Bell Canada |
2007 QCCLP 204 |
______________________________________________________________________
DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION
______________________________________________________________________
[1] Le 19 octobre 2004, Bell Canada (l’employeur) dépose une requête en révision de la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 2 septembre 2004.
[2] Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles accueille en partie la requête de l’employeur, infirme la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 5 mai 2003 à la suite d’une révision administrative et déclare qu’il y a lieu d’imputer à l’ensemble des unités d’employeurs les coûts reliés à la lésion professionnelle excédant le 2 mai 2001.
[3] L’audience s’est tenue à St-Hyacinthe le 2 octobre 2006 en présence du représentant de l’employeur.
L’OBJET DE LA REQUÊTE
[4] L’employeur demande de réviser la décision du 2 septembre 2004 puisqu’elle est entachée d’un vice de fond de nature à l’invalider. Il demande d’appliquer l’article 327 et de transférer les coûts de la lésion pour la période du 14 janvier 2000 au 15 novembre 2000 à l’ensemble des employeurs.
LES FAITS
[5] La travailleuse, madame Rachelle Dastous, subit un accident du travail le 8 décembre 1999. Le diagnostic de «tendinite de l’épaule droite, coiffe des rotateurs» est retenu comme étant en relation avec cet événement. Cette lésion est consolidée le 4 janvier 2000 sans atteinte permanente ni limitations fonctionnelles.
[6] Une récidive, rechute ou aggravation est reconnue à partir du 14 janvier 2000. Initialement, le diagnostic de tendinite de la coiffe des rotateurs est posé mais la lésion évolue et c’est le diagnostic de «séquelles d’entorse acromio-claviculaire droite» qui est retenu éventuellement.
[7] Le 4 avril 2000, le Dr Jean-René Fréchette médecin qui a charge de la travailleuse, évoque la possibilité que la travailleuse souffre d’une ligamentite acromio-claviculaire. Toutefois, ce n’est que le 15 novembre 2000 qu’une échographie est pratiquée et cet examen vient confirmer le diagnostic de synovite acromio-claviculaire droite.
[8] Le 20 novembre 2000, le Dr Comeau, chirurgien-orthