Grenier c. Ville de Montréal | 2017 QCCS 5059 |
COUR SUPÉRIEURE
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CANADA |
PROVINCE DE QUÉBEC |
DISTRICT DE | MONTRÉAL |
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N° : | 500-17-073617-121 |
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DATE : | Le 6 novembre 2017 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : | L’HONORABLE | STEVE J. REIMNITZ, J.C.S. |
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Francis Grenier |
Demandeur |
c. |
Ville de Montréal |
Défenderesse |
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JUGEMENT
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- Le 7 mars 2012, une manifestation étudiante a lieu aux abords de la rue Sherbrooke, à la hauteur de l’immeuble de Loto Québec, situé au 500, rue Sherbrooke Est (le « 500 »).
- Le Service de police de la Ville de Montréal (« SPVM ») est appelé sur les lieux. S’ensuivent diverses interactions entre les manifestants et le SPVM.
- Lors de cette manifestation, des grenades de type « Rubber Ball Blast Grenade » (« RBBG ») sont utilisées par les policiers du SPVM. L’un des manifestants, le demandeur Francis Grenier allègue avoir subi d’importantes blessures liées au lancement de l’une d’entre elles.
- Le présent jugement vise à déterminer si le demandeur a effectivement été blessé par l’utilisation d’une grenade de type RBBG et, dans l’affirmative, si la défenderesse est responsable de ses blessures.
- Lors du procès, plusieurs témoins sont entendus. Pour une bonne compréhension du dossier, le tribunal considère nécessaire de résumer les témoignages les plus importants.
Francis Grenier, demandeur
- En mars 2012, le demandeur Francis Grenier (« Grenier ») étudie au Cégep de Saint-Jérôme. Il est alors en transition pour suivre un programme en art plastique. À cette époque, il travaille comme pompiste quelques heures par semaine et pendant l’été, comme aide à son père qui opère un commerce de réparation et d’installation de poêles et foyers. Il habite alors chez ses parents à Saint-Jérôme.
- Le 7 mars 2012, les étudiants votent en faveur d’une grève dans le conflit concernant l’augmentation des frais de scolarité au Québec.
- Le demandeur et un groupe d’étudiants de son Cégep se rendent à Montréal où une manifestation pacifique est organisée pour s’opposer à la hausse des frais de scolarité. Il est accompagné d‘Alexandra Desabrais (« Desabrais ») et d’autres personnes qu’il ne connaît pas.
- Le lieu de rassemblement prévu est au Square Victoria. Sur place, les gens attendent tranquillement. Ils crient des slogans et l’ambiance est festive.
- De mémoire, le demandeur affirme avoir passé par Président-Kennedy et s’être assis au coin d’Aylmer et Sherbrooke.
- À cet endroit, une partie des manifestants est regroupée pour discuter. Certains jouent de la musique. Des policiers à vélo et d’autres avec un dossard jaune circulent à proximité. La grande majorité est debout sur Sherbrooke.
- Le demandeur ne nie pas qu’il y avait des gens sur le parvis de l’édifice de Loto Québec, mais témoigne qu’il ne savait pas que la manifestation était une manœuvre concertée pour bloquer les entrées de l’édifice où était située la conférence des recteurs et principaux des universités du Québec (« CREPUQ »), organisme directement visé dans le cadre des revendications étudiantes portant sur la hausse des frais de scolarité. Du moins, il n’en avait pas été avisé.
- En arrivant près du 500, des manifestants font circuler des tracts relatifs à la manifestation. Ces tracts les informent que les bureaux de la CREPUQ se situent dans cet édifice. Certains manifestants bloquent l’accès aux portes.
- Selon le demandeur, des slogans sont scandés lors de la manifestation, notamment : « On reste pacifique » et « Policiers, vos enfants sont aussi des étudiants ». Il soutient ne pas se souvenir des autres slogans comme : « On avance, on avance, on recule pas » ; « Fuck the police, no justice no peace » ainsi que « Police de Montréal, milice du capital ».
- Un avis de dispersion est lancé par les autorités policières. Sans se rappeler des termes exacts de cet avis, il comprend que les policiers demandent aux manifestants de se disperser.
- Suite à cet ordre, il se déplace plus à l’est sur la rue Sherbrooke.
- Une clôture est alors érigée par les manifestants. C’est de l’autre côté de celle-ci qu’il se retrouve.
- Après l’avis de dispersion, le demandeur constate l’arrivée d’autres policiers. Il tente de se déplacer plus loin vers l’est, tout en attendant son amie Desabrais qu’il a perdue de vue en passant au travers du groupe de manifestants.
- Après s’être déplacé, le demandeur entend deux détonations lancées à coup de deux à la fois.
- Entre l’avis de dispersion et la première détonation, le demandeur estime le délai à une quinzaine de minutes.
- Suite à ces détonations, les manifestants reculent de sorte que le demandeur se retrouve dans le groupe de manifestants. Il tente de reculer de nouveau en se déplaçant vers l’est. C’est à ce moment qu’il entend une détonation et constate aussitôt qu’il est blessé à l’œil droit.
- En s’éloignant, il regarde vers l’arrière et constate un objet qui a explosé près de lui. Il voit de la fumée blanche dense qui provoque une certaine lumière.
- Son amie Desabrais est également blessée lors de cette détonation.
- Le demandeur est désorienté et souffre d’acouphènes pendant quelques minutes. Il court par la suite pour se rendre jusqu’au coin Sherbrooke et Bleury. À cet endroit, il demande l’aide d’un policier et soutient avoir eu une réponse négative.
- Vu son état, des étudiants téléphonent à une ambulance qui arrive sur les lieux peu de temps après.
- Entre les deux premières détonations et celle qui le blesse, le demandeur indique qu’il se serait écoulé quelques secondes ou un peu plus. Il précise par ailleurs que les deux premières détonations ont explosé à environ 10 pieds au-dessus de la tête des manifestants.
- Les détonations sont entendues en salve de deux coups et il y avait un court laps de temps entre les deux.
- Il constate du sang sur lui. Son œil est enflé, sa paupière et son arcade sourcilière sont fendues.
- Il voit ensuite une fumée blanche qui se dissipe dans les airs et quelque chose de lumineux dans la fumée, à un maximum de trois pieds de son visage, entre lui et Julie Perreault-Paiement (« Paiement »).
- Paiement est blessée à une main, au menton et au bras.
- Le demandeur souffre d’acouphènes qu’il associe à un tintement. Les sons qu’il entend se brouillent. Il est désorienté pendant quelques secondes, perd l’équilibre et a de la difficulté à se repérer dans l’espace.
- Il est alors transporté en ambulance à l’Hôtel-Dieu de Montréal avec des bandages sur les yeux. Selon les recommandations des ambulanciers, il ne peut bouger. Il est en état de panique.
- Les acouphènes se perpétuent jusqu’à son arrivée à l’Hôtel-Dieu, tout en diminuant graduellement.
- Il est alors reçu par un infirmier et un médecin. Le bandage sur l’œil lui est retiré. Le médecin constate qu’il doit recevoir des soins spécialisés et décide de le transférer à l’hôpital Notre-Dame. Lors de ce transfert, il est accompagné de Paiement.
- Durant toute cette période, il a très mal aux yeux et demande que les lumières soient éteintes. Il a un mal de tête qu’il qualifie « d’incroyable ». Il subit divers examens et est très inquiet.
- Suite aux examens, un médecin ordonne un transfert à l’hôpital Maisonneuve-Rosemont.
- Alors qu’il est à Notre-Dame quelques heures après l’événement, Alexandra Desabrais prend une photo de son œil (P-3).
- Plusieurs médicaments lui sont administrés, dont un ayant pour but de diminuer la pression dans son œil.
- Peu avant son transfert à l’hôpital Maisonneuve-Rosemont, il demande à Desabrais de publier la photo de sa blessure sur sa page Facebook, accompagnée d’une explication de l’événement.
- À la suite de l’accident, une photo de lui avec ses blessures est affichée sur sa page Facebook. Il reçoit des appels de journalistes, l’évènement devient très médiatisé.
- À l’hôpital Maisonneuve-Rosemont, il est pris en charge par le Dr Cordahi qui requiert en urgence une salle d’opération afin de l’opérer.
- L’opération d’une durée de deux heures se déroule dans la nuit du 7 au 8 mars.
- Avant l’opération, des policiers du SPVM demandent à interroger le demandeur qui se trouve alors dans une salle d’attente avec sa mère. Ils lui demandent s’il accepte d’être interrogé, ce que le demandeur refuse. Il demande s’il est en état d’arrestation ou s’il a fait quelque chose de répréhensible. Il soutient être demeuré sur la voie publique, sans rien faire de mal et ne comprend pas l’insistance des policiers à vouloir l’interroger alors qu’il souffre et qu’il est en attente d’une opération.
- Un infirmier intervient et emmène le demandeur en retrait. Cet infirmier souligne à sa mère que le moment est mal choisi pour un interrogatoire et lui suggère de refuser d’y procéder.
- Il demande à 3 ou 4 reprises s’il est en état d’arrestation puisque si tel n’est pas le cas, il affirme ne pas comprendre leur insistance.
- Les policiers reviennent à la charge, à un point tel que le demandeur accepte finalement de répondre à leurs questions. Il n’a pas de souvenir d’avoir signé un document. Selon lui, la seule chose que les policiers veulent savoir est si des objets avaient été lancés pendant la manifestation.
- Lors du contre-interrogatoire sur cette question, il réitère avoir témoigné en chef à l’effet que la seule chose que les policiers voulaient savoir était s’il y avait eu des objets lancés par les manifestants et de préciser ce qui avait été lancé (boule de neige, morceau d’asphalte ou autre). Il ne se rappelle pas précisément la réponse qu’il a donnée.
- À la suite de l’opération, il tente de dormir, ce qui est difficile vu son état. Le médecin confirme qu’il ne peut pas faire de points de suture, la paupière étant déchirée. Il est alors informé d’un décollement de la rétine et du fait qu’il faut à court terme procéder au recollement de celle-ci. Pour ce faire, il faut percer un trou dans l’œil afin de produire une bulle de gaz qui favorisera le remplacement de la rétine.
- Après l’opération, il reçoit l’appel d’un journaliste. L’évènement est par la suite très médiatisé.
- Il partage sa version des faits à des journalistes, dont l’animateur Paul Arcand. Il lui décrit l’évènement et lui mentionne que c’est la deuxième détonation qui l’aurait blessé.
- Pendant la première semaine de convalescence à la maison, il doit prendre une grande quantité de médicaments chaque jour.
- Le reste de son témoignage sur ses séquelles sera résumé lors de l’étude des dommages.
- Abordant ses déclarations aux médias, la pièce (VM-17) est déposée. Il s’agit d’une entrevue avec Paul Arcand au cours de laquelle il réitère que les policiers ne lui ont pas laissé le temps de quitter et que lorsqu’il reçoit la grenade, il s’apprête à partir. Il n’y a pas de transcription de cette entrevue.
- Selon lui, les avertissements auraient dû être donnés plus tôt, avec un plus grand délai pour donner le temps aux manifestants de quitter les lieux.
- Dans cette entrevue, il indique avoir été blessé par la deuxième salve de grenades. Il précise qu’elles étaient lancées par deux à la fois avec un court laps de temps entre les deux.
- Quant à l’entrevue avec Claude Poirier, le demandeur a l’occasion de réitérer que la première grenade a explosé de 8 à 10 pieds au-dessus des têtes des manifestants et que l’autre, soit celle qui l’a blessé, a explosé à la hauteur des têtes.
Alexandra Desabrais
- En mars 2012, Desabrais étudie au Cégep de St-Jérôme en soins infirmiers. Elle participe à la manifestation du 7 mars 2012. Le matin, elle se rend au métro Montmorency avec certains manifestants pour ensuite se rendre au Square Victoria, lieu de rassemblement prévu pour la manifestation.
- Les manifestants se rendent par la suite près du 500. Ils s’assoient et discutent, tandis que certains jouent de la musique. Elle fait la rencontre du demandeur.
- L’atmosphère est joviale et festive. C’est le tout début de la grève étudiante du printemps 2012.
- Tout à coup, Desabrais entend un avis de dispersion. Elle se déplace plus à l’est. Elle se rappelle que les manifestants installent une clôture sur la rue Sherbrooke. Une fois cette clôture installée, la plupart des manifestants se retrouvent derrière.
- Elle entend une première grenade. Elle a peur, se met à courir et se retrouve sur le trottoir du côté nord de Sherbrooke. Le demandeur, qui était près d’elle auparavant, n’est plus là.
- À la première détonation, elle se situe à environ 2 à 5 mètres de la clôture.
- Elle revoit le demandeur un peu plus tard et constate son œil blessé. Elle reste avec lui jusqu’à l’arrivée d’une ambulance. Elle remarque également les blessures de Paiement en dessous du menton, sur le bras et sur la main. Elle tente de lui venir en aide en pansant celles-ci.
- Elle avait compris au départ qu’il y aurait une « manifestation ». Elle définit ce terme comme une manifestation dans le cadre de laquelle il y aurait une action, tout en ne sachant pas de quelle action il s’agirait ici.
- Elle se rappelle avoir vu des manifestants devant les portes du 500.
- Pour elle, lorsque l’avis de dispersion est lancé, cela signifie de quitter les lieux.
- Elle ignore si des leaders de la manifestation mentionnent quelque chose suite à l’avis de dispersion.
- Elle voit des policiers à vélo et à pied qui repoussent des gens, mais ne peut témoigner sur l’arrivée du groupe d’intervention (« GI ») ainsi que leurs manœuvres.
- Elle témoigne ne pas avoir vu des manifestants lancer des roches.
Julie Perrault-Paiement
- Paiement se rend à la manifestation. Elle connait peu de gens qui y participe, sauf ceux du Cégep de St-Jérôme, qu’elle connait peu. Elle confirme le témoignage des autres témoins sur le fait qu’en arrivant près du 500, ils s’assoient et discutent, alors que certains jouent de la musique.
- Soudainement, elle entend un avis de dispersion. Elle se déplace immédiatement vers l’est sur Sherbrooke. Elle ne se rappelle pas du mot à mot de cet avis. Il s’agit d’une demande de « disperser des lieux ». Le demandeur n’est pas loin d’elle à ce moment.
- Elle entend par la suite une bombe assourdissante. Sur le coup, elle fige et se déplace ensuite de manière plus pressante vers l’est. Elle soutient qu’elle devient sourde pour un temps, son bras droit est engourdi et elle ressent de la douleur sous le menton, à la main droite et au bras droit. Elle dépose une photo prise en juin 2012 sous (P-2). Elle ajoute que le manteau qu’elle porte n’est pas transpercé, mais il y a une tache noire sur le bras droit.
- Après l’explosion d’une grenade, elle se retrouve avec une brûlure sous le menton ainsi qu’une autre sur la première phalange de la main. Son bras est très enflé et présente un hématome pendant 2 semaines. Elle a une marque d’un pouce et demie.
- Elle quitte les lieux le plus rapidement possible. Elle est en état de panique.
- Plus loin, vers l’est, elle aperçoit le demandeur. Elle voit son œil qui saigne. Elle l’agrippe et se déplace dans l’espoir de trouver quelqu’un pour leur venir en aide. Elle éponge son œil. D’autres manifestants s’approchent d’eux pour les aider. Peu de temps après, le demandeur quitte les lieux en ambulance.
- Elle le rejoint par la suite à l’hôpital. Elle le suit dans trois hôpitaux.
- Elle ne se rappelle pas précisément s’il y avait des manifestants devant les portes du 500. Elle a appris après la manifestation que 75 manifestants avaient envahi l’immeuble.
- Elle évalue que le délai entre la première « bombe » et l’avis de dispersion était de quelques minutes.
- Elle ne se rappelle pas avoir vu de projectiles lancés par les manifestants.
Moïse Marcoux Chabot
- Monsieur Moïse Marcoux-Chabot (« Chabot ») est présenté comme un témoin expert qui a fait le montage et la captation de différentes vidéos qui sont toutes admises en preuve, de consentement entre les parties.
- Chabot est travailleur autonome. Il a fait des études en anthropologie et en art visuel et s’est spécialisé dans les documentaires. Depuis 2012, il réalise des mandats de recherche et travaille en montage vidéo. À partir de 2010, il travaille sur ce qu’il appelle « la répression policière ».
- Bien que le tribunal reconnaisse qu’il soit expert dans le domaine du montage vidéo, plusieurs motifs font en sorte que son témoignage ici ne sera d’aucune utilité.
- Dans un premier temps, le tribunal est interpellé par l’indépendance et l’impartialité que doit avoir un expert pour témoigner de façon fiable à la Cour.
- Il est mis en preuve que, sur sa page Facebook, il est inscrit « Nous sommes tous Francis Grenier ». On y voit également un autoportrait du demandeur.
- Son témoignage lors du voir dire et les documents déposés à cette occasion démontrent que Chabot semble être favorable à la cause du demandeur. La phrase « Nous sommes tous Francis Grenier » est significative à ce sujet.
- De plus, le fait qu’il s’intéresse au phénomène qu’il qualifie de « répression policière » convainc le tribunal qu’il n’a pas l’impartialité nécessaire dans le cadre du présent dossier.
- Par ailleurs, même si son rôle d’expert ne se limite qu’à faire le montage des vidéos produites en preuve, l’angle et le choix qu’il fait lors du montage deviennent en quelque sorte une manière de présenter les vidéos sous le biais décrit précédemment.
- Il admet lui-même que, par ce montage, il donne en quelque sorte une opinion.
- De toute évidence, ce que peut apporter le témoin ne peut aider le tribunal dans son analyse.
- Les vidéos sont déjà produites en preuve et peuvent être consultées par le tribunal et les parties. Elles ont pu être commentées dans le cadre des plaidoiries.
- Pour l’ensemble de ces motifs, le tribunal n’entend pas considérer le témoignage de Chabot.
Marc St-Cyr
- En mars 2012, Marc St-Cyr (« St-Cyr ») est policier depuis 25 ans. Il intervient au début de la manifestation avec les policiers de son poste de quartier. Tout à coup, la manifestation prend de plus en plus d’ampleur et il en avise le Centre de commandement et de traitement de l'information (« CCTI ») qui chapeaute l’organisation et qui prend les décisions de mobiliser d’autres groupes de policiers. Le CCTI est composé de cadres du service de police et de policiers d’expérience.
- Les faits saillants de cette journée sont décrits dans le journal opérationnel dans lequel les interventions et l’heure de celles-ci y sont détaillées.
- Au départ, St-Cyr est assigné comme commandant de scène. Le trajet de la manifestation est de quitter le Square Victoria pour passer par la Côte du Beaver Hall, devant le Square Phillips, pour enfin se diriger vers City-Councillors jusqu’à Sherbrooke. Il évalue la foule à environ 500 manifestants.
- Arrivé au 500, on l’avise qu’un groupe de 75 personnes a pénétré dans l’édifice et bloque l’entrée. Il est 12 h 42.
- Des manifestants bloquent les quatre entrées de l’édifice. Pour lui, leur objectif est clair, soit de tenter de bloquer les accès de l’édifice. Des représentants de Loto-Québec sollicitent l’aide des policiers.
- L’objectif du départ est de faire un avis d’expulsion à ceux qui sont dans l’immeuble. Selon lui, cet avis d’expulsion aurait été donné environ 5 à 10 minutes avant l’avis de dispersion. Cet avis n’est pas mentionné dans le journal des opérations.
- Le témoin indique qu’il n’y a aucune réaction suite à l’avis d’expulsion. Les manifestants n’obtempèrent pas.
- Par la suite, il y a l’avis de dispersion entendue à l’extérieur de l’immeuble (VM-3) à partir du camion-flûte. Le témoin précise que c’est un avis standard qui est utilisé chaque fois qu’un avis de dispersion est lancé.
« MANIFESTATION PUBLIQUE
2ième AVIS
Cette manifestation est devenue un attroupement illégal.
Nous vous donnons l’ordre de vous disperser et de rentrer chez vous.
Si vous n’obéissez pas à cet ordre, vous pourrez être accusé en vertu de la réglementation municipale ou du Code criminel.
ANGLAIS
This demonstration has become an unlawful assembly.
We order you to disperse and return to your homes.
If you do not obey, you may be charged with criminal or municipal offences. »
- Il témoigne que l’avis de dispersion est destiné à la foule en général, y compris ceux sur le parvis du 500 et ceux dans la rue. Les manifestants qui veulent quitter la manifestation peuvent le faire dans plusieurs directions, notamment vers l’ouest sur Sherbrooke.
- Il précise que la foule lance des « projectiles ». Il identifie des morceaux de glace et des roches.
- Certains policiers rencontrent de la résistance et de l’agressivité. C’est lui qui décide de faire appel au CCTI.
- Le commandement des opérations est remis au GI et à André Besner (« Besner »), le commandant d’intervention en charge de toute l’opération sur le terrain. À partir de ce moment, St-Cyr et les policiers de son poste de quartier deviennent en soutien au GI.
- Le tout est identifié comme étant la « bascule » des opérations. Cela se produit à 13 h 40.
- La vidéo (P-12) est exhibée au témoin. À 6 secondes, la rue est bloquée et on aperçoit un manifestant masqué. Le témoin note que les portes du 500 sont bloquées. À 2 min 37 sec, on est avant l’avis de dispersion qui est ensuite donné à 4 min 30 sec de la même vidéo. Il tient le micro relié au camion-flûte.
- Le témoin réexamine la vidéo (P-12) et tente de quantifier le nombre de personnes devant les portes. À 42 sec, à l’intersection Aylmer et Président-Kennedy, il évalue les manifestants à 25 ou 30. À 1 min 24 sec, il évalue les manifestants à environ 15 personnes. Sur le parvis du 500, à 3 min 23 sec de la vidéo, il les évalue à 50 ou 100 personnes.
- Le GI réussit à faire tomber la clôture. Il a alors comme préoccupation de « dégager » ses policiers ailleurs.
Roch DeRoy
- En mars 2012, Roch DeRoy (« DeRoy ») est policier depuis 28 ans. Lors des opérations, il agit comme commandant responsable du GI, secteur sud (peloton Sierra).
- L’objectif de son peloton est le rétablissement et le maintien de l’ordre en ce qui a trait à la circulation et la sécurité des gens sur place.
- Le 7 mars 2012, il relève de Besner qui agit comme commandant des deux pelotons (Oscar et Sierra).
- Ils attendent dans un autobus non loin du 500. Les autorités du SPVM reçoivent des appels de la sécurité à l’intérieur du 500 dans le but d’expulser des manifestants entrés dans l’édifice. Les portes sont bloquées. Sur place, il y a une centaine de manifestants qui font du bruit.
- Il entend le camion-flûte adresser l’avis de dispersion. Les manifestants n’obtempèrent pas. Plusieurs sont sur le perron du 500 et la majorité dans la rue entre Aylmer et City-Councillors. Une clôture est mise en place par les manifestants en travers de Sherbrooke.
- Il confirme que la « bascule » des opérations se fait à 13 h 40. À ce moment, son peloton se déploie en ligne droite face vers l’est, en attendant les instructions de Besner, qui est sur place dans un véhicule de police.
- Le déploiement est ordonné. Le premier mandat est d’abaisser la clôture et par la suite, le but de l’opération est de repousser les manifestants vers l’est pour dégager l’entrée et pénétrer dans l’édifice du 500.
- Les membres du GI portent une armure avec casque antiémeute, bouclier et bâton pour certains.
- Deux préposés aux irritants chimiques (« PIC ») sont assignés à chaque peloton. Dans le peloton Sierra, il s’agit des policiers Brown et Bolduc.
- Avant l’utilisation des irritants chimiques, le témoin rappelle que son peloton s’approche des manifestants en tapant sur leurs boucliers, l’objectif étant d’indiquer que le GI approche.
- Il y a urgence d’agir. Selon lui, un autre avis n’est pas nécessaire.
- Pour abaisser la clôture, il fallait faire une manœuvre de diversion. Le choix a été d’utiliser une RBBG. DeRoy souligne que les PIC savent comment lancer cette grenade. Il spécifie que ces derniers peuvent d’eux-mêmes décider de ne pas la lancer, mais il faut un ordre avant qu’un lancer soit effectué.
- La RBBG peut être lancée dans les airs ou au sol. En 2012, la pratique est de faire les lancers dans les airs à 10, 12 ou 15 pieds, le plus haut possible.
- Dans l’action, il est en communication avec Besner. Il parle à Patrick Paquet (« Paquet »), sergent de peloton, qui transmet les directives aux PIC.
- Cette étape n’apparait pas dans le journal des opérations. Il peut tout de même dire que, selon le journal des opérations, le lancement des RBBG se fait à 13 h 48, au même moment où le GI tente d’abaisser la clôture.
- Il bénéficie d’un canal avec Besner et parle à Paquet de vive voix, qui relaie les ordres aux policiers du GI. Il y a un autre canal entre Paquet et l’ensemble des membres du peloton. Par ce canal dédié, il dit à Paquet de dire aux PIC de lancer deux RBBG et de coordonner la manœuvre pour faire abaisser la clôture.
- Au moment de la détonation, l’objectif est de déstabiliser la manifestation pour permettre de tirer sur la clôture.
- La RBBG dégage un irritant chimique et provoque un bruit assourdissant. L’opération fonctionne et la clôture est abaissée. L’objectif général est d’assurer de dégager le devant du 500.
