COMMISSION D'APPEL EN MATIÈRE DE
LÉSIONS PROFESSIONNELLES
QUÉBEC MONTRÉAL, le 29 mars 1996
DISTRICT D'APPEL DEVANT LE COMMISSAIRE: Me Alain Archambault
DE MONTRÉAL
RÉGION: MONTÉRÉGIE AUDIENCE TENUE LE: 29 janvier 1996
DOSSIER:
63099-62-9410
DOSSIER CSST: À: Montréal
09599 6393
DOSSIER BRP:
6151 6102
MARCEL GARIEPY
1056, boul. Nobert
Longueuil (Québec) J4K 2N4
PARTIE APPELANTE
et
CANADIEN PACIFIQUE
A/S Dominique Joyal
C.P. 6042, Succ. Centre Ville #344
Montréal (Québec) H3C 3E4
PARTIE INTÉRESSÉE
et
COMMISSION DE LA SANTÉ ET DE LA
SÉCURITÉ DU TRAVAIL - MONTÉRÉGIE
25, boul. Lafayette, 5e étage
Longueuil (Québec) J4K 5B7
PARTIE INTERVENANTE
D É C I S I O N
Monsieur Marcel Gariépy (le travailleur) dépose, le 4 octobre 1994, à la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles (la Commission d'appel) une déclaration d'appel à l'encontre d'une décision rendue, le 9 août 1994, par le bureau de révision de la région de Longueuil (le bureau de révision).
Par cette décision majoritaire, le membre représentant les travailleurs étant dissident, le bureau de révision rejette la contestation logée, le 22 octobre 1993, par le travailleur et maintient la décision rendue, le 7 octobre 1993, par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la Commission) et qui se lit ainsi:
«Nous avons obtenu des renseignements à l'effet que vous touchez des revenus provenant de la vente de cigarettes et d'alcool. Nous n'avons jamais été avisés de ces sources de revenu, tel qu'indiqué aux dispositions prévues de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q., chapitre A-3-00.1).
Nous désirons vous aviser que vos prestations d'indemnité de remplacement du revenu seront suspendues à compter du 7 octobre 1993, en vertu de l'article 142.1A de la LATMP.»»
Le travailleur et l'employeur, la compagnie Canadien Pacifique ltée sont présents et/ou représentés à l'audience tenue par la Commission d'appel.
La Commission s'étant prévalu des dispositions prévues à l'article 416 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi), elle est représentée devant le tribunal.
OBJET DE L'APPEL
Le travailleur demande à la Commission d'appel d'infirmer la décision du bureau de révision, de déclarer que la Commission ne pouvait suspendre ses indemnités de remplacement du revenu et d'ordonner à la Commission de rembourser lesdites indemnités de remplacement du revenu.
LES FAITS RELATIFS AU LITIGE
Le travailleur est victime, le 7 février 1987, d'un accident du travail (ci-après nommé : la lésion initiale) alors qu'il est au service de l'employeur où il occupe l'emploi de conducteur. Il est indemnisé par la Commission. Le médecin du travailleur, le docteur Mohammed Maleki, neurochirurgien, complète un rapport final consolidant la lésion, séquelles de discopathie C5-C6 et C6-C7, le 2 mars 1989 et selon le rapport d'évaluation du docteur Maleki, il résulte de la lésion professionnelle une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles.
Le 12 avril 1989, la Commission rend une décision fixant à 13,90 % le pourcentage d'atteinte permanente de la lésion professionnelle et le travailleur est admis en réadaptation.
Le 20 juillet 1990, la Commission rend deux décisions. La première détermine l'emploi d'agent de sécurité comme étant l'emploi convenable pour le travailleur et détermine qu'il est apte à exercer cet emploi à compter du 18 juin 1990. La deuxième fixe l'indemnité réduite de remplacement du revenu. Cette décision mentionne de plus que cette indemnité réduite de remplacement du revenu sera révisée deux ans après la capacité, pour le travailleur, d'exercer son emploi convenable, c'est-à-dire le 18 juin 1992.
Le 31 juillet 1991, le travailleur complète une réclamation à l'effet qu'il fut victime, le 17 juillet 1991, d'une récidive, rechute ou aggravation (ci-après nommée : la rechute) de la lésion initiale. La Commission ayant compensé le travailleur, en lui versant une «pleine» indemnité de remplacement du revenu, elle a donc accepté la réclamation du travailleur. Il est à noter de plus que la Commission ne revise pas, le 18 juin 1992, l'indemnité réduite de remplacement du revenu, le travailleur recevant une «pleine» indemnité de remplacement du revenu.
Le 29 juillet 1992, la Commission rend une décision statuant que le travailleur est apte, à compter de cette date, à exercer son emploi convenable.
Le 21 juin 1993, madame Michèle Biron, employée de la Commission, complète une note de service quant à de l'information fournie par monsieur Brian Byrne, agent à la Gendarmerie Royale du Canada (G.R.C.) sur des activités illicites que le travailleur exerce ou a exercé dans le passé. Cette note de service se lit ainsi:
«Tél, le 17 juin 93 de Brian Byrne (939-8305) il m'informe qu'en Août 92 une perquisition au domicile du T. avait permis de retrouver pour $30,000.00 de produit de tabac et boisson alcoolisé dans son sous-sol. Le jugement sera rendu le 11 novembre 93 pour cette cause.
Une autre perquisition a permis de retrouver 5 à 6 mille dollards de marchandise, le T. avait beaucoup d'argent sur lui, il a dit qu'il venait de recevoir un chèque de 6000.00 de la CSST. Après vérification au dossier le seul 6000.00 pour APIPP a été versé en 89.
Cette enquête a fait découvrir que ce T. devait un assez gros montant à Revenu Québec. Mr. Burne a des preuves grosses comme le bras de tout cela.
Il m'informe qu'en n'importe quel moment, il pourrait venir témoigner contre ce T.
Il a vu le T. transporter des caisses de tabac, sans aucun problème.
Il m'informe que sa fille est avocate, il y a plusieurs contestations à ce dossier, voir dans le couvercle du dossier elles sont nommées.
Rechute en juillet 91
Au moment du renouvellement IRR réduite le 18 avril 9? le T. était en arrêt, suite à sa rechute. Nous avons donc fait le renouvellement automatiquement puisque le T. ne travaillait pas.
Il gagne 32.73/jour, la prochaine revision est prévue le 18 avril 95.
D'ici là, pouvons nous couper suite à cette fraude cette indemnité? (sic)»
Le 7 octobre 1993, la Commission rend la décision mentionnée au début de la présente, d'où la décision rendue, le 9 août 1994, par le bureau de révision et qui est l'objet du présent litige.
Le travailleur et l'agent Byrne ont témoigné devant la Commission d'appel. Il ressort de ces témoignages que le travailleur fut reconnu coupable quant à quatre infractions commises, entre le 18 août 1992 et le 10 février 1994, pour la vente illégale d'alcool et de cigarettes.
