Dubois et Gabriel Turgeon inc.

2009 QCCLP 2361

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Lévis

31 mars 2009

 

Région :

Chaudière-Appalaches

 

Dossier :

343475-03B-0803

 

Dossier CSST :

131861056

 

Commissaire :

Robin Savard, juge administratif

 

Membres :

Claude Jacques, associations d’employeurs

 

Ulysse Duchesne, associations syndicales

______________________________________________________________________

 

 

 

Dany Dubois

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Gabriel Turgeon inc.

 

Partie intéressée

 

 

 

et

 

 

 

Commission de la santé

et de la sécurité du travail

 

Partie intervenante

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]                Le 26 mars 2008, monsieur Dany Dubois (le travailleur) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle il conteste la décision rendue le 14 mars 2008 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST), à la suite d’une révision administrative.

[2]                Par cette décision, la CSST confirme la décision qu’elle a rendue initialement le 31 août 2007 et déclare irrecevable la réclamation produite par le travailleur, 16 août 2007, concernant un bris de lunettes qui serait attribuable à un événement survenu le 27 juillet 2006, puisque cette réclamation est hors délai et qu’aucun motif raisonnable ne fût soulevé par le travailleur permettant à la CSST de le relever de son défaut ou encore de prolonger le délai.

[3]                Une audience fut tenue le 24 février 2009 à Lévis. Le travailleur est présent et représenté par monsieur Jean Philibert de l’ATTAM. L’employeur n’est ni présent ni représenté. La CSST a avisé la Commission des lésions professionnelles, par lettre datée du 10 février 2009, qu’elle sera absente à l’audience mais qu’elle désire recevoir une copie de la décision.

[4]                Par ailleurs, le travailleur s’est engagé à produire une déclaration assermentée d’un témoin de l’événement et d’autres documents, s’il y a lieu. Ceux-ci ont été reçus par la Commission des lésions professionnelles le 27 février 2009, date où la cause est prise en délibéré.

 

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[5]                Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer recevable sa réclamation pour un bris de lunettes, attribuable à un événement imprévu et soudain survenu le 27 juillet 2006 chez son employeur et de déclarer qu’il a droit au remboursement du montant maximum prévu par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la LATMP) pour le coût d’achat de ses lunettes.

 

L’AVIS DES MEMBRES

[6]                Le membre issu des associations d’employeurs et le membre issu des associations syndicales sont d’avis d’accueillir la requête produite par le travailleur, d’infirmer la décision rendue par la révision administrative de la CSST et de déclarer que le travailleur a droit au remboursement du montant maximum prévu dans la LATMP pour l’achat de lunettes endommagées involontairement lors d’un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause et survenant par le fait de son travail, le tout en vertu de l’article 113 de la LATMP.

 

[7]                D’abord, les membres sont d’avis qu’il n’y a aucun délai pour produire une réclamation pour un bris de lunettes, selon l’article 113 de la LATMP, surtout si le travailleur n’a pas subi une lésion professionnelle comme le stipule les articles 270 , 271 et 272 de la LATMP.

[8]                Dans le cas présent, les membres sont d’avis que le travailleur n’a pas eu besoin d’aller consulter un médecin lors du bris et de la perte de ses lunettes qui n’ont jamais été retrouvées dans les balles de foin, ce qui fait en sorte que la réclamation produite par le travailleur n’est soumis à aucun délai prévu dans la LATMP pour le remboursement d’un bris ou d’une perte de lunettes seulement.

[9]                Sur le fond, les membres sont d’avis que le travailleur respecte l’article 113 de la LATMP puisque ses lunettes ont été endommagées et même perdues, involontairement, lors d’un événement imprévu et soudain survenu le 27 juillet 2006, attribuable à toute cause et survenant par le fait de son travail. Cela a d’ailleurs été corroboré par un témoin, soit monsieur Frank Labonté.

[10]           Les membres sont donc d’avis que le travailleur a droit au remboursement du coût d’achat pour le remplacement de ses lunettes, en produisant une pièce justificative, et ce, jusqu’à concurrence du maximum prévu dans la LATMP.

 

LES FAITS ET LES MOTIFS

[11]           La Commission des lésions professionnelles doit décider si le travailleur a droit au remboursement du coût d’achat pour des lunettes en vertu de l’article 113 de la LATMP qui se lit comme suit :

113.  Un travailleur a droit, sur production de pièces justificatives, à une indemnité pour la réparation ou le remplacement d'une prothèse ou d'une orthèse au sens de la Loi sur les laboratoires médicaux, la conservation des organes, des tissus, des gamètes et des embryons et la disposition des cadavres (chapitre L-0.2) endommagée involontairement lors d'un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant par le fait de son travail, dans la mesure où il n'a pas droit à une telle indemnité en vertu d'un autre régime.

