______________________________________________________________________
______________________________________________________________________
DOSSIER : 132262
[1] Le 17 février 2000, madame Carmen Mercier (la travailleuse) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) le 7 février 2000, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle initialement rendue le 4 octobre 1999 et déclare que la travailleuse n’a pas subi de lésion professionnelle et qu’en conséquence, elle n’a pas droit à l’indemnité de remplacement du revenu pour l’arrêt de travail ayant débuté le 20 août 1999.
[3] Lors de l’audience tenue à la Commission des lésions professionnelles le 29 janvier 2002, la travailleuse, l’employeur, Consultex 2000 inc., et la CSST, partie intervenante, étaient présents et représentés.
[4] Lors de la poursuite de l’audience le 10 mai 2002, un nouvel employeur avait été convoqué, soit Coutech inc. Les employeurs étaient absents et non représentés à l’audience qui s’est tenue en présence de la travailleuse, de son représentant et de la représentante de la CSST.
[5] Le 10 mai 2002, il a été convenu qu’un nouveau dossier serait ouvert au tribunal et joint au dossier 132262-63-0002, la révision administrative ne s’étant pas encore prononcée sur la contestation de la travailleuse à l’encontre d’une décision récente de la CSST traitant d’une lésion à l’épaule et au poignet.
[6] Lors de l’audience du 10 mai 2002, les procureurs ont présenté leur preuve relativement aux lésions à l’épaule et au poignet et il a été convenu que le tribunal recevrait une copie du protocole opératoire suite à la chirurgie du poignet et un résumé du travail effectué à partir des rapports de production soumis par l’employeur, documents qui ont été reçus les 4 et 11 juin 2002.
DOSSIER : 188371
[7] Le 25 juillet 2002, la travailleuse dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision rendue par la CSST le 22 juillet 2002, à la suite d’une révision administrative.
[8] Par cette décision, la CSST confirme celle initialement rendue le 26 avril 2002 traitant des diagnostics suivants : tendinite de l’épaule gauche, kyste au poignet droit et possible synovite du poignet droit. En tenant compte de ces diagnostics, la CSST conclut que la travailleuse n’a pas subi de lésion professionnelle le 19 août 1999.
[9] Comme il avait été prévu antérieurement, les parties n’ont pas été convoquées à une audience relativement à cette requête puisque la preuve avait été faite lors de l’audience du 10 mai 2002.
[10] Dans le présent dossier, la présidente du tribunal, Me Micheline Bélanger, a rendu, le 7 janvier 2004, une ordonnance en vertu de l’article 429.41 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi). Le texte de cette ordonnance se lit comme suit :
[1] ATTENDU qu’en vertu des dispositions de l’article 429.41 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, L.R.Q., c. A-3.001 (ci-après la loi) :
429.41.Lorsque, par suite d'un empêchement, un membre ne peut poursuivre une audition, un autre membre désigné par le président peut, avec le consentement des parties, poursuivre cette audition et s'en tenir, quant à la preuve testimoniale déjà produite, aux notes et au procès-verbal de l'audience ou, le cas échéant, aux notes sténographiques ou à l'enregistrement de l'audition.
La même règle s'applique pour la poursuite d'une audition après la cessation de fonction d'un membre siégeant à l'audience.
[2] ATTENDU que dans les dossiers 132262-63-0002 et 188371-63-0207, les parties ont été entendues le 10 mai 2002 par le commissaire Alain Archambault qui a pris l’affaire en délibéré le 29 janvier 2003;
[3] ATTENDU qu’aucune décision n’a été rendue dans les dossiers;
[4] ATTENDU que le commissaire Alain Archambault a été relevé de ses fonctions par le Conseil de la justice administrative le 13 novembre 2003;
[5] ATTENDU que le retour en fonction du commissaire Alain Archambault demeure indéterminé;
[6] ATTENDU que la loi vise à ce que la Commission des lésions professionnelles rende ses décisions dans les neuf mois de la requête introductive du recours;
[7] ATTENDU qu’il y a lieu de pourvoir au remplacement du commissaire Alain Archambault;
[8] ATTENDU que les parties consentent à ce qu’un autre commissaire poursuive le traitement de ces dossiers;
[9] EN FOI DE QUOI, je désigne Me Diane Besse, commissaire, afin qu’elle poursuive le traitement de ces dossiers, conformément aux dispositions de l’article 429.41 de la loi.
La présidente,
(S) MICHELINE BÉLANGER
Micheline Bélanger
[11] La présente décision est en conséquence rendue après avoir pris connaissance du dossier, des documents additionnels déposés dans le cadre de l’audience, de la transcription des cassettes d’audience des 29 janvier et 10 mai 2002, du visionnement de la cassette vidéo du poste de travail et après avoir reçu l’avis des membres issus des associations syndicales et d’employeurs.
[12] Dans le présent dossier, lorsqu’il sera fait référence à l’employeur, cela concernera uniquement Consultex 2000 inc.
L'OBJET DES REQUÊTES
DOSSIER : 132262
[13] La travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles de reconnaître qu’elle a développé une maladie professionnelle dans l’exécution de son travail de couturière au convoyeur chez l’employeur. Plus précisément, elle demande de retenir que le diagnostic de syndrome cervico-brachial est en relation avec les mouvements répétitifs qu’elle posait dans l’exécution de ses tâches. Les symptômes de cette lésion sont apparus au mois d’avril 1999 et sont à l’origine de l’arrêt de travail prescrit à compter du 20 août 1999.
DOSSIER : 188371
[14] La travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles de reconnaître qu’elle a développé une maladie professionnelle dans l’exécution de son travail de couturière au convoyeur chez l’employeur. Plus précisément, elle demande de retenir que les diagnostics de tendinite de l’épaule gauche et synovite du poignet droit sont en relation avec les mouvements répétitifs qu’elle posait dans l’exécution de ses tâches. Les symptômes de cette lésion sont apparus au mois d’avril 1999 et sont à l’origine de l’arrêt de travail prescrit à compter du 20 août 1999.
LES FAITS
[15] À compter du 4 mars 1998, la travailleuse occupe un emploi de couturière au convoyeur chez l’employeur.
[16] L’agente d’indemnisation de la CSST résume comme suit la description que lui fait la travailleuse de ses tâches :
T travaille chez E depuis 1 an ½. Travail toujours sur un convoyeur, sauf à de rare exception.
T est placée en face du convoyeur et la machine à coudre est au centre à droit et la table de travail de T est à sa droite à une hauteur qui lui arrive au niveau du bustier.
T doit lever des sacs de 40 livres minimum les mettre sur la table les détacher et les vider prendre les morceaux et les faire passer sur le convoyeur.
T travail toujours les bras dans les airs face au tapis roulant et tourne le corps pour passer ses morceaux de la table de travail au convoyeur.
T peut faire ce mouvement 6 000 fois / jour en moyenne.
T doit aussi son sac après (très serré) car sinon il glisse.
[sic]
[17] À compter du mois d’avril 1999, elle commence à ressentir des douleurs au cou, aux poignets et au dos.
[18] Le 13 avril 1999, une radiographie de la colonne cervicale est interprétée par le docteur Rino Bier comme présentant un début d’ostéophytose des apophyses unciformes C4 à C6.
[19] Les notes de consultation du 5 août 1999 font état d’une douleur para-cervicale gauche, d’une douleur au trapèze gauche et d’une douleur au poignet droit.
[20] Le 16 août 1999, la travailleuse ne se présente pas au travail parce que les douleurs sont trop importantes. Le 20 août 1999, elle consulte un médecin et le 31 août suivant, elle soumet une réclamation à la CSST.
[21] L’attestation médicale initiale est émise le 20 août 1999 par le docteur Jacques Boulay qui fait état de cervico-dorso-lombalgie et d’une douleur au poignet droit suite à un travail répétitif. Il prescrit des anti-inflammatoires et un arrêt de travail.
[22] À son rapport médical du 7 septembre 1999, le douleur Boulay fait état d’une entorse cervico-dorsale et prescrit des traitements de physiothérapie. À ses notes de consultation, il mentionne la persistance de douleurs cervico-dorso-lombaires et au poignet droit.
