LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES
Montréal, le 5 juin 1998
RÉGION: DEVANT LE COMMISSAIRE: Jean-Marc Dubois
YAMASKA
ASSISTÉ DES MEMBRES: Gilles Veillette,
Associations d'employeurs
Michel Fournier,
Associations syndicales
DOSSIER:
92330-62B-9710
DOSSIER CSST:
107925828 AUDIENCE TENUE LE: 28 avril 1998
EN DÉLIBÉRÉ LE: 28 avril 1998
DOSSIER BRP : À: Montréal
6241 6898
PARTIE APPELANTE: RÉJEAN VALLIÈRES 1485, Rue D'Amours
St-Hyacinthe (Québec)
J2T 4Y9
PARTIE INTÉRESSÉE: FROMAGERIE DE CORNEVILLE 6500, Boulevard Henri Bourassa Est
Montréal (Québec)
H1G 5W9
Le 13 novembre 1997, M. Réjean Vallières, le travailleur, en appelle de la décision unanime rendue le 3 septembre 1997 par le Bureau de révision de Yamaska qui infirme la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) datée du 24 janvier 1997 et déclare que le travailleur n'a pas fait l'objet de mesures discriminatoires, de représailles ni d'autres sanctions en contravention de l'article 32 de la loi.
OBJET DE L'APPEL
Le travailleur demande d'infirmer la décision du Bureau de révision, de déclarer qu'il a fait l'objet d'une mesure prévue à l'article 32 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles et d'ordonner à l’employeur de donner suite à sa demande de contribuer au REER pour les périodes d'absences suivantes en raison des lésions professionnelles qu'il a subies : du 7 février au 8 mai 1995, du 11 au 23 octobre 1995, du 31 janvier au 7 février 1996 et du 21 juin au 11 novembre 1996.
LES FAITS
Le travailleur est victime d'un accident du travail le 4 octobre 1994 alors qu'il subit une épicondylite du coude droit dans l'exercice de ses fonctions chez l’employeur, Fromagerie de Corneville.
Le travailleur subit une récidive, rechute ou aggravation le 6 février 1995, lésion qui lui occasionne une incapacité de travail du 27 février au 8 mai 1995.
Lors de son retour au travail, le travailleur fait une demande à l’employeur pour participer au Régime complémentaire de retraite en vigueur, conformément aux dispositions prévues à l'annexe “M” de la convention collective de travail en vigueur.
L’employeur répond au travailleur d'attendre d'avoir obtenu une décision finale sur sa réclamation, la CSST ayant, en première instance, refusé de reconnaître la survenance d'une lésion professionnelle le 6 février 1995.
Le 11 octobre 1995, le travailleur subit une nouvelle récidive, rechute ou aggravation qui le rend incapable de travailler jusqu'au 23 du même mois.
Le 27 décembre 1995, le Bureau de révision rend une décision reconnaissant la survenance d'une lésion professionnelle le 6 février 1995. Cette décision devient finale à la suite d'un désistement de l’employeur.
Du 31 janvier au 7 février 1996, le travailleur est de nouveau en incapacité de travail à la suite d'une lésion professionnelle.
N'ayant pas obtenu de réponse de l’employeur à une demande verbale pour contribuer au Régime complémentaire de retraite, le 28 février 1996 le travailleur transmet à l’employeur une demande écrite réitérant sa demande pour la période d'incapacité survenue du 7 février au 8 mai 1995 et demande à l’employeur de verser sa part de contribution.
Sa demande étant demeurée sans réponse, le 4 avril 1996, le travailleur produit une plainte en vertu de l'article 32 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
Le travailleur est victime d'une nouvelle lésion professionnelle le 21 juin 1996 et le 16 juillet suivant, il écrit à l’employeur pour demander de contribuer à son Régime complémentaire de retraite et réclame également la contribution de l’employeur.
Une note interne chez l’employeur, transmise par Mme Monique Mc Duff, à Mme Josée Languirand, datée du 18 juillet 1996, indique ce qui suit :
«J'avais des demandes de contribution au R.E.E.R. durant mon absence pour acc. de travail, pour Mario Corriveau et Réjean Vallières. S.V.P. les informer du montant dû au 13/7/96:
(...)
Réjean Vallières: 54,36$ depuis l'accident et 18,12$ pour chaque semaine additionnelle.
Ils peuvent faire leur chèque à l'ordre de Agropur Div. Fromage inc. en indiquant les semaines convoitées.(...)»
Le 5 septembre 1996, l’employeur émet à l'ordre du travailleur un chèque au montant de 894,72$.
Une note manuscrite apparaissant au bas de la description des gains et retenues indique ce qui suit :
«*Interprétation du chèque émis via les comptes à payer
Donc chèque couvre 3 semaines nettes
1 193,03$ avance
217,44$ R.E.E.R. Du 26-06-96 au 13-09-96
1 410,47$»
Le 13 septembre 1996, le travailleur retourne, à l'ordre de l’employeur, un chèque au montant de 1 410,47$, pour rembourser le chèque du 9 septembre 1996.