 

L'indemnité maximale payable pour une monture de lunettes est de 125 $ et elle est de 60 $ pour chaque lentille cornéenne; dans le cas d'une autre prothèse ou orthèse, elle ne peut excéder le montant déterminé en vertu de l'article 198.1 .

__________

1985, c. 6, a. 113; 1992, c. 11, a. 5; 2001, c. 60, a. 166.

 

 

[12]           Selon l’article 113 de la LATMP, pour avoir droit au remboursement de lunettes, le travailleur doit répondre à certaines conditions, c’est-à-dire que la CSST paie une indemnité pour, dans ce cas-ci, le remplacement d’une orthèse au sens de la Loi sur la protection de la santé publique[2], si elle est endommagée involontairement lors d’un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant par le fait de son travail, et ce, dans la mesure où il n’a pas droit à une telle indemnité en vertu d’un autre régime. De plus, le travailleur doit produire une pièce justificative démontrant qu’il a acheté une nouvelle monture de lunettes.

[13]           Si toutes ces conditions sont respectées par le travailleur, la CSST doit lui rembourser le coût d’achat de ses lunettes, jusqu’à concurrence du maximum prévu par la LATMP.

[14]           Avec respect pour la CSST, la Commission des lésions professionnelles conclut d’abord que la LATMP ne prévoit aucun délai pour produire une réclamation suite à un bris de lunettes, occasionné par un événement imprévu et soudain, attribuable à toute cause et survenant par le fait du travail du travailleur, si ce dernier ne fait qu’endommager, briser ou perdre ses lunettes à la suite d’un tel événement. En d’autres termes, si le travailleur n’a subi aucune blessure ou lésion correspondant à une lésion professionnelle, dont un diagnostic précis est posé par un médecin qui a charge d’un travailleur, ce dernier n’est pas tenu de respecter les délais de réclamation prévus aux articles 270 , 271 et 272 de la LATMP, puisqu’il n’a pas besoin d’être victime d’une lésion professionnelle, que ce soit à l’occasion d’un accident du travail ou encore d’une maladie professionnelle.

[15]           D’autre part, l’article 113 de la LATMP dispense le travailleur de prouver qu’il a subi un accident du travail ayant causé l’endommagement ou le bris de ses lunettes, en autant que celles-ci aient été endommagées, et même perdues dans ce cas-ci, à la suite d’un événement imprévu et soudain, soit l’une des conditions à respecter dans l’application de cet article. Ce faisant, ce bris de lunettes causé par un événement imprévu et soudain n’a pas besoin d’entraîner une lésion professionnelle ou encore qu’un diagnostic soit posé, et ce, pour avoir droit au remboursement du coût d’achat de cette orthèse.

[16]           Cela fait en sorte que le seul motif retenu par la CSST pour rejeter la réclamation du 16 août 2007, produite par le travailleur, n’est pas fondé, puisque le travailleur n’est soumis à aucun délai de production dans la LATMP.

[17]           Ceci étant dit, il y a lieu, maintenant, de décider si le travailleur a démontré, par une preuve prépondérante, qu’un événement imprévu et soudain est survenu le 27 juillet 2006, attribuable à toute cause et survenant par le fait de son travail d’ouvrier agricole, ce qui aurait occasionné le bris et même la perte de ses lunettes.

[18]           Avec respect pour la CSST, la Commission des lésions professionnelles conclut que le travailleur a démontré cette preuve, et ce, en raison des faits et des motifs suivants :

[19]           Le travailleur exerce un emploi d’ouvrier agricole chez l’employeur depuis environ 15 ans, au moment où est survenu un événement, le 27 juillet 2006, vers 16 h, par le fait de son travail. À cette date, le travailleur était affecté à des travaux légers en raison d’une lésion professionnelle survenue antérieurement, soit celle du 29 mai 2006 et qui concerne sa région lombaire.

[20]           Selon le témoignage rendu par le travailleur, il travaillait en compagnie de trois autres employés et de l’employeur, monsieur Gabriel Turgeon, à empiler les balles de foin dans la grange. Il s’agissait de balles de foin rectangulaires, mesurant deux pieds de largeur par quatre pieds de long, attachées par deux cordes et manipulées par ces quatre personnes qui se les tiraient afin de les empiler manuellement dans la grange.

[21]           Le 27 juillet 2006, un employé, soit monsieur Serge Paradis, lui a tiré une balle de foin qu’il a reçue en plein visage, alors qu’il portait ses lunettes, ce qui a fait en sorte que celles-ci ont tombé sur d’autres balles de foin déjà empilées mais n’ont jamais été retrouvées.