MOTIFS DE LA DÉCISION
En l'instance, la Commission d'appel doit décider si la Commission avait raison de suspendre les indemnités de remplacement du revenu à compter du 7 octobre 1993.
L'article 142 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (la loi) prévoit:
142. La Commission peut réduire ou suspendre le paiement d'une indemnité:
1Esi le bénéficiaire:
a)fournit des renseignements inexacts;
b)refuse ou néglige de fournir les renseignements qu'elle requiert ou de donner l'autorisation nécessaire pour leur obtention;
2Esi le travailleur, sans raison valable:
a)entrave un examen médical prévu par la présente loi ou omet ou refuse de se soumettre à un tel examen, sauf s'il s'agit d'un examen qui, de l'avis du médecin qui en a charge, présente habituellement un danger grave;
b)pose un acte qui, selon le médecin qui en a charge ou, s'il y a contestation, selon l'arbitre, empêche ou retarde sa guérison;
c)omet ou refuse de se soumettre à un traitement médical reconnu, autre qu'une intervention chirurgicale, que le médecin qui en a charge ou, s'il y a contestation, l'arbitre, estime nécessaire dans l'intérêt du travailleur;
d)omet ou refuse de se prévaloir des mesures de réadaptation que prévoit son plan individualisé de réadaptation;
e)omet ou refuse de faire le travail que son employeur lui assigne temporairement et qu'il est tenu de faire conformément à l'article l79, alors que son employeur lui verse ou offre de lui verser le salaire et les avantages visés dans l'article l80;
f)omet ou refuse d'informer son employeur conformément à l'article 274.»
Cette disposition donne la possibilité à la Commission de suspendre ou de réduire le paiement d'une indemnité versée à un travailleur, dans les cas qui y sont spécifiquement mentionnés.
Dans la présente affaire, le travailleur exploitant une «entreprise illicite» de vente d'alcool et de cigarettes et ne divulguant pas ce fait à la Commission, cette dernière a, dans sa décision du 7 octobre 1993, suspendu, à compter de cette date, le paiement des indemnités versées au travailleur et ce, en se prévalant du paragraphe 1a de l'article 142.
Donc, la première question que la Commission d'appel doit se poser est : Lorsqu'un travailleur exploite une entreprise illicite, doit-il en informer la Commission en vertu de l'article 278 de la loi?
Pour répondre à cette question, il y a lieu de se pencher, en tout premier lieu, sur le texte même de l'article 278 de la loi:
278. Un bénéficiaire doit informer sans délai la Commission de tout changement dans sa situation qui peut influer sur un droit que la présente loi lui confère ou sur le montant d'une indemnité.
(nos soulignements)
Il appert donc qu'un travailleur, bénéficiaire du régime d'indemnisation prévu par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[2], se voit obligé d'informer la Commission de tout changement dans sa situation, lorsqu'un tel changement est susceptible d'affecter un droit que lui confère cette loi ou d'influer sur le montant d'une indemnité.
Cette disposition nous apparaît d'abord comme un corollaire essentiel de l'article 52 de la loi qui prévoit ce qui suit:
52. Malgré les articles 46 à 48 et le deuxième alinéa de l'article 49, si un travailleur occupe un nouvel emploi, son indemnité de remplacement du revenu est réduite du revenu net retenu qu'il tire de son nouvel emploi.
(Nos soulignements)»
Nul doute, donc, qu'un travailleur qui occupe un nouvel «emploi», alors qu'il reçoit une indemnité de remplacement du revenu, est tenu de dévoiler cette information à la Commission, cette situation étant susceptible d'affecter le montant de l'indemnité versée.
Bien que la loi ne définisse pas ce qu'est un «emploi», elle donne, à l'article 1 de la loi, la définition suivante des termes «travailleur» et «employeur»:
«travailleur»: une personne physique qui exécute un travail pour un employeur, moyennant rémunération, en vertu d'un contrat de louage de services personnels ou d'apprentissage, à l'exclusion:
1o du domestique;
2o de la personne physique engagée par un particulier pour garder un enfant, un malade, une personne handicapée ou une personne âgée, et qui ne réside pas dans le logement de ce particulier;
3o de la personne qui pratique le sport qui constitue sa principale source de revenus;
«employeur»: une personne qui, en vertu d'un contrat de louage de services personnels ou d'un contrat d'apprentissage, utilise les services d'un travailleur aux fins de son établissement.»
Il en ressort qu'une personne liée à un employeur par un «contrat de louage de services personnels» ou un «contrat de travail», occupe, sans contredit, un «emploi». Aucun doute, non plus, quant au fait que le «revenu» tiré d'un tel emploi influera sur le montant de l'indemnité de remplacement du revenu qui est versé au travailleur et que ce dernier devra informer la Commission de cette situation, selon les termes de l'article 52 de la loi.
Mais, est-ce là le seul cas visé par l'article 52 de la loi? En d'autres mots, est-ce qu'un travailleur qui, plutôt que se voir partie à un contrat de travail, exploite une affaire pour son propre compte ne pourrait voir le montant de son indemnité de remplacement du revenu réduit aux termes de l'article 52 de la loi et serait, conséquemment, exempté de divulguer cette «situation» à la Commission?
Une décision de la Commission d'appel dans l'affaire Fournier et Dionne[3] semble répondre par l'affirmative à ces questions, statuant que seul le revenu obtenu en contrepartie de services fournis en vertu d'un contrat de louage de services personnels constitue un «revenu d'emploi» visé par l'article 52 de la loi. En l'espèce, le travailleur, bénéficiaire d'une indemnité de remplacement du revenu, exploitait parallèlement une érablière. Les revenus provenant de cette exploitation n'étaient autres, selon la Commission d'appel, que des «revenus d'entreprise» et ils ne pouvaient, de ce fait, être déduits de l'indemnité versée au travailleur.
Cette décision nous apparaît somme toute isolée. En effet, les autres décisions de la Commission d'appel que nos recherches nous ont permis de retrouver sur cette question n'hésitent pas à assimiler le revenu tiré d'une «entreprise» exploitée par un travailleur, pendant sa période d'incapacité, à un «revenu d'emploi» susceptible d'influer sur le montant de son indemnité de remplacement du revenu.[4]
Par exemple, dans l'affaire Guèvremont et Transport G.T.L. inc.,[5] la Commission d'appel statuait que le travailleur, bénéficiaire d'une indemnité de remplacement du revenu, devait informer la Commission qu'il recevait des revenus provenant de l'exploitation d'une entreprise de camionnage. Il s'agissait là, selon la Commission d'appel, d'un «revenu d'emploi» susceptible de mettre un frein à la continuation des versements d'indemnité de remplacement du revenu et, conséquemment, la Commission devait en être avisée:
«Si un travailleur qui continue de recevoir son revenu d'emploi durant sa période d'incapacité n'a pas droit à l'indemnité de remplacement du revenu, il est certain qu'il doit aviser la Commission du fait qu'il continue de recevoir un tel revenu. Il s'agit là d'un corollaire essentiel si l'on veut que la loi soit applicable. La Commission d'appel ne partage pas l'opinion du bureau de révision à l'effet que le travailleur n'a pas cette obligation du fait qu'aucune disposition de la loi ne la lui impose spécifiquement. Même si aucune disposition spécifique de la loi ne prévoit cette situation, il reste que le législateur ne peut avoir voulu qu'un travailleur qui continue de recevoir le même revenu d'emploi qu'avant son accident du travail bénéficie d'une indemnité de remplacement du revenu. C'est d'ailleurs pour éviter qu'un travailleur soit doublement compensé que le législateur a édicté les articles 52 et 278: (...)