Le 11 décembre 1996, le travailleur produit une deuxième plainte en vertu de l'article 32 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles. Il indique qu'il désire contribuer à son régime d'épargne -retraite et demande que l’employeur en fasse autant pour les lésions professionnelles subies les 28 février, 4 avril et 16 juillet 1996.
D'un commun accord, les parties conviennent que si Mme Nathalie Tessier, conseillère en relation de travail chez l'employeur, venait témoigner devant la Commission des lésions professionnelles, ce serait pour rendre le même témoignage que celui rapporté dans la décision du Bureau de révision.
La Commission des lésions professionnelles reprend donc textuellement le témoignage de Mme Tessier, tel que rapporté aux pages 3 et 4 de la décision du Bureau de révision :
«À l'audience, madame Nathalie Tessier, conseillère en relation de travail chez l'employeur, témoigne à l'effet qu'elle a reçu, depuis février 1996, plusieurs demandes de travailleurs pour cotiser à leur régime de retraite suite à une absence pour lésion professionnelle et aussi maladie personnelle. Ce fut le cas de monsieur Vallières, qui n'ayant pas de réponse favorable de la part de l’employeur, a déposé des plaintes en vertu de l'article 32 et a aussi dé^posé un grief pour refus de l’employeur de cotiser à son REER lors d'absence-maladie. Toutefois, il s'est désisté de ce grief, puisqu'il aurait alors convenu avec le syndicat que lorsqu'un travailleur s'absente pour une maladie personnelle il ne voit aucune somme versée dans son fonds de pension, puisque l'annexe “M” réfère aux jours de maladie prévus à l'article 7.09 de la convention collective qui énonce que tout salarié a droit à deux jours ouvrables d'absence pour maladie. Il ne s'agit donc pas du cas du travailleur absent pour maladie à long terme.
Madame Tessier témoigne aussi du fait qu'en ce qui concerne les absences pour lésion professionnelle, dans le passé, l’employeur a déjà cotisé à des REER de d'autres salariés mais ayant eu un avis juridique à l'effet contraire, depuis il ne le fait plus. Le dossier est gelé à l'heure actuelle. Si en l'espèce, l’employeur n'a pas répondu au travailleur, c'est qu'il préfère attendre le sort des contestations suite à l'admissibilité des R.R.A. à la C.A.L.P.»
AVIS DES MEMBRES
Les membres représentant les Associations d'employeurs et les Associations des travailleurs sont d'avis que la loi a préséance sur la convention collective de travail et qu'il y a lieu d'appliquer les dispositions de l'article 235.2.
MOTIFS DE LA DÉCISION
La Commission d'appel doit décider si le travailleur a fait l'objet d'une mesure ou d'une sanction visée à l'article 32 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q., c. A-3.001) qui édicte :
32. L'employeur ne peut congédier, suspendre ou déplacer un travailleur, exercer à son endroit des mesures discriminatoires ou de représailles ou lui imposer toute autre sanction parce qu'il a été victime d'une lésion professionnelle ou à cause de l'exercice d'un droit que lui confère la présente loi.
Le travailleur qui croit avoir été l'objet d'une sanction ou d'une mesure visée dans le premier alinéa peut, à son choix, recourir à la procédure de griefs prévue par la convention collective qui lui est applicable ou soumettre une plainte à la Commission conformément à l'article 253.
Le travailleur prétend avoir fait l'objet de mesures de représailles ou de discrimination parce que son employeur a refusé de lui permettre de cotiser à son REER et, conséquemment, d'y apporter également sa contribution pour les périodes pendant lesquelles il a été absent en raison de ses lésions professionnelles, ce qui constitue une contravention à l'article 235 de la loi.
Il est reconnu par la jurisprudence qu'une contravention à une disposition de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles peut être considérée comme une mesure prohibée par l'article 32.
En l'instance, pour se prévaloir des dispositions de l'article 32, le travailleur se doit de démontrer que le refus de l'employeur constitue véritablement une contravention à la loi, ce qui permettra de déterminer s'il y a ou non exercice d'une mesure de représailles ou de discrimination.
L'article 235 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q., c. A-3.001) permet au travailleur de continuer à participer au régime de retraite de son employeur dès le début de son absence pour lésion professionnelle.[1]
Cet article établit également que l’employeur doit payer sa part d'assurances même en l'absence du travailleur en raison d'une lésion professionnelle pourvu que celui-ci paie sa part.[2]
Dans l'affaire Laprade et Zimmcor Groupe inc., déjà citée, il a également été décidé que l'article 242 prévoit qu'il y a lieu de considérer comme une période réelle de travail celle durant laquelle le travailleur doit s'absenter en raison de sa lésion professionnelle. L’employeur ne peut s'appuyer sur la convention collective pour ne pas payer sa part d'assurance.
