Décision

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McCain Foods (Div. Wong Wing) et Ping

2010 QCCLP 7921

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Montréal

1er novembre 2010

 

Région :

Montréal

 

Dossiers :

389429-71-0909      412605-71-1006

 

Dossier CSST :

132981861

 

Commissaire :

Isabelle Therrien, juge administratif

 

Membres :

Michel Gauthier, associations d’employeurs

 

Michel Gravel, associations syndicales

 

______________________________________________________________________

 

McCain Foods (div. Wong Wing)

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Wu Yu Ping

 

Partie intéressée

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

Dossier 389429-71-0909

[1]           Le 22 septembre 2009, l’entreprise McCain Foods (div. Wong Wing) (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 14 septembre 2009, à la suite d’une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST confirme une décision qu’elle a initialement rendue le 21 mai 2009 et déclare que madame Wu Yu Ping (la travailleuse) a droit à la réadaptation puisqu’elle conserve une atteinte permanente attribuable à la lésion professionnelle survenue le 15 février 2008 et qu’elle poursuivra donc le versement de l’indemnité de remplacement du revenu prévue à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi). De plus, elle cherchera avec la travailleuse et l’employeur les solutions qui conviennent le mieux, compte tenu des circonstances.

[3]           La CSST précise, dans cette décision, que l’employeur ne conteste pas la suspension de l’indemnité de remplacement du revenu.

[4]           La CSST déclare également que l’interruption du processus de réadaptation était justifiée par l’incapacité de la travailleuse de participer audit processus.

Dossier 412605-71-1006

[5]           Le 9 juin 2010, l’employeur dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la CSST rendue le 19 mai 2010, à la suite d’une révision administrative.

[6]           Par cette décision, la CSST confirme une décision qu’elle a initialement rendue le 5 mars 2010 et déclare que la travailleuse est capable d’exercer l’emploi d’assembleuse de petits articles au revenu annuel estimé à 18 770,40 $ à compter du 4 mars 2010.

[7]           La CSST déclare également que les indemnités prendront fin dès que la travailleuse occupera l’emploi d’assembleuse de petits articles ou au plus tard le 4 mars 2011, puisque le revenu qu’elle pourrait gagner est équivalent ou supérieur à ce qu’elle gagnait au moment de l’événement.

[8]           À l’audience tenue à Montréal le 16 septembre 2010, l’employeur est présent et représenté. La travailleuse, quant à elle, est présente.

L’OBJET DES CONTESTATIONS

Dossier 389429-71-0909

[9]           L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de reconnaître que la travailleuse avait droit à la réadaptation mais que la CSST ne pouvait suspendre le processus de réadaptation entrepris.

Dossier 412605-71-1006

[10]        L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que le poste prélésionnel de la travailleuse pouvait être adapté de manière à respecter ses limitations fonctionnelles et que l’indemnité de remplacement du revenu devait, par conséquent, prendre fin en mai 2009, date à laquelle l’emploi aurait pu être disponible.

LES FAITS

[11]        La travailleuse exerçait l’emploi d’emballeuse pour le compte de l’employeur. Elle entre en fonction en 2002.

[12]        Le 15 février 2008, elle est victime d’un accident du travail lorsqu’elle chute dans un escalier. Elle s’inflige alors une entorse cervicale sur discopathie dégénérative et une entorse lombaire sur ancienne discoïdectomie.

[13]        Ces diagnostics sont retenus à la suite de l’avis du docteur Pierre Lacoste, physiatre, membre du Bureau d’évaluation médicale. Le 11 septembre 2008 est retenu comme étant la date de consolidation de la lésion au niveau du rachis cervical et le 25 novembre 2008 est retenu en ce qui concerne l’entorse lombaire.

[14]        Un pourcentage de 4 % est accordé à la travailleuse à titre d’atteinte permanente. Elle conserve les limitations fonctionnelles suivantes :

En ce qui regarde le rachis cervical, la travailleuse doit éviter d’accomplir de façon répétitive ou fréquente les activités qui impliquent de :

-     soulever, porter, pousser, tirer des charges supérieures à environ 25 kilos;

-     ramper;

-     effectuer des mouvements avec des amplitudes extrêmes de flexion, d’extension, de torsion de la colonne cervicale;

-     subir des vibrations de basse fréquence ou des contrecoups à la colonne cervicale.

 

En ce qui regarde la colonne lombo-sacrée, en plus des restrictions de la classe I, éviter les activités qui impliquent de :

-     soulever, porter, pousser, tirer de façon répétitive ou fréquente des charges de plus de 15 kilos;

-     effectuer des mouvements répétitifs ou fréquents de flexion, d’extension ou de torsion de la colonne lombaire, même de faible amplitude;

-     monter fréquemment plusieurs escaliers;

-     marcher en terrain accidenté ou glissant.

 

 

[15]        Puisque la travailleuse conserve des limitations fonctionnelles à la suite de sa lésion professionnelle, son dossier est transféré au service de réadaptation de la CSST le 25 février 2009, tel qu’il appert de la note d’intervention de madame Andrée-Anne Monette, à cet effet.

[16]        Madame Monique Delorme, agente en réadaptation à la CSST, est dès lors responsable du dossier de la travailleuse. Une représentante de l’employeur communique avec madame Delorme le 2 mars 2009 afin de vérifier si cette dernière est prête à planifier une visite de poste. Une conversation a lieu le 4 mars suivant, entre madame Delorme et madame Charlyse Roy, représentante de l’employeur. Madame Delorme affirme alors qu’elle interviendra dans les meilleurs délais en tenant compte des autres contraintes d’intervention.

[17]        Le 17 mars 2009, madame Delorme propose à madame Roy des dates d’intervention chez l’employeur. Une rencontre est prévue le 31 mars 2009.

[18]        Madame Delorme informe la travailleuse, par l’entremise de sa fille étant donné les barrières linguistiques, des objectifs de la rencontre. Il s’agit d’évaluer la capacité de travail de la travailleuse en vérifiant si les exigences physiques de ses tâches de travail sont compatibles avec ses limitations fonctionnelles. Elle explique également qu’un rapport écrit d’analyse sera fait par un ergonome mandaté par la CSST. Madame Delorme ajoute qu’il est possible que des solutions alternatives d’emploi soient analysées.

[19]        La note d’intervention de cette visite de poste du 31 mars 2009 fait état que la travailleuse est journalière aux « mini spring rolls packaging » mais que le vrai titre de poste est emballeur général et qu’elle n’a pas de poste attitré.

[20]        Madame Diane Joly, superviseure de production (emballage) pour le compte de l’employeur, explique qu’il y a différents types de produits, soit de gros « spring rolls », des « mini spring rolls » et des « pot stickers » et qu’il y a également différents modes d’emballage. Les tâches de la travailleuse s’effectuent en position debout.