Dans le présent dossier, le fait que le travailleur ait continué de recevoir son revenu d'emploi malgré son incapacité constitue sans aucun doute un fait qui influe sur son droit à une indemnité de remplacement du revenu. Le travailleur devait en informer la Commission sans délai.»[6]
Un bureau de révision rendait une décision analogue dans l'affaire Fardeau et Théberge automobile ltée.[7] En l'espèce, alors que le travailleur était toujours incapable de retourner à son emploi pré-accidentel de vendeur d'automobiles, la Commission découvrit elle-même, à la suite d'une enquête, que ce dernier opérait un commerce dans le domaine des communications. Contestant la suspension des versements d'indemnité de remplacement du revenu décrétée par la Commission, en application de l'article 142(1)a) de la loi, parce qu'il avait omis de révéler les revenus ainsi retirés, le travailleur plaidait que ce type d'activité n'avait aucun rapport avec sa guérison, donc aucune connexité avec sa lésion professionnelle. Citant l'article 52 de la loi, le bureau de révision jugeait, au contraire, que cette activité était susceptible de lui rapporter une rémunération et devait, pour cette raison, être déclarée aux termes de l'article 278 de la loi.
Donc, de l'avis de la Commission d'appel toute activité rémunératrice, qu'elle découle d'un contrat de travail ou d'une entreprise exploitée par un travailleur autonome, se doit d'être divulguée à la Commission et ce, pour s'assurer que le but compensatoire de la loi est respecté. «C'est le manque à gagner que la loi veut compenser»[8] et les articles 52 et 278 de la loi répondent au voeu du législateur qu'un travailleur ne soit pas doublement rémunéré lorsqu'il est victime d'un accident du travail au sens de la loi.
Par ailleurs, bien que cette question ne fut jamais discutée dans les décisions précitées, nous croyons, eu égard à l'objet de la loi, que le principe demeure le même peu importe le fait que le travailleur concerné tire ce revenu d'une entreprise «illicite» au sens de lois pénales ou criminelles.
D'une part, compte tenu des éléments précédemment exposés quant au but de l'indemnisation, il nous paraît que le législateur ne peut avoir voulu qu'un travailleur qui, alors qu'il est incapable de retourner à son travail pré-accidentel, exerce une activité rémunératrice ne soit pas tenu de divulguer les revenus qu'il en retire et ce, parce que telle activité est jugée «illégale» par une loi criminelle. Il nous semblerait pour le moins incongru qu'un bénéficiaire puisse se retrancher derrière cette «illégalité» pour bénéficier d'une double rémunération, donc d'une indemnisation plus avantageuse que les justiciables qui exercent, eux, des activités honnêtes.
Il a été dit, déjà, par la Commission d'appel, qu'un travailleur ne pouvait ajouter à ses revenus une somme d'argent gagnée «au noir». La Commission d'appel indiquait alors qu'elle n'entendait pas cautionner ce type de travail illégal afin de permettre au travailleur d'obtenir une indemnité de remplacement du revenu supérieure à laquelle il aurait droit nonobstant ce dernier.[9]
Le soussigné est d'opinion qu'un tel raisonnement va tout à fait dans le sens d'une saine gestion du régime d'assurance relevant de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[10] (la loi) et que l'intérêt public commande que les seuls gains qui puissent être comptabilisés aux fins d'obtenir une indemnisation soient ceux qui ont été légalement obtenus. De la même façon, la Commission d'appel est d'avis qu'il serait tout aussi contraire à l'ordre public que des gains illicites puissent être soustraits de la connaissance de la Commission pendant la période d'incapacité du travailleur dans le seul but, encore là, d'obtenir une indemnité supérieure à même les fonds de la collectivité.
De plus, il nous semble opportun de souligner à nouveau que l'article 278 de la loi décrète l'obligation d'aviser la Commission de tout changement de situation qui «peut influer sur un droit qui lui est conféré par la loi», et non seulement sur le montant de l'indemnité elle-même.
Cet extrait nous porte à penser qu'au-delà même de la question du revenu tiré d'une activité, légale ou illégale, il reste que l'activité elle-même, par la nature des gestes physiques qu'elle force le travailleur à poser, pourrait avoir une incidence sur son «droit» aux bénéfices de la loi. Il importe donc, de l'avis de la Commission d'appel, que la Commission soit avisée du fait que le travailleur s'adonne à quelque travail pendant sa période d'incapacité, cela, afin de pouvoir statuer de façon éclairée sur sa capacité de retourner à son emploi pré-accidentel.
En effet, et tel qu'exprimé encore une fois dans l'affaire précitée Fardeau et Théberge automobile ltée[11], le fait, pour un travailleur, d'opérer un commerce, d'y effectuer des tâches de gérance ainsi que bien d'autres tâches connexes, implique non seulement que celui-ci est en mesure de recevoir une rémunération pour ce travail, mais n'implique-t-il pas, aussi, que ce dernier est en mesure d'exercer des tâches qui pourraient être jugées analogues à celles de son emploi pré-accidentel? Les articles 44 et 46 de la loi n'exigent-ils pas, eux aussi, que le travailleur divulgue les tâches de l'occupation exercée pour permettre à la Commission de juger de sa condition physique?
Ainsi, dans l'affaire Leduc et Demers machinerie inc.,[12] alors que le travailleur alléguait être toujours incapable de retourner à son emploi pré-accidentel, la Commission apprit, à la suite d'une enquête, que ce dernier exerçait des fonctions de «pompier volontaire» pour sa municipalité, à chaque occasion. Analysant les tâches inhérentes à une telle activité, la Commission d'appel décidait qu'elle avait en main suffisamment d'éléments pour lui permettre de conclure de façon probante que le travailleur était capable d'accomplir son travail habituel «d'homme d'entretien général» et qu'il n'avait plus droit, conséquemment, à l'indemnité de remplacement du revenu qui lui était versée.
La Commission d'appel est donc d'avis qu'il y a lieu, pour la détermination même des droits du travailleur en vertu de la loi, que celui-ci divulgue toute activité susceptible d'avoir quelque influence sur ceux-ci et tel est le cas, de l'avis de la Commission d'appel, d'une activité de «vendeur», qu'il s'agisse de vente licite, ou encore de vente illicite tel la «contrebande de tabac et d'alcool».
Si un travailleur «omet» de fournir un tel renseignement à la Commission, cette dernière est-elle justifiée d'appliquer l'article 142(1)a) de la loi?
De l'avis de la Commission d'appel, cela ne fait pas de doute.
