimination, se voit donc protégé par l'effet combiné des articles 10 et 40 de la Charte. Toutefois, puisqu'il est précisé que le droit prévu à l'article 40 s'exerce «dans la mesure et suivant les normes prévues par la loi», la protection anti-discriminatoire prévue à l'article 10 de la Charte doit prendre en compte les paramètres du cadre législatif mis en place dans ce secteur particulier d'activités.

4.2.2 Les paramètres découlant de la Loi sur l'instruction publique auxquels renvoie l'article 40 de la Charte

[299]     Dans le contexte scolaire, la prise en compte des particularités propres aux enfants ayant un handicap se traduit par la volonté de favoriser l'intégration en classe ordinaire, le cadre éducatif régulier se devant d'être le plus accessible et inclusif possible.

[300]     Cette volonté se retrouve aux articles 234 et 235 de la Loi sur l'instruction publique[142] (ci-après «L.I.P.») dont les modifications en 1998 ont eu pour effet de donner aux commissions scolaires la responsabilité d'organiser les services éducatifs aux élèves handicapés en fonction de l'évaluation de leurs capacités et de leurs besoins particuliers.

[301]     Cet objectif s'inscrit dans la mission plus large qui incombe désormais à l'école québécoise tel que le prévoit le second alinéa de l'article 36 de la L.I.P., lequel prévoit que :

Elle [l'école] a pour mission, dans le respect du principe de l'égalité des chances, d'instruire, de socialiser et de qualifier les élèves, tout en les rendant aptes à entreprendre et à réussir un parcours scolaire.

[302]      Les articles 234 et 235 de la L.I.P. se lisent comme suit :

234.  La commission scolaire doit, sous réserve des articles 222 et 222.1, adapter les services éducatifs à l'élève handicapé ou en difficulté d'adaptation ou d'apprentissage selon ses besoins, d'après l'évaluation qu'elle doit faire de ses capacités selon les modalités établies en application du paragraphe 1° du deuxième alinéa de l'article 235.

235.  La commission scolaire adopte, après consultation du comité consultatif des services aux élèves handicapés et aux élèves en difficulté d'adaptation ou d'apprentissage, une politique relative à l'organisation des services éducatifs à ces élèves qui assure l'intégration harmonieuse dans une classe ou un groupe ordinaire et aux autres activités de l'école de chacun de ces élèves lorsque l'évaluation de ses capacités et de ses besoins démontre que cette intégration est de nature à faciliter ses apprentissages et son insertion sociale et qu'elle ne constitue pas une contrainte excessive ou ne porte pas atteinte de façon importante aux droits des autres élèves.

Cette politique doit notamment prévoir :

 1° les modalités d'évaluation des élèves handicapés et des élèves en difficulté d'adaptation ou d'apprentissage, lesquelles doivent prévoir la participation des parents de l'élève et de l'élève lui-même, à moins qu'il en soit incapable;

 2° les modalités d'intégration de ces élèves dans les classes ou groupes ordinaires et aux autres activités de l'école ainsi que les services d'appui à cette intégration et, s'il y a lieu, la pondération à faire pour déterminer le nombre maximal d'élèves par classe ou par groupe;

 3° les modalités de regroupement de ces élèves dans des écoles, des classes ou des groupes spécialisés;

 4° les modalités d'élaboration et d'évaluation des plans d'intervention destinés à ces élèves.

Une école spécialisée visée au paragraphe 3° du deuxième alinéa n'est pas une école visée par l'article 240.

[303]     Ainsi libellé, l'article 235 de la L.I.P. prévoit que l'adoption d'une politique relative à l'organisation des services éducatifs doit, sujet aux conditions qui y sont mentionnées, assurer l'intégration harmonieuse des élèves en classe ordinaire et aux autres activités de l'école. Cette disposition s'arrime au raisonnement de la Cour d'appel qui, déjà en 1994, indiquait dans l'affaire Saint-Jean-sur-Richelieu que :

L'orientation suivant laquelle l'intégration scolaire doit être réalisée chaque fois que c'est possible et propre à faciliter les apprentissages et l'insertion sociale des enfants handicapés et des élèves en difficulté d'adaptation et d'apprentissage, sans être une norme juridique imposée par la loi, est tout de même inscrite dans la formulation de l'article 235. […]

L'intégration en classe ordinaire, sans être un droit exclusif et absolu, demeure un moyen privilégié d'adaptation des services éducatifs aux besoins d'apprentissage et d'insertion sociale des élèves handicapés ou en difficulté d'adaptation ou d'apprentissage.[143] (nos soulignements)

[304]     Comme le notait la Cour d'appel dans l'arrêt Commission scolaire des Phares de 2006[144], si l'intégration en classe ordinaire était auparavant encouragée, elle est ainsi devenue, à la lumière des changements apportés à la L.I.P., la voie privilégiée par le législateur et ce, pour tous les élèves.

[305]     Le législateur est donc venu raffiner, en 1998, la norme d'égalité relative au droit à l'instruction publique en détaillant l'objectif à rechercher ainsi que les modalités à mettre en place en vue de mettre en œuvre l'égalité substantielle des élèves handicapés.

[306]     L'article 235 de la L.I.P. fait aujourd'hui de l'intégration une norme d'application générale. Cela signifie donc que les commissions scolaires doivent rechercher l'intégration des élèves handicapés en classe ordinaire, bien que l'issue de cette démarche reste toujours tributaire de l'évaluation des besoins et des capacités de ces derniers.

[307]     La Cour d'appel précise, en 2006, que les modifications apportées à la L.I.P indiquent que le législateur privilégie maintenant l'intégration en classe ordinaire, mais à certaines conditions. La Cour d'appel rejette donc l'interprétation donnée par le Tribunal à l'effet que l'intégration en classe ordinaire est une norme juridique impérative. La Cour d'appel précise à cette occasion les étapes[145] à suivre afin de déterminer si l'intégration est dans le meilleur intérêt de l'enfant. La Cour énonce ainsi aux paragraphes 56 et 57 de l'arrêt :

[56] La Cour est d'avis que pour prendre une telle décision d'une manière qui respecte les dispositions de la L.I.P., la Charte québécoise et les enseignements de la Cour suprême, une commission scolaire comme l'appelante doit suivre les étapes suivantes :

i. L’enfant doit subir une évaluation dont le but est de déterminer ses besoins et l’étendue de ses capacités. Cette évaluation doit être subjective, c'est-à-dire adaptée au handicap et à la personne même de l’enfant pour qu’il en découle un véritable portrait dépeignant ses forces, mais également ses faiblesses. Il est à noter que cette évaluation personnalisée doit porter autant sur les capacités scolaires que sociales de l’élève;

ii. Une fois ce portrait de l’enfant établi, la commission scolaire doit se demander, dans la mesure des forces et des limites de l’enfant, si ses apprentissages ou encore son insertion sociale seraient facilités dans une classe ordinaire. À cette étape, elle doit élaborer un plan d'intervention envisageant toutes les adaptations raisonnables pouvant permettre une intégration de l’enfant en classe ordinaire, toujours dans le but que l’intégration profite à son intérêt. Ainsi, la règle générale d’intégration est respectée, l’intégration étant recherchée dans les limites de l’intérêt de l’enfant;

iii. La commission scolaire peut alors en venir à deux conclusions :

a) La première est que malgré les adaptations nécessaires, l’évaluation n’a pas démontré qu’il était dans l’intérêt de l’enfant de l’intégrer en classe ordinaire. Dans ce cas, l’enfant sera orienté vers une classe spécialisée. Il devra joindre un groupe ordinaire pour certaines activités, s’il y va de son intérêt;

b) La seconde est que les apprentissages et le développement social de l’enfant seront facilités, en classe ordinaire, grâce aux adaptations envisagées. Dans ce cas, la commission scolaire aura l’obligation d’intégrer l’enfant en classe ordinaire soit à plein temps, soit à temps partiel, en lui fournissant les adaptations dont il a besoin, sous réserve de ce qui suit. Si la commission scolaire démontre que les adaptations nécessaires à l’intégration de l’élève dans une classe ordinaire lui causent une contrainte déraisonnable ou encore portent atteinte de façon importante à l’intérêt des autres enfants, elle pourra alors placer l’enfant en classe spécialisée à plein temps.

[57] Ainsi, l’intérêt de l’enfant demeure le point central de l’analyse et l’intégration, la norme générale, celle-ci ne se faisant que lorsque l’intérêt de l’enfant le commande et qu’elle ne crée de contrainte déraisonnable ni pour l’établissement scolaire ni pour les autres élèves.

4.2.3 L'exercice du droit à l'instruction publique gratuite, en toute égalité, sans discrimination fondée sur le handicap.

[308]     Bien que l'article 40 de la Charte renvoie aux normes prévues par la loi, en l'occurrence aux modalités prévues à la L.I.P., les principes applicables relatifs à la protection antidiscriminatoire tant en matière quasi-constitutionnelle que constitutionnelle demeurent la pierre angulaire à partir desquels le cadre d'analyse doit s'articuler. Ainsi, la question principale à laquelle le Tribunal doit répondre est celle de savoir si Joël a pu exercer son droit à l'instruction publique gratuite, en pleine égalité, sans discrimination fondée sur le handicap et ce, en conformité avec les articles 10 et 40 de la Charte.

4.2.4 La portée du motif de discrimination interdit, le handicap, dans le contexte de l'intégration scolaire 

[309]     Dans l'arrêt Eaton c. Commission scolaire du comté de Brant[146], la Cour suprême du Canada a expliqué les raisons pour lesquelles l'intégration en classe ordinaire d'un enfant ayant une déficience devait être reconnue comme une norme d'application générale, compte tenu des avantages qu'elle procure généralement.

[310]     Ainsi, c'est en raison de la politique antérieure d'exclusion influencée par une attitude stéréotypée envers les personnes handicapées que l'on en est venu à la conclusion qu'il fallait adopter un cadre législatif et une politique qui fasse en sorte d'assurer une évaluation selon les caractéristiques véritables et les besoins respectifs des personnes handicapées. Il s'agit donc du tout premier objectif visé par la norme d'application générale en classe ordinaire soit celui d'éliminer la discrimination qui s'opère par le biais de l'attribution à un groupe de caractéristiques fausses reposant sur des préjugés. La norme doit donc jouer un rôle de correction.

[311]     L'évaluation personnalisée des besoins et des capacités joue par conséquent un rôle déterminant quant il s'agit d'accorder aux véritables caractéristiques de chaque personne toute l'importance nécessaire pour lui permettre de jouir pleinement des avantages qu'offre la société. À cet égard, la Cour suprême précisait dans l'arrêt Eaton que c'est «l'omission de fournir des moyens raisonnables et d'apporter à la société les modifications qui feront en sorte que ses structures et les actions prises n'entraînent pas la relégation et la non-participation des personnes handicapées»[147] qui pourra être source de discrimination.

[312]     La Cour suprême précisait toutefois dans le même arrêt qu'on ne pouvait inférer de cette nouvelle norme d'intégration l'existence d'une présomption en faveur de l'intégration, principalement en raison de la spécificité même du motif illicite de la «déficience». La Cour suprême s'exprimait ainsi :

L’intégration devrait être reconnue comme la norme d’application générale en raison des avantages qu’elle procure habituellement, mais une présomption en faveur de l’enseignement intégré ne serait pas à l’avantage des élèves qui ont besoin d’un enseignement spécial pour parvenir à cette égalité.[148]

[313]     Ainsi, la Cour suprême précisait que la déficience, en tant que motif interdit de discrimination, diffère des autres motifs compte tenu du large spectre de différences pouvant exister selon les individus et selon la forme de handicap. En raison de ce «dilemme de la différence»[149], il se pourrait que la ségrégation puisse tantôt porter atteinte à l'égalité tantôt protéger l'égalité selon le degré de déficience et selon le contexte et toute autre circonstance.

[314]     En 2003, la Cour suprême s'est de nouveau prononcée sur le caractère particulier du handicap comme motif de discrimination. Dans l'affaire Nouvelle-Écosse (Workers’ Compensation Board), la Cour s'exprime ainsi :

Cette approche relative à l’analyse des distinctions établies entre diverses déficiences permet aux tribunaux de tenir compte d’une caractéristique fondamentale et typique des déficiences, que ne possèdent pas les autres motifs de discrimination énumérés : leur diversité quasi infinie, y compris les caractéristiques, les situations et les besoins très différents des personnes qui en sont atteintes. Pour qu’il y ait égalité véritable des personnes atteintes de déficiences, il faut bien tenir compte de ces différences. Dans bien des cas, tracer une seule ligne de démarcation entre les personnes atteintes d’une déficience et les autres personnes est pour ainsi dire inutile, vu qu’aucune mesure d’adaptation ne permet à elle seule de répondre aux besoins de tous.[150]

[315]     En rejetant l'idée de présomption en faveur de l'enseignement intégré, la Cour suprême du Canada est venue rappeler qu'en plus de la protection visant à corriger les mentalités et attitudes stéréotypées, un élément important, l'intérêt de l'enfant, doit toujours moduler l'approche relative au classement des élèves. En effet, on ne saurait présumer que l'intégration en classe ordinaire est dans l'intérêt de l'enfant ayant une déficience intellectuelle, ses besoins et capacités pouvant commander une autre avenue. Il est toutefois important de préciser que l'intérêt de l'enfant doit d'abord se définir par le respect de ses droits.

[316]     Dans l'arrêt Andrews, la Cour suprême du Canada, ayant pour la première fois à se prononcer sur la définition de la discrimination, a établi que «le respect des différences […] est l'essence d'une véritable égalité»[151].

[317]     Dans le domaine de l'intégration scolaire, cette prémisse est d'autant plus importante lorsqu'il s'agit, d'une part, d'éliminer la discrimination qui s'opère par le biais de l'attribution, à un groupe, de caractéristiques fausses reposant sur des préjugés et, d'autre part, d'assurer que des mesures d'adaptation individuelles seront appliquées en fonction de l'évaluation individualisée des caractéristiques véritables des personnes handicapées dans le but de répondre véritablement à leurs besoins. L'interaction complexe de ces objectifs illustre en quelque sorte l'évolution des politiques en matière d'intégration scolaire. À ce sujet, la Cour suprême rappelle que : 

L'intégration devrait être reconnue comme la norme d'application générale en raison des avantages qu'elle procure habituellement, mais une présomption en faveur de l'enseignement intégré ne serait pas à l'avantage des élèves qui ont besoin d'un enseignement spécial pour parvenir à cette égalité. […] L'intégration peut se révéler un avantage ou un fardeau selon que l'individu peut profiter ou non des avantages qu'elle apporte.[152]

[318]     Ainsi, l'atteinte des objectifs visant à éliminer la discrimination vécue par les enfants ayant une déficience physique ou intellectuelle en milieu d'apprentissage scolaire passe inévitablement par l'évaluation individualisée des capacités et des besoins de chacun en même temps que par la prise en compte des mesures d'adaptation susceptibles de favoriser l'intégration la plus harmonieuse possible dans la société. Ce sont là les prémisses fondamentales sans lesquelles il serait impossible  de donner véritablement un sens et, surtout, de concrétiser la norme d'application générale d'intégration. Cette approche individualisée fait en sorte d'éliminer les obstacles à l'intégration substantielle, sans que cela ne cause un fardeau ou ne soit préjudiciable à l'enfant.

[319]     Motif de discrimination particulier, le handicap se distingue des motifs tels que, à titre d'illustration, le sexe ou l'origine ethnique. Ainsi, la preuve d'une distinction ou d'une exclusion en emploi fondée sur l'origine ethnique ou le sexe n'exige pas la démonstration, tant par l'employeur que par le candidat à l'emploi, qu'il serait ou non dans l'intérêt de ce dernier d'être embauché. Seule une justification démontrant que l'exclusion est raisonnablement nécessaire, sans possibilité d'accommodement à moins de contrainte excessive, pourrait être présentée en défense, en tant qu'exception au droit à l'égalité. En d'autres mots, l'intérêt d'un candidat ne peut constituer un facteur délimitant la portée de son droit à l'emploi, seule une exception ou une justification peut justifier une telle atteinte.

[320]     Tant la Cour suprême du Canada, sous l'article 15 de la Charte canadienne, que la Cour d'appel du Québec, sous les articles 10 et 40 de la Charte, ont rejeté l'idée que l'intégration en classe ordinaire constituait une norme impérative pouvant constituer une présomption de discrimination, à moins de preuve contraire. La non-intégration ne peut donc, conceptuellement, être considérée comme une défense d'exception à la norme d'égalité et ce, en raison des principes ci-hauts expliqués.

[321]      Reprenant à son compte les propos de la Cour suprême dans l'arrêt Eaton, la Cour d'appel du Québec indiquait en 2006 :

[50] En outre, les articles 234 et 235 de la L.I.P. ainsi que la politique du ministère de l’Éducation et celle de l'appelante respectent les enseignements de la Cour suprême dans l’arrêt Eaton. L’intégration d’un enfant handicapé dans une classe ordinaire constitue une norme d’application générale, mais non une présomption. L’arrangement choisi (classe ordinaire ou classe spéciale) doit être dans l’intérêt de l’enfant.

[51] Transformer la norme d’application générale qu’est l’intégration en classe ordinaire en norme juridique impérative, revient à établir une présomption selon laquelle cette intégration sert le meilleur intérêt de l’enfant, à moins d’une preuve contraire. Ce n’est pas là le but visé par la Charte québécoise et la L.I.P.[153] (nos soulignements)

[322]     La détermination de l'intérêt de l'enfant, en fonction d'une évaluation individualisée et après avoir envisagé toutes les mesures d'adaptation en vue de son intégration en classe ordinaire, doit être démontrée au stade de la preuve prima facie de discrimination puisque c'est le classement de l'enfant, effectué en fonction de ces paramètres, qui déterminera la portée réelle de la protection à son égard. Ceci signifie que les particularités du droit en cause, le droit à l'égalité dans le cadre du droit à l'instruction publique, oblige à un réaménagement des fardeaux de preuve de part et d'autre des parties, sans lequel il ne serait pas possible de donner un sens à la norme générale visant à favoriser l'intégration en classe ordinaire.

4.2.5 L'intérêt de l'enfant en tant que principe juridique

[323]     L'intérêt de l'enfant et le respect de ses droits sont, tant dans le Code civil du Québec[154] que dans des lois sociales, telle la Loi sur la protection de la jeunesse[155], deux principes qui, loin de se contredire ou de devoir être hiérarchisés, s'appliquent ensemble puisque l'intérêt de l'enfant s'analyse dans le respect des droits dont le législateur exige le respect[156].

[324]     C'est aussi ce qu'écrivent les auteurs Édith Deleury et Dominique Goubau :

Affirmer que l'enfant est sujet de droits et que ses droits doivent être respectés, c'est évidemment rappeler que l'enfant doit bénéficier de toutes les lois qui le concernent, mais c'est surtout reconnaître qu'il doit bénéficier, au même titre que l'adulte, des libertés et des droits fondamentaux.[157]

[325]     Sans être défini explicitement dans la L.I.P., laquelle prévoit que «[t]oute décision du conseil d'établissement doit être prise dans le meilleur intérêt des élèves»[158], l'objet et l'esprit de l'article 235 de la L.I.P. nous indiquent que l'intérêt de l'enfant atteint d'un handicap doit néanmoins s'entendre de la volonté de lui assurer un apprentissage optimal et la plus grande intégration sociale possible, en classe ordinaire, tel que recherché par cette disposition. Bien que, comme l'indique la Cour d'appel du Québec, l'intérêt de l'élève doit d'ailleurs demeurer au «cœur de la démarche» de classement, la prise de décision et le processus y conduisant doivent être exercés dans le respect de ses droits[159].

[326]      Toutefois, puisque «l'intérêt de l'enfant» ne peut être identifié avec suffisamment de précision ni faire l'objet d'une définition dans l'abstrait, et devant la difficulté de fournir une norme applicable par les tribunaux, la prise en considération de différents facteurs devra se faire selon les circonstances. La Cour suprême du Canada souligne en 2004, dans l'arrêt Canadian Foundation for Children, que : «Son application ne peut que dépendre fortement du contexte et susciter la controverse; il se peut que des gens raisonnables ne s’accordent pas sur le résultat que produira son application»[160].

[327]     Pour rendre compte de cet intérêt, lequel doit toujours respecter les droits de l'enfant, la L.I.P. oblige maintenant les commissions scolaires à adopter et à mettre en œuvre une politique, fondée sur une approche d'évaluation individualisée, qui favorise l'intégration au groupe ordinaire ainsi que les services d’appui à cette intégration, une politique qui ne se contente plus de favoriser l’intégration par regroupement d'élèves handicapés dans certaines écoles, à moins que cela ne constitue une contrainte excessive ou que cela porte atteinte aux droits des autres élèves. En matière de droit à l'égalité, cette évaluation personnalisée des capacités et des besoins en mesures d'adaptation est la pierre angulaire essentielle à la reconnaissance du droit à l'instruction publique sans discrimination puisque «la déficience, en tant que motif illicite, diffère des autres motifs énumérés tels que la race ou le sexe parce que ces motifs ne comportent aucune différence sur le plan individuel»[161]. Au contraire, la déficience intellectuelle se caractérise par une diversité de besoins qui varie d'une personne à l'autre.

[328]     À la lumière de l'article 235 de la L.I.P., il appartient aux commissions scolaires d'adopter non seulement les modalités d'évaluation mais aussi les modalités d'intégration des élèves handicapés. S'inspirant de ce cadre et du droit en pleine égalité à l'instruction publique tel qu'entendu par les articles 10 et 40 de la Charte, la Cour d'appel du Québec dans son jugement de 2006 établit que les commissions scolaires doivent «élaborer un plan d'intervention envisageant toutes les adaptations raisonnables pouvant permettre l'intégration en classe ordinaire»[162].

[329]     Ainsi, lorsque le portrait de la situation est complété - une fois l'évaluation des besoins et capacités préalablement effectuée et que les mesures d'adaptation pouvant favoriser l'intégration en classe ordinaire ont été envisagées - la commission scolaire devra choisir le classement en fonction de l'intérêt de l'enfant certes mais surtout dans le respect de ses droits.

4.2.6 Le fardeau de preuve

[330]     Les éléments constitutifs de la notion de discrimination, prévue à l'article 10 de la Charte, ont été réaffirmés à plusieurs reprises par la Cour suprême du Canada[163]. Ainsi, il y a discrimination lorsqu'il existe :

1) une distinction, exclusion ou préférence;

2) fondée sur l'un des motifs énumérés à l'article 10;

3) qui a pour effet de détruire ou de compromettre l'exercice, en pleine égalité,
    des droits ou libertés de la personne.

[331]     Dans l'arrêt Ville de Montréal, le juge L'Heureux-Dubé réitère qu'une preuve de discrimination en vertu de l'article 10 de la Charte peut être établie de la façon   suivante :

La première étape, que prévoit l'art. 10, vise la suppression de la discrimination et exige du demandeur une preuve prima facie de celle-ci. Le fardeau qui incombe au demandeur à cette étape est limité aux éléments de préjudice et au lien avec un motif de discrimination prohibé.[164]

[332]     C’est donc en principe à la partie qui allègue la discrimination qu’incombe le fardeau de prouver une atteinte aux droits protégés par la Charte en présentant les éléments constitutifs de discrimination. Cependant, l'aménagement du fardeau de preuve doit se faire en tenant compte des particularités du litige en l'espèce, c'est-à-dire de la spécificité du motif de discrimination invoqué, soit le handicap, du contexte législatif, ainsi que des principes dégagés par la jurisprudence en cette matière.

[333]     Ainsi, le préjudice sera établi en démontrant le caractère discriminatoire d'une évaluation, d'un classement ou d'une intégration.

[334]     Or, comme la norme juridique d'égalité en matière d'intégration scolaire ne peut, d'emblée ou de façon impérative, être le classement en classe ordinaire puisque l'intérêt de l'élève particularise toujours la façon dont le droit doit se matérialiser, il s'ensuit que ni un classement en classe spécialisée ni un classement en classe ordinaire ne constituent une preuve prima facie de discrimination.

[335]     Puisque les besoins, les capacités, les mesures d'adaptation envisageables et l'intérêt de l'enfant délimitent de façon particularisée le droit à l'instruction publique gratuite, sans discrimination, ces éléments ne peuvent donc constituer des critères de justification raisonnable et nécessaire au sens des arrêts Meiorin[165] et Grismer[166].

[336]     Afin de donner tout son sens à la norme générale d'intégration, c'est à la commission scolaire de prouver que les besoins et capacités de l'élève, après avoir envisagé toutes les mesures d'adaptation, établissent qu'il n'est pas dans l'intérêt de l'élève d'être intégré en classe ordinaire, constituant ainsi l'exception à la norme générale d'intégration. Rappelons à ce sujet que la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Eaton établissait que «[l]’intégration devrait être reconnue comme la norme d’application générale en raison des avantages qu’elle procure habituellement»[167].

[337]     La seule justification possible, une fois déterminé que l'intérêt de l'élève requiert son intégration en classe ordinaire, est la contrainte excessive que pourrait constituer l'intégration de l'élève en classe ordinaire à l'égard de l'établissement scolaire ou que cette intégration porte atteinte de façon importante aux droits des d'autres élèves.

[338]     L'examen de ces facteurs amène à conclure qu'il revient à la commission scolaire d'établir, une fois le lien entre la distinction et le motif du handicap établis par la partie demanderesse, qu'elle a procédé à l'évaluation et au classement de Joël en conformité avec les prescriptions de la Charte et de la L.I.P. puisque c'est à celle-ci qu'incombe l'obligation d'évaluer l'élève et de déterminer dans quelle mesure son intégration en classe ordinaire ou son classement en classe spécialisée répondra à son meilleur intérêt.

[339]     Exiger de la partie demanderesse qu'elle prouve que le classement en classe spécialisée n'est pas dans l'intérêt de l'enfant risquerait d’éroder le droit garanti aux articles 10 et 40 de la Charte et de faire perdre tout son sens à la norme générale d'intégration.

[340]     C'est donc à la commission scolaire que revient le fardeau de présenter les éléments de preuve qui ont fondé sa décision voulant que le classement de l'élève a été fait dans son meilleur intérêt, en tenant compte des adaptations nécessaires pouvant favoriser son intégration en classe ordinaire. Rappelons que les dispositions de la L.I.P. donnent aux commissions scolaires la responsabilité d'organiser les services éducatifs aux élèves handicapés en fonction de l'évaluation de leurs capacités et de leurs besoins particuliers dans une norme générale d'intégration qui respecte leur droit à l'égalité.