[21]        Lors de la visite de poste, Monsieur Denis Roy, ergonome et ergothérapeute mandaté par la CSST, demande s’il peut être envisagé que la travailleuse ne refasse que certaines activités sur les lignes de production. Madame Joly répond que ce serait difficile à gérer si la travailleuse ne peut faire un poste ou l’autre.

[22]        Madame Roy, quant à elle, propose d’offrir à la travailleuse une assignation de travail temporaire de quelques heures à la pose d’étiquettes afin que cette dernière reprenne confiance en ses capacités. La note d’intervention du 31 mars 2009 fait état de ce qui suit :

Elle (madame Roy) admet toutefois que si la travailleuse ne peut refaire son emploi pré-lésionnel, elle ne croit pas que l’employeur aura un poste plus léger à proposer.

 

 

[23]        Monsieur Roy rédige un rapport d’analyse en date du 20 avril 2009. Il précise que le poste de travail est celui d’emballeuse générale et, qu’à ce titre, plusieurs postes de travail peuvent être occupés par l’employée selon la production en cours. Il ajoute que selon la production, l’employée assignée à l’emballage doit faire preuve de polyvalence et être en mesure d’occuper chacun des postes.

[24]        Monsieur Roy procède ensuite à l’analyse de chacun des postes, en commençant par celui d’emballage « WIP » (produit semi-fini) et celui d’emballage « spring-rolls » (machine à sleeve). Les limitations fonctionnelles de la travailleuse sont respectées à ces postes, selon lui.

[25]        En ce qui concerne le poste de mise en sacs (food service), monsieur Roy conclut que les limitations fonctionnelles de la travailleuse ne sont pas entièrement respectées en ce qui concerne la préparation et le remplissage du sac, à cause des mouvements lombaires observés. Il détaille ainsi sa conclusion :

La hauteur du plan de travail, l’action de tenir ouvert le sac pour l’autre ainsi que l’activité de pelletage amènent les employées à fléchir le tronc pour l’exécution des opérations. La limitation fonctionnelle au rachis lombaire s’adressant à des mouvements de faibles amplitudes, elle n’est pas respectée et il serait difficile d’éliminer les mouvements même de faible amplitude considérant la nature de la tâche.

 

 

[26]        En ce qui a trait à l’ajustement du poids des sacs, monsieur Roy est d’avis que les limitations fonctionnelles peuvent être respectées en surélevant légèrement la balance.

[27]        Pour ce qui est du poste de fermeture des sacs, monsieur Roy affirme que les limitations fonctionnelles ne sont pas respectées puisque les mouvements de flexion cervicaux sont plus prononcés de par la nécessité d’enfiler le sac dans un appareil permettant sa fermeture. Il précise ce qui suit :

Une tentative d’ajustement de la hauteur de mécanisme ou même une inversion de la méthode d’enfilage (enfiler de façon horizontale plutôt que verticale) pourraient être tentées mais nécessiteraient validation afin de s’assurer de l’efficacité de la modification sur les amplitudes de mouvements cervicaux.

 

 

[28]        À la section impressions et recommandations de son rapport, monsieur Roy conclut ainsi :

Selon la production, les résultats de notre analyse sont les suivants :

·         Emballage WIP (produit semi-fini) : limitations respectées;

·        Emballage spring-rolls (machine à sleeve) : limitations respectées aux deux postes (déposer sachet de sauce et pousser cabarets dans boîte);

·         Mise en sacs (food service) :

-    Postes 1 et 2 : limitations non respectées;

-    Poste 3 : limitations respectées avec ajustement balance;

-    Poste 4 : validation de modifications nécessaires pour s’assurer de respecter les limitations. [sic]

[29]        Le 29 avril 2009, la CSST achemine le rapport de monsieur Roy à la travailleuse et à l’employeur.

[30]        Le 13 mai 2009, madame Delorme, dans une note d’intervention, rapporte le contenu d’une conversation téléphonique avec la fille de la travailleuse.  Celle-ci affirme que la travailleuse veut retourner en Chine pour aller se faire soigner. Son médecin, le docteur Tran, lui aurait d’ailleurs dit qu’elle avait besoin de repos. Le départ est prévu pour le 28 mai 2009 avec un retour au Québec le 30 septembre suivant.

[31]        La fille de travailleuse traduit une lettre, rédigée par sa mère, adressée à son employeur, afin d’obtenir un congé de maladie.

[32]        La note d’intervention subséquente de madame Delorme est datée du 20 mai 2009. La fille de la travailleuse affirme alors avoir tenté de joindre l’employeur à plusieurs reprises et ne pas y être parvenue. Madame Delorme l’informe alors de la suspension de ses indemnités de remplacement du revenu et du droit à la réadaptation.

[33]        Madame Delorme précise qu’il y a une décision de droit à la réadaptation à rendre étant donné que la travailleuse ne peut refaire entièrement ses tâches prélésionnelles et qu’ils sont en attente d’une réponse de l’employeur à ce sujet. Elle ajoute que lors de la visite de poste, il avait été établi que la travailleuse devait pouvoir refaire ses tâches en entier. L’employeur peut toutefois, selon madame Delorme, changer d’avis à ce sujet et trouver une solution qui pourrait constituer un emploi convenable.

[34]        Madame Delorme conclut que le processus de réadaptation professionnelle sera repris au retour de la travailleuse. Une lettre, signée par madame Delorme, est émise le 21 mai 2009 confirmant que l’indemnité de remplacement du revenu de la travailleuse est suspendue à compter du 29 mai 2009 et ce, en vertu de l’article 142 de la loi puisque la travailleuse ne sera pas disponible pour participer au processus de réadaptation professionnelle. Elle ajoute que « nous pourrons reprendre le versement de l’indemnité dans la mesure où le motif qui en a justifié la suspension n’existera plus ».

[35]        Une autre décision est rendue le 21 mai 2009, à l’effet, cette fois, d’informer la travailleuse qu’elle a droit à la réadaptation puisqu’elle conserve une atteinte permanente attribuable à sa lésion professionnelle.

[36]        L’employeur conteste ces deux décisions rendues le 21 mai 2009, lesquelles seront maintenues à la suite d’une révision administrative, d’où l’appel devant le présent tribunal.

[37]        Le 25 mai 2009, madame Delorme rapporte qu’une rencontre a eu lieu entre l’employeur et la travailleuse. L’employeur aurait alors offert un poste temporaire à la travailleuse, lequel respecterait, selon lui, les limitations reconnues par le Bureau d’évaluation médicale. Madame Sandy Lee et monsieur Olivier, représentants de l’employeur, auraient informé la travailleuse que si elle quitte pour la Chine, « ce sera considéré comme une démission ».