En effet, l'article 278 de la loi oblige, comme on l'a vu, tout travailleur à fournir, à la Commission, toutes les informations importantes relatives à la gestion de son dossier, alors que l'article 142(1)a) de la loi prévoit spécifiquement que la Commission peut réduire ou suspendre le paiement d'une indemnité de remplacement du revenu lorsqu'un bénéficiaire fournit des renseignements inexacts.
Bien que l'article 142(1)a) de la loi emploie le terme «fournit» et que, lorsque le travailleur fait défaut de renseigner la Commission sur ses activités, il y a plutôt «omission», il nous semble bien qu'il s'agit là d'actions équivalentes. En effet, il nous semble qu'un tel comportement est naturellement assimilable à une «inexactitude» et qu'il doit être sanctionné de la même manière.
Par exemple, dans l'affaire Filion et Portes Centenaires ltée[13], la Commission d'appel a décidé que c'était à bon droit que l'article 142(1)a) de la loi avait été appliqué au travailleur qui avait «omis» d'aviser la Commission qu'il exerçait des activités rémunératrices, travaillant dans différents bars, cela, en contravention des termes de l'article 278 de la loi.
De même, l'article 142(1)a) de la loi fut également appliqué à un travailleur qui continuait de recevoir des revenus de son entreprise de camionnage pendant sa période d'incapacité, omettant d'en aviser la Commission. Le bureau de révision indiquait alors ceci:
«La jurisprudence en semblable matière a toujours reconnu que l'omission était équivalente à l'action de fournir des renseignements inexacts. Le terme «fournir», employé par ce paragraphe de l'article 142, recouvre donc l'action positive (sic) comme l'omission, le tout étant équivalent».[14]
Il nous apparaît donc clair que, devant l'omission d'un travailleur de divulguer les renseignements exigés par l'article 278 de la loi, la suspension d'indemnités prévue par l'article 142(1)a) de la loi est bel et bien appropriée.
L'avocate du travailleur a argumenté que l'on ne pouvait obliger le travailleur à fournir les informations requises par l'article 278 de la loi, car cette obligation serait contraire aux dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés[15] (la Charte). En d'autres termes, obliger un travailleur à fournir les informations requises par l'article 278 de la loi est-il contraire aux dispositions de la Charte lorsque ce dernier craint que la divulgation de telles informations l'incrimine au niveau pénal? Ici le travailleur fut reconnu coupable à quatre reprises de contrebande de cigarettes et d'alcool.
Cette interrogation soulève d'abord la question de l'applicabilité de la Charte canadienne des droits et libertés en pareil cas.
S'agissant de remettre en cause la constitutionnalité d'une législation, ou encore d'une action de l'État basée sur une telle législation, qui exige la divulgation de certaines informations de la part d'un administré, il y a lieu de reconnaître que la Charte pourrait trouver application.
Il nous faut donc analyser s'il y a violation d'un droit fondamental lorsque, par le biais de l'article 278 de la loi, la Commission exige d'un bénéficiaire qu'il lui fasse part de tout changement dans sa situation qui peut influer un droit que cette loi lui confère ou sur le montant d'une indemnité. Cela, dans le cas où ce bénéficiaire craint que le dévoilement de tels renseignements l'incrimine dans d'éventuelles procédures pénales. Y a-t-il alors violation de la «présomption d'innocence» garantie par l'article 11 (d) de la Charte, ou encore de quelque droit le protégeant contre «l'auto-incrimination» au sens de l'article 11 (c)?
La Commission d'appel est d'avis que non.
Ces dispositions, qui nous apparaissent interreliées, se lisent ainsi:
«11. Tout inculpé a le droit:
(...)
(c)de ne pas être contraint de témoigner contre lui-même dans toute poursuite intentée contre lui pour l'infraction qu'on lui reproche
(d)d'être présumé innocent tant qu'il n'est pas déclaré coupable, conformément à la loi, par un tribunal indépendant et impartial à l'issue d'un procès public et équitable
(...)»[16] (Notre soulignement)
D'abord, la simple lecture de ces dispositions nous indique que seul «l'inculpé» se voit reconnaître quelque garantie constitutionnelle à l'encontre de l'auto-incrimination. Ce terme ne peut faire référence, selon la jurisprudence des tribunaux supérieurs, qu'à une «affaire criminelle ou pénale»[17]. Ainsi s'exprimait le juge Wilson dans l'arrêt R. c. Wigglesworth[18]:
«À mon avis, l'interprétation plus restrictive de l'article 11, préconisée par la majorité des auteurs mentionnés précédemment, est en fait la bonne façon d'interpréter cet article. Les droits garantis par l'article 11 de la Charte peuvent être invoqués par les personnes que l'État poursuit pour des infractions publiques comportant des sanctions punitives, c'est-à-dire des infractions criminelles, quasi criminelles et de nature réglementaire, qu'elles aient été édictées par le gouvernement fédéral ou par les provinces.»
(Nos soulignements)
Cela dit, De Montigny, citant la Cour suprême dans l'affaire précitée, donnait certains indices permettant de reconnaître qu'une affaire est de nature «criminelle ou pénale» au sens de l'article 11 de la Charte:
«Ceci étant dit, à quels indices pourrons-nous reconnaître qu'une affaire est de nature «criminelle ou pénale»? Toujours selon la Cour suprême, il semble bien qu'une affaire pourra relever de l'article 11 «soit parce que, de par sa nature même, il s'agit d'une procédure criminelle, soit parce qu'une déclaration de culpabilité relativement à l'infraction est susceptible d'entraîner une véritable conséquence pénale.[19]
Dans l'affaire Dubois c. R.,[20] faisant également référence à un contexte criminel, la Cour suprême définissait ainsi la garantie de la «présomption d'innocence» prévue à l'article 11 (d) de la Charte:
«L'alinéa 11 d) impose à la poursuite le fardeau de démontrer la culpabilité de l'accusé hors de tout doute raisonnable ainsi que de présenter sa preuve contre l'accusé avant que celui-ci n'ait besoin de répondre, soit en témoignant soit en citant d'autres témoins. Comme le juge Laskin (plus tard Juge en chef) l'a écrit dans l'arrêt R. c. Appleby, [1972] R.C.S. 303, à la p. 317:
Le «droit à la présomption d'innocence»... signifie, en termes populaires, que le fardeau ultime d'établir la culpabilité incombe au ministère public. Si, à la fin des plaidoiries, il existe un doute raisonnable relativement à tout élément de l'accusation, le prévenu doit être acquitté. Plus précisément, la présomption d'innocence donne au prévenu l'avantage initial du droit au silence et l'avantage ultime (après la présentation de la preuve du ministère public et de toute autre preuve pour le compte du prévenu) de tout doute raisonnable: voir Coffin v. U.S. (1895), 156 U.S. 432 à la p. 452.»[21]
En ce qui a trait à l'article 11 (c) de la Charte, les tribunaux ont adopté une attitude tout aussi restrictive, soulignant, encore là, que cette disposition ne s'appliquait qu'aux personnes contre lesquelles une accusation avait été portée et uniquement lorsqu'une poursuite est intentée contre elles pour l'infraction qu'on leur reproche.[22]
De l'avis de la Commission d'appel, il découle de ces quelques préceptes que ces garanties visent le droit d'un «accusé», en matière criminelle, de bénéficier d'une preuve complète lors de son «procès». Cette preuve doit être apportée par la Couronne et ce dernier n'est alors nullement tenu d'y participer en rendant témoignage. De plus, cette protection se trouve en quelque sorte renforcée par l'article 13 de la Charte qui veille, quant à lui, à ce que le «témoignage» qu'a pu fournir cet «accusé», antérieurement à son procès, ne soit pas utilisé pour l'incriminer lors dudit procès. Cette disposition, qui apparaît plus large que l'article 5 de la Loi sur la preuve au Canada[23] puisqu'elle n'a pas besoin d'être préalablement invoquée, se lit ainsi:
«13. Chacun a droit à ce qu'aucun témoignage incriminant qu'il donne ne soit utilisé pour l'incriminer dans d'autres procédures, sauf lors de poursuites pour parjure ou pour témoignages contradictoires.»[24]
Il a été bien établi, encore là, que cette disposition, bien qu'elle constitue également un rempart contre l'auto-incrimination, ne peut-être de quelque secours qu'au moment même du procès où l'on tente d'utiliser un «témoignage antérieur» pour incriminer son auteur[25]. Elle ne se rapporte donc pas au moment où le témoignage est donné et n'exempte aucunement une personne de livrer une déclaration, lorsque celle-ci est légalement tenue de le faire.