- Son sergent va demander de faire une charge, soit que tout le peloton parte au pas de course en criant « bouge » pour faire reculer les manifestants, tout en utilisant une deuxième salve de RBBG. On ordonne aux PIC de procéder avec un autre lancer de RBBG pour encore une fois déstabiliser pendant la manœuvre.
- À la deuxième salve, ils sont au coin de City-Councillors et Sherbrooke. Le résultat est que les manifestants se déplacent vers l’est en courant et en criant.
- Par la suite, ils souhaitent les déplacer davantage vers l’est pour ne pas qu’ils reviennent et qu’une troisième salve de RBBG ne soit nécessaire. Il sous-entend que c’est le seul choix possible vu la situation.
- À la troisième salve, lancée vers 13 h 59, ils sont à Durocher. Mais l’effet escompté est moins grand.
- Le moment où les RBBG sont lancées est transmis au CCTI, mais l’heure exacte n’apparait pas dans le journal des opérations. Il admet qu’idéalement, cette information aurait dû apparaître au journal.
- Par la suite, des manœuvres sont réalisées pour empêcher les manifestants de descendre vers le sud et pour ne pas qu’ils reviennent près du 500.
- Le témoin considère que la RBBG est le seul outil pour créer une diversion et pour contaminer les manifestants par la présence d’orthochlorobenzalmalonitrile (« CS »). Les autres options sont d’utiliser la force physique, le bouclier, le bâton ou du poivre de Cayenne. Il existe aussi d’autres types de grenades contenant du CS.
- Abordant le fait que l’usage de la RBBG puisse ou non représenter un risque, le témoin répond que cela demeure un appareil qui explose.
- Pour lui, chaque outil utilisé représente des risques différents. Le poivre de Cayenne peut entraîner de la douleur, mais ne risque pas de causer des dommages permanents. Il reconnait que la RBBG est munie d’une charge explosive.
- Pour lui, le poivre de Cayenne n’était pas la solution, le MK9 non plus. L’objectif d’utiliser ces outils est plus ciblé. Pour ce qui est du bâton, il y a un risque de blessure. De son point de vue, il n’y a pas d’autre outil disponible que la RBBG pour provoquer la diversion de la foule.
- Il réfère par la suite au tableau (VM-7), soit le tableau d’emploi de la force. Il rappelle qu’il n’a pas utilisé la RBBG pour ses propriétés chimiques, l’objectif étant l’explosion et le bruit qui en découle.
- Selon lui, la foule était agressive. De l’asphalte, des morceaux de glace et des balles de neige leur étaient lancés. Il dit « On a été attaqué ».
- À la vidéo (P-11.3), à 6 sec, on peut voir un policier du GI qui s’approche pour faire le déploiement. Quelques minutes plus tard, les personnes au sol sont prises en charge. Le peloton continue à avancer pour aller chercher la clôture. Environ 15 sec plus tard, les premières RBBG sont lancées.
- Le lancement se fait en lâchant la cuillère et le déclenchement de la fusée se fait entre 1 et 3 sec après. Ce délai est variable. Le temps entre le moment où la cuillère est enlevée et le moment où l’amorce fait son travail peut varier de 1 à 3 sec.
- Quatre autres RBBG sont ensuite lancées, soit à 5 min 54 sec, à 6 min 9 sec, à 6 min 44 sec et à 6 min 51 sec de la même vidéo.
- Les deux dernières sont lancées par son peloton.
- Quant à savoir s’il est possible de lancer la RBBG autrement que manuellement, il répond qu’à sa connaissance, ils l’ont toujours lancé à la main.
- Sur la vidéo (P-11.4), on entend les slogans « On reste pacifique ». À 3 min 6 sec, on aperçoit deux morceaux de glace en provenance du balcon. Ce sont les manifestants qui les lancent. À 4 min 53 sec, on attire l’attention du tribunal sur un morceau d’asphalte.
- Lors de l’opération, il est derrière le peloton au milieu de Sherbrooke. Il situe la clôture montée par les manifestants au début des marches qui permettent de monter et d’avoir accès au 500. Il ne peut préciser la distance entre la clôture et cet endroit.
- À partir du moment où le GI avance et dépasse Aylmer, DeRoy ne voit pas ce qui se passe sur le perron du 500 puisqu’il regarde vers l’avant.
- La première RBBG est lancée en haut des manifestants, à peut-être 25 pieds dans les airs.
- Une fois la clôture renversée, le GI avance et les manifestants reculent. Il identifie sur un croquis la lettre B pour « barrière » et écrit « arrêt policier » pour identifier l’endroit où sont les policiers après que la clôture eut été renversée.
- On suggère qu’à cet endroit précis, les policiers ont dépassé l’escalier menant au 500. Il répond qu’il ne sait pas exactement, mais que les manifestants n’étaient pas encore assez loin pour lui.
- L’objectif était que la manifestation se déplace beaucoup plus à l’est. Il fallait donc avoir dépassé City-Councillors et traversé Durocher.
- On lui demande si les policiers sont montés sur le parvis du 500, avant que les manifestants ne s’arrêtent pour la première fois. Il répond qu’il l’ignore ou du moins il répond non pour les policiers de son peloton. Il finit ensuite par ajouter que c’est une forte probabilité, mais qu’il ne l’a pas vu.
- Il évalue le nombre de RBBG lancées par son peloton à 6.
- Selon le témoin, une seule a éclaté à travers la foule, en bas de leur tête.
- Suite à cette opération, il y a eu un « débriefing ». Le constat sur l’utilisation de cette grenade qui a explosé trop bas est alors que les grenades doivent être lancées plus haut à 10, 12 ou 15 pieds en haut de la tête des gens. Il n’existe pas de rapport qui donne suite à ce débriefing.
- DeRoy ajoute que maintenant, les grenades qui ne contiennent plus de CS sont lancées au sol, pour éviter des dommages collatéraux.
- Le lendemain, il mentionne au responsable des opérations qu’il faut lancer les grenades le plus haut possible.
- En ré-interrogatoire, l’avocate de la Ville questionne le témoin DeRoy concernant le rapport de débriefing et ce dernier répond qu’il n’y a aucune obligation de faire un tel rapport. Il se justifie en ajoutant qu’à l’époque, il y avait de 4 à 5 manifestations par jour et qu’ils travaillaient jusqu’à 20 heures par jour. Il ajoute que ces réunions de débriefing portent entre autres sur des notions tactiques qui sont confidentielles.
- Concernant le risque d’utiliser la RBBG et l’avis inscrit sur la fiche technique préparée par le fabricant, DeRoy dit qu’un tel avis apparaît régulièrement sur bien des objets ainsi que sur toute autre grenade utilisée par les policiers.
- Après que la clôture fut tombée, il y a entre 15 et 20 pieds entre le GI et les manifestants.
- Afin d’évaluer le temps passé entre les trois salves de RBBG, on réfère à la vidéo (VM-29). Le journal des activités indique qu’à partir de 13 min 48 sec, la deuxième salve a déjà été projetée une minute ou une minute et demie après.
- Le témoin réfère à deux objectifs, soit abattre la barrière des manifestants et permettre aux policiers d’entrer dans le 500.
- On lui demande s’il n’est pas utile de savoir si les policiers ont atteint l’objectif de dégager l’entrée du 500 avant de continuer l’opération. Il répond qu’il doit éloigner les manifestants.
- DeRoy résiste à admettre que les policiers sont sur le perron du 500. Il n’a pas fait cette constatation lorsqu’il était sur place, tout en ajoutant que cela ne faisait pas partie de son travail d’examiner cet aspect de la manifestation.
- Il suggère qu’une fois explosée, les résidus de la grenade de type RBBG peuvent ressembler à de l’asphalte et précise qu’ils auraient pu servir de projectiles pour des manifestants.
- Son peloton a lancé 6 grenades RBBG, il a bel et bien constaté qu’une grenade a explosé plus bas. Les 5 autres RBBG ont été lancées à une hauteur acceptable.
André Besner
- Au moment des événements, Besner est policier depuis presque 30 ans. Il est, rappelons-le, commandant d’intervention responsable de toute l’opération sur le terrain. Il est en contact direct avec le centre de traitement. Il fait ce travail depuis 4 ans et demi.
- Le GI comporte quatre unités disponibles en tout temps sur tout le territoire desservi par le SPVM.
- Le 7 mars 2012, le SPVM est informé de la tenue d’une manifestation dont le départ est prévu au Square Victoria, vers 11 h 30. On attend environ 700 personnes. Les manifestants ne soumettent pas de trajet. La manifestation est évaluée à un niveau modéré, c’est-à-dire qu’on peut s’attendre à un certain débordement.
- C’est le responsable du poste de quartier, St-Cyr, qui présente une planification des opérations en fonction des ressources dont il estime avoir besoin. Besner examine ses ressources et dans les faits, deux pelotons du GI sont demandés sur les lieux.
- Chaque peloton est sous les ordres d’un commandant d’intervention, DeRoy et Chartrand, et chaque peloton compte deux PIC.
- Le commandant de peloton établit les situations requérant l’intervention des PIC. Il arrive rarement qu’un PIC prenne une décision de lui-même. En règle générale, ils interviennent à la suite d’une commande. Le 7 mars 2012, les PIC ont agi sous les ordres des commandants de peloton.
- Durant l’intervention du poste de quartier, le GI est en attente et positionne son peloton dans l’éventualité d’une intervention. Besner a des contacts avec St-Cyr pour s’assurer que l’encadrement de la manifestation se déroule bien. Il demande s’il y a des manifestants connus du milieu anarchiste. Il n’en décèle aucun possédant une arme ou un bâton.
- Besner note aussi qu’Alain Gagnon est disponible comme responsable d’un poste de quartier. Suivant l’évolution de la manifestation, il peut y avoir déploiement de deux autres postes de quartier, celui de Gagnon est en support à St-Cyr et son poste de quartier.
- Il existe des canaux de communication dédiés au GI. Si Besner passe une commande, il ne parle pas au responsable de l’intervention, mais à son sergent et c’est ce dernier qui transmet l’information par un autre canal dédié au commandant d’intervention.
- Vers 12 h 42, il apprend que des manifestants sont entrés dans les locaux du 500 et qu’ils entourent l’ensemble du quadrilatère de l’immeuble.
- Il apprend que St-Cyr se fait demander d’intervenir pour expulser les gens qui sont à l’intérieur de l’immeuble. St-Cyr intervient avec ses policiers à pieds ou à vélo, mais leurs manœuvres ne fonctionnent pas.
- Un avis d’expulsion est donné par St-Cyr afin de demander aux manifestants présents de quitter l’immeuble.
- La prochaine étape est de lancer un avis de dispersion à partir du camion-flûte stationné au coin Aylmer, côté ouest.
- Selon Besner, il est impossible de ne pas avoir entendu cet avis.
- Vers 13 h 40, la décision est prise de basculer le commandement vers le GI. Le CCTI autorise cette décision.
- Suite à cet avis lancé par le camion-flûte, des manifestants décident de prendre des clôtures d’un chantier de construction situé près du lieu de la manifestation afin de les ériger devant la tête de la manifestation sur Sherbrooke. La rue est alors fermée sur toute sa largeur. La foule ne coopère pas.
- Par la suite, les pelotons de 60 policiers approchent en colonnes de deux au pas frappé dans le but de faire du bruit et de démontrer l’intention du GI d’intervenir.
- L’objectif est de permettre aux policiers d’avoir accès à l’intérieur du 500 et de sécuriser l’immeuble. La stratégie est de faire tomber la clôture érigée, de faire entrer les policiers à l’intérieur de l’immeuble et de provoquer un déploiement visant à pousser les manifestants vers l’est sur Sherbrooke.
- À ce moment, il y a 24 policiers sur la ligne de front et les manifestants sont entre 350 et 400.
- Pour pouvoir agir sur la clôture, Besner indique qu’il faut faire diversion. Selon leur expertise, pour créer un mouvement de la foule, il y a alors lieu d’utiliser des grenades RBBG. Leur effet sonore déclencherait un mouvement de foule, ce qui permettrait aux policiers de faire la manœuvre nécessaire afin d’abattre la clôture. La foule devant l’immeuble se disperserait alors et permettrait à une unité d’intervention de pénétrer à l’intérieur.
- Certains manifestants lancent des blocs de glace et des morceaux d’asphalte.
- Besner observe des contacts physiques sur la ligne de front entre des policiers et certains manifestants. Il y en un qui agrippe le bouclier d’un policier. Certains utilisent leur bâton. C’est aussi pour cette raison que l’utilisation des irritants chimiques est suggérée. Il faut repousser les manifestants vers l’est pour qu’ils ne reviennent pas et qu’ils continuent à se disperser.
- Plusieurs rues peuvent être utilisées par les manifestants pour se faire soit Sherbrooke est, Durocher, Hutchison, Bleury.
- À cette étape, sa stratégie est de créer une ligne sur Sherbrooke, côté sud, et de réussir avec le peloton à créer un mouvement pour que les manifestants pensent qu’ils vont se faire arrêter. Cette stratégie fonctionne. Le peloton continue à les pousser et la majorité des manifestants poursuivent leur mouvement de déplacement vers l’est. Besner désire sécuriser Aylmer et City-Councillors. Avec ce type de foule hostile, il considère que le travail des policiers ne peut cesser au niveau de City-Councillors.
- Dès que le peloton entre dans l’immeuble du 500, les manifestants qui se trouvaient à l’intérieur quittent rapidement.
- Besner réfère au journal des opérations à 13 h 43 et suggère que si ceux qui commandaient les opérations avaient été en désaccord avec l’utilisation des RBBG, ils l’auraient spécifié.
- Selon lui, les grenades de type RBBG sont utilisées en raison de leur effet sonore. La majorité des gens quittent et cela crée un mouvement de foule. Cette arme est considérée comme un irritant chimique et non une arme pyrotechnique.
- Abordant les spécifications des RBBG, il précise qu’il n’est pas un spécialiste, mais ajoute que dans les circonstances, il n’y avait pas d’autre alternative. Le choix qui pouvait causer le moins de dommages restait l’utilisation des RBBG. Il répète qu’avant l’utilisation de celles-ci, il doit obtenir l’autorisation du CCTI. Il ne peut les utiliser de sa propre initiative.
- La manifestation a été repoussée par les policiers jusqu’à la rue Durocher.
- Lors du contre-interrogatoire, il reconnaît avoir entendu des slogans comme « On reste pacifique, on reste pacifique », mais ajoute cependant avoir aussi entendu des cris provenant des manifestants qui étaient provocateurs.
- Après la manifestation, il n’y a pas eu de débriefing. Il rencontre toutefois les commandants pour connaître le nombre d’irritants chimiques utilisés.
- Le soir ou le lendemain, il apprend qu’une personne a été blessée lors de la manifestation. On lui demande des explications sur l’utilisation des grenades.
- Chaque PIC doit fournir un rapport d’utilisation des grenades. Les PIC ne sont pas rencontrés par lui puisque plusieurs d’entre eux retournent dans leur région respective. Il y a déjà eu trois manifestations dans la même journée. Il ne sait pas quand les rapports ont été faits, mais il y en a eu. Il n’a pas eu besoin d’avoir le rapport pour expliquer davantage puisqu’il reçoit une fiche sur l’utilisation des grenades.
- Dans les jours qui suivent, ses supérieurs et lui savent que l’on suppose que c’est l’une de leurs grenades qui a possiblement blessé un manifestant.
- Il reconnait que dans le rapport des PIC, la mauvaise utilisation d’une grenade n’est pas abordée. Il admet demander tout de même une copie de ces rapports dans un objectif de formation.
- Suite aux tests effectués après l’évènement, il est décidé qu’il est préférable de lancer les RBBG au sol et qu’il y a un délai dans le temps que prend la grenade avant d’exploser.
- Aucune directive n’est cependant rédigée sur le sujet.
- Il ignore en quels termes cette nouvelle façon de faire a été verbalisée aux PIC.
- Cette décision est prise pour limiter les risques.
- Selon lui, il est impossible de lancer les grenades ailleurs que dans la foule. Par exemple, on ne peut pas lancer entre la foule et les policiers puisqu’il y a d’autres personnes que les manifestants, notamment des journalistes.
- C’est lui qui donne le signal pour que les PIC utilisent les RBBG, mais que la décision leur appartient. Le 7 mars 2012, les PIC ont instruction de lancer dans les airs à 8, 10 ou 12 pieds du sol, l’objectif étant que la grenade explose au-dessus des gens.
- Il ignore qui décide de demander à des policiers de rencontrer le demandeur sur son lit d’hôpital.
- Il admet que, suite aux blessures subies par un manifestant, il apprend que « l’on suppose » que c’était l’utilisation des grenades qui était en cause. Il répète que certains policiers reçoivent des projectiles et qu’il est donc plausible que le demandeur ait été blessé par un projectile lancé par les manifestants.
- À la vue des vidéos, il admet qu’il semble y avoir une grenade qui a éclaté à la hauteur des manifestants.
- Après les tests, Besner affirme que les policiers se retrouvent dans un tourbillon de manifestations. Il n’y a pas de rétroaction puisque les choses se bousculent. Il prend soin d’ajouter qu’ils ne mettent pas en doute le lancer.
Roger Bujold
- Le rôle d’évaluer la situation est dévolu au sergent Bujold. Ce dernier fait enquête sur l’incident. Il veut notamment vérifier le moment de la déflagration, mais il ne met pas en doute le lancer, sa vélocité, etc. Il ne peut dire de quelle manière l’enquête est menée et si les PIC sont interrogés. Son rôle se limite à faire les tests.
- Ce qu’il sait, c’est que six grenades sont utilisées dans le peloton de DeRoy. Il ne sait toutefois pas qui les a lancées. Cette information se retrouve dans le rapport que les PIC acheminent à leur commandant dans leur région et dont copie est transmise à l’instructeur des GI.
- Revenant sur le sujet des lancers des RBBG par terre après le 7 mars 2012, le témoin répond qu’il est recommandé, si l’opportunité s’y présente, de les utiliser davantage au sol dans l’optique de limiter les risques, l’effet recherché étant davantage le bruit.
- Le témoin dépose l’inventaire de l’utilisation des grenades au SPVM (P-5).
Patrick Paquet
- Au moment du procès, Paquet est policier depuis 26 ans. Il occupe un poste de sergent-instructeur au GI et est affecté à la planification opérationnelle. Notamment, il développe un plan de formation pour les membres du GI et identifie les nouveautés dans le domaine de manière à pouvoir élaborer ses formations.
- Paquet donne une description des grenades disponibles en 2012.
- La grenade Mussel Blast contient une poudre de CS et est projetée à l’aide d’un fusil chargeur. Un nuage d’une dimension de 5 à 8 mètres est formé lorsqu’on projette la grenade. Elle ne produit pas un bruit important comme la RBBG et elle est utilisée si on veut cibler et contaminer un groupe réduit de personnes au comportement violent.
- La grenade Skat Shell se lance de la même manière que la précédente, soit avec un fusil de calibre 37 millimètres. À l’intérieur de la grenade, on retrouve 5 petites pastilles contenant chacune du CS. La grenade est projetée à environ 80 ou 100 mètres de distance et produit une fumée pendant environ 20 sec. L’inconvénient est qu’on doit attendre ce délai de 20 sec avant de faire quoi que ce soit. Cette grenade est utilisée pour suivre une dispersion dans les cas où la manifestation est loin du GI, l’objectif étant que les manifestants ne reviennent pas au lieu initial de la manifestation. Aussi, cette fumée produit un effet sur les glandes lacrymales, les yeux, le nez, les voies respiratoires et provoque de l’irritation et une sensation de brûlure. Les gens atteints ferment habituellement les yeux. Cela peut aussi provoquer un écoulement nasal et même des vomissements. Une fois lancée, la canette demeure dans le fusil.
- La grenade Jet Lite est lancée manuellement, mais pourrait être lancée avec un fusil avec adaptateur. Elle brûle à l’intérieur et par ses ouvertures, laisse échapper de la fumée. Cette grenade à décharge continue est utilisée si l’objectif est de soutenir une contamination pour une plus longue période, soit de 30 à 40 sec. En 2012, elle n’était pas disponible au SPVM.
- La grenade Military Style Maximum Smoke HC ne fait que de la fumée, sans CS. Elle produit un son assourdissant. Elle est utilisée si on veut surprendre.
- Quant à la RBBG, elle est utilisée à la main, mais peut aussi être lancée avec un fusil de calibre 12 muni d’un adaptateur. Si elle est projetée à la main, la distance de projection peut être de 30 à 40 pieds. Avec un fusil, la distance peut atteindre facilement 100 mètres, comme 50 mètres aussi. Le choix du type de lancement (manuel ou avec un fusil) dépend des conditions météorologiques, du vent et de l’endroit où est située la foule. On cherche à agir de manière à ce que le nuage d’irritants chimiques se dirige au bon endroit. En 2012, elle était utilisée par le GI pour, selon l’expression utilisée par le témoin, « avertir » la foule de leurs intentions.
- Les policiers peuvent aussi utiliser une bonbonne MK9 qui contient du CS en aérosol.
- Paquet précise que seule la RBBG contient une charge explosive, tel qu’en fait foi la fiche technique (VM-30).
- Il admet ne pas connaître l’unité de mesure d’une charge explosive, bien qu’il propose sans en être certain qu’il s’agisse de « joule ».
- L’effet recherché de la RBBG est le rétablissement d’une situation par l’effet de stupeur produit par le bruit suite à la détonation. Ce bruit équivaut à 175 décibels. À la décharge, il se produit un flash lumineux qui peut, s’il fait sombre, avoir pour effet d’affecter la vision de nuit. La déstabilisation des manifestants est obtenue par le bruit qui crée un effet de surprise et une onde sonore. On peut même sentir une vibration rapide dans les vêtements.
- Il réitère que la RBBG peut être lancée manuellement ou par un fusil adapté. Quant au délai de la déflagration, le témoin rapporte ce qui est indiqué sur la fiche technique :
« The Rubber Ball Blast Grenade has an initial 1.5 second delay that initiates fuse assembly separation, followed by another 0.5 second delay before the function of the device. The Rubber Ball Blast Grenade combines loud report and flash with effects of chemical agents. »
- Selon Paquet, il y a une marge d’erreur de .03 sec.
- Ce délai est calculé à partir du moment où l’utilisateur lance la grenade.
- En 2012, la RBBG contenait 26 grammes d’irritants chimiques et 8 grammes pour produire le flash lumineux.
- Le tribunal demande au témoin s’il existe autre chose qu’une grenade pour produire un bruit de la même amplitude, soit 175 décibels. Il répond qu’il n’en connaît pas.
- Paquet donne des explications sur l’Instant Blast Grenade. Cette grenade a un mécanisme semblable aux autres grenades. En actionnant le levier, il y a 1.5 sec de délai. La charge qui explose crée une pression sur le ciselage de la grenade et répand de la poudre de couleur blanche ainsi que 44 grammes de CS. L’explosion de cette grenade n’est pas comparable à la RBBG et elle produit moins de bruit. On l’utilise aussi pour contaminer un groupe de personnes plus ciblé.
- L’Instant Blast Grenade est utilisée depuis le début des années 2000 et la RBBG depuis 2006. Au SPVM on a longtemps été réticent à l’utiliser dans un milieu urbain, vu la probable contamination de bâtiment.
- Avant d’accepter d’utiliser une grenade, le produit est proposé à la section armurerie du SPVM et est examiné par le responsable Bujold. En recevant le produit, une formation est donnée à environ 20 à 25 utilisateurs potentiels qui doivent se requalifier annuellement. Les exercices de qualification et de requalification se font dans un endroit approprié pour ces tests et où les grenades sont lancées. Dans une requalification, on peut lancer 10 grenades ou plus par utilisateur.
- Pour l’Instant Blast grenade et la RBBG, Paquet n’a pas été témoin de blessures liées à leur utilisation.
- En 2012, il était demandé aux utilisateurs de RBBG de faire en sorte que, pour la deuxième partie du délai « le 0.5 sec », le lancer et la hauteur de la grenade soient de 5 à 10 pieds au-dessus de la tête des manifestants. Pour obtenir un effet maximum, il est demandé de lancer au-dessus de la foule parce que l’effet sonore est plus audible pour une majorité de manifestants.
- Il réfère à la fiche technique qui indique :
« As an irritant distraction and/or disorientation device for crowd management, it may be hand thrown in the general direction of the crowd. It may be deployed for ground bursts or aerial bursts at the discretion of the operator. »
- Eu égard à cet aspect de la fiche technique, il témoigne qu’on suggère de lancer en direction de la foule et que si on ne le fait pas, c’est parce qu’il y aurait par exemple un arbre entre la foule et le policier lanceur.
- À l’époque des évènements, ce qui est enseigné est de lancer manuellement la grenade de trois façons. La première façon est de lancer du bas vers le haut, à 45 degrés, la deuxième en sens inverse du haut vers le bas, et la troisième de côté. C’est l’utilisateur qui choisit la technique.
- Paquet ne peut dire quelle méthode a été utilisée le 7 mars 2012.
- Le 7 mars 2012, il est sergent du peloton Sierra. Il reçoit ses ordres de DeRoy. Il résume la situation et l’implication de poste de quartier et de St-Cyr de la même manière que l’a fait DeRoy.
- Il sait que des gens à l’intérieur de l’immeuble ont demandé l’intervention des policiers. Il décrit l’opération de « bascule » dans les mêmes termes que l’a fait DeRoy préalablement.