[23] Le rapport initial de physiothérapie en date du 8 septembre 1999 fait état de douleurs et raideurs limitatives et incapacitantes à la région cervicale. Tous les mouvements du rachis cervical sont limités et douloureux et à la palpation, on rapporte une tension musculaire para-vertébrale plus importante à gauche qu’à droite.
[24] Le 5 octobre 1999, la travailleuse est examinée par le docteur Robert Pontbriand, physiatre, qui pose le diagnostic de myosite des trapèzes plus importante à gauche et dérangement intervertébral mineur (DIM) C3-C4.
[25] Le 27 octobre 1999, la travailleuse est victime d’un accident d’automobile sans gravité et aucune réclamation n’est faite à la Régie de l’assurance automobile. À l’audience, elle explique qu’elle était stationnée et qu’un autre véhicule est venu tamponner son automobile.
[26] À l’automne 1999, la travailleuse revoit régulièrement les docteurs Boulay et Pontbriand qui posent les diagnostics d’entorse cervicale et myosite des trapèzes. Les notes de consultation font état d’une douleur para-cervicale et du trapèze plus importante à gauche qu’à droite.
[27] À son rapport médical du 16 novembre 1999, le docteur Boulay rapporte une bonne évolution et autorise un retour au travail. Le 18 novembre 1999, la travailleuse retourne à son emploi mais les douleurs augmentent et elle n’y retourne pas. Le 20 novembre 1999, le docteur Boulay fait état d’une exacerbation des douleurs et il prescrit un arrêt de travail.
[28] À son rapport médical du 10 janvier 2000, le docteur Pontbriand ajoute le diagnostic de kyste arthro-synovial du poignet droit.
[29] Le 25 janvier 2000, une scintigraphie osseuse pancorporelle est effectuée à la demande du docteur Pontbriand. Cet examen est interprété comme suit par le docteur Graveline Ronald :
On visualise un léger rehaussement de la captation au niveau de l’acromion des deux épaules qui peut être en relation avec une petite atteinte inflammatoires [sic] et on visualise un très discret rehaussement de la captation au niveau de la portion droite au niveau approximatif de C6 qui peut être en relation avec des petits changements arthrosiques. À corréler avec la clinique et par ailleurs, le reste de la colonne cervicale, du rachis dorso-lombaire et du bassin est considéré dans les limites de la normale.
[30] À compter du 16 août 2000, le suivi médical est pris en charge par le docteur Maurice Caron qui pose les diagnostics de cervico-brachialgie gauche et tendinite de l’épaule gauche.
[31] Le 29 août 2000, madame Edith Côté, ergothérapeute, procède à l’évaluation des tâches de madame Mercier à la demande de son représentant. Elle rapporte que les diagnostics de cervico-dorso-lombalgie, entorse cervicale, myosite des trapèzes et DIM cervical ont été posés entre le 20 août et le 5 octobre 1999. Elle note que madame Mercier travaille de 8 h à 16 h 30, dispose d’une pause de 15 minutes en avant-midi et en après-midi et d’une période de repas de 30 minutes.
[32] À une annexe de son rapport, elle décrit comme suit les mesures anthropométriques de la travailleuse : une distance tête-sol de 63 pouces, une distance épaules-sol de 53 pouces, une distance coudes-sol de 40,5 pouces et une distance hanches-sol de 38,5 pouces. Les extrais suivants de son évaluation sont pertinents à la compréhension du dossier :
Tâches de travail
1- Approvisionnement : Tirer sur courte distance, le sac de pièces de tissus.
2- Soulever le sac de pièces de tissus pesant environ 50 lbs et le déposer sur la table de travail annexée au convoyeur.
3- Prendre un paquet de pièces sur la table de travail.
4- Saisir les pièces une par une pour les faire coudre.
5- Prendre un paquet de pièces sur le convoyeur arrière de la machine.
6- Transporter le paquet et le déposer sur une table (#2) située à gauche de la machine.
Hauteur des surfaces de travail
Table de travail : 40,5 po
Machine à coudre : 40,5 po
Convoyeur arrière : 30,0 po
Table no 2 : 28,0 po
Analyse des facteurs de risque
Mouvements (annexe II)
- Mouvements prédominants de flexion des épaules entre 30° et 80°.
- Mouvements d’abduction des épaules de 40°.
- Mouvement coudes entre 50° et 110°.
- Mouvement d’extension des poignets de 30°.
- Mouvement de flexion des doigts.
- Cou en légère flexion antérieure.
Répétitivité
- Des études ont montré que 15 flexions avant par minute entre 0 et 90 degrés pendant une heure était un facteur de risque pour les tendinites de l’épaule, et ce risque est deux fois plus grand chez les travailleuses affectées à la couture.1
- Dans le cas présent, madame doit saisir jusqu’à 6000 pièces durant 7,5 heures de travail, c’est-à-dire qu’elle saisit 800 pièces pendant une heure donc 13 pièces par minute. Elle doit donc effectuer 13 mouvements de flexion avant de l’épaule par minute. Ainsi, malgré le fait que le nombre 13 est inférieur à celui relevé dans les études soit 15, cela représente un grand facteur de risque puisque les mouvements sont répétés pendant 7,5 heures/jour.
Conclusion
Suite à l’analyse des facteurs de risque du poste de couturière, nous retenons que les mouvements impliqués et la répétitivité dans ce type de travail, permettent l’apparition de douleur au cou, de même qu’aux membres supérieurs.
______________________
1 Kuorinles, Forcier : Les lésions attribuable [sic] au travail répétitif, multimondes p. 34 1995.
[33] L’annexe II de l’évaluation contient le tableau suivant décrivant les mouvements effectués dans l’exécution des tâches :
Tâches |
Mouvements membre supérieur |
|||||
|
Cou |
Épaule |
Coude |
Avant-bras |
Poignet |
Doigts |
Approvisionne-ments pièces (m. sup. d) |
Neutre |
Ext 30° |
Ext complète |
Pronation |
Extension 30° |
Flexion |
Soulever sac (activité bilatérale) |
Légère flexion antérieure |
Flexion 70° |
Flexion 50° à 110° |
Pro-supination |
Extension 30° |
Flexion |
Prendre un paquet de pièce (act. bilatérale) |
Légère flexion antérieure |
Flexion 60° Abduction 40° |
Flexion 90° |
Pro-supination |
Extension 25° |
Flexion |
Saisir les pièces une à la fois |
Légère flexion ant. Légère rotation dr. |
Flexion 80° Adduction modérée épaule gauche |
Flexion 90° |
Supination Pronation |
Extension |
Flexion |
[34] Le 11 septembre 2000, un électromyogramme est effectué à la demande du docteur Caron et est interprété comme suit par le docteur Richard Roberts, neurologue :
Neurology exam : Normal. The triceps reflexes bilaterally are somewhat hypoactive but symmetric.
Nerve conductions : In the upper extremities are normal. There are some indications of a very mild left CTS however.
EMG : Of the left deltoid, triceps and first dorsal interosseus were normal. There were however some enlarged and midly polyphasic potentials noted in the left triceps
Conclusion : Essentially normal study with a possibility of a mild chronic left sided C7 radiculopathy. I would not recommend further imaging at this time but she might benefit from a course of physiotherapy.
[35] Le 6 octobre 2000, la travailleuse est examinée, à la demande de son représentant, par le docteur Thierry Dahan, physiatre. À son examen du rachis cervical, il note une diminution de tous les mouvements avec une sensibilité segmentaire C4-C7 latéralisée vers la gauche.
[36] L’examen neurologique « ne montre pas de déficit sensitif ou moteur radiculaire spécifique. La patiente décrit une diminution subjective de la sensation au niveau de la main gauche. Les manœuvres de mise en tension radiculaire des membres supérieurs sont plus positives à gauche qu’à droite et reproduisent des douleurs cervicales ».
[37] L’examen des épaules est strictement normal, sans atteinte acromio-claviculaire ou sterno-claviculaire. Il n’y a pas de contracture capsulaire ni signe d’instabilité gléno-humérale, pas de douleur à la contraction résistée de la coiffe des rotateurs ni signes d’accrochage sous-acromial.