[341]     Dans l'arrêt Eaton, la Cour suprême prend soin de préciser les responsabilités qui incombent à l'instance décisionnelle :

Pour cette raison, l’instance décisionnelle doit en outre s’assurer que sa décision au sujet de l’arrangement approprié dans le cas d’un enfant en difficulté soit prise dans une optique subjective et orientée vers l’enfant, qui tente de rendre l’égalité significative du point de vue de l’enfant par opposition à celui des adultes qui l’entourent. Pour atteindre ce but, elle doit également s’assurer que le genre d’arrangement choisi est dans l’intérêt de l’enfant. Une instance décisionnelle doit déterminer si le cadre intégré peut être adapté pour répondre aux besoins spéciaux d’un enfant en difficulté. Lorsque ce n’est pas possible, c’est-à-dire lorsque des aspects du cadre intégré qui ne peuvent pas raisonnablement être modifiés empêchent de répondre aux besoins spéciaux de l’enfant, le principe de l’arrangement exigera un placement spécial à l’extérieur de ce cadre.[168] (nos soulignements)

[342]     La Cour d'appel du Québec précisait en ces termes la responsabilité de la commission scolaire :

ii. Une fois ce portrait de l’enfant établi, la commission scolaire doit se demander, dans la mesure des forces et des limites de l’enfant, si ses apprentissages ou encore son insertion sociale seraient facilités dans une classe ordinaire. À cette étape, elle doit élaborer un plan d'intervention envisageant toutes les adaptations raisonnables pouvant permettre une intégration de l’enfant en classe ordinaire, toujours dans le but que l’intégration profite à son intérêt. Ainsi, la règle générale d’intégration est respectée, l’intégration étant recherchée dans les limites de l’intérêt de l’enfant.[169] (nos soulignements)

[343]     Ce n'est qu'après avoir établi la portée du droit à l'instruction publique, en pleine égalité, qu'une dérogation de contrainte excessive peut justifier une atteinte à ce droit, le cas échéant.

[344]     À ce titre, la lecture de l'article 40 de la Charte ne nous indique aucune dérogation possible autre que celle prévue par la loi. Or, le libellé de l'article 235 de la L.I.P. prévoit, d'une part, les conditions préalables à l'intégration et, d'autre part, la dérogation à cette intégration à savoir «qu'elle ne constitue pas une contrainte excessive ou ne porte pas atteinte de façon importante aux droits des autres élèves».

[345]     Cette approche est conforme aux principes établis en matière de législation sur les droits de la personne. Dans l'arrêt Via Rail, la Cour suprême du Canada mentionnait que :

Ce qui constitue une contrainte excessive dépend des facteurs pertinents sur le plan des circonstances et des mesures législatives qui régissent chaque cas.[170] (nos soulignements)

[346]     Dans l'arrêt Meiorin, la Cour suprême, énumérant les facteurs pertinents à considérer dans la détermination d'une contrainte excessive, précisait en ces termes que :

Les divers facteurs ne sont pas consacrés, sauf dans la mesure où ils sont inclus ou écartés expressément par la loi.[171] (nos soulignements)

4.2.7 La discrimination systémique

[347]     La Cour suprême du Canada a reconnu dès 1987, dans l'arrêt Action Travail des Femmes[172], que la discrimination pouvait découler de certaines pratiques ou de comportements associés à la présence de stéréotypes, intentionnels ou non. La discrimination dont il s'agit est alors dite «systémique». Dans cet arrêt clé en matière de discrimination systémique, le juge en chef Dickson souligne le caractère parfois involontaire de ce genre de discrimination :

[L]a discrimination systémique est souvent involontaire. Elle résulte de pratiques et de politiques établies qui, en fait, ont une incidence négative sur les perspectives d'embauche et d'avancement d'un groupe particulier. À cela s'ajoutent les attitudes des administrateurs et des collègues de travail qui acceptent une vision stéréotypée des compétences et du "rôle approprié" du groupe touché, laquelle vision conduit à la conviction ferme que les membres de ce groupe sont incapables de faire un certain travail, même si cette conclusion est objectivement fausse.[173]

[348]     Dans cet arrêt, la Cour suprême du Canada devait déterminer si le Tribunal canadien des droits de la personne avait le pouvoir d'imposer à un employeur un programme conçu expressément pour répondre au problème de la discrimination systémique dans l'embauche et la promotion d'un groupe désavantagé, dans le cas en l'espèce, les femmes. Le juge en chef Dickson s'était alors inspiré grandement de l'étude exhaustive de la discrimination systémique qu'avait préparée la juge Abella, alors unique commissaire de la Commission royale sur l’égalité en matière d’emploi, dans son rapport[174]. Le juge en chef s'exprimait ainsi :

Quoique le juge Abella ait choisi de ne pas donner une définition précise de la discrimination systémique, on peut en glaner l'essentiel dans les commentaires suivants, que l'on trouve à la p. 2 de son rapport:

[…] La question n'est pas de savoir si la discrimination est intentionnelle ou si elle est simplement involontaire, c'est-à-dire découlant du système lui-même. Si des pratiques occasionnent des répercussions néfastes pour certains groupes, c'est une indication qu'elles sont peut-être discriminatoires. Voilà pourquoi il est important d'analyser les conséquences des pratiques et des systèmes d'emploi.

En d'autres termes, la discrimination systémique en matière d'emploi, c'est la discrimination qui résulte simplement de l'application des méthodes établies de recrutement, d'embauche et de promotion, dont ni l'une ni l'autre n'a été nécessairement conçue pour promouvoir la discrimination. La discrimination est alors renforcée par l'exclusion même du groupe désavantagé, du fait que l'exclusion favorise la conviction, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du groupe, qu'elle résulte de forces «naturelles».[175]

[349]     Cette perception négative des capacités d'un groupe touché, qui parfois découle de pratiques bien établies dans la structure organisationnelle, constitue le fondement même des pratiques qui mènent à l'exclusion dont faisait état le juge Dickson.

[350]     Les faits de l'affaire Action Travail des Femmes avaient révélé divers types de perceptions et d'attitudes négatives au sujet de la capacité des femmes à effectuer un travail manuel, réduisant du coup leur chance d'intégrer un milieu de travail traditionnellement réservé aux hommes.

[351]     Dans une décision récente en matière d'embauche et d'emploi, le Tribunal concluait à l'existence de discrimination en s'appuyant essentiellement sur la jurisprudence établie en matière de discrimination systémique. Bien que cette décision soit portée en appel, le droit applicable n'est pas en l'espèce remis en question. Dans son analyse, le Tribunal rappelait la difficulté et les efforts que requiert la suppression de la discrimination systémique en tant que forme de discrimination la plus subtile :

Tel que reconnu dès la fin des années '80, dans la foulée du rapport Abella sur l'égalité en emploi et de l'arrêt Action Travail des femmes, la mise en œuvre de mesures d'embauche visant à contrer la sous-représentation des femmes dans des milieux d'emploi traditionnellement masculins requiert la mobilisation énergique de l'ensemble des acteurs (employeur, syndicat et salariés) concernés, et ce, sans oublier l'apport décisif et la valeur d'exemple découlant de l'implication de la haute direction d'une entreprise. En raison de la complexité et des facteurs multiples contribuant au maintien de la discrimination systémique, sa suppression requiert en effet une ferme volonté de la combattre de la part des dirigeants qui, à cette fin, doivent envoyer un message clair à tous les échelons de l'entreprise et y affecter les ressources professionnelles compétentes en la matière.[176]

[352]     Bien que cette décision ait été rendu en matière d'emploi, la jurisprudence a reconnu que les manifestations de discrimination systémique peuvent s'exercer dans les domaines des services publics, de l'éducation, du logement ou en toute autre matière et en tout lieu et ce, tant aux niveaux des pratiques individuelles, qu'institutionnelles.

[353]     Le Tribunal canadien des droits de la personne dans la décision Green[177], rendue en 1998, a également conclu à l'existence de discrimination systémique dans une affaire où les candidats à un poste de gestionnaire présentant une dyslexie dans le traitement d'informations auditives pouvaient se trouver exclus en raison des difficultés qu'ils éprouvaient à réussir un test d'aptitude linguistique.

[354]     Selon le Tribunal canadien, malgré les théories en apparence bien développées dans le domaine de l'équité en emploi et des droits de la personne au sein de la Commission de la fonction publique, un manque de compréhension de la nature des troubles d'apprentissage présentés par la candidate et des mesures à prendre pour en tenir compte a conduit à une situation de discrimination à l'égard de la plaignante qui présentait une dyslexie. Le Tribunal canadien en vient à la conclusion que les lacunes dans la formation du personnel sont la source de l'incapacité générale de substituer les théories officiellement adoptées aux pratiques qui sont en place, rendant pour ainsi dire impossible leur mise en œuvre.

Presque toute la preuve présentée au tribunal, par les témoins cités à comparaître par toutes les parties, donne l'impression que l'on retrouve dans les programmes et les documents écrits des théories solides et bien développées dans le domaine de l'équité en matière d'emploi et des droits de la personne.

La preuve semble indiquer que les employés intéressés, bien qu'ayant de bonnes intentions, avaient reçu peu de formation, s'ils en avaient reçu, sur la théorie de l'accommodement. La preuve révèle en outre qu'ils n'avaient pas le pouvoir de faire des recommandations et de prendre une décision concernant la nécessité de tenir compte des besoins d'une personne atteinte d'un trouble d'apprentissage dans les cas où la méthode habituelle, savoir le processus d'orientation, ne permettait pas d'établir sa capacité de suivre un cours de langue seconde.

[…]

Les droits qu'avait Mme Green en tant que personne souffrant d'une déficience - le droit à ce que l'employeur s'efforce de tenir compte de cette déficience «sans s'imposer de contrainte excessive» afin de lui donner des chances égales d'avancement dans sa carrière - s'inscrivaient dans la politique de la Commission de la fonction publique. Il semblerait, toutefois, selon la preuve que les attitudes et les pratiques existantes créaient une situation l'empêchant d'appliquer ses propres directives relatives aux droits de la personne et à l'équité en matière d'emploi. [178]

[355]     La Commission fédérale de la fonction publique invoquait que pour des raisons administratives il lui était impossible de prendre des mesures adaptées à la condition de madame Green, la plaignante. Le Tribunal canadien a considéré que les attitudes institutionnelles et les pratiques existantes ont empêché la Commission d'appliquer ses propres directives en matière de droits de la personne et ce, même après avoir découvert le handicap de la plaignante, madame Green. Le Tribunal canadien a conclu que l'on n'a pas davantage tenu compte de la possibilité que le test constitue un obstacle systémique pour d'autres personnes atteintes d'un handicap alors même qu'on avait découvert que la dyslexie de la plaignante constituait un obstacle majeur à son embauche.

[356]     Dans la décision Gaz métropolitain, le Tribunal rappelle la difficulté de faire la preuve de discrimination systémique en raison des ramifications sociétales complexes et subtiles souvent inconscientes qui peuvent en expliquer les causes :

Les fondements sociétaux de la discrimination systémique, ses manifestations subtiles et le fait qu'elle découle de motivations habituellement inconscientes ne sont pas sans conséquence sur les difficultés, pour la partie en demande, d'en établir par prépondérance de preuve l'existence à travers ses diverses manifestations.[179]

[357]     Le Tribunal définit alors ainsi la discrimination systémique :

Aussi, le Tribunal juge opportun de définir aujourd'hui la discrimination systémique comme la somme d'effets d'exclusion disproportionnés qui résultent de l'effet conjugué d'attitudes empreintes de préjugés et de stéréotypes, souvent inconscients, et de politiques et pratiques généralement adoptées sans tenir compte des caractéristiques des membres de groupes visés par l'interdiction de la discrimination.[180]

[358]     Puisque l'une des caractéristiques de la discrimination systémique est l'effet disproportionné d'exclusion résultant de pratiques, de politiques et d'attitudes généralisées, la preuve statistique peut s'avérer utile à titre d'indice de discrimination systémique sans par ailleurs que celle-ci ne soit absolument nécessaire pour déterminer la présence ou non de ce type de discrimination. Compte tenu de la difficulté très souvent, pour le plaignant, d'établir la preuve de données qu'il n'a pas en sa possession, cette obligation constituerait un fardeau trop exigeant pour le plaignant.

[359]     Dans la décision Radek[181], le Tribunal des droits de la personne de la Colombie-Britannique établit que la preuve statistique n'est pas indispensable afin de démontrer l'existence de discrimination systémique découlant d'un ensemble de pratiques en apparence neutre mais ayant des effets disproportionnés d'exclusion sur certains individus présentant des caractéristiques protégées par les lois sur les droits de la personne, en l'occurrence sur des personnes autochtones et présentant un handicap. Le Tribunal des droits de la personne de la Colombie-Britannique précise en ces termes le fardeau de preuve relatif aux données statistiques lorsqu'il est question d'allégations de discrimination systémique :

The evidence as a whole should be considered to determine if practices or attitudes are present which have the effect of limiting persons' opportunities due to their membership in one or more protected groups. In this regard, evidence about the attitudes of the respondents and their employees, evidence of the written and unwritten policies of the respondents, and evidence of the respondents' actual practices, both generally and in particular circumstances, may all be relevant to, and probative of, the question of whether systemic discrimination is present.[182] (nos soulignements)

[360]     Considérant que l’objectif visé par les lois sur les droits de la personne est d’enrayer tant l’objet que l’effet de toute mesure discriminatoire afin d'octroyer, le cas échéant, des réparations utiles, efficaces et appropriées, la nature de la preuve requise aux fins d’établir une situation de discrimination systémique pourra être analysée avec souplesse en tenant compte de la spécificité de chaque cas.

5. L'ANALYSE DE LA PREUVE

[361]     L'adaptation des services éducatifs constitue le pré-requis fondamental afin que s'exerce le droit à l'égalité, sans discrimination, des élèves handicapés. La jurisprudence relative au droit à l'égalité en cette matière établit que la norme d'intégration requiert que les services soient adaptés en fonction de l'évaluation de l'élève, c'est-à-dire selon ses besoins et ses capacités et ce, après avoir envisagé toutes les mesures d'adaptation qui favoriseraient son intégration en classe ordinaire.

[362]     Bien que l'intégration en classe ordinaire ne constitue pas une norme impérative a priori, la norme d'égalité impose que le classement soit établi à la suite d'un processus d'évaluation individualisé qui envisage toutes les mesures d'adaptation possibles et qui tende à privilégier cette option. Le respect de ce processus garantit que chaque élève sera évalué dans le respect de ses différences, sans assimilation à la norme d'évaluation dominante.

[363]     La Commission conteste les classements de Joël, pour les années 2006-2007 et 2007-2008, l'orientant en classe spécialisée avec quelques heures seulement en classe ordinaire pour les cours de «spécialités». De plus, la Commission allègue que l'exclusion disproportionnée des élèves handicapés ou en difficulté d'adaptation ou d'apprentissage découle du système lui-même, lequel n'est pas conçu pour privilégier concrètement l'intégration en classe ordinaire de ces élèves.

[364]     Le Tribunal conclut que pour l'ensemble des années scolaires pertinentes au litige, soit les années 2005-2006, 2006-2007, 2007-2008 et 2008-2009, la Commission scolaire des Phares n’a pas procédé à l'évaluation, au classement et à l’intégration de Joël en conformité avec les prescriptions de la Charte.

[365]     Compte tenu des lacunes existantes dans la formation des enseignants au niveau de l'adaptation des interventions aux besoins des élèves présentant une déficience intellectuelle et une trisomie 21, Joël n'a pas été évalué et intégré en fonction de ses habiletés et de ses besoins propres. De plus, la «démarche d'évaluation personnalisée» et les différents «outils» d'évaluation qui ont été appliqués à Joël n'ont pas démontré que la Commission scolaire des Phares a envisagé des mesures d'adaptation individuelles susceptibles de favoriser l'intégration en classe ordinaire de Joël prenant en compte ses capacités et ses besoins. Il en découle qu'il est impossible de déterminer si les décisions relatives aux classements de Joël pour les années scolaires en litige reflétaient son meilleur intérêt.

[366]     Malgré l'adoption d'une démarche conduisant à la création d'une multitude de nouveaux outils d'évaluation uniformisée pour les élèves EHDAA, comportant son lot de redondances, certains de ces outils n'ayant même pas fait encore l'objet d'une appropriation de la part des professeurs au moment de leur application à Joël, le Tribunal conclut que la démarche et les outils adoptés par la Commission scolaire des Phares ne favorisent pas une évaluation qui permette d'envisager des mesures d'adaptation individualisées selon les capacités et besoins de Joël, en fonction de son handicap propre. Principalement, le Tribunal conclut que des lacunes dans la formation du personnel enseignant et administratif sont la source de l'incapacité générale de substituer les nouvelles théories de la «Démarche» officiellement adoptées aux pratiques existantes, rendant ainsi impossible de «prendre le virage du succès» tel qu'envisagé par la Politique de l'adaptation scolaire[183], adoptée par le ministère de l'Éducation en 1999, ainsi que la mise en œuvre du droit de Joël à l'intégration en classe ordinaire, dans la mesure où cela respecte son meilleur intérêt.

[367]     La Commission scolaire des Phares n'a pas pris les moyens nécessaires afin de rendre possible l'intégration de Joël en classe ordinaire, dans la mesure où cela rejoindrait son meilleur intérêt. Partant, elle ne s’est pas acquittée correctement de son devoir quant aux prescriptions énoncées par la Cour d'appel du Québec[184].

[368]     De plus, le Tribunal constate que l'adoption de cette multitude «d'outils» s'inscrit plus largement dans une culture organisationnelle de pratiques qui, s'ajoutant à une culture pédagogique en matière d'intégration scolaire produisent des effets disproportionnés d'exclusion pour les élèves présentant des difficultés d'apprentissage reliées à une DIMS ou à une trisomie 21.

[369]     La Commission allègue que les décisions de classement  ont été prises dans le contexte d'un système qui organise les services adaptés essentiellement dans les classes spéciales, principalement lorsque l'élève présente une déficience intellectuelle.

[370]     Comme le Tribunal l'a exposé dans le droit applicable, la discrimination systémique résulte de l'effet combiné d'attitudes, de stéréotypes et de préjugés, souvent involontaires, ainsi que de la difficulté à modifier les méthodes et les pratiques individuelles et les structures organisationnelles mises en place depuis longtemps sans tenir compte des caractéristiques des groupes ou des individus visés par l'interdiction de discrimination. 

[371]     La discrimination systémique comporte donc un aspect plus diffus que l'acte discriminatoire isolé, circonscrit dans le temps. Dans un litige découlant de l'application des dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne[185] en matière d'équité salariale, la Cour fédérale rappelait que :

La discrimination systémique est un phénomène continu qui a des origines profondes dans l'histoire et dans les attitudes sociétales. Elle ne peut être isolée sous forme d'acte ou de déclaration unique. Par sa nature, elle s'étend sur une certaine période.[186]

[372]     Ce faisant, et pour les raisons qui suivent, le Tribunal conclut que la Commission scolaire des Phares a porté atteinte à la reconnaissance et à l'exercice du droit de Joël à l'instruction publique gratuite, en pleine égalité, sans discrimination fondée sur le handicap, contrairement aux articles 4, 10 et 40 de la Charte. Par la même occasion, la Commission scolaire des Phares a porté atteinte au droit de Joël et de ses parents, madame Jeannette Pelletier et monsieur Robert Potvin, à la reconnaissance et à l'exercice en pleine égalité de leur droit au respect de leur dignité sans discrimination, contrairement aux articles 4 et 10 de la Charte.

[373]     Quant aux conclusions concernant la discrimination systémique, toute l'analyse de la preuve relative à l'intégration et l'encadrement de Joël ainsi que celle relative au processus ayant conduit aux décisions de classement à l'effet qu'il serait dans l'intérêt de Joël de faire la grande majorité de ses apprentissages en classe spécialisée, nous fait conclure à l'existence d'une discrimination systémique à l'endroit des élèves ayant une déficience intellectuelle à la Commission scolaire des Phares.

5.1 L'encadrement et les conditions d'intégration de Joël

5.1.1 En 2005-2006

 

[374]     Le Tribunal doit d'abord examiner la période scolaire 2005-2006 puisque le classement contesté par la Commission pour la période de 2006-2007 résulte de l'enseignement adapté dont a bénéficié Joël pendant cette période ainsi que des méthodes d'évaluation qui lui ont été appliquées.

[375]     En 2005-2006, Joël fréquente la classe ordinaire à mi-temps avec madame Johanne Tremblay. Il s'agit pour celle-ci de sa première année d'enseignement à l'école l'Aquarelle.

[376]     La classe compte 25 élèves de 4ème et 5ème année dont 5 avec des troubles de comportement. C'est la première fois que madame Tremblay reçoit un enfant trisomique ou un élève présentant une déficience intellectuelle dans sa classe depuis qu'elle a sa permanence en 2000.

[377]     Bien que cette inexpérience ne constitue pas, en elle-même, un facteur préjudiciable pour Joël, la preuve démontre des lacunes importantes au niveau de la formation et de l'encadrement nécessaires à la réussite de l'intégration harmonieuse de Joël en classe ordinaire.

[378]     Malgré le manque d'expérience de madame Tremblay en matière d'intégration scolaire d'élèves trisomiques ou présentant une DIMS, celle-ci ne reçoit en début d'année qu'une seule journée de formation générale sur le programme d'étude adapté de l'école québécoise et sur la déficience intellectuelle.

[379]     Interrogée par la procureure de la Commission sur ce qu'elle a appris de cette formation, madame Tremblay témoigne qu'elle n'avait pas besoin de moyens d'adaptation particuliers dans le cadre de l'enseignement qu'elle donnait à Joël. Elle s'exprime ainsi lors de son témoignage :

Nous quand on enseigne on est habitué de toujours travailler en fonction des besoins puis des capacités d'un enfant, des enfants. Puis dans nos classes tous les enfants sont différents, je ne portais pas plus d'attention que de l'un ou que de l'autre: Joël était dans la classe comme un autre et je travaillais pour que ce soit le plus simple pour lui.[187]

[380]     Interrogée sur ce qu'elle avait appris plus précisément quant à la façon d'adapter son enseignement pour Joël, elle ajoute : «moi je n'avais pas besoin d'une formation proprement dit parce que ça fait 21 ans que j'enseigne et que j'adapte toujours»[188]. Madame Tremblay mentionne que l'enseignement c'est savoir adapter : «Tout ce que j'avais à faire c'était d'aller chercher des notions spéciales pour la compréhension de Joël, pour que cela soit plus signifiant pour lui»[189]. Quant à l'adaptation du matériel, elle découpait des images et grossissait les lettres pour qu'il comprenne la tâche à faire.

[381]     En cours d'année, madame Tremblay ne reçoit aucune formation spécifique sur la façon d'envisager les mesures d'adaptation qui pourraient être appliquées à un enfant trisomique et présentant une déficience intellectuelle moyenne comme Joël afin de favoriser son intégration en classe ordinaire.

[382]     Le témoignage de madame Banville, l'enseignante de Joël en classe spécialisée, est au même effet. Bien qu'elle n'ait pas d'expérience avec des enfants trisomiques et qu'elle n'ait eu à travailler qu'une seule fois en 2002-2003 avec un élève présentant une déficience intellectuelle alors qu'elle travaillait pour les services régionaux, la Commission scolaire des Phares ne lui offre qu'une formation générale d'une journée en début d'année sur le programme d'étude adaptée et sur la déficience intellectuelle. Contre-interrogée sur ce qu'elle a retenu de cette formation, madame Banville mentionne qu'on lui a donné de l'information sur la façon de répondre aux besoins de l'élève dans la planification, sans toutefois pouvoir préciser de façon plus détaillée.

[383]     Tout comme madame Tremblay, madame Banville mentionne que les conseillères pédagogiques sont passées à plusieurs reprises dans sa classe pour lui donner du support. Pourtant, lors de son témoignage, madame Banville ne peut préciser ce qu'elle entend par l'expression «à plusieurs reprises». En fait, elle est incapable de dire si c'est une fois par mois ou une fois par semaine. Or, madame Trudeau, qui est la principale accompagnatrice des enseignantes de Joël à partir de mars 2006, se rappelle n'avoir observé Joël en classe qu'une seule fois entre mars et juin 2006 et ce, en classe ordinaire.

[384]     Le Tribunal ne peut que constater combien les lacunes au niveau de l'encadrement donné par la Commission scolaire des Phares à l'enseignante chargée de recevoir Joël en classe ordinaire indiquent un manque de réalisme face aux défis à surmonter lorsqu'il s'agit d'ajuster les pratiques existantes à la norme privilégiée d'intégration.

[385]     Il convient ici de rappeler l'orientation fondamentale adoptée par le ministère de l'Éducation en 1999 :

L'orientation fondamentale, centrée sur la réussite des élèves handicapés ou en difficulté, amène une nouvelle perspective en ce qui concerne l'intervention auprès d'eux. Elle invite le milieu scolaire et ses partenaires à une réflexion sur la contribution que peut apporter l'adaptation scolaire à la réussite des élèves en misant sur la créativité et l'engagement sincère du personnel de l'école pour ce qui est d'ajuster ses pratiques et de relever les défis sous-jacents à cette orientation fondamentale.[190] (nos soulignements)

[386]     Les lacunes constatées sont d'ailleurs le reflet des résistances qui persistent au sein de la direction de l'école l'Aquarelle quant aux changements que requièrent la reconnaissance des droits des personnes handicapées et leur intégration scolaire et sociale. Ainsi, madame O'Breham, la directrice de l'école l'Aquarelle, témoigne lors de son interrogatoire après défense qu'elle n'a pas requis de ressources additionnelles afin d'aider l'enseignante de la classe ordinaire qui, selon elle, est déjà une pédagogue de la différentiation : «elle en fait dans ses classes à chaque jour»[191].

[387]     Madame O'Breham dirige une des trois écoles primaires où est orientée la grande majorité des élèves EHDAA. Pourtant, elle n'a pas d'expérience ni d'expertise concernant l'intégration en classe ordinaire et les conditions d'adaptation nécessaires.  Malgré toute la bonne volonté dont elle a pu faire preuve tout au long de l'année scolaire à l'égard de la situation de Joël ou d'élèves EHDAA, elle n'a pas su développer de stratégie ou de façon de faire pour favoriser l'orientation en classe ordinaire pour ses élèves. 

[388]     Le Tribunal conclut qu'il s'agit là d'un manque de compréhension de ce que veut dire, concrètement, la norme générale d'intégration en classe ordinaire.

[389]     La même situation prévaut en ce qui concerne la technicienne en éducation spécialisée qui travaille avec madame Tremblay en classe ordinaire. Ainsi, lors de la réunion du Comité d'aide pédagogique du 3 mars 2006[192], la technicienne en éducation spécialisée mentionne qu'elle écrit pour Joël les réponses qu'il lui fournit verbalement. Selon elle, il s'agit d'une façon d'adapter l'enseignement. Madame Pelletier, la mère de Joël, s'est dite en désaccord avec cette façon de faire car cela n'était pas de nature à inciter Joël à écrire de façon autonome.

[390]     Bien que madame Pelletier souligne, lors d'une rencontre visant la présentation de la démarche d'évaluation personnalisée de Joël le 19 avril 2006, que la technicienne ne semble plus savoir comment adapter le matériel et qu'elle se demande pourquoi le soutien d'une orthopédagogue n'est pas offert à l'enseignante afin d'adapter le matériel, madame O'Breham se contente de lui expliquer que l'adaptation relève de «la conseillère pédagogique en collaboration avec les enseignantes de la classe ordinaire et de la classe spécialisée qui travaillent ensemble»[193].

[391]     Le Tribunal constate aussi l'absence d'encadrement nécessaire dont aurait pu bénéficier madame Tremblay afin de combler son inexpérience dans l'intégration scolaire d'élèves présentant une déficience intellectuelle.

[392]     À ce titre, madame Tremblay a dit bénéficier de l'accompagnement, au besoin, des deux conseillères pédagogiques de la Commission scolaire des Phares qui sont à sa disposition pour répondre à ses questions. La preuve démontre que madame Johanne Trudeau agit plus spécialement en tant que conseillère pédagogique au dossier de Joël à partir de mars 2005. Or, il appert que cette personne-ressource, sur qui peut compter madame Tremblay, n'avait pas acquis d'expérience en intégration scolaire d'élèves trisomiques ou ayant une DIMS avant d'entreprendre son mandat de conseillère pédagogique auprès de l'équipe-école qui s'occupait de Joël, en mars 2006.

[393]     Bien qu'elle agisse en tant que conseillère pédagogique pour madame Tremblay, madame Trudeau n'aurait elle-même reçu qu'une journée de formation sur les mesures d'adaptation à mettre en place pour réussir l'intégration des élèves handicapés présentant des difficultés d'apprentissage, en mars 2006. Elle mentionne aussi avoir reçu une formation continue de la part de madame Louise Dionne et ce, à l'occasion de conversations qu'elle a eues avec elle.

[394]     Madame Trudeau a aussi mentionné que sa formation consistait en des lectures sur le sujet, sans pour autant pouvoir citer un ouvrage en particulier. Contre-interrogée quant à savoir ce qu'elle en retenait, elle mentionne que ces élèves doivent faire des apprentissages qui aient une signifiance dans leur quotidien et qui soient utiles et fonctionnels. Bien qu'elle soit conseillère pédagogique en adaptation scolaire, elle dit ne pas être au courant de l'existence d'études portant sur les avancées scientifiques ou les bienfaits de l'intégration en classe ordinaire pour les élèves ayant une déficience intellectuelle moyenne à sévère (DIMS).

[395]     Bien que l'enseignante de la classe ordinaire ait mentionné à plusieurs reprises qu'elle pouvait compter sur le support de la conseillère pédagogique, madame Trudeau, la preuve indique que celle-ci n'a observé Joël en classe ordinaire qu'une seule fois, soit le 26 avril 2006.

[396]     Madame Lorraine Doucet, qui a été entendue à titre d'orthopédagogue et formatrice, experte en intégration scolaire des enfants présentant une trisomie et une déficience intellectuelle, a examiné le contenu de l'ensemble de la formation offerte par la Commission scolaire des Phares, plus particulièrement celle visant l'intégration en classe ordinaire des élèves présentant une déficience intellectuelle moyenne à sévère (DIMS).

[397]     Madame Doucet indique, tant dans son rapport que lors de son témoignage, que l'intégration scolaire d'enfants trisomiques ou présentant une DIMS implique que la formation donnée aux enseignants qui reçoivent de tels élèves dans leur classe doit nécessairement contenir certains sujets spécifiques se rapportant aux dimensions de la trisomie, à la sensibilisation sur l'intégration à la classe ordinaire, à l'évaluation inclusive des capacités et besoins de l'élève et à l'adaptation de l'enseignement sur la base des capacités et des besoins de l'élève.

[398]     Bien que madame Doucet reconnaisse l'existence et la qualité des formations qui sont dispensées aux enseignants de la Commission scolaire des Phares pour les élèves présentant des troubles d'apprentissage, des troubles de comportement ou de la dyslexie, elle constate toutefois qu'aucun des documents portant sur la sensibilisation de l'intégration de l'élève présentant une trisomie ou une DIMS n'a été trouvé dans la documentation provenant de la Commission scolaire des Phares.

[399]     Madame Doucet a témoigné qu'il existe déjà des formations semblables dans certains services régionaux et commissions scolaires du Québec, lesquelles pourraient aider ou inspirer le développement de telles formations à la Commission scolaire des Phares.

[400]     La preuve révèle clairement des lacunes au niveau de la formation des intervenants auprès de Joël à ce niveau. La technicienne mentionne en cours d'année ne pas savoir comment adapter. Celle-ci doit référer à l'enseignante, laquelle n'a pas reçu la formation nécessaire et qui, elle-même, bénéficie de l'accompagnement ou du soutien d'une personne-ressource n'ayant pas d'expérience en intégration d'élèves trisomiques ou présentant une DIMS en classe ordinaire et qui, malgré cette inexpérience, accompagne l'équipe-école dans la «Décision-orientation» de 2006-2007.

[401]     Ainsi donc, la Commission scolaire des Phares ne pouvait s'acquitter sérieusement des tâches consistant à évaluer quels sont les besoins et capacités de Joël en vue de favoriser son intégration ni envisager quelles sont les mesures d'adaptation particularisées qui pourraient favoriser son intégration en classe ordinaire.

5.1.2 En 2006-2007

[402]     Le Tribunal constate, tout comme pour l'année précédente, l'insuffisance de formation et le manque d'encadrement nécessaire afin d'assurer que l'adaptation des services éducatifs à l'égard de Joël soit mise en œuvre en conformité avec les prescriptions de la Charte et celles de la L.I.P. Le Tribunal souscrit donc aux prétentions de la Commission quant aux lacunes existantes dans la formation et l'encadrement fournis aux enseignants sur l'intégration à la classe ordinaire d'élèves présentant une trisomie 21 et une déficience intellectuelle.

[403]     À l'instar de l'année précédente, les enseignants qui s'occupent de Joël ne reçoivent que très peu de formation sur les méthodes et les mesures d'adaptation nécessaires à l'intégration scolaire de Joël en classe ordinaire.

[404]      Madame Carole Marquis, qui est titulaire de la classe spécialisée de Joël pour l'année 2006-2007, est orthopédagogue de formation. La seule expérience qu'elle a eue avec des enfants trisomiques remonte à plus de 9 ans alors qu'elle avait reçu dans sa classe spécialisée 2 enfants de 12 ans présentant une trisomie. Elle ne possède aucune autre expérience avec des enfants présentant une déficience intellectuelle.

[405]     Si ce manque d'expérience ne peut constituer à lui seul une atteinte au droit de Joël à l'instruction publique sans discrimination, le Tribunal constate plusieurs lacunes dans l'encadrement et la formation de l'enseignante sur les mesures d'adaptation envisagées ou appliquées à Joël. Ces lacunes font en sorte que, sur le plan des pratiques, l'orientation d'intégration en classe ordinaire demeure loin d'être effective.

[406]     En début d'année scolaire, madame Marquis ne reçoit qu'une formation d'ordre général sur la révision des programmes d'études adaptés. Cette formation  d'une durée d'une heure et demi est donnée par mesdames Louise Dionne et Johanne Trudeau. Elle reçoit aussi une formation d'une demi-journée sur la trisomie 21 et assiste à la présentation d'un «PowerPoint» sur la méthode de lecture VPL.

[407]     De plus, le document «Bilan de soutien offert aux intervenants scolaires»[194] indique que madame Marquis n'a reçu, en cours d'année, qu'une seule formation intitulée «Introduction aux programmes d'études adaptés», le 24 novembre 2006.

[408]     Par ailleurs, les deux enseignantes de Joël ainsi que la TES ont insisté sur le fait que madame Trudeau constituait à elle seule une source de formation importante puisque celle-ci leur donnait, tout au cours de l'année, des pistes de solutions pour assurer l'autonomie et la réussite scolaire de Joël. Cet accompagnement constituait, selon elles, une sorte de formation continue.  

[409]     Selon madame Marquis, cette formation continue consistait en des observations de Joël en classe suivies de discussions lors des périodes libres. Cette formation d'une durée d'environ une heure à chaque fois, était donnée environ à chaque mois.

[410]     Toutefois, le contre-interrogatoire de madame Trudeau et la preuve documentaire[195] déposée par la Commission scolaire des Phares établissent que madame Trudeau, quelquefois accompagnée de madame Louise Dionne, a fait de l'observation en classe à 7 reprises au cours de l'année scolaire 2006-2007, dont 4 fois en classe spécialisée.

[411]     Le document «Bilan de soutien offert aux intervenants scolaires»[196] indique que  madame Joanne Tremblay, qui est la titulaire de classe ordinaire de Joël pour l'année scolaire 2006-2007, ne reçoit au cours de l'année qu'une formation pertinente à la situation de Joël intitulée «Démarche de planification et d'évaluation personnalisées des apprentissages des élèves EHDAA», le 10 novembre 2006.

[412]     Madame Trudeau n'ira observer Joël dans la classe ordinaire de madame Tremblay qu'à deux reprises au cours de l'année.

[413]     La preuve documentaire indique qu'une quinzaine d'autres rencontres de support ont été offertes aux enseignants. Toutefois, la lecture des comptes rendus[197] de ces rencontres ou de ces observations ne convainc pas le Tribunal que la Commission scolaire des Phares a organisé ses services de façon à favoriser l'intégration de Joël en classe ordinaire ni qu'elle a pris les dispositions afin de fournir un enseignement exempt de discrimination à Joël.

[414]     Plus particulièrement, les comptes rendus des observations en classe spécialisée des 21 septembre et 15 novembre 2006 ne nous renseignent que sur la mesure dans laquelle Joël peut faire les tâches ou comment certaines tâches sont trop difficiles pour lui. Ces comptes rendus sont essentiellement descriptifs et ne contiennent presque aucune référence aux mesures d'adaptation utilisées ou envisagées.

[415]     Faut-il s'étonner de constater que, deux mois plus tard, madame Trudeau résume en ces termes les constats d'une rencontre de support ayant eu lieu le 16 janvier 2007 avec l'enseignante de la classe spécialisée, madame Marquis? 

L'enseignante de la classe spécialisée semble démunie face aux activités à proposer à Joël, elle prend conscience qu'il devra souvent réaliser des activités parallèles au reste du groupe. Cette situation fait en sorte que la motivation de l'élève diminue grandement. Il lui est proposé d'essayer le plus possible d'adapter pour Joël les activités qui sont présentées aux autres élèves. Ce qui ferait en sorte que Joël réaliserait de façon partielle les activités proposées au reste du groupe.[198]

[416]     Lorsque mesdames Trudeau et Dionne questionnent l'enseignante de la classe spécialisée sur les compétences qui ont été ciblées dans les programmes d'études adaptés lors de l'étape de la planification selon la démarche de planification établie en début d'année scolaire, elles constatent ce qui suit :

Nous constatons alors que les compétences n'ont été ciblées que pour le français…l'enseignante n'a pas complété la Démarche de planification pour les mathématiques et les sciences. Nous prenons alors conscience que l'enseignante n'utilise pas la démarche de planification et d'évaluation auprès de Joël. Je lui propose alors de me rencontrer pour l'aider à planifier les compétences en lien avec les programmes d'études adaptés et en même temps échanger avec elle des différentes activités qu'elle pourrait proposer à Joël pour le français. L'enseignante préfère réaliser ce travail de planification seule et mentionne vouloir me le présenter par la suite, elle me donne ses disponibilités et nous convenons d'une rencontre vendredi le 1er février à 14h.[199] (nos soulignements)

[417]     Comment dans ce contexte peut-on alors envisager les mesures d'adaptation permettant de répondre aux besoins de Joël, dans son meilleur intérêt? Compte tenu des lacunes existantes en classe spécialisée, comment peut-on considérer sérieusement la mise en œuvre d'une intégration en classe ordinaire par «réinvestissement» des apprentissages de la classe spécialisée à la  classe ordinaire?

[418]     Il est difficile de concevoir comment les pratiques pédagogiques et l'encadrement de Joël peuvent, dans ce contexte, s'harmoniser concrètement avec la norme générale d'intégration laquelle implique nécessairement d'autres façons de concevoir l'adaptation des services éducatifs que par la simple multiplication d'outils d'évaluation ou de portraits synthèses de l'élève. 

[419]     Le compte rendu de l'observation faite le 11 janvier 2007 dans la classe ordinaire du cours de musique démontre encore une fois le manque de formation et de concertation. Il démontre aussi une méconnaissance des enjeux reliés à l'application de mesures d'adaptation particularisée à un élève trisomique ou présentant une DIMS. Il convient ici de reproduire certaines observations consignées par madame Trudeau au cours de la classe de musique :

Elle [TES] m'avise que c'est un examen aujourd'hui en musique. Les élèves avaient été invités à se pratiquer durant le temps des fêtes. Aucune demande n'avait été faite à Joël.

Quels sont les critères d'éval[uation] établis pour Joël?

Jo[ël] arrive dans le local de musique sans ses effets. Il part d[an]s la classe ord[inaire] chercher son sac à dos. Il revient, sort sa flûte et participe [soulignement de madame Johanne Trudeau] à la chanson de groupe que tous les élèves jouent à la flûte.

[…]

Joël a-t-il besoin de la présence de la TES en musique?

Suzanne constate que Joël n'est pas assis sur une chaise qui lui est adaptée. Ses pieds sont relevés et pour se donner appui il croise ses jambes.

Suzanne [TES] m'explique que des consignes sont écrites pour retrouver les couleurs écrites sur sa feuille. Jo[ël] n'arrive pas à les lire. Il a besoin de Suzanne. Ex: colore en rouge les cymbales, en jaune le tambour, etc… Reconnaît-il la couleur? Oui, dit Suzanne mais à l'intérieur de la consigne, il ne sait pas quoi faire. Et s'il y avait eu adaptation de la tâche pour qu'elle soit accessible à la compréhension de Jo [ël]?[200] (nos soulignements)

[420]     Il paraît pour le moins étonnant de constater que de telles observations et de telles interrogations sont formulées si tardivement au moment où près de la moitié de l'année scolaire est déjà écoulée d'autant plus que les mesures d'adaptation qui auraient pu être appliquées dans la situation ci-haut décrite se trouvaient déjà listées au plan d'intervention de Joël. La preuve indique qu'il s'agit de la première et seule fois où madame Trudeau fait l'observation de Joël en classe de musique. Le Tribunal ne peut que constater les lacunes au niveau des mesures d'adaptation appliquées par l'enseignante ou la TES et ce, même au niveau de ses apprentissages avec la classe spécialisée.

[421]     Notamment, la preuve est à l'effet que l'une des mesures d'adaptation spécifiquement ajoutée à la liste des «Mesures d'appui, de soutien et d'adaptation liées aux besoins de Joël Potvin dans la classe ordinaire pour l'années scolaire 2006-2007» prévoit de «[s]'assurer que le poste de travail soit toujours adapté en fonction des recommandations de l'ergothérapeute»[201].

[422]     L'examen des comptes rendus de rencontres nous indique d'ailleurs que les problèmes relevés par madame Trudeau semblent généralisés à l'enseignement donné à Joël.

[423]     Ainsi, dans un courriel envoyé le 17 janvier 2007 à la directrice madame O'Breham et où il est question d'une rencontre de support qui a eu lieu le 16 janvier 2007 avec l'enseignant du cours d'anglais, madame Trudeau écrit ce qui suit :

L'enseignant avoue être un peu démuni face aux activités à proposer à Joël. Étant donné que Joël fait partie d'un groupe dans lequel plusieurs élèves présentent des troubles de comportement, l'enseignant préfère proposer des tâches individuelles pour diminuer les échanges. Après avoir analysé les tâches présentées à Joël, nous convenons que ces dernières ont souvent un niveau de difficultés assez élevé pour Joël. Ces tâches nécessitent la présence constante d'un adulte, celui-ci doit souvent lire la consigne et guider Joël dans le choix de ses réponses. [202] (nos soulignements)

[424]     Les mesures d'adaptation proposées sont résumées par madame Trudeau dans son compte rendu :

Nous discutons également de la possibilité d'utiliser l'ordinateur pour écrire les réponses afin d'alléger le travail pour Joël. Nous discutons enfin de l'importance d'utiliser des activités beaucoup plus signifiante et en lien avec son vécu. Nous voyons également la possibilité d'utiliser le matériel du 1er cycle quand cela est possible et quand l'activité n'est pas trop détachée de l'âge chronologique de l'élève. Nous convenons enfin de modifier une des deux compétences afin qu'elle corresponde le plus aux besoins et capacités de Joël.[203] (nos soulignements)

[425]     Quant au compte rendu de l'observation du 6 février 2007, il est fait mention de la capacité de Joël à réaliser une activité adaptée à ses capacités même si toutefois il éprouve de la difficulté à s'arrêter de parler lorsqu'il échange avec le groupe. Il est recommandé d'utiliser le geste «arrêt» lorsqu'il s'étend trop longtemps. L'autre recommandation consiste à intégrer le lavage des mains dans la routine de Joël, les intervenantes de la classe ordinaire ayant soulevé le fait que Joël ne se lave pas les mains après être allé à la salle de bain.

[426]     Encore une fois, le Tribunal constate que la plupart des mesures d'adaptation proposées sont déjà prévues dans un document faisant partie intégrante du plan d'intervention de Joël[204]. Certaines autres, comme le lavage des mains ou la mention «arrêt», sont de facture si générale qu'elles peuvent même être considérées comme des consignes générales applicables à tous les enfants plutôt qu'en tant que mesures d'adaptation.

[427]     La liste du «Bilan du soutien offert aux intervenants scolaires»[205] préparé par la Commission scolaire des Phares indique qu'une trentaine d'interventions de support sont prévues au cours de l'année scolaire 2006-2007.

[428]     Bien que cette liste semble impressionnante à première vue, le Tribunal constate toutefois que ce «Bilan du soutien offert aux intervenants scolaires» ne dénombre que deux observations effectuées par madame Trudeau en classe ordinaire, soit les 18 septembre 2006 et 6 février 2007. Or, aucune recommandation relative aux mesures d'adaptation susceptible d'aider l'enseignante de la classe ordinaire n'est mentionnée au compte rendu du 19 septembre 2006, sauf pour dire que  l'on constate la limite de l'adaptation des activités et que l'on considère la possibilité de mettre Joël en activité parallèle.

[429]     Madame Trudeau fera une dernière observation de Joël en classe spécialisée le 20 février 2007. Bien que la preuve démontre que plusieurs observations de Joël avaient été initialement prévues, tant en classe ordinaire que spécialisée, ces observations n'auront jamais lieu.

[430]     Dans un courriel daté du 13 mars 2007 adressé à la directrice, madame Trudeau écrivait ceci :

Prends note des prochaines dates prévues :

Jeudi 15 mars AM: Rencontre de concertation avec les enseignantes pour faire l'évaluation des compétences;

Lundi 19 mars PM: Observation dans la classe spécialisée;

Mercredi 4 avril PM: Observation dans la classe ordinaire;

Mercredi 11 avril AM: Observation dans la classe spécialisée;

Mardi 1er mai PM: Observation dans la classe spécialisée;

Mardi 22 mai PM: Observation dans la classe ordinaire;

Mardi 29 mai AM: Observation dans la classe spécialisée.

[431]      La preuve démontre qu'à partir de la fin février 2007 les observations prévues en classe spécialisée ou ordinaire seront délaissées pour être remplacées par des rencontres visant l'encadrement des enseignants par la conseillère pédagogique en adaptation scolaire dans l'utilisation des outils d'évaluation et de planification personnalisée de l'élève. La preuve démontre ainsi les lacunes dans l'appropriation par les enseignants des outils adoptés par la Commission scolaire des Phares et ce, alors que près des deux tiers de l'année scolaire se sont déjà écoulés.

[432]     Aucune autre observation de Joël en classe ordinaire ou spécialisée n'aura lieu après le 20 février 2007[206], même si 4 périodes en classe spécialisée et 2 périodes en classe ordinaire avaient été prévues, tel qu'il appert du courriel envoyé par madame Trudeau à madame O'Breham le 13 mars 2007[207]. Ces périodes seront plutôt remplacées par des rencontres de support visant la révision des différents outils de planification des apprentissages et d'évaluation en vue de présenter le nouveau plan d'intervention et le classement de Joël pour l'année 2007-2008, dont une formation donnée le 16 avril 2007 à l'enseignante de la classe spécialisée sur la «Démarche de planification et d'évaluation personnalisée des apprentissages aux EHDAA»[208].

[433]     Quant à madame Suzanne Doucet, la TES s'occupant de Joël en classe spécialisée et en classe ordinaire, elle témoigne s'en remettre à madame Tremblay pour préparer les adaptations nécessaires aux apprentissages de Joël.

[434]     Madame Dubé, directrice-adjointe des services éducatifs à la Commission scolaire des Phares, témoigne qu'un temps de libération était prévu à l'horaire afin de favoriser le travail des enseignantes et des TES quant à l'adoption de mesures d'adaptation. Elle ne peut cependant dire à partir de quand ce temps de libération a été prévu. Elle mentionne de plus qu'aucune politique ne vient baliser dans un cadre de référence précis la question du temps de libération. Cette question dépend plutôt des besoins de chaque élève.

[435]     Toutefois, selon le témoignage de la TES pour cette année-là, aucun temps de libération n'est prévu autre que les rencontres faites après l'école, la veille du cours ou lors des rencontres du Comité d'aide pédagogique.

[436]     Ce témoignage est confirmé par celui de madame Marquis, laquelle indique que les rencontres de concertation avec l'enseignante de la classe régulière se faisaient lors de périodes libres comme par exemple pendant l'éducation physique, après l'école ou pendant la récréation.

[437]     Au niveau des ressources d'appui en orthophonie, aucune aide ne sera apportée aux enseignantes des classes spécialisée et ordinaire. Lors de la réunion du Comité d'aide pédagogique du 28 février 2007, les intervenantes auprès de Joël constatent pourtant que Joël a plus de difficulté à se faire comprendre et que son débit est plus rapide. Elles sont d'accord avec la mère pour dire qu'une évaluation en orthophonie serait nécessaire.

[438]     Bien que tous les intervenants aient confirmé les besoins de Joël relativement à une évaluation en orthophonie, aucune évaluation ne sera faite durant l'année scolaire, ni même avant juillet 2008.

[439]     Madame Caroline Pouliot, témoin expert en orthophonie qui a procédé à une évaluation de Joël totalisant six heures d'évaluation et trois heures d'intervention orthophonique à titre exploratoire, indiquait dans son rapport que Joël aurait dû bénéficier d'un suivi régulier en orthophonie afin d'améliorer l'intelligibilité de sa parole et un meilleur accès au langage écrit. Elle constate l'«impact négatif sur ses apprentissages scolaires et le développement de certaines habilités de langage»[209].

[440]     Le Tribunal conclut qu'il s'agit là d'une omission qui a un impact négatif sur le droit de Joël à l'instruction publique sans discrimination fondée sur le handicap alors que plusieurs intervenants ont été à même de constater les besoins de Joël à cet égard.  La Commission scolaire des Phares ne pouvait tout simplement s'en remettre au CRDI pour justifier l'absence d'évaluation en orthophonie.

[441]     À ce titre, la Commission a plaidé que rien n'explique pourquoi un expert en  orthophonie de la Commission scolaire des Phares n'a pas été mandaté en soutien à Joël et aux enseignantes.

[442]     Selon le Tribunal, il revenait à la Commission scolaire des Phares la responsabilité d'organiser et de mettre en place elle-même des services complémentaires «de soutien qui visent à assurer à l'élève des conditions propices d'apprentissage» tel que le prévoit l'article 4 du Régime pédagogique de l'éducation préscolaire, de l'enseignement primaire et de l'enseignement secondaire[210]. Il s'agit là de conditions préalables sans lesquelles il serait impossible de donner véritablement un sens à la norme d'égalité, au sens des articles 10 et 40 de la Charte, dans le domaine des apprentissages des enfants handicapés.

[443]     Il revient à la Commission scolaire d'éliminer les obstacles à l'égalité substantielle, à moins que cela ne lui cause un fardeau excessif ou que cela soit préjudiciable aux autres élèves. En l'espèce, aucune de ces situations ne faisait obstacle à ce que la Commission scolaire des Phares procure à Joël les services d'un expert et une évaluation en orthophonie.

5.1.3 En 2007-2008

[444]     En septembre 2007, Joël fréquente l'école l'Aquarelle, en classe spécialisée avec un horaire prévoyant une intégration en classe ordinaire de 6ième année, à raison de 6 heures par semaine[211].

[445]     C'est madame Carole Marquis qui, pour cette année encore, enseigne à Joël dans la classe spécialisée composée d'une douzaine d'enfants, de 11 et 12 ans. Joël est le seul élève de sa classe à fréquenter une classe ordinaire.

[446]     La titulaire de la classe ordinaire de Joël, qui regroupe 22 élèves, est madame Josée Mainville[212]. C'est la première fois qu'elle a un enfant ayant une trisomie 21 et une déficience intellectuelle dans sa classe. Elle n'a bénéficié que d'une formation d'une journée sur l'intégration des enfants déficients intellectuels donnée par mesdames Louise Dionne et Johanne Trudeau, en plus d'une formation d'une demi-journée sur le programme adapté pour savoir ce que Joël apprenait en classe spécialisée.

[447]     Tout comme c'était le cas de l'enseignante de l'année précédente, madame Mainville a témoigné avoir modifié les activités d'apprentissage avec l'aide de madame Johanne Trudeau en se référant aux activités préparées par madame Tremblay l'année précédente. La preuve documentaire déposée par la Commission scolaire des Phares indique que madame Trudeau n'a observé la classe ordinaire de madame Mainville qu'à 2 reprises durant l'année scolaire 2007-2008, soit le 19 décembre 2007 et le 22 février 2008[213].

[448]     Madame Julie Proulx est la technicienne en éducation spécialisée[214]. Elle accompagne Joël dans les deux classes, spécialisée et ordinaire, selon l'horaire qui a été établi en début d'année. Elle a travaillé avec des enfants ayant une déficience intellectuelle moyenne à sévère car elle a travaillé à l'école Paul-Hubert pendant sept à huit années mais dans le seul contexte de la classe spécialisée. C'est la première fois qu'elle travaille avec un enfant trisomique. Sa seule expérience d'intégration d'un enfant ayant une déficience intellectuelle en classe ordinaire se situe au niveau préscolaire.

[449]     Le Tribunal constate qu'à l'instar des années précédentes les enseignants n'ont pas bénéficié d'une formation adéquate, de ressources ou de services spécialisés, ni de matériel adapté.

[450]     À la fin de l'année 2007-2008, l'évaluation demandée en orthophonie n'a toujours pas été faite. La Commission scolaire des Phares considère que le classement pour l'année scolaire 2008-2009 ne peut se faire pour l'instant, le dossier de Joël étant incomplet. Toujours en attente de l'évaluation orthophonique, la directrice informe la mère de Joël que la directrice générale adjointe de la Commission scolaire des Phares, madame Marie Dubé, communiquera avec elle plus tard pour le classement de la prochaine année scolaire.

[451]      La décision de classement ne sera prise que le 28 août 2008, au moment de la rentrée scolaire, après que l'évaluation de l'orthophoniste eut été complétée, le 25 juillet 2008[215].

5.1.4 En 2008-2009

[452]     Bien que la Commission ne conteste pas la décision de classement pour l'année scolaire 2008-2009, les éléments de preuve concernant cette année scolaire sont pertinents dans la mesure où ceux-ci sont reliés aux questions qui nous sont soumises dans le cadre du présent litige.

[453]     La décision de classement de Joël pour l'année 2008-2009 indique que Joël pourra intégrer une classe ordinaire en cheminement particulier temporaire à l'école Saint-Jean. L'équipe-école en place doit donc procéder à l'élaboration d'un plan d'intervention pour Joël en très peu de temps.

[454]     Madame Édith de Champlain, la directrice de l'école Saint-Jean, tout comme madame O'Breham, n'a pas d'expérience ou d'expertise signifiante dans l'intégration scolaire d'élèves présentant un handicap ou une déficience intellectuelle.

[455]     Les enseignants de Joël pour l'année 2008-2009, madame Diane Dufresne et monsieur Normand Bouchard, ne reçoivent aucune formation sur l'intégration d'un enfant trisomique en classe ordinaire autre qu'une formation très générale.

[456]     Madame Dufresne a témoigné que lorsqu'elle a appris en début d'année qu'elle allait recevoir Joël dans sa classe, sa première préoccupation a été de savoir si on allait lui offrir du soutien ou des ressources additionnelles. Or, les ressources proposées en soutien aux enseignants sont comme, pour les années précédentes, l'accompagnement de mesdames Trudeau et Dionne. Tout se fait rapidement. Le Tribunal a pu constater comment le témoignage de madame Dufresne reflétait l'état de précipitation dans lequel elle a dû se préparer à l'intégration de Joël dans sa classe ordinaire.

[457]     Monsieur Bouchard quitte l'école vers la fin octobre.

[458]     C'est dans ce contexte que madame Pelletier remettra à la directrice de l'école Saint-Jean, madame Édith de Champlain, une lettre lui proposant les services de madame Lorraine Doucet, orthopédagogue spécialiste et formatrice en intégration scolaire d'enfants présentant une trisomie 21 et une déficience intellectuelle, afin d'apporter l'aide requise à l'intégration de Joël au secondaire[216].

[459]     Cette proposition sera rejetée par la directrice car, écrit-elle :

[N]ous avons à notre emploi des personnes qui ont la qualification et l'expérience pour outiller les élèves intégrés dans leur cheminement scolaire […] et mettre en place les adaptations raisonnables et faire vivre à Joël une belle intégration.[217]

[460]     Madame de Champlain rappelle par la même occasion que la direction de l'adaptation scolaire du ministère de l'Éducation, des Loisirs et des Sports (MELS) a mandaté une personne-ressource auprès de la Commission scolaire des Phares pour accompagner le développement des milieux et soutenir le développement de leur expertise. Il s'agit de madame Louise Dionne. Madame de Champlain termine en écrivant qu'il n'est pas exclu que la Commission scolaire des Phares puisse s'adresser à des personnes externes si cela s'avérait utile mais que, pour l'instant, il était fait entièrement confiance au personnel en place.

[461]     Or, la preuve est à l'effet que, dès la mi-octobre, les enseignants de Joël font part de leurs préoccupations face à son intégration. Madame Dufresne se sent démunie et ne sait plus comment adapter. La preuve est à l'effet que madame Trudeau n'est pas venue encore à ce jour observer sa classe.

[462]     Sans qu'aucune autre solution ne soit envisagée, un enseignement individualisé pour Joël sera finalement demandé par les professeurs à la fin octobre 2008, totalisant 8 périodes de 75 minutes réparties sur 9 jours. Cette option sera acceptée par madame Édith de Champlain, à peine quelques temps après qu'elle eut affirmé que le personnel en place répondait aux demandes.

5.2. Les décisions de classement découlant du processus d'évaluation

[463]     La Commission allègue que la décision de classement, en classe spécialisée pour la majorité du temps (75%) et en classe ordinaire pour une durée de 6 heures par semaine seulement (25%), a été prise sans avoir au préalable envisagé sérieusement les mesures d'adaptation possibles en classe ordinaire. Cette décision serait donc discriminatoire au sens de la Charte.

[464]     La Cour d'appel du Québec avait établi en 2006 quelles étaient précisément les obligations de la Commission scolaire des Phares à cet égard :

[89] En l’espèce, il ressort de la preuve, comme le constate le Tribunal, qu’aucune mesure d’accommodement n’a été envisagée pour déterminer si, avec l’aide de telles mesures, Joël pouvait, dans son meilleur intérêt, être intégré à une classe ordinaire. Les parents de Joël, aidés par le CRDI, ont d’ailleurs offert de payer une accompagnatrice spécialisée pour intégrer Joël en classe ordinaire. Or, l'appelante a refusé cette proposition afin de ne pas créer de précédent.

[90] L'appelante devait, avant de décider du classement de Joël, envisager des mesures d’accommodement qui auraient pu permettre qu’il soit intégré en classe ordinaire. L’omission de respecter cette étape essentielle dans le processus décisionnel menant au classement invalide la décision de l'appelante, telle que révisée le 19 novembre 2001.

[91] Il faut toutefois noter que le Comité de révision était favorable à une certaine intégration de Joël en classe ordinaire, pour quelques activités ou matières scolaires. Il a cependant confirmé, dans sa conclusion, la décision du 19 avril 2001 d’intégrer Joël en classe spécialisée, sans examiner les mesures d’accommodement qui auraient pu permettre de l’intégrer en classe ordinaire.[218] (nos soulignements)

5.2.1 La décision de classement pour l'année scolaire 2006-2007

[465]     Le Tribunal doit donc déterminer si le processus ayant mené à la décision de classement de Joël pour l'année 2006-2007, tel qu'appliqué par la Commission scolaire des Phares, respecte le droit de Joël a une évaluation non discriminatoire, c'est-à-dire une évaluation qui permet d'envisager les mesures d'appui et d'adaptation qui auraient pu permettre d'intégrer Joël en classe ordinaire de façon plus importante ou significative et ce, avant même de prendre la décision de classement.

[466]     Dans le but de se conformer à la décision de la Cour d'appel du Québec, la Commission scolaire des Phares a adopté un «Plan d'action pour Joël Potvin» prévoyant trois recommandations, accompagnées pour chacune d'une proposition de démarche[219].

[467]     Ces trois recommandations consistent essentiellement :

1)    à faire une évaluation de Joël qui soit personnalisée et qui permette de tenir compte de son handicap;

2)    à élaborer un plan d'intervention envisageant toutes les adaptations raisonnables permettant l'intégration de Joël en classe ordinaire, le plus près possible de sa résidence et;

3)    à déterminer, à la lumière du plan d'intervention, si l'intégration de Joël en classe ordinaire sera de nature à faciliter ses apprentissages et sa socialisation.

[468]      D'un point de vue purement théorique, cette approche s'inscrit en conformité avec les prescriptions énoncées par la Cour d'appel du Québec, dans le respect des droits de Joël prévus à la Charte et à la L.I.P.

[469]     Plus concrètement, la Commission scolaire des Phares a adopté une démarche d'évaluation personnalisée qui comprend huit outils devant servir au processus d'évaluation de l'élève EHDAA. À partir de mars 2006, c'est à l'aide de ces outils que l'évaluation de Joël au plan des apprentissages scolaires et des compétences sociales se fera.

[470]      La Commission prétend toutefois qu'aucun des outils utilisés aux fins du classement ne permet d'évaluer si les apprentissages ou l'insertion sociale de Joël seraient facilités dans la classe ordinaire. Ce faisant, la décision relative à son classement deviendrait dès lors discriminatoire.

[471]      L'examen des outils appliqués à Joël, d'avril à juin 2006, aux fins du classement 2006-2007 ainsi que les étapes du processus ayant mené à la décision de classement démontrent que les prétentions de la Commission sont fondées. Aucun de ces outils ne respecte l'étape du processus d'évaluation dans lequel la commission scolaire «doit élaborer un plan d'intervention envisageant toutes les adaptations raisonnables pouvant permettre une intégration de l'enfant en classe ordinaire»[220].

[472]     La Commission scolaire des Phares n'a pas respecté les étapes nécessaires et préalables au classement de Joël. Elle se devait d'envisager toutes les adaptations raisonnables permettant l'intégration de Joël en classe ordinaire, le plus près possible de sa résidence. Elle ne l'a pas fait.

[473]     Dans son jugement de 2006, la Cour d'appel du Québec indiquait :

L'appelante devait, avant de décider du classement de Joël, envisager des mesures d’accommodement qui auraient pu permettre qu’il soit intégré en classe ordinaire. L’omission de respecter cette étape essentielle dans le processus décisionnel menant au classement invalide la décision de l'appelante, telle que révisée le 19 novembre 2001.[221] (nos soulignements)

[474]     Le document intitulé «Soutien offert aux intervenants scolaires de Joël Potvin pour l'année scolaire 2005-2006», préparé par madame Joanne Trudeau et daté de juin 2006, indique que du soutien a été donné par la conseillère pédagogique en adaptation scolaire, madame Trudeau, «auprès des différents intervenants scolaire pour la mise en place de la démarche d'évaluation personnalisée et pour la consignation des mesures d'appui et d'adaptations, le tout en lien avec le jugement de la Cour d'appel»[222]. Les dates des 6, 24 et 27 avril et des 8 et 10 mai 2006 sont indiquées à cette rubrique.

[475]     Le compte rendu d'une rencontre du 6 avril 2006, préparé par la conseillère pédagogique madame Trudeau et à laquelle participaient mesdames Johanne Tremblay, Nadine Banville, Marie Dubé, Joyce O'Breham ainsi que les deux techniciennes en adaptation scolaire, indique clairement que, dès le 6 avril 2006, les préoccupations entourant le dossier de Joël visent à démontrer l'impossibilité d'appliquer des mesures d'adaptation plutôt que d'envisager les moyens, mesures d'appui ou d'adaptation qui pourraient favoriser son intégration en classe ordinaire. Plusieurs éléments du compte rendu illustrent l'approche adoptée par la Commission scolaire des Phares et ce, dès le 6 avril 2006 :

[…] Au niveau pédagogique

Consignation des adaptations

Toujours en parallèle: être capable de le démontrer

[…]

Parallèle, intégration

Programme adapté : français, maths

Toutes les adaptations

            ¬ Sont des modifications

Lors des évaluations, noter les modifications qui ont été réalisées :

            lecture

            changer la question

            écrire la réponse.[223] (nos soulignements)

[476]     Ainsi, sans que jamais ne soit envisagé comment la norme d'intégration pourrait être mise en œuvre dans le cas de Joël, tout semble vouloir converger vers un seul résultat : démontrer qu'aucune adaptation pouvant permettre l'intégration en classe ordinaire n'est possible.

[477]      Il appert de ce compte rendu que, dès le 6 avril 2006, avant même que ne soit appliquée à Joël la nouvelle démarche issue du «Plan d'action pour Joël Potvin»[224], il ne sera pas possible d'intégrer Joël en classe ordinaire. Pour la Commission scolaire des Phares, toutes les adaptations sont perçues comme des modifications des apprentissages. Il appert surtout de ce compte rendu que l'objectif principal est d'être capable de le démontrer en le consignant lors des évaluations.

[478]     Le compte rendu d'une rencontre, préparé par madame Joanne Trudeau le 16 mai 2006, à laquelle participaient mesdames Élise Bujold, Louise Dionne et Marie Dubé, indique que l'objectif était à ce moment de faire des hypothèses de classement pour Joël. À la rubrique «Traces», est indiqué qu'il faut «[d]émontrer que l'adaptation ne permet pas à l'enfant d'avoir un niveau de participation suffisant d[an]s le groupe»[225]. À la rubrique «Recommandation» est indiqué :

75%  classe spécialisée où application du programme adapté

25% classe ordinaire où objectif précis seront développés : au niveau social

Majeure : programme adapté pour dév ses compétences

objectifs d'intégration en classe ordinaire doivent être ciblés au P.I. selon les besoins sociaux.[226]

[479]     Cette hypothèse de classement plaçant Joël en classe spécialisée pour la majeure partie du temps est identifiée dès le 16 mai 2006 et ce, avant même que ne soit appliqué, de façon méthodique, le processus théoriquement mis en place par la Commission scolaire des Phares afin d'évaluer si des mesures d'adaptation sont susceptibles de favoriser l'intégration de Joël en classe ordinaire, compte tenu de ses besoins et capacités.

[480]     Qui plus est, cette hypothèse de classement en classe spécialisée a été identifiée avant même que les enseignants de Joël n'aient pu se familiariser avec les outils et la démarche d'évaluation personnalisée.

[481]      Le Tribunal constate que tout le processus de la démarche converge vers un classement prédéterminé par ceux qui ont procédé à l'élaboration de cette démarche et des outils y étant rattachés, alors même que les principaux intéressés, les enseignants, dont la Commission scolaire des Phares requiert que le jugement professionnel soit respecté, n'en maîtrisent pas encore les tenants et les aboutissants.

[482]     Le compte rendu d'une rencontre avec l'équipe-école, le 1er juin 2006, visant à «émettre des hypothèses de classement pour Joël et valider tous les documents qui ont été préparés à cet effet» nous indique dans quel état d'esprit l'application de la démarche s'est déroulée :

[…] Importance de tout ramasser comme documentation pour Joël

Choisir les traces, docs qui nous aideront à prendre une décision éclairée

Marie s'assurera de faire valider ces docs auprès de maître Girard

Les enseignantes doivent conserver auprès d'elles les traces utilisées tout au cours de l'année.

Mettre en relief les conditions nécessaires à l'intégration

Les inscrire dans une ordonnance de Cour.[227]

[483]     Bien que le compte rendu de cette rencontre démontre que la Commission scolaire des Phares semble saisir, du moins théoriquement, quels sont les enjeux relatifs aux conditions nécessaires à la réussite de l'intégration d'un élève handicapé dans son école de quartier, jamais la mise en œuvre concrète de ces conditions ne sera appliquée de façon à donner plein effet au droit à l'égalité de Joël, des préoccupations d'ordre administratif semblant primer sur celles visant véritablement à favoriser l'intégration de Joël en classe ordinaire.

[484]      Malgré cette conceptualisation théorique de l'intégration en classe ordinaire, les hypothèses de classement envisagées concrètement par la Commission scolaire des Phares convergent toutes vers le classement en classe spécialisée sans que jamais ne soit remis en question le raisonnement qui le sous-tend à savoir que les activités d'apprentissage de la classe ordinaire sont trop différentes.

[485]     Ce raisonnement sous-entend que si les enseignants ne réussissent pas à envisager les adaptations nécessaires sans trop de modifications au cadre établi, c'est parce que l'enfant ne peut être intégré en raison de l'écart trop important entre ses capacités et celles des élèves ne présentant pas de handicap.

[486]     À ce titre, la Cour d'appel du Québec[228] a clairement énoncé que ce sont les apprentissages faits dans le cadre de la classe ordinaire qui doivent être adaptés afin de favoriser l'intégration des élèves handicapés et non l'inverse. Est-il utile de rappeler que, par nature, ces élèves ne pourront jamais arrimer leurs capacités d'apprentissage à celles des élèves ne présentant pas de handicap? Dans l'arrêt Eaton, la Cour suprême du Canada a indiqué que l'intégration en classe ordinaire d'un enfant ayant une déficience devait être reconnue comme une norme d'application générale, compte tenu des avantages qu'elle procure généralement[229]. La Cour suprême a aussi mentionné que :

Lorsque ce n'est pas possible, c'est-à-dire lorsque des aspects du cadre intégré qui ne peuvent pas raisonnablement être modifiés empêchent de répondre aux besoins de l'enfant, le principe de l'arrangement exigera un placement spécial à l'extérieur de ce cadre.[230] (nos soulignements)

[487]     La Commission scolaire des Phares ne peut s'attendre à ce que l'élève handicapé soit au même niveau d'apprentissage que les autres élèves lorsqu'elle évalue dans quelle mesure les adaptations envisagées seraient de nature à favoriser ses apprentissages. C'est pourtant ce qu'elle sous-entend en décidant dès le 6 avril 2006, avant même l'application de sa démarche d'évaluation personnalisée à Joël, que toutes les adaptations ne sont en fait que des modifications.

[488]     Pour le Tribunal, le droit à l'instruction publique sans discrimination ne peut s'accomplir sans accepter que l'adaptation des apprentissages puisse parfois requérir des modifications tout en respectant le meilleur intérêt de l'élève et sans que cela ne soit préjudiciable aux autres élèves.

[489]     Les pratiques appliquées par la Commission scolaire des Phares font reposer sur l'élève le fardeau de prouver son droit à l'intégration, dans son meilleur intérêt, alors que revient à la Commission scolaire des Phares la responsabilité de prendre les mesures nécessaires à la mise en œuvre du droit des élèves présentant un handicap à l'instruction publique sans discrimination.

[490]     Le fait que Joël ne puisse comprendre les contenus abstraits de la même façon que les autres élèves tout comme ses difficultés au niveau du langage découle directement de sa trisomie 21 et de sa déficience intellectuelle. Comparer Joël aux autres élèves de sa classe ordinaire, en ce qui concerne ses capacités d'apprentissage, revient à lui imposer des normes de réussite qu'il ne pourra jamais atteindre.

[491]     Lors de la conférence présidée par le Bureau international de l'éducation de l'UNESCO en 2008, étaient énoncés les objectifs suivants :

La démarche de l'éducation inclusive consiste à chercher comment transformer les systèmes éducatifs et les autres cadres d'apprentissage pour les adapter à la diversité des apprenants. Elle a pour objet de permettre tant aux enseignants qu'aux apprenants de se sentir à l'aise avec la diversité et d'y voir un défi et un enrichissement pour l'environnement d'apprentissage plutôt qu'un problème.[231]

[492]     Le Tribunal constate que la Commission scolaire a privilégié une conception réductrice des capacités et des besoins de Joël qui, par essence ou par nature, seront toujours différents de ceux de la majorité des autres élèves. Le but de l'intégration n'est pas tant de faire coïncider le potentiel d'apprentissage de l'élève handicapé à la norme dominante majoritaire que d'ouvrir et d'élargir la conception de la normalité au plan des apprentissages en acceptant, notamment, que la réussite de ces élèves puisse se traduire différemment. En ce sens, la Politique de l'adaptation scolaire rappelait que la nouvelle orientation fondamentale que constitue l'intégration en classe ordinaire «amène une nouvelle perspective en ce qui concerne l'intervention»[232] auprès des élèves handicapés.

[493]     De la même manière, l'adoption d'un «Cadre de référence pour l'établissement des plans d'intervention» par le MELS, en 2004, rappelait l'importance d'explorer et d'inciter les milieux à explorer de nouvelles façons de faire notamment de voir à ce que les interventions du personnel auprès d'un élève handicapé «concourent à l'expansion des solutions plutôt qu'à celle du problème». On y retrouve ceci au point 2.4 qui s'intitule «Miser sur les forces de l'élève et les ressources du milieu» :

«À cet effet, Davis (1989) souligne qu'une impasse en intervention résulte souvent du fait qu'il y a trop d'informations à propos de la difficulté ou du problème et trop peu à propos des solutions.» Cela ne minimise en rien, dans l'établissement du plan d'intervention, l'importance de bien définir la situation de l'élève. Il s'agit davantage d'une question de perspective.

L'approche centrée sur la recherche de solutions donne un portrait plus dynamique de la situation de l'élève. Ce portrait comprend divers éléments positifs, notamment des forces, des qualités, des ressources et des acquis. Il importe alors que les forces et les ressources soient d'abord identifiées. Le même souci du détail qui accompagne généralement l'exploration d'un problème doit être présent dans la recherche de solutions.[233] (nos soulignements)

[494]     Dans son rapport de 2007, présenté au Conseil des droits de l'homme des Nations Unies, concernant le droit à l'éducation inclusive des personnes handicapées, le Rapporteur spécial sur le droit à l'éducation, monsieur Vernor Muňoz, précise pourquoi une intégration qui véhicule non seulement une composante individuelle axée sur l'enfant mais aussi une composante plus large vouée à influencer le milieu social est nécessaire : 

De fait, l'éducation inclusive comprend non seulement les droits des élèves marginalisés mais aussi plus largement l'accélération de l'évolution des cultures et des valeurs tant dans le système éducatif que dans la communauté au sens large.[234]

[495]      Par ailleurs, au-delà des lacunes constatées au niveau des étapes à suivre indiquées par la Cour d'appel du Québec, le Tribunal constate que tous les outils d'évaluation appliqués à Joël indiquent la mesure de ses capacités mais qu'aucun de ceux-ci n'envisage comment les adaptations nécessaires à son intégration en classe ordinaire pourraient être possibles.

[496]     Lors de son contre-interrogatoire, madame Trudeau confirme qu'aucun des documents ayant servi à déterminer les classements de Joël, tant pour l'année 2006-2007 que 2007-2008, n'indique quelles sont les mesures d'adaptation envisagées préalablement à la prise de décision de classement en classe ordinaire ou spécialisée[235].

[497]      De la même façon, madame Élise Bujold, qui a participé à la «Décision-Orientation»[236] de juin 2006 pour le classement de 2006-2007 de Joël, témoigne que tous les outils de la démarche d'évaluation personnalisée ont servi à prendre la «Décision-Orientation». Cependant, tout comme madame Trudeau, elle n'a pas pu identifier précisément dans quels outils se trouvent les mesures d'adaptation qui ont été envisagées dans la classe ordinaire avant de procéder au classement.

[498]     En l'espèce, le document «Décision-Orientation» de juin 2006 qui détermine le classement de Joël pour l'année 2006-2007 indique pourtant que les éléments sur lesquels la recommandation de classement s'est appuyée sont essentiellement les outils d'évaluation élaborés dans la démarche personnalisée. Or, la Cour d'appel du Québec, dans son jugement rendu en 2006, établit clairement que la Commission scolaire des Phares se devait d'envisager toutes les mesures d'adaptation pouvant permettre l'intégration en classe ordinaire à l'étape de l'évaluation des besoins et capacités de Joël.  Ainsi, avant d'invoquer l'intérêt de Joël pour justifier le classement en classe spéciale, encore aurait-il fallu déterminer toutes les mesures d'adaptation raisonnablement possibles en classe ordinaire.

[499]     L'examen de tous ces outils d'évaluation, inscrits au cœur de la démarche ayant servi à la prise de décision quant au classement de Joël en classe spécialisée avec une intégration minimale en classe ordinaire, nous indique certainement dans quelle mesure Joël a la capacité de faire ses apprentissages ou de compléter une tâche. Toutefois, aucun de ces outils n'envisage ou n'évalue quelles seraient les mesures d'adaptation raisonnables susceptibles ou non de favoriser son intégration en classe ordinaire.  L'examen de tous les outils de la démarche indique qu'il s'agit bien plus d'une démarche d'évaluation des apprentissages qu'une démarche visant à favoriser l'intégration en classe ordinaire.

[500]     Il convient ici de reproduire quelques extraits du compte rendu du Comité d'aide pédagogique du 29 septembre 2006 dans lequel la mère de Joël se questionne sur le fait que son fils ne soit pas plus intégré en classe ordinaire :

[L]a mère questionne pourquoi son fils ne fait plus d'anglais et de bibliothèque avec la classe ordinaire. Des explications sont données par l'équipe-école: la période de la bibliothèque est en lien avec le domaine du français et cette période a plus de sens pour Joël étant donné qu'il suit le programme d'études adapté en français dans la classe spécialisée. […]

L'enseignante en classe ordinaire explique que la période de l'informatique se déroule maintenant avec les élèves de la classe spécialisée parce que les notions enseignées dépassent les capacités de Joël. […]

La mère demande des explications sur l'horaire: pour quelles raisons Joël n'est plus intégré dans la classe ordinaire pour certaines matières pour lesquelles il l'était l'an passé (ex : arts plastiques). L'enseignante de la classe ordinaire explique que les arts sont rattachés avec les domaines du français et des mathématiques et Joël était souvent perdu l'an passé. […]

La mère mentionne qu'il n'y a probablement pas assez d'adaptations. La conseillère pédagogique en adaptation scolaire donne l'exemple de la période des sciences et technologies […]. Les élèves devaient en premier lieu faire la distinction entre les notions dur/mou ce qui rejoignait Joël. En deuxième lieu, les élèves devaient expérimenter d'autres propriétés de la matière : ténacité - densité - flexibilité. Ces termes ne rejoignaient plus Joël. Celui-ci n'écoutait plus l'enseignante malgré toutes les adaptations qui avaient été apportées à l'activité : réduire le nombre d'items dans la page, grossir l'image. L'activité ne faisait plus de sens pour l'élève. Les intervenantes ont donc décidé que le jeune allait continuer à expérimenter plus en profondeur les notions dur/mou en individuel avec la technicienne en éducation spécialisée.[237] (nos soulignements)

[501]     Les seules adaptations dont il est question ici concernent la classe de science et technologie dans laquelle Joël était intégré en classe régulière. Lors de son contre-interrogatoire, madame Trudeau a convenu que Joël continuait de faire des apprentissages dans la classe de science et technologie, selon ses capacités et avec les adaptations nécessaires, même si ceux-ci n'étaient pas les mêmes que ceux de l'ensemble de la classe[238]. Toutefois, l'examen du compte rendu ne nous renseigne aucunement sur les raisons pour lesquelles aucune mesure d'adaptation n'aurait pu être envisagée pour les cours d'arts plastiques ou de bibliothèque, outre le fait que ces matières soient tout simplement reliées au français pour la bibliothèque et au français et aux mathématiques pour le cours d'arts plastiques. Pour le Tribunal, il est difficile de réconcilier le fait que des adaptations aux apprentissages soient possibles en classe de science et technologie alors que cela n'est pas possible dans le cours d'arts plastiques et de bibliothèque.