[38]        Madame Delorme affirme alors à la travailleuse qu’il appartient à la CSST de décider ce qui peut être considéré comme un emploi convenable. Elle affirme ce qui suit, à sa note d’intervention :

Il est trop tard pour agir avant le départ de la travailleuse. C’est dans ce contexte que j’ai suspendu les indemnités de remplacement du revenu. La travailleuse ne sera pas disponible pour la démarche d’évaluation de sa capacité de travail. C’est ce que je vais expliquer à l’employeur. La démarche reprendra quand la travailleuse sera revenue. J’ai à prendre connaissance de la ou des solutions proposées (il ne semblait par y avoir d’emploi convenable, au moment de notre intervention). En ce qui concerne le fait que l’employeur considère le départ de la travailleuse comme une démission au lieu d’un congé de maladie, je ne peux intervenir à ce niveau. Je lui conseille de s’informer aux Normes du Travail.

[39]        Madame Roy, quant à elle, contacte madame Delorme le même jour et l’informe qu’elle a pris connaissance du rapport de monsieur Roy. Elle affirme que l’employeur est prêt à reprendre la travailleuse en travaux légers en attendant une décision quant à la capacité de travail. Madame Roy ajoute que l’employeur sera pénalisé par la reprise du processus de réadaptation au retour de la travailleuse puisqu’il est prêt à la reprendre en travaux légers. Si elle est à l’extérieur du pays, elle sera congédiée et ne devrait donc pas être « payée ».

[40]        Madame Roy affirme à madame Delorme que la fille de la travailleuse a compris que la CSST permettait le départ de sa mère. Madame Delorme réplique que la CSST n’a rien permis, mais qu’elle ne peut pas empêcher la travailleuse de partir. Cette dernière devrait, selon madame Delorme, faire face aux conséquences, c’est-à-dire la suspension des indemnités jusqu’à son retour. Madame Delorme rapporte les propos suivants :

Mme Roy me redit que l’employeur est ouvert à ajuster le poste de travail. Je souligne que cela ne peut se faire sans la présence de la travailleuse, qui part dans deux jours. Elle me dit que la travailleuse pourrait revenir en travail léger : cette décision appartient à la CSST puisque nous sommes post conso. Je lui redis que, au moment de notre dernière discussion à ce sujet, je n’acceptais pas cette solution parce qu’il n’y avait pas de solution d’emploi convenable chez l’employeur pour la travailleuse si elle ne pouvait refaire son emploi régulier. Cette situation semble avoir changé, mais la travailleuse quitte le pays de toute façon dans 2 jours.

[41]        Madame Delorme réitère qu’elle ne finalisera pas le dossier de la travailleuse sans sa présence.

[42]        En date du 26 mai 2009, madame Delorme, lors d’une conversation téléphonique avec la fille de la travailleuse, affirme maintenir la position expliquée précédemment, soit que la travailleuse a droit à la réadaptation parce qu’elle conserve des séquelles permanentes et que certains aspects de son emploi régulier ne respectent pas ses limitations fonctionnelles. Les indemnités de remplacement du revenu sont suspendues durant l’absence de la travailleuse et le processus sera repris à son retour.

[43]        Madame Delorme réitère à madame Roy, le 26 mai 2009, que le droit à la réadaptation de la travailleuse demeure et que ses indemnités sont suspendues.

[44]        L’employeur adresse une lettre à la travailleuse, datée du 26 mai 2009, par laquelle monsieur Gagnon-Cordillo, signataire, l’informe que l’employeur refuse sa demande de congé afin d’aller en Chine à compter du 28 mai 2009. Il ajoute que si la travailleuse ne se présente pas au travail « d’ici le 29 mai 2009 », l’employeur considérera qu’elle a démissionné de son poste.

[45]        Le 28 mai 2009, madame Delorme fait parvenir un message, par courriel, à la fille de la travailleuse, concernant cette dernière. Le contenu de ce message est le suivant :

Je ne suis pas en accord avec ce que vous dit l’employeur au sujet du fait qu’il peuvent donner des postes temporaires sans la permission de la CSST. Nous sommes actuellement en processus d’évaluation de capacité de travail avec votre mère et l’employeur ne peut se substituer à la CSST et évaluer par lui-même si un poste offert respecte les limitations fonctionnelles du ou de la travailleuse. Et je n’ai pas autorisé un retour au travail léger pour votre mère. Votre mère continue d’avoir droit à la réadaptation et à ses indemnités de remplacement du revenu (IRR). Les IRRs ne sont que suspendues en attendant son retour.

 

Faites ce que vous pensez le mieux pour votre mère et nous nous reparlerons à votre retour. Vous n’avez même pas de confirmation de la fin du lien d’emploi de votre mère et il se peut que l’employeur ne brise pas ce lien d’emploi parce qu’il y a des conséquences au niveau du dossier CSST et ils le savent Ils auront à prendre leur décision à ce sujet. Il semble cependant que, selon vos dires, l’orientation de leur décision ne soit pas encore claire actuellement.

 

Je maintiens ce que je vous ai dit et nous pourrons continuer la démarche à votre retour en s’assurant que votre mère a un interprète qui nous transmette bien ce qu’elle a à nous dire. Je vous souhaite un bon voyage et je vous félicite pour la fin de vos études. C’est toujours un moment important dans la vie et c’est le couronnement du bien des efforts.

 

 

 

 

N’hésitez pas à communiquer avec moi pour toute autre question concernant le dossier de votre mère. Je serai en vacances du 11 au 28 juin (je reviens le 29). Pendant mes vacances, vous pouvez communiquer avec Mme Cynthia St-Denis, qui est la nouvelle agetne qui travaille avec moi; si besoin est, elle vous référera à la chef d’équipe en réadaptation. Profitez bien de votre séjour en Chine. [sic]

 

 

[46]        Le 11 juin 2009, l’employeur fait parvenir une correspondance à la travailleuse dont l’objet réfère à une absence non justifiée. L’employeur y affirme ne pas avoir donné permission à la travailleuse de prendre un congé pour voyager en Chine, à compter du 28 mai 2009, et ce, pour tout l’été.

[47]        Monsieur Olivier Gagnon-Cordillo, signataire de la lettre pour le compte du département des Ressources humaines de l’employeur, poursuit en affirmant que la travailleuse, selon son état de santé et les recommandations de l’ergothérapeute, aurait pu être assignée à un poste temporaire convenant à ses limitations. Monsieur Gagnon-Cordillo affirme que la travailleuse devait rester à Montréal afin que l’employeur puisse communiquer avec elle. Il ajoute avoir tenté de communiquer avec elle à trois reprises afin d’établir les paramètres englobant son assignation temporaire, soit le 5 juin à 9 h 15, le 9 juin à 10 h 50 et à 15 h 10.