[38] Les extrais suivants de son opinion sont pertinents à la solution du litige :
DISCUSSION :
Il s’agit d’une femme de 40 ans qui travaillait depuis 1 ½ ans à un poste de travail nécessitant énormément de mouvements répétitifs avec les membres supérieurs tenus en position où les mains étaient entre le niveau de la poitrine et de la tête. Nous savons suite à l’étude faite par la National Institute of Occupational Safety and Health, une subdivision du National Institute of health des États-Unis que du travail répétitif avec des postures où l’employé doit tenir les bras levés, tel celui de Madame Mercier, est considéré un facteur de risque significatif pour le développement de douleurs cervicobrachiales.
La perte de mobilité cervicale documentée autant le Dr Pontbriand que par les physiothérapeutes Richard Grant et Marc Jogue, ainsi que celle notée à mon propre examen clinique, indique qu’il y a probablement une atteinte significative à l’intégrité du rachis cervical de cette patiente. En général, il est considéré sage de poursuivre les investigations chez une patiente qui se plaint d’une douleur cervicale associée à une perte de mobilité cervicale qui persiste plus de 6 semaines. L’examen de choix pour ce type de pathologie serait une résonance magnétique cervicale dans le but d’établir s’il y a des hernies discales cervicales qui pourraient contribuer à la perpétuation du syndrome douloureux ainsi qu’aux phénomènes de brachialgie et de paresthésie de la main. Malheureusement, cette patiente n’aurait pas bénéficié d’une telle investigation. Nous sommes encore en attente des résultats de l’évaluation électrodiagnostique.
Compte tenu que cette patiente n’a aucun antécédent médical et qu’elle n’avait aucun historique de plainte au niveau du cou et des membres supérieurs et considérant la nature des contraintes ergonomiques importantes dans la description de sa tâche de travail, je crois qu’il est plus probable que non que les contraintes ergonomiques auxquelles elle faisait face lorsqu’elle travaillait pour la compagnie Consultex 2000 Inc. ont joué un rôle important dans la genèse et la perpétuation de son syndrome douloureux.
Par contre, je suis d’accord qu’il ne s’agit pas d’une entorse cervicale ou dorsolombaire telle que proposée initialement par les médecins traitants. Il s’agit plutôt d’un syndrome douloureux cervicobrachial associé à une perte de mobilité cervicale et possiblement à une discopathie cervicale rendue symptomatique par les contraintes ergonomiques du poste de travail de Madame Mercier, poste de travail qui présentait des facteurs de risque significatifs pour le développement d’une douleur cervicobrachiale selon l’évidence scientifique accumulée par le « task force » du NIOSH.
[sic]
[39] Le docteur Dahan considère que l’investigation devrait se poursuivre et que la lésion n’est pas consolidée. Il croit qu’un déficit anatomo-physiologique de 2 % devrait être accordé pour la condition cervico-brachiale par analogie avec une entorse cervicale.
[40] Il est de plus d’opinion que la travailleuse devrait respecter des limitations fonctionnelles.
[41] À son rapport médical du 15 novembre 2000, le docteur Caron fait état de cervico-brachialgie, radiculopathie C7 gauche et tendinite à l’épaule gauche.
[42] Le 19 janvier 2001, une résonance magnétique cervicale est effectuée à la demande du docteur Caron et est interprétée comme suit par le docteur Guy Breton :
Le niveau C5-C6 démontre un disque de signal et de hauteur réduite compliqué d’une petite hernie latérale gauche sans myélopathie et sans sténose.
Le niveau C6-C7 sur les coupes axiales suggère lui aussi une petite hernie latérale gauche sans myélopathie ni sténose.
Le reste de l’examen est normal.
[43] À son rapport médical du 12 février 2001, le docteur Caron reprend les diagnostics de cervico-brachialgie gauche et de tendinite de l’épaule gauche.
[44] Il réfère à l’électromyogramme qui démontrait une radiculopathie C7 gauche et à la résonance magnétique montrant des hernies discales C5-C6 et C6-C7 gauche.
[45] Le 4 avril 2001, le docteur Dahan signe un rapport complémentaire après avoir pris connaissance des derniers examens. Il émet l’opinion suivante :
CONCLUSIONS :
Je crois qu’il est très probable que les mouvements répétés que Madame Mercier devait faire lors de son poste de travail ont rendu symptomatique une condition personnelle chez cette patiente, spécifiquement ses discopathies C5-C6 et C6-C7.
Je crois que l’échographie de l’épaule nous montre aussi que les mouvements répétés en position d’accrochage sous-acromial ont probablement causé chez elle des phénomènes de bursite chronique sous-acromiale.
Compte tenu des nouvelles informations au dossier, je crois qu’il serait approprié que cette patiente soit traitée par injection épidurale neuroforaminale sous guidance fluoroscopique au niveau du neuroforamen des racines C6 et C7 du côté gauche.
Je crois aussi qu’il devient davantage important que les limitations fonctionnelles décrites à la page 12 de mon rapport soient maintenues chez cette patiente lors de son processus de réorientation vocationnelle.
[46] Le 27 avril 2001, une étude dynamique comparative des poignets et une arthrographie tricompartimentale du poignet droit sont effectuées à la demande du docteur Pontbriand qui, en présence d’une douleur scapho-lunaire, veut éliminer la possibilité d’une déchirure. Le docteur Nathalie Bureau procède à cet examen et en fait l’interprétation suivante :
OPINION :
Le tableau est compatible avec une désinsertion du fibro-cartilage triangulaire sur son versant cubital.
Évidence d’une déchirure du ligament inter-osseux luno-pyramidal.
Il semble y avoir déchirure capsulaire sur le versant palmaire et cubital du pisiforme.
À noter que l’étude n’a toutefois pas démontré d’anomalie probante sur le versant radial de l’articulation en particulier au niveau de l’espace inter-osseux scapho-lunaire.
[47] Les 9 mai 2001 et 16 juin 2001, le docteur Pontbriand ajoute au diagnostic de myosite des trapèzes celui de déchirures capsulo-ligamentaires du poignet droit.
[48] Le 15 août 2001, le docteur Caron réfère la travailleuse au docteur Patrick Harris, chirurgien plasticien, suite au résultat de l’arthrographie du poignet droit.
[49] Le 7 septembre 2001, le docteur Harris examine la travailleuse et dans une note transmise au docteur Caron, il indique que cliniquement il n’y a pas d’instabilité intercarpienne et qu’en conséquence, il ne suggère pas de manoeuvre chirurgicale pour l’instant pour cette possible déchirure ulno-pyramidale. Il ajoute qu’il est possible que la douleur soit due à des synovites ou à un kyste occulte et une résonance magnétique est demandée.
[50] Le 12 septembre 2001, la travailleuse est examinée, à la demande de la CSST, par le docteur Denis Ladouceur, neurochirurgien. La CSST l’informe que la réclamation de la travailleuse a été refusée parce que la relation entre les diagnostics retenus et le travail exercé n’a pu être établie. Une cassette vidéo et des photos du poste de travail lui sont transmises et la CSST précise que cette expertise est demandée en vue d’une audition prévue à la Commission des lésions professionnelles. Le docteur Ladouceur rapporte un examen neurologique dans les limites de la normale si ce n’est une douleur à la palpation du poignet droit. Il ne retrouve aucun élément musculo-squelettique signifiant la présence de spasmes paravertébraux ou des muscles de la ceinture scapulaire ou pelvienne et les amplitudes articulaires sont adéquates au niveau des épaules et des hanches.
[51] Les extraits suivants de l’expertise du docteur Ladouceur sont pertinents à la solution du litige :
DISCUSSION :
Il s’agit donc d’une patiente âgée de 40 ans, affectée à un travail manuel de couturière depuis quelques années qui consiste à se tenir debout près d’une table et d’un tapis roulant et d’effectuer des mouvements de côté pour saisir une pièce de tissu à hauteur de ceinture et à la remettre à environ 45° du côté opposé sur le tapis roulant à une cadence amplement suffisante pour permettre de répéter le mouvement à environ toutes les 60 secondes à deux minutes. Il n’y a pas, sur la vidéocassette, d’évidence de mouvements ou d’efforts pour soulever des poids ni pour exécuter des mouvements de flexion, d’extension, de rotation du rachis cervical ni d’évidence de manutention manuelle répétitive soit par mouvements de rotation ou de traction, préhension des membres supérieurs ni d’évidence de vibrations inacceptables au niveau du rachis cervical, lombaire ou des membres supérieurs. [...] Sur les photos, on retrouve la présence de sacs de tissu dont je n’ai pu évaluer le poids ni la fréquence avec laquelle ces poches sont manipulées et si elles le sont par les couturières ou par d’autres préposés.
[52] Le docteur Ladouceur propose de retenir le diagnostic d’entorse cervico-dorsale posé initialement et ajoute que les deux hernies discales apparemment découvertes à la résonance magnétique n’ont aucune concordance avec son examen clinique. Il ajoute que « plusieurs événements peuvent engendrer des entorses cervicales et il est possible que le poste de travail suite à un événement survenu en dehors du travail puisse être difficilement tolérable suite à l’entorse cervicale, par exemple suite à un accident d’auto, un syndrome de « Whiplash », une chute ou à tout événement quelconque ».
[53] Le docteur Ladouceur conclut en disant qu’il lui apparaît inconcevable que l’emploi occupé par la travailleuse, au rythme où il est fait et avec les efforts qui sont démontrés sur les documents audiovisuels, puisse engendrer une entorse cervicale.
[54] Il conclut que la lésion du rachis cervical était consolidée le 6 octobre 2000 et que l’investigation devrait se poursuivre pour la condition du poignet droit. Il évalue à 2 % le déficit anatomo-physiologique résultant de l’entorse cervicale et ajoute que des limitations fonctionnelles sont à respecter.
[55] Le 25 octobre 2001, le docteur Caron signe son rapport complémentaire suite à l’évaluation du docteur Ladouceur. Il indique être d’accord avec la date de consolidation et le déficit anatomo-physiologique proposés par ce médecin pour la condition cervicale. Il n’est toutefois pas d’accord avec l’opinion exprimée par le docteur Ladouceur relativement à la nécessité des traitements et aux limitations fonctionnelles à respecter.
[56] L’extrait suivant de ce document, traitant de la question du diagnostic, mérite d’être rapporté afin de bien comprendre l’opinion du docteur Caron :
Diagnostic : Le diagnostic d’entorse cervico-dorsal émis par le Dr Ladouceur s’approche du diagnostic d’un syndrome douloureux cervicobrachial gauche plus que droit noté par le Dr Pontbriand le 5 octobre 1999 et retenu par le Dr Dahan dans son rapport complémentaire (4 avril 2001) à son expertise médicale (6 oct 2000). D’ailleurs le Dr Dahan accorde un DAP de 2 % pour la condition cervicobrachiale par analogie à une entorse sur arthrose cervicale et le Dr Ladouceur accorde 2 % pour entorse cervicale avec séquelles fonctionnelles objective. Je suis donc d’accord avec le Dr Ladouceur qui retient les diagnostics d’entorse cervico-dorsale et de déchirure capsulo-ligamentaire du poignet droit. [sic]
[57] Le 10 novembre 2001, une résonance magnétique du poignet droit est effectuée à la demande du docteur Harris qui, aux notes cliniques, fait état de douleur cubitale et d’atrophie sous-cutanée et veut éliminer la possibilité d’un kyste occulte.
[58] Cet examen est interprété comme suit par les docteurs Danielle Bédard et Nancy Béchard :
CONCLUSION : Kyste mucoïde multi-locule avec réaction inflammatoire des tissus mous avoisinants au niveau de la face dorsale du carpe.
Léger épanchement radio-cubital distal suggérant un phénomène de synovite localisé sans qu’on ne puisse identifier de déchirure ligamentaire en particulier au niveau du ligament triangulaire.
[59] Le 18 janvier 2002, la travailleuse revoit le docteur Harris qui note ce qui suit :
Elle revient. Elle a encore beaucoup de douleur. La résonance n’a pas démontré de déchirure intra-carpienne. Il y a une lésion compatible avec un kyste mucoïde, décrite par le docteur Bédard.
L’atrophie cutanée est toujours présente à l’examen et les aspérités osseuses sont très palpables à travers cette atrophie cutanée et la lésion dorsale centrale est encore douloureuse.
Les options de traitement conservateur sont discutées. La patiente se dit incapable de vivre avec cette douleur. Il lui est expliqué que l’exérèse chirurgicale de ce kyste n’a malheureusement pas de miracle associé et il y a plus de 50 % des chances que la douleur persiste, même après l’exérèse chirurgicale du kyste. Quoi qu’il en soit, elle désire l’exérèse chirurgicale à Notre-Dame.
[60] Le 4 mars 2002, le docteur Caron répond à des questions posées par le médecin régional de la CSST relativement au diagnostic de tendinite de l’épaule gauche qui apparaît le 16 août 2000.
[61] Plus précisément, la CSST demande au docteur Caron si le diagnostic de tendinite de l’épaule était un diagnostic différentiel associé à la cervico-brachialgie ou s’il y avait effectivement une tendinite significative. Le docteur Caron répond que la tendinite était significative et s’accompagnait d’une légère bursite sous-acromiale comme le démontrait l’échographie du 8 novembre 2000 qui identifiait une tendinopathie du sus-épineux.
[62] La CSST demandait de plus au docteur Caron si la lésion à l’épaule était consolidée puisqu’on ne retrouve plus cette mention aux rapports médicaux émis après septembre 2001. Le docteur Caron répond que cette lésion s’était résorbée avec le repos de l’articulation et il considère qu’un déficit anatomo-physiologique de 1 % devrait être reconnu pour une atteinte des tissus mous du membre supérieur et des limitations fonctionnelles devraient être respectées.
[63] Finalement, la CSST demande au docteur Caron s’il considère que la condition de l’épaule est englobée par la pathologie cervico-brachiale en investigation. Le docteur Caron répond qu’à son avis il y a deux conditions distinctes, l’une cervicale et l’autre au niveau de la coiffe des rotateurs de l’épaule intriquées par leur proximité.
[64] Le 4 mars 2002, le docteur Harris procède à une chirurgie du poignet droit. Au protocole opératoire, il mentionne le diagnostic préopératoire de kyste arthro-synovial et il envisage de procéder à l’exérèse de celui-ci. Lors de l’intervention, le docteur Harris constate l’absence de kyste mais un déplacement et une voussure de la capsule articulaire avec une synovite rosée épaissie. Il procède à une synovectomie du poignet et retient en conséquence le diagnostic postopératoire de synovite radio-carpienne.
[65] Les notes évolutives du 19 avril 2002 rapportent les commentaires de la travailleuse en regard du vidéo de son poste de travail. Madame Mercier explique qu’elle ne travaillait pas à la même hauteur que sa collègue puisque celle-ci utilisait un palier parce qu’elle était petite alors qu’elle-même était sur le plancher et que la machine était au niveau de ses côtes. Madame Mercier ajoute que la cadence de travail sur le vidéo est très lente et qu’elle travaillait deux fois plus rapidement. Elle précise que la quantité de pièces de tissu manipulée varie selon la grandeur mais que le minimum est de 4 000 par jour et elle en a même déjà fait 8 000.
[66] En plus de ses tâches au convoyeur, madame Mercier pouvait être appelée à manipuler des poches de tissu, travail qu’elle décrit de la façon suivante :
Parfois T faisait la manipulation des poches le soir afin de préparer la journée suivante.
T travaillait dans un espèce de grenier, devait descendre 14 marches pour aller chercher les poches.
Une poche 40 lbs et + T montait 3 poches à la fois, une chaque bras et une au dos, les laissaient parfois glisser par terre ou les prenaient afin de les amener à son poste de travail, au total 30 poches / jour et +.
T utilisait différentes façons pour les poches soit les transportaient la veille ou en transportait aux 45 minutes (3 poches) ou transportait poches (env 15) pour la moitié de la journée, utilisait ces méthodes dans une proportion égale.
Lorsqu’elle dépose les morceaux de tissu (cf vidéo) T aura amplitude bras : hauteur des seins, tournera son corps afin de prendre les morceaux à sa droite.
T fera 1 poche aux 15 min.