[22]           À ce moment, messieurs Serge Paradis, Yvon Houde et Frank Labonté, qui travaillaient tous trois pour l’employeur, ont été avisés de ce fait et ont aidé le travailleur à retrouver ses lunettes, mais sans succès. Le travailleur précise qu’il y avait des ouvertures entre certaines balles de foin, empilées à certaines hauteurs, et c’est probablement à l’intérieur de ces ouvertures que ses lunettes se sont retrouvées lorsqu’elles ont été projetées de son visage par la balle de foin qu’il venait de recevoir.

[23]           Le travailleur précise qu’il portait des lunettes depuis plusieurs années et qu’il a besoin de celles-ci pour conduire son automobile. D’ailleurs, une personne a dû le reconduire à son domicile. De plus, le travailleur est convaincu que monsieur Turgeon était au courant de cet événement, puisqu’il se situait au bas de la grange et opérait le monte-balles de foin.

[24]           Or, après l’audience tenue le 24 février 2009 à Lévis, le travailleur a obtenu, tel que convenu avec le tribunal, une déclaration assermentée et signée, en date du 27 février 2009, par un des trois travailleurs qui œuvraient avec lui, le 27 juillet 2006, soit monsieur Frank Labonté. Cette déclaration reprend textuellement ce que le travailleur a mentionné à cette audience, à savoir que c’est monsieur Serge Paradis qui lui a tiré une balle de foin par la tête, occasionnant ainsi la perte de ses lunettes qui n’ont jamais été retrouvées à l’intérieur de la grange où ils empilaient celles-ci.

[25]           Cette déclaration, assermentée et signée par monsieur Frank Labonté, démontre qu’il est survenu un événement imprévu et soudain, le 27 juillet 2006, dans une des granges de l’employeur, ce qui a eu pour effet que le travailleur a non seulement endommagé ses lunettes mais les a aussi perdues à l'intérieur des balles de foin qu’il empilait dans le cadre de son travail d’ouvrier agricole, qu’il exerce depuis plusieurs années chez l’employeur.

[26]           De plus, le travailleur a produit à la CSST une facture de l’optométriste, où il s’est acheté de nouvelles lunettes, puisqu’il n’a jamais retrouvé les anciennes. Le montant de sa facture s’élève à 659 $.

[27]           Toutefois, la CSST n’est pas tenue de payer plus que le maximum prévu dans la LATMP. C’est donc jusqu’à concurrence de ce montant maximum que le travailleur a droit au remboursement pour l’achat de ses nouvelles lunettes qui ont été endommagées et perdues à la suite d’un événement imprévu et soudain, survenu dans le cadre de son travail d’ouvrier agricole.

[28]           En terminant, la Commission des lésions professionnelles rappelle que, même si le propriétaire de l’entreprise de l’employeur précise, lors d’une conversation téléphonique tenue avec un agent de la CSST, en août 2007, à la suite de la réclamation produite par le travailleur le 14 août 2007, qu’il n’a jamais entendu parler de cet événement du 27 juillet 2006, il n’en demeure pas moins que ce dernier ne s’est pas présenté à l’audience pour apporter ses commentaires et surtout vérifier si la version des faits narrés par le travailleur était crédible et vraisemblable, ce qui est le cas, selon le tribunal.

[29]           La Commission des lésions professionnelles en arrive à cette conclusion, puisque la version du travailleur a été corroborée par celle de monsieur Frank Labonté qui fut témoin de l’événement imprévu et soudain survenu le 27 juillet 2006 au travailleur. Ce dernier a même cherché les lunettes du travailleur avec ses autres collègues de travail à l’intérieur des balles de foin empilées, mais sans succès.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête produite par monsieur Dany Dubois (le travailleur);

INFIRME la décision rendue le 14 mars 2008 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST), à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE qu’une réclamation produite en vertu de l’article 113 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q., c. A-3.001) n’est soumise à aucun délai; et

DÉCLARE que le travailleur a subi un événement imprévu et soudain, attribuable à toute cause, par le fait de son travail de journalier agricole qui a occasionné non seulement l’endommagement mais aussi la perte de ses lunettes, pour lesquelles il a droit au remboursement de celles-ci, jusqu’à concurrence du maximum prévu par la loi.

 

 

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Robin Savard

 

 

 

Monsieur Jean Philibert

ATTAM

Représentant de la partie requérante

 

 

Me Lucie Rondeau

PANNETON LESSARD

Représentante de la partie intervenante

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001.

[2]           Chapitre P-35.

AVIS :
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