Ainsi, et peu importe la question de savoir si les informations exigées par l'article 278 de la loi constituent, une fois livrées, un véritable «témoignage» au sens où l'entend la Charte, il reste que, de l'avis de la Commission d'appel, les articles invoqués n'accordent de protection contre «l'auto-incrimination» qu'à une personne qui est formellement «accusée» au terme d'une affaire criminelle et que le «droit au silence» ne lui sera reconnu qu'au moment du procès qui en découlera:
«En common law, un témoin avait le privilège de refuser de répondre à une question lorsque cette réponse pouvait tendre à l'incriminer. Ce privilège de common law a été aboli par le par. 5(1) de la Loi sur la preuve au Canada. Toutefois, le par. 5(2) de la Loi prévoit:
(2) Lorsque, relativement à quelque question, un témoin s'oppose à répondre ... bien que ce témoin soit ... forcé de répondre, sa réponse ne peut pas être invoquée et n'est pas admissible à titre de preuve contre lui dans une instruction ou procédure criminelle exercée contre lui par la suite ...
De toute évidence, cette forme limitée de protection contre l'auto-incrimination ne s'applique pas aux procédures dans lesquelles le témoignage est recueilli et ne s'applique qu'aux procédures subséquentes (Di Iorio c. Gardien de la prison de Montréal, [1978] 1 R.C.S. 152, aux pp. 219 et 220). En d'autres termes, elle s'applique dans les procédures subséquentes dans lesquelles celui qui était témoin est devenu l'accusé. Par conséquent, le par. 5(2) a, dans une certaine mesure, déplacé le point focal de la protection contre l'auto-incrimination des procédures dans lesquelles le témoignage est donné aux procédures subséquentes dans lesquelles le témoin est devenu l'accusé.
L'accent mis sur les procédures subséquentes est encore plus prononcé dans l'art. 13 de la Charte. (...)»[26]
D'ailleurs, analysant l'ensemble de la jurisprudence postérieure à l'adoption de la Charte, sur cette question, De Montigny en venait à la conclusion que les tribunaux ne relevaient jamais une personne de l'obligation de divulguer des informations au cours d'une «enquête administrative», ou au cours de procédures «civiles», au motif que celles-ci pourraient tendre à l'incriminer au pénal, si elles étaient divulguées.[27]
S'il semble bien établi que ni l'article 11, ni l'article 13 de la Charte ne peuvent être invoqués pour dispenser une personne de fournir des informations requises par la loi dans un contexte non criminel, nous ne pouvons passer sous silence que d'aucuns se sont tournés vers l'article 7 de ce document constitutionnel pour se voir reconnaître une telle dispense. Il se lit comme suit:
«7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne, il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.»[28]
Bien que la portée de cet article puisse sembler plus large que celle des articles 11 et 13, la Cour d'appel fédérale nous enseignait, dans l'affaire Seth c. Ministère de l'Emploi et de l'Immigration,[29], qu'il ne pouvait, non plus, être valablement invoqué pour dispenser un individu de répondre à des questions qui lui étaient posées dans un cadre purement administratif, au motif que ses réponses pourraient avoir pour conséquence de l'incriminer dans un processus criminel ultérieur.
Dans cette affaire, Seth, le requérant, était entré au Canada en qualité de visiteur et, après avoir perdu cette qualité, il a été accusé de divers actes criminels. Au cours d'un enquête, tenue en vertu de l'article 27 de la Loi sur l'immigration, Seth a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention et demandé l'ajournement de la procédure au premier palier d'audience jusqu'à l'issue de son procès au criminel. Cela, parce qu'il serait tenu de fournir, au premier palier d'audience, des éléments ayant trait à ses antécédents qui pourraient porter atteinte à son «droit de garder le silence» au moment de son procès, droit qui lui était reconnu, selon lui, par l'article 7 de la Charte.
Au départ, la Cour d'appel fédérale établissait de nouveau que l'article 11 de la Charte ne pouvait s'appliquer en l'espèce, puisqu'il ne visait que des procédures relatives à des «accusations», ce qui n'était pas le cas lors d'une enquête tenue par le ministère de l'Immigration.
D'autre part, elle réitérait que ni l'article 13 de la Charte, ni l'article 5(2) de la Loi sur la preuve au Canada[30] ne soustrayait le témoin de l'obligation de témoigner, ni ne prévenait la présentation, au cours de poursuites criminelles subséquentes, d'éléments de preuve découverts en conséquence d'un tel «témoignage».
Traitant ensuite du type de protection dont jouissait une personne «accusée» au criminel et par ailleurs tenue de divulguer des informations dans des procédures civiles ou administratives qui risquaient de devenir des éléments de preuve au niveau pénal, la Cour d'appel fédérale s'en remettait aux propos du juge MacFarlane de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique, dans l'arrêt Haywood Securities:[31]
«Je suis d'accord que, si les procédures n'avaient pas d'autre objet que de réunir des éléments de preuve à l'appui d'une accusation ou de faciliter l'engagement de poursuites criminelles contre le témoin, on pourrait soutenir que ce témoin ne devrait pas être contraint à révéler des renseignements susceptibles d'entraîner une déclaration de culpabilité contre lui. Toutefois, selon moi, il n'en serait ainsi que si les procédures au cours desquelles ce témoignage a été donné étaient tellement dépourvues de toute fin publique légitime et si délibérément conçues pour faciliter l'engagement de poursuites contre le témoin qu'il serait injuste de permettre qu'elles continuent. Dans de pareilles circonstances, la continuation des procédures pourrait être considérée comme une violation des principes de justice fondamentale.