À la fin de la poche T ira ramasser à l’autre extrémité, la machine fait des piles automatiques sur autre tapis. T vérifiera rapidement couture en effectuant le mm mvt que lorsqu’on feuillette un livre, et attachera le paquet précise que ce doit être « serré-serré-serré » attache avec ce qu’elle aura sous la main nylon, corde, tissus et fera boucle serrée force requise très forte, le lot est divisé en quatre au bout du tapis roulant, un lot 200 morceaux divisé en quatre paquets égaux. T attachera quatre paquets consécutifs. Mettra paquets dans la poche, lorsque poche pleine rattache serré avec corde qu’elle trouve là, force requise très forte.
Fréquence 5 attaches aux 15 minutes.
Dispose des poches accumule 2 ou 3 poches et les « garochent » en bas par un trou, avant le trou les descendaient en bas.
En relation avec :
- sa lésion au poignet T cible cette activité (attache, poches)
- sa lésion au bras gauche T cible le fait de ne jamais posé son bras, posera parfois le droit sur le tissus (fraction de seconde) mais le gauche n’est jamais posé, il est un « suspend ».
- sa lésion au cou T cible le fait qu’elle doit regarder dans un miroir en face du tapis, elle doit s’assurer que le tissus en prenne pas, elle adopte alors une position semi penché vers l’avant car le miroir est plus bas que la machine et aura le cou « dans les airs » elle explique que c’est comme si elle était assis et regardait vers le haut une personne se tenant debout devant elle, à la longue cette position « poignait » dans le cou et le dos.
[sic]
[67] Le 24 avril 2002, le docteur Laurent Cardin, médecin régional de la CSST, fait l’analyse suivante de la réclamation de la travailleuse :
Selon la description de la tâche et après avoir vu le document vidéo sur la gestuelle au travail, à mon avis il n’y a pas de sollicitation à risque pour développer une tendinite de l’épaule gauche en raison de son travail. En effet les charges sont minimes, pièces de linge, et l’élévation antérieure est limitée; le convoyeur étant au niveau de la taille les pièces de matériel sont prises près du corps car le convoyeur étale la pièce de matériel, donc pas de sollicitation abusive pour l’épaule. D’ailleurs la tendinite de l’épaule est reconnue pour avoir le plus souvent des causes personnelles.
Pour ce qui est d’une lésion au poignet, il n’y a aucune sollicitation spécifique et nocive pour cette structure. Le geste est physiologique sans amplitude exagérée et encore moins pas de charge.
Pour ce qui est d’une synovite du poignet ou d’un kyste du poignet, pour les motifs précédents il n’y a pas de relation à établir.
[68] À l’audience, la travailleuse explique qu’avant de commencer son travail au convoyeur, elle allait chercher les sacs qui contiennent les pièces de tissu. Ces sacs qui pèsent environ 40 livres étaient habituellement déposés à l’étage inférieur et elle les montait un étage plus haut. Elle en montait une trentaine par jour : 15 sacs le matin et 15 sacs l’après-midi, un ou plus à la fois, selon le poids. Il lui est aussi arrivée d’aller décharger ses sacs du camion qui les apportait à l’entreprise ou encore de les traîner de l’élévateur à son poste de travail. Elle estime que cette tâche lui prenait environ deux heures par jour.
[69] Une fois les sacs apportés près du convoyeur, elle les ouvre et en sort des lots de pièces de tissu. Souvent pour aller plus vite, elle pose le sac sur sa table de travail, installée à la droite du convoyeur. Ces lots sont attachés par un lien en plastique qu’elle coupe à l’aide de ciseaux. Par la suite, elle place, à une fréquence de cinq secondes, les morceaux de tissu sur le convoyeur, les uns à la suite des autres, et les guide pour qu’ils soient cousus par la machine. Elle travaille la tête légèrement penchée pour s’assurer que les morceaux sont présentés correctement à la machine. Les morceaux cousus sortent en paquets à l’autre bout du convoyeur. Le nombre de morceaux de tissu par paquets varie entre 50 et 300 selon qu’il s’agit de petites ou grandes pièces de tissu.
[70] La travailleuse apporte les paquets sur une petite table, les attache avec de la corde en tirant très fort et les place dans des sacs. Lorsque le sac est plein, elle l’attache et l’apporte en le tirant au fond de la pièce. Elle estime qu’elle plaçait environ 6 000 morceaux de tissu par quart de travail, ce qui peut être vérifié puisque la machine est munie d’un compteur et que les données se retrouvent sur ses feuilles de production. Elle explique qu’elle fait le même travail tout au long de la journée et que le niveau de difficulté est plus élevé lorsque les morceaux à coudre sont très petits ou très grands, si le tissu est extensible, épais, doublé, ouaté, récemment imprimé ou mal repassé. Elle ajoute qu’elle travaillait souvent six jours par semaine, sur des quarts de travail de 8 à 12 heures.
[71] Les douleurs sont apparues dans les mois qui ont suivi le début de cet emploi. Elle avait mal au cou, aux bras, aux poignets et ses épaules brûlaient, douleurs qu’elle n’avait jamais ressenties avant d’effectuer ce travail. Elle a continué à travailler parce qu’elle considérait qu’il était normal d’avoir des douleurs à la fin de sa journée de travail. Elle a décidé de consulter un médecin au mois d’août 1999 parce que lorsqu’elle finissait sa journée de travail, elle avait les mains enflées, mal à la tête et les épaules qui brûlaient. Elle relie ses douleurs au cou, aux bras et aux épaules au fait qu’elle travaillait continuellement avec les bras dans les airs et attribue ses douleurs aux poignets à la manipulation des sacs et aux gestes posés pour attacher les piles de tissu à la sortie du convoyeur.
[72] Interrogée sur son emploi antérieur occupé d’août 1997 à février 1998, la travailleuse explique qu’elle effectuait un remplacement, travaillait environ 30 heures par semaine et faisait plusieurs petits travaux, par exemple couper des fils et virer des pantalons. Elle affirme qu’il lui arrivait de ressentir une certaine fatigue à la fin de son quart de travail, ce qui est différent des douleurs qui sont apparues en 1999. Elle ne se souvient pas s’être absentée de ce travail pour des raisons de santé et elle n’a jamais déposé de réclamation à la CSST avant le 31 août 1999.
[73] Par ailleurs, les notes de consultation médicale du 17 janvier 1998 rapportent une douleur au bras gauche et l’engourdissement des doigts; le médecin pose le diagnostic de tendinite et prescrit des anti-inflammatoires.
[74] Lors de l’audience du 29 janvier 2002, la travailleuse affirme qu’elle éprouve toujours des douleurs à la région cervicale, de moindre intensité que lorsqu’elle était au travail, et les céphalées ont disparu. Les douleurs au poignet droit sont toujours présentes.
[75] Lors de la poursuite d’audience du 10 mai 2002, la travailleuse indique qu’elle occupe un emploi depuis le 1er avril 2002. Elle effectue un travail léger dans une résidence pour personnes âgées. Son temps de travail est partagé entre la surveillance des bénéficiaires, le service aux tables et des tâches d’entretien ménager.
[76] Les représentants de la travailleuse et de la CSST ont confectionné un tableau récapitulatif décrivant, pour chaque journée travaillée par madame Mercier entre le 18 avril et le 14 août 1999, le nombre de minutes passées au convoyeur, le nombre de pièces manipulées et le nombre de pièces par minute. Ils ont de plus précisé si elle avait effectué d’autres tâches. Ils ont par la suite émis les commentaires suivants :
Commentaires de Me Josée Picard, représentante de la C.S.S.T. :
- Moyenne de minutes travaillées par jour : 406 minutes (28015 minutes / 69 jours)
- Nombre de jour(s) de plus de 10 heures au convoyeur = 1 jour (1 juillet 1990)
- Semaine de travail de plus de cinq (5) jours =2 semaines (sur 15 semaines de travail)
- Moyenne de pièces par jour = 3487 pièces / jour
- Moyenne de pièces par minute = 8.6 pièces / minute
- Nombre de jours où d’autres tâches ont été effectuées : 31 jours / 69 jours (i.e. 45%)
N.B. : noter qu’aux fins des calculs, les trois dernières feuilles du document E-1 n’ont pas été prises en compte puisqu’aucune donnée concernant le nombre de pièces n’était précisée pour ces semaines.