[502]     Il est indiqué dans la «Décision-Orientation» de juin 2006 que «malgré les adaptations envisageables et l'analyse de la situation à l'école de l'Estran», il n'est pas dans l'intérêt de Joël de l'intégrer dans une classe ordinaire à temps plein mais plutôt de «fréquenter majoritairement une classe spécialisée et de joindre une classe ordinaire de 5e année pour des activités pédagogiques ciblées»[239].

[503]     Sont notamment invoqués au soutien de cette décision, les contenus «hautement différents» de la classe ordinaire qui exigeraient, dans le cas où Joël recevrait son enseignement au sein de la classe ordinaire, l'interaction d'un adulte de façon systématique et continue. Selon la Commission scolaire des Phares, il ne serait pas dans l'intérêt de Joël de recevoir ce type d'enseignement qui serait de nature à favoriser le développement d'une dépendance aux consignes de l'intervenant.

[504]     Le Tribunal considère que cet argument ne résiste pas à une lecture sérieuse et logique de l'ensemble du dossier de Joël.

[505]     Il est indiqué dans le document «Décision-Orientation» que «les besoins prioritaires se dégageant de l'analyse effectuée» sont d'offrir à Joël «un enseignement systématique et continu» en classe spécialisée et de poursuivre le développement de ses compétences sociales au sein d'une classe ordinaire[240].

[506]     Il semble pour le moins paradoxal d'invoquer les dangers de l'enseignement systématique et continu en classe ordinaire alors que l'on justifie le classement de Joël en classe spécialisée en raison de l'importance pour celui-ci de recevoir un «enseignement systématique et continu». Ainsi, selon la logique de la Commission scolaire des Phares, l'enseignement systématique et continu serait de nature à favoriser les apprentissages de Joël en classe spécialisée mais serait considérée comme un frein au développement de son autonomie dans le cas où il serait donné en classe ordinaire.

[507]     Pourtant, la preuve est à l'effet que l'enseignement en classe spécialisée se fait de façon individualisée ou par petits groupes, selon les cas. Chaque élève qui a son programme adapté arrive ou quitte à des heures différentes. Madame Banville, la titulaire de la classe spécialisée de Joël pour l'année scolaire 2005-2006, précise qu'il lui arrive de donner un enseignement magistral mais seulement pour de très courtes périodes. Il s'agit donc d'un enseignement très particularisé où le rattachement à l'enseignant ou au TES demeure très important.

[508]     Par ailleurs, le Tribunal constate une entorse importante aux principes qui sous-tendent la norme d'intégration en classe ordinaire. Il est indiqué dans la «Décision-Orientation» que «malgré les adaptations envisageables et l'analyse de la situation à l'école de l'Estran», il n'est pas dans l'intérêt de Joël de l'intégrer dans une classe ordinaire à temps plein[241]. La décision de classement indique qu'il est prioritaire pour Joël de développer ses compétences fonctionnelles en classe spécialisée et ce, compte tenu que le nombre d'élèves y est réduit et que les élèves qui composent cette classe présentent déjà des besoins nécessitant une adaptation de l'enseignement. De plus, compte tenu de son organisation, la classe spécialisée permet d'offrir à Joël l'enseignement systématique et continu dont il a besoin au sein d'un groupe où les élèves bénéficient déjà d'une programmation personnalisée.

[509]      Le Tribunal constate que cette approche évacue complètement le droit de Joël à ce que ses apprentissages se fassent dans le cadre de la classe ordinaire conformément à l'objectif de pleine intégration visée par la Charte et la L.I.P. En l'espèce, ce n'est pas tant l'intérêt de Joël, dans le respect de ses droits, qui est considéré mais plutôt le fait que l'organisation de la classe ordinaire n'est pas conçue pour le recevoir. Or, la Commission scolaire des Phares a l'obligation d'adapter le cadre régulier, même s'il lui est plus simple de regrouper les services dans une classe spécialisée.

[510]     À ce titre, tant la jurisprudence relative au droit à l'égalité que la L.I.P. prévoient que les considérations externes à l'intérêt de Joël ne pourront être prises en compte qu'après avoir déterminé si les besoins et capacités de Joël sont de nature à favoriser ses apprentissages en classe ordinaire.

[511]     Ce n'est qu'après avoir établi la portée du droit à l'instruction publique, en pleine égalité, sans discrimination, qu'une dérogation de contrainte excessive, extrinsèque au droit de Joël, pourrait justifier une atteinte à son droit, le cas échéant.

[512]     Or, les témoignages entendus indiquent que l'intégration de Joël dans son école  de quartier à l'école de l'Estran a été écartée en raison de l'impossibilité de regroupement d'élèves EHDAA, indiquant du coup que la classe spécialisée était déjà envisagée indépendamment de considérations visant à assurer premièrement le droit de Joël à recevoir ses apprentissages dans son école de quartier, sans discrimination.

[513]     À ce titre, la lecture de l'article 40 de la Charte ne nous indique aucune dérogation possible autre que celle prévue par la loi. Or, le libellé de l'article 235 de la L.I.P. prévoit, d'une part, les conditions préalables à l'intégration et, d'autre part, la dérogation à cette intégration, à savoir «qu'elle ne constitue pas une contrainte excessive ou ne porte pas atteinte de façon importante aux droits des autres élèves».

[514]     Ce n'est donc qu'après avoir envisagé toutes les adaptations possibles afin de favoriser l'intégration en classe ordinaire que la prise en compte d'autres facteurs, externes à l'intérêt particulier de Joël, comme l'intérêt des autres élèves de l'école de l'Estran ou les coûts financiers déraisonnables, pourra constituer une contrainte excessive à son intégration. La Commission scolaire des Phares n'a pas respecté le droit de Joël à l'instruction publique, sans discrimination fondée sur le handicap. Elle ne pouvait rendre le classement de Joël tributaire du profil des besoins des autres élèves de l'école de l'Estran sans d'abord établir, indépendamment de cette donnée, si l'intérêt de Joël serait mieux servi en classe ordinaire. Il ne s'agit pas ici de pondérer les besoins de l'élève handicapé avec ceux des autres élèves.

[515]     En ce sens, le Tribunal constate une certaine confusion dans le compte rendu du 16 mai 2006, dans lequel est déjà inscrite la recommandation de classement en classe spécialisée. Ainsi peut-on y lire :

[…] Démontrer que l'adaptation ne permet pas à l'enfant d'avoir un niveau de participation suffisant ds le groupe […]

Photo de la classe : faire ressortir l'intérêt des autres enfants.

Constat de l'élève handicapé

Constat des autres élèves (Profil des besoins des autres élèves)

[…]

Recommandation

75% classe spécialisée où application du programme adapté

25% classe ordinaire où objectifs précis seront développés : au niveau social.[242] (nos soulignements)

[516]     D'aucune façon, la Commission scolaire des Phares n'a démontré que la situation à l'École de l'Estran, notamment au niveau de la diminution du nombre d'élèves par classe afin de favoriser l'intégration d'élèves handicapés, constituait une contrainte excessive, pas plus qu'elle n'a démontré que l'intégration de Joël à l'école de l'Estran serait préjudiciable aux élèves de la classe ordinaire. Dans ces conditions, la Commission scolaire des Phares ne pouvait invoquer la situation de l'école de l'Estran afin de justifier la non-intégration de Joël en classe ordinaire. Seules les considérations reliées aux besoins et capacités de Joël pouvaient, à cette étape, fonder la décision de classement de Joël.

[517]     Par ailleurs, le Tribunal rejette aussi l'argument voulant que les contenus hautement différents rendent impossible l'intégration en classe ordinaire. Selon la Commission scolaire des Phares, le contenu de plus en plus abstrait de la classe ordinaire ne rejoint plus le programme d'études adapté.

[518]     Ainsi, selon la Commission scolaire des Phares, le fait que les apprentissages ne puissent être que «modifiés» au lieu d'être «adaptés», en raison du contenu abstrait des apprentissages, serait un obstacle à l'intégration en classe ordinaire. Pourtant, dans sa décision de classement pour l'année 2008-2009, cette rhétorique ne semble plus avoir la moindre importance dans le classement de Joël.

[519]     Rappelons que dans ce document de classement, il est recommandé d'intégrer Joël à la classe ordinaire en cheminement particulier de type temporaire du secondaire 1.

[520]     Aucune référence au contenu abstrait des apprentissages n'apparaît dans la décision de classement en tant que frein à son intégration dans un groupe dont les apprentissages sont de l'ordre de la formation générale de secondaire 1, alors que la Commission scolaire des Phares a justifié les classements en classe spécialisée de 2006-2007 et 2007-2008, notamment par les contenus trop abstraits des apprentissages en classe ordinaire.

[521]     La «Décision-Orientation»[243] de juin 2006 indiquant que «malgré les adaptations envisageables et l'analyse de la situation à l'école de l'Estran», il n'est pas dans l'intérêt de Joël de l'intégrer dans une classe ordinaire à temps plein mais plutôt de «fréquenter majoritairement une classe spécialisée et de joindre une classe ordinaire de 5e année pour des activités pédagogiques ciblées» ne respecte pas le droit de Joël à la protection prévue par les articles 10 et 40 de la Charte.

[522]      La Commission scolaire des Phares se sert du critère de l'intérêt de l'élève pour effectuer le classement en classe spécialisée en fonction du regroupement des élèves nécessitant des services adaptés sans toutefois respecter le droit de Joël à l'instruction publique gratuite, en toute égalité, sans discrimination. Afin de se conformer aux prescriptions de la Charte, il aurait fallu déterminer, avant même d'invoquer l'intérêt de Joël, toutes les mesures d'adaptation raisonnables qui auraient pu permettre son intégration en classe ordinaire l'organisation et le regroupement des services adaptés en classe spéciale. L'intérêt de l'enfant ne peut donc justifier à lui seul une décision qui ne respecterait pas ses droits non plus qu'il ne pourrait servir à en réduire la portée. Le critère de l'intérêt de l'enfant, ainsi invoqué par la Commission scolaire des Phares, ne peut avoir prééminence sur le respect de ses droits.

5.2.2 La décision de classement pour l'année scolaire 2007-2008

[523]     Les outils élaborés l'année précédente dans le cadre de la «Démarche d'évaluation personnalisée pour les élèves EHDAA»[244] mise en place aux fins de consigner le cheminement scolaire de Joël et d'en arriver à une «Décision-Orientation», sont essentiellement les mêmes que pour l'année précédente bien qu'ils soient quelque peu révisés. Selon madame Louise Dionne, qui participe à la révision, «on est dans une démarche de raffinement des outils»[245].

[524]     La «Décision-Orientation» de juin 2007[246], élaborée selon le même modèle que la première «Décision-Orientation»[247] de juin 2006 pour l'année 2006-2007, contient la même conclusion qu'il n'est pas dans l'intérêt de Joël d'intégrer une classe ordinaire et ce, pour les trois mêmes considérations qui avaient été présentées l'année précédente. En somme, les considérations justifiant le classement en classe spécialisée avec une intégration minimale en classe régulière sont pratiquement les mêmes que celles invoquées pour le classement de 2006-2007.

[525]     Non seulement la preuve est à l'effet que la Commission scolaire des Phares, tout comme l'année précédente, n'a pas envisagé toutes les adaptations visant à favoriser le classement de Joël dans la classe ordinaire, mais l'intégration en classe ordinaire n'aurait tout simplement pas été envisagée cette année-là.

[526]     Madame Louise Dionne, dans son témoignage, confirme qu'il est dans l'intérêt de Joël de continuer à lui offrir une organisation comme celle qu'il avait eue l'année précédente puisqu' «il avait progressé et l'évolution était favorable»[248].

[527]     C'est d'ailleurs l'approche préconisée par le témoin expert en pédiatrie de la Commission scolaire des Phares, Docteur Robert Dubé, qui n'a aucunement rencontré Joël Potvin et ses parents.

[528]     Après avoir fait la revue des toutes les évaluations au dossier de Joël, Docteur Dubé est d'avis que :

En définitive, toutes les évaluations décrivent bien le fonctionnement de Joël qui est propre à celui d'une déficience intellectuelle moyenne et mettent en lumière ses capacités, ses habiletés, ses forces, ses faiblesses et ses besoins.[249]

[529]     Docteur Dubé estime dans son rapport que «si un enfant progresse avec les interventions planifiées, c'est que les interventions étaient appropriées». Examinant la façon dont a été intégré Joël jusqu'à maintenant, Docteur Dubé évalue la situation   ainsi :

Des rapports consultés, nous pouvons affirmer que Joël a réagi positivement aux démarches mises en place et on note même une évolution dans le contexte scolaire proposé. Il a bénéficié de services appropriés à sa condition et à ses besoins.[250]

[530]     Selon ce raisonnement, les interventions deviendraient appropriées du seul fait que l'enfant démontre une progression dans un classement donné.

[531]     Pourtant, paradoxalement, Docteur Dubé a confirmé lors de son contre-interrogatoire que rien au dossier de Joël ne l'empêcherait de progresser dans le cadre d'une classe ordinaire[251].

[532]     La Charte impose de pousser plus loin le raisonnement de madame Dionne et de l'expert Dubé afin de repousser les stéréotypes voulant que les apprentissages faits en classe spécialisée doivent être considérés automatiquement comme la voie à suivre pour l'élève handicapé, à la condition qu'ils soient jugés appropriés.

[533]     Dans l'arrêt Eaton, la Cour suprême du Canada a indiqué que l'intégration en classe ordinaire d'un enfant ayant une déficience devait être reconnue comme une norme d'application générale, compte tenu des avantages qu'elle procure généralement[252]. La Cour suprême a de plus expliqué que c'est en raison de la politique antérieure d'exclusion influencée par une attitude stéréotypée envers les personnes handicapées que l'on en est venu à la conclusion qu'il fallait adopter un cadre législatif et une politique qui fassent en sorte d'assurer une évaluation selon les caractéristiques véritables et les besoins respectifs des personnes handicapées. Il s'agit donc du tout premier objectif visé par la norme d'application générale en classe ordinaire, soit celui d'éliminer la discrimination qui s'opère par le biais de l'attribution à un groupe de caractéristiques fausses reposant sur des préjugés. La norme doit donc jouer un rôle de correction, tout en tenant compte des besoins et des capacités propres à chaque élève, qui pourrait requérir que les apprentissages soient faits en classe spécialisée.

[534]     L'évaluation personnalisée des besoins et des capacités joue par conséquent un rôle déterminant quand il s'agit d'accorder aux véritables caractéristiques de chaque personne toute l'importance nécessaire pour lui permettre de jouir pleinement des avantages qu'offre la société. À cet égard, la Cour suprême précisait dans l'arrêt Eaton que c'est «l'omission de fournir des moyens raisonnables et d'apporter à la société les modifications qui feront en sorte que ses structures et les actions prises n'entraînent pas la relégation et la non-participation des personnes handicapées»[253] qui pourra être source de discrimination.

[535]     Il convient ici de rappeler que la Politique de l'adaptation scolaire, adoptée par le ministère de l'Éducation en 1999, s'inscrit en conformité avec la façon d'envisager ces changements de paradigmes :

L'adaptation des services est l'orientation fondamentale de la Loi. En ce qui concerne l'organisation des services aux EHDAA, c'est à l'école ordinaire et en classe ordinaire que sont dispensés les services éducatifs à la majorité des élèves. C'est donc une adaptation des services qui y sont offerts qui doit d'abord être privilégiée.[254]

[536]     C'est exactement dans ce contexte qu'il faut comprendre la demande de dérogation de la part des parents de Joël afin que ce dernier puisse continuer une autre année à l'école primaire. Lors de son témoignage, madame Pelletier a reconnu que Joël avait progressé au cours de l'année 2006-2007. La Commission scolaire des Phares y a vu la preuve d'une reconnaissance de la part des parents que le choix de la classe spécialisée était dans le meilleur intérêt de Joël. Pour les raisons ci-haut expliquées, le Tribunal ne peut accepter les arguments de la Commission scolaire des Phares. De plus, madame Pelletier a été constante dans son témoignage à l'effet que l'inclusion en classe ordinaire a toujours été la voie privilégiée par les parents.

5.2.3 La décision de classement pour l'année scolaire 2008-2009

[537]     Comme le Tribunal l'a mentionné précédemment, la Commission ne conteste pas la décision de classement pour l'année scolaire 2008-2009. Toutefois, le Tribunal a accepté la mise en preuve des événements pouvant être reliés au litige qui se sont déroulés au cours de l'année 2008-2009. Le Tribunal a donc examiné la décision de classement dans la mesure seulement où elle fait ressortir les lacunes constatées dans les processus d'évaluation des années précédentes.

[538]     Dans un document intitulé «Analyse des adaptations raisonnables basée sur l'étendue des capacités et besoins de Joël Potvin aux fins de son orientation pour l'année scolaire 2008-2009», les trois hypothèses qui avaient été envisagées pour l'inscription de Joël au secondaire sont analysées de façon à déterminer si les apprentissages et l'insertion sociale de Joël seraient facilités dans l'une des trois classes[255].

[539]     Ainsi ce document, daté du 15 août 2008, recense et analyse les caractéristiques de l'enseignement en classe ordinaire, cheminement particulier temporaire, pour ensuite déterminer dans quelles mesures il est possible de procéder aux adaptations raisonnables pour Joël selon ses forces et limites. Il s'agit ici d'un document dans lequel, pour la première fois depuis la décision de la Cour d'appel en 2006, une analyse des adaptations raisonnables en classe ordinaire basées sur l'étendue des capacités et besoins de Joël Potvin aux fins de son orientation pour l'année suivante est documentée.

[540]     D'entrée de jeu, parmi les trois options envisagées pour le classement de Joël, la classe ordinaire en formation générale à l'école Saint-Jean est écartée. Deux options sont présentées à madame Pelletier, la mère de Joël.

[541]     La classe ordinaire en cheminement particulier de formation de type temporaire à l'école Saint-Jean (moyenne de 18 élèves) est l'une des deux orientations privilégiées dans ce document. Selon la Commission scolaire des Phares, l'analyse démontre qu'il est possible d'y intégrer Joël en fonction de son intérêt et des adaptations raisonnables et parce qu'elle répond à la demande des parents.

[542]     La classe en cheminement particulier de formation de type continu à l'école secondaire Paul-Hubert est la troisième orientation présentée dans le document. Elle fait partie des orientations possibles à envisager pour Joël et à privilégier «si les parents en expriment le souhait».

[543]     Il convient de reproduire intégralement les orientations privilégiées :

Orientation privilégiée

Orientations possibles

Dans les circonstances, comme il est possible d'intégrer Joël, dans la mesure de ses forces et ses limites et en fonction de son intérêt et des adaptations raisonnables, dans une classe ordinaire en cheminement particulier de formation de type temporaire, nous privilégions cette orientation. Dans cette situation, il serait intégré à toutes les activités de la classe, sauf en ce qui concerne les cours d'anglais. Au lieu de ces cours, son plan d'intervention pourrait prévoir des activités encadrées, comme exemple de la récupération ou des activités particularisées à Joël aux fins du développement de son autonomie ou de ses connaissances scolaires ou sociales.

Par ailleurs, même si nous privilégions cette orientation en raison du fait qu'il répond à la demande des parents dans l'inscription de Joël, nous sommes d'avis qu'il ne faut pas négliger le fait qu'il soit possible, en tenant compte également de ses forces et ses limites et en fonction de son intérêt, d'envisager son intégration dans une classe en cheminement particulier de formation continue à l'école Paul Hubert, si les parents en expriment le souhait. Il serait alors intégré à toutes les activités de la classe.

À notre avis, son intégration dans l'une ou l'autre de ces classes mais davantage dans la deuxième favoriserait ses apprentissages de façon plus répétitive, plus rigoureuse dans ce qu'il est rendu et lui permettrait de les généraliser, et ce, dans un cadre qui lui serait favorable. Dans les deux circonstances, dans le curriculum d'apprentissage de Joël, la rencontre des objectifs qui lui seraient particularisés serait recherchée, lui permettrait d'approfondir, d'améliorer ses connaissances générales par des thèmes abordés par des enfants de son âge.[256]

[544]     Le Tribunal ne peut que constater comment cette décision de classement est contradictoire avec les témoignages de mesdames Trudeau et Dionne, qui ont toujours justifié le classement de Joël en classe spécialisée en raison de l'écart existant entre, d'une part, les contenus abstraits des apprentissages faits dans le cadre de  la classe ordinaire et, d'autre part, les capacités et besoins de Joël à recevoir un enseignement systématique et continu dans le cadre de la classe spécialisée.

[545]     Nulle part est-il fait mention dans ce document des difficultés reliées aux contenus abstraits d'une classe de niveau secondaire afin de justifier le classement de Joël en classe spécialisée ou en classe ordinaire. Comment alors pouvait-on justifier qu'il n'était pas dans l'intérêt de Joël de fréquenter une classe ordinaire au niveau primaire en 2006-2007 et 2007-2008 alors qu'il est dans son intérêt de la fréquenter au niveau secondaire même si, selon le témoignage de madame Dionne, l'écart devient de plus en plus important au fur à mesure que l'on avance dans le cheminement scolaire? Comment concilier le fait que l'intégration en classe ordinaire soit dans l'intérêt de Joël au niveau secondaire mais ne l'était pas au niveau primaire, sous prétexte de cet écart? Aucun des témoignages entendus lors des audiences ne permet de concilier ces raisonnements contradictoires.

[546]     En somme, ces contradictions font ressortir l'aspect discriminatoire du processus de décisions de classement pour les années 2006-2007 et 2007-2008, lesquelles se justifient notamment par le contenu abstrait des apprentissages faits en classe ordinaire.

5.3 Les conclusions relatives à l'encadrement, aux conditions d'intégration et au processus ayant mené aux classements de Joël Potvin : la discrimination systémique

[547]     Le Tribunal conclut que la formation préalable requise pour l'ensemble des intervenants de même que les mesures d'adaptation nécessaires afin de favoriser concrètement l'intégration en classe ordinaire d'un enfant présentant les caractéristiques de Joël n'ont pas été envisagées de façon sérieuse et avec l'ouverture nécessaire.

[548]      Par la nature de son handicap, Joël est un enfant qui ne peut se conformer à la norme qui définit la moyenne des élèves. Pour un enfant présentant une déficience intellectuelle, la norme d'égalité implique nécessairement un traitement différent dans la classe ordinaire de même qu'en classe spécialisée puisque la preuve démontre que les enfants composant cette classe présentent des besoins et capacités parfois forts différents de ceux de Joël. La norme d'intégration implique donc, tant pour la Commission scolaire des Phares que pour les enseignants, que l'on ne peut faire comme si l'élève ne présentait pas de handicap, ni attendre de cet élève qu'il arrive à des résultats comparables à ceux de la moyenne.

[549]     La Commission scolaire des Phares allègue que l'adoption d'une «Démarche d'évaluation personnalisée pour les élèves EHDAA»[257] répond au jugement de la Cour d'appel du Québec rendu en 2006.

[550]     La preuve révèle pourtant qu'avant même l'application à Joël de cette démarche, en avril 2006, l'enseignante de la classe ordinaire se questionne sur la pertinence de la place de Joël dans la classe ordinaire. Il s'agit alors d'une enseignante qui n'a pas de formation ni d'expérience en intégration scolaire d'élèves présentant une déficience intellectuelle moyenne à sévère (DIMS).

[551]     La Cour suprême du Canada précisait dans l'arrêt Eaton que la déficience, en tant que motif interdit de discrimination, diffère des autres motifs compte tenu du large spectre de différences pouvant exister selon les individus et selon la forme de handicap[258]. Puisqu'il s'agit d'accorder aux véritables caractéristiques de chaque personne toute l'importance nécessaire pour lui permettre de jouir pleinement des avantages qu'offre la société, la Commission scolaire des Phares a l'obligation d'offrir la formation nécessaire à ses enseignants pour s'acquitter de cette tâche.

[552]     On ne peut donc accepter un système qui concourt à perpétuer des pratiques discriminatoires en raison d'un manque de formation ou de l'acceptation de pratiques qu'il est parfois difficile de remettre en question. La facture actuelle des services d'éducation adaptés de la Commission scolaire des Phares requiert une modification importante de ses pratiques si l'on souhaite que les objectifs éducatifs exempts de discrimination visés par la Charte et la L.I.P. puissent se concrétiser dans la réalité.

[553]     La réussite d'une intégration harmonieuse d'un élève présentant une déficience intellectuelle dépend de l'attention portée à ses besoins mais aussi de l'adaptation des objectifs pédagogiques en fonction de ses besoins. À ce titre, la réussite de l'intégration est fonction de la sensibilisation des enseignants et des intervenants ainsi que de la cohérence de leurs actions. C'est à la Commission scolaire des Phares que revient en grande partie cette responsabilité.

[554]     De plus, la situation d'encadrement dans laquelle se retrouve Joël en 2005-2006, 2006-2007 et 2007-2008 ainsi qu'une partie de l'année 2008-2009, est difficilement conciliable avec la Politique de l'adaptation scolaire, adoptée par le ministère de l'Éducation en 1999, laquelle prévoit que l'intégration en classe ordinaire commande d'ajuster ou de modifier les façons de faire :

L'adaptation peut se réaliser de différentes façons: en ajustant ou en modifiant des pratiques ou en proposant différentes possibilités à l'élève pour trouver la réponse la mieux adaptée à ses besoins. Quel que soit le moyen choisi, l'adaptation requiert une attitude d'ouverture face à la différence ainsi que de la créativité dans la recherche d'ajustements possibles permettant de respecter les besoins particuliers des élèves.

[…] La collaboration de ses collègues, notamment celle du personnel spécialisé en adaptation scolaire et du personnel des services complémentaires, peut être précieuse pour l'aider à envisager différents moyens d'aider l'élève à réussir.