- La foule est récalcitrante et lance quelques projectiles. L’objectif est d’impressionner la foule pour que les moins motivés quittent la manifestation et de repousser l’attroupement qui se trouve sur ou près du parvis du 500.
- Paquet est interrogé sur la vidéo (P-11). Il craint que des gens arrivent de l’autre côté. Il situe le peloton à 1:54 min, à 40 pieds de la clôture. L’intention est de retirer la clôture et l’objectif est de créer un effet de surprise et d’aviser la foule qu’il y aurait intervention.
- Questionné sur l’endroit où devaient être lancées les grenades, Paquet témoigne que la foule avait environ 100 pieds de largeur. Si la grenade avait été lancée à l’arrière, les manifestants au milieu auraient eu peu de chance d’entendre le bruit provoqué par celles-ci.
- Il craint que les manifestants tirent ou poussent sur la clôture. La foule est dense. Selon lui, les policiers ne peuvent donner un autre avis, mais il ne sait pas si le camion-flûte avec lequel l’avis de dispersion a été donné a été déplacé.
- Suggérant à Paquet qu’il aurait pu y avoir un autre avis, celui-ci répond qu’à ce moment-là, ce n’était pas systématique, ajoutant que maintenant, ils donnent un plus grand nombre d’avis.
- Il précise par ailleurs qu’il ne peut certifier que l’avis de dispersion était audible.
- Le témoin identifie 5 détonations, dont 4 qu’il a initiées et qui ont été lancées par les deux PIC.
- Si la grenade est lancée correctement, la déflagration survient à 1.5 sec et les deux parties se détachent. Dépendamment de la position de la grenade dans les airs, à cause de son poids, la détonation peut survenir à un endroit différent. Si elle est à l’horizontale ou à la verticale, le résultat est différent. C’est ce qu’il décrit comme étant le jeu des masses et des poids.
- Il arrive que la grenade soit lancée plus rapidement vers le bas. Dans un tel cas, l’explosion sera plus basse.
- Selon Paquet, une déflagration produit une onde plus lente, et dans le cas d’une détonation, l’onde se produit plus rapidement et de manière plus puissante.
Bruno Bolduc
- En mars 2012, Bolduc est policier depuis 25 ans. Il fait partie du GI dirigé par DeRoy (peloton Sierra). Lors de cette journée, il agit comme PIC.
- Il explique que la RBBG est lancée manuellement. On utilise le lancer de type balle molle en visant une hauteur permettant une déflagration à environ 10 pieds au-dessus de la foule. Pour ce faire, on va chercher 20 pieds au-dessus de celle-ci étant donné qu’il y a une descente de la grenade d’environ 10 pieds lors de la déflagration.
- Une requalification comme PIC est obligatoire aux deux ans. Il a été formé en 2010 et requalifié en 2013. La formation de PIC, en partie théorie et en partie pratique, dure deux jours. Lors des exercices pratiques, ils apprennent à lancer des grenades dans des conditions réelles avec vent, pression atmosphérique et chaleur. Il ajoute que ces facteurs peuvent interagir dans l’utilisation.
- Le 7 mars 2012, après avoir été en attente un certain temps, son groupe est mis à contribution. Au début de l’intervention, son peloton arrive en colonne de deux. Ils cognent leur bouclier en marchant. Ils se placent par la suite en parallèle pour faire une démonstration de force. À un certain moment, il note la présence d’une foule dense derrière la clôture que les manifestants ont installée.
- Ils ont reçu l’ordre de faire une manœuvre de dispersion de la foule. Il n’avait pas avec lui toutes les grenades disponibles, mais seulement les RBBG.
- Il se rappelle qu’avant que des RBBG soit lancées, un avis de dispersion avait été annoncé à partir du camion-flûte. Il a bien entendu cet avis.
- Il y a environ 5 à 6 lignes de manifestants derrière la clôture.
- L’objectif était clair : faire une manœuvre de dispersion par le lancement d’une RBBG pour permettre d’abaisser la clôture.
- Il prend la grenade dans sa main, enlève le mécanisme (cuillère) et attend l’autorisation de Paquet pour la lancer. Il a auparavant repéré l’environnement cible dans la foule. À sa souvenance, il l’a lancée 20 pieds au-dessus de la foule, la grenade a bien fonctionné et a explosé 10 pieds au-dessus des têtes.
- Si la grenade avait été lancée à l’arrière de la foule, la réaction aurait possiblement été que la foule aurait avancé vers les policiers après avoir fait tomber la clôture. C’est le centre de la foule qui était visé.
- Suite à ce premier lancer, la pression de la foule diminue et celle-ci se déplace comme prévu vers l’est (vers Aylmer). Les policiers continuent d’avancer.
- La deuxième grenade est lancée plus loin sur Sherbrooke, toujours en direction est. Le délai entre la première et la deuxième grenade est assez court. Bolduc ajoute que le but du deuxième lancer était aussi de continuer de dégager la foule en mode dispersion.
- Le deuxième lancer est semblable au premier, à 20 pieds dans les airs, mais plus proche de la tête des gens. Le résultat aurait été similaire au premier lancer, soit de créer une diminution de la pression et un autre mouvement de foule vers l’est. Certains se déplaçaient même en courant.
- La troisième est lancée au niveau de Durocher et de Sherbrooke. Le mouvement de foule se poursuit. Celle-ci est encore une fois lancée à 20 pieds dans les airs, mais « atterri » toutefois plus proche des gens, à environ 4 à 5 pieds du sol.
- Après cette troisième grenade, la foule continue de se déplacer vers Jeanne-Mance. La structure policière est retirée pour s’établir en mode attente au retour vers les véhicules.
- Le rapport d’utilisation d’irritants chimiques est déposé sous (VM-31). Sur la première page, le croquis indique les numéros des lancers et les situe.
- Pendant l’intervention, il voit des manifestants lancer des objets. Certains ont des pancartes et d’autres des visières de protection pour contrer les effets des gaz.
- Outre les RBBG, il a utilisé le MK9 (bonbonne contenant du CS) lors du premier contact avec la foule vers Aylmer. Le MK9 a pour effet de déstabiliser la personne visée puisque la respiration devient difficile. Le 7 mars 2012, il a utilisé le MK9 à 7 reprises.
- Le troisième extrait est encore plus visible (P-6 extrait 3), à 35 sec on voit la RBBG à droite qui semble exploser et on voit la grenade. Selon le témoin, on a 20 pieds de hauteur à cet endroit et elle explose au niveau de la foule, donc à 4 ou 5 pieds du sol. À ce moment, on est près de Durocher.
- C’est la seule RBBG qui a explosé au niveau de la foule.
- Bolduc répond qu’une grenade RBBG est une pièce mécanique et qu’il peut y avoir eu un problème. Ces grenades sont entreposées et il soumet qu’il est possible que l’humidité ait fait retarder la déflagration. Il est aussi possible que le mouvement de rotation provoque une courbe différente, ce qui pourrait amener une vitesse de descente plus rapide. Il admet qu’il ne sait pas exactement pourquoi cette grenade a pu exploser dans la foule à 4 ou 5 pieds du sol.
- L’autre PIC de son peloton était situé à sa gauche, il ne se rappelle pas si ce dernier a lancé ses RBBG en même temps que lui.
- Dans l’utilisation d’une RBBG, la combustion se fait en deux temps, soit l’amorce et la grenade comme telle. La grenade contient plus de charge explosive que l’amorce qui dégage moins de fumée que la grenade. Ce qu’il voit à la vidéo (P-6) (extrait 3). Celle de droite est plus petite que celle de gauche. L’amorce serait à droite et l’explosion à gauche.
- Selon Bolduc, si la RBBG explose dans la main du policier, cela ne crée pas de dommage majeur, mais peut créer un engourdissement. À une occasion, une RBBG a explosé à côté de lui et c’est comme s’il avait reçu un coup de pied.
- Devant la déclaration précédente, on exhibe au policier Bolduc l’avis du fabricant sur la fiche technique de la RBBG. Il admet ne jamais avoir lu ce paragraphe et ajoute que toute arme peut causer des blessures ou la mort et qu’on a toujours ce type de consigne.
Richard Massé
- Il est policier depuis 1988 et sergent depuis 1998. Il agit aussi comme moniteur en formation pour le GI (contrôle de foule), mais n’agit pas comme formateur en irritant chimique.
- Le 7 mars 2012, il est affecté à titre de sergent au peloton Oscar. Il est en communication directe avec ceux qui agissent comme PIC, soit les policiers Robineau et Morand.
- Au début, il suit les opérations dirigées par St-Cyr. La manifestation évolue. Des manifestants entrent à l’intérieur du 500 et d’autres montent une clôture pour barrer Sherbrooke.
- Il leur faut alors entrer à l’intérieur du 500 et libérer l’immeuble de la présence des manifestants. Par la suite, il faut aussi dégager les rues Aylmer et City-Councillors, pour faire en sorte que les manifestants ne puissent revenir sur Sherbrooke.
- La foule est active, agressive et parfois même violente. Pendant l’intervention, certains manifestants sont résistants. Certains agrippent les boucliers et d’autres lancent des balles de neige et des morceaux de glace et d’asphalte.
- Pendant l’approche de son peloton et lorsqu’ils montent l’escalier, ils rencontrent de la résistance. Certains policiers doivent utiliser leur matraque. Il réfère au rapport d’usage de la force (VM-33). Sur le parvis du 500, il y a environ de 50 à 60 personnes. Il a dû utiliser le MK9.
- C’est lui qui ordonne le lancer aux PIC, après avoir reçu les ordres du commandant.
- Le premier lancer crée un mouvement de foule vers l’est. Il témoigne que le résultat est bon.
- La porte d’accès du 500 est libérée et on informe les gens à l’intérieur qu’ils doivent quitter, ce qu’ils font. Quelques-uns demeurent sur le parvis et des policiers utilisent le MK9 pour s’assurer qu’ils quittent.
- Une fois l’immeuble libéré, on demande à ce peloton de continuer leur travail de manière à repousser la foule vers l’est.
- Il note que Robineau lance une deuxième RBBG, alors qu’il est situé au coin City-Councillors et Sherbrooke.
- Massé ordonne ensuite le lancement d’une troisième RBBG, encore plus à l’est sur Sherbrooke, aux alentours de Durocher. À cet endroit, il y a deux autres RBBG et une Instant Blast projetées par le policier Morand.
- Un ordre est donné à Robineau d’effectuer un lancer à cet endroit dans le but de séparer la foule en deux, afin qu’ils poursuivent leur mouvement vers l’est et vers le nord sur Durocher.
Patrice St-Germain
- Le 7 mars 2012, il est policier affecté au lieu de la manifestation, particulièrement à l’intersection Sherbrooke et Bleury. Il est dans sa voiture et bloque la circulation. Un groupe de trois ou quatre personnes s’approche pour lui demander d’aller reconduire leur ami qui vient de se faire blesser. L’individu se tient la main devant l’œil. Il ne peut toutefois aller le reconduire étant donné qu’il est assigné au contrôle de la circulation. Il téléphone pour faire venir une ambulance.
- Suite à cet appel, il leur demande de se rendre sur le coin de la rue et d’attendre. Un officier lui répond peu de temps après qu’une ambulance est en route. Il souligne que le jeune blessé ne semblait pas en détresse et qu’il pouvait marcher par lui-même.
Vincent Morand
- Morand débute sa carrière de policier en 1973. Il obtient sa formation de PIC en 2002. Le 7 mars 2012, il travaille comme PIC dans le (peloton Oscar), sous les ordres du commandant Chartrand.
- Il sait que les grenades de type RBBG contiennent une charge explosive.
- Il confirme que les RBBG sont lancées manuellement et que le but est de viser de 5 à 10 pieds au-dessus de la tête des manifestants.
- À l’époque, la RBBG contenait du CS afin que la déflagration survienne de 5 à 10 pieds au-dessus des têtes.
- Une fois l’entrée du 500 libérée, il fallait repousser les manifestants vers l’est. Il a été appelé à utiliser des RBBG. Il y avait de la résistance. Certains policiers se faisaient repousser. Il a aussi utilisé le MK9 afin de faire reculer un petit groupe de manifestants. Le MK9 est utilisé à la discrétion du policier. Il en a fait usage plus tard au coin Sherbrooke et Durocher.
- Sur ordre du commandant Chartrand, il a aussi lancé une Instant Blast au coin Sherbrooke et Durocher. La déflagration est survenue à environ 10 pieds des manifestants. Le nuage d’irritants est demeuré en suspension dans l’air et a été peu efficace.
- Comme les autres PIC, il a documenté l’utilisation du MK9 et des autres irritants dans un rapport (VM-34).
- Il précise que certains manifestants étaient masqués et cagoulés et que d’autres portaient des lunettes de ski.
- On le questionne pour connaître son point de vue sur ce qui se produit lorsqu’une grenade RBBG explose dans les mains d’un PIC. Il croit que des dommages peuvent être causés, mais n’en est pas certain.
Alain Bourdages
- En mars 2012, il est inspecteur-chef et responsable de la planification organisationnelle. Besner, qui agissait comme commandant des GI travaille sous ses ordres.
- Le 7 mars 2012, on l’avise qu’une manifestation se prépare près du Square Victoria. L’estimation est d’environ 100 personnes. Il a des contacts avec les responsables de la manifestation et il est décidé d’intervenir au niveau de la circulation et d’amener la manifestation jusqu’à leur destination, soit le 500.
- Le 7 ou le 8 mars 2012, il est informé qu’un manifestant a été blessé par un « engin » utilisé par le SPVM pour contenir les manifestants.
- Cette information circule alors sur les réseaux sociaux, qui font état de la blessure subie par un des manifestants. Il est question qu’un étudiant ait perdu un œil suite à l’usage d’une grenade par le SPVM.
- Étant informé de ces faits, il entre en communication avec les lieutenants-détectives du SPVM, pour leur demander de vérifier dans les hôpitaux de Montréal afin de savoir si une personne a été admise pour une blessure à l’œil suite à une manifestation.
- Il décide alors de demander à des enquêteurs du SPVM de se rendre à l’hôpital où se trouve le demandeur pour l’interroger sur sa blessure et pour savoir s’il a bel et bien été blessé et le cas échéant, de quelle manière (par une grenade ou par autre chose).
- Bourdages est informé que le demandeur est dans la foule et qu’il s’apprête à quitter en courant lorsqu’il est blessé à l’œil. Il demande l’assistance d’un policier et est au départ inquiet de son arrestation. Il reproche au policier de ne pas lui avoir prêté assistance.
- Bourdages demande également le journal des opérations, de même que toute autre information sur l’opération de manière à faire la lumière sur les évènements. Il visionne les vidéos disponibles, la qualification des PIC et leur formation. Il est aussi question de revoir les règles d’utilisation des grenades avec les PIC.
- Il demande à Besner de faire des tests avec les lots de grenades RBBG utilisées lors de la manifestation. Il ajoute qu’il est impossible de garantir que telle ou telle grenade va exploser à 0.5 ou 1.5 sec.
- Bourdages dépose et lit la pièce (VM-36), soit un mémo qui émane de lui-même et qui constitue en quelque sorte le bilan de l’opération du 7 mars 2012. Vu l’importance de certains passages, le tribunal reproduit intégralement ce mémo :
« From: "Alain Bourdages" <abourdages@police-rsl.qc.ca>
Sent: Wed Feb 08 14:26:06 2017
To: "Richard Pascal" <Pascal.Richard@spvm.qc.ca>
Subject: TR: SUIVI FRANCIS GRENIER.
Importance: Normal
pti
Alain Bourdages
Assistant-directeur Responsable de la gendarmerie
Régie intermunicipale de police Richelieu Saint-Laurent
333, rue Hertel, Beloeil (Québec) J3G 3N3
Tél. : 450 536-3333 poste 213 Téléc. : 450 536-0828
_____________________________________________
De : Bourdages Alain
Envoyé : 8 mars 2012 00:36
À : Parent Marc; Brochet Pierre; Pasquini Bruno; Guérin Mario; Bussieres Claude; Roy Anne; Lafreniere Ian; CarrolI Melissa
Cc : Pichet Philippe; Besner André; Champagne Sylvain
Objet : SUIVI FRANCIS GRENIER.
Bonjour à tous
Dans un premier temps la situation s'est bien terminée au centre-ville ...Le bilan sera fait demain, mais déjà on ne signale pas de méfaits et deux arrestations seulement. Nos gens ont réagi vite et bien.
Gros apport des Cmdt Gagnon, deRoy, Chartrand et Besner.
Voici quelques info que je vient de recevoir du l/D Dacouna et s/d Genevieve Leclerc , qui a rencontré l'é tudiant a I' hôpital Maisonneuve -Rosemont.
- *DDN : 89-[…] (22 ans)
- *Étudiant au cegep de St-Jérôme
• *Vers 14h00 il étais proche du 500 Sherbrooke ouest et voulais quitter quand au 2 eme lancement de grenade, elle serait tombé entre lui et un autre personne et a éclaté....il s'est mis a courir et soudainement s’est aperçu qu'il saignait et a commencer a voir noir... Il a demande de l'aide d'un agent, mais c'est des citoyens qui se sont occuper de lui. Finalement l'agent aurais demander US. Transporter a Hôtel-Dieu puis a Maisonneuve. Subira une opération pour une possible décollement de la rétine. Sa préoccupation première est qu'il se questionnait sur la présence des S/D à l'hôpital et demandais s'il allait être arrêter. Il étais soulagé d'apprendre qu’aucune accusation ne sera entreprise contre lui. Sa mère étais présente et calme...Le père par contre menace de poursuite.
Le cmdt De Roy m'informa que lors de son avancer sur Sherbrooke, les manifestants avaient érigé des barricades à l’aide de clôture et I’utilisation des rubber bounce grenade étaient requises pour leur faire lâcher prise et cesser la résistance active face a nos policier. Donc si I’étudiant est certain qu'il a été atteint par la deuxième grenade, il devait se trouver sur la première ligne de résistance des manifestants ....
J'ai demander pour demain les actions suivantes à mon personnel;
• *Log opérationnel avec toutes les inscription des manœuvre et ordres donnés
• *Bande audio
• *Faire vérifier par notre section enquête toute les bande vidéo et sur youtube si on apercevrait pas l'étudiant au moment de l'incident
• *Nb de ressources attitré au service d'ordre
• *Nb de manifestants..(à titre d'exemple 46 Gl face a 800 manifestants)
• *Tout les appels enregistrées au 911 qui proviennent du 500 sherbrooke avant notere arrivé..
D'expérience lors de I’entrée a la tour de la bourse en 2007, des appels étaient entré au 911 pour des demandes d'aide et de séquestration
• *Copie de la formule d'éviction et /ou nom responsable requérant I’évacuation
• *DVD démontrant nos divers irritants chimiques
• *Descriptif et mode d'utilisation d'un rubber bail grenade
• *Formation reçu à nos policier qualifié pour utiliser cette équipement
• *Tableau du continum de force en contrôle de foule (l'utilisation d’un irritant chimique est préférable à un coup frappé)
• *Copies de tous les rapports d’utilisation de la force relatif à l'événement.
• *Motifs concernant les 5 arrestations effectués.
Demain nous seront en mesure de préparer une meilleur réponse si tel est le cas face aux demandes de médias.
Nous avons encore plusieurs manif qui s'en viennent donc une encore demain. Nos gens travaille fort et dans le respect de I’usage de la force...Le blocage du pont Jacques-Cartier la semaine passée est un bel exemple que face a une résistance passive , nos gens s'ajuste( aucun coups , avance lente) ....et encore aujourd'hui, apres avoir été expulsés du 500 Sherbrooke Ouest, les étudiants ont continué a manif ester sans qu'on intervienne comme la si bien préciser phillippe à la télévision ce soir.
Pour terminer, désolé pour les fautes de frappe, je vais me coucher ……..
Je serai au bureau à 06h30 pour toutes demandes…. »
- Bourdages dépose les notes de l’enquêteur lors de la rencontre à l’hôpital Maisonneuve-Rosemont (VM-37).
- Les policiers enquêteurs sont retournés le 13 mars 2012 pour parler directement au demandeur. Son père est inquiet et menace de poursuivre le SPVM.
- Cette déclaration portant sur les deux visites mérite d’être reproduite au présent jugement :
« Notes de l’enquêteur Centre d’enquête Est
Événement : 20-120307-039______________Enquêteur :s/d Genevieve Leclerc 43B9
Nature : Manifestation étudiante
Événement : 20-120307-039
Nature : Manifestation étudiante
Date | Heure | Démarche d’enquête |
2012-03-08 12-03-13 | 23h15 09h00 | Rencontre Grenier Francis (89-[…]) au C.H. Maisonneuve Rosemont avec S/D Dany Grenier 4587.Tl nous explique ce qui suit : Il est étudiant au Cégep de St-Jérôme et s’est rendu à la manifestation étudiante près des bureaux de Loto-Québec. Vers 14h00 il a décidé de quitter, car il sentait que la manifestation allait, mai se terminer. Il ne connait pas bien Montréal et ne sait pas sur quelle rue il se trouvait. II a entendu une première bombe puis il s’est mis à courir. La deuxième a été lançé entre lui et une autre personne qui était à ses côtés. Il s’est aperçut qu’il perdait du sang et sa vision s’est embrouillée. Il s’est arrêté au coin Bleury / Shebrooke et a demandé à des policiers d’appeler US. Des étudiants lui ont apporté de la glace et des serviettes pour éponger le sang. Il a été transporté par US au C.H. Hôtel Dieu puis transféré à Notre-Dame et enfin à Maisonneuve-Rosemont où un spécialiste l’a examiné et où il doit être opéré vers 4h cette nuit pour un décollement de la rétine de l’œil droit. Il voit également embrouillé de l’œil gauche et n’a donc pas été en mesure d’écrit une déclaration. Francis Grenier semblait préoccupé par nos questions et voulait savoir si quelqu’un portait plainte contre lui. Avant de quitter, j’ai rencontré le père de Francis Grenier qui venait d’arriver. Ce dernier voulait savoir ce que le SPVM allait faire avec ce qui venait d’arriver. Je lui ai expliqué que le service de police désirait connaître les circonstances de la blessure de son fils et que la priorité de cette nuit était entre les, mains des médecins. Je lui ai laissé ma carte à la demande du Cmdt Verret. Le médecin, Dr Agouni, qui l’a examiné, était absent et n’a donc pas été rencontré. Coordonnés de Francis Grenier : […], St-Canut, […] (450)[…] À la demande du Ld Dacunnha j’appelle M.GRENIER Francis pour avoir une autorisation médicale concernant sa visite à l'hôpital Maisonneuve Rosemont suite à sa blessure à l’œil. La seule coordonnée que j’ai est le 450-[…]. C'est le père de celui-ci M. Gilles GRENIER qui m’informe que son fils est présentement à l’hôpital pour un rendez-vous de contrôle. Après m’être présenté il me demande la nature de mon appel. Je lui dis que je désire avoir une autorisation médicale pour aller chercher le dossier de son fils concernant la nature de sa blessure. Il me dit que suite à l’hospitalisation de son fils l’inspecteur LECLERC est venu à l’hôpital. Il dit que le service de police de Montréal fait une enquête, mais que celle-ci n’est pas impartial et qu’il fait ça pour disculper le policier responsable plus que pour aider son fils. Il dit que c’est trop compliqué et qu’il veut s’informer avant que son filé accepte ma demande. Je lui explique que dans toutes enquête dont la victime est blessé on va chercher le dossier médical avec son autorisation et lui explique que le service de police veut sûrement chercher à savoir quelle est la nature des blessures de son fils et si il peut trouver de quel manière l’évènement a pu être causé pour éclairer la situation et pour éviter que ça se reproduise. Il rajoute que supposément l’arme qui a été utilisé pour blesser son fils n’est pas utilisé par le service de police de Montréal selon ce que des gens du service auraient dit aux médias. Il me dit d’aller voir sur Cyber presse et que deux policiers de la section, anti-émeute auraient confirmé ce fait. Mais de source certaine il a apprit que cet arme est bel et bien utiliser par Je service. Je lui demande des nouvelles de son fils et il me répond que présentement il a une bulle de gaz dans l’œil. Avant son opération il voyait que des ombrages et que depuis l’opération ils attendent que la bulle se dissipe avant de se prononcer sur le fait à savoir s’il perdra son œil. Il me laisse son courriel pour que je puisse y laisser mes coordonnés : Cheminee.conformeideotron.ca |
| 09h50 | Appel conférence avec le commandant Arsenault et inspecteur Bourdages pour leur en informer. L’inspecteur Bourdages me demande de me rendre à l’hôpital pour essayer de rencontrer GRENIER pour lui demander en personne |
| 10h30 | J’arrive à l’hôpital Maisonneuve Rosemont avec la sd Teresa Moriello et nous rencontrons M.Gilles Grenier et Francis Grenier. M.Grenier me dit que je suis harcelante, car il vient de me dire au téléphone qu’il me rappellera après s’être renseigner alors je lui explique que considérant lue son fils est majeur je me devais le rencontrer en personne pour savoir si lui refusait ou acceptait de me signer l’autorisation, le lui explique que je lui ai expliqué la nature de mon appel un peu plutôt car je savais très bien qu’il était au courant du dossier, mais que habituellement je n’ai )as le droit de le faire quand ça concerne un adulte même si c’est son fils. Il ne laisse pas parler son fils et il m’explique que sa réticence face à ma demande découle du fait que le 8 mars quand les enquêteurs se sont présentés au chevet de son fils leur approche était répressive et le questionnaient sur ce que faisaient les manifestants, mais en aucun temps ils ont eu un comportement empathique envers son fils ce qui lui démontrait qu’ils n’étaient pas là pour son fils, mais bien pour discréditer le policier. Il dit qu'habituellement les policiers se déplacent après un appel fait au 911 et qu’ils n’avaient pas fait appel au 911 et tout à coup ceux-ci débarquent à l’hôpital. Il dit ignorer à ce moment- là que le tout était déjà médiatisé. Il confirme qu’une personne est en possession du morceau de métal qui a causé la blessure de son fils. Il confirme que c’est une grenade assourdissante. Il confirme qu’en plus il a entendu dans les médias que M. Pichet .M.Charest et M. Lafrenière ont confirmés que les policiers s’étaient bien comportés et qu’ils avaient bien fait leur travail. Ce que je veux c’est que le service de police assume qu’il y a eu erreur et qu’ils feront tout pour ne pas que ça reproduise. I! trouve ça drôle que depuis cet évènement les policiers sont moins répressifs sur les manifestations. Il rajoute que son fils quand il a été blessé a demandé l’aide d’un policier pour qu’il appelle l’ambulance et que celui lui a répondu « arranges toi avec tes affaires, c’est mon pas mon trouble ». Il fini par me dire qu’il consultera un avocat et qu’il prendra sa décision par après. Je lui ai laissé mes coordonnés. N.B. Francis était présent, mais n’a presque pas parler mais a confirmé vouloir attendre pour y réfléchir et nous recontactera. 11 h 30 Rencontre terminée |
| 11h45 | Avise commandant Arsenault. Il me demande de communiquer avec inspecteur Bourdages. |
| 11h50 | Retour à M. Bourdages et rapport faxé à celui-ci. » |
- Bourgades obtient aussi les rapports des PIC impliqués dans l’opération du 7 mars 2012. Il réfère à celui de Bolduc (VM-31) dans lequel on note qu’une RBBG a explosé au niveau de la foule.