La Commission des lésions professionnelles souscrit entièrement à cet énoncé qui s'applique également dans le présent cas.
L'employeur allègue que le deuxième alinéa de l'article 235 crée trois conditions. Il renvoie au régime offert dans l'établissement, le travailleur doit payer sa part et l’employeur paie la sienne.
Selon l’employeur, le travailleur n'ayant pas contribué à sa part pour toutes les périodes réclamées, il ne peut pour cette seule raison bénéficier des dispositions de l'article 235.
La preuve révèle que le travailleur a manifesté, au moins à deux reprises, son intention de participer et l’employeur n'a pas donné suite à ses demandes. On ne peut donc utiliser ce refus de l’employeur pour prétendre que le travailleur ne remplit pas cette condition prévue à l'article 235 de la loi.
D'ailleurs, Mme Tessier confirme bien la démarche du travailleur et le refus de l’employeur qui a décidé de ne plus contribuer à la suite d'un avis juridique.
Par conséquent, le fait que le travailleur n'ait pas contribué à son REER ne peut lui être opposé dans les circonstances puisque c'est l’employeur qui lui a refusé l'opportunité de contribuer.
L’employeur soutient de plus qu'il a respecté la convention qui ne prévoit pas de contribution lors d'une absence pour lésion professionnelle et qu'il a par conséquent appliqué les conditions du régime offert dans l'établissement.
La Commission des lésions professionnelles est d'avis que lorsque le législateur réfère au régime offert dans l'établissement, ce n'est sûrement pas pour venir à l'encontre de ses propres intentions de garantir au travailleur victime d'une lésion professionnelle de contribuer au régime de retraite pendant son absence.
Comme la loi a préséance sur toute convention collective, le législateur ne peut que référer à la convention collective que pour les modalités de versement et de la part que chacun doit y apporter.
Comme nous l'avons déjà mentionné, l’employeur ne peut invoquer la convention collective pour se soustraire à la loi et même si il ne viole pas sa convention collective, cela ne lui donne pas le droit de violer la loi.
Dans les circonstances, la Commission des lésions professionnelles est d'avis que le travailleur lui a fait la démonstration que l’employeur viole les dispositions de l'article 235 en refusant de permettre au travailleur de cotiser à son REER pendant les périodes d'absence en raison de ses lésions professionnelles et par conséquence, en ne versant pas sa part.
L’employeur soutient de plus que le travailleur n'a pas gagné de salaire pendant son absence puisque l'indemnité de remplacement du revenu ne constitue pas un salaire.
La Commission des lésions professionnelles a déjà répondu à cette allégation de l’employeur en signifiant que l'article 242 prévoit que l'on peut considérer comme une période réelle de travail celle durant laquelle le travailleur doit s'absenter en raison de sa lésion professionnelle. Par conséquent, on doit prendre en considération le salaire que le travailleur aurait normalement gagné n'eût été de sa lésion aux fins du calcul de son salaire pour déterminer sa part de cotisation et celle de l’employeur.
Par conséquent, l’employeur ayant contrevenu aux dispositions de l'article 235 de la loi, cela équivaut à une mesure prohibée par l'article 32 de la loi ce qui justifie de faire droit aux plaintes que le travailleur a logées de plein droit.
POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES:
ACCUEILLE l'appel du travailleur M. Réjean Vallières ;
INFIRME la décision rendue par le Bureau de révision de Yamaska le 3 septembre 1997 ;
FAIT DROIT aux plaintes logées par le travailleur en vertu de l'article 32 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles ;
DÉCLARE que le travailleur a droit de participer au régime de pension en vigueur chez son employeur pour les périodes d'incapacité résultant des lésions professionnelles, soit du 7 février au 8 mai 1995, du 11 au 23 octobre 1995, du 31 janvier au 7 février 1996 et du 21 juin au 11 novembre 1996 ;
ORDONNE à l’employeur de permettre au travailleur de contribuer à son régime de retraite comme si il avait été présent au travail pendant ses périodes d'incapacité résultant de ses lésions professionnelles et d'y ajouter sa
participation conformément aux conditions prévues par la convention collective de travail quant aux modalités de paiement et aux montants à être versés sur la base du salaire que le travailleur aurait normalement gagné n'eût été de ses lésions professionnelles.
JEAN-MARC DUBOIS
Commissaire
C.S.N.
Me Josée Vanasse
5110, Boulevard Cousineau, bureau 200
Saint-Hubert (Québec)
J3Y 7G5
Représentante de la partie appelante
MARTINEAU WALKER
Me Michel Héroux
140, Grande Allée Est
Québec (Québec)
G1R 5M8
Représentant de la partie intéressée
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.