Bah et Av-Tech inc. |
2018 QCTAT 870 |
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[1] Le 29 août 2017, monsieur Khalid Bah (le travailleur) dépose au Tribunal administratif du travail (le Tribunal) un acte introductif afin de contester une décision rendue par la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (la Commission) le 24 août 2017 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la Commission confirme la décision initialement rendue le 6 mars 2017 et déclare que le travailleur ne souffre pas d’une invalidité grave et prolongée au sens de l’article 93 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).
[3] À l’audience tenue le 5 février 2018, le travailleur de même que l’employeur étaient présents et représentés.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Le travailleur demande au Tribunal d’infirmer la décision de la Commission rendue en révision administrative le 24 août 2017, de déclarer qu’il est atteint d’une invalidité grave et prolongée et conséquemment que la Commission doit assumer la part de la cotisation de l’employeur au régime de retraite du travailleur, conformément à l’article 116 de la loi.
LES FAITS
[5] Le travailleur, actuellement âgé de 40 ans, a occupé la fonction de frigoriste chez l’employeur. La preuve documentaire indique que le 20 juillet 2012, alors qu’il était sur le toit de l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec, il a perdu l’équilibre en procédant à la réparation de la chambre froide Dans sa réclamation à la Commission, il précise qu’« en descendant d’un escabeau, j’ai perdu l’équilibre et je me suis accroché à une barre de métal avec la main gauche j’ai senti une douleur à l’épaule gauche ».
[6] À la suite d’un suivi médical constant, une chirurgie à l’épaule aux fins de réparation est suggérée. Ainsi, le 14 mai 2013, le docteur Grondin, orthopédiste, a procédé à la réparation de la coiffe des rotateurs avec acromioplastie.
[7] Le 15 mai 2014, le docteur Grondin a complété un rapport médical final où il indique que la lésion est consolidée, mais qu’il conserve une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles.
[8] C’est ainsi que le 2 septembre 2014, le docteur Gilles-Roger Tremblay, chirurgien orthopédiste, a complété un rapport d’évaluation médicale. En relation avec un diagnostic pré-évaluation d’« entorse de l’épaule gauche, avec déchirure de la coiffe des rotateurs de l’épaule gauche et un statut post réparation de la coiffe des rotateurs », le docteur Tremblay conclut à un déficit anatomophysiologique de 10 %, pour une atteinte des tissus mous du membre supérieur gauche avec séquelles fonctionnelles, de même que des limitations de l’abduction, de l’élévation antérieure et de la rotation externe du même membre. Quant aux limitations fonctionnelles, le docteur Tremblay indique :
- Éviter les positions de l’épaule gauche au-delà de 80 degrés d’abduction et d’élévation antérieure;
- Éviter les mouvements répétitifs ou répétés fréquemment de flexion, d’abduction et de rotation de l’épaule gauche;
- Éviter les efforts de plus de 5 à 7 kilogrammes avec le membre supérieur gauche;
- Éviter de s’appuyer uniquement sur le membre supérieur gauche ou de se retenir avec le membre supérieur gauche.
[9] Le médecin du travailleur ayant également fait état de problèmes psychiques, le travailleur a rencontré, le 17 mars 2016, à la demande de la Commission, le docteur Michel Gil, psychiatre. Le docteur Gil retient le diagnostic de « trouble d’adaptation avec humeur anxio-dépressive chronicisé, modéré à sévère ». Eu égard à cette lésion, il retient un déficit anatomophysiologique de 15 % pour une névrose de gravité 2 et les limitations fonctionnelles suivantes :
- incapacité à composer avec une cadence élevée;
- incapacité à occuper un emploi qui nécessite un temps important de socialisation ou de travail de représentation en raison de la fragilité de la contenance émotionnelle.
[10] À la suite du processus de réadaptation, le 20 octobre 2016, la Commission a décidé qu’« il est actuellement impossible de déterminer un emploi que vous [le travailleur] seriez capable d’exercer à temps plein ».
[11] Le travailleur a témoigné à l’audience. Il déclare qu’avant l’accident du travail, du mois de juillet 2012, il était en pleine forme physique. Il précise qu’il faisait de la gymnastique, de la musculation et de la natation.
[12] Il ajoute que tant dans son pays d’origine, soit le Maroc, de même qu’ici au Québec, il a toujours travaillé dans le même domaine.
[13] À la suite de l’accident, il a été en assignation temporaire, jusqu’à la réparation de la coiffe des rotateurs au mois de mai 2013. Depuis, il n’a pas travaillé.