- Il justifie l’emploi des RBBG cette journée-là en précisant qu’il y avait beaucoup de manifestants et qu’il y avait une limite au temps pour que les membres du GI et les policiers puissent contenir la foule. Il réfère notamment au fait que l’armure et les vêtements que portent les policiers pèsent environ 100 livres. L’utilisation des RBBG devient un multiplicateur de force pour les aider à faire leur travail.
- En examinant le rapport de Bolduc, il note que la troisième RBBG a explosé plus bas.
- Son travail est de vérifier si les RBBG ont été utilisées correctement. Il doit pour ce faire obtenir le rapport demandé à Besner visant à effectuer des tests avec les lots de RBBG en usage lors de l’événement.
- Après avoir reçu le rapport qui concluait que le temps de déflagration à 1.5 et 0.5 sec était conforme aux prescriptions du fabricant, l’utilisation du RBBG était appropriée dans le cadre de cette manifestation.
- Bourgades insiste pour dire que l’accident du demandeur est devenu viral dans les médias et les réseaux sociaux. Selon lui, il y a eu de la désinformation, la pression est forte et les gens se prononcent sur des sujets qu’ils ne connaissent pas.
- Bien qu’il ait vu des photos de personnes ayant subi des blessures par l’explosion d’autres types de grenades, il affirme ne pas savoir si l’explosion d’une RBBG près d’une personne pourrait causer des lésions. Alors qu’il est interrogé sur les avis indiqués sur la fiche technique, il soutient que les compagnies vont toujours en mettre plus pour éviter d’éventuelles poursuites.
- Le 7 mars 2012, Bourdages convoque les médias pour une conférence de presse.
- Il témoigne que sur la vidéo (P-11.6), on aperçoit le demandeur dans la foule. On voit la RBBG exploser au sol et le CS monte. De son point de vue, son amie n’est pas à ses côtés. La RBBG éclate derrière le demandeur selon Bourdages, il soumet que la grenade ne l’a pas blessée.
- Aussi, à (P-11.6) (30 sec), le demandeur se met à courir et on voit qu’une personne tire du café sur un policier.
- Sa compagne dit avoir reçu quelque chose sur l’épaule, ce que Bourdages met en doute.
- On voit la grenade au sol. Elle a éclaté et serait à 15 pieds de lui. Sa conclusion est que le demandeur et son amie n’ont pas été blessés par une RBBG.
- Il est par la suite question de la note de service (VM-38). Vu l’importance que le tribunal accorde à cette note de service et considérant qu’elle émane de Phillippe Pichet de la planification opérationnelle, il convient d’en reproduire le contenu :
« Destinataire : Stéphane Lemieux, assistant-directeur
Expéditeur : Philippe Pichet, inspecteur
Division de la planification opérationnelle
Date : Le 18 juillet 2012
Objet : Utilisation de grenades par les groupes d'intervention
Monsieur,
Après consultation auprès du cmdt Roch DeRoy, vous trouverez ci-dessous réponses aux questionnements dont vous me faisiez part dans votre courriel du 17 juillet dernier. Espérant le tout conforme.
- Nous utilisons la Rubber Bail Blast Grenade CS (RBBG) de Defense Technology. Nous avons utilisé un autre modèle produit par une compagnie canadienne lors d’un bris d’approvisionnement en mai dernier. Celui-ci avait le désavantage de produire un délai de mise à feu de 3 à 3.5 secondes, augmentant le risque d’explosion dans la foule. Par conséquent, son utilisation en mode "lancer haut" avait été interdite; seuls les lancers au sol et en parallèle à la foule étaient alors autorisés. De toute façon, les problèmes d’approvisionnement étant réglés, ce matériel n'est plus utilisé.
- La SQ n’utilise pas de RBBG pour deux raisons. La première; à l’époque où s'est tenue la séance de démonstration par la compagnie canadienne représentant Defense Technology, elle n’était pas présente, donc n’a pu apprécier les avantages opérationnels d’un tel outil. La deuxième; la raison fondamentale pour laquelle la SQ n’a jamais démontré d'intérêt pour l’utilisation de la RBBG fait référence à ses modes opérationnels axés principalement sur la protection et la restriction. Lorsque stratégiquement une dispersion est nécessaire, la SQ préconise l'utilisation de CS en décharge continue. Cette façon de faire (contamination de l’environnement) est considérée acceptable par la SQ étant donné qu’elle opère majoritairement en milieu rural, ce qui n’est absolument pas le cas pour le SPVM, pour des raisons évidentes. Par conséquent, après avoir vérifié avec le capitaine Marcel Blais de la SQ, il n’est pas de leur intention de modifier leurs modes opérationnels pour y inclure l’utilisation de grenades assourdissantes de type RBBG.
- La RBBG demeure une pièce pyrotechnique, ce qui n’est pas sans danger. Toutefois, lorsqu'elle est utilisée selon les spécifications du fabricant, les dangers de blessures sont quasi inexistants. Lors d'une première déflagration survenant à 1.5 seconde, les composantes métalliques de la grenade sont expulsées, elles tombent au sol sans projection. Une fois les composantes tombées 5 secondes plus tard, la déflagration sonore et chimique survient. À ce moment, les composantes caoutchoutées sont expulsées vers l'extérieur, sans propulsion. Seuls des agents spécialement formés (les préposés aux irritants chimiques-PIC) sont autorisés, sous ordre du commandant de peloton, à lancer des RBBG.
Bien évidemment, le fabricant indique sur la majorité de ses produits qu'un usage inadéquat pourrait causer des blessures et même la mort. Il faut comprendre que la compagnie tient à se dégager de toute responsabilité lors d'un mauvais usage. Tout comme la compagnie américaine Kellogs indique sur ses boites de céréales (aux États-Unis) qu’il ne faut pas manger le sac et/ou le carton, une grenade RBBG placée dans la bouche d'un manifestant causerait inévitablement de sérieux dommages. »
- Suite aux tests et compte tenu du délai de déflagration, il fut décidé de lancer dorénavant les RBBG au sol.
- Bourdages quitte le SPVM en 2015. Selon son souvenir, les RBBG ont continué à être utilisées après 2012. De mémoire, de 2008 à 2015, personne d’autre n’a été blessé suite à l’utilisation d’une RBBG, sauf une personne qui n’aurait pas porté plainte. Il réfère au document (P-5) sur l’utilisation des différentes grenades.
- Lors de son contre-interrogatoire, il est établi que le policier Brown a fait exploser une grenade dans la foule. À savoir pourquoi cette information ne se retrouvait pas dans son rapport, Bourdages répond qu’il ne considère pas qu’elle devait en faire partie. Pour justifier le fait que le rapport de Brown ne comporte pas cette information, il dit « J’écris pas où les trous de balle entrent ».
- Il explique son insistance à rencontrer le demandeur et à obtenir son dossier médical sur son lit d’hôpital, du fait que selon lui, s’il disait souffrir d’acouphène, il fallait savoir s’il en souffrait auparavant.
Mario Robineau
- En mars 2012, il est policier depuis 20 ans et est membre du GI depuis 1999. Il agit comme PIC au sein du (peloton Oscar) sous les ordres du commandant Chartrand.
- Lors de l’intervention, l’autre PIC, Morand, est à sa gauche. Il a obtenu sa formation de PIC à ses débuts à ce poste en juin 2008.
- Sa formation l’a qualifié pour utiliser dix types d’armes, dont la RBBG et l’Instant Blast. Il précise qu’ils apprennent leurs lancers afin d’obtenir une hauteur de 20 pieds du sol, l’objectif étant d’obtenir la déflagration à 10 pieds au-dessus de la foule.
- Le 7 mars 2012, son peloton agit en premier lieu en support au groupe de policiers de quartier.
- Lors de leur intervention, le premier objectif est de dégager le perron du 500.
- Il reçoit l’ordre du sergent Massé de faire les lancers de RBBG. Massé reçoit de son côté ses ordres du commandant Chartrand. Le premier lancer a pour effet de créer une diversion et de dissuader ceux qui occupent l’immeuble. Une brèche est créée permettant de libérer l’entrée du 500.
- Avant d’effectuer un lancer, il identifie d’abord l’endroit où le faire et analyse la provenance des vents. La zone visée est atteinte et le résultat est obtenu.
- La deuxième RBBG est lancée plus à l’est, au coin de l’immeuble du 500. À cet endroit se trouve un groupe de personnes qui demeurent sur place. Cette deuxième grenade a pour objectif de scinder la foule et de continuer d’avancer avec les autres agents. Le résultat est obtenu et une partie de la foule se disperse.
- Le troisième lancer a lieu encore plus à l’est, au coin Sherbrooke et Durocher. Ce lancer est en direction des personnes restantes. Il reste moins de manifestants et certains sont agressifs et refusent d’obtempérer. Ils lancent des cafés et des balles de neige.
Michaël Brown
- En mars 2012, il est policier depuis 7 ans et fait partie du GI à titre de PIC. Il est membre du (peloton Sierra) en compagnie du sergent Bolduc.
- Comme les autres PIC, il a suivi la formation dispensée par le SPVM. Il fut qualifié pour utiliser dix armes, dont la RBBG.
- Lors du lancement d’une grenade, le but visé est de la faire exploser de 5 à 10 pieds au-dessus de la foule. Il arrive qu’elle explose au sol, mais c’est très rare.
- Le 7 mars 2012, les manifestants bloquent l’entrée du 500. Certains ont pris une clôture et l’ont érigée de manière à bloquer la rue.
- Certains policiers se font lancer de la glace et de l’asphalte.
- Son peloton a pour but de retirer la clôture érigée par les manifestants. Il est muni d’une veste contenant différentes armes et/ou grenades.
- Il faut attendre l’ordre du commandant avant de lancer des RBBG.
- Suivant les ordres de DeRoy, il effectue trois lancers de RBBG.
- Le premier lancer se fait au niveau d’Aylmer, afin de provoquer une diversion et ainsi abaisser la clôture. De mémoire, il témoigne avoir utilisé la méthode « catapulte » soit du haut vers le bas, et non la méthode dite « balle molle » du bas vers le haut. Le résultat suite à ce premier lancer est positif. Les policiers du GI peuvent abaisser la clôture pour par la suite repousser la foule vers l’est.
- La deuxième RBBG est lancée plus à l’est vis-à-vis City-Councillors. La foule continue de se déplacer vers l’est. L’envoi de cette deuxième grenade fonctionne et permet au GI de faire un bond offensif.
- Aussi, à la page 2 de son rapport, on ne voit pas l’endroit où la grenade éclate. Il reconnait ne pas l’avoir indiqué.
Pascal Roy
- L’expert Pascal Roy est policier pour la Ville de Québec. Il dépose son rapport sous (VM-15).
- Il devient PIC pour le service de police de Québec en 2008, suite à une formation de quatre jours.
- En 2010, il est nommé chef de peloton et officier responsable de 30 à 40 personnes formées en maintien et rétablissement de l’ordre. Actuellement, le poste qu’il occupe est équivalent à un poste de commandant au SPVM. Au moment de faire le rapport dans le présent dossier, il est lieutenant
- En 2012, il participe à une formation à l’École nationale de police du Québec (ENPQ) en cas d’alertes de différents niveaux de difficulté. C’est lui qui donne la formation aux PIC travaillant pour le service de police de la Ville de Québec (SPVQ). Il a aussi contribué à préparer une formation en intervention physique, maniement du bâton et bouclier. Depuis 2016, il n’est plus instructeur, mais fait partie du comité de formation.
- Il a rédigé le rapport produit au dossier de la Cour qui porte le sceau de l’ENPQ. C’est un représentant de l’ENPQ qui l’a approché en 2013 afin de savoir s’il était intéressé à devenir témoin expert pour eux. Au préalable, il a passé des tests et entrevues et a été approuvé dans le but de devenir témoin expert.
- Il a eu à travailler dans dix dossiers d’expertise et témoigne pour la première fois comme témoin expert. Certains de ces dossiers étaient en lien avec des plaintes en déontologie policière. Il a aussi reçu des demandes du Directeur des poursuites criminelles et pénales ( DPCP ) et quelques dossiers en rapport avec des poursuites civiles.
- À l’occasion, il demande à des représentants de l’ENPQ de relire son rapport, non pas pour modifier son opinion, mais pour préciser la compréhension de certaines phrases. Il admet qu’il peut aussi avoir des discussions sur l’opinion qu’il formule dans son rapport, afin de s’assurer qu’elle est en accord avec leur vision. Il ne peut préciser le nombre de fois où son rapport a été modifié. Il estime avoir eu deux rencontres à l’ENPQ pour en discuter.
- Il est toujours policier dans les fonctions décrites préalablement, il fait ce type d’expertises en dehors de ses heures de travail.
- Les RBBG sont apparues au sein du service de police de Ville de Québec en 2006.
- Il décrit la manière d’utiliser la RBBG et l’effet produit. Lors de l’utilisation, on entend deux déflagrations. La première a lieu à la séparation de la « fuze » du corps de la grenade, suffisante pour permettre de détacher et propulser les deux parties pour qu’elles s’éloignent l’une de l’autre. Cela se produit à 1.5 sec du relâchement de la grenade. Ensuite, « plus ou moins quelques dixièmes de secondes en plus ou en moins, avec une certaine constance », la mèche dans le corps de la grenade s’allume et .5 sec plus tard, il y a une autre déflagration, beaucoup plus forte que la première.
- Suite à la première déflagration, la fumée produite par la combustion de la première explosion ne dégage pas de CS. Lors de la deuxième explosion, il y a transformation et libération du CS. Une onde de choc est créée par le déplacement de l’air. Un son très important se produit, de même qu’une forte lumière.
- Concernant l’unité de mesure produite par l’explosion, le témoin sait qu’il s’agit du « joule », mais convient qu’il faudrait consulter un ingénieur pour en savoir davantage à ce sujet. Il connait cependant la force de l’onde de choc et le déplacement de l’air, qu’il situe à 2.9 psi. Selon lui, à la force que provoque la RBBG, il y a un faible risque de perforer un tympan, mais plus la pression d’air est importante, plus les dommages ou blessures risquent d’être importants.
- Pendant la rédaction de son rapport, il a contacté une compagnie qui se spécialise dans les expertises de munitions « moins létales ». Selon lui, cette compagnie possède une expertise en matière d’armes à impulsion électrique et en matière d’armes d’impact (comme la RBBG). Il dit avoir reçu une correspondance de cette compagnie (VM-10).
- L’effet provoqué par la RBBG implique que les manifestants vont se diriger à l’opposé de la provenance de la grenade.
- L’effet psychologique du CS est de créer une crainte de l’inconnu. Les gens ont plus de difficulté à respirer et cela crée de l’anxiété. Le bruit et l’onde de choc ajoutent à la réaction.
- Le fabricant de la compagnie Safari ne prévoit aucune directive concernant la hauteur à laquelle le lancer doit être exécuté.
- La grenade peut être lancée dans la direction générale de la foule, soit pour une dispersion aérienne, une dispersion au sol ou au sein du groupe.
- Si la RBBG n’est pas lancée au sol, l’expert Roy mentionne que la hauteur aurait dû être fixée par le SPVM. Il ne connait aucune distance minimale et la fiche technique ne comporte rien à ce sujet.
- Il confirme les trois manières d’effectuer le lancer, tel que décrit par les témoins lors de l’audition.
- Lors du lancer, particulièrement lors de la séparation de la grenade, il peut y avoir déplacement de celle-ci, puisque les deux éléments qui la composent sont de poids différents. Il peut donc arriver que la partie principale de la grenade se déplace différemment de ce qui est anticipé, et ce, de plusieurs pieds, soit plus haut, de côté ou plus bas. Ce phénomène est hors de contrôle du PIC. Certaines grenades vont même se déplacer de façon inattendue de quelques dizaines de pieds.
- Il a constaté ce phénomène sur la vidéo (P-11.10). Il affirme voir la grenade qui descend vers le sol par suite du phénomène qu’il vient d’expliquer.
- Il situe la hauteur de l’explosion en bas de la tête des manifestants présents. Selon son évaluation, il s’agirait du deuxième lancer de Brown, qui était présenté comme la quatrième détonation (chaque grenade provoque deux détonations). Il ajoute que normalement, la trajectoire d’une grenade provoque une courbe alors que sur la vidéo, on semble voir une ligne droite descendante lors de la séparation et l’amorce de la deuxième décharge.
- Selon lui, le lancer semble avoir été fait sur plusieurs pieds, relativement haut, à 15-20 pieds. Il répète que le fabricant ne spécifie pas qu’il est important de lancer à une hauteur déterminée, mais plus la grenade sera au-dessus des gens, plus on a de chance d’éviter que des personnes ne soient exposées à ses effets.
- À la page 18 de son rapport, il réfère à la compagnie CRT Less-Lethal et au courriel qu’il a reçu et écrit :
« J’ai contacté la compagnie de Seattle nommé CRT Less- Lethal par courriel, car j’avais vu un article sur le site internet dédié au milieu policier, Police One (policeone.com), qui indiquait que CRT Less-Lethal avait testé les RBBG pour en évaluer leur sécurité. Cette compagnie effectue des tests indépendants sur des armes moins létales telles que les armes à impulsions électriques, les armes d’impact à projectiles et les munitions chimiques. L’un des propriétaires, Rick Wyant m’a répondu qu’il n’avait pas encore publié les résultats de leur étude sur les RBBG, mais qu’il avait déployé ces munitions des douzaines de fois au pied de personne lors de démonstration ou de cas réel. Ils ont aussi utilisé de la gélatine balistique pour tester leur sécurité relative. Il termine en indiquant qu’il s’agit principalement d’un outil psychologique. Le courriel contient aussi un lien pour consulter une vidéo sur la marge de sécurité de ces engins. http://www.youtube.com/watchv=9jBOp ow w »
- Dans son témoignage, il réfère également à une enquête de cette compagnie. Il s’agit de l’extrait d’un livre dont certaines pages sont cachées. Le tribunal a pris cette preuve sous réserve. On devait remettre l’entièreté du livre au tribunal après la pause du midi. Toutefois, le tribunal n’en a finalement pas obtenu copie et aucune partie n’y a référé lors des plaidoiries.
- L’expert fait référence à des tests réalisés avec de la gélatine balistique pour mesurer la pénétration d’un projectile dans la peau. La même gélatine aurait été utilisée pour mesurer la profondeur d’un projectile d’arme à feu. Il aurait placé une RBBG dans le centre de quelques blocs de gélatine et utilisé une RBBG, la « fuze » aurait été projetée sur un bloc de gélatine. Il n’y aurait pas eu de pénétration et il n’y aurait eu qu’une altération thermique.
- L’expert réfère à une autre étude sur la RBBG, (VM-10). Ce document indique :
« De : DeRoy, Annie
A : Chantale.Masse
2014-06-16 14 :25
Bonjour Me Massé,
Voici la copie courriel de l'échange de M. Roy avec la compagnie CRT-Less-Lethal. Je fais une petite recherche pour les autres documents demandés et vous les acheminerai rapidement.
En espérant le tout conforme à vos attentes,
Au plaisir,
De : Pascal-a.Roy
À : DeRoy, annie
2014-06-13
Objet : TR : Blast ball test
Pour répondre à Me Massé
De : crtllrick@qmail.com [mailto:crtllrick@qmail.com1 De la part de Rick@crt Envoyé : 17 juin 2013 18:08
À : Roy, Pascal-a (POL-ST)
Objet : Re: Blast ball test
Hello Lt.
Thank you for your inquiry. Yes, we have deployed them dozens at people's feet for demonstrations and real events. We have also used ballistic gelatin to test their relative safety. We have never had the opportunity to publish the results, but we do have some videos we can share. They are mainly a psychological tool.
Here is one video that demonstrates their safety margin. http://www.youtube.com/watch?v=9jBOp_ow_w
I will see what other data we can dig up for you.
Good luck with your case.
Rick
On Sun, Jun 16, 2013 at 11:02 PM, <Pascal-a.Roy@ville.quebec.qc.ca> wrote:
Hi, my name is Pascal Roy, I’m a police officer from Quebec in Canada. I have been appointed as an expert witness in a law suit against another police department where a Defence technology rubber bail blast grenade has been use.
I read in your web site and on “police one“ that you have tested tins kind of device for its safety.
I was wondering if it would be possible to obtain the result of these tests to help in the preparation of my testimonial.
Thank you in advance.
Pascal Roy
Lieutenant - chargé de relève
Surveillance du territoire, arrondissement 1 »
- En ce qui concerne les avis de dénonciation du risque danger qui se retrouvent sur les fiches techniques de la RBBG, l’expert Roy affirme que de tels avis se retrouvent sur l’ensemble des munitions vendues par cette compagnie.
- Aux pages 17 et suivantes de l’interrogatoire du demandeur, il est question de lumière à travers une fumée blanche. Il dit avoir subi une désorientation, avoir entendu un bruit fort, etc. Selon l’expert Roy, le tout serait compatible avec le lancement d’une RBBG. Il s’agit selon lui des conséquences normales de l’exposition à ce type de grenade pour les personnes se trouvant dans un rayon d’environ 30 pieds. Plus on s’éloigne, plus les effets diminuent.
- Dans son rapport, il prévoit le titre suivant « Règles de l’art en usage d’agents chimiques en situation de contrôle de foule ». Il précise qu’il n’y a pas de cours ni de formation qui se donnent à l’ENPQ en rapport avec le contrôle des foules. Selon le témoin, les corps de police doivent s’adresser au fabricant pour la formation et pour obtenir les informations utiles aux policiers quant à l’usage de ces produits.
- Il témoigne que l’ENPQ lui a demandé d’énoncer les règles de l’art liées à l’utilisation d’agents chimiques. Pour ce faire, il a consulté les directives des différents corps de police et a examiné les considérations tactiques énoncées par le fabricant, qui, rappelle-t-il, ne donne pas d’indication sur l’utilisation des munitions. Il dit avoir exclu la Sureté du Québec, qui ne disposait que de compilations de résultats.
- Hormis les règles de l’art énoncées dans son rapport, il admet qu’elles n’existent concernant l’utilisation de ces agents chimiques.
- Il aborde par la suite le nombre de manifestants présents le 7 mars 2012. Pour lui, le rapport de force est important à établir. Les policiers font face à une foule expressive, certaines personnes sont agressives et des projectiles sont lancés.
- Il confirme pour l’essentiel que les policiers ont bien agi. Il conclut que l’intervention était conforme aux enseignements de l’ENPQ en matière de contrôle de la foule.
- L’expert Roy précise également qu’il faut limiter l’utilisation d’armes telles que les RBBG aux seules situations qui l’exigent. La stratégie était d’abaisser la clôture et de vider le devant du 500 pour finalement disperser la foule. Selon lui, l’utilisation des RBBG était un bon choix.
- Roy opine qu’il y avait risque de blessures avec les projectiles lancés par les manifestants.
- Il ne croit pas qu’un autre avis de dispersion ait été nécessaire. Le but était de prendre par surprise.
- Il opine que la RBBG était une des meilleures options.
ANALYSE
a) La faute
- La responsabilité civile des policiers s'analyse en fonction de la norme du policier raisonnable placé dans les mêmes circonstances, tel qu'en fait foi la décision soumise par la défenderesse Ville de Laval dans Hill c. Commission des services policiers de la municipalité régionale de Hamilton-Wentworth[1]. Tel qu'indiqué à la page 49 de cette décision, la majorité des décisions de justice visant l'examen de la conduite des professionnels appliquent la norme du professionnel raisonnablement compétent placé dans la même situation. Jauvin c. Procureur général du Québec et Lacombe c. André[2].