Il va sans dire  que la direction de l'école a un rôle particulièrement important à jouer pour favoriser l'adaptation des services. Elle doit soutenir son personnel dans ses efforts à cet égard. Elle doit faire en sorte que cette préoccupation soit intégrée aux pratiques de toute l'école. Elle doit adopter des mesures en ce sens, notamment en prévoyant du temps à l'horaire pour le partage d'expertise et l'adaptation du matériel.[259]

[555]     L'approche intégratrice qui se dégage de la Politique de l'adaptation scolaire semble conforme aux constatations du Rapporteur spécial sur le droit à l'éducation. Ce dernier juge essentiel que «[d]es politiques et des ressources visant à mettre au point des pratiques véritablement "intégratrices" [soient] substituées aux pratiques anciennes»[260]. À cette fin, les domaines prioritaires de financement dans le cadre de l'éducation inclusive devraient porter notamment sur : «la formation préalable des enseignants et des administrateurs d'école; la formation en cours d'emploi des enseignants et des administrateurs d'école»[261].

[556]     En cette matière, le Rapporteur spécial souligne qu'il n'existe pas de raccourci :

Passer de l'éducation spéciale avec ségrégation à l'éducation inclusive n'est pas une tâche simple et il convient de reconnaître et d'affronter résolument les problèmes complexes qu'elle soulève. On ne peut pas prendre de raccourci. Ainsi, «l'intégration», souvent opérée sous prétexte ou à la place d'une véritable inclusion dans l'enseignement, a créé ses propres difficultés. On a constaté en effet que les tentatives de simple intégration dans les écoles ordinaires, sans mesures structurelles d'accompagnement (tels qu'organisation, programmes d'études et stratégies d'enseignement et d'apprentissage) ne correspondent pas et continueront pour diverses raisons à ne pas correspondre aux droits des personnes handicapées. En fait, l'«intégration» peut tout simplement aboutir à l'exclusion au sein de l'enseignement général plutôt que dans une école spéciale.[262] (nos soulignements)

[557]     La «Politique sur l'organisation des services aux élèves handicapés ou en difficulté d'apprentissage»[263] (EHDAA) de la Commission scolaire des Phares, qui énonce le principe d'intégration scolaire, demeure silencieuse sur les voies d'action à privilégier, voies qui sont clairement énoncées dans la Politique de l'adaptation scolaire adoptée par le ministère de l'Éducation en 1999. Parmi celles-ci, il convient de mentionner :

Mettre l’organisation des services éducatifs au service des élèves handicapés ou en difficulté en la fondant sur l’évaluation individuelle de leurs capacités et de leurs besoins, en s’assurant qu’elle se fasse dans le milieu le plus naturel pour eux, le plus près possible de leur lieu de résidence et en privilégiant l’intégration à la classe ordinaire.[264]

[558]     L’adoption de cette politique par la Commission scolaire des Phares, en 2002, s’inscrivait dans le cadre des nouvelles obligations faites aux commissions scolaires par la L.I.P. de se doter d’une politique d’organisation des services aux élèves handicapés ou en difficultés.

[559]     Cette politique prenait appui également sur la Politique de l’adaptation scolaire du ministère de l’Éducation qui, en plus de présenter le nouveau contexte engendré par la réforme de l’éducation, énonçait l’orientation fondamentale de la politique et des voies d’action à privilégier.

[560]     Seule l’orientation fondamentale devant guider toute intervention et mobiliser tous les partenaires se retrouve intégralement reproduite au point 3.2.3 de la «Politique sur l'organisation des services aux élèves handicapés ou en difficulté d'apprentissage» de la Commission scolaire des Phares. Il s’agit ainsi :

«[D]’Aider l’élève handicapé ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage à réussir sur les plans de l’instruction, de la socialisation et de la qualification. À cette fin, accepter que cette réussite éducative puisse se traduire différemment selon les capacités et les besoins des élèves, se donner les moyens qui favorisent cette réussite et en assurer la reconnaissance».[265]

[561]     Cette politique adoptée par la Commission scolaire des Phares prévoit également au point 8.2 que «l'intégration peut se réaliser en classe ordinaire, de façon partielle ou totale, ou encore dans un regroupement à l'école régulière»[266].

[562]     Le principe de l'intégration, tel qu'énoncé par la Commission scolaire des Phares dans cette politique, semble confondre la notion de mesure d'adaptation et celle d'intégration en classe ordinaire en plaçant exactement sur un même pied les trois modalités d'intégration, totale, partielle et regroupement par groupe d'autres élèves handicapés ou en difficulté d'adaptation ou d'apprentissage à l'école régulière.  

[563]     Dans la logique de la Commission scolaire des Phares, «la [p]articipation de l'élève selon ses capacités aux activités de l'école régulière, tout en recevant ses activités dans un groupe à effectifs réduits regroupant d'autres élèves handicapés ou en difficultés d'adaptation ou d'apprentissage»[267] constitue une des modalités de l'intégration. La Commission scolaire des Phares justifie ainsi sa décision de classer Joël à l'école l'Aquarelle sans être obligée de démontrer une contrainte excessive ou une atteinte aux droits des autres élèves. 

[564]     La norme d'intégration en classe ordinaire s'est raffinée au cours des dernières années, tant au niveau du droit international, du droit interne que des politiques ministérielles. Il demeure que, au-delà de l'aspect théorique du droit, les conditions préalables à la réussite de l'intégration en classe ordinaire demandent du temps et des investissements de la part des enseignants, des intervenants et de la direction. En ce sens, il faut plus que des incitations. 

[565]     Les propos de madame Louise Dionne sont éloquents quant aux réticences et aux obstacles qui restent encore à franchir au niveau de la formation des enseignants. Ainsi, elle indiquait lors de son témoignage[268] que s'il y a «des contenus qui doivent être passés, que les gens le veuillent ou non» il y a aussi «des échanges et des discussions». Elle précise qu'à ce niveau la formation constitue plutôt une «amorce préliminaire: on les amène sur ce terrain-là». Comme les enseignants sont accompagnés très étroitement par la suite, c'est dans cet «accompagnement» que l'on va «aller voir les choses de façon encore plus précise». Le langage utilisé est très éloquent quant à la perception que se fait madame Dionne des mentalités et des pratiques enracinées depuis longtemps à la Commission scolaire des Phares.

[566]     En ce sens, l'évaluation des moyens possibles à mettre en place et l'application des mesures d'adaptation favorisant une intégration efficace et harmonieuse ne peuvent s'improviser. Tous les amendements législatifs et les avancées jurisprudentielles de même que tous les plans d'action, démarches d'évaluation personnalisée et outils adoptés par la Commission scolaire des Phares ne pourraient à eux seuls assurer que la norme d'intégration générale ne constitue pas en réalité qu'une rhétorique dénuée de sens tant pour l'élève handicapé que pour les enseignants, la direction ou les parents. On ne peut en cette matière minimiser les efforts requis. La Commission scolaire des Phares doit répondre aux besoins d'apprentissage des enseignants notamment par le biais de la formation initiale relative à l'inclusion scolaire. 

[567]     Madame Louise Dionne a mentionné l'importance de respecter l'autonomie d'action de chaque enseignant en rappelant que son rôle et celui de la conseillère pédagogique en sont un d'accompagnement. De la même façon, la Commission scolaire des Phares insiste sur le respect et la valeur accordée au jugement professionnel des enseignants dans l'évaluation de l'élève et dans l'analyse des données recueillies sur ses apprentissages. Le Tribunal ne peut que se rallier au principe que sous-tend cette réalité. Toutefois le respect qui doit être accordé à la valeur de ce jugement professionnel est proportionnel aux moyens dont peuvent bénéficier les enseignants en matière de formation initiale et continue tant au niveau universitaire qu'au sein de la Commission scolaire des Phares, sans oublier les ressources externes qui doivent être mises à contribution.

[568]     La preuve démontre clairement les limites de l'accompagnement pédagogique tel que théorisé par la Commission scolaire des Phares à travers les mille et un outils issus du «Plan d'action pour Joêl Potvin»[269] et de la «Démarche d'évaluation personnalisée pour les élèves EHDAA»[270].

[569]     Le Tribunal constate les lacunes dans la formation et dans la compréhension quant aux enjeux réels que représente l'intégration en classe ordinaire des élèves présentant une déficience intellectuelle moyenne à sévère (DIMS). Aucun accompagnement ne saurait se substituer à la formation préalable et indispensable à l'intégration en classe ordinaire d'élèves présentant une DIMS ou une trisomie 21.

[570]     De la même manière, la qualité du jugement professionnel des enseignants, en cette matière, ne peut être assurée sans que le milieu scolaire ne se donne les moyens, les ressources et le temps requis afin de s'approprier les changements de pratiques nécessaires à la mise en œuvre des droits des élèves handicapés prévus à la Charte, notamment au niveau de la capacité des enseignants à adapter leurs interventions aux besoins de ces élèves. 

[571]     D'une part, le Tribunal conclut que les lacunes au niveau de la formation entachent le processus même d'évaluation des besoins et capacités de Joël ayant mené au classement de Joël.

[572]     D'autre part, le Tribunal constate que l'adoption de cette multitude d'outils, que les enseignants semblent d'ailleurs avoir beaucoup de difficulté à s'approprier, s'inscrit plus largement dans une culture organisationnelle de pratiques qui, s'ajoutant à une certaine culture pédagogique en matière d'intégration scolaire, produisent des effets disproportionnés d'exclusion pour les élèves présentant des difficultés d'apprentissage reliées à une DIMS ou à une trisomie 21.

[573]     Notamment la preuve a révélé que le système dans son ensemble n'est pas conçu pour accueillir en classe ordinaire des élèves qui présentent une déficience intellectuelle, ceux-ci étant principalement dirigés dans des écoles primaires et secondaires qui regroupent des classes spéciales où se retrouvent ces élèves pour recevoir des services adaptés. La Commission scolaire des Phares n'a pas mis à la disposition de son personnel enseignant et son personnel de direction les ressources nécessaires afin de privilégier concrètement la classe ordinaire pour ces élèves, pas plus qu'elle n'a démontré l'existence d'une politique claire, l'existence de mesures ou de moyens concrets afin de modifier une approche favorisant majoritairement le classement en classe spéciale. La preuve a démontré que cette orientation est perçue comme étant le cadre bénéfique pour ces élèves.

[574]     Puisque l'une des caractéristiques de la discrimination systémique est l'effet disproportionné d'exclusion résultant de pratiques, de politiques et d'attitudes généralisées, la preuve statistique peut s'avérer utile à titre d'indice de discrimination systémique sans par ailleurs que celle-ci ne soit absolument nécessaire pour déterminer la présence ou non de ce type de discrimination. Compte tenu de la difficulté très souvent, pour le plaignant, d'établir la preuve de données qu'il n'a pas en sa possession, cette obligation constituerait un fardeau trop exigeant.

[575]     En l'espèce, la preuve statistique présentée au Tribunal démontre que, durant l'année scolaire 2005-2006[271], parmi les onze élèves du primaire de la Commission scolaire des Phares présentant une déficience intellectuelle moyenne à sévère (DIMS), un seul élève fréquentait la classe ordinaire à plein temps, à l'école Sainte-Agnès. Trois élèves la fréquentaient à temps partiel, dont Joël à raison d'environ six heures par semaine et deux autres élèves à raison de huit heures par mois. Durant l'année 2006-2007, parmi les huit élèves DIMS du primaire, un seul élève fréquentait la classe ordinaire à temps complet et deux élèves la fréquentaient à temps partiel. Durant l'année 2007-2008, deux élèves DIMS fréquentaient la classe ordinaire à temps complet et un élève la fréquentait à temps partiel.

[576]     Ces statistiques, sans qu'elles ne puissent en elles-mêmes permettre quelque conclusion que ce soi quant à l'évaluation particulière de chacun des élèves présentant une DIMS, illustrent clairement la difficulté pour la Commission scolaire des Phares de substituer, dans la réalité, les nouvelles théories de la «Démarche d'évaluation personnalisée pour les élèves EHDAA»[272] officiellement adoptées aux pratiques existantes.

[577]     D'ailleurs, il est étonnant de constater que madame Louise Dionne, qui à partir de novembre 2004 agit en tant que personne-ressource auprès de la Commission scolaire des Phares et travaille à des activités de soutien et de formation continue du personnel scolaire dans le cadre du développement de l'expertise requise pour la prestation des services aux élèves EHDAA, réponde en contre-interrogatoire[273] ne pas connaître le nombre d'élèves qui sont intégrés en classe ordinaire, ni dans quelles écoles.

[578]     Le Tribunal conclut que l'encadrement de Joël et le processus ayant conduit la Commission scolaire des Phares aux décisions de classement pour les années scolaires 2006-2007 et 2007-2008 sont discriminatoires. Ce qui transparaît de ces décisions est que l'exclusion des personnes handicapées présentant une déficience intellectuelle de la classe ordinaire reflète le refus d'accepter que ces élèves ne puissent jamais satisfaire à la réussite académique telle que définie pour les élèves ne présentant pas de handicap ou de déficience intellectuelle et surtout d'accepter qu'il devra toujours continuer à apprendre dans un milieu où il ne pourra comprendre toujours tout. Bien que tous les outils d'évaluation appliqués à Joël indiquent la mesure de ses capacités en fonction de son handicap, aucunement n'est-il envisagé comment les adaptations nécessaires à son intégration en classe ordinaire pourraient être possibles.  

6. LES RÉPARATIONS

[579]     L'article 49 de la Charte, en plus de prévoir la possibilité de compenser les dommages matériels et moraux subis à la suite d'une atteinte illicite aux droits prévus à la Charte ainsi que l'octroi de dommages punitifs en cas d'atteinte intentionnelle, énonce le droit d'obtenir la cessation de cette atteinte notamment par des ordonnances de faire ou de ne pas faire. Cette disposition se lit comme suit :

Art. 49. Une atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnu par la présente Charte confère à la victime le droit d’obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte.

En cas d’atteinte illicite et intentionnelle, le tribunal peut en outre condamner son auteur à des dommages-intérêts punitifs.

[580]     En outre, l’article 80 de la Charte indique que la Commission peut s’adresser au Tribunal en vue d’obtenir, «compte tenu de l’intérêt public, toute mesure appropriée contre la personne en défaut ou pour réclamer, en faveur de la victime, toute mesure de redressement qu’elle juge alors adéquate» (nos soulignements).

6.1 Les dommages moraux

[581]     La Commission demande au Tribunal de condamner la Commission scolaire des Phares à verser la somme de 22 500 $ à titre de dommages moraux aux parents de Joël Potvin, madame Jeannette Pelletier et monsieur Robert Potvin, répartie également entre eux, ainsi qu'une somme de 22 500 $ à titre de dommages moraux à Joël Potvin.

[582]     La preuve a démontré que les parents de Joël n'ont jamais ménagé leurs efforts afin d'assurer un milieu d'apprentissage le plus normal possible à Joël dans son école de quartier et entouré de jeunes de son âge. La preuve est à l'effet qu'ils ont appliqué à la maison les mêmes standards d'intégration que ceux auxquels ils ont toujours cru.

[583]     La preuve démontre surtout que les parents de Joël ont été grandement affectés par le combat qu'ils ont mené afin de faire respecter le droit de leur enfant à l'instruction publique gratuite sans discrimination fondée sur sa déficience intellectuelle. L'impact sur la famille a été important. Monsieur Potvin a témoigné avoir «pensé sérieusement à déménager dans le territoire d'une commission scolaire plus ouverte à l'intégration, mais refaire sa vie ailleurs ce n'est pas facile»[274].

[584]     Les parents de Joël ont témoigné qu'ils ont dû prendre un recours judiciaire à l'encontre de la Commission scolaire des Phares, afin de faire respecter les droits de Joël. Après avoir appris que Joël ferait majoritairement ses apprentissages en classe spécialisée, madame Pelletier, découragée, considérant le jugement de la Cour d'appel du Québec ayant confirmé la situation de discrimination à l'endroit de Joël, refuse d'abord  l'invitation de madame O'Breham à venir la rencontrer le 28 août 2006[275].

[585]     Lors de la rencontre du Comité d'aide pédagogique du 29 septembre 2006, madame Pelletier fait part aux intervenants de son désaccord avec la décision de classement en classe spécialisée. Le compte rendu de cette réunion, préparé par madame O'Breham, témoigne de la force tranquille dont a fait montre madame Pelletier pour concilier le bien-être de Joël avec les «batailles» à mener afin de faire respecter le droit à l'égalité de celui-ci, sans discrimination :

Elle[madame Pelletier] mentionne  vouloir faire tout ce qui est bon pour lui, pour que la société l'accepte comme il est. Elle croit encore que, malgré toutes les batailles, Joël doit être intégré à l'école de son quartier. Elle indique toutefois n'avoir aucun doute sur le travail des enseignantes et l'éducatrice de l'école et, reconnaît leur bon travail. Elle leur mentionne qu'elles ne sont pas en cause, que le débat est autre et qu'il n'est pas facile d'ouvrir des portes à la Commission scolaire.[276]

[586]     En l'espèce, les parents de Joël ont mentionné à plusieurs reprises leur fatigue d'avoir toujours à se «battre» contre le système de la Commission scolaire des Phares afin de faire reconnaître le droit de Joël au classement en classe ordinaire. De plus, même si la preuve démontre que les parents de Joël ont toujours eu une attitude digne et respectueuse, cela ne minimise en rien l'impact, en termes d'inconvénients et de souffrances, qu'a eu sur eux toute cette situation qui s'est étalée sur plusieurs années.

[587]     Toutes ces considérations amènent le Tribunal à conclure que la somme demandée par les parents à titre de dommages moraux est proportionnelle aux inconvénients et au préjudice moral qu'ils ont subis.

[588]     Quant à Joël Potvin, le Tribunal conclut qu'il a subi un préjudice en raison de l'atteinte à son droit d'être évalué sans discrimination, c'est-à-dire en étant privé d'une évaluation qui tende à privilégier l'intégration en classe ordinaire. La Cour suprême du Canada dans l'arrêt Eaton a expliqué les raisons pour lesquelles l'intégration en classe ordinaire d'un enfant ayant une déficience devait être reconnue comme une «norme d'application générale», «compte tenu des avantages qu'elle procure généralement» et sans laquelle l'éradication des politiques et des pratiques influencées par les préjugés et les stéréotypes à l'endroit des personnes handicapées ne pourrait se matérialiser[277].

[589]     La Commission scolaire n'a pas mis en place les moyens nécessaires afin de favoriser cette voie privilégiée. Joël n'a donc pu bénéficier des avantages reliés à une évaluation qui tienne compte de cette orientation fondamentale. L'omission de fournir des moyens raisonnables et d'apporter les modifications qui feront en sorte que les structures organisationnelles mises en place et les pratiques n'entraînent pas «la relégation et la non-participation» des personnes handicapées, a causé préjudice à Joël et, ce faisant, a porté atteinte à son droit à la dignité protégé par l'article 4 de la Charte.

[590]     Joël n'a pu bénéficier d'une approche et de pratiques intégratrices pendant quelque trois années; il n'a pu fréquenter l'école de son quartier, il a vu diminuer de façon substantive sa fréquentation en classe ordinaire et le contact avec ces enfants.

[591]     La Cour d'appel du Québec a mentionné que le préjudice moral «affecte l'être humain dans son for intérieur»[278], bien qu'il soit difficile à mesurer d'une manière exacte ou même approximative. Le Tribunal conclut que le montant des dommages moraux est ici justifié, compte tenu des circonstances.

6.2 Les dommages punitifs

[592]     Le deuxième alinéa de l'article 49 vise à punir «l’auteur» d’une atteinte illicite et intentionnelle ainsi qu'à servir de modèle dissuasif pour les autres. L’octroi de dommages punitifs ne sera donc possible que dans le cas d’une atteinte illicite et intentionnelle. C'est à la partie demanderesse qu'il incombe de prouver qu'il y a non seulement atteinte à ses droits fondamentaux mais aussi que cette atteinte est intentionnelle.

[593]     Dans l'arrêt St-Ferdinand, la Cour suprême du Canada a insisté sur l’aspect de l’intentionnalité de l’atteinte en ces termes :

En conséquence, il y aura atteinte illicite et intentionnelle au sens du second alinéa de l'art. 49 de la Charte lorsque l'auteur de l’atteinte illicite a un état d’esprit qui dénote un désir, une volonté de causer les conséquences de sa conduite fautive ou encore s’il agit en toute connaissance des conséquences, immédiates et naturelles ou au moins extrêmement probables, que cette conduite engendrera.  Ce critère est moins strict que l'intention particulière, mais dépasse, toutefois, la simple négligence.  Ainsi, l’insouciance dont fait preuve un individu quant aux conséquences de ses actes fautifs, si déréglée et téméraire soit-elle, ne satisfera pas, à elle seule, à ce critère.[279] 

[594]     Compte tenu des critères applicables en matière d'octroi de dommages punitifs, le Tribunal conclut qu'il n'y a pas lieu d'octroyer des dommages punitifs.

[595]     En l'espèce, le Tribunal conclut que la discrimination découle de certaines pratiques ou de comportements associés à la présence de stéréotypes qui ne sont pas intentionnels au sens de l'arrêt St-Ferdinand.

[596]     L'approche réductrice adoptée par la Commission scolaire des Phares voulant que la classe spécialisée soit perçue d'emblée comme étant un cadre bénéfique pour l'élève présentant une déficience intellectuelle a pour effet d'instituer une incidence négative sur le droit de ces élèves à intégrer la classe ordinaire. Toutefois, aucun élément de malveillance ne permet au Tribunal d'accorder les dommages punitifs demandés par la Commission.

6.3 Les ordonnances mandatoires

[597]     La Commission demande  au Tribunal de rendre plusieurs ordonnances de type mandatoire afin de changer le système en place à la Commission scolaire des Phares. Reprenons les une par une.

[598]     La Commission demande au Tribunal d'ordonner à la Commission scolaire des Phares d'offrir à son personnel enseignant ainsi qu'au personnel responsable des services éducatifs adaptés, une formation sur les principes régissant l'intégration scolaire des enfants présentant une déficience intellectuelle ou un handicap. Pour les raisons qui suivent, le Tribunal accueille en partie la demande d'ordonnance demandée par la Commission à cet effet.

[599]     En l'espèce, la preuve révèle que les lacunes au niveau de la formation des intervenants ont été déterminantes quant aux difficultés rencontrées par les enseignants et le personnel d'encadrement dans l'accomplissement des tâches consistant à évaluer les moyens de favoriser l'intégration de Joël en classe ordinaire, selon ses besoins et ses capacités. La preuve a révélé que ces lacunes n'ont pas permis aux intervenants d'envisager quelles étaient les mesures d'adaptation particularisées qui pourraient favoriser son intégration en classe ordinaire, en tenant pour acquis que les caractéristiques personnelles reliées au handicap de Joël ne lui permettent pas de rencontrer les mêmes standards de réussite que les autres élèves.

[600]     Le Tribunal constate les lacunes dans la compréhension des enjeux par le personnel enseignant et d'encadrement que représente réellement l'intégration en classe ordinaire des élèves présentant un handicap ou une déficience intellectuelle, des lacunes qui, par les effets qu'elles entraînent, constituent une atteinte discriminatoire au droit de Joël et de ses parents. Aucun accompagnement, tel qu'envisagé par la Commission scolaire des Phares, ne saurait se substituer à la formation préalable et indispensable à l'intégration en classe ordinaire d'élèves présentant un handicap tel que celui de Joël.

[601]     Dans son Observation générale No.9, le Comité des droits de l'enfant des Nations Unies rappelle en ces termes l'importance de prendre en considération la philosophie de l'éducation intégratrice :

Il importe de souligner que l’intégration ne peut en aucune façon être comprise ni appliquée comme le simple fait d’intégrer les enfants handicapés dans le système ordinaire sans tenir compte de leurs problèmes et de leurs besoins particuliers. Une étroite coopération est indispensable entre les enseignants spécialisés et les enseignants généralistes. Il convient de revoir les programmes scolaires et de les réadapter pour répondre aux besoins des enfants, handicapés ou non. Les programmes de formation des enseignants et autres personnels qui participent au système éducatif doivent être modifiés afin de prendre en considération la philosophie de l’éducation intégratrice.[280]

[602]     Le Tribunal tient à souligner l'importance de respecter le jugement professionnel des enseignants, ceux-ci constituant la pierre angulaire de tout système d'éducation. Toutefois, la qualité du jugement professionnel des enseignants en matière d'intégration en classe ordinaire des enfants ayant une déficience intellectuelle ou un handicap ne pourra, conformément aux exigences de la Charte, être reconnue et respectée que si la Commission scolaire des Phares se donne les moyens, les ressources et le temps requis afin de s'approprier les changements de pratiques nécessaires à la mise en œuvre des droits des élèves handicapés, notamment au niveau de la capacité des enseignants à adapter leurs interventions aux besoins de ces élèves.

[603]     Le Tribunal conclut que la facture actuelle des services d'éducation adaptés de la Commission scolaire des Phares constitue une atteinte discriminatoire au droit de Joël à l'instruction publique gratuite prévu à la Charte. Cette situation requiert une modification importante des pratiques afin que les objectifs éducatifs exempts de discrimination à l'endroit des élèves handicapés visés par la Charte et la L.I.P. puissent se concrétiser dans la réalité.

[604]     La Commission demande au Tribunal d'ordonner à la Commission scolaire des Phares de cesser d'effectuer le classement des élèves en fonction du regroupement des élèves nécessitant des services adaptés. Pour les raisons qui suivent, le Tribunal accueille cette demande d'ordonnance.

[605]     Le processus d'évaluation et de classement appliqué par la Commission scolaire des Phares ne permet pas d'envisager toutes les mesures d'adaptation pouvant favoriser l'intégration en classe ordinaire avant de décider du classement de Joël. La preuve démontre que la Commission scolaire privilégie d'emblée le regroupement d'élèves qui nécessitent des services adaptés. Ainsi, l'intégration de Joël dans son école de quartier à l'école de l'Estran a été écartée en raison de l'impossibilité de regroupement d'élèves EHDAA, indiquant du coup que la classe spécialisée était déjà envisagée indépendamment de considérations visant à assurer premièrement le droit de Joël à recevoir ses apprentissages dans son école de quartier.

[606]     La Commission demande au Tribunal d'ordonner à la Commission scolaire des Phares, dans l’intérêt public, de modifier sa «Politique sur l'organisation des services aux élèves handicapés ou en difficulté d'apprentissage»[281] et de procéder à une réorganisation de ses services éducatifs adaptés afin de respecter, dans l’octroi des services adaptés à ces élèves, les obligations énoncées par la Cour d’appel du Québec. Pour les raisons qui suivent, le Tribunal accueille en partie cette demande.