[14] Il déclare qu’actuellement, il ne voit pas d’évolution de sa condition et qu’« avec les médicaments, il ne souffre pas s’il ne bouge pas ». Il ajoute qu’il en est de même de sa condition psychique qui fait en sorte qu’il veut toujours s’isoler et demeurer à la maison.
[15] Il conclut en déclarant qu’il ne peut pas retourner dans son emploi et que psychologiquement, il n’est pas capable de travailler.
[16] En contre-interrogatoire, il admet que durant le processus de réadaptation, « il n’y avait aucun autre domaine de travail qui l’intéressait, parce qu’il n’a jamais fait autre chose ».
LES MOTIFS
[17] Le Tribunal doit décider si la condition du travailleur correspond à celle prévue à l’article 93 de la loi et si l’article 116 doit trouver application dans son cas.
93. Une personne atteinte d’une invalidité physique ou mentale grave et prolongée est considérée invalide aux fins de la présente section.
Une invalidité est grave si elle rend la personne régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice.
Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement entraîner le décès ou durer indéfiniment.
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1985, c. 6, a. 93.
116. Le travailleur qui, en raison d’une lésion professionnelle, est atteint d’une invalidité visée dans l’article 93 a droit de continuer à participer au régime de retraite offert dans l’établissement où il travaillait au moment de sa lésion.
Dans ce cas, ce travailleur paie sa part des cotisations exigibles, s’il y a lieu, et la Commission assume celle de l’employeur, sauf pendant la période où ce dernier est tenu d’assumer sa part en vertu du paragraphe 2° du premier alinéa de l’article 235.
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1985, c. 6, a. 116.
[18] L’article 116 de la loi prévoit qu’une personne qui subit une lésion professionnelle entraînant une invalidité grave et prolongée a le droit de continuer de participer au régime de retraite offert dans l’établissement où elle travaillait au moment de sa lésion. Pour avoir droit de continuer à participer au régime de retraite offert dans l’établissement au moment de sa lésion, la personne doit démontrer qu’elle a été victime d’une lésion professionnelle et que celle-ci a entraîné une invalidité au sens de l’article 93 de la loi.
[19] Dans le présent dossier, le litige repose essentiellement sur l’interprétation à donner aux termes « invalidité physique ou mentale grave et prolongée », tels que définis à l’article 93 de la loi.
[20] Le Tribunal est d’avis qu’aucune preuve probante n’indique clairement que le travailleur est atteint d’une telle invalidité grave et prolongée au sens de l’article 93 de la loi.
[21] En effet, sauf le témoignage du travailleur, aucune preuve médicale n’indique clairement que le travailleur est atteint d’une invalidité grave au point où elle le rend incapable de détenir un emploi, et ce, de façon indéfinie, tel que précisé à l’alinéa 3 de l’article 93 de la loi et tel que l’a indiqué le soussigné dans l’affaire Terrana[2]. Que ce soit le rapport d’évaluation médicale du docteur Tremblay, chirurgien orthopédiste, ou l’expertise du docteur Gil, psychiatre, aucun des deux médecins ne fait état du type d’invalidité exigé à l’article 93 de la loi. En effet, tant le docteur Tremblay que le docteur Gil font état de limitations fonctionnelles bien spécifiques et qui n’ont pas pour conséquences de faire en sorte que le travailleur est incapable d’occuper tout emploi sur le marché du travail, et ce, de façon définitive.
[22] D’ailleurs, tel n’est pas le sens de la décision rendue par la Commission le 20 octobre 2016. Et comme le soulignait à juste titre la procureure de l’employeur, beaucoup d’aspects de la personnalité et de la motivation du travailleur ont aussi été considérés pour rendre cette décision, pas seulement les conséquences de la lésion professionnelle.
[23] Conséquemment, le Tribunal est d’avis que le travailleur n’est pas atteint d’une invalidité physique et mentale grave et prolongée, au sens de l’article 93 de la loi. Conséquemment, l’article 113 de la loi ne trouve pas application à son dossier.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL :
REJETTE la contestation déposée par monsieur Khalid Bah, le travailleur;
CONFIRME la décision rendue le 24 août 2017 par la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le travailleur n’est pas atteint d’une invalidité physique et mentale grave et prolongée au sens de l’article 93 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles et conséquemment, il n’a pas droit à l’application de l’article 116 de la loi.
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Alain Suicco |
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Me Éric Lemay |
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ÉRIC LEMAY, AVOCAT |
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Pour la partie demanderesse |
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Me Sarah-Émilie Dubois |
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LEBLANC, LAMONTAGNE ET ASSOCIÉS |
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Pour la partie mise en cause |
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Date de l’audience : 5 février 2018 |
AVIS :
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