- Comme le souligne la Cour suprême dans Hill, au paragraphe 73 :
« [73] Je conclus que la norme de diligence applicable est la norme générale du policier raisonnable placé dans la même situation. Cette norme devrait s’appliquer de manière à bien reconnaître le pouvoir discrétionnaire inhérent à l’enquête policière. Comme les autres professionnels, le policier peut exercer son pouvoir discrétionnaire comme il le juge opportun, à condition de respecter les limites de la raisonnabilité. Le policier qui exerce son pouvoir discrétionnaire d’une autre manière que celle jugée optimale par le tribunal de révision n’enfreint pas la norme de diligence. Plusieurs choix peuvent s’offrir au policier qui enquête sur un crime, et tous ces choix peuvent être raisonnables. Tant que l’exercice du pouvoir discrétionnaire est raisonnable, la norme de diligence est observée. La norme ne commande pas une démarche parfaite, ni même optimale, lorsqu’on considère celle-ci avec le recul. La norme est celle du policier raisonnable au regard de la situation — urgence, données insuffisantes, etc. — au moment de la décision. Le droit de la négligence n’exige pas des professionnels qu’ils soient parfaits ni qu’ils obtiennent les résultats escomptés (Klar, p. 359). En fait, il admet qu’à l’instar des autres professionnels, le policier peut, sans enfreindre la norme de diligence, commettre des erreurs sans gravité ou des erreurs de jugement aux conséquences fâcheuses. Le droit distingue l’erreur déraisonnable emportant l’inobservation de la norme de diligence de la simple « erreur de jugement » que n’importe quel professionnel raisonnable aurait pu commettre et qui, par conséquent, n’enfreint pas la norme de diligence. (Voir Lapointe c. Hôpital Le Gardeur, [1992] 1 R.C.S. 351; Folland c. Reardon (2005), 74 O.R. (3d) 688 (C.A.); Klar, p. 359.) »
- Dans notre système de droit, les policiers ne jouissent d'aucune immunité. La poursuite intentée s’appuie sur l’article 1457 C.c.Q. L’établissement d’une faute simple permet d’établir la responsabilité d’un policier ou d’un corps de police.
1. L’enjeu et le contexte de la manifestation sur les frais de scolarité
- Il convient de préciser qu’il s’agissait de la première ou de l’une des premières manifestations de la série « printemps érable ». Au cours de la journée du 7 mars 2012, il n’y a eu qu’une seule manifestation, soit celle sous étude.
- St-Cyr parle de projectiles et identifie des morceaux de glace et des roches. Le terme « projectile » utilisé par certains témoins semble exagéré. Les nombreuses vidéos déposées en preuve démontrent la réalité de la réaction de la foule.
- Certains utilisent de l’asphalte, des morceaux de glace et des balles de neige pour lancer en direction des forces de l’ordre.
- Les morceaux d’asphalte sont plus difficiles à identifier sur les vidéos, mais le tribunal prend pour acquis qu’il y en a eu. Cependant, la conclusion de certains témoins à l’effet que les forces de l’ordre ont été attaquées semble exagérée.
- Certains policiers ont rencontré de la résistance et de l’agressivité. St-Cyr parle de coups échangés entre les policiers et les manifestants.
- Un petit nombre de manifestants était masqué.
- Des slogans comme « On reste pacifique, on reste pacifique » sont scandés par la foule.
- La théorie de la Ville est de soutenir que les mesures entreprises et particulièrement l’utilisation des grenades de type RBBG étaient nécessaires considérant que la foule était agressive et que certains aspects de la manifestation étaient illégaux. Certains manifestants ont fermé une partie de la rue Sherbrooke à l’aide d’une clôture.
- Une partie de la foule était hostile et certains manifestants étaient agressifs. On ne peut cependant conclure que l’ensemble de la foule et des manifestants était combatif.
- Lorsque Besner s’informe auprès du responsable du poste de quartier s’il confirme ou non la présence de personnes identifiées au milieu anarchiste, il reçoit une réponse négative.
- Dans son témoignage, Bolduc suggère que certains manifestants portaient des visières de protection pour contrer les effets des gaz. S’il y en avait, ils étaient peu visibles et peu nombreux sur les vidéos visionnées par le tribunal.
- L’analyse qui suit permettra de mieux comprendre le contexte qui a mené à la décision d’utiliser des RBBG.
2. Les fautes antérieures à l’événement du 7 mars 2012
- Le tribunal étudie ici les fautes commises par le SPVM avant l’évènement comme tel. Cet aspect du jugement porte sur tout ce qui a été fait avant le 7 mars 2012 par le SPVM et qui a entrainé la décision d’utiliser les RBBG.
- Ces fautes sont principalement liées à l’évaluation du risque relié à cette utilisation.
3. La négation des risques liés à l’utilisation des RBBG
- Il s’agit ici de l’élément le plus important que le tribunal entend analyser dans ce dossier. De manière générale, tous les policiers et témoins entendus ont nié ou tenus à diminuer le risque associé à l’utilisation des RBBG. Ils ont tous témoigné dans le sens de minimiser l’avis contenu à la fiche technique du fabricant, lequel dénonce un risque lié à l’utilisation de ce type de grenades. Il est question de blessures importantes, voire même la mort.
- Lors de l’audition, on a attiré l’attention du témoin Paquet sur les deux aspects de la fiche technique auxquels il a été fait référence dans le présent jugement. Sans vouloir dire qu’on a omis d’attirer l’attention sur un autre aspect de la fiche, il faut noter qu’il existe un avertissement que le tribunal considère de grande importance :
« WARNING : This product is to be used only by authorized and trained Law Enforcement, Corrections, or Military Personel. This product may cause serious injury or death to you or others. This product may cause serious damage to property. Handle, store and use with extreme care and caution. Une only as instructed. »
- Dans le texte de l’avis technique, une seule partie est écrite en gras et en lettres majuscules. Il y est indiqué :
« IMPROPER USE OF THE RUBBER BALL BLAST GRENADE CAS RESULT IN DEATH OR SERIOUS BODILY INJURY. »
- Cet avertissement est d’une importance capitale dans l’utilisation ce type de grenade, le 7 mars 2012 et de la manière dont ce choix a été fait. Il est question d’un risque de blessures importantes et même de mort.
- Dans la fiche technique, on ne se contente pas d’un avertissement sous le titre « Warning », on prend également la peine de réitérer les conséquences possibles de l’utilisation de cette grenade, en caractères gras et en majuscules. Celui qui lit la fiche doit comprendre le message lié à ces caractères mis en évidence.
- Pour DeRoy, ce qui est indiqué sur la fiche technique apparaît également sur la majorité des objets utilisés dans ce type de situation. Il minimise ainsi cette divulgation du risque et laisse clairement sous-entendre que l’avis s’avère exagéré et non représentatif du véritable risque.
- De son côté, Bolduc ne connait pas la fiche technique et l’avis de risque qui y est contenu. Il témoigne tout de même que toute arme peut causer des blessures ou la mort. À une occasion, une RBBG a explosé à côté de lui et c’est comme s’il avait reçu un coup de pied. Il va jusqu’à affirmer que selon lui, si une RBBG explose dans la main d’un policier, cela n’aura pas pour effet de provoquer des dommages majeurs. Il pourrait y avoir un engourdissement, sans plus. Le tribunal accorde peu de crédibilité à cet aspect du témoignage du policier Bolduc qui, comme certains témoins du SPVM, tente de défendre leur point de vue.
- Son témoignage vient en contradiction avec l’avis énoncé par le fabricant.
- Manifestement, Bolduc, qui a lancé la grenade qui a, selon toute probabilité, blessé le demandeur, a volontairement voulu minimiser les risques de blessures et par ricochet s’exonérer, de même que son employeur.
- Au surplus, ses réponses démontrent qu’à titre de PIC, il n’a pas été informé du contenu de la fiche technique du fabricant. Cette information ne lui a tout simplement pas été transmise.
- Pour Bourdages, c’est la même chose. Il a vu les photos de personnes ayant subi des blessures liées à l’explosion d’autres types de grenades, mais indique malgré tout ne pas savoir si l’explosion d’une RBBG peut causer des blessures.
- Interrogé sur les avis de risques liés à l’utilisation des RBBG énoncés sur la fiche technique du fabricant (VM-30), il affirme que les compagnies vont toujours en mettre plus que le véritable risque dans le but d’éviter d’éventuelles poursuites.
- Besner admet ne pas connaître les spécifications des RBBG. Il est tout de même l’un des membres importants de l’opération du 7 mars 2012.
- Si l’on suit cette logique de négation du risque, il faudrait alors comprendre que le fabricant ne connait pas son produit et que les utilisateurs en connaissent davantage sur le danger inhérent à son utilisation.
- L’ensemble de la preuve permet au tribunal de noter chez les témoins en défense, une forte tendance à diminuer ou même nier le risque dénoncé par le fabricant lui-même.
- Le tribunal retient de la preuve qu’il existe un réel danger à utiliser ces RBBG et que celui-ci est bien décrit dans la fiche technique du fabricant. Le fait pour les utilisateurs membres du SPVM de nier ce danger ou ce risque constitue un élément du comportement fautif du SPVM, laquelle a utilisé les RBBG sans égard au danger réel d’utiliser ces grenades.
- L’accident subi par le demandeur le 7 mars 2012 en est une démonstration.
- Le tribunal propose que la volonté de minimiser les risques liés à l’utilisation des RBBG soit attribuée à l’intérêt que les policiers ont dans le dossier de voir la poursuite échouer.
- À titre d’exemple, le tribunal réfère à l’analyse faite du mémo de Philippe Pichet responsable de l’opération du 7 mars 2012. Dans ce mémo Pichet compare le risque d’utiliser une grenade de type RBBG à un avertissement donné sur une boîte de céréales.
- La transcription du mémo de Pichet reproduite au paragraphe 325 du présent jugement est utile pour la compréhension de cet aspect important de l’évaluation de la responsabilité de la défenderesse.
- Le CCTI qui autorise l’utilisation des RBBG est dirigé par Pichet, qui a une opinion bien particulière du danger que représente cette grenade. Rappelons que ce mémo a été rédigé plusieurs mois après l’évènement du 7 mars 2012. À ce moment, on a eu tout le temps nécessaire pour faire enquête et se prononcer en connaissance de cause.
- Or, on constate que le directeur du CCTI, celui qui prend la décision d’utiliser les RBBG, considère que les spécifications du fabricant doivent être comparées aux avis apparaissant sur une boîte de céréales. Cette comparaison est pour le moins mal choisie.
- Un jeune manifestant a perdu l’usage d’un œil à cause de l’utilisation d’une RBBG. La moindre des choses aurait été d’aborder ce sujet avec plus de sérieux.
- Cela appuie d’autant plus l’opinion du demandeur à l’effet que la cause directe de ses blessures est justement liée à la négation des risques associés à l’utilisation des RBBG.
- Examinant le point de vue de l’expert Roy sur le sujet, il témoigne qu’une RBBG a déjà explosé à environ 10 pieds de lui. Il explique avoir ressenti une forte douleur au niveau du poignet et avoir eu une ecchymose. Il ajoute que la partie de caoutchouc l’aurait atteint, sans toutefois pénétrer dans sa peau. À la page 18 de son rapport, il réfère à la compagnie CRT Less-Lethal et au courriel reproduit au paragraphe 373 du présent jugement.
- Ce courriel n’est d’aucune utilité et son utilisation dans le rapport et au procès n’appuie pas la crédibilité de l’expert. Voici pourquoi.
- Pour donner crédit à ce courriel, il faudrait que le tribunal accepte en preuve des informations qui apparaissent sur un site internet et dont on ne sait même pas qui en est l’auteur. Il faudrait alors accepter que tout ce qui est écrit sur internet fasse foi de son contenu, sans besoin d’en faire témoigner l’auteur.
- La jurisprudence a constamment considéré qu’un expert peut référer, lors de son enquête, à des témoignages de faits. Lors du procès, il faut cependant que l’on puisse établir la valeur probante de ce qui a été dit par ces personnes.
- Autrement dit, ces déclarations que l’expert peut intégrer dans son rapport ne sont pas illégales au moment du dépôt du rapport, mais elles doivent toutefois être mises en preuve lors du procès.
- Ce principe est d’autant plus important lorsque l’expert veut introduire une opinion en preuve. En l’espèce, ce que CRT Less-Lethal donne comme information est une opinion, un sujet d’expertise qui doit être mis en preuve soit de consentement, ou par le témoignage d’un expert dont les compétences sont préalablement reconnues comme suffisantes pour lui permette de donner une telle opinion.
- De plus, on doit préalablement établir sa qualité d’expert et aussi vérifier son indépendance face au sujet discuté dans son rapport.
- Ici, le nom de la compagnie laisse perplexe à ce sujet. En libre traduction, Less Lethal peut vouloir dire, « moins mortel ». Des questions sur les activités de la compagnie auraient pu être posées à ce témoin, par exemple, si elle opère dans le domaine de la fabrication du type d’armes utilisé lors de manifestations.
- En tout état de cause, le choix par l’expert de référer à ce courriel dans le contexte expliqué précédemment contribue à réduire considérablement la valeur de son opinion qui se fie à une telle source.
- La référence par l’expert à ce courriel dans ce même contexte contribue aussi à créer une impression de vouloir diminuer le risque réel associé à l’utilisation d’une RBBG.
- Au surplus, au procès l’expert réfère à une enquête de cette même compagnie. Il s’agit de l’extrait d’un livre. Lors du procès, le tribunal a pris cette preuve sous réserve, on devait remettre l’entièreté du livre au tribunal. Le tribunal n’a pas obtenu copie de ce livre et les parties n’y ont pas référé lors des plaidoiries.
- De l’avis du tribunal, tout ce qui est dit ou écrit par l’expert à ce sujet, peu importe que le livre ait été produit ou non, est une autre tentative d’introduire en preuve d’une manière illégale un aspect de son expertise.
- Le contenu du courriel de Wyant propriétaire de la compagnie CRT Less-Lethal a la même valeur probante que celle décrite ci-haut, à savoir aucune.
- Le tribunal se demande comment on peut espérer mettre en preuve des courriels ou autres documents contenant une opinion sans le témoignage de l’expert et sans respecter les règles de procédure liées à l’expertise.
- Dans son témoignage, l’expert Roy mentionne qu’il ne sait pas si cette personne est à la solde d’une quelconque entreprise, il croit savoir qu’il ne travaille pas pour un fabricant.
b) L’absence de connaissance de la charge explosive de la RBBG
- Comme en fait foi la fiche technique du fabricant, la RBBG contient une charge explosive. Mais quelle est-elle et à quoi correspond-elle ? Aucun témoin entendu à ce sujet n’a pu répondre à cette question. Seul le policier Paquet a pu suggérer que l’unité de mesure est le « joule », tout en admettant ne pas vraiment en connaître sur le sujet. Il n’a pas considéré utile de demander davantage d’information.
- Le tribunal considère que la totale absence d’information à ce sujet rend l’utilisation de cette grenade à risque pour les manifestants.
- D’un côté on nie que l’avis de risque de blessures soit représentatif du risque réel et qu’on soutient que cet avis est en quelque sorte exagéré, alors qu’on ne connait pas le contenu de la charge explosive de la RBBG, on agit de manière totalement imprudente à l’endroit de la sécurité des manifestants qui seront éventuellement visés par l’utilisation d’une RBBG.
- Le fait d’accepter de prendre un tel risque est un élément déterminant de l’établissement de la faute du SPVM.
c) Absence de tests préalables à l’utilisation des RBBG
- La preuve a fait état de tests effectués après l’évènement. On peut d’ailleurs se demander pourquoi ces tests qui ont mené à la décision de procéder aux lancers au niveau sol n’ont pas été faits avant le 7 mars 2012 et avant de prendre la décision de les utiliser ! Cela étant dit, sachant qu’aucun manuel d’instruction sur l’utilisation comme tel n’existe.
- Si ces tests avaient été réalisés avant de les utiliser, la façon de procéder aux lancers au sol aurait été prise avant le 7 mars 2012.
- De tout cela découle une preuve de négligence dans les mesures qui auraient dû être mises en place par le SPVM avant de décider d’utiliser de telles grenades.
4. Les fautes commises lors de l’événement du 7 mars 2012
a) L’utilisation des RBBG était-elle justifiée ?
- Au bénéfice de la discussion, si l’on accepte qu’un autre avis de dispersion ne devait pas être donné avant l’utilisation des RBBG et que la première salve était nécessaire pour faire tomber la clôture (un des objectifs de l’intervention), la décision d’en utiliser d’autres, dont celle qui a blessé le demandeur ne se justifie pas.
- Comme le rappelle le policier DeRoy, l’objectif de lancer des RBBG était de déstabiliser les manifestants pour quelques instants, le temps d’abaisser la clôture.
- Était-il vraiment nécessaire de se servir d’une grenade contenant une charge explosive pour obtenir ce résultat ? La preuve a démontré que c’est uniquement l’effet sonore provoqué par les RBBG qui était recherché, dans le but de disperser la foule.
- Si seul l’effet sonore était recherché, on peut raisonnablement se demander s’il n’aurait pas été possible de le reproduire, en évitant le risque associé à la présence d’une charge explosive.
b) L’ordre de lancer des RBBG
- Tel qu’il appert du témoignage de DeRoy, s’il ne commande pas de lancer de RBBG, il n’y a aucun lancer.
- Lui-même ne parle pas aux opérateurs, puisqu’il est en communication avec Besner. DeRoy est en communication avec le sergent de peloton Paquet, qui transmet les directives aux PIC.
- Le journal des opérations ne traite pas des commandes de DeRoy, de ce qu’il mentionne à Paquet et de ce que ce dernier signale aux PIC. Seul le résultat est noté, soit l’heure où les RBBG sont lancées, à savoir 13 h 48, au même moment où les policiers tentent d’abaisser la clôture.
- Le tribunal note qu’un grand nombre de policiers est impliqué dans la décision de lancer les RBBG. Cela rend difficile la transmission d’informations si, devant l’évolution de la situation, la manœuvre de lancer des RBBG ne devient plus nécessaire, comme de l’avis du tribunal, tel fut le cas ici.
c) La hauteur des lancers
- Roy témoigne que les PIC savent comment et à quelle hauteur le lancer doit se faire.
- La preuve a plutôt démontré l’existence de contradictions dans les différentes versions concernant la hauteur des RBBG.
- Le fabricant ne prévoit aucune directive ou recommandation à ce sujet. Comme le souligne l’expert Roy, il appartient au corps de police de prévoir de telles directives. Or, il n’en existe aucune au SPVM au moment des événements.
- Lorsque DeRoy soutient que les PIC savent comment et où exécuter leur lancer, on comprend qu’ils ont une totale discrétion pour agir et choisir l’endroit où exécuter leur tir.
- Le tribunal conclut que l’utilisation des grenades RBBG dans un tel contexte d’imprécision constitue une faute.
- Abordant plus précisément la hauteur du lancer, il n’existe aucune règle claire à ce sujet. Les réponses données par les différents témoins en sont la démonstration.
- Revoyons certains témoignages sur le sujet.
- De Roy témoigne que la pratique était de lancer dans les airs, à 10, 12 ou 15 pieds, le plus haut possible. En contre-interrogatoire, il indique que les premières RBBG ont été lancées en haut des manifestants et que la distance parcourue dans les airs était d’environ 25 pieds.
- Besner soutient que les PIC devaient lancer dans les airs à 8, 10 ou 12 pieds. L’objectif était que la grenade explose au-dessus des manifestants. Il précise qu’il n’est pas un spécialiste en la matière.
- Robineau propose qu’on lui a appris à lancer pour obtenir une hauteur de 20 pieds au-dessus du sol, l’objectif étant d’obtenir la déflagration à 10 pieds au-dessus de la foule.
- Quant à Bolduc, le PIC vise une hauteur permettant une déflagration à environ 10 pieds au-dessus de la foule. Pour ce faire, il tente de rechercher 20 pieds au-dessus de la foule étant donné qu’il y a une descente de la grenade d’environ 10 pieds lors de la déflagration. C’est le seul témoin qui parle d’une hauteur de 20 pieds au-dessus des têtes des manifestants pour que la déflagration survienne à 10 pieds au-dessus de ceux-ci.
- Quant à Paquet, il note qu’une grande discrétion est accordée à l’utilisateur quant à la méthode à utiliser et le moment où exécuter le lancer. Il précise que le PIC a le contrôle de l’angle du lancer. Il suggère un angle de 45 degrés. Le tribunal se demande comment il est possible d’exécuter un lancer avec une telle précision au niveau de l’angle de descente de la RBBG. Dans son témoignage, il a à peine abordé la question de la distance que peut ou doit parcourir la grenade pour s’assurer de la faire exploser au-dessus des têtes et non à la hauteur des manifestants.
- La marge d’erreur est énorme. Le lancer comprend plus d’un élément à considérer, à savoir la direction, l’angle de lancement, la distance que peut parcourir la grenade ainsi que le temps nécessaire à l’explosion.
- L’exercice est tout simplement périlleux et le risque de commettre une erreur et de faire exploser la grenade à la hauteur des manifestants est bien réel. À preuve, ce qui s’est produit dans le présent dossier.
- L’expert Roy est d’avis que si la RBBG n’était pas lancée au sol, la hauteur aurait dû être fixée plus clairement par le SPVM.
- Dans les circonstances, le tribunal considère qu’il y a eu erreur dans la manière dont le lancer a été réalisé, ce qui a provoqué l’explosion à la hauteur des manifestants. Cette erreur est précédée de d’autres ayant trait à l’absence d’indications claires sur la manière d’exécuter le lancer et la hauteur exacte requise. Le tribunal ajoute l’erreur de ne pas avoir décidé de les lancer à terre comme discuté précédemment.
- Cela coule de source que le PIC n’a jamais voulu lancer une grenade à hauteur d’homme. Le résultat a tout de même été une explosion à la hauteur de la tête des manifestants. Cela a été rendu possible par suite de la décision d’utiliser les RBBG dans une situation de grande imprécision et sans reconnaître le risque associé à leur utilisation par le fabricant.
5. Les autres éléments permettant d’établir la faute du SPVM
- Il s’agit ici d’examiner ce qui s’est produit le 7 mars 2012 et de se demander si l’utilisation des RBBG dans les circonstances de ce dossier a été fautive.
a) Le demandeur a été atteint alors qu’il se déplaçait vers l’est
- La preuve a établi que c’est après s’être déplacé une première fois que le demandeur a entendu deux détonations. Selon lui, ces détonations étaient à coup de deux presque en même temps.
- Suite à ces détonations, la réaction de la foule a été de reculer. Le demandeur a reculé de nouveau et a tenté de s’éloigner du lieu de la manifestation.
- Selon son témoignage, c’est à ce moment, soit en se déplaçant vers l’est sur Sherbrooke qu’il a été atteint à l’œil suite à l’explosion d’une RBBG près de lui. C’est en s’éloignant et en ayant la tête tournée qu’il reçoit la RBBG ou sa charge explosive.
- En contre-interrogatoire, le demandeur indique qu’il se lève et se rend en arrière de la clôture après avoir entendu l’avis de dispersion à l’extérieur de l’immeuble. Il précise qu’à ce moment-là, aucune RBBG n’a été lancée.
- Lorsqu’il précise qu’en se déplaçant, il est rendu à environ 20 mètres de la manifestation et qu’il cherchait à quitter les lieux.
- Le demandeur, tout comme une bonne partie des manifestants a réagi comme prévu par les policiers suite au lancement de la première salve de RBBG.
b) L’avis de dispersion et la notion d’acceptation des risques
- Le tribunal aborde ici l’avis de dispersion transmis à partir du camion-flûte qui visait les manifestants dans l’immeuble et qui a porté fruit.
- En l’espèce, l’avis de dispersion à l’extérieur a une importance telle qu’il y a lieu de s’y attarder plus amplement.
- Il fut mis en preuve au procès par le demandeur que les policiers ne lui ont pas laissé le temps de quitter les lieux ce qu’il faisait lorsqu’il a entendu une détonation.
- Le demandeur reproche aux policiers le fait que cet avertissement aurait dû être donné plus tôt, avec un plus grand délai afin de donner le temps aux manifestants de quitter les lieux, ce qui est une observation que le tribunal reconnait comme valable.
- Il faut aussi considérer le contenu de cet avis de dispersion.
- Jamais dans cet avis n’a-t-il été question de l’utilisation de grenades de type RBBG.
- Le principal problème qui se pose avec les agissements du SPVM est le manque d’informations transmises aux manifestants.
- Pourtant, les forces de l’ordre avaient à leur disposition le camion-flûte qui pouvait transmettre adéquatement les messages qu’ils désiraient à la foule présente.
- Le seul avis de dispersion à l’extérieur n’avisait pas les manifestants de ce qui s’en venait, soit l’intention des forces de l’ordre d’utiliser des grenades contenant des irritants chimiques et une charge explosive. Cela participe aussi à établir la faute du SPVM.
- La notion d’acceptation des risques est bien connue dans notre droit et a fait l’objet de nombreuses analyses en jurisprudence. Le tribunal prend en exemple la décision Racco c. Communauté urbaine de Montréal[3] où il est écrit :
« [47] La jurisprudence québécoise, comme la jurisprudence française et celle de common law, établit, eu égard au principe volenti non fit injuria, que la déclaration doit soit être accueillie ou le recours de la victime doit être refusé en lui attribuant une part contributive, soit totale ou partielle, dans la réalisation du dommage dont il a été victime. Ceci vient évidemment soit réduire la réclamation ou, alternativement, permettre au Tribunal de la refuser en totalité.
[48] Cependant, pour ce faire, il faut d'abord que la victime ait connu le danger ou le risque de l'activité à laquelle elle participait. Cette connaissance peut être expresse ou tacite, soit lorsqu'on peut présumer qu'un individu normal aurait eu conscience du danger avant le commencement de l'exercice de l'activité.
[49] Il faut ensuite que la victime ait accepté le risque en question, par exemple en participant à l'activité. Cette acceptation doit naturellement résulter d'un consentement libre et éclairé. La victime doit donc bénéficier d'une information suffisante pour lui permettre de réaliser les conséquences possibles de sa conduite ou de sa participation à l'activité en question. Il est nécessaire, enfin, que le dommage subi par elle ait été la conséquence de la réalisation du risque prévu et non pas de son aggravation ou d'un risque non prévu. »
- Le risque d’être blessé par l’utilisation d’une grenade de type RBBG n’était pas connu des manifestants présents. D’ailleurs, le SPVM n’a pas plaidé cette connaissance présumée. Il fallait donc qu’il transmette une information suffisante aux manifestants afin de leur permettre de réaliser les conséquences possibles de leur conduite ou de leur participation à l’activité.
- Cette notion doit être examinée afin de décider si le demandeur a pu commettre une faute en décidant de demeurer sur place, ou du moins, de ne pas quitter la manifestation rapidement en courant dès l’avis de dispersion lancé par le camion-flûte.
- Ici, il n’y avait aucune raison de ne pas prendre le temps nécessaire afin de donner un autre avis complet, comprenant l’intention d’utiliser une grenade contenant une charge explosive.
- Au procès, le policier DeRoy prétend qu’il y avait urgence d’agir et que selon lui, un autre avis de dispersion n’était pas nécessaire. Le tribunal n’est pas d’accord.
- Si on ne reconnait pas qu’il y a un danger à utiliser ce type de grenades, on opine comme le fait DeRoy qu’il n’y avait aucune obligation de donner un autre avis de dispersion et qu’on entend utiliser de telles grenades.
- Cette négation du risque lié à l’utilisation des RBBG est au cœur du comportement fautif du SPVM.
- Il est manifeste qu’un avis additionnel spécifiant l’intention du GI d’utiliser des grenades contenant une charge explosive avec lecture du « Warning » (de la dénonciation de risque) inscrite à deux endroits sur la fiche technique du fabricant aurait provoqué une réaction des manifestants. Cet autre avis était nécessaire.
- Si cela avait été fait, le SPVM aurait pu plaider que ceux qui demeurent sur place après un tel avis acceptent les risques qui leur auraient été énoncés et qu’ils le feront à leurs risques et périls.
- Il est ici question d’aviser les manifestants du danger réel et clairement décrit par le fabricant sur sa fiche technique.
- Au surplus, un avis clair de l’intention d’utiliser des grenades contenant une charge explosive est en soi un incitatif additionnel pour motiver les manifestants à quitter les lieux, ce qui est de toute manière l’objectif du corps de police.
- Certains témoins ont remis en question le fait que le premier avis de dispersion ait été audible et considèrent qu’il aurait été inutile d’en émettre un autre.
- Paquet suggère qu’un autre avis n’aurait pas été utile. Au moment des événements, il considère que le fait de donner d’autres avis n’est pas systématique et ajoute « maintenant on donne un plus grand nombre d’avis ». Cette affirmation est tout aussi déterminante que la décision prise après le 7 mars 2012 de lancer les RBBG au sol.
- Paquet affirme qu’il ne sait pas si l’avis de dispersion donné par le camion-flûte était audible.
- Cet aspect du dossier est important. Plusieurs témoins ont clairement indiqué que l’avis était audible. D’ailleurs s’il ne l’avait pas été, il n’aurait pas été normal que le SPVM soit incapable de s’adresser à une foule avec un mécanisme de transmission de la voix suffisamment audible pour être entendu par celle-ci.
- La majorité des témoins à l’audition l’ont entendu, il est difficile de comprendre pourquoi Paquet ne l’a pas entendu.
- D’ailleurs, le témoignage de Besner est très clair à l’effet que l’avis de dispersion du camion-flûte était parfaitement audible. Il mentionne qu’il est « impossible de dire qu’on ne l’entend pas ». Le tribunal ne voit rien qui puisse mettre en doute le témoignage de Besner à ce sujet.
- Personne n’a soutenu que, lors de cette journée, d’autres manifestations étaient en cours et que le camion-flûte ait été réquisitionné pour une autre demande. Le tribunal ignore s’il a quitté les lieux, mais si tel est le cas, alors qu’on est en pleine manifestation et que des grenades avec charge explosive sont utilisées, la décision de quitter les lieux ne se justifie pas.
- Dans une situation conflictuelle comme une manifestation, il est essentiel que les forces de l’ordre puissent s’adresser à la foule, pour faire part du caractère illégal de la manifestation et pour aviser des moyens qu’ils entendent utiliser, si ces moyens représentent un danger pour les manifestants.
- Dans le cas qui nous occupe, l’omission d’aviser les manifestants des risques liés à l’utilisation des RBBG constitue une faute.
- En plus de ce qui précède et qui permet au tribunal de conclure qu’un autre avis aurait dû être donné, la preuve a permis d’apprendre que les règles applicables auprès du SPVM commandaient qu’un autre avis soit donné.
- Pour tous ces motifs, le fait de ne pas avoir lancé un avis indiquant l’intention du SPVM de se servir des RBBG constitue une faute causale des dommages subis par le demandeur.
c) La foule a réagi comme prévu par les policiers et s’est dispersée suite aux premiers lancers de RBBG
- Le tribunal retient de la preuve que la foule a réagi comme prévu par les policiers lors du lancement de la première salve de RBBG. Les autres grenades, dont celle qui a blessé le demandeur étaient nullement nécessaires. Cela constitue un élément important de l’établissement de la responsabilité du SPVM et voici pourquoi.
- Desabrais précise qu’après avoir entendu la première détonation, elle a pu constater un effet direct sur les manifestants qui se sont éloignés avec un certain empressement, de manière telle qu’elle a perdu de vue les gens avec qui elle était. Même chose pour Paiement, qui témoigne que suite à l’avis de dispersion, elle s’est immédiatement déplacée avec les gens qui l’entouraient vers l’est sur Sherbrooke.
- La preuve vidéo appuie le témoignage du demandeur, de Paiement et de Desabrais.
- Le tribunal ne voit pas comment on peut affirmer que la foule n’a eu aucune réaction suite à l’avis de dispersion.
- Le SPVM soutient qu’un autre avis n’était pas nécessaire puisque le premier a été inefficace. C’est une position de défense visant à soutenir la non-responsabilité du SPVM. La preuve ne supporte cependant pas ce point de vue.
- En effet, la preuve démontre plutôt que le premier avis a été efficace. De plus, faut-il le rappeler, le deuxième avis aurait décrit ce qu’on entendait faire quant à l’utilisation des RBBG, ce que le premier avis n’avait pas fait et qui ne visait qu’à demander aux manifestants de quitter les lieux, en qualifiant la manifestation d’illégale.
- Si, suite à la première détonation, les manifestants ont réagi et commencé à courir, on peut légitimement se demander pourquoi la décision a été prise de lancer d’autres RBBG.
- L’effet escompté par les forces de l’ordre était alors atteint.
- Le SPVM aurait dû adapter sa conduite en fonction de l’évolution de la situation. Si le but visé en lançant la première grenade était de disperser la foule et que cet effet s’était réalisé, pourquoi aussi rapidement poursuivre en utilisant à nouveau des RBBG qui comportent un risque de blessures.
- Il y a lieu de traiter brièvement de la communication entre les différents policiers impliqués dans l’opération. Lors de son témoignage, DeRoy note qu’étonnamment, les commandants de pelotons ne se parlent pas entre eux dans le cadre d’une opération dirigée par des personnes qui ne sont pas sur place et qui se font résumer la situation par des gens sur place.
- Cela ne favorise pas l’adaptation du comportement des policiers en fonction de l’évolution de la situation.
- Les PIC, autant que les commandants de pelotons pouvaient constater que les premières grenades avaient eu effet.
- Le fait est qu’il n’y avait aucune raison de poursuivre la manœuvre par l’envoi de RBBG supplémentaires.
- Aussi, il faut référer au témoin Robineau qui fait partie du (peloton Oscar). Ce dernier indique que l’objectif de son peloton était atteint, soit de dégager la porte d’entrée du 500. Les manifestants se sont éloignés, ce qui a permis de créer une brèche pour libérer l’entrée.
- Le lancement de la première salve de RBBG a permis d’atteindre cet objectif de libérer l’entrée du 500 ainsi que la présence des forces policières autour de l’immeuble.
- DeRoy est questionné sur le recul des manifestants, à savoir s’ils ont dépassé l’escalier du 500. De son point de vue, les manifestants n’étaient pas rendus assez loin.
- Pourtant, l’objectif de l’intervention était que les manifestants se déplacent vers l’est et que l’édifice du 500 soit libéré. C’est précisément ce qui avait été obtenu avant le lancement de la deuxième salve de RBBG.
- Sur le vidéo (P-11.03), aux minutes 6.20 et 6.27, on voit des policiers qui entrent dans le 500. DeRoy suggère qu’ils sont sur le perron. Il témoigne qu’ils ont accès à l’édifice. Comme noté dans le résumé des faits, il ajoute que ce n’était pas son travail de faire ces observations.
- Ce court passage du témoignage de DeRoy permet de porter attention sur le fait que ce dernier résiste à admettre l’évidence. Tel qu’indiqué, on voit clairement sur la vidéo (P-11.03) que les policiers sont présents sur le parvis de l’immeuble. Il est manifeste que l’entrée est dégagée.
- Le fait que DeRoy affirme que ce n’était pas son travail de faire ce constat surprend. Pour décider de la suite de l’opération et évaluer si les objectifs fixés par le SPVM sont atteints ou non, il faut constater ce qui se passe sur place.
- Environ 10 minutes plus tard, voulant déplacer les manifestants encore plus vers l’est, une troisième salve de RBBG est utilisée. Dans le journal des opérations, on note qu’il est environ 13 h 59.
- Le court laps de temps entre la première et la deuxième salve de RBBG doit aussi être pris en compte.
- Le demandeur témoigne qu’entre les deux premières détonations et celle qui l’a blessé, il s’est écoulé quelques secondes, une minute au maximum.
- DeRoy évalue le délai entre les deux salves entre une minute à une minute et demie.
- Lors de son témoignage, il ne peut garantir que les policiers ont atteint leur objectif et ont dégagé le parvis du 500. Pourtant, la preuve a bel et bien démontré que cet objectif a été réalisé. DeRoy justifie son action en témoignant qu’il fallait repousser les manifestants le plus loin possible.
- De l’avis du tribunal, ce peloton a agi de manière précipitée.
- À ce moment, en fonction du déplacement de la manifestation vers l’est, il n’y avait pas urgence d’agir.
- Bourdages obtient le rapport des PIC. Il lit dans celui-ci qu’une RBBG a explosé au niveau de la foule (VM-31). Il défend l’utilisation des RBBG par le fait qu’il y avait beaucoup de manifestants et qu’il y avait une limite au temps que les membres du GI et les policiers pouvaient contenir la foule. Il précise que l’armure et les vêtements que portent les policiers pèsent environ 100 livres. Pour lui, l’utilisation des RBBG devient un multiplicateur de force et aide les policiers à faire leur travail.
- La lourdeur de l’équipement et la limite de temps pour faire l’opération permettent de comprendre la difficulté à faire le travail de policier et de membre du GI. Cela ne constitue pas un motif suffisant pour justifier la décision de lancer une autre salve de RBBG sans autre avis.
- Le tribunal peut comprendre les explications de Bourdages et le fait que les policiers disposaient d’un temps limité pour intervenir, mais cela ne devait pas se faire au détriment de la sécurité des manifestants.
- Bien sûr, si on refuse de reconnaître les risques liés à l’utilisation des RBBG, on agit sans égard à ces risques. Cela est au cœur de l’analyse que fait le tribunal de ce dossier.
d) Le droit de manifester et le critère du caractère raisonnable et proportionnel de l’intervention
- Le droit de manifester est reconnu tant par la Charte québécoise des droits et libertés de la personne que par la Charte canadienne des droits et libertés.
- Ce droit n’est pas anéanti par le fait que des actes illégaux se produisent lors d’une manifestation.
- Comme le précise le juge Guy Cournoyer, dans la décision Garbeau c. Montréal (Ville de)[4], afin de respecter l’exercice de ce droit constitutionnel, la teneur de l’intervention des policiers doit s’avérer raisonnable et proportionnelle à l’atteinte de leurs objectifs. Voici un extrait pertinent de cette décision sur la question :
« [58] Selon les points de vue, c'est le comportement des manifestants qui est mis en cause ou celui des autorités policières. On oppose souvent les infractions règlementaires ou criminelles commises par certains manifestants à l'occasion d'une manifestation à l'utilisation d'une force disproportionnée par les corps policiers. On conteste aussi l'application et la constitutionnalité de dispositions législatives ou règlementaires qui encadrent le droit de manifester.
[59] Il faut d'abord dire que le « droit constitutionnel de manifester doit s'exercer tout en respectant le Code criminel. Ce droit ne peut s'exercer en troublant la paix, en commettant des voies de fait, de l'intimidation, en proférant des menaces de mort, par le moyen d'un attroupement illégal ou la participation à une émeute »[5].
[60] L’exercice de la liberté d’expression et de la liberté de réunion pacifique doit se faire dans le respect de la primauté du droit[6]. Si une règle de droit porte atteinte à l’exercice de ces libertés, un examen constitutionnel de la justification de cette règle doit être mené selon les dispositions justificatives.
[61] Une manifestation peut être pacifique, même si un petit nombre de manifestants observent un comportement qui donne lieu à la commission d'infractions réglementaires ou criminelles. Dans certaines circonstances, une manifestation peut elle-même parfois devenir un attroupement illégal si les exigences de l'article 63 du Code criminel sont satisfaites[7].
[62] Par ailleurs, la seule présence d'une personne sur les lieux d'une manifestation durant laquelle des gestes illégaux sont posés ne permet pas de conclure nécessairement que cette personne, en restant sur les lieux, encourage les auteurs de délits ou aide à dissimuler les auteurs de ces méfaits[8].
[63] Une démocratie constitutionnelle fondée sur la primauté du droit exige que la détermination de la culpabilité ou la responsabilité de chacun soit établie de manière individuelle selon les exigences du processus judiciaire ou quasi judiciaire applicable aux circonstances en cause.
[64] Cela vise tant la conduite des manifestants que celle des policiers qui interviennent. Le respect de la loi s'applique à tous[9]. La primauté du droit n'est pas un principe à géométrie variable.
[65] Ainsi, le droit constitutionnel de manifester requiert l'évaluation de l'ensemble des circonstances qui se présentent aux policiers, ce qui exige la nuance et la pondération.
[66] Le défi qui se pose aux autorités policières lorsqu'elles interviennent lors d'une manifestation publique de masse ne doit pas faire perdre de vue que leur propre conduite peut aussi faire l'objet d'une reddition de compte dans des contextes variés et multiples: une poursuite civile ou un recours collectif, des accusations criminelles, la discipline interne du corps policier, la déontologie policière, une enquête indépendante ou une commission d'enquête publique.
[67] Il est toutefois essentiel de comprendre que les infractions commises par certains ou plusieurs manifestants peuvent justifier l'intervention des autorités policières qui doivent elles-mêmes respecter les limites légales et constitutionnelles qui encadrent leur pouvoir d'intervention.
[68] L'utilisation de la force par les autorités policières peut être justifiée si elle est raisonnable et proportionnelle à la justification de l'intervention.
[69] La faute des uns peut ainsi coexister au plan juridique avec la reconnaissance de la faute des autres. »
- En l’espèce, entrer illégalement dans l’immeuble, en bloquer l’accès, ériger une clôture et lancer des objets sur la voie publique peuvent représenter des actes illégaux. En l’espèce, l’intervention des policiers, si justifiée soit-elle, devait néanmoins demeurer raisonnable et proportionnelle à l’atteinte des objectifs recherchés.
- Ainsi, une fois que les forces policières avaient atteint leur objectif de libérer l’accès de l’immeuble et de disperser les manifestants, les mesures d’intervention devaient être adaptées en conséquence. Tel que mentionné précédemment, la preuve a révélé que cet objectif était atteint après le lancement de la première salve de RBBG.
- Conséquemment, considérant le risque bien connu relativement à l’utilisation des RBBG, le tribunal considère que l’utilisation de ces grenades après le lancement de la première salve n’était pas justifiée, le critère du caractère raisonnable et proportionnel de l’intervention n’étant pas satisfait.
6. Les éléments de risque liés à l’utilisation d’une RBBG
a) Le risque lié au court laps de temps entre le lancement de la RBBG et l’explosion
- Le récit des évènements fait ressortir que la marge d’erreur lors du lancement de la RBBG est presque minime de la part du PIC. Il y a un délai de 1 à 3 sec entre le lancement et l’explosion.
- Une fois qu’on lance la grenade, il y a déclenchement de la « fuze » entre 1 à 3 sec à partir du moment où elle est retirée. DeRoy propose que ce temps est variable et pourrait aller jusqu’à 2 sec entre le moment où la cuillère est enlevée et celui où l’amorce de la grenade opère.
- Cet élément du témoignage de DeRoy est pertinent et important à considérer quant au risque que la grenade explose à la hauteur des manifestants, comme ce fut le cas en l’espèce.
- Le déclenchement de la « fuze » préalable à l’explosion peut varier. Cette variation rend difficile l’évaluation du moment de l’explosion et surtout impossible de préciser le moment où celle-ci aura lieu.
- Bien sûr que les PIC ne désirent pas volontairement que l’explosion survienne à la hauteur des manifestants, mais ce risque est bien réel.
- Le témoignage du policier Paquet réfère à la fiche technique qui indique ce qui suit :
« As an irritant distraction and/or disorientation device for crowd management, it may be hand thrown in the general direction of the crowd. It may be deployed for ground bursts or aerial bursts at the discretion of the operator. »
- Paquet parle de la direction de la foule et le texte indique « general direction of the crowd ». Que veut dire cette expression « general direction of the crowd ». Cela ne veut pas nécessairement dire dans la foule, mais en sa direction, ce qui est différent.
- Dans tous les cas, aucune des mentions de la fiche technique n’indique que la grenade doive être lancée dans la foule. Si les autorités policières décident de l’utiliser de cette manière, ils doivent en assumer le risque. En direction de la foule ne peut vouloir signifier de lancer la RBBG de manière à ce qu’elle explose à la hauteur des individus en direction de laquelle elle est lancée.
b) L’endroit où sont lancées les RBBG et la trajectoire de la grenade
- Si l’objectif est de faire du bruit, on peut se demander pourquoi ne pas avoir utilisé un autre instrument pouvant reproduire un effet sonore semblable ou même pourquoi ne pas avoir envoyé la grenade ailleurs que dans la foule, par exemple par terre devant celle-ci ou en sa direction, comme le recommande le fabricant.
- À ce sujet, Besner témoigne qu’il y aurait alors des risques pour les autres personnes présentes qui ne sont pas des manifestants, comme des journalistes.
- Cette réponse est peu convaincante. La question visait l’envoi de RBBG dans un endroit où il n’y avait personne, par exemple dans l’espace entre la ligne de manifestants et celle des policiers.
- L’endroit où étaient situés les manifestants était bien marqué par la clôture. Les policiers pouvaient choisir l’espace libre entre eux et cette clôture. Sur cet aspect, Besner répond qu’il avise les PIC qu’ils peuvent lancer des RBBG et qu’il appartient ensuite à ceux-ci de décider quand elles doivent être lancées et à quel endroit. Il ajoute qu’il n’a pas personnellement vu d’endroit où les RBBG auraient pu être projetées, ailleurs que dans la foule.
- De l’avis du tribunal, laisser aux PIC le soin de déterminer l’endroit où lancer les RBBG dans le contexte de ce dossier pose problème. Les faits mis en preuve et le témoignage des PIC démontrent clairement que ces derniers avaient tous compris qu’ils devaient lancer les grenades au-dessus de la foule.
- Lorsque Besner propose qu’il leur revînt de décider quand elles devaient être projetées et à quel endroit, cela laisse entendre que les PIC auraient pu décider de les lancer par terre entre la ligne de manifestants et les policiers.
- Le tribunal retient plutôt de la preuve que l’ordre était très clair de lancer les RBBG au-dessus des manifestants et que les PIC ont agi suivant cet ordre.
c) La trajectoire modifiée par les masses et le poids de la RBBG
- Dans son témoignage, Paquet note qu’en raison du jeu des masses et du poids, il arrive qu’une grenade soit lancée et que sa trajectoire retombe plus rapidement vers le bas. Dans un tel cas, l’explosion survient à plus basse altitude. Il explique que c’est un phénomène qui arrive à l’occasion.
- Paquet précise que lors du lancer, à la séparation de la grenade, celle-ci peut se déplacer puisque les deux éléments qui la composent sont de poids différents. Ainsi, il arrive que la partie principale de la grenade se dirige différemment de ce qui est anticipé, et ce, de plusieurs pieds, soit vers le haut, le côté ou le bas.
- Cet aspect du témoignage de Paquet s’ajoute aux multiples facteurs qui entrent en jeu pour déterminer le moment de la déflagration et l’endroit où est projetée la grenade lors de sa descente. Dans un tel cas, le risque que la déflagration survienne près des manifestants est bien réel.
- Ce phénomène est hors du contrôle du PIC. Le témoin ajoute que certaines grenades vont même se déplacer de façon inattendue de quelques dizaines de pieds.
- L’expert Roy aborde aussi ce phénomène lors de l’audition et il appuie en quelque sorte le témoignage de Paquet.
- Que ce soit l’erreur du PIC dans la manière de faire le lancer ou encore l’erreur du SPVM d’avoir accepté d’utiliser des RBBG avec un tel degré d’incertitude quant à l’endroit de l’explosion, dans les deux cas, la faute du SPVM est démontrée.
- Ce phénomène met en lumière un autre élément concernant l’incertitude qui existe en ce qui concerne la réaction de la grenade lors du lancer et, par voie de conséquence, la possibilité qu’elle se retrouve à la hauteur des manifestants.
- Ce phénomène a en toute probabilité contribué à la trajectoire de la RBBG qui a blessé le demandeur. Il était connu des autorités du SPVM et aurait dû les inciter soit à ne pas utiliser les RBBG ou à le faire de manière différente, soit par exemple en les lançant au niveau du sol.
d) Le vent, la pression atmosphérique et la chaleur
- Un autre élément peut affecter la trajectoire de la grenade. Le policier Bolduc en a fait part dans son témoignage lorsqu’il note que, lors d’exercices, les policiers ont appris que la trajectoire de la grenade pouvait être affectée par les conditions de temps, soit le vent, la pression atmosphérique et la chaleur. Selon Bolduc, ces éléments peuvent interagir dans la réaction de la RBBG.
- Cela ajoute aux risques d’utiliser une RBBG en la lançant dans les airs plutôt qu’au niveau du sol.
e) l’humidité et l’impact sur la grenade
- Bolduc amène un autre élément pouvant entrer en jeu quant au moment de la déflagration. Pour lui, une RBBG demeure une pièce mécanique. Ces grenades sont entreposées et il est possible que l’humidité retarde la déflagration.
- Bolduc propose aussi que la grenade, dans son mouvement de rotation, provoque une réaction différente, ce qui pourrait entraîner une plus grande vitesse de descente. Il admet qu’il ne sait pas exactement pourquoi cette grenade a explosé dans la foule à 4-5 pieds de l’asphalte.
- De l’avis du tribunal, l’ensemble de ces éléments apportés en preuve participe à démontrer le haut risque relié à l’utilisation des RBBG.
7. L’opinion de l’expert Pascal Roy
- L’expert Roy est lui-même devenu chef de peloton et officier responsable de 30 à 40 personnes formées en maintien et rétablissement de l’ordre dans la Ville de Québec. Depuis 2016, il est instructeur et fait partie du comité de formation en maintien de l’ordre. Au moment de son témoignage à la Cour, il occupe un poste équivalent à celui de commandant au SPVM.
- Lors de la rédaction du rapport, il était chef de peloton, soit l’équivalent de commandant de peloton comme l’était DeRoy.
- Ainsi, plus il critique les policiers qui font le même travail que lui, plus il risque éventuellement d’être mis sous examen pour son propre travail en fonction des exigences qu’il aura établies.
- Dans la mesure où il n’existe pas de règles précises dans ce domaine et dans la mesure où lui-même prétend fixer en quelque sorte les règles de l’art applicables comme on le verra plus loin, on peut penser que cela le met dans une situation pour le moins délicate.
- C’est en ce sens que le tribunal se questionne à savoir s’il possède l’indépendance requise pour que son opinion soit considérée à titre d’expertise impartiale dans le cadre du présent dossier.