[607]     La Cour d'appel du Québec avait  ainsi conclu dans son jugement de 2006 :

[90] L'appelante devait, avant de décider du classement de Joël, envisager des mesures d’accommodement qui auraient pu permettre qu’il soit intégré en classe ordinaire. L’omission de respecter cette étape essentielle dans le processus décisionnel menant au classement invalide la décision de l'appelante, telle que révisée le 19 novembre 2001.[282]

[608]      Le Tribunal constate que certaines omissions dans la politique de la Commission scolaire des Phares lui ont permis de justifier sa décision de classement sans véritablement envisager, en conformité avec la Charte, toutes les mesures d'adaptation pouvant favoriser l'intégration de Joël en classe ordinaire, compte tenu et de ses besoins et ses capacités.

[609]     Le Tribunal a constaté dans son analyse que la «Politique sur l'organisation des services aux élèves handicapés ou en difficulté d'apprentissage»[283] de la Commission scolaire des Phares avait placé exactement sur un même pied les trois modalités d'intégration, «totale, partielle et regroupement à l'école régulière», ce qui lui a permis de justifier sa décision de classer Joël à l'école l'Aquarelle dans un regroupement d’élèves handicapés, sans devoir démontrer qu'elle avait envisagé toutes les mesures d'adaptation susceptibles de favoriser l'intégration en classe ordinaire et sans faire la preuve d'une contrainte excessive ou d'une atteinte aux droits des autres élèves.

[610]     Le Tribunal a constaté également que la politique de la Commission scolaire des Phares qui prenait pourtant appui sur la Politique de l’adaptation scolaire[284], adoptée par le ministère de l’Éducation quelques années plus tôt en 1999, reste totalement silencieuse sur les voies d’action à privilégier.

[611]      La Politique de l’adaptation scolaire de 1999 énonce que l’intégration des élèves dans une classe ou un groupe ordinaire est la norme générale en raison des avantages que cela procure habituellement. Ce n’est que si cette intégration constitue une contrainte excessive pour la commission scolaire ou qu’elle porte atteinte de façon importante aux droits des autres élèves, qu’une commission scolaire pourra faire un autre choix que l’intégration de l’élève dans une classe ou un groupe ordinaire.

[612]     Une politique est un énoncé de principe qui sert à définir des voies d’action à privilégier. Le Tribunal constate que les lacunes de la «Politique sur l'organisation des services aux élèves handicapés ou en difficulté d'apprentissage» de la Commission scolaire des Phares de 2002 expliquent les choix qui ont été faits à l'égard de l'encadrement, l'intégration et le processus d'évaluation ayant conduit aux classements de Joël en classe spécialisée pour les années 2006-2007 et 2007-2008.

[613]     La Commission scolaire des Phares doit donc modifier sa politique en s’inspirant de la Politique de l’adaptation scolaire du ministère de l'Éducation de 1999, en affirmant clairement que l'intégration est la norme d'application générale et qu'elle doit être favorisée en envisageant toutes les mesures d'adaptation nécessaires à l'intégration en classe ordinaire lors de l'évaluation des besoins et des capacités des élèves présentant une déficience intellectuelle ou un handicap. Dans ce cas, la Commission scolaire doit alors procéder à cette intégration sauf si cela constitue une contrainte excessive ou une atteinte aux droits des autres élèves.

[614]     La Commission demande au Tribunal d'ordonner à la Commission scolaire des Phares d'évaluer et procéder au classement de Joël et des élèves présentant une déficience intellectuelle ou un handicap afin de déterminer l'intérêt particulier de chaque élève de recevoir les services adaptés en classe ordinaire.

[615]     Compte tenu notamment des conclusions du Tribunal quant au processus ayant mené aux décisions de classement de Joël et des conclusions à l'égard de la discrimination systémique, le Tribunal accueille cette demande d'ordonnance.

[616]     La Commission demande au Tribunal d'ordonner la mise en place des mesures nécessaires afin de favoriser la réussite de l'intégration en classe ordinaire. Elle demande qu'un comité, chargé d'élaborer ses mesures, soit mis sur pied afin d'en superviser l'implantation. Le Tribunal accueille pour partie cette ordonnance.

[617]     En matière de réparation, la Cour suprême du Canada a reconnu, dans l'arrêt Larocque[285], l'importance que pouvait prendre l'imposition d'obligations de faire ou de ne pas faire lorsqu'il s'agit de corriger les situations incompatibles avec la Charte :

Ainsi, dans le cadre de l’exercice des recours appropriés devant les organismes ou les tribunaux compétents, la mise en œuvre de ce droit peut conduire à l’imposition d’obligations de faire ou de ne pas faire, destinées à corriger ou à empêcher la perpétuation de situations incompatibles avec la Charte québécoise.[286]

[618]     La Cour suprême du Canada a de plus rappelé, dans l’arrêt Doucet-Boudreau[287],que les dispositions réparatrices doivent être interprétées de manière à assurer une réparation complète, efficace et utile à l'égard des violations de la Charte canadienne:

Selon le principe de l’interprétation téléologique, les dispositions réparatrices doivent être interprétées de manière à assurer «une réparation complète, efficace et utile à l’égard des violations de la Charte» […] là où il y a un droit il y a un recours. Plus particulièrement, cette interprétation comporte au moins deux exigences, à savoir, premièrement, favoriser la réalisation de l’objet du droit garanti (les tribunaux sont tenus d’accorder des réparations adaptées à la situation), et deuxièmement, favoriser la réalisation de l’objet des dispositions réparatrices (les tribunaux sont tenus d’accorder des réparations efficaces).[288] (nos soulignements)

[619]     En l'espèce, le Tribunal conclut que l'ordonnance demandée par la Commission relativement à la mise en place d'un comité chargé d'élaborer et de superviser l'implantation de toutes mesures visant à favoriser la réussite de l'intégration en classe ordinaire d'un élève présentant une déficience intellectuelle ou un handicap est, à la lumière des arrêts Larocque et Doucet-Boudreau, une réparation adaptée et efficace susceptible de contribuer à corriger ou à empêcher la perpétuation d'une situation incompatible avec la Charte, telle que la preuve le révèle.

[620]     La Commission demande au Tribunal d'ordonner à la Commission scolaire des Phares de rendre compte au Tribunal du respect des présentes ordonnances, à une date fixée. Cette demande d'ordonnance est rejetée.

[621]     Le Tribunal estime que les motifs du jugement conjugués aux différentes ordonnances précédentes sont suffisants afin de faire cesser l'atteinte discriminatoire aux droits de Joël et, ce faisant, les préjugés négatifs découlant des pratiques établies dans la structure organisationnelle à l'égard des capacités des élèves handicapés ou présentant une déficience intellectuelle.

[622]     Les ordonnances qui suivent, telles que libellées par le Tribunal, ont pour objectif d'assurer la réorganisation des services et la mise en place d'un processus de classement conforme à la Charte pour les élèves présentant un handicap et une déficience intellectuelle et ce, pour l'année scolaire 2010-2011.

7. LE DISPOSITIF

 

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

 

ACCUEILLE pour partie la présente demande;

ORDONNE à la Commission scolaire des Phares de verser aux victimes Jeannette Pelletier et Robert Potvin une somme de vingt-deux mille cinq cent dollars (22 500$) à titre de dommages moraux répartie également entre eux;

ORDONNE à la Commission scolaire des Phares de verser à la victime Joël Potvin une somme de vingt-deux mille cinq cent dollars (22 500$) à titre de dommages moraux;

ORDONNE à la Commission scolaire des Phares de cesser d'envisager et d'effectuer le classement de Joël en particulier et celui de tous les élèves présentant une déficience intellectuelle ou un handicap en fonction du regroupement des élèves nécessitant des services adaptés;

À CETTE FIN, LE TRIBUNAL :

ORDONNE à la Commission scolaire des Phares, dans l'intérêt public, de modifier sa Politique sur l'organisation des services aux élèves handicapés ou en difficulté d'adaptation ou d'apprentissage, SE-02-08-27, afin qu'elle soit conforme à la Politique de l’adaptation scolaire du ministère de l'Éducation de 1999 et à l'interprétation de la Cour d'appel du Québec, en affirmant clairement que l'orientation fondamentale des services adaptés aux élèves présentant une déficience intellectuelle ou un handicap ou des difficultés d'adaptation ou d'apprentissage doit d'abord être envisagée dans la classe ordinaire, pour les avantages que cela procure généralement et ce, dans un délai de 60 jours;

ORDONNE à la Commission scolaire des Phares de procéder à une réorganisation de ses services adaptés qui tiennent compte des modifications à sa politique ci-haut décrite et ce, dans un délai de 120 jours;

ORDONNE à la Commission scolaire des Phares, lors de l'étape essentielle et préalable du processus décisionnel menant au classement de Joël Potvin et de tous les élèves présentant une déficience intellectuelle ou un handicap, d'envisager toutes les mesures d'adaptation susceptibles de favoriser l'intégration en classe ordinaire;

ORDONNE à la Commission scolaire des Phares, tenant compte de l'étape préalable et essentielle ci-haut énoncée, d'évaluer et de procéder au classement de Joël Potvin et des élèves présentant une déficience intellectuelle ou handicap afin de déterminer l'intérêt particulier de chaque élève, dans le respect de leur droit à la non-discrimination, de recevoir les services adaptés en classe ordinaire en s'assurant que la décision de classement repose sur les besoins et l'étendue des capacités scolaires et sociales de chaque élève, et non sur son degré de déficience intellectuelle ou de son handicap, non plus que sur l'organisation et le regroupement des services adaptés en classe spéciale et ce, dans un délai de 150 jours;

ORDONNE à la Commission scolaire des Phares, prenant en considération l'intérêt public, d'offrir à tout son personnel enseignant et responsable des services éducatifs adaptés, une formation sur les principes régissant l'intégration scolaire des élèves présentant un handicap ou une déficience intellectuelle, laquelle formation serait donnée par une ou des personnes spécialistes en pédagogie inclusive et ayant une expérience dans l'intégration en classe ordinaire d'élèves présentant une déficience intellectuelle ou un handicap, en accord et en collaboration avec la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse et ce, dans un délai de 120 jours;

ORDONNE à la Commission scolaire des Phares, en collaboration avec la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse de mettre sur pied un comité chargé d'élaborer et superviser l'implantation de toutes les mesures nécessaires visant à favoriser la réussite de l'intégration en classe ordinaire des élèves présentant une déficience intellectuelle ou un handicap et ce, dans un délai de 60 jours; 

LE TOUT avec intérêt au taux légal et l'indemnité additionnelle conformément à l'article 1619 C.c.Q., depuis la signification de la proposition de mesures de redressement, soit le 5 novembre 2007, ainsi que les entiers dépens, incluant les frais d'experts, tant pour la préparation de leur rapport que leur présence à la cour.

 

 

 

 

__________________________________

Michèle Rivet, présidente

 

Me Athanassia Bitzakidis

VIZKELETY DRAPEAU BOURDEAU

360, rue St-Jacques Ouest, 2e étage

Montréal, Qc  H2Y 1P5

 

Me Jean-Claude Girard

MORENCY SOCIÉTÉ D'AVOCATS

3075, Chemin des Quatre-Bourgeois, #400

Québec, Qc  G1W 4X5

 

 

 

ASSOCIATION DE LA DÉFICIENCE INTELLECTUELLE

221, rue Tessier

Rimouski, Qc   G5L 8X9

 

MADAME JEANNETTE PELLETIER

MONSIEUR ROBERT POTVIN

(Agissant pour le fils mineur Joël Potvin)

[...] Rimouski, Qc  [...]

 

Dates d’audiences :

2008-12-08 / 2008-12-09 / 2008-12-10 / 2008-12-11 / 2008-12-12 /

2009-01-12 / 2009-01-13 / 2009-01-14 / 2009-01-15 / 2009-01/16 /
2009-03-16 / 2009-03-17 / 2009-03-18 / 2009-03-19 / 2009-04-16 /
2009-04-17

 

 


AUTORITÉS TELLES QUE CITÉES PAR LA PARTIE DEMANDERESSE

(DOCTRINE ET DOCUMENTS INTERNATIONAUX)

1.    Tableaux illustrant les statistiques produites sous la cote P-36 et P-36A;

2.    Serge THOMAZET, L'intégration a des limites, pas l'école inclusive!, Revue des sciences de l'éducation, vol. 34, no1, 2008, p.123-139;

3.    Éric PLAISANCE, Brigitte BELMONT, Aliette VÉRILLON et Cormelia SCHNEIDER, Intégration ou inclusion?, La nouvelle revue de l'adaptation et de la scolarisation, no 37, 1er trimestre 2007, p. 159 à 164;

4.    Nadia ROUSSEAU et Stéphane BÉLANGER, La pédagogie de l'inclusion scolaire, Sainte-Foy, Presses de l'Université du Québec, 2004, p. 347-372;

5.    Pierre BOSSET, «Les fondements juridiques et l'évolution de l'obligation d'accommodement raisonnable», dans les accommodements raisonnables: quoi, comment, jusqu'où?: des outils pour tous, Cowansville, Éd. Yvon Blais Inc., 2007, p. 3 à 28;

6.    L'intégration des élèves handicapés en milieu scolaire public: lignes directrices de la CDPDJ, septembre 1997, Cat. 2.120.12.9.6;

7.    Muriel GARON, La déficience intellectuelle et le droit à l'intégration scolaire, Montréal, Éd. Yvon Blais, 1992, p. 33 à 63;

8.    ONU (1989), Convention relative aux droits de l'enfant et Décret 1676-91 du 9 décembre 1991 concernant la Convention relative aux droits de l'enfant, (1992) 124 G.O. 11.5;

9.    Conclusions et recommandations de la 48e session de la conférence internationale de l'éducation (cie), ED/BIE/CONFINTED 48/5;

10.  UNESCO (Bureau international de l'éducation), «L'éducation pour l'inclusion: de la recherche aux réalisations pratiques», Séminaire international, 21 et 22 novembre 2008;

11.  Conférence internationale de l'éducation, 48e session: «L'éducation pour l'inclusion: la voie de l'avenir», 25-28 novembre 2008, ED/BIE/CONFINTED 48/3;

12.  UNESCO (2006), Principes directeurs pour l'inclusion: Assurer l'accès à «l'Éducation Pour Tous»;

13.  ONU (2006), Convention relative aux droits des personnes handicapées et protocole facultatif;

14.  UNESCO (1990), Déclaration mondiale sur l'éducation pour tous et Cadre d'action pour répondre aux besoins éducatifs fondamentaux, Paris: UNESCO;

15.  ONU ET UNESCO (1994), Déclaration de Salamanque et Cadre d'action pour l'éducation et les besoins spéciaux;

16.  ONU (1993), Règles pour l'égalisation des chances des handicapés.

 


AUTORITÉS TELLES QUE CITÉES PAR LA PARTIE DEMANDERESSE

(DROIT À L'ÉGALITÉ)

 

JURISPRUDENCE

Droit à l'égalité en matière d'éducation

1.    Commission scolaire des Phares c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, [2006] R.J.Q. 378 (C.A.);

2.    Eaton c. Conseil scolaire du Comté de Brant, [1997] 1 R.C.S., p. 241;

3.    Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Commission scolaire Marie-Victorin, no 505-53-000018-058, 5 février 2007, j. Pauzé (T.D.P.Q.).

Droit à l'égalité des personnes handicapées

4.    Conseil des Canadiens avec déficiences c. VIA Rail Canada Inc., [2007] 1 R.C.S. 650;

5.    Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Restaurant Scampinata inc., (1995) 23 C.H.R.R.  D/392 (T.D.P.Q.).

Obligation d'accommodement

6.    Colombie-Britanique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU (affaire Meiorin), [1999] 3 R.C.S. 3;

7.    Colombie-Britanique (Superintendent of Motor Vehicles) c. Colombie-Britanique (Council of Human Rights) (Affaire Grismer), [1999]  3 R.C.S.  868;

8.    Central Okanagan School District no 23 c. Renaud, [1992] 2 R.C.S.  970.

9.    Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Coopérative d'habitation l'Escale de Montréal, JE 2008-306 (T.D.P.Q.);

10.  Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Corporation d'Urgences-Santé, no 500-53-000265-072, 11 décembre 2008, j. Audet (T.D.P.Q.);

11.  Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Emballage Polystar inc., (1997), 28 C.H.R.R. D/76 (T.D.P.Q.).

Réparation

12.          BAUDOUIN, J - L et DESLAURIERS, La responsabilité civile, 7e éd., volume 1 Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2007, p.401 à 412;

13.          Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Communauté urbaine de Montréal, [2004] 1 R.C.S. 789;

14.          Doucet-Boudreau c. Nouvelle-Écosse (Ministre de l'Éducation), [2003] 3
R.C.S. 3;

15.          Malhab c. Métromédia CMR Montréal Inc, [2003] R.J.Q. 1011 (C.A.);

16.          Québec (Curateur Public c. Syndicat national des employés de l'Hôpital
St-Ferdinand
), [1996] 3 R.C.S. 211.


AUTORITÉS TELLES QUE CITÉES PAR LA PARTIE DEMANDERESSE

(LA DISCRIMINATION SYSTÉMIQUE)

 

1.            Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Gaz Métropolitain inc., J.E. 2008-1800, (T.D.P.Q.), extraits: par. 1 à 89 et par. 492 et suivants (en appel no 500-09-019077-080);

2.            C.N. c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1987] 1 R.C.S. 1114;

3.            Radek v. Henderson Development (Canada) Ltd. (No 3), 52 C.H.R.R. D/430, extraits: par. 500 à 666;

4.            Ayangma v. Govt. of PEI, (2000) PESCTD 74, extraits: para. 113 à 151;

5.            Green c. Commission de la fonction publique du Canada, AZ-98149201, (T.C.D.P.);

6.            P.S.A.C. v. Canada (Dept. of National Defence), 27 C.H.R.R. D/488 (F.C.A.);

7.            Brome v. Ontario (Human Rights Comm.), 35 C.H.R.R. D/469 (Ont. Ct. (Gen. Div.)).


AUTORITÉS TELLES QUE CITÉES PAR LA PARTIE DEMANDERESSE

(LÉGISLATION ET DOCUMENTS DU MELS)

 

Législation

1.            Loi sur l'instruction publique, L.R.Q., c. I-13.3;

2.            Régime pédagogique de l'éducation préscolaire de l'enseignement primaire et de l'enseignement secondaire, R.Q., c. I-13.3, r. 8;

3.            Loi assurant l'exercice des droits des personnes handicapées en vue de leur intégration scolaire, professionnelle et sociale, L.R.Q., c. E-20.1.

 

Documents du MELS

4.            MINISTÈRE DE L'ÉDUCATION, Une école adaptée à tous ses élèves: Politique de l'adaptation scolaire, 1999;

5.            MINISTÈRE DE L'ÉDUCATION, Une école adaptée à tous ses élèves: Plan d'action en matière d'adaptation scolaire, 1999;

6.            MINISTÈRE DE L'ÉDUCATION, DU LOISIR ET DU SPORT DU QUÉBEC, Des conditions pour mieux résussir: Plan d'action pour soutenir la réussite des élèves handicapés ou en difficulté d'adaptation ou d'apprentissage (EHDAA), 2008;

7.            MINISTÈRE DE L'ÉDUCATION, DU LOISIR ET DU SPORT DU QUÉBEC, Le plan d'intervention…au service de la réussite de l'élève: Cadre de référence pour l'établissement des plans d'intervention, 2004.


AUTORITÉS TELLES QUE CITÉES PAR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

1.            Puran c. Commission scolaire Les Écores, no 500-05-013649-890, jugement non publié, pour les motifs cités aux pages 5 et 6 du jugement Puran c. Conseil des commissaires de la Commission scolaire Les Écores, J.E. 90-339 (C.S.),
AZ-90021099;

2.            Lisenko c. Commission scolaire St-Hyacinthe Val-Monts, J.E. 96-787 (T.D.P.Q.), AZ-96171004;

3.            Commission scolaire St-Jean-sur Richelieu c. CDPDJ, [1994], R.J.Q. 1227;

4.            Commission scolaire Régionale Chauveau c. CDPDJ, [1994], R.J.Q. 1196;

5.            Commission scolaire des Phares c. CDPDJ, J.E. 2006-368 (C.A.) AZ-50353142;

6.            CDPDJ c. Québec (P.G.) [2006] R.J.Q. 2706 (C.A.);

7.            British Columbia v. Moore, [2008] B.C.J. no 264 (CSCB);

8.            Picard c. Conseil des commissaires de la Commission scolaire Prince-Daveluy, AZ-91021025 (C.S.), jugement confirmé en appel [1992] R.J.Q. 2369 (C.A.);

9.            Patrice GARANT, Droit administratif, 4e éd., vol. 2, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1996;

10.          Johnson c. Commission scolaire Lester B. Pearson, 2000 CanLII5769 (C.A.);

11.          Université de la Colombie-Britannique c. Berg, [1993] 2 R.C.S. 353;

12.          Lachute Air Service c. Lachute (Ville de), J.E. 84-153 (C.S.);

13.          Conseil des Canadiens avec déficiences c. Via Rail Canada Inc., [2007] 1 R.C.S. 650;

14.          CDPDJ c. Commission scolaire des Phares, J.E. 2005-81 (T.D.P.Q.),
AZ-50284181;

15.          Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien c. Rainville, [1982] 2 R.C.S. 518;

16.          Hull (Ville de) c. Eyamie, B.E. 2001BE-609 (C.S.), AZ-01026262, infirmé en appel pour un autre motif J.E. 2001-1393 (C.A.);

17.          Protection de la jeunesse - 775, J.E. 95-1365 (C.Q.), AZ-95031312;

18.          Syndicat des travailleuses et travailleurs de la Brasserie Labatt (CSN) c. Marcheterre, EYB 2006-102223 (C.S.), AZ-50359607;

19.          Hôpital Maisonneuve-Rosemont c. Rousseau, D.T.E. 93T-942, AZ-93029088 (C.S.);

20.          Communauté urbaine de Montréal c. Cadieux, REJB 2002-29369 (C.A.);

21.          Université Laval c. CDPDJ, 2005 QCCA 27;

22.          United Parcel Service du Canada Ltée c. Foisy, 2006 QCCS 1466,
AZ-50363118;

23.          Cambior inc. c. Brody, AZ-50108763 (C.S.);

24.           CDPDJ c. Poirier, 2008 QCTDP 27, AZ-50516122;

25.          Québec (P.G.) c. Lavoie, 2006 QCCS 1632, AZ-50364292;

26.          Hamel-Montambault c. Letarte, AZ-00026398 (C.S.);

27.          CN c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1987] 1 R.C.S. 1114;

28.          CDPDJ c. Gaz Métropolitain inc., 2008 QCTDP 24;

29.          Changtin c. Montréal (Ville de), 1995 CanLII 2033 (T.D.P.Q.);

30.          CDPDJ c. Commission scolaire St-Jean-sur Richelieu, [1991] R.J.Q. 3003, J.E. 91-1670 (T.D.P.Q.), AZ-91171000.


AUTORITÉS TELLES QUE CITÉES PAR LA PARTIE DÉFENDERESSE

(QUANT AUX DOMMAGES RECLAMES)

 

Jurisprudence

1.            Béliveau St-Jacques c. FEESP, [1996] 2 R.C.S. 345;

2.            Joyal c. Beaudoin, [1996] R.R.A. 617 (C.S.);

3.            Moss c. Sunys Petroleum Inc., [2002] R.J.Q. (C.A.);

4.            Uni-Sélect Inc. c. Acktion Corp., [2002] R.J.Q. (C.A.);

5.            St-Paul Fire & Marine Insurance Co. c. Parsons & Misiurak Construction Ltd., [1996] R.J.Q. 2925;

6.            Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l'hôpital St-Ferdinand, [1996] 3 R.C.S. 211;

7.            West Island Teachers' Association c. Nantel, [1998] R.J.Q. 1569 (C.A.);

8.            Radiomutuel Inc. c. Carpentier, [1995] R.R.A. 315 (C.A.).

 

Doctrine

1.            Jean-Louis BAUDOIN et Patrice DESLAURIERS, La responsabilité civile, 5e éd., Cowansville (Qc), Yvon Blais, 1998.


AUTORITÉS DU TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

AUTRES QUE CELLES CITÉES PAR LES PARTIES

 

Législation

Droit international (convention et documents)

1.            Déclaration universelle des droits de l'homme, A.G. Rés. 217 A (III) du 10 décembre 1948, Doc. N.U., art. 1;

2.            Déclaration des droits du déficient mental, Proclamée par l'Assemblée générale des Nations Unies dans sa résolution 2856 (XXXVI) du 20 décembre 1971, art. 2;

3.            Comité des droits de l'enfant, Observation générale No.9 - Les droits des enfants handicapés, CRC/C/GC/9 (27 février 2007);

4.            Rapport de Vernor Muňoz : Rapporteur spécial sur le droit à l'éducation - Le droit à l'éducation des personnes handicapées, A/HRC/4/29, Conseil des droits de l'homme (19 février 2007);

5.            Convention relative aux droits des personnes handicapées, adoptée par l'Assemblée générale des Nations Unies le 13 décembre 2006, entrée en vigueur le 3 mai 2008;

6.            UNESCO (Bureau international de l'éducation), «L'éducation pour l'inclusion : de la recherche aux réalisations pratiques», Séminaire international, 21 et 22 novembre 2008.

 

Jurisprudence

1.            Health Services and Support - Facilities Subsector Bargaining Assn. c. Colombie-Britannique, [2007] 2 R.C.S. 391, par. 78;

2.            Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c. Canada (Procureur général), [2004] 1 R.C.S. 76, par. 32-34;

3.            Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3, par. 60;

4.            R. c. Advance Cutting & Coring Ltd., [2001] 3 R.C.S. 209, par.12;

5.            114957 Canada Ltée (Spraytech, Société d'arrosage) c. Hudson (Ville), [2001] 2 R.C.S. 24, par. 30;

6.             R. c. Sharpe, [2001] 1 R.C.S. 45, par. 177-178;

7.            Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, par. 70;

8.            Gosselin c. Québec (Procureur général), [2002] 4 R.C.S. 429;

9.            Nouvelle-Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Martin; Nouvelle-Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Laseur, [2003] 2 R.C.S. 504;

10.         R. c. Mohan, [1994] 2 R.C.S. 9;

11.         Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143;

12.         Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Montréal (Ville), [2000] 1 R.C.S. 665;

13.         Commission scolaire régionale de Chambly c. Bergevin, [1994] 2 R.C.S. 525; Ford c. Québec (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 712;

14.         Desroches c. Commission des droits de la personne du Québec, [1997] R.J.Q. 1540, 1547 (C.A.);

15.         Chambre de la jeunesse, C.Q. Montréal (Ch. Jeun.), nº 525-41-008790-008, 11 décembre 2003, j. Bernier.

16.         Droit de la famille-595, [1989] R.D.F. 94 (C.Q.).

 

Doctrine

1.            Jean-Claude ROYER et Sylvie LAVALLÉE, La preuve civile, 4e édition, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2008, p. 347-349;

2.            Édith DELEURY et Dominique GOUBAU, Le droit des personnes physiques, 4e édition, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2008, p. 534.