[48]        Monsieur Gagnon-Cordillo termine en affirmant que s’il ne reçoit pas de manifestation de la travailleuse d’ici le 19 juin 2009, l’employeur devra mettre fin à son emploi.

[49]        Le 19 juin 2009, l’employeur conteste la décision de la CSST à l’effet que la travailleuse a droit à la réadaptation et que ses indemnités doivent être suspendues.

[50]        Le 25 juin 2009, un relevé d’emploi est émis, par l’employeur, au nom de la travailleuse. Le code « K » est indiqué à la case portant sur la raison de l’émission de ce relevé.

[51]        Le 28 août 2009, la fille de la travailleuse écrit à madame Delorme afin de l’aviser de son retour et lui donner des nouvelles de sa mère, toujours en Chine. Le 16 septembre suivant, elle réécrit à madame Delorme afin de lui confirmer le retour de sa mère, prévu le 30 septembre 2009. Elle indique qu’une rencontre pourrait donc avoir lieu avec l’employeur le 2 octobre 2009, mais que le 5 octobre serait préférable.

[52]        La travailleuse revient de Chine le 30 septembre 2009 comme prévu. Le versement des indemnités de remplacement du revenu, à la travailleuse, est repris à compter du 1er octobre suivant.

[53]        Le 16 octobre 2009, la fille de la travailleuse écrit, à nouveau, à madame Delorme, lui rappelant que sa mère est disponible pour une rencontre prévue avec l’employeur.

[54]        Madame Delorme répond à ce courriel le 21 octobre 2009 et précise que la rencontre, chez l’employeur, aura lieu le 18 novembre 2009 ou dans les jours qui suivent. Elle demande également copie des documents reçus de l’employeur afin de clarifier la situation « de lien d’emploi ». Dans le courriel suivant, daté du 27 octobre 2009, madame Delorme conseille, à la travailleuse de porter plainte auprès de la CSST en vertu de l’article 32 de la loi.

[55]        La travailleuse loge une plainte en vertu de l’article 32 de la loi le 30 octobre 2009. Elle se désiste de sa plainte le 2 janvier 2010.

[56]        Dans une note d’intervention du 27 octobre 2009, madame Delorme précise que lors de la visite de poste du 31 mars précédent, madame Charlyse Roy proposait une assignation temporaire à la travailleuse de quelques heures et qu’elle admettait que l’employeur ne pourrait offrir sur une base permanente un emploi convenable si la travailleuse ne pouvait refaire son emploi régulier.

[57]        Considérant la rupture du lien d’emploi de la travailleuse, madame Delorme affirme ne pas voir la pertinence de tenir une rencontre avec l’employeur afin de discuter de l’adaptation de son poste de travail.

[58]        Lors d’une conversation téléphonique, en date du 4 novembre 2009, entre madame Marie-Josée Duquette, directrice des ressources humaines chez l’employeur, et madame Delorme, cette dernière lui demande si une restauration du lien d’emploi est possible. Madame Duquette répond, selon la note d’intervention, que ce n’est pas une option dans le cas de la travailleuse. Elle ajoute qu’ils ont mis fin au lien d’emploi « pour des raisons » et qu’elle laisse sa consultante faire la gestion dans ce cas.

[59]        Quant à madame Roy, elle souligne, le même jour, que c’est la travailleuse elle-même qui a décidé de se placer dans une situation où le lien d’emploi serait rompu et que, dans ce cas, le processus de réintégration chez l’employeur peut se poursuivre.

[60]        Madame Delorme réplique que ce qui importe, pour la CSST, c’est qu’il n’y a plus de lien d’emploi, ce qui justifie la poursuite du processus de réadaptation professionnelle ailleurs sur le marché du travail. Madame Delorme maintient cette position après vérification auprès du service juridique le 6 novembre 2009.

 

[61]        Le 31 décembre 2009, l’employeur demande un transfert de l’imputation en vertu de l’article 326 de la loi au motif qu’il est « obéré injustement par les pratiques de la conseillère en réadaptation de la Commission de la santé et de la sécurité du travail, soit une tierce personne ». Le présent tribunal n’est pas saisi de cette demande.

[62]        Le 18 février 2010, une entrevue a lieu entre madame Delorme, la travailleuse et sa fille. L’objectif consiste à déterminer un emploi convenable ailleurs sur le marché du travail puisqu’il n’y a plus de lien d’emploi avec l’employeur. Un emploi convenable d’assembleuse de petits objets est déterminé. Cet emploi respecte les limitations fonctionnelles de la travailleuse.

[63]        Le 5 mars 2010, la CSST rend une décision par laquelle elle conclut que, comme elle ne peut retourner travailler chez son employeur, et après avoir évalué avec la travailleuse et son employeur si un autre emploi pouvait convenir, celle-ci est capable d’exercer l’emploi convenable d’assembleuse de petits articles. Cet emploi pourrait lui procurer un revenu annuel estimé à 18,770,40 $. La travailleuse pourrait exercer cet emploi à compter du 4 mars 2010.

[64]        L’employeur conteste cette décision, laquelle sera maintenue à la suite d’une révision administrative. Le présent tribunal est également saisi de ce litige.

[65]        Madame Hui Wen Shen, la fille de la travailleuse, témoigne à l’audience. Elle affirme que le docteur Tran, médecin de sa mère, était d’avis que les traitements que cette dernière désirait suivre en Chine pouvaient améliorer sa condition. Selon elle, la CSST était d’accord avec ce déplacement dont la conséquence était la suspension de ses indemnités de remplacement du revenu.

[66]        Elle témoigne également à l’effet qu’elle avait essayé, à plusieurs reprises, de communiquer avec l’employeur afin de discuter de ce voyage et que ce n’est que le 24 mai 2009 que l’employeur convoque sa mère pour une rencontre le 27 mai suivant, soit une journée avant le départ prévu. C’est alors que l’employeur aurait avisé la travailleuse que sa demande de congé était refusée.

[67]        De plus, selon madame Shen, l’employeur aurait affirmé qu’il n’avait pas à communiquer avec la CSST afin d’offrir un emploi temporaire à la travailleuse. Or, lorsqu’elle communique avec la CSST, madame Shen est informée que l’employeur doit s’adresser à la CSST afin d’entreprendre une assignation temporaire. Madame Shen confirme avoir suivi toutes les démarches prescrites par la CSST.

[68]        Madame Charlize Roy témoigne pour le compte de l’employeur. Elle intervient dans la gestion des dossiers d’accident du travail, et ce, de l’ouverture à la fermeture du dossier. Elle agit à titre de consultante externe, auprès de l’employeur, depuis environ cinq années. Elle connaît bien l’entreprise.

