Commission des normes du travail c. Lafortune |
2011 QCCQ 10041 |
|||||||
COUR DU QUÉBEC |
||||||||
|
||||||||
CANADA |
||||||||
PROVINCE DE QUÉBEC |
||||||||
DISTRICT DE |
JOLIETTE |
|||||||
LOCALITÉ DE |
JOLIETTE |
|||||||
« Chambre civile » |
||||||||
N° : |
705-22-010198-099 |
|||||||
|
|
|||||||
|
||||||||
DATE : |
1er septembre 2011 |
|||||||
______________________________________________________________________ |
||||||||
|
||||||||
SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
MONIQUE FRADETTE, j.C.Q. |
||||||
|
||||||||
|
|
|||||||
______________________________________________________________________ |
||||||||
|
||||||||
|
||||||||
COMMISSION DES NORMES DU TRAVAIL |
||||||||
Partie demanderesse |
||||||||
c. |
||||||||
JOCELYN LAFORTUNE |
||||||||
Partie défenderesse |
||||||||
|
||||||||
|
||||||||
______________________________________________________________________ |
||||||||
|
||||||||
JUGEMENT |
||||||||
______________________________________________________________________ |
||||||||
|
||||||||
[1] La Commission des Normes du travail réclame pour la salariée, Joanne Caron, 4 535 $ pour des heures supplémentaires impayées et 1 180 $ pour le congé annuel afférent.
[2] Le Vignoble Lafortune «l'employeur» plaide que pendant son emploi, d'avril 2008 à février 2009, la salariée ne l'a jamais informé qu'elle accumulait des heures supplémentaires et, le cas échéant, elles ne sont pas justifiées par le travail à accomplir.
Les questions en litige
[3] La Commssion a t-elle établi par une preuve prépondérante que la salariée avait accompli des heures supplémentaires impayées?
[4] Le cas échéant, ont-elles été faites à la connaissance de l'employeur? Si oui, le quantum est-il prouvé?
Les faits
[5] Les faits pertinents que le Tribunal retient sont les suivants:
[6] Le Vignoble Lafortune est situé à l'Île Ronde dans le fleuve St-Laurent.
[7] Depuis 1995, le propriétaire, Jocelyn Lafortune y organise des événements dont le brunch du dimanche, des repas gastronomiques, des soirées thématiques, des mariages.
[8] Les bureaux de l'administration et l'accueil des visiteurs sont situés à St-Sulpice, face à l'île.
[9] Une préposée du Vignoble accompagne les visiteurs dans l'autobus qui les conduit au bateau qui les amène à l'Île.
[10] Le 4 avril 2008, Paul-Éric Gendron, alors directeur des opérations, embauche Joanne Caron avec l'approbation de Jocelyn Lafortune.
[11] En plus de ses tâches cléricales, elle doit accueillir les visiteurs et les accompagner au bateau. Elle s'occupe aussi de l'organisation des mariages et ce jusqu'au jour de la cérémonie.
[12] Son salaire est de 480 $ semaine, soit 12 $ de l'heure pour 40 heures semaine. Son salaire est augmenté à 560 $ après la période de probation.
[13] Les activités du Vignoble débutent vers la mi-mai et se terminent à la fin octobre.
[14] L'entreprise n'a pas de système de pointage pour enregistrer les entrées et sorties de ses employés.
[15] Dans les premières semaines de son emploi, Joanne Caron remplit une feuille de présence qu'elle remet à son supérieur. Cette pratique cesse rapidement.
[16] Selon l'employeur, Joanne Caron est payée à la semaine et non à l'heure. Le nombre d'heures travaillées peut varier. La salariée a un horaire flexible. On ne tient pas compte du temps à remettre par l'une ou l'autre partie.
[17] Selon la salariée, c'est l'employeur qui lui propose d'accumuler dans une «banque» les heures travaillées au-delà d'une semaine de 40 heures pour qu'elle puisse bénéficier d'un revenu constant.