(...)
Il faut se rappeler, en déterminant si des procédures violent un droit, que les droits conférés par la Charte ne sont pas absolus... Il faut considérer les droits d'une personne en regard de ceux des autres individus et des besoins de la société en général. Le droit d'interroger une personne dans le but de permettre l'exécution d'un jugement est un droit qui doit être respecté et protégé - un droit individuel mais également un droit qui sert l'intérêt public. L'administration de la justice civile exige une divulgation complète des éléments de preuve, le droit d'interroger les parties et d'obtenir la communication des documents pertinents. La justice fondamentale exige que l'on considère le droit d'un témoin en regard de la liberté des autres personnes d'exercer les recours qui leur sont accordés par la loi.
(...).»[32] (Nos soulignements)
La Cour d'appel fédérale faisait également état de l'affaire Tyler,[33] affaire dans laquelle une personne, accusée d'actes criminels reliés aux stupéfiants, invoquait ne pas être obligée de répondre aux questions du Ministère du Revenu quant à des revenus possiblement non déclarés:
«Il appert cependant que l'article 7 peut assurer dans certains cas une protection résiduelle au-delà des garanties des articles 8 à 14 de la Charte. On peut citer à ce propos cette conclusion du juge La Forest dans Thomson Newspapers, à la page 537:
Comme mes collègues, je suis prêt à reconnaître que l'art. 7 de la Charte peut accorder, à tout le moins dans certains cas, aux intérêts que le droit vise à protéger une protection résiduelle qui va au-delà de la protection spécifique prévue par l'al. 11c) et l'art. 13.
À mon avis, la production forcée de ces états, qu'exigeait l'intimé en application de l'alinéa 231.2(1)a), reviendrait à priver l'appelant de son droit à la liberté et à la sécurité de sa personne, que garantit l'article 7. Cette approche serait conforme à l'analyse faite dans Thomson Newspapers par Mme le juge Wilson, aux pages 459 à 461, le juge La Forest, à la page 536, et le juge L'Heureux-Dubé, aux pages 572 et 573.
Je conviens cependant que, en cas de vérification d'impôt, cette atteinte ne constitue pas une violation des principes de justice fondamentale. Dans une vérification d'impôt proprement dite, il n'y a ni suspect ni accusé. Il s'agit d'une procédure entièrement administrative.»[34]
(Nos soulignements)
Finalement, la Cour d'appel fédérale concluait, toujours dans l'affaire Seth, que le requérant n'avait pas droit à l'ajournement réclamé, et peu importait, en l'espèce, sa crainte que les renseignements qu'il se voyait tenu de fournir lors de l'enquête administrative du ministère de l'Immigration ne servent contre lui dans des procédures criminelles. Elle résumait ainsi ses motifs:
«1)Une enquête en matière d'immigration n'est pas un procès, ni au criminel ni au civil, (voir l'arrêt Re Cheung et Ministre de l'Emploi et de l'Immigration). Il n'y a ni suspect ni accusé; la procédure est entièrement de nature administrative; il n'y a pas imputation de responsabilité, criminelle ou autre, au demandeur; le seul mandat de l'enquête, en l'espèce, est de déterminer le minimum de fondement de la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention présentée par le demandeur; elle n'a aucun rapport avec le procès criminel qui doit avoir lieu, ni avec les personnes participant à l'enquête criminelle ou au déroulement de ce procès. L'enquête a pour objet d'établir si le demandeur éprouve une crainte justifiée d'être persécuté dans le pays dont il a la nationalité, l'Inde en l'occurrence, et non d'établir s'il a violé des lois pénales canadiennes;
2)La preuve documentaire que doit déposer le requérant est essentielle aux travaux du tribunal dans l'exercice de son mandat; en son absence, le tribunal ne peut que rejeter la revendication;
3)L'utilisation du témoignage forcé du requérant, s'il décidait de témoigner, est protégée dans des poursuites subséquentes au criminel par l'article 13 de la Charte;
4)Le juge présidant le procès criminel pourrait exclure toute preuve documentaire ou dérivée s'il arrivait à la conclusion que cette preuve n'aurait pas été découverte sans le témoignage forcé du requérant au cours de l'audition visant sa revendication du statut de réfugié au sens de la Convention;
5)Le public canadien a un intérêt primordial à voir les revendications du statut de réfugié jugées dans les meilleurs délais. Le législateur a dit clairement qu'il importait d'agir rapidement et que l'arbitre devait s'assurer que l'obligation légale de tenir une enquête était remplie dans un délai raisonnable.
6)En l'espèce, et cela est des plus important, l'utilisation, dans le procès criminel à venir, de tout élément de preuve obtenu au cours ou par le biais de l'enquête, est hautement spéculative et conjecturale. En l'absence d'un préjudice réel et incontestable causé à l'accusé, les accusations criminelles dont un individu fait l'objet ne devraient pas, en elles-mêmes, empêcher l'État de poursuivre des enquêtes administratives régulières n'ayant aucun rapport avec les accusations portées.»[35]
La Commission d'appel est d'avis que ces motifs de la Cour fédérale d'appel, pour refuser l'ajournement demandé en l'espèce, pourraient, de la même façon, s'appliquer au cas d'un travailleur qui se réclamerait du droit de ne pas répondre aux prescriptions de l'article 278 de la loi par crainte d'éventuelles poursuites criminelles.
Aussi, il apparaît à la Commission d'appel qu'un travailleur ne peut invoquer la Charte en pareil cas et ce, pour les raisons suivantes:
1)le processus d'indemnisation de la Commission, cadre dans lequel les informations sont requises, est essentiellement administratif, donc aucunement criminel, ce qui exclut d'emblée toute application de l'article 11 de la Charte;
2)l'utilisation de «déclarations» faites à la Commission, en application de l'article 278 de la loi dans des procédures criminelles ultérieures, pourrait sans doute être appréciée par le juge au procès, à la lumière de l'article 13 de la Charte;
3)le public, dont les fonds sont impliqués chaque fois qu'un bénéficiaire réclame le paiement d'une indemnité, a un intérêt primordial à ce que telles réclamations soient traitées de la façon la plus juste possible; et
4)l'utilisation, lors d'un éventuel procès criminel de «déclarations» qui pourraient avoir été faites à la Commission, demeure spéculative et conjecturale, et encore davantage lorsque le bénéficiaire n'est qu'un «accusé potentiel» lorsque l'information est requise.