[69]        Elle affirme que 80 % de la main-d’œuvre de l’employeur est d’origine asiatique. Les demandes de congés pour effectuer des voyages en Chine sont nombreuses et elles sont systématiquement refusées.

[70]        Madame Roy témoigne à l’effet qu’elle était présente lors de la visite de poste effectuée en mai 2009. L’employeur, selon elle, accommode toujours les travailleurs accidentés. L’employeur voulait d’ailleurs mettre en place un retour progressif avec des tâches légères pour la travailleuse. Il existait, selon elle, des tâches que la travailleuse pouvait accomplir.

[71]        Selon madame Roy, il n’était pas nécessaire d’obtenir l’avis du médecin qui a charge relativement à l’assignation temporaire proposée puisque la condition de la travailleuse était déjà consolidée à ce moment.

[72]        Enfin, elle témoigne à l’effet que la travailleuse aurait pu refaire son poste moyennant des ajustements. Elle ajoute que l’employeur a toujours des emplois convenables à offrir.

[73]        Madame Véronique Nadeau, conseillère en Ressources humaines auprès de l’employeur, témoigne à l’effet qu’à titre de journalière, la travailleuse pouvait être appelée à occuper différents postes. Selon elle, une journalière peut faire un ou l’autre des postes énumérés et il était même possible de ne faire qu’un seul des postes décrits au rapport de l’ergonome.

[74]        Madame Nadeau ajoute que la travailleuse aurait pu être affectée au poste d’emballage WHIP, que ce poste était disponible en mai 2009 et qu’il l’est toujours au moment de l’audience. Il en est de même du poste d’emballage des « spring rolls » et de la pose d’étiquettes. Elle ajoute qu’il aurait été possible de déterminer que la travailleuse pouvait occuper ces emplois si le processus n’avait pas été interrompu. Les ajustements, qu’elle qualifie de minimes, proposés par l’ergonome auraient facilement pu être faits.

L’ARGUMENTATION DES PARTIES

[75]        Le représentant de l’employeur souligne d’emblée que le contexte de base du litige est simple. Il ajoute que la consolidation de la lésion marque la fin des traitements. Dans ce contexte, le fait pour la travailleuse de décider d’aller en Chine afin d’y suivre des traitements ne justifiait pas que la CSST suspende le processus de réadaptation.

[76]        Selon l’employeur, il a été proactif dans la gestion du dossier de la travailleuse. Le fait de refuser les congés à la travailleuse relève du droit de gérance de l’employeur. Il souligne que la travailleuse a suivi ce que lui a dit la CSST, mais ajoute qu’elle aurait pu prendre ses informations ailleurs.

[77]        Selon l’employeur, la CSST ne pouvait suspendre le processus de réadaptation. L’article 142 doit être lu conjointement avec l’article 183.

[78]        L’employeur souligne que, dans un premier temps, au moment où la CSST rend la décision de suspension, les parties se trouvaient à une étape préliminaire à la mise en œuvre d’un plan individualisé de réadaptation. La travailleuse conservait donc son droit au versement de l’indemnité de remplacement du revenu.

[79]        Subsidiairement, l’employeur soumet que si l’on se situe à l’intérieur de la mise en place du plan individualisé de réadaptation, la CSST ne pouvait valablement le suspendre puisque la travailleuse n’a pas refusé d’y collaborer.

[80]        Enfin, le poste prélésionnel de la travailleuse pouvait être adapté pour correspondre à ses limitations fonctionnelles. De plus, puisque le travail de journalier implique l’accomplissement de plusieurs assignations, il aurait été facile d’en retrancher. Par conséquent, les indemnités de la travailleuse devaient prendre fin en mai 2009, puisqu’elle aurait alors pu occuper son poste prélésionnel moyennant les ajustements nécessaires.

[81]        Le représentant de l’employeur ajoute qu’il est possible d’offrir un emploi convenable à un travailleur qui a, par ailleurs, été congédié.

L’AVIS DES MEMBRES

[82]        Conformément aux dispositions de l’article 429.50 de la loi, la commissaire soussignée a obtenu l’avis motivé du membre issu des associations d’employeurs et du membre issu des associations syndicales ayant siégé auprès d’elle dans la présente affaire.

Dossier 389429-71-0909

[83]        Le membre issu des associations syndicales tout comme le membre issu des associations d’employeurs sont d’avis que la requête de l’employeur doit être rejetée. En effet, l’absence de la travailleuse justifie la suspension du versement des indemnités de remplacement du revenu et l’interruption du processus de réadaptation entrepris.

Dossier 412605-71-1006

[84]        Les deux membres sont d’avis que la requête de l’employeur doit être rejetée étant donné que la preuve révèle que la travailleuse n’était pas en mesure de reprendre son emploi prélésionnel.

[85]        De plus, l’emploi d’assembleuse de petits articles constitue un emploi approprié. Enfin, compte tenu de la rupture du lien d’emploi entre la travailleuse et l’employeur, la CSST n’avait pas à déterminer un emploi convenable chez l’employeur.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

Dossier 389429

[86]        La Commission des lésions professionnelles doit décider, dans un premier temps, si la CSST pouvait suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu et interrompre le processus de réadaptation entrepris. Le fait que la travailleuse avait droit à la réadaptation puisqu’elle conserve une atteinte permanente attribuable à sa lésion professionnelle n’est pas remis en question.

[87]        Avant de traiter de la suspension du processus comme tel, il y a lieu de répondre à l’argument de l’employeur à l’effet que les parties se trouvaient à une étape préalable à la mise en œuvre du plan individualisé de réadaptation.

Ø    La mise en œuvre du plan individualisé de réadaptation

[88]        Le plan de réadaptation prévu à l’article 146 de la loi, est décrit en ces termes :

146.  Pour assurer au travailleur l'exercice de son droit à la réadaptation, la Commission prépare et met en oeuvre, avec la collaboration du travailleur, un plan individualisé de réadaptation qui peut comprendre, selon les besoins du travailleur, un programme de réadaptation physique, sociale et professionnelle.

Ce plan peut être modifié, avec la collaboration du travailleur, pour tenir compte de circonstances nouvelles.

__________

1985, c. 6, a. 146.

 

 

[89]        La réadaptation professionnelle, qui constitue le volet de la réadaptation en cause dans le présent dossier, est prévue aux articles 166 à 178 de la loi. Le but de cette réadaptation consiste à faciliter la réintégration du travailleur dans son emploi ou dans un emploi équivalent. Si ce but ne peut être atteint, la réadaptation visera à lui faciliter l’accès à un emploi convenable[2].

[90]        La première étape du plan consiste donc à tenter la réintégration du travailleur dans son emploi. La CSST examine alors si le travailleur, victime d’une lésion professionnelle, peut exercer son emploi sans outrepasser ses limitations fonctionnelles.

[91]        Dans le cas de la travailleuse, son dossier est transféré au service de réadaptation de la CSST le 25 février 2009. À partir de ce moment, madame Delorme est en charge du dossier et des échanges interviennent entre celle-ci et l’employeur afin, notamment, de planifier une visite de poste. Une rencontre a d’ailleurs lieu à cet effet le 31 mars 2009.

[92]        L’objectif de cette rencontre consiste à évaluer la capacité de la travailleuse à rencontrer les exigences physiques de ses tâches de travail tout en respectant ses limitations fonctionnelles. Monsieur Roy procède à l’analyse des tâches de la travailleuse et rédige un rapport, à ce sujet, en date du 20 avril 2009.

[93]        La lettre de la CSST statuant sur la suspension des indemnités de remplacement du revenu est émise le 21 mai 2009. À ce moment, les démarches en réadaptation professionnelles sont clairement entreprises.

[94]        La Commission des lésions professionnelles ne peut donc retenir la position de l’employeur à l’effet que les parties étaient alors à une étape préalable à l’amorce du plan individualisé de réadaptation.

Ø     La suspension des indemnités de remplacement du revenu

[95]        La CSST peut suspendre les indemnités de remplacement du revenu en vertu de l’article 142 de la loi, lequel prévoit ce qui suit :

142.  La Commission peut réduire ou suspendre le paiement d'une indemnité :

 

1° si le bénéficiaire :

 

a)  fournit des renseignements inexacts;

 

b)  refuse ou néglige de fournir les renseignements qu'elle requiert ou de donner l'autorisation nécessaire pour leur obtention;

 

2° si le travailleur, sans raison valable :

 

a)  entrave un examen médical prévu par la présente loi ou omet ou refuse de se soumettre à un tel examen, sauf s'il s'agit d'un examen qui, de l'avis du médecin qui en a charge, présente habituellement un danger grave;

 

b)  pose un acte qui, selon le médecin qui en a charge ou, s'il y a contestation, selon un membre du Bureau d'évaluation médicale, empêche ou retarde sa guérison;

 

c)  omet ou refuse de se soumettre à un traitement médical reconnu, autre qu'une intervention chirurgicale, que le médecin qui en a charge ou, s'il y a contestation, un membre du Bureau d'évaluation médicale, estime nécessaire dans l'intérêt du travailleur;

 

d)  omet ou refuse de se prévaloir des mesures de réadaptation que prévoit son plan individualisé de réadaptation;

 

e)  omet ou refuse de faire le travail que son employeur lui assigne temporairement et qu'il est tenu de faire conformément à l'article 179, alors que son employeur lui verse ou offre de lui verser le salaire et les avantages visés dans l'article 180 ;

 

f)  omet ou refuse d'informer son employeur conformément à l'article 274 .

__________

1985, c. 6, a. 142; 1992, c. 11, a. 7.

 

 

[96]        En l’instance, la CSST aurait suspendu le paiement des indemnités de remplacement du revenu de la travailleuse en vertu de l’alinéa d). C’est ce que conteste l’employeur.

[97]        La Commission des lésions professionnelles a déjà décidé que l’obligation de collaboration au processus de réadaptation ne requiert pas qu’un travailleur soit à la disposition de la CSST en toutes circonstances et à tout moment. Dans cette optique, le tribunal a décidé qu’un séjour de courte durée au cours de la période des Fêtes ayant entraîné une absence à quatre séances de réentraînement ne justifiait pas la suspension des indemnités de remplacement du revenu[3].

[98]        Or, dans le cas sous étude, la travailleuse s’absente du 28 mai au 30 septembre 2009, soit pour une période de plus de quatre mois. Elle motive son absence par le fait qu’elle souhaite suivre des traitements en Chine. À ce moment, une date de consolidation de la lésion professionnelle est fixée au 25 novembre 2008 et la décision à l’effet que la travailleuse n’a plus besoin de soins ou de traitements à compter de cette date n’est pas contestée.

[99]        Dans ce contexte, la travailleuse ne pouvait invoquer le fait de vouloir des traitements additionnels afin de motiver son absence. Aussi, c’est à bon droit que la CSST a suspendu le versement des indemnités de remplacement du revenu de la travailleuse durant son absence.

Ø    La suspension du plan individualisé de réadaptation

[100]     La Commission des lésions professionnelle doit décider si la CSST pouvait interrompre le processus de réadaptation entrepris compte tenu de l’absence de la travailleuse.

 

[101]     Le 20 mai 2009, madame Delorme avise la travailleuse, par l’entremise de sa fille, de la suspension de ses indemnités de remplacement du revenu et de son droit à la réadaptation au cours de son absence. La décision émise le 21 mai 2009, à cet effet, précise que l’indemnité de remplacement du revenu sera suspendue puisque la travailleuse ne sera plus disponible pour participer au processus en réadaptation. La décision précise que le versement sera repris dans la mesure où le motif qui en a justifié la suspension n’existera plus.

[102]     Or, cette décision ne constitue pas une suspension du plan individualisé de réadaptation imposée en vertu de l’article 183 de la loi. Cette disposition prévoit ce qui suit :

183.  La Commission peut suspendre ou mettre fin à un plan individualisé de réadaptation, en tout ou en partie, si le travailleur omet ou refuse de se prévaloir d'une mesure de réadaptation prévue dans son plan.

 

À cette fin, la Commission doit donner au travailleur un avis de cinq jours francs l'informant qu'à défaut par lui de se prévaloir d'une mesure de réadaptation, elle appliquera une sanction prévue par le premier alinéa.

__________

1985, c. 6, a. 183.

 

 

[103]     En l’espèce, la travailleuse n’a pas omis ou refusé de se prévaloir d’une mesure de réadaptation prévue dans son plan. La preuve est plutôt à l’effet que la CSST n’a pas mis en place de mesure de réadaptation durant l’absence de la travailleuse. Les conséquences auxquelles la travailleuse devait faire face, à la suite de son départ en Chine, ont clairement été exposées par madame Delorme, et ce, tant à la travailleuse qu’à l’employeur, et se limitaient à la suspension du versement de l’indemnité du revenu.

[104]     Madame Delorme a toujours maintenu qu’elle ne poursuivrait pas le processus de réadaptation en l’absence de la travailleuse. Cela ressort de ses notes d’intervention du 25 mai 2009, de sa conversation téléphonique avec la fille de travailleuse en date du 26 mai 2009 et de son courriel du 28 mai 2009.