[18] En novembre 2008, le frère de Joanne Caron est victime d'un grave accident à l'étranger. Elle le ramène au pays et l'accompagne jusqu'à son décès survenu le 4 décembre. Elle s'absente pendant 17 jours ouvrables. L'employeur lui paie son salaire pendant cette période. Elle estime qu'elle a elle suffisamment d'heures au crédit dans sa «banque».
[19] Selon l'employeur, la «banque» n'existe pas. Il s'agit d'un geste purement humanitaire.
[20] Après les funérailles de son frère, Joanne Caron reprend son travail. Elle s'affaire aux tâches administratives et prépare la prochaine saison d'activités dans l'Île.
[21] Le 4 février, elle rencontre Jocelyn Lafortune et Daniel Bouchard pour discuter de ses vacances. Elle souhaite les prendre en mars. Jocelyn Lafortune lui explique qu'elle doit prendre ses vacances au plus tard dans la dernière semaine de février, car il a prévu un budget de publicité télévisé. Il estime que le mois de mars sera très occupé notamment, par les réservations téléphoniques.
[22] Le 24 février, Joanne Caron l'informe qu'elle a acheté ses billets d'avion et qu'elle quitte pour ses vacances du 8 au 14 mars.
[23] Jocelyn Lafortune n'accepte pas sa décision. Il l'a congédie avec préavis d'une semaine.
[24] Dans les jours qui suivent, la salariée porte plainte à la Commission des Normes.
La preuve
[25] Mario Galipeau est l'inspecteur/enquêteur de la Commission des Normes qui a procédé à l'enquête, rédigé le détail de la réclamation et témoigné à l'audience.
[26] D'emblée, il reconnaît qu'il a eu une bonne collaboration de la part de l'employeur.
[27] Il a établi la réclamation en retenant la version de la salariée préférablement à celle de l'employeur. En présence de versions contradictoire, comme en l'espèce, si la version de la salariée semble raisonnable, c'est celle qu'il retient.
[28] Pour établir la réclamation, la salariée lui a remis un «calendrier» pour les mois d'avril 2008 à février 2009 sur lequel elle a noté le nombre d'heures travaillées. Elle lui a déclaré qu'elle a rempli ce «calendrier» au fur et à mesure à partir de notes prises sur des feuilles mobiles qu'elle n'a pas conservées.
[29] Sur ce «calendrier» la salariée n'a pas déduit le temps consacré au repas du midi. Dans la réclamation il a réduit de 30 minutes par jour le nombre d'heures réclamées. Il a donné crédit à l'employeur pour les 136 heures payées en novembre 2008 alors que la salariée n'a pas travaillée. La réclamation comprend toutes les autres heures inscrites sur le «calendrier» majorées de 50%.
[30] Joanne Caron témoigne que lors de son embauche l'employeur lui propose une «banque» d'heures, qu'elle accepte. Elle affirme qu'elle note, au fur et à mesure le nombre d'heures travaillées. Elle n'a pas tenu compte des pauses pour le repas du midi au motif que souvent elle prenait son repas tout en répondant au téléphone.
[31] En plus de ses tâches cléricales, elle voyait à l'organisation des mariages, notamment, elle aidait les futurs mariés dans les choix à faire, composait les bouquets de fleurs, les accueillait le jour de la cérémonie. Dans certains cas, elle les a accompagnés à l'Île. Quant aux événements spéciaux elle affirme qu'elle a participé à plusieurs et qu'elle a travaillé à ces occasions.
[32] Lors du contre-interrogatoire, elle admet que son «calendrier» n'a pas été rempli au fur et à mesure contrairement à ce qu'elle a représenté à l'inspecteur/enquêteur. C'est plutôt en mars 2009, qu'elle a retranscrit les notes prises sur les feuilles mobiles qu'elle a détruites.
[33] Elle admet également, qu'à sept ou huit reprises, elle a mangé à l'extérieur avec son conjoint, qu'elle a pris des repas avec monsieur Laverdure et ses compagnons de travail à l'extérieur du bureau.