 



[1] L.R.Q. c. C-12.

[2] Commission scolaire des Phares c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, [2006] R.J.Q. 378 (C.A.).

[3] Telles qu'amendées en date du 11 novembre 2008.

[4] D-9 : Démarche d'évaluation personnalisée pour les élèves EHDAA (élèves handicapés ou en difficulté d'adaptation ou d'apprentissage) de la défenderesse.

[5] L'Association de la déficience intellectuelle est la partie plaignante et intéressée et les victimes sont madame Jeannette Pelletier et monsieur Robert Potvin en leur nom et au nom de leur fils mineur Joël Potvin.

[6] Commission scolaire des Phares c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, préc., note 2.

[7] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Commission scolaire des Phares, [2005] R.J.Q. 309 (T.D.P.Q.).

[8] Commission scolaire des Phares c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, préc., note 2, par. 56.

[9] Toutes deux ont été rendues sur procès-verbal.

[10] P-42 : En liasse, documents pour compléter le dossier scolaire de Joël Potvin (partie de l'engagement #6 de l'interrogatoire de Joyce O'Breham), p. 11 (Lettre du 3 septembre 2003 des parents de Joël à monsieur Paul Labrecque, directeur général de la Commission scolaire des Phares).

[11] Témoignage de madame Johanne Tremblay, le 10 décembre 2008.

[12] Id.

[13] Id.

[14] D-6 : En liasse : Plan d'action pour Joël Potvin, daté du 6 février 2006 et échéancier.

[15] Commission scolaire des Phares c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, préc., note 2, par. 103.

[16] D-8 : Correspondance de Liette Picard, directrice de la Direction de l'adaptation scolaire du ministère de l'Éducation, du Loisir et du Sport, du 13 mars 2006.

[17] Elle est titulaire d'un baccalauréat en orthopédagogie obtenu en 1997 et d'un certificat en interprétation visuelle en 2000. Avant d'être recrutée comme conseillère pédagogique, elle était personne-ressource en déficience auditive au MELS où elle accompagnait les conseillères pédagogiques auprès des personnes ayant une déficience auditive.

[18] P-34 : Plan de formation annuel du personnel de la commission scolaire de 2005 à aujourd'hui, incluant la formation relative à l'intégration en classe ordinaire des enfants présentant une déficience (engagement #2 de l'interrogatoire de Marie Dubé), p. 424 et 535.

[19] D-9, préc., note 4.

[20] Id., Annexe 1.

[21] Id., Annexe 2.

[22] Id., Annexe 3.

[23] Id., Annexe 4.

[24] Id., Annexe 5.

[25] Id., Annexe 6.

[26] Id., Annexe 7.

[27] Id., Annexe 8.

[28] D-12 : Démarche de planification et d'évaluation personnalisée pour les élèves handicapés ou en difficulté d'adaptation ou d'apprentissage, tel qu'il appert de la Démarche, pièce D-9, révisée en date du 29 mars 2006, Annexes 6 et 7.

[29] Id., Annexe 4.

[30] P-33 : Liste des mesures d'appui et de soutien, utilisées de façon générale (engagement # 6 de l'interrogatoire de Johanne Trudeau).

[31] D-12, préc., note 28, Annexe 4.

[32] D-9, préc., note 4, Annexe 8.

[33] Id.

[34] P-42, préc., note 10, p. 24-29.

[35] Les outils appliqués à Joël se retrouvent sous la cote D-12 (préc., note 28) et ses annexes.

[36] D-13 : Document intitulé Décision-Orientation.

[37] P-18 : Dépositions de mesdames Johanne Trudeau, Joyce O'Breham et Marie Dubé, recueillies lors des interrogatoires après défense tenus le 15 octobre 2008 (en liasse), p. 16 (engagement # 3).

[38] P-32 : Dossier de Johanne Trudeau, conseillère pédagogique, relatif à Joël Potvin (engagement # 3 de l'interrogatoire de Johanne Trudeau).

[39] Il s'agit de madame Catherine Jeffrey et non de madame Johanne Trudeau.

[40] D-11 : Rapport de rencontre du Comité d'aide pédagogique du 3 mai 2006.

[41] D-13, préc., note 36.

[42] Id.

[43] Id.

[44] Témoignage de madame Louise Dionne, le 15 et le 16 janvier 2009.

[45] P-32, préc., note 38, p. 12-13.

[46] Rapport de la rencontre aux pièces D-14 : Rapport de rencontre du Comité d'aide pédagogique de la rencontre du 21 juin 2006; P-4 : Dossier scolaire de Joël Potvin pour l'année 2005-2006 et 2006-2007 jusqu'au 9 novembre 2006, tel que transmis par la Commission scolaire, p. 51.

[47] D-12, préc., note 28, Annexe 3.

[48] Id., Annexe 9.

[49] P-4, préc., note 46, p. 3-4.

[50] D-24 : Démarche de planification et d'évaluation personnalisée pour les élèves handicapés ou en difficulté d'adaptation ou d'apprentissage, [pièce D-9 révisée en date du 7 septembre 2007], Annexe 1.

[51] P-4, préc., note 46, p. 184 (Rapport de rencontre du Comité d'aide pédagogique du 29 septembre 2006).

[52] Témoignage de madame Suzanne Doucet, le 12 décembre 2008.

[53] D-18 : Plan d'intervention, daté du 29 septembre 2006.

[54] P-32, préc., note 38, p. 206.

[55] P-4, préc., note 46, p. 184-187 (Rapport de rencontre du Comité d'aide pédagogique du 29 septembre 2006).

[56] D-12, préc., note 28, Annexe 10, qui sont listées à l'annexe 2 du plan d'intervention (P-4, préc., note 46, p. 182-183; D-15, Démarche de planification et d'évaluation personnalisée pour les élèves handicapés ou en difficulté d'adaptation ou d'apprentissage, [pièce D-9 révisée en date du 10 novembre 2006], Annexe 10).

[57] P-4, préc., note 46, p.186.

[58] D-21 : Bilan du soutien offert aux intervenants scolaires - école l'Aquarelle - Joël Potvin année scolaire 2006-2007, de Johanne Trudeau, conseillère pédagogique en adaptation scolaire à l'emploi de la défenderesse.

[59] P-32, préc., note 38, p. 176 (Compte rendu de madame Johanne Trudeau envoyé par courriel à madame Joyce O'Breham et, en copie conforme, à mesdames Marie Dubé et Louise Dionne).

[60] Id., p. 178.

[61] D-22 : Correspondance de Jeannette Pelletier, datée du 26 février 2007.

[62] D-19 : Compte rendu du Comité d'aide pédagogique concernant Joël Potvin tenu le 28 février 2007.

[63] Id.

[64] Id.

[65] P-32, préc., note 38, p.119-142.

[66] D-9, préc., note 4.

[67] D-13, préc., note 36.

[68] D-23 : Décision-orientation en vue de l'orientation scolaire de Joël Potvin pour 2007-2008, de juin 2007.

[69] D-20 : Compte rendu du Comité d'aide pédagogique concernant Joël Potvin tenu le 20 juin 2007.

[70] Témoignage de madame Jeannette Pelletier en contre-preuve, le 16 avril 2009.

[71] D-24, préc., note 50, Annexe 13.

[72] Id.

[73] D-27 : Compte rendu du Comité d'aide pédagogique concernant Joël Potvin tenu le 3 octobre 2007.

[74] D-24, préc., note 50, Annexe 4.

[75] D-12, préc., note 28, Annexe 10; D-15, préc., note 56, Annexe 10.

[76] D-29 : Compte rendu du Comité d'aide pédagogique concernant Joël Potvin tenu le 23 janvier 2008.

[77] Id.

[78] Voir D-30 : Compte rendu du Comité d'aide pédagogique concernant Joël Potvin tenu le 18 juin 2008.

[79] D-24, préc., note 50, Annexe 12.

[80] Id., Annexe 11.

[81] D-25 : Correspondance de Joyce O'Breham, directrice de l'école l'Aquarelle, du 24 janvier 2008.

[82] P-32, préc., note 38, p. 33-35.

[83] Témoignage de madame Louise Dionne, le 16 janvier 2009.

[84] D-32 : Analyse des adaptations raisonnables basée sur l'étendue des capacités et besoins de Joël Potvin aux fins de son orientation pour l'année scolaire 2008-2009, daté du 15 août 2008; P-14 : Analyse pour fin de classement 2008-2009.

[85] Id., p. 7-11.

[86] Id., p. 13.

[87] Id.

[88] Témoignage de madame Johanne Trudeau, le 17 mars 2009.

[89] P-14, préc., note 84; D-32, préc., note 84.

[90] Programmes d'études adaptés avec compétences transférables essentielles.

[91] P-16 : Plan d'intervention du 23 septembre 2008.

[92] P-19 : Lettre de madame Jeannette Pelletier en date du 22 septembre 2008 et réponse de madame Édith de Champlain en date du 6 octobre 2008 (en liasse).

[93] Id.

[94] Id.

[95] P-14, préc., note 84; D-32, préc., note 84.

[96] Témoignage de madame Johanne Trudeau, le 17 mars 2009.

[97] P-36 : En liasse, les statistiques de la Commission scolaire, de 2005 à aujourd'hui (engagement # 6 de l'interrogatoire de Marie Dubé).

[98] P-36-A, B, C et D.

[99] Cahier d'autorités de la partie demanderesse, Volume 1, Onglet 1.

[100] Id.

[101] [1994] 2 R.C.S. 9, 20.

[102] Jean-Claude ROYER et Sylvie LAVALLÉE, La preuve civile, 4e édition, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2008, p. 347-349.

[103] P-21-A : Rapport d'évaluation et d'expertise en orthophonie de madame Caroline Pouliot daté du 27 octobre 2008, p. 12.

[104] Id.

[105] Id., p. 13.

[106] Id.

[107] À la suite des engagements de mesdames Johanne Trudeau (P-31 : Documentation fournie, suite à la demande relative à la formation qu'elle a dispensée à l'école l'Aquarelle à l'équipe école responsable de Joël Potvin (engagement # 2 de l'interrogatoire de Johanne Trudeau), Marie Dubé (P-34, précité, note 18; P-37 : Document ayant inspiré la démarche D-9 (engagement # 7 de l'interrogatoire de Marie Dubé), Joyce O'Breham (P-26 : En liasse, documentation transmise le 21 novembre 2008 comme étant la formation reçue en matière d'intégration en classe ordinaire des élèves présentant une déficience (engagement # 3 de l'interrogatoire de Joyce O'Breham; P-27 : En liasse, documents dont madame Joyce O'Breham a pris connaissance relativement à la pédagogie inclusive (sans préciser le moment et le contexte) (engagement # 7 de l'interrogatoire de Joyce O'Breham), lors des interrogatoires au préalable.

[108] P-43 : Rapport d'expertise de madame Lorraine Doucet daté du 3 décembre 2008, p. 11.

[109] Id., p. 14.

[110] Pièce D-55-A : Rapport d'expertise du Docteur Robert Dubé daté du 21 novembre 2008, p. 3.

[111] Id., p. 9.

[112] Id., p. 10.

[113] Id., p. 13.

[114] Id., p. 13-14.

[115] D-50-A : Rapport d'expertise de madame Line Jacques daté du 4 décembre 2008, p. 18.

[116] Health Services and Support - Facilities Subsector Bargaining Assn. c. Colombie-Britannique, [2007] 2 R.C.S. 391, par. 78; Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c. Canada (Procureur général), [2004] 1 R.C.S. 76, par. 32-34; Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3, par. 60; R. c. Advance Cutting & Coring Ltd., [2001] 3 R.C.S. 209, par.12; 114957 Canada Ltée (Spraytech, Société d'arrosage) c. Hudson (Ville), [2001] 2 R.C.S. 24, par. 30; R. c. Sharpe, [2001] 1 R.C.S. 45, par. 177-178; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, par. 70.

[117] Déclaration universelle des droits de l'homme, A.G. Rés. 217 A (III) du 10 décembre 1948, Doc. N.U., art. 1.

[118] Id., art. 26, par. 2.

[119] Déclaration des droits du déficient mental, Proclamée par l'Assemblée générale des Nations Unies dans sa résolution 2856 (XXXVI) du 20 décembre 1971, art. 2.

[120] Adoptée le 20 novembre 1989: Rés. A.G. 4425, Annexe; déclaration d'adhésion du Québec le 9 décembre 1991 et ratification par le Canada le 12 décembre 1991.

[121] Adoptée en mars 1990 par la Conférence mondiale sur l'éducation pour tous - Répondre aux besoins éducatifs fondamentaux - sous l'égide de l'UNESCO.

[122] Adoptées le 20 décembre 1993 par l'Assemblée générale des Nations Unies, Doc. N.U., A/RES/48/96, mars 1994, par. 26 de l'introduction.

[123] Comité des droits de l'enfant, Observation générale No.9 - Les droits des enfants handicapés, CRC/C/GC/9 (27 février 2007), par.11.

[124] Id., par. 66.

[125] Id., par. 63.

[126] Id., par. 67.

[127] Convention relative aux droits des personnes handicapées, adoptée par l'Assemblée générale des Nations Unies le 13 décembre 2006, entrée en vigueur le 3 mai 2008.

[128] Id., art. 3.

[129] Id., art. 7.

[130] Rapport de Vernor Muňoz : Rapporteur spécial sur le droit à l'éducation - Le droit à l'éducation des personnes handicapées, A/HRC/4/29, Conseil des droits de l'homme (19 février 2007), par. 9.

[131] Id., par. 11.

[132] Id., par. 12.

[133] Id., par. 37.

[134] Id., par. 41.

[135] Id., par. 25.

[136] Id., par. 81 et suivants.

[137] Id., par. 27.

[138] Commission des droits de la personne du Québec c. Commission scolaire Saint-Jean-sur-Richelieu, [1991] R.J.Q. 3003, 3037 (T.D.P.Q.). Confirmée par la Cour d'appel à [1994] R.J.Q. 1227 (C.A.).

[139] Desroches c. Commission des droits de la personne du Québec, [1997] R.J.Q. 1540, 1547 (C.A.).

[140] Gosselin c. Québec (Procureur général), [2002] 4 R.C.S. 429.

[141] Id., par. 430.

[142] Loi sur l'instruction publique, L.R.Q., c. I-13.3.

[143] Commission scolaire St-Jean sur Richelieu c. Commission des droits de la personne du Québec, préc., note 138, 1241-1242.

[144] Commission scolaire des Phares c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, préc., note 2, par. 53.

[145] Id., par. 56.

[146] Eaton c. Conseil scolaire du comté de Brant, [1997] 1 R.C.S. 241, par. 69.

[147] Id., par. 67 (nos soulignements). Dans cet arrêt, la Cour suprême devait notamment déterminer si l'exclusion d'une enfant handicapée de la classe ordinaire constituait une atteinte au droit à l'égalité protégé par l'article 15 (1) de la Charte canadienne.

[148] Id., par. 69.

[149] Id., par. 69.

[150]Nouvelle-Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Martin; Nouvelle-Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Laseur, [2003] 2 R.C.S. 504, par. 81.

[151] Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143, 169.

[152] Eaton c. Conseil scolaire du comté de Brant, préc., note 146, par. 69.

[153] Commission scolaire des Phares c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, préc., note 2, par. 55.

[154] L.R.Q. c. 64, art. 33, al. 1 : «Les décisions concernant l'enfant doivent être prises dans son intérêt et dans le respect de ses droits».

[155] L.R.Q., c. P-34.1, art. 3.

[156] Voir en ce sens plusieurs décisions, notamment : Droit de la famille-595, [1989] R.D.F. 94 (Q.C.), dans laquelle l'honorable Nicole Bernier écrit : «Décider dans l'intérêt de l'enfant et le respect de ses droits ne serait-il pas décider à la lumière de leurs droits tel que la loi les définit? N'est-ce pas établir le juste équilibre dans l'exercice de leurs droits lorsque ceux-ci sont en péril?» (p. 18). Voir aussi le jugement de la Chambre de la jeunesse, C.Q. Montréal (Ch. jeun.), n° 525-41-008790-008, 11 décembre 2003, j. Bernier.

[157] Édith DELEURY et Dominique GOUBAU, Le droit des personnes physiques, 4e édition, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2008, p. 534.

[158] L.I.P., art. 64.

[159] Commission scolaire des Phares c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, préc., note 2, par. 49.

[160] Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c. Canada (Procureur général), [2004] 1 R.C.S. 76, par. 11.

[161]  Eaton c. Conseil scolaire du comté de Brant, préc., note 146, par. 69.

[162] Commission scolaire des Phares c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, préc., note 2, par. 56 (ii).

[163] Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Montréal (Ville), [2000] 1 R.C.S. 665; Commission scolaire régionale de Chambly c. Bergevin, [1994] 2 R.C.S. 525; Ford c. Québec (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 712.

[164] Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Montréal (Ville), id., 695.

[165] Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, [1999] 3 R.C.S. 3 (ci-après «Meiorin»).

[166] Colombie-Britannique (Superintendent of Motor Vehicles) c. Colombie-Britannique (Council of Human Rights), [1999] 3 R.C.S. 868.

[167] Eaton c. Conseil scolaire du comté de Brant, préc., note 146, par. 69.

[168] Id., par. 77.

[169] Commission scolaire des Phares c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, préc., note 2, par. 56.

[170] Conseil des canadiens avec déficiences c. Via Rail Canada Inc, [2007] 1 R.C.S. 650, par. 123.

[171] Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, préc., note 165, par. 63.

[172] Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1987] 1 R.C.S. 1114 (ci-après «Action Travail des Femmes»).

[173] Id., 1143.

[174] Rosalie S. ABELLA, Rapport de la Commission sur l'égalité en matière d'emploi, Ottawa, Ministère des Approvisionnements et Services Canada, 1984.

[175] Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), préc., note 172, 1138-1139.

[176] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Gaz métropolitain inc., [2009] R.J.Q. 487, par. 471 (T.D.P.Q.) (ci-après «Gaz métropolitain»).

[177] Green c. Canada (Commission de la fonction publique), (1998) 34 C.H.R.R. D/166, 1998 CanLII 2101 (T.C.D.P.).

[178] Id., D/192-D/193.

[179] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Gaz métropolitain inc., préc., note 176, par. 37.

[180] Id., par. 36.

[181] Radek v. Henderson Development (Canada) Ltd (No 3), (2005) 52 C.H.R.R. D/430.

[182] Id., par. 513.

[183] MINISTÈRE DE L'ÉDUCATION DU QUÉBEC, Une école adaptée à tous ses élèves. Prendre le virage du succès. Politique de l'adaptation scolaire, Québec, Publications du Québec, 1999 (Cahier d'autorités de la partie demanderesse, Volume 4, Onglet 4).

[184] Commission scolaire des Phares c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, préc., note 2.

[185] L.R.C., c. H-6.

[186] P.S.A.C. c. Canada (Dept. of National Defence), (1997) 27 C.H.R.R. D/488, par. 16 (F.C.A.).

[187] Témoignage de madame Johanne Tremblay, le 10 décembre 2008.

[188] Id.

[189] Id.

[190] MINISTÈRE DE L'ÉDUCATION DU QUÉBEC, préc., note 183, p. 17.

[191] P-18, préc., note 37, p. 131-132.

[192] P-4, préc., note 46, p.122-123.

[193] Pièce D-10 : Compte rendu de la rencontre pour la démarche d'évaluation personnalisée de Joël tenue le 19 avril 2006.

[194] D-21, préc., note 58.

[195] Contre-interrogatoire de madame Johanne Trudeau, le 17 mars 2009; P-31 (préc., note 107) et D-21, (id).

[196] D-21, id.

[197] P-32, préc., note 38.

[198] Id., p. 178.

[199] Id.

[200] Id., p. 184.

[201] Id., p. 182.

[202] Id., p. 178.

[203] Id.

[204] Id., p. 182.

[205] D-21, préc., note 58.

[206] Id.

[207] P-32, préc., note 38, p. 154.

[208] Id., p. 119-142.

[209] P-21-A, préc., note 103, p. 13.

[210] R.Q., c. I-13.3, r. 8, art. 4, al. 1.

[211] D-24, préc., note 50, Annexe 13.

[212] Témoignage de madame Josée Mainville, le 10 décembre 2008.

[213] D-31 : Bilan du soutien offert aux intervenants scolaires - école l'Aquarelle - Joël Potvin année scolaire 2007-2008, de Johanne Trudeau, conseillère pédagogique en adaptation scolaire à l'emploi de la défenderesse.

[214] Témoignage de madame Julie Proulx, le 12 janvier 2009.

[215] D-33 : En liasse, document intitulé Données dégagées des rapports professionnels concernant Joël Potvin, de Louise Dionne, personne-ressource au SRSE-DI-TED, daté du 19 août 2008, ainsi que ces rapports.

[216] P-19, préc., note 92.

[217] Id.

[218] Commission scolaire des Phares c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, préc., note 2, par. 89-91.

[219] D-6, préc., note 14.

[220] Commission scolaire des Phares c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, préc., note 2, par. 56 (nos soulignements).

[221]  Id., par. 90.

[222] P-32, préc., note 38, p. 4.

[223] Id., p. 32-33.

[224] D-6, préc., note 14.

[225] P-32, préc., note 38, p. 19 (nos soulignements).

[226] Id., p. 21.

[227] P-32, préc., note 38, p. 7.

[228] Commission scolaire des Phares c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, préc., note 2.

[229] Eaton c. Conseil scolaire du comté de Brant, préc., note 146, par. 69.

[230] Id., par. 77.

[231] UNESCO (Bureau international de l'éducation), «L'éducation pour l'inclusion : de la recherche aux réalisations pratiques», Séminaire international, 21 et 22 novembre 2008.

[232] MINISTÈRE DE L'ÉDUCATION DU QUÉBEC, préc., note 183, p. 17-18 (nos soulignements).

[233] MINISTÈRE DE L'ÉDUCATION DU QUÉBEC, Le plan d'intervention…au service de la réussite de l'élève. Cadre de référence pour l'établissement des plans d'intervention, Québec, Publications du Québec, 2004, p. 18 (nos soulignements) (Cahier d'autorités de la partie demanderesse, Volume 4, Onglet 7).

[234] Rapport de Vernor Muňoz : Rapporteur spécial sur le droit à l'éducation - Le droit à l'éducation des personnes handicapées, préc., note 130, par. 23.

[235] Contre-interrogatoire de madame Johanne Trudeau, le 17 mars 2009.

[236] D-13, préc., note 36.

[237] P-4, préc., note 46, p.185-186.

[238] Contre-interrogatoire de madame Johanne Trudeau, le 17 mars 2009.

[239] D-13, préc., note 36.

[240] Id.

[241] Id. (nos soulignements).

[242] P-32, préc., note 38, p. 19-21.

[243] D-13, préc., note 36.

[244] D-9, préc., note 4.

[245] Témoignage de madame Louise Dionne, le 16 janvier 2009.

[246] D-23, préc., note 68.

[247] D-13, préc., note 36.

[248] Témoignage de madame Louise Dionne, le 16 janvier 2009.

[249] D-55-A, préc., note 110, p. 9.

[250] Id., p. 10.

[251] Contre-interrogatoire de Docteur Robert Dubé, le 18 mars 2009.

[252] Eaton c. Conseil scolaire du comté de Brant, préc., note 146, par. 69.

[253] Id., par. 67 (nos soulignements).

[254] MINISTÈRE DE L'ÉDUCATION DU QUÉBEC, préc., note 183, p. 20.

[255] D-32, préc., note 84; P-14, préc., note 84.

[256] Id., p. 12.

[257] D-9, préc., note 4.

[258] Eaton c. Conseil scolaire du comté de Brant, préc., note 146, par. 69.

[259] MINISTÈRE DE L'ÉDUCATION DU QUÉBEC, préc., note 183, p. 20-21.

[260] Rapport de Vernor Muňoz; Rapporteur spécial sur le droit à l'éducation - Le droit à l'éducation des personnes handicapées, préc., note 130, par. 12 (nos soulignements).

[261] Id., par. 34.

[262] Id., par 12.

[263] P-2 : Politique sur l'organisation des services aux élèves handicapés ou en difficulté d'apprentissage (SE-02-08-27).

[264] MINISTÈRE DE L'ÉDUCATION DU QUÉBEC, préc., note 183, p. 23.

[265] P-2, préc., note 263, p. 4.

[266] Id., p. 13 (nos soulignements).

[267] Id.

[268] Témoignage de madame Louise Dionne, le 15 et le 16 janvier 2009.

[269] D-6, préc., note 14.

[270] D-9, préc., note 4.

[271] P-36A, B, C et D, préc., note 98; Cahier d'autorités de la partie demanderesse, Volume 1, Onglet 1.

[272] D-9, préc., note 4.

[273] Contre-interrogatoire de madame Louise Dionne, le 16 mars 2009.

[274] Témoignage de monsieur Robert Potvin.

[275] P-4, préc., note 46, p. 3-4.

[276] Id., p. 184.

[277] Eaton c. Conseil scolaire du comté de Brant, préc., note 146, par. 69.

[278] Malhab c. Métromédia CMR Montréal inc., [2003] R.J.Q. 1011, 1020 (C.A.).

[279] Syndicat national des employés de l'hôpital St-Ferdinand c. Le Curateur public, [1996] 3 RCS 211, par. 121.

[280] Comité des droits de l'enfant, préc., note 123, par. 67.

[281] P-2, préc., note 263.

[282] Commission scolaire des Phares c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, préc., note 2, par. 90.

[283] P-2, préc., note 263.

[284] MINISTÈRE DE L'ÉDUCATION DU QUÉBEC, préc., note 183.

[285] Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Communauté urbaine de Montréal, [2004] 1 R.C.S. 789, j. Le Bel.

[286] Id., par. 26-27.

[287]Doucet-Boudreau c. Nouvelle-Écosse (Ministre de l’Éducation), [2003] 3 R.C.S. 323.

[288] Id., par. 25, sous la plume des juges Iacobbucci et Arbour pour la majorité de la Cour.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.