Il nous paraît pertinent d'ajouter à ces considérations les propos du juge Gendreau de la Cour d'appel du Québec, dans l'affaire Louys Lapointe c. C.A.L.P.,[36] alors qu'il était appelé à se prononcer sur la portée de la protection constitutionnelle accordée par l'article 8 de la Charte, eu égard aux fouilles abusives. Disposant d'abord que l'enregistrement illégal d'une conversation par le biais d'un appareil électronique constituait bel et bien une «fouille abusive» au sens de la Charte, il refusait, d'un même souffle, d'exclure la preuve ainsi obtenue et rappelait qu'une garantie constitutionnelle ne revêtait pas un caractère absolu et qu'à tout événement, la bonne marche de la justice et la recherche de la vérité devaient, dans le contexte d'une indemnisation à même des fonds publics, primer les droit individuels d'un individu. Ainsi s'exprimait-il:
«En second lieu, il faut garder à l'esprit que le recours de l'appelant est celui d'un employé qui cherche une indemnisation, d'un fonds public, ouvert à tout travailleur accidenté du travail sans égard à sa faute ou celle de son employeur et constitué des cotisations patronales et ouvrières. Il appartient donc au requérant de démontrer, selon une preuve civile, qu'il est un accidenté du travail et qu'il a droit au bénéfice réclamé. Le rôle du tribunal administratif chargé d'examiner cette preuve, au premier comme au second niveau, est de rechercher la vérité; il doit voir à ce que le salarié qui y a droit soit correctement indemnisé par ce fonds public et à ce que, par ailleurs, soit exclue toute réparation à celui qui ne rencontre pas les critères établis par le législateur. Outre que cette compétence soit celle conférée par la loi, elle est aussi, à mon avis, conforme aux attentes du public. En somme, en cette matière, il ne s'agit plus de protéger le droit d'un accusé à ne pas être conscrit contre lui-même par l'autorité publique, principe fondamental de notre droit pénal, mais d'assurer la juste indemnisation des victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle et d'éviter que les fonds publics ne soient détournés des fins pour lesquelles ils sont constitués.»[37] (Nos soulignements)
Au terme de ce survol des dispositions de la Charte protégeant l'auto-incrimination, la Commission d'appel est d'avis que le travailleur ne peut, en l'instance, invoquer les dispositions de la Charte pour se soustraire de l'article 278 de la loi. Les informations requises par cet article sont essentielles à la bonne marche du dossier du réclamant et le but de leur collecte n'est aucunement de rechercher quelque indice relié à la commission d'une infraction, mais plutôt de s'assurer que ce dernier ne reçoive, ni plus ni moins, que ce à quoi il a droit.
À notre avis, le travailleur, cherchant à être indemnisé à même des fonds publics, se doit de fournir tous les renseignements ayant une incidence sur cette indemnisation et il ne saurait invoquer quelque droit fondamental en vue de se soustraire à cette exigence sans porter atteinte, du même coup, aux droits de la collectivité toute entière à une saine administration de ce régime d'assurances public. Le législateur ne peut avoir voulu que les droits conférés par la Charte conduisent à cautionner la dissimulation de renseignements qu'il juge tellement importants et essentiels qu'il a rattaché à leur respect une double sanction, soit celle prévue à l'article 142(1)a) de la loi et celle de nature pénale prévue à l'article 463 de la loi qui se lit ainsi:
463. Quiconque agit ou omet d'agir, en vue d'obenir un avantage auquel il sait ne pas avoir droit ou de se soustraire à une obligation que la présente loi lui impose commet une infraction et est passible d'une amende d'au moins 500 $ et d'au plus 2 000 $ s'il s'agit d'une personne physique, et d'une amende d'au moins 2 000 $ et d'au plus 8 000 $ s'il s'agit d'une personne morale.
1985, c. 6, a. 463; 1990, c. 4, a. 35.
En qualifiant cette dissimulation «d'infraction» aux termes de cette dernière disposition, il a ainsi tenu à démontrer, de l'avis de la Commission d'appel, une volonté ferme de punir tout contrevenant et de décourager toute personne de tenter de s'approprier sans droit des fonds publics.
Par conséquent, la Commission était bien fondée de prendre une des mesures prévues à l'article 142 de la loi, soit la suspension des indemnités réduites de remplacement du revenu à compter du 7 octobre 1993.
Subsidiairement au droit, de la Commission, de suspendre, en vertu de l'article 142 1)a) de la loi, le paiement des indemnités réduites de remplacement du revenu, l'avocate du travailleur soumet que lorsque cesse le défaut du travailleur, ici elle soumet que c'est le 11 décembre 1993, date de la troisième perquisition et offense criminelle, la Commission doit reprendre les versements de l'indemnité réduite de remplacement du revenu.
Il est vrai que lorsque cesse le défaut du travailleur et que tous les faits sont connus de la Commission, l'indemnité de remplacement du revenu doit être versée, sous réserve, bien entendu, de l'impact des renseignements obtenus, eu égard au montant de l'indemnité et de la capacité du travailleur à reprendre son emploi pré-accidentel ou, comme dans le cas sous étude, son emploi convenable.
Tel que mentionné précédemment, la Commission peut, face à l'omission d'un travailleur de lui divulguer sa véritable situation, appliquer les termes de l'article 142(1)a) de la loi, et suspendre ainsi le «paiement» de telle indemnité.
En ce qui a trait à la nature même de cette mesure, elle a été bien explicitée par la Commission d'appel dans l'affaire Salvaggio et Asphalte et pavage Tony inc.[38] Le commissaire s'exprimait ainsi:
«En effet, l'article 142 ne permet que la réduction ou la suspension du paiement de l'indemnité de remplacement du revenu, et non pas la suspension du droit à cette indemnité.
Précisons que l'article 142 est une mesure de dissuasion créée par le législateur, ou encore un moyen pratique d'inciter le travailleur en défaut à rencontrer, à l'avenir, ses obligations qui découlent de la loi. Il s'agit en effet d'un outil prospectif. En pratique, la Commission, si elle se heurte, par exemple, au refus d'un travailleur de se présenter à un examen médical, pourra suspendre le paiement de l'indemnité pour amener le travailleur à se soumettre audit examen. Si le travailleur entend raison et se rend à l'examen, la Commission lui versera l'indemnité à laquelle il avait droit, rétroactivement à la date de suspension, en vertu de l'article 143 de la loi.»
Sur cette question, la jurisprudence de la Commission d'appel est unanime: ce n'est pas le «droit» à l'indemnité de remplacement du revenu qui peut être suspendu par le biais de l'article 142(1)a) de la loi, mais uniquement le «paiement» de cette indemnité[39]. Le droit continuant de subsister, ce paiement peut certes être repris dès que cesse le défaut reproché.[40] Le principe est donc clairement établi: la suspension ne peut durer indéfiniment.[41]
Il va sans dire, cependant, que si l'impact du renseignement obtenu est tel que le montant de l'indemnité de remplacement du revenu s'en trouve non seulement réduit, mais entièrement annihilé, les versements d'indemnité de remplacement du revenu ne pourront être repris, malgré la levée de la suspension.