[105]     Dans ce contexte, on ne peut invoquer que la travailleuse omet ou refuse de se prévaloir d’une mesure de réadaptation, puisqu’aucune mesure n’était prévue au cours de son absence.

[106]     D’autre part, le défaut d’avoir donné à la travailleuse l’avis de cinq jours francs prévu au deuxième alinéa de l’article 183 de la loi démontre que la CSST n’agissait pas dans le cadre de cette disposition.

[107]     L’employeur demande plutôt à la Commission des lésions professionnelles de statuer à l’effet que le processus de réadaptation devait se poursuivre malgré l’absence de la travailleuse. Or, une telle conclusion, dans le présent dossier, irait à l’encontre de l’article 146 de la loi :

 

 

146.  Pour assurer au travailleur l'exercice de son droit à la réadaptation, la Commission prépare et met en oeuvre, avec la collaboration du travailleur, un plan individualisé de réadaptation qui peut comprendre, selon les besoins du travailleur, un programme de réadaptation physique, sociale et professionnelle.

 

Ce plan peut être modifié, avec la collaboration du travailleur, pour tenir compte de circonstances nouvelles.

__________

1985, c. 6, a. 146.

 

 

 

[108]     La CSST peut certes procéder de manière unilatérale[4] lorsque le travailleur refuse de collaborer, ce qui n’est pas le cas en l’espèce tel qu’exposé dans le cadre de l’analyse de l’application de l’article 183 de la loi, faite précédemment.

[109]     Par surcroît, compte tenu de l’orientation prise par la CSST dans le processus de réadaptation de la travailleuse, cette dernière aurait été en droit de contester une décision déterminant unilatéralement un emploi, tel que le demande l’employeur à l’audience. En effet, « avant de procéder de la sorte, la CSST devra démontrer avoir déployé tous les efforts nécessaires et avoir eu recours à toutes les ressources appropriées pour inciter le travailleur à s’impliquer et à participer activement dans un tel processus »[5]. Or, aucune de ces démarches n’ont été faites dans la présente instance.

[110]     Enfin, le droit de la travailleuse à la réadaptation est indiscutable, celle-ci conservant une atteinte permanente à la suite de sa lésion professionnelle, conformément à l’article 145 de la loi :

145.  Le travailleur qui, en raison de la lésion professionnelle dont il a été victime, subit une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique a droit, dans la mesure prévue par le présent chapitre, à la réadaptation que requiert son état en vue de sa réinsertion sociale et professionnelle.

__________

1985, c. 6, a. 145.

 

 

 

 

 

[111]     La Commission des lésions professionnelles conclut que la CSST était fondée de suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu et que l’interruption du processus de réadaptation, auquel la travailleuse avait droit, était également justifiée.

Dossier 412605-71-1006

[112]     La Commission des lésions professionnelles doit décider si la décision de la CSST à l’effet que la travailleuse était capable d’exercer l’emploi d’assembleuse de petits articles à compter du 4 mars 2010, était fondée.

[113]     En début d’audience, l’employeur admet que la travailleuse ne pouvait reprendre son emploi prélésionnel. Il retire, par la suite, cette admission, et demande, au contraire, qu’il soit déclaré que la travailleuse était capable d’exercer son emploi.

[114]     C’est donc en fonction de cette conclusion recherchée par l’employeur que le tribunal analysera la preuve soumise.

Ø    La capacité de la travailleuse à occuper son emploi prélésionnel

[115]     Dans un premier temps, le tribunal réitère que les limitations fonctionnelles de la travailleuse ne sont pas contestées.

[116]     Lors de la visite de poste en date du 31 mars 2009, madame Joly répondait à monsieur Roy qu’il serait difficile à gérer si la travailleuse ne pouvait faire un poste ou l’autre sur la ligne de production. C’est d’ailleurs ce que rapporte madame Delorme dans sa note d’intervention du 20 mai 2009 lorsqu’elle affirme que lors de la visite de poste, il avait été établi que la travailleuse devait pouvoir refaire ses tâches en entier.

[117]     Lorsque madame Delorme mentionnait, à la même note d’intervention, que l’employeur pouvait changer d’idée sur ce point, c’était en fonction de la détermination d’un emploi convenable et non pas en fonction de la reprise de l’emploi prélésionnel.

[118]     L’affirmation, à l’audience, par madame Nadeau à l’effet que la travailleuse aurait pu occuper un seul des postes décrits au rapport de l’ergonome ne peut être retenue. La preuve prépondérante révèle que la travailleuse, dans le cadre de son emploi d’« emballeur général », doit pouvoir occuper les différents postes ayant fait l’objet de l’analyse de monsieur Roy.

[119]     Après que l’employeur ait pris connaissance du rapport de monsieur Roy, il se dit par ailleurs prêt à reprendre la travailleuse en travaux légers en attendant une décision quant à sa capacité de travail, tel que le rapporte madame Delorme à sa note d’intervention du 25 mai 2009. Cela ressort également de la lettre de monsieur Gagnon-Cordillo en date du 11 juin 2009 et dans laquelle il affirme que selon les recommandations de l’ergothérapeute, la travailleuse aurait pu être assignée à un poste temporaire convenant à ses limitations.

[120]     Lors de l’audience, madame Roy témoigne d’ailleurs à l’effet que la travailleuse aurait pu refaire son poste moyennant des ajustements.

[121]     Or, le rapport de monsieur Roy révèle que les limitations fonctionnelles de la travailleuse relatives aux mouvements lombaires ne sont pas respectées en ce qui concerne les tâches de « la préparation et le remplissage du sac ». Il souligne d’ailleurs qu’il serait difficile d’éliminer les mouvements même de faible amplitude considérant la nature de cette tâche.

[122]     Il en va de même de la tâche consistant à enfiler le sac dans un mécanisme permettant sa fermeture. Les ajustements que monsieur Roy proposait alors nécessitait, selon lui, une validation afin de s’assurer de l’efficacité de la modification sur les amplitudes de mouvements cervicaux.

[123]     Or, aucune preuve n’est disponible permettant de conclure de l’efficacité de la modification envisagée. Le tribunal ne peut donc présumer de cette efficacité.  De plus, monsieur Roy conclut à l’effet que les limitations fonctionnelles de la travailleuse ne sont pas respectées au poste de mise en sacs (food service). Par conséquent, la Commission des lésions professionnelles conclut que l’emploi prélésionnel de la travailleuse ne respectait pas ses limitations fonctionnelles.

Ø    La CSST aurait-elle dû déterminer un emploi convenable chez l’employeur ?

[124]     Le tribunal doit maintenant répondre à la position soutenue par l’employeur, en début d’audience, à l’effet qu’un emploi convenable aurait dû être déterminé chez lui et non pas ailleurs sur le marché.