- Pour un expert, l’indépendance s’apparente à la crédibilité pour un témoin de faits. On est crédible ou on ne l’est pas. S’il n’existe pas de demi-crédibilité, le tribunal propose qu’il n’existe pas davantage de demi-indépendance.
a) Le mandat reçu de l’École nationale de police du Québec (ENPQ)
- Un autre élément concernant l’indépendance de l’expert porte sur le fait qu’il reçoit son mandat de l’ENPQ, qui prend connaissance de son rapport d’expertise avant qu’il ne soit produit et y apporte certaines précisions.
- Dans le cas présent, il a été mis en preuve qu’il a eu des discussions avec des représentants de l’ENPQ sur le contenu de son rapport.
- En début de témoignage, il n’a pas clairement été mis en preuve que l’ENPQ a pu faire des modifications à son rapport. Roy a plutôt soutenu que l’ENPQ ne révisait que le style et « la compréhension de certaines phrases ».
- On peut penser que la compétence des membres de l’ENPQ n’est pas en rédaction de textes et qu’elle se situe davantage dans le domaine propre aux forces policières, particulièrement quant au maintien de l’ordre et l’utilisation de la force.
- La réticence du témoin à vouloir admettre que le contenu du rapport a été vérifié et approuvé par l’ENPQ est un élément à considérer dans l’appréciation de sa crédibilité.
- Le tribunal doute que les discussions tenues suite à la révision de son texte par l’ENPQ n’aient pas donné lieu à des commentaires sur le contenu du rapport et que l’intervention de ces personnes se soit limitée à discuter du style et/ou de la compréhension de certaines phrases.
- On peut aussi se questionner sur la présence du sceau de l’ENPQ qui apparait sur le rapport.
- Non pas que ce soit interdit que le seau apparaisse sur le rapport, mais cela amène le lecteur à comprendre que le contenu (et non pas simplement le style ou la forme) ont été approuvé par l’ENPQ.
- Plus loin dans son témoignage, Roy admet finalement qu’il peut y avoir des discussions sur son opinion avec des représentants de l’ENPQ pour s’assurer que son avis est en accord avec leur vision.
- Cette admission est tout de même significative. Ce qui ne rassure pas, c’est qu’elle survienne après avoir affirmé qu’il n’y aurait eu que des corrections de style.
- Sachant que des discussions ont effectivement eu lieu avec des représentants de l’ENPQ sur le contenu du rapport, le tribunal se demande quel est le nom de ces représentants et pourquoi ils n’ont pas été identifiés.
- Ces personnes qui ont en quelque sorte participé à la confection du rapport n’ont pas été entendues comme témoins.
- On ne connait pas le nombre de commentaires, le contenu de ceux-ci et dans quelle mesure ils étaient importants ou déterminants dans l’opinion finale de l’expert.
- Roy ajoute par ailleurs que l’intervention dans son ensemble était conforme aux enseignements de l’ENPQ en matière de contrôle de foules, tout en ne précisant pas à quel enseignement il fait référence.
- La question se pose puisqu’on sait que ce n’est pas l’ENPQ, mais bien lui-même l’expert Roy qui a établi les « règles de l’art » en pareille matière. Nous y reviendrons.
- Cette manière de vouloir présenter son rapport et lui donner une certaine crédibilité en référant à l’intervention de certaines personnes de l’ENPQ affaiblit la crédibilité du témoin et par conséquent la valeur probante de son rapport.
b) L’expert et sa qualification en matière de charges explosives
- Roy est expert et moniteur dans l’utilisation des grenades contenant ou non des irritants chimiques.
- Lorsqu’on l’interroge sur ce que représente la charge explosive contenue dans la RBBG, il ne peut que nommer l’unité de mesure qu’est le « joule », mais note qu’il faudrait référer à un ingénieur dans ce domaine pour en connaître davantage.
- Or, c’est justement en fonction de cette charge explosive que l’utilisation des RBBG représente un risque de blessures.
c) Les règles de l’art selon l’expert Roy
- Dans son rapport, Roy aborde le sujet des « règles de l’art ». Il intitule un passage ainsi : « Règles de l’art en usage d’agents chimiques en situation de contrôle de foule ».
- Il précise qu’il n’y a pas de formation dispensée à l’ENPQ sur le contrôle des foules. Les corps de police doivent s’adresser directement au fabricant des produits utilisés pour recevoir la formation, ou du moins, les informations utiles à leur utilisation.
- Dans le cadre du mandat d’expert qui lui a été confié par le SPVM, dans son travail il s’est senti tenu d’énoncer les règles de l’art liées à l’utilisation d’agents chimiques.
- Pour ce faire, il dit avoir consulté différents documents de différents corps de police et examiné les considérations tactiques énoncées par le fabricant.
- Tout en reconnaissant qu’il n’existe pas de « règles de l’art » dans ce domaine, il a décidé d’en énoncer dans son rapport d’expertise et les utiliser pour se prononcer par la suite sur le respect de ces mêmes règles qu’il a lui-même fixées.
- Comment un témoin expert mandaté par le SPVM défendeur dans un recours de la nature de celui en cause peut énoncer et décider de statuer en fonction de règles de l’art qui n’existaient pas avant la rédaction de son rapport ?
- De l’avis du tribunal, les règles de l’art ne peuvent se constituer au gré des positions qu’un expert adopte dans un dossier dans lequel il a pour mandat de rédiger une opinion. Par « règles de l’art », on entend les usages, procédés et bonnes pratiques habituellement et généralement reconnues dans un domaine. Elles existent ou n’existent pas, mais ne peuvent se limiter à l’opinion d’une seule personne qui a en plus mandat de donner son opinion sur le respect de ces mêmes règles.
- Roy se sert de cette qualification de règles de l’art pour conclure que le SPVM n’a pas commis de faute.
- Avec respect pour l’expert Roy, cette manière de procéder affecte sa crédibilité et encore une fois la valeur probante de son rapport et de son témoignage.
d) La proximité de l’impact des RBBG
- Roy mentionne que l’utilisation des RBBG était l’une des meilleures options. Il note que les 9 RBBG ont été lancées au-dessus de la foule et témoigne ainsi : « Le principe étant que la mission soit efficace les gens soient exposés aux ondes de choc, lumière et au son, et plus c’est près des gens plus la mission sera efficace ».
- Cette affirmation de Roy doit aussi être mise à contribution dans l’analyse du dossier. Si le principe est que, pour que la mission dans l’utilisation de la RBBG soit efficace, il faut que l’engin explose le plus près possible de la foule, cela rend encore plus problématique l’utilisation de ces grenades.
- Accepter l’utilisation des RBBG dans un tel contexte constitue une faute civile de la part du SPVM.
e) Le jeu des masses et du poids
- C’est au procès que Roy a abordé ce sujet très important mis en preuve par le témoignage de Paquet.
- Le tribunal se questionne sur le choix de ne pas en avoir traité dans son rapport d’expertise, alors que ce phénomène est aussi pertinent à l’analyse du dossier.
- On ne peut valablement soutenir qu’il fallait voir les vidéos pour amener cette hypothèse puisque ce phénomène découle de la connaissance qu’avait Roy et non de la preuve administrée au procès.
- Lorsque Roy a introduit dans son témoignage le fait qu’il pouvait y avoir un déplacement de la grenade vers le haut ou le bas et qu’un tel déplacement était imprévisible, le tribunal a permis cette preuve.
- L’avocate de la Ville a insisté que sa cliente était prise par surprise puisque dans la demande introductive, on avait clairement indiqué que la blessure avait été causée par une grenade de type Instant Blast.
- Or, en fonction de cette affirmation, le tribunal a permis à Roy de témoigner sur ce phénomène lié à la trajectoire de la RBBG.
- À la lecture du rapport de Roy et même en fonction de son témoignage lors du procès, il était acquis pour tous, y compris l’expert, que ce qui avait blessé le demandeur n’était pas une Instant Blast, mais bien une RBBG.
- Par conséquent, l’effet de surprise qu’on a plaidé pour s’opposer à l’introduction en preuve de cet élément par Roy n’existait pas.
- D’ailleurs, afin de rendre la procédure conforme à la preuve, le tribunal a permis au demandeur de modifier sa demande introductive d’instance pour préciser que ce dernier alléguait avoir été blessé par une grenade de type RBBG. Il n’y a pas eu d’opposition à cette modification.
- Pour l’ensemble de ces motifs, l’expert a failli à établir sa crédibilité de manière suffisante. L’étude et l’analyse de la responsabilité dans cette affaire doivent se faire en fonction des témoins de faits et des principes de droit applicable à un recours en responsabilité civile. Le tribunal ne se sent pas lié par l’opinion de l’expert Roy.
- Le tribunal propose de revoir ce que l'auteur Royer a écrit sur le rôle du témoin expert :
« La première condition préalable à la recevabilité d’une expertise est que celle-ci soit de nature à aider le tribunal à comprendre les faits et à apprécier la preuve. Il faut donc que le litige porte sur des questions scientifiques ou techniques d’une certaine complexité. Lorsque les faits sont simples et que le juge est aussi capable que l’expert de les comprendre et de déduire les conclusions qui en découlent, l’expertise n’est pas admissible[5]. » Le tribunal souligne
- Aussi à ce sujet le tribunal réfère à la décision de la Cour d’appel dans Laval (Ville de) c. Ducharme[6], la Cour d’appel examine cette question du témoignage d’experts en matière de responsabilité des policiers.
« [97] La Ville suggère en premier lieu que pour déterminer s'il y a faute en l'espèce, il faut connaître la norme référentielle du comportement convenable d'un policier dans de pareilles circonstances. Selon elle, cette norme référentielle n'est pas de connaissance judiciaire; des témoignages d'experts doivent l'établir. Sans ces témoignages, elle plaide que le juge ne pouvait conclure à une transgression déraisonnable de ces règles de l'art.
[98] Je suis en désaccord.
[99] Contrairement à d'autres cas où une telle preuve est nécessaire pour éviter que le juge ne tombe dans l'arbitraire[7], la norme référentielle applicable ici n'était pas en litige. Il s'agissait d'évaluer le comportement des policiers par rapport à celui d'un policier prudent et diligent placé dans les mêmes circonstances. Les circonstances consistaient en des faits objectifs révélés par la preuve et qui, comme le note le premier juge, étaient simples. Celui-ci était aussi capable qu'un expert de les comprendre, de les analyser et d'en tirer les inférences nécessaires. Dans un cas comme celui-ci, le recours à une preuve d'expert n'était pas essentiel. Il n'appartient pas à des experts de statuer sur l'existence d'une faute; cela relève du juge des faits.
[100] Sous ce rapport, le juge n'a certes pas déterminé la norme applicable au policier prudent et diligent de manière purement subjective, sans connaissance du domaine concerné. D'ailleurs, comme le notent correctement les intimés, les tribunaux ont statué à plus d'une occasion sur la responsabilité de policiers sans compter nécessairement sur l'éclairage d'un témoignage d'expert[8].
[101] Qui plus est, l'analyse des rapports et témoignages des experts de la Ville en matière d'intervention policière montre que leurs propos ne discutaient pas tant des normes référentielles qui devaient guider l'analyse que de leur application par les policiers dans les faits. Ces experts en ont ainsi conclu que le comportement des policiers était adéquat en raison notamment de l'empathie démontrée et des conseils prodigués à Mme Gélinas. Le premier juge en a conclu autrement sur la foi de son application de la norme aux faits objectifs et plutôt simples qu'il devait considérer. »
- Les faits du présent dossier sont relativement simples et peuvent être appréciés par le tribunal. Cela ne veut pas dire qu’une preuve d’expert pourrait ne pas être utile, mais le tribunal n’est pas lié par une telle expertise.
- Le tribunal est apte à se prononcer sur les notions de responsabilité civile utile à l’examen de ce dossier. Pour l'évaluation du comportement d'un policier prudent et diligent, le tribunal dispose des règles générales de la responsabilité civile, de la jurisprudence et des normes ou standards utiles à l'évaluation de la responsabilité des policiers et de la Ville défenderesse.
8. Présomption de faits graves, précis et concordants permettant d’établir que le demandeur a été blessé par une RBBG
- Lors des évènements, le SPVM a nié que ce soit une RBBG qui ait pu occasionner la blessure du demandeur. Cette position a été adoptée dès l’événement, jusqu’au procès et tout au long de l’audition.
- Il y a pourtant plusieurs éléments factuels qui constituent des faits graves, précis et concordants à l’effet qu’en toute probabilité, le demandeur a été blessé par une RBBG le 7 mars 2012.
a) Simultanéité de la blessure par rapport à l’explosion d’une RBBG
- Parmi les faits à retenir pour conclure que le demandeur a été blessé par une RBBG, le tribunal s’en remet au témoignage de celui-ci quant à la simultanéité de l’explosion et de la survenance de ses blessures.
- À la suite de l’explosion survenue près de lui, son œil et son arcade sourcilière sont enflés. Il voit du sang et sa paupière est fendue. Il voit une fumée blanche qui se dissipe dans les airs, ainsi que quelque chose de lumineux dans la fumée, ce qui est compatible avec la description des policiers suite à l’utilisation d’une RBBG. Il dit avoir été aux prises avec un acouphène ou un son qu’il associe à un « sillement ». Le son qu’il entend est embrouillé. Il est désorienté pendant quelques secondes.
b) La grenade qui a explosé à travers la foule
- Sans reprendre tous les témoignages, le tribunal retient celui de DeRoy qui évalue qu’une seule aurait éclaté à travers la foule, en bas de leur tête.
- Il identifie cette grenade sur l’une des vidéos produites. À l’époque des évènements, il avait aussi pris connaissance de l’existence de cette grenade qui a explosé à travers de la foule. Il ajoute qu’« elle est documentée ».
- DeRoy témoigne que, suite à ce constat, il y a eu une réunion de débriefing sur le fait qu’une grenade avait explosé trop bas. Il précise cependant qu’il n’existe pas de rapport donnant suite à cette réunion.
- Le fait qu’une grenade ait explosé à la hauteur des manifestants dans le secteur où se trouvait le demandeur est un fait qui rend probable le fait que c’est cette même grenade qui a causé ses blessures.
c) Il n’existe aucun rapport de la réunion qualifiée de débriefing portant notamment sur le fait qu’une grenade a explosé à la hauteur de la foule
- L’ensemble des témoignages permet de comprendre l’évidence à l’effet que les RBBG doivent être lancées suffisamment haut pour éviter qu’elles n’explosent dans la foule. Cela va de soi.
- Or, constatant qu’une des RBBG a explosé dans la foule, que le directeur du peloton impliqué dans le lancement de celle-ci l’a constaté lors des évènements et qu’une réunion de débriefing a été tenue après pour en discuter, comment expliquer qu’aucun rapport écrit n’a été préparé par la suite ?
- De l’avis du tribunal, cela laisse à penser qu’on a voulu éviter de laisser des traces de constats nuisibles au SPVM.
- Pourtant, cette réunion survenue peu de temps après les évènements est fondamentale pour une bonne compréhension du dossier.
- Bien sûr que le service de police impliqué dans un évènement qui pourrait potentiellement entraîner sa responsabilité n’a pas à admettre sa responsabilité.
- Cependant, ce service de police a une certaine obligation de transparence en ce qui concerne l’examen des faits et gestes de leurs policiers suite à un événement mettant en cause la sécurité de concitoyens.
- D’autant plus que le service de police risquait d’être par la suite impliqué dans d’autres opérations semblables.
- Précisons que cette obligation de transparence ne s’applique pas à un défendeur ou à une corporation privée n’ayant aucune obligation particulière de protection du public. Il parait cependant justifié de proposer qu’une telle obligation s’impose pour un corps public, tel un service de police qui a pour mission de servir et de protéger le public.
- Très peu de temps après l’explosion de cette grenade à la hauteur de la foule, un manifestant prétend avoir été blessé par une telle grenade. La présence des policiers sur son lit d’hôpital en est une indication précise.
- Le tribunal comprend l’objectif de préserver la confidentialité et le secret des objectifs de stratégie policière, mais considère que cela ne justifie pas qu’il n’y ait eu aucun rapport traitant de manière objective des faits dans le cas présent.
- Le tribunal ajoute au surplus que si certains passages doivent être gardés confidentiels, ils peuvent être caviardés, dépendamment à qui doit être acheminé le rapport.
- Lors du ré-interrogatoire réalisé par l’avocate du SPVM, DeRoy a été questionné de nouveau sur l’absence de rapport suite à cette réunion. Il répond alors qu’il n’y a aucune obligation d’y procéder et ajoute qu’à l’époque, il avait de 4 à 5 manifestations par jour et que certains policiers travaillaient 20 heures par jour.
- Encore une fois, il fut établi que cette manifestation du 7 mars 2012 a eu lieu au tout début du conflit étudiant, et il n’est pas exact de laisser entendre qu’il y a eu de 4 à 5 manifestations à cette période, surtout pas la journée du 7 mars 2012.
- De fait, le 7 mars 2012, il y a eu une manifestation, soit celle en cause.
- Cela est dit non pas pour minimiser l’énorme travail des policiers par la suite lors des nombreuses manifestations liées au « printemps érable », et ce, souvent dans des conditions difficiles, mais simplement pour ramener l’évaluation de ce dossier aux faits qui le concernent.
- Le tribunal ne fait pas l’évaluation de l’ensemble du travail des policiers durant ce qui est convenu d’appeler « le printemps érable », mais simplement l’examen de cette manifestation en lien avec les blessures subies par le demandeur.
d) Le rapport du policier Brown et l’omission de mentionner qu’une grenade avait explosé dans la foule
- Le rapport de Brown ne comporte aucune mention à l’effet qu’une grenade a explosé dans la foule. Bourdages, considère que cette information ne devait pas faire partie du rapport.
- Cette réponse de Bourdages ne se justifie pas.
- Si une grenade a explosé à la hauteur des manifestants, rien ne justifie que cette information ne se retrouve pas dans le rapport. Sinon, pourquoi faire un rapport ?
- Encore là, cette autre tentative de défendre le SPVM participe à affaiblir leur position et miner leur crédibilité.
- Pour justifier le fait que cette information ne se retrouve pas dans le rapport, Bourdages s’exprime ainsi : « J’écris pas où les trous de balle entrent ».
- Le lien à faire avec cette réponse n’est pas très clair et surtout cette réponse n’est pas rassurante. Il est ici question d’un événement où une personne est blessée par suite de l’explosion d’une grenade qui aurait justement explosé à la hauteur de la foule.
- Or, ce témoin, cinq ans après les évènements, continue de soutenir que le fait qu’un PIC lance une grenade qui explose dans la foule ne constitue pas une information importante à inclure dans un rapport. Pour en quelque sorte ridiculiser la question, il répond qu’il n’écrit pas dans ses rapports « l’endroit où les trous de balle entrent ».
- La question était pertinente et que les réponses données n’expliquent en rien le fait qu’une information aussi importante ne se soit pas retrouvée dans le rapport.
- Cela tend aussi à démontrer que si cette information ne se retrouve pas dans le rapport, c’est qu’on a tenté de minimiser l’importance d’informations pertinentes et qu’on a dès le début adopté une position de défense et de justification, sans égard à la recherche de la vérité et des faits tels qu’il se sont produits.
e) La réaction des policiers suivant l’accident
- Suite à la blessure subie par le demandeur, une réaction en chaîne s’est déployée sur les réseaux sociaux. L’évènement a été médiatisé. Il était question qu’un jeune manifestant avait été blessé lors de la manifestation suite à l’utilisation d’une grenade par les policiers.
- Besner témoigne que, le soir ou le lendemain, ils ont appris qu’une personne avait été blessée. On lui a demandé des explications sur l’utilisation des grenades RBBG.
- Si on lui fait cette demande rapidement après avoir appris que quelqu’un a été blessé, c’est qu’on a fait le lien entre cette utilisation et les blessures subies par le demandeur. Si d’autres causes probables ou même possibles avaient été identifiées, on aurait pu le soulever dès le départ.
- Malgré l’ensemble des faits qu’il connaît, Besner témoigne qu’il n’a pas été porté à son attention que le lancer d’une grenade soit en cause.
- Selon Bourdages, suite à la blessure du demandeur, « ça spinait » sur les réseaux sociaux qui faisaient état de cette blessure subie par un manifestant. Il était alors question qu’un étudiant avait perdu l’usage d’un œil suite à l’envoi d’une grenade.
- Cela constitue un des faits devant être pris en considération. Sans être déterminant, le fait que Bourdages, responsable de la planification, témoigne avoir été informé qu’un manifestant a été blessé par une grenade utilisée par le SPVM ajoute aux faits qui doivent être pris en compte pour déterminer la cause de la blessure du demandeur.
- La simultanéité des informations et le lien qu’on fait avec la blessure du demandeur participent à confirmer sa thèse à l’effet qu’en toute probabilité, il a été blessé par une grenade utilisée par le SPVM.
f) Les policiers du SPVM insistent pour rapidement interroger le demandeur à l’hôpital
- Le demandeur ne comprend pas pourquoi les policiers désirent l’interroger. Il est à l’hôpital, émotif et inquiet des conséquences de ses blessures, et ne comprend pas leur insistance à vouloir l’interroger à cet endroit et à ce moment précis.
- Devant la situation, un infirmier intervient et emmène le demandeur plus en retrait et mentionne que le moment est mal choisi pour un interrogatoire. Il demande même à la mère du demandeur d’empêcher les policiers d’y procéder.
- Les policiers sont tellement insistants qu’on décide de changer le demandeur de salle.
- Le demandeur finit par accepter de signer une déclaration, mais n’en garde pas de souvenir.
- Il témoigne que la seule chose qui intéressait les policiers était de savoir s’il avait vu des objets lancés durant la manifestation. De l’avis du tribunal, la seule explication à cette insistance est que les policiers ne se montraient pas intéressés à obtenir sa version des faits, mais bien à tenter de préparer leur défense.
- Cette position a toujours été celle du SPVM, et ce, jusqu’au procès.
- Sur cette question de l’interrogatoire rapide du demandeur par des policiers du SPVM, le contre-interrogatoire de Besner est significatif. Il suggère que c’est le CCTI qui décide d’envoyer des policiers interroger le demandeur à l’hôpital. Les autorités du SPVM ont appris qu’une grenade avait éclaté dans la foule et avait entrainé des blessures. Besner témoigne, « on » a appris qu’on supposait que c’était ça.
- Besner propose que ça aurait pu être un morceau de glace aussi, mais il reconnaît avoir examiné les vidéos et avoir vu qu’une grenade avait effectivement éclaté à la hauteur des manifestants.
- C’est par l’interrogatoire de Bourdages qu’on peut apprendre les motifs de la décision d’envoyer des policiers interroger le demandeur sur son lit d’hôpital.
- Ayant été informé qu’une personne avait été blessée lors de la manifestation, il entre en communication avec les lieutenants-détectives du SPVM afin de leur demander de vérifier dans les hôpitaux de Montréal si une personne a été admise suite à la manifestation avec une blessure à l’œil.
- C’est lui qui prend la décision de demander à des enquêteurs du SPVM de se rendre à l’hôpital où se trouve le demandeur.
- L’empressement avec lequel l’inspecteur-chef et le responsable de l’opération ont envoyé deux enquêteurs rencontrer le demandeur à l’hôpital doit être pris en compte.
- Bourdages a demandé à ses enquêteurs de se rendre à l’hôpital avant même que le demandeur n’ait été opéré.
- Pourquoi cette insistance et pourquoi interroger le demandeur sur le fait que d’autres objets qu’une grenade auraient pu le blesser ?
- Cette façon de diriger l’enquête pour défendre le travail des policiers et cette volonté d’établir que le demandeur n’a pas été blessé par une grenade ont débuté le soir de l’évènement et se sont poursuivies tout au long de l’enquête.
- Bourdages explique son insistance à rencontrer le demandeur et obtenir son dossier médical en indiquant qu’il souffrait d’acouphène. Bourdages voulait savoir ce qui en était réellement. Quelle est l’utilité à ce moment précis, alors qu’il est sur son lit d’hôpital de savoir s’il souffrait d’acouphène auparavant ?
- Le tribunal considère que ces faits ainsi que la manière dont l’enquête a été menée contribuent à rendre probable la théorie de la cause du demandeur.
g) Les blessures subies par Julie Perrault-Paiement
- Suite à ce que Paiement appelle la deuxième détonation, elle dit être devenue sourde pendant un court laps de temps. De plus, son bras droit était engourdi et elle a ressenti de la douleur sous le menton, à la main droite et au bras droit.
- Selon le demandeur, elle a été blessée à la main, au bras gauche et sous le menton.
- Elle dépose une photo prise en juin 2012 (P-2). Elle ajoute avoir subi une brûlure sous le menton et une autre sur la première phalange de la main. Son bras était enflé.
- Ces éléments participent également à établir que c’est la charge explosive de la RBBG qui a blessé le demandeur. Il n’est nullement question qu’un objet lancé par les manifestants ait causé ces blessures.
h) Les déclarations à un enquêteur en déontologie policière et l’objection de la Ville
- Lors de l’audition, la Ville s’oppose au dépôt de deux déclarations écrites (P-14 et P-15), puisqu’il s’agit de témoins présents à l’audition qui seront entendus, ce qui ne satisferait pas aux exigences de l’article 2871 C.c.Q. Cet article stipule :
« 2871. Lorsqu’une personne comparait comme témoin, ses déclarations antérieures sur des faits au sujet desquels elle peut légalement déposer peuvent être admises à titre de témoignage, si elles présentent des garanties suffisamment sérieuses pour pouvoir s’y fier. »
- La Ville prétend que ces déclarations ne présentent pas de garanties suffisantes de fiabilité.