De plus, dans l'affaire St-Louis et Ville de Ste-Thérèse,[42] alors que le travailleur se plaignait d'une suspension de son indemnité de remplacement du revenu en vertu de cet article 142(1)a) de la loi, la Commission d'appel décidait, après avoir déclaré que le défaut du travailleur avait cessé et qu'il y avait lieu de lever la suspension, qu'elle se devait également de déterminer s'il avait encore le «droit» de recevoir lesdites prestations et ce, en vertu des pouvoirs que lui conférait l'article 400 de la loi. Il s'agissait là, à son avis, d'une question accessoire au litige concernant la suspension opérée en vertu de l'article 142(1)a) de la loi. Examinant la preuve soumise, elle en vint à la conclusion que le travailleur était redevenu capable de reprendre son emploi habituel depuis le 9 septembre 1987. Elle concluait donc que, malgré la levée de la suspension, la Commission ne pouvait recommencer à lui verser l'indemnité qu'elle avait suspendu à compter du 4 novembre 1987 puisque son «droit» à l'indemnité était lui-même éteint depuis le 9 septembre précédent.
Le même principe fut repris dans l'affaire Soares et Sefina industries ltée[43] mais, dans cette cause, la preuve soumise ne permettait pas à la Commission d'appel de disposer de la capacité du travailleur à reprendre son emploi habituel. Conséquemment, la Commission d'appel concluait que le dossier devait être retourné à la Commission afin que celle-ci détermine s'il y avait lieu de reprendre le paiement de l'indemnité au-delà de la date à laquelle elle avait été suspendue, eu égard à la capacité de travail du travailleur.
Dans le présent dossier, eu égard aux circonstances particulières de ce dossier; eu égard que ce n'est qu'à la suite de l'audience tenue par la Commission d'appel que le travailleur a vraiment informé la Commission «de tout changement dans sa situation qui peut influer sur un droit que la présente loi lui confère ou sur le montant d'une indemnité»[44] (nos soulignements); eu égard que la Commission d'appel ne peut retenir les prétentions du travailleur à l'effet que ses activités illicites se sont soldées par une perte financière et ce, vu la nature même de ces activités et vu que le travailleur n'a fourni aucune preuve comptable, digne de ce nom, à cet effet; eu égard au fait que la Commission d'appel est par aileurs convaincue, au terme de la preuve offerte à l'audience, qu'à compter de cette date, le paiement desdites prestations d'indemnité, c'est-à-dire l'indemnité réduite de remplacement du revenu, doit être à nouveau autorisé.
POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION D'APPEL EN MATIÈRE DE LÉSIONS PROFESSIONNELLES:
REJETTE en partie l'appel du travailleur, monsieur Marcel Gariépy;
CONFIRME en partie la décision rendue, le 9 août 1994, par le bureau de révision de la région de la Montérégie;
DÉCLARE que la Commission de la santé et de la sécurité du travail était justifiée de suspendre, à compter du 7 octobre 1993, l'indemnité réduite de remplacement du revenu;
DÉCLARE que le travailleur, monsieur Marcel Gariépy, a recouvré, le 29 janvier 1996, son droit de recevoir l'indemnité réduite de remplacement du revenu;
ET
ORDONNE à la Commission de la santé et de la sécurité du travail de verser au travailleur, monsieur Marcel Gariépy, l'indemnité réduite de remplacement du revenu due, et ce, à compter du 29 janvier 1996.
______________________
Me Alain Archambault
commissaire
PASQUIN & ASS.
Cantale Gariépy
4, rue Notre-Dame Est
Montréal (Québec) H2Y 1B7
Représentante de la partie appelante
PANNETON, LESSARD
Lucie Rouleau
25, boul. Lafayette, 5e étage
Longueuil (Québec) J4K 5B7
Procureure de la partie intervenante
[1]L.R.Q., c. A-3.001.
[2] Précitée, note 1.
[3] 47071-01-9301, 94-05-13, J.-G. Roy.
[4]Lavallée et Lavallée, 17503-64-9002, 93-02-24, S. Di Pasquale; Riopel et Dawcoelectric inc., 51655-64-9306, 93-07-23, T. Giroux; Guèvremont et Transport G.T.L. inc. (syndic), [1994] C.A.L.P. 518.
[5] Précitée, note 4.
[6] Id. 528, 529.
[7] [1990] B.R.P. 646.
[8] Guèvremont et Transport G.T.L. inc., note 4, 528.
[9]Dubé et Béton Girard inc., 33547-03-9110, 93-10-08, R. Jolicoeur.
[10]Précité, note 1.
[11]Précitée, note 7.
[12] 50269-62-9304, 94-11-08, B. Lemay.
[13] 34640-64-9112, 93-12-23, M. Denis.
[14]Fardeau et Théberge Automobile ltée, précité note 7, 647-648.
[15]L.R.C. (1985), App. II, no 44, art. 32.
[16] Précitée, note 15.
[17]R. c. Wigglesworth, [1987] 2 R.C.S. 541; Burhham c. Police de Toronto, [1987] 2 R.C.S. 572; Trumbley et Pugh c. Police de Toronto, [1987] 2 R.C.S. 577; Trimm c. Police régionale de Durham, [1987] 2 R.C.S. 582.
[18] Précitée, note 17, 554.
[19]Yves DE MONTIGNY, «La Protection contre l'auto-incrimination au Canada: Mythe ou réalité?», (1990) McGill Law Journal, 746, 758.
[20] [1985] 2 R.C.S. 350.
[21] Précitée, note 20, 357.
[22]Re Michaud and Minister of Justice of New-Brunswick (1983), 145 D.L.R. (3d) 588, à la p. 589 (B.R. N.-B.); Richard c. Falardeau, [1985] C.S. 1141; R. c. Daigle, (1982), 32 C.R. (3d) 388 (C.S. Qué.) dans Y. DE MONTIGNY, «La Protection contre l'Auto-incrimination au Canada: Mythe ou réalité», loc. cit., note 59, 758.
[23] L.R.C. (1985), c. C-15.
[24] Précitée, note 15.
[25] Dubois c. R., précitée, note 20.
[26] Dubois c. R., précitée, note 20, 362.
[27] Y. DE MONTIGNY, Loc. cit., note 19, 756-760.
[28]Charte canadienne des droits et libertés, précitée, note 15.
[29] [1993] 3 F.C. 348.
[30]Précitée, note 23.
[31](1986), 24 D.L.R. (4th) 724 (C.A.C.-B.), dans Seth c. Ministère de l'Immigration, précité, note 29, 348.
[32] Id., 359-360.
[33][1991] 2 C.F. 68 (C.A.), dans Seth c. Ministère de l'Immigration, précité, note 29, 348.
[34] Id., p. 362.
[35] Id., 365-366.
[36] [1995] C.A.L.P. 1319.
[37] Précitée, note 36.
[38] [1991] C.A.L.P. 291.
[39]St-Louis et Ville de Sainte-Thérèse, 07991-64-8806, 93-11-30, M. Lamarre; Fortin et Donohue Normick inc., [1990] C.A.L.P. 607; Soares et Sefina industries ltée, 39523-64-9204, 94-12-21, M. Zigby.
[40] Précité, note 39.
[41]Précité, note 39.
[42] Précitée, note 38.
[43] Précitée, note 39.
[44]Article 278 de la loi précité.
AVIS :
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