[125]     Le but de la réadaptation professionnelle est précisé à l’article 166 de la loi :

 

166.  La réadaptation professionnelle a pour but de faciliter la réintégration du travailleur dans son emploi ou dans un emploi équivalent ou, si ce but ne peut être atteint, l'accès à un emploi convenable.

__________

1985, c. 6, a. 166.

 

[126]     La Commission des lésions professionnelles a déjà conclu que la travailleuse ne pouvait réintégrer son emploi. De plus, aucune preuve n’a été administrée à l’effet qu’un emploi équivalent était disponible pour elle, chez l’employeur.

[127]     La CSST devait donc procéder à la détermination d’un emploi convenable, lequel est défini à l’article 2 de la loi, et conformément à l’article 170 de la loi:

2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :

 

« emploi convenable » : un emploi approprié qui permet au travailleur victime d'une lésion professionnelle d'utiliser sa capacité résiduelle et ses qualifications professionnelles, qui présente une possibilité raisonnable d'embauche et dont les conditions d'exercice ne comportent pas de danger pour la santé, la sécurité ou l'intégrité physique du travailleur compte tenu de sa lésion;

__________

1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.

 

 

170.  Lorsqu'aucune mesure de réadaptation ne peut rendre le travailleur capable d'exercer son emploi ou un emploi équivalent, la Commission demande à l'employeur s'il a un emploi convenable disponible et, dans l'affirmative, elle informe le travailleur et son employeur de la possibilité, le cas échéant, qu'une mesure de réadaptation rende ce travailleur capable d'exercer cet emploi avant l'expiration du délai pour l'exercice de son droit au retour au travail.

 

Dans ce cas, la Commission prépare et met en oeuvre, avec la collaboration du travailleur et après consultation de l'employeur, le programme de réadaptation professionnelle approprié, au terme duquel le travailleur avise son employeur qu'il est devenu capable d'exercer l'emploi convenable disponible.

__________

1985, c. 6, a. 170.

 

 

[128]     L’employeur peut-il prétendre, comme il l’a fait à l’audience, qu’un emploi peut être considéré comme étant disponible et donc convenable, et ce, malgré la rupture du lien d’emploi de la travailleuse alors que l’employeur ne veut pas, dans les faits, la réintégrer ? Le présent tribunal conclut que non.

[129]     Le but recherché par le législateur à cette étape de détermination d’un emploi convenable consiste à réintégrer le travailleur dans son milieu de travail[6].

 

[130]     L’employeur dépose la jurisprudence du présent tribunal à l’effet que le licenciement du travailleur n’a pas pour effet de l’empêcher d’occuper un emploi convenable disponible chez l’employeur[7]. L’emploi en question doit toutefois être disponible chez l’employeur pour le travailleur visé. Dans la mesure où un employeur ne désire pas reprendre un travailleur, ce qui est le cas en l’espèce, un emploi ne peut être considéré comme étant convenable du fait qu’il serait, de manière hypothétique, disponible, alors que dans les faits, il ne l’est pas pour le travailleur.

[131]     En effet, dans le cas d’un congédiement[8], tout comme dans le cas d’une démission[9], le travailleur n’est plus liée à l’employeur et dès lors, la CSST n’a pas l’obligation de communiquer avec l’employeur avant de déterminer un emploi convenable.

[132]     Le tribunal est par ailleurs en accord avec la position de l’employeur à l’effet que le caractère convenable d’un emploi s’évalue en fonction de l’emploi comme tel et non pas en fonction de l’employeur, tel que l’affirme le juge administratif Clément, dans l’affaire Malak[10] qu’il dépose. Mais l’emploi envisagé doit néanmoins être disponible, ce qui était le cas dans cette affaire.

[133]     Le caractère convenable de l’emploi d’assembleuse de petits articles n’est, par ailleurs, pas remis en question.

[134]     La Commission des lésions professionnelles conclut que la CSST n’avait pas à consulter l’employeur lors de la détermination d’un emploi convenable compte tenu de la rupture du lien d’emploi entre lui et la travailleuse.

[135]     La requête de l’employeur est donc rejetée.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

Dossier 389429-71-0909

REJETTE la requête formulée le 22 septembre 2009 par McCain Foods (div. Wong Wing), l’employeur;

CONFIRME la décision rendue le 14 septembre 2009 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que madame Wu Yu Ping a droit aux mesures de réadaptation prévues à Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles;

DÉCLARE que la Commission de la santé et de la sécurité du travail était justifiée de suspendre le versement des indemnités de remplacement du revenu prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles et d’interrompre le processus de réadaptation.

Dossier 412605-71-1006

REJETTE la requête formulée le 9 juin 2010 par McCain Foods (div. Wong Wing);

CONFIRME la décision redue le 19 mai 2010 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, à la suite d’une révision administrative ;

DÉCLARE que l’emploi d’assembleuse de petits articles constitue un emploi convenable et que la travailleuse pouvait l’exercer à compter du 4 mars 2010;

DÉCLARE que la travailleuse a droit au versement de l’indemnité de remplacement du revenu au plus tard jusqu’au 4 mars 2011.

 

 

 

 

 

__________________________________

 

Isabelle Therrien

 

 

Me Dominique L’Heureux

FASKEN MARTINEAU DUMOULIN, AVOCATS

Représentant de la partie requérante

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001

[2]           Article 166 de la loi.

[3]           Pacius et Manufacture Lingerie Château inc., C.L.P. 343403-71-0803, le 30 mars 2009, D. Gruffy.

[4]           Maltais et Acier d'armature Ferneuf inc., [2007] C.L.P. 929 .

[5]           Précité, note 4, p. 935.

[6]           West et Buanderie Sherbrooke inc., CLP 11010-05-8901, le 21 septembre 1992, G. Lavoie, (J4-18-26); Castronovo et Corival inc., CLP 31371-61-9108, le 15 novembre 1993, J.-G. Béliveau.

[7]           Duchesne et Groupe Lactel (a/s Agropur), CLP 163381-02-0106, 20 novembre 2001, R. Deraiche

[8]           Transport R.P.R. et Dupont, C.L.P. 246195-62B-0410, le 4 avril 2005, A. Vaillancourt; Sani-Eco inc. et Nadon, C.L.P., 298223-62B-0609, le 21 septembre 2007, R. Deraiche; Wal-Mart Canada et Grignon, CLP 390911-08-0910, le 15 octobre 2010, C.-A. Ducharme,

[9]           Cie de la Baie d'Hudson et Clendenning, CLP 254217-71-0501, le 6 septembre 2005, R. Langlois, révision rejetée, le 30 mai 2006, M. Denis.

[10]         Malak et Marché Adonis, CLP 381351-61-0906, le 9 mars 2010, J.-F. Clément

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