De plus, les chiffres indiqués dans le tableau ne concernent que le temps passé au convoyeur dont la travailleuse nous a parlé en preuve principale. Les autres activités dont il est fait mention sur les feuilles de production (trier, plier et/ou démêler les pantalons, trier les couleurs, couper le fil, overlock automatique, travailler avec les autres travailleuses, surveiller les autres travailleuses, etc.) n’ont pas été décrites en preuve principale. Il n’est donc pas possible de savoir s’ils constituent des mouvements répétitifs ou non.
Commentaires de Me Bruno Bégin, représentant de la travailleuse :
Les chiffres apparaissant au tableau donnent une indication de la productivité de madame Mercier, mais pas nécessairement de la répétitivité des mouvements. En effet, les moyennes sont affectées à la baisse par plusieurs facteurs dont, notamment :
- Occasionnellement, la travailleuse a eu à coudre des pantalons et des culottes courtes sur le convoyeur. De toute évidence, le rythme était plus lent avec ces pièces;
- Tel que la travailleuse l’a expliqué lors de son témoignage et tel qu’il est décrit dans le rapport de l’ergothérapeute, la travailleuse ne faisait pas que passer les morceaux dans la machine. Elle devait notamment manipuler les sacs et les paquets de vêtements avant qu‘ils soient passés sur le convoyeur et puis elle devait refaire des paquets et les attacher après que les vêtements aient été cousus. Forcément, la cadence de mouvements lorsque le travail s’effectuait au convoyeur était donc plus élevée que les chiffres au tableau ne le laissent croire. Par ailleurs, le reste du travail effectué autour du convoyeur impliquait également les membres supérieurs.
Selon les chiffres fournis par l’employeur pour la période du 19 avril au 13 août 1999, la travailleuse a été affectée au convoyeur pour 79% du temps travaillé.
ARGUMENTATION DES PARTIES
[77] Faisant référence à la description des tâches effectuées par la travailleuse telle que décrite dans l’évaluation de l’ergothérapeute, à la description fournie par la travailleuse elle-même ainsi qu’au vidéo, le représentant de la travailleuse estime que ce travail nécessite d’avoir constamment les bras en mouvement sans possibilité de les appuyer pour se reposer. Il précise que la travailleuse doit aussi aller porter des items loin devant elle afin de s’assurer que la couture s’effectue correctement, elle a alors les bras en élévation au-dessus du niveau des épaules.
[78] Il rappelle que le travail exercé par la travailleuse est un travail répétitif (6 000 pièces par quart de travail) et prétend qu’il s’agit, selon un extrait d’une étude réalisée par le National Institute for Occupational Safety and Health[2], d’un travail qui est à risque pour la production de lésions musculo-squelettiques au cou et à l’épaule, comme une cervico-brachialgie et une tendinite :
There is also reasonable evidence for a causal relationship between highly repetitive work and neck and neck/shoulder MSDs. Most of the epidemiologic studies reviewed defined « repetitive work » for the neck as work activities which involve continuous arm or hand movements which affect the neck/shoulder musculature and generate loads to the neck/shoulder area; fewer studies examined relationships based on actual repetitive neck movements. [...]
[79] Cette étude a été mentionnée dans l’expertise du docteur Dahan qui, lui aussi, concluait que le travail décrit était susceptible de causer le syndrome douloureux cervico-brachial identifié. Aussi, les autres médecins qui ont évalué la travailleuse, soit les docteurs Boulay, Pontbriand et Caron, affirment tous, sauf le docteur Ladouceur, que les symptômes présentés par la travailleuse sont reliés à son travail. Or, selon le représentant de la travailleuse, le docteur Ladouceur commet une erreur lorsqu’il affirme que la travailleuse répète le mouvement à toutes les 60 secondes alors que l’évaluation de l’ergothérapeute rapporte que ce geste est effectué 13 fois la minute, ce qui est conforme au témoignage de la travailleuse et au vidéo du poste de travail.
[80] Concernant le syndrome cervico-brachial, le représentant réfère aux études mentionnées au dossier et prétend que le travail exercé par la travailleuse comporte des risques pour l’apparition de lésions musculo-squelettiques au niveau cervical. Il considère que la preuve prépondérante répond aux critères de l’article 30 de la loi.
[81] En regard de la tendinite à l’épaule, le représentant de la travailleuse souligne que la tendinite est prévue à l’Annexe I de la loi et qu’en raison de l’existence d’un travail répétitif impliquant les membres supérieurs et sollicitant l’épaule, la présomption de l’article 29 de la loi trouve application et la lésion professionnelle devrait être reconnue.
[82] Finalement, au niveau du poignet, bien que le diagnostic ait été évolutif, il demande que le diagnostic de synovite soit retenu et en conséquence, que la présomption de l’article 29 de la loi soit également appliquée.
[83] La représentante de la CSST prétend, en ce qui a trait à la lésion cervicale, que seul le diagnostic d’entorse cervico-dorsale peut faire l’objet de la présente contestation puisque le docteur Caron a retenu ce diagnostic dans son rapport complémentaire. En conséquence, elle propose d’écarter l’expertise du docteur Dahan qui ne fait pas le lien avec le bon diagnostic puisqu’il parle d’une aggravation de discopathie cervicale. Quant aux rapports des docteurs Caron et Pontbriand, elle soumet qu’ils n’ont jamais expliqué en quoi il y avait relation entre la lésion et le travail exercé, ce qui empêche l’application de l’article 30 de la loi.
[84] En regard de la tendinite à l’épaule, la représentante de la CSST souligne notamment que ce diagnostic est apparu pour la première fois un an après l’arrêt de travail, soit en août 2000, alors qu’en octobre 2000, l’examen objectif du docteur Dahan rapporte un examen strictement normal de cette structure. Au surplus, il y a absence de mouvements répétitifs pouvant expliquer une telle lésion et elle souligne qu’une note de consultation médicale de janvier 1998, soit avant même l’entrée en fonction chez l’employeur, rapportait une douleur au bras gauche et des engourdissements dans les doigts.
[85] Finalement, en ce qui a trait au diagnostic de synovite du poignet droit, elle soumet que le tribunal n’est pas lié par le diagnostic parce qu’il n’a jamais été inscrit sur un rapport médical destiné à la CSST. Subsidiairement, elle invoque que le délai de trois ans entre l’arrêt de travail et l’apparition de ce diagnostic fait échec à l’application de la présomption édictée à l’article 29 de la loi et que la travailleuse n’a pas démontré avoir effectué des répétitions de mouvements ou de pressions sur des périodes de temps prolongées.
L’AVIS DES MEMBRES
[86] Le membre issu des associations syndicales et la membre issue des associations d’employeurs sont d’avis que les requêtes de la travailleuse devraient être accueillies en partie.
[87] Les membres considèrent que la preuve démontre que le travail impliquait des facteurs de risque importants pour le rachis cervical de même que des contraintes ergonomiques compatibles avec le diagnostic de cervico-brachialgie et ce d’autant plus que la travailleuse était porteuse de dégénérescence discale au niveau cervical susceptible de la rendre plus vulnérable.
[88] Les membres sont toutefois d’avis qu’il n’y a pas de preuve médicale prépondérante établissant une relation directe entre le travail et le diagnostic de tendinite à l’épaule gauche. En effet, la travailleuse était retirée du milieu de travail depuis un an lorsque ce diagnostic a été posé pour la première fois.
[89] Finalement, il leur apparaît évident, en tenant compte du témoignage de la travailleuse, du rapport de l’ergothérapeute et du vidéo du poste de travail, qu’elle a effectué des mouvements répétitifs de flexion et d’extension du poignet droit dans l’exécution de son travail. Médicalement, le protocole opératoire est venu préciser que le diagnostic est une synovite du poignet droit, diagnostic qui est en relation avec le travail.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[90] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si la travailleuse a subi une lésion professionnelle, sous forme de maladie professionnelle, ayant entraîné son arrêt de travail le 16 août 1999.
[91] La lésion professionnelle est définie comme suit à l’article 2 de la loi :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par:
« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;
__________
1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27.
[92] La travailleuse n’allègue pas avoir subi un accident du travail chez son employeur et la preuve soumise ne révèle la survenance d’aucun événement particulier survenu dans les jours précédant la première consultation médicale.