- De l’avis du tribunal, le fait que les déclarations ont été prises par un enquêteur dans le cadre de son enquête en déontologie policière permet de conclure à l’existence d’une garantie de fiabilité.
- Aussi, tout en s’opposant à la production de ces déclarations, la Ville se sert de ces mêmes déclarations dans son contre-interrogatoire pour contredire le demandeur. De ce fait, elle reconnait implicitement cet élément de fiabilité au sens de 2871 C.c.Q.
- Sinon il faudrait comprendre de la position de la Ville que ces déclarations ne peuvent servir qu’à contredire le témoin, mais ne peuvent servir comme déclarations produites sous 2871 C.c.Q.
- En contre-interrogatoire, elle se sert de ces déclarations puisque le demandeur n’aborde pas le sujet de ses blessures.
- Elle s’en sert pour attaquer la crédibilité du demandeur sur le fait qu’il aurait été blessé par les grenades de type RBBG lors de la manifestation.
- Dans son enquête en déontologie, l’enquêteur n’interroge pas le témoin sur ses séquelles. Ce n’est pas l’objectif de son interrogatoire.
- Il l’interroge plutôt sur ce qui intéresse l’objet de son enquête, soit les manquements déontologiques, s’il y en a eu. C’est là son objectif.
- Le tribunal ne peut donc retenir aucune inférence négative du fait que dans le cadre de cette déclaration, le demandeur n’a pas traité de ses blessures.
i) Le mémo (VM-36) de Bourdages
- De plus, Bourdages a déposé un mémo (VM-36) qu’il a lui-même rédigé après les évènements. Il s’agit du bilan de l’opération du 7 mars 2012. Vu l’importance de certains passages, le tribunal l’a reproduit intégralement au paragraphe 309 ci-haut.
- Il conclut que « Si l’étudiant est certain qu’il a été atteint par la deuxième grenade, il devait se trouver sur la première ligne de résistance des manifestants ». La preuve démontre qu’il ne se trouvait pas dans la première ligne de manifestants, mais qu’il quittait la manifestation lors de la dispersion des gens suite à l’envoi de la première salve de RBBG.
- On comprend que Bourdages n’avait pas toutes les informations, mais ce commentaire est fait dans le but de reprocher au demandeur d’avoir participé activement à la manifestation et d’avoir été en première ligne, ce qui n’est nullement appuyé par la preuve.
- Qui plus est, quelle est la pertinence entre le fait que le demandeur soumet avoir été blessé par la deuxième grenade et le fait qu’il « devait » se trouver sur la première ligne de résistance ?
- Est-ce à dire que les grenades ne visaient que ceux en première ligne ?
- Aussi, le fait que Bourdages souligne que le demandeur était soulagé d’apprendre qu’aucune accusation ne serait retenue contre lui semble peu vraisemblable, surtout étant donné que c’est lui qui a été blessé lors de la manifestation par une grenade provenant des policiers.
- L’énumération que l’on retrouve à la page 2 de ce mémo est encore une fois une indication sans équivoque que l’enquête a été faite sur les grenades de type RBBG, dont une a explosé dans la foule.
- Il n’est aucunement question d’autres objets qui auraient pu blesser le demandeur. Il n’est pas question de balles de neige, morceaux de glace ou de morceaux d’asphalte qui aurait pu le blesser, selon la théorie soutenue par le SPVM.
- Si de tels objets avaient été en cause dans le préjudice subi par le demandeur, les nombreux policiers sur place auraient pu en témoigner, et les nombreuses vidéos auraient pu servir d’appui à cette théorie. Or, ce n’est pas le cas.
J) Les notes de l’enquêteur lors de la rencontre à l’hôpital Maisonneuve-Rosemont (VM-37)
- Cette déclaration est déposée par Bourdages lors de son témoignage. Les policiers retournent le 13 mars 2012 pour parler directement au demandeur. Son père est alors inquiet et menace de poursuivre le SPVM. Pour une bonne compréhension, cette déclaration a été reproduite au paragraphe 312 du présent jugement.
- Le tribunal note que le demandeur indique avoir décidé de quitter après avoir entendu une première « bombe ». Dans cette version, il dit clairement que la deuxième grenade est lancée entre lui et une autre personne. Il s’aperçoit alors qu’il perd du sang et sa vision s’embrouille.
- Cette déclaration faite peu de temps après l’évènement par un témoin de faits doit être considérée dans la mesure où le demandeur est un témoin crédible dont la crédibilité n’a pas été mise en doute tout au long de son témoignage.
- Encore une fois, la simultanéité entre les blessures subies par le demandeur et l’explosion de la RBBG est capitale et appuie la conclusion selon laquelle ce dernier a bel et bien été blessé par une RBBG et non par un autre objet non identifié.
- Aussi, le document (VM-37), à sa deuxième page, fait état de la rencontre du 13 mars 2012 avec les policiers.
- On constate qu’ils désirent obtenir copie du dossier médical du demandeur. Lors de cette rencontre, son père note que le service de police fait une enquête, mais que celle-ci n’est pas impartiale et qu’il fait ça pour disculper le policier responsable plus que pour aider son fils.
- Le policier ajoute qu’il a expliqué au père du demandeur qu’il faisait cette enquête pour « éviter que ça ne se reproduise ».
- Lorsque le policier écrit cela, il réfère clairement à l’utilisation d’une RBBG, et non à un morceau de glace, de neige ou d’asphalte. Cela constitue un autre élément important qui participe à établir le lien causal entre l’utilisation d’une RBBG et les blessures subies par le demandeur.
- Aussi, dans (VM-37), on constate que Bourdages insiste auprès des enquêteurs pour retourner voir le demandeur en personne et non son père qui lui dit que la policière est harcelante. On insiste et argumente que son fils est majeur. Le policier ajoute « Je me devais de le rencontrer en personne pour savoir si lui il refusait ou acceptait de signer l’autorisation ». L’insistance est manifeste et s’explique mal à un moment aussi inopportun.
- Le tribunal se questionne aussi sur cette insistance et sur le droit des policiers de requérir le dossier médical à ce moment.
- Leur insistance et la manière dont ils ont agi ne s’expliquent que par le désir d’orienter l’enquête pour remettre en question le fait que ce soit une RBBG qui ait blessé le demandeur.
- Le père répond que sa réticence vient de l’approche des policiers le 8 mars 2012, qu’il qualifie de répressive. En aucun temps les policiers n’auraient eu une approche empathique avec son fils.
- Le policier écrit « Il confirme qu’une personne est en possession du morceau de métal qui a causé les blessures de son fils. Il confirme que c’est une grenade assourdissante ».
- Le policier ajoute « ce que je veux c’est que le service de police assume qu’il y a eu erreur et qu’ils feront tout pour ne pas que ça se reproduise ».
- Cet aspect de la déclaration est de la plus grande importance.
- Le policier qui fait enquête écrit qu’il assume qu’il y a eu erreur. Le tribunal ne veut pas accorder à cette déclaration l’effet d’une admission de responsabilité. Cela constitue néanmoins une affirmation pertinente sur l’enjeu du litige faite par un policier du SPVM qui avait pour mandat d’enquêter sur les circonstances des blessures subies par le demandeur.
- Le fait que le policier ajoute qu’ils (les policiers du SPVM) feront tout pour ne pas que cela se reproduise confirme cette reconnaissance de l’erreur commise et renforce que c’est par l’utilisation d’une RBBG que le demandeur a été blessé.
- Cela participe grandement à établir d’une part que le demandeur a été blessé par une RBBG et plus encore à établir la faute du SPVM.
K) La grenade confondue avec de l’asphalte
- DeRoy suggère au tribunal qu’une fois que la grenade a explosé, elle peut « ressembler à de l’asphalte » et que cela aurait pu servir de projectile.
- Cette tentative de convaincre le tribunal que le demandeur a pu être blessé par autre chose que la grenade discrédite la position du SPVM et est peu convaincante.
- Premièrement, cette suggestion apparait tout à fait invraisemblable. Qui peut confondre une grenade qui vient d’exploser avec un morceau d’asphalte ? Ce n’est que pure hypothèse sans fondement factuel.
- Cette tentative faite de la part de celui qui était en charge d’un des pelotons démontre la volonté de créer de la confusion sur ce qui s’est réellement produit.
- Cela n’aide en rien la position du SPVM.
l) Les tests réalisés après l’évènement et la décision de lancer les RBBG au sol
- Si ces tests ont été réalisés, c’est qu’on considérait que l’utilisation des RBBG pouvait être en cause.
- Il n’y a pas eu de résultat ou de rapport pour faire suite à ces tests.
- Par la suite, Besner indique qu’il a été conclu qu’il était mieux d’utiliser au sol les RBBG. Si le lancer et sa hauteur ne pouvaient être en cause, pourquoi avoir demandé aux PIC de lancer les RBBG au sol ?
- Selon DeRoy, cette décision a été prise pour « éviter des dommages collatéraux ».
- Si elles ont été lancées trop basses, il s’agit d’une faute soit de ceux qui donnaient les instructions sur la hauteur du lancer ou de celui qui a exécuté le lancer. Dans les deux cas, cela participe à établir la responsabilité de la défenderesse.
- Ce changement dans les directives concernant l’endroit où doivent être lancées les RBBG ne peut être considéré en soi comme une admission de responsabilité, mais constitue sans contredit un autre élément qui permet d’établir que l’utilisation des RBBG lors de l’évènement du 7 mars 2012 était fautive.
- Concernant la décision de lancer les RBBG au sol, Besner poursuit son témoignage en précisant que les gens qui ont participé aux discussions à ce sujet voulaient simplement atténuer leurs préoccupations. C’est pour cette raison qu’il fut décidé de demander le lancer au sol.
- La décision est prise lors d’une réunion de débriefing.
- S’il y a une telle préoccupation, c’est qu’on sait que la grenade peut être en cause dans l’incident impliquant le demandeur.
- Peu importe la formule qu’on emploie pour le dire, ce constat découle de la preuve.
- Besner termine son témoignage sur ce sujet en disant que cette décision a été prise pour limiter les risques si l’utilisation des RBBG avait été la cause d’un quelconque problème.
- Il ajoute qu’il n’y a pas eu de directives écrites sur le sujet et il ne sait pas précisément comment cela a été verbalisé. C’est un peu comme si on ne voulait pas écrire noir sur blanc qu’on recommandait le lancer au sol.
- Sur le même sujet, Bourdages témoigne que suite aux tests et compte tenu du délai constaté jusqu’à l’explosion, il fut décidé qu’à l’avenir, les grenades seraient lancées au sol.
- Le fait est que la décision de lancer les RBBG au sol assure qu’elles exploseront par terre et que la hauteur et la distance de trajectoire entre le lanceur et l’endroit où l’on projette qu’elles explosent deviennent alors moins aléatoires, donc moins à risque.
- Cela participe à établir une faute du SPVM dans la décision qu’ils ont prise d’utiliser ces grenades sans avoir préalablement fait tous les tests permettant d’en assurer une utilisation sécuritaire.
9. Opinion de l’expert Dan Bergeron sur la causalité
- Le Dr Bergeron est d’avis qu’il est beaucoup plus probable que le préjudice à l’œil subi par le demandeur ait été causé par l’impact d’un objet plutôt que par le souffle d’une explosion, qui selon lui « aurait donné des dommages plus étendus au reste du visage et probablement moins sévères au niveau de l’œil et de la paupière ».
- Le tribunal se questionne d’abord sur les compétences de cet expert pour se positionner sur cette question précise.
- Dans le cas présent, il ne fait pas de doute qu’un ophtalmologiste soit compétent pour donner son opinion sur les séquelles liées à un préjudice à l’œil. Toutefois, le tribunal entretient un doute à savoir si un ophtalmologiste est un témoin qualifié pour se positionner sur la cause probable du préjudice à l’œil.
- De toute manière, après avoir pris connaissance des nombreuses vidéos mises en preuve, le tribunal retient qu’aucune de celles-ci n’établit qu’un objet lancé par un manifestant constitue la cause des blessures du demandeur.
- En effet, après avoir eu accès aux témoins, aux vidéos et à toute la preuve disponible, aucune preuve n’atteint le seuil nécessaire pour rendre probable cette allégation de blessures subies par un objet lancé par un manifestant. La nature d’un tel objet n’a même jamais été identifiée. Encore une fois, cette théorie ne repose que sur des hypothèses ou soupçons non soutenus par la preuve.
- La prépondérance de la preuve établit que la cause des blessures du demandeur est bien liée à l’explosion d’une RBBG.
DOMMAGES
- Le demandeur réclame ce qui suit :
« ACCUEILLIR la présente requête introductive d'instance;
CONDAMNER la défenderesse à verser au demandeur la somme de 200 000 S, à titre de dommages corporels et moraux;
CONDAMNER la défenderesse à verser au demandeur la somme de 50 000 $, à titre de dommages matériels;
CONDAMNER la défenderesse à verser au demandeur la somme de 100 000 $, à titre de dommages punitifs;
RÉSERVER le droit du demandeur de réclamer des dommages supplémentaires selon l'évolution de ses blessures à l'œil;
LE TOUT avec dépens, intérêts et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec; »
- Le demandeur dépose le rapport du Dr Dan Bergeron, ophtalmologiste. Celui-ci ne croit pas qu’une récupération fonctionnelle significative soit possible. Selon lui, bien qu’une très faible amélioration soit envisageable, le demandeur demeura probablement avec une fonction visuelle très limitée de son œil droit pouvant lui nuire dans l’exécution de certaines tâches.
- Appliquant le barème de l’AMA, il évalue le déficit anatomophysiologique (DAP) à 20 %, en raison de la perte complète de fonction visuelle de son œil droit. À la suite de la chirurgie de la cataracte, il considère que cette perte pourrait légèrement diminuer, mais de 1 % seulement.
Témoignage du demandeur sur les dommages
- Le demandeur confirme qu’aujourd’hui, son œil est inutilisable. Il n’a pas vu de cet œil depuis l’incident et il n’y a pas eu d’amélioration depuis. Il soutient que sa condition est permanente et il ne pourra jamais récupérer sa vue comme auparavant.
- Les séquelles et inconvénients qu’il subit sont nombreux.
- Il doit vivre avec une fatigue oculaire lors d’activités qui requièrent une attention visuelle telle que la lecture, particulièrement sur écran ou ses travaux scolaires. Pendant les deux premières années après l’incident, il a fréquemment souffert de maux de tête. Au moment du procès, ces maux de tête se font toutefois plus rares. Il éprouve encore de la douleur sous la paupière supérieure. L’œil atteint s’échauffe rapidement et sa paupière est plus fragile à l’apparition de problèmes comme des orgelets.
- Le demandeur éprouve beaucoup de craintes vis-à-vis des bruits forts. Les feux d’artifice lui font peur.
- Cinq ans après l’événement, il éprouve un grand malaise face à tout ce qui concerne la représentation policière. Il sait que les policiers ont un travail à faire, mais il craint d’être blessé à nouveau. N’ayant plus qu’un seul œil, il craint qu’il ne survienne quelque chose à cet œil.
- Plus généralement, il éprouve une perte de goût de vivre en général et ses plans de carrière sont affectés.
- Même dans sa formation en littérature, l’apprentissage est difficile, vu la fatigue qu’il éprouve à la lecture. De plus, il a dû abandonner sa formation scolaire. Pendant la session, il a également fait une tentative de suicide.
- Avant le 7 mars 2012, il voyait sa vie « en ligne droite ». Il suivait une formation dans un domaine qu’il appréciait alors qu’à présent, poursuivre dans ce domaine n’est plus une option. Il témoigne se retrouver perdu vis-à-vis de son avenir.
- Toute cette situation induit une source d’échec constante.
- Avant le 7 mars 2012, le demandeur avait gagné 7 concours de dessins. Il était valorisé par le dessin. L’événement lui a enlevé en quelque sorte cette source de valorisation et la possibilité d’exploiter ce talent.
- De plus, depuis l’âge de 14 ans, le demandeur avait pour habitude de travailler pour l’entreprise de son père pendant la période estivale dans le domaine de la pose et/ou réparation de cheminées. Depuis l’accident, il ne peut plus faire ce travail. Il aurait même pu prendre la relève de cette entreprise familiale, ce qui se révèle maintenant impossible, étant donné qu’il a de la difficulté à évaluer les distances et le dénivelé, sans compter le risque de chute lié au fait de monter sur les toitures.
- Ce travail aurait pu lui apporter un certain gain monétaire. C’est pour lui un échec additionnel qui s’ajoute au reste.
- Il rappelle qu’il étudiait en art visuel et que pour lui, sa vue est fondamentale. Aujourd’hui, sa situation ne lui permet plus d’espérer œuvrer dans ce domaine dans lequel tout se rapporte à la vision.
- Certaines techniques en art visuel sont désormais impossibles pour lui. Par exemple, une partie du cours porte sur une technique de support, où une fois le crayon placé sur la feuille, on doit débuter le dessin. Il a de la difficulté à savoir où il se situe et doit toucher pour y arriver. Quant au dessin par modèle, ne voyant que d’un œil, il ne peut avoir un œil sur le dessin et l’autre sur le modèle. Il peut cependant distinguer les couleurs avec un léger flou et il peut encore apprécier les nuances des différentes couleurs.
- Il a également entrepris des cours en histoire de l’art qu’il a encore une fois dû abandonner, en janvier 2016.
- En octobre 2016, il commence un cours en archivage à l’Université Laval, qu’il délaisse par la suite.
- Au moment du procès, il travaille à temps plein comme vendeur de poêles et foyers, mais ne sait pas ce qu’il désire faire par la suite.
- Il aborde ensuite sa tentative de suicide. Pour lui, il y a un lien entre celle-ci et les blessures qu’il a subies le 7 mars 2012. Ce lien est notamment consécutif à la succession d’échecs qui ont suivi l’événement, tel que décrit ci-dessus. Il voit autour de lui des gens qu’il connait qui ont leur pleine intégrité physique et se voit lui-même comme un handicapé. Ce regard qu’il a sur lui-même l’affecte.
- Contre-interrogé sur sa tentative de suicide, on lui suggère qu’avant l’évènement, il avait tendance à abandonner ce qu’il entreprenait. Il répond qu’il ne croit pas avoir cette tendance à abandonner. Il reconnait ne pas avoir été studieux au secondaire, mais que ce problème s’est résolu au Cégep.
- En ce qui concerne sa tentative de suicide, il a d’abord été hospitalisé a obtenu un suivi psychiatrique pendant une semaine et a par la suite reçu l’aide d’une thérapeute en 2015.
- Depuis l’évènement du 7 mars 2012, il a davantage tendance à se raccrocher aux gens. Cela se reflète dans sa vie amoureuse. Il finit par en perdre ses repères et ajoute que sa vie devient compliquée.
Témoignage de Gilles Grenier, père du demandeur, sur les blessures subies par son fils
- Le demandeur est son seul enfant.
- Il est propriétaire d’une entreprise d’installation de foyers et cheminées.
- Il fut informé des blessures le jour même.
- Son fils a dû se rendre à l’hôpital de St-Jérôme. Il a été hospitalisé une semaine et devait prendre une médication à sa sortie.
- Depuis, la personnalité de son fils a beaucoup changé. Alors qu’il était auparavant une personne douce, il est devenu antipathique aux autres et plus enclin au découragement. Il a davantage de difficultés à terminer ce qu’il entreprend et a perdu le goût d’entreprendre des choses. Les premières années qui ont suivi l’accident, « on ne le reconnaissait plus. » Depuis un an et demi environ, il remarque une amélioration.
- En ce qui concerne la tentative de suicide de son fils, celui-ci disait qu’il n’avait plus rien à espérer de la vie, qu’il n’aimait pas ce qu’il faisait. Un matin, il l’aperçoit allongé dans le salon, alors qu’il avait ingurgité une grande quantité de médicaments.
- Il décrit son fils comme talentueux en art et en dessin. Il confirme qu’il a gagné des concours de dessin et ajoute qu’il a toujours aimé l’art visuel. Il réussissait bien en art et n’était pas intéressé par autre chose. Suite à ce qui s’est produit, il a été presque un an sans rien toucher. Il a tenté le dessin abstrait, sans succès.
- Dans les premiers temps suivant l’évènement, il a observé un changement. Il n’aimait pas ce qu’il voyait de son fils.
- Il raconte une anecdote où son fils devait aller voir un client de l’entreprise. Il était réticent puisque ce client était policier et qu’il demeurait révolté de ce qui lui était arrivé.
- Le découragement est encore présent aujourd’hui. Il fait un travail qu’il n’aime pas.
- Suite à sa blessure à l’œil, il n’a plus de perspective en trois dimensions.
- Alors qu’il travaillait pour son entreprise depuis l’âge de 14 ans, ce problème de vision ne lui permet plus de faire ce travail. La possibilité de reprendre éventuellement le flambeau de l’entreprise était une avenue envisageable qui n’existe plus maintenant.
Jurisprudence
- Bien que l’analyse de la somme appropriée pour compenser les pertes non pécuniaires doive s’apprécier au cas par cas, il y a lieu de s’inspirer des montants accordés en jurisprudence dans les cas qui présentent le plus de similitudes. Selon la jurisprudence consultée, les sommes que les tribunaux ont accordées au titre des pertes non pécuniaires oscillent entre 100 000 $ et 230 000 $, si l’on considère les sommes actualisées en dollars de 2017. Parmi celles-ci, voici un résumé des décisions les plus pertinentes pour le cas qui nous concerne.
- Dans la décision Leduc c. Têtu[9], un homme ayant perdu la vision de son œil gauche après une chirurgie esthétique aux paupières se voit accordé une somme de 100 000 $. Dans cette affaire en responsabilité médicale, le DAP était établi à 20 % et le demandeur présentait des limitations et conséquences telles que : perte du travail, répercussions sur le plan économique et familial, confiance affectée, gestes quotidiens plus risqués, abandon de certains loisirs, crainte de perdre l’autre œil et changement de personnalité.
- Quant à la détermination de la somme appropriée pour compenser le préjudice non pécuniaire, le tribunal précise ceci :
« [390] Rien ne peut remplacer la perte d’un organe aussi important que l’œil.
[391] L’âge de la victime au moment des événements, l’impact immédiat, à moyen et à long terme du préjudice doivent être considérés.
[392] La jurisprudence peut être d’un certain secours dans l’exercice de cette évaluation, mais son utilité est relative, puisque la situation de chaque personne présente une large gamme de variables. »
- Dans la décision Trépanier (Tuteur) c. Proulx[10], un jeune garçon de 12 ans subit une perte de vision à la suite d’un coup à l’œil. Au total, la somme accordée pour les pertes non pécuniaires est de 92 500 $. Dans la détermination de la somme appropriée, le tribunal considère l’incapacité partielle permanente (IPP) de 16.47 %, les conséquences dans les projets futurs de carrière et dans la pratique de certains sports, le préjudice esthétique de l’ordre de 3 % et les souffrances, douleurs, stress, et inconvénients occasionnés, notamment en lien avec six opérations.
- Dans la décision Côté c. Provençal[11], un jeune homme de 20 ans perd un œil à la suite d’une bagarre. Les faits de cette décision quant au préjudice sont ceux qui se rapprochent le plus avec le cas sous étude. En raison de son préjudice, la victime a dû abandonner ses plans de carrière de devenir opérateur de machinerie lourde, délaisser la pratique de certains sports et subir plusieurs autres limitations et conséquences dans sa vie quotidienne. Une somme totale de 175 000 $ lui est accordée pour compenser l’IPP, ainsi que les douleurs, souffrances, perte de jouissance de la vie et dommages psychologiques.
- Les décisions Zhang c. Deng[12], et Imbeault c. Bombardier inc.[13], s’avèrent également pertinentes quant au quantum approprié pour compenser la perte d’un œil. Dans ces affaires, bien que les causes soient rejetées, la Cour se positionne en obiter sur le quantum. Pour des DAP respectifs de 20 % et de 36 %, des sommes de 128 000 $ et de 145 000 $ auraient été accordées.
- À la lumière de ce qui précède et des faits particuliers de la présente affaire, une somme de 175 000 $ convient pour compenser de manière globale l’ensemble des pertes non pécuniaires subies par le demandeur. Outre les éléments détaillés ci-haut quant aux souffrances, douleurs et inconvénients subis, le tribunal prend plus particulièrement en considération le jeune âge du demandeur, le fait qu’il aspirait travailler dans le domaine des arts visuels et qu’il ne peut plus travailler pour l’entreprise de son père. De plus, le fait qu’il présentait un talent et un intérêt particulier pour les arts, désirant même en faire son métier, augmente l’ampleur du préjudice et milite en faveur de l’octroi d’un montant supérieur.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
- ACCUEILLE la requête introductive d’instance du demandeur Francis Grenier ;
- ORDONNE à la défenderesse Ville de Montréal de payer au demandeur Francis Grenier la somme de 175 000 $ plus intérêts et indemnité additionnelle depuis l’assignation.
- LE TOUT avec frais de justice.
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| __________________________________ STEVE J. REIMNITZ, J.C.S. |
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Me Alain Arsenault |
Me Julie Plante |
Arsenault, Lemieux |
Pour le demandeur |
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Me Myrtho Adrien |
Me Mikael Benoît |
Gagnier Guay Biron |
Pour la défenderesse |
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Dates d’audience : | Les 28 février, 1, 2, 3, 6, 7, 8, 10 mars 2017 |
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