[34] Jocelyn Lafortune est propriétaire du Vignoble depuis 1995. Il a participé à l'embouche de Joanne Caron. Il n'a jamais été question d'une «banque» d'heures. Elle recevait un salaire hebdomadaire de 480 $ lors de l'embauche, augmenté à 560 $ après la période de probation. Les bureaux de l'administration sont normalement ouverts de 09h à 17h du lundi au vendredi. Les employés ont une heure pour le repas du midi.
[35] De juin à octobre, il a tenu des réunions d'équipe à chaque semaine. Elle ne lui a jamais parlé qu'elle accumulait du temps supplémentaire. Lors d'événements spéciaux, tous les employés peuvent y assister s'ils le souhaitent. Il n'a jamais été question de les payer pour leur présence. C'est par la Commission des Normes qu'il appris que Joanne Caron prétendait avoir fait du temps supplémentaire. Elle ne lui en a jamais parlé.
[36] Lorsqu'il a reçu une mise en demeure il a confié à son comptable d'alors, Bernard Bouchard, le soin de vérifier la réclamation, de recueillir les renseignements et les documents et de les transmettre à la Commission.
[37] Bouchard, est le comptable de l'entreprise. Joanne Caron ne lui a jamais parlé d'heures supplémentaires accumulées.
[38] Lors de l'accident de son frère, il a demandé des instructions à Jocelyn Lafortune, qui lui a dit de lui payer son salaire. Il ne voulait pas qu'elle soit pénalisée.
[39] Il témoigne qu'il n'a jamais entendu parler de «banque» d'heures.
[40] Pour chacun des mois travaillés par Joanne Caron, il a relevé le nombre d'événements à l'Île. Selon sa constatation des faits, les heures supplémentaires ne sont pas justifiées
Le droit
[41] La Commission des Normes du travail ne jouit d'aucune présomption lorsqu'elle réclame du salaire impayé pour un salarié.
[42] Conformément à l'article 2803 du Code civil du Québec, elle doit établir par une preuve prépondérante les faits qui soutiennent sa prétention.
[43] En l'espèce, la Commission fonde sa réclamation sur l'article 55 de Loi sur les normes [1]qui énonce:
55. Tout travail exécuté en plus des heures de la semaine normale de travail entraîne une majoration de 50% du salaire horaire habituel que touche le salarié à l'exclusion des primes établies sur une base horaire.
[44] Selon une jurisprudence constante, reprise par le juge Pierre E. Audet dans l'affaire Commission des Normes du travail c. Maison de la jeunesse à Val-des-Lacs inc.[2] La preuve doit être prépondérante pour indemniser un salarié, eu égard aux heures supplémentaires réclamées[3].
[45] Les heures supplémentaires faites sans autorisation préalable et à l'insu de l'employeur ne sont pas rétribuées[4]
[46] En l'espèce, la Commission établit sa réclamation sur les heures de travail compilées par la salariée sur des «feuilles mobiles», détruites par celle-ci et transcrites sur un «calendrier» plusieurs mois après la cessation d'emploi. Cette preuve n'est pas fiable.
[47] Ce «calendrier» n'est pas explicite sur le travail accompli en surtemps et dans certains cas, ne concorde pas avec la tenue d'événements dans l'Île.
[48] L'employeur n'a aucun moyen de vérifier l'exactitude des données. Selon la preuve non contredite, la salariée n'a pas réclamé d'heures supplémentaires pendant toute sa période d'emploi.
[49] Les heures supplémentaires, le cas échéant, ont été faites à l'insu de l'employeur, sans autorisation préalable. Elles ne peuvent donner lieu à une réclamation.
[50] Le fait que la salariée ait détruit les feuilles mobiles alors que son recours est pendant, affecte la valeur probante de son témoignage.
[51] En conclusion, la Commission n'a pas rempli son fardeau de preuve. Le Tribunal ne peut arbitrer la réclamation.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:
[52] REJETTE la requête;
[53] AVEC DÉPENS.
|
|||||||
|
__________________________________ MONIQUE FRADETTE, j.C.Q. |
||||||
|
|||||||
|
|||||||
|
|||||||
Date d’audience : |
7 septembre 2010 et 11 mars 2011 SUSPENSION DES RECOURS JUSQU'AU 1er AOÛT 2011 |
||||||
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.