[93] La travailleuse allègue plutôt avoir développé des douleurs progressives au cou, aux épaules et aux poignets en exécutant son travail et elle demande de reconnaître qu’elle a développé une maladie professionnelle.
[94] La notion de maladie professionnelle est définie à l’article 2 de la loi et se lit comme suit :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par:
« maladie professionnelle » : une maladie contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui est caractéristique de ce travail ou reliée directement aux risques particuliers de ce travail;
__________
1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27.
[95] Cette définition doit se lire conjointement avec les articles 29 et 30 de la loi qui concernent spécifiquement la maladie professionnelle :
29. Les maladies énumérées dans l'annexe I sont caractéristiques du travail correspondant à chacune de ces maladies d'après cette annexe et sont reliées directement aux risques particuliers de ce travail.
Le travailleur atteint d'une maladie visée dans cette annexe est présumé atteint d'une maladie professionnelle s'il a exercé un travail correspondant à cette maladie d'après l'annexe.
__________
1985, c. 6, a. 29.
30. Le travailleur atteint d'une maladie non prévue par l'annexe I, contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui ne résulte pas d'un accident du travail ni d'une blessure ou d'une maladie causée par un tel accident est considéré atteint d'une maladie professionnelle s'il démontre à la Commission que sa maladie est caractéristique d'un travail qu'il a exercé ou qu'elle est reliée directement aux risques particuliers de ce travail.
__________
1985, c. 6, a. 30.
[96] Par l’introduction de la présomption de l’article 29 de la loi, le législateur facilite la démonstration de l’existence du lien causal entre les maladies et les genres de travail décrits à l’Annexe I. À défaut de correspondre à l’une des descriptions de l’Annexe 1, la travailleuse doit démontrer, en vertu de l’article 30 de la loi, que la maladie qu’elle invoque est caractéristique du travail exercé ou est reliée aux risques particuliers que comporte ce travail.
[97] Plusieurs diagnostics ont été posés concernant la région cervicale, l’épaule gauche et le poignet droit tout au long de l’investigation médicale. Toutefois, le dossier n’a pas été soumis à la procédure d’évaluation médicale et dans ce contexte, c’est l’opinion du médecin qui a charge de la travailleuse qui doit prévaloir.
[98] En ce qui a trait à une lésion cervicale, les médecins ont posé les diagnostics de cervico-brachialgie, entorse cervico-dorsale, DIM cervical et myozite des trapèzes.
[99] Après avoir revu avec attention les rapports médicaux et les notes de consultation des docteurs Boulay, Pontbriand et Caron qui ont au fil des mois assumé le suivi médical de la travailleuse, le tribunal retient que le diagnostic qui décrit le plus fidèlement la condition est celui de cervico-brachialgie.
[100] En effet, ces trois médecins ont, à un moment ou un autre, posé ce diagnostic ou consigné à leurs notes de consultation des données décrivant cette condition. Dans ce contexte, bien que le docteur Boulay ait posé le diagnostic d’entorse cervico-dorsale dès son deuxième rapport médical, la Commission des lésions professionnelles conclut, à la lumière de l’ensemble de la preuve médicale et des nuances et explications apportées par les docteurs Caron et Dahan, que le diagnostic d’entorse cervicale n’est pas le diagnostic principal retenu par les médecins qui ont assumé l’investigation dans ce dossier.
[101] En ce qui concerne la lésion au poignet droit, plusieurs diagnostics ont aussi été posés dans le cours de l’investigation. En effet, dès le premier rapport médical, une douleur au poignet droit est rapportée et par la suite on envisagera un kyste arthro-synovial, une déchirure carpo-ligamentaire et une synovite.
[102] L’investigation ayant été complétée par une chirurgie, c’est finalement le diagnostic de synovite du poignet qui a été retenu, le protocole opératoire ayant permis de constater l’absence de kyste ou de déchirure ligamentaire.
[103] En ce qui a trait à l’épaule gauche, seul le diagnostic de tendinite a été posé par le docteur Caron le 16 août 2000 et repris dans quelques rapports médicaux subséquents.
[104] Compte tenu de ce qui précède, le tribunal analysera la preuve en regard des diagnostics de cervico-brachialgie, tendinite de l’épaule gauche et synovite du poignet droit pour déterminer si la travailleuse a développé une maladie professionnelle.
[105] En présence de lésions musculo-squelettiques, comme c’est le cas dans le présent dossier, la présomption de maladie professionnelle édictée à l’article 29 de la loi réfère à la section IV de l’Annexe I de la loi qui se lit comme suit:
ANNEXE I
MALADIES PROFESSIONNELLES
(Article 29)
SECTION IV
MALADIES CAUSÉES PAR DES AGENTS PHYSIQUES
MALADIES |
GENRES DE TRAVAIL |
2. Lésion musculo-squelettique se manifestant par des signes objectifs (bursite, tendinite, ténosynovite): |
un travail impliquant des répétitions de mouvements ou de pressions sur des périodes de temps prolongées; |
[106] La Commission des lésions professionnelles conclut que la présomption prévue à l’article 29 de la loi ne peut recevoir application en regard du diagnostic de cervico-brachialgie puisque ce dernier ne fait pas partie des maladies énumérées à l’Annexe I.
[107] Il reste donc à vérifier, tel que le prescrit l’article 30 de la loi, si la travailleuse a démontré que cette condition est caractéristique du travail exercé ou qu'elle est reliée directement aux risques particuliers de ce travail.
[108] Dans le présent dossier, aucune preuve n’a été soumise en vue d’établir que la cervico-brachialgie était caractéristique du travail exercé par la travailleuse. Toutefois, le tribunal est d’avis que la preuve prépondérante, tant factuelle que médicale, démontre que la cervico-brachialgie développée par la travailleuse est directement reliée aux risques particuliers du travail exercé chez l’employeur.
[109] La preuve révèle tout d’abord qu’avant de débuter cet emploi, la travailleuse n’avait jamais éprouvé de douleurs cervico-dorsales. Ces douleurs sont apparues progressivement à compter du mois d’avril 1999 jusqu’à devenir intolérables et nécessiter une consultation médicale le 20 août 2000.
[110] La preuve non contredite révèle que le travail de couturière au convoyeur chez l’employeur exige d’avoir les membres supérieurs constamment en mouvement. Le témoignage de la travailleuse et le document vidéo établissent qu’il lui faut faire des aller-retour constant des bras pour prendre les morceaux de tissus posés sur une table à sa droite les déposer sur le convoyeur qui les présente à la machine à coudre.
[111] Le tribunal prend de plus en considération les explications non contredites de madame Mercier à l’effet qu’elle travaillait deux fois plus rapidement que sa collègue qui apparaît sur le vidéo.
[112] De plus, contrairement à sa collègue, la travailleuse n’utilisait pas de pallier pour s’élever et en conséquence, le convoyeur lui arrivait au niveau des côtes et elle avait les bras en extension lorsqu’elle secouait légèrement chacune des pièces de tissu avant de les déposer sur le convoyeur.
[113] L’évaluation du poste de travail réalisée par l’ergothérapeute le 29 août 2000 décrit les diverses tâches effectuées par la travailleuse. Sans en reprendre les détails, le tribunal conclut que les gestes constants des membres supérieurs à une hauteur variant entre la poitrine et la tête constituent un facteur de risque de développer une douleur cervico-brachiale comme le reconnaît la littérature médicale et le mentionnent le docteur Dahan et l’ergothérapeute.
[114] En effet, le docteur Dahan est d’opinion qu’il est plus probable que non que les contraintes ergonomiques auxquelles la travailleuse a fait face ont joué un rôle important dans l’apparition et la perpétuation de son syndrome douloureux.
[115] Lors de son évaluation, l’ergothérapeute conclut que la travailleuse saisit jusqu’à 6 000 pièces dans son quart de travail quotidien de 7,5 heures en tenant compte de l’estimation faite par la travailleuse. Cependant, les parties ont soumis, de consentement, un tableau dans lequel le nombre moyen de 3 487 pièces par jour est établi, ce qui revient à 8,6 pièces par minute.
[116] Même en retenant ce pourcentage moyen, le tribunal retient qu’environ 80 % de la tâche consistait à prendre et déposer les pièces de tissu sur le convoyeur. Ce travail était effectué rapidement, de façon répétée et en exécutant un mouvement d’extension et d’élévation des bras à environ 80°, ce qui exige un effort continu au niveau des trapèzes et entraîne une sollicitation du rachis cervical et ce même si les objets manipulés ne sont pas lourds.
[117] À ce travail s’ajoute la manipulation des sacs de tissu pesant environ 40 livres, ce qui sollicitait de façon significative les membres supérieurs puisque la travailleuse devait monter ces sacs à l’étage supérieur ou les tirer pour les déplacer.
[118] Selon l’expertise du docteur Ladouceur, la cadence des mouvements varie entre 60 secondes et deux minutes. De toute évidence, cette estimation n’est pas représentative de la réalité et s’écarte largement du tableau récapitulatif soumis par les procureurs des parties.
[119] Le tribunal ne retient pas l’opinion de ce médecin en regard de l’absence de relation entre une lésion cervicale et le travail dans la mesure où son appréciation du vidéo ne tient pas compte des précisions apportées par la travailleuse, notamment en ce qui a trait à sa posture de travail et au fait qu’elle travaillait deux fois plus rapidement que sa collègue.
[120] La Commission des lésions professionnelles considère que l’évaluation des tâches, effectuée par l’ergothérapeute, doit être retenue plutôt que l’opinion exprimée par le docteur Ladouceur. En effet, l’ergothérapeute identifie comme facteur de risque particulier de développer une lésion cervicale le fait que la travailleuse effectue, tout au long de son quart de travail, des mouvements répétés de flexion de l’épaule variant entre 60° et 80°.
[121] Par ailleurs, les examens par imagerie médicale ont démontré que la travailleuse présente une condition personnelle de dégénérescence discale au niveau cervical, ce qui peut être un élément qui rendait la travailleuse plus vulnérable à subir une lésion à ce niveau. Il est en conséquence plus probable que moins, comme le mentionnait le docteur Dahan, que la condition cervicale de la travailleuse ait été rendue symptomatique par les contraintes ergonomiques de son poste de travail qui présente des facteurs de risque significatifs.
[122] La Commission des lésions professionnelles conclut donc que la travailleuse a établi de façon prépondérante que le syndrome cervico-brachial qu’elle a développé à compter du mois d’avril 1999 est relié directement aux risques particuliers de son travail.
[123] Il faut maintenant déterminer si la tendinite de l’épaule gauche est attribuable au travail effectué par madame Mercier.
[124] Pour que la travailleuse puisse bénéficier de la présomption de maladie professionnelle édictée à l’article 29 de la loi, elle doit soumettre une preuve prépondérante établissant que son travail impliquait des répétitions de mouvements ou des pressions sur des périodes de temps prolongées.
[125] Le tribunal ayant retenu l’expertise de l’ergothérapeute qui démontrait que tout au long de son quart de travail, madame Mercier effectuait des mouvements répétés de flexion des épaules, il y a lieu de conclure à l’application de cette présomption.
[126] La Commission des lésions professionnelles doit maintenant déterminer si la preuve prépondérante démontre des éléments justifiant d’écarter l’application de cette présomption.
[127] Après une analyse attentive de la preuve soumise, le tribunal répond par l’affirmative à cette question.
[128] Dans un premier temps, il est important de rappeler qu’avant même de débuter son emploi au convoyeur, la travailleuse avait consulté son médecin, en janvier 1998, pour des douleurs aux épaules. Des anti-inflammatoires lui avaient été prescrits et aucune investigation n’avait été entreprise.
[129] Par ailleurs, lorsque la travailleuse consulte un médecin en août 1999, il n’est pas question d’une douleur à l’épaule gauche et aucun examen spécifique n’est fait de cette région anatomique. Ce n’est que le 16 août 2000 que le diagnostic de tendinite est posé pour la première fois par le docteur Caron et quelques semaines plus tard, soit le 6 octobre 2000, le docteur Dahan fait un examen exhaustif des épaules et conclut à un état de stricte normalité, tous les mouvements étant complets et la palpation n’étant pas douloureuse.
[130] Le tribunal croit qu’il faut distinguer le diagnostic de myosite des trapèzes posé par le docteur Pontbriand dès le 10 octobre 1999 et repris dans ses rapports médicaux subséquents et une lésion de type tendinite qui apparaît plus d’un an après que la travailleuse ait été retirée de son milieu de travail et qui s’est résorbée quelques semaines plus tard.
[131] En effet, le diagnostic de myosite des trapèzes correspond au tableau douloureux à la région cervico-dorsale décrite par les médecins consultés à la période contemporaine de l’apparition des symptômes. Les gestes répétés posés pour prendre et déposer les morceaux de tissu sur le convoyeur exercent une contrainte continuelle au niveau des trapèzes et sont donc compatibles avec l’apparition de douleurs à ce niveau.
[132] Par ailleurs, le tribunal considère que la preuve médicale ne contient pas d’éléments permettant d’expliquer l’apparition d’une lésion de type tendinite à une période bien spécifique et ce alors que la travailleuse était retirée de toute activité professionnelle depuis plusieurs mois.
[133] Dans ces circonstances, la Commission des lésions professionnelles conclut que le diagnostic de tendinite de l’épaule gauche n’est pas en relation avec le travail effectué.
[134] Il reste maintenant à statuer sur le diagnostic de synovite du poignet droit.
[135] Le diagnostic de synovite étant spécifiquement prévu à la section IV de l’Annexe I de la loi, la Commission des lésions professionnelles conclut que la travailleuse peut bénéficier de la présomption de maladie professionnelle édictée à l’article 29 de la loi.
[136] En effet, le témoignage de la travailleuse, le vidéo et l’évaluation du poste de travail par l’ergothérapeute démontrent que tout au long de son quart de travail, la travailleuse effectue des mouvements répétés de flexion et d’extension des poignets pour prendre, secouer et étendre les morceaux de tissu sur le convoyeur. De plus, les gestes effectués à plusieurs reprises chaque jour pour attacher les paquets et les sacs sollicitent de façon significative cette structure.
[137] Par ailleurs, dès la première consultation médicale, la travailleuse se plaignait de douleurs au poignet droit, une investigation a été entreprise et ce n’est que suite à la chirurgie que le diagnostic final de synovite a pu être confirmé.
[138] Dans ces circonstances, aucune preuve n’ayant été soumise justifiant d’écarter l’application de la présomption édictée à l’article 29 de la loi, la Commission des lésions professionnelles conclut que la synovite du poignet droit est en relation avec le travail effectué chez l’employeur.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
DOSSIER : 132262
ACCUEILLE la requête déposée par madame Carmen Mercier, la travailleuse;
INFIRME la décision la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 7 février 2000, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que la travailleuse a subi une lésion professionnelle, sous forme de maladie professionnelle, à savoir une cervico-brachialgie ayant entraîné son arrêt de travail le 20 août 1999; et
DÉCLARE que la travailleuse a droit aux prestations et indemnités prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
DOSSIER : 188371
ACCUEILLE en partie la requête déposée par madame Carmen Mercier, la travailleuse;
MODIFIE la décision la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 22 juillet 2002, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que la travailleuse a subi une lésion professionnelle, sous forme de maladie professionnelle, à savoir une synovite du poignet droit ayant entraîné son arrêt de travail le 20 août 1999; et
DÉCLARE que la travailleuse a droit aux prestations et indemnités prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
|
|
|
DIANE BESSE |
|
Commissaire |
|
|
|
|
|
|
|
|
Me Bruno Bégin |
|
Cyr, Hamel, Bégin et associés |
|
Représentant de la partie requérante |
|
|
|
|
|
M. Frédéric Dion |
|
Représentant de la partie intéressée |
|
|
|
|
|
Me Josée Picard |
|
Panneton, Lessard |
|
Représentante de la partie intervenante |
[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] UNITED STATES, DEPARTMENT OF HEALTH AND HUMAN SERVICES, PUBLIC HEALTH SERVICE, CENTERS FOR DISEASE CONTROL AND PREVENTION et B. P. BERNARD, Musculoskeletal Disorders and Workplace Factors : A Critical Review of Epidemiologic Evidence for Work-Related Musculoskeletal Disorders of the Neck, Upper Extremity, and Low Back, Washington, NIOSH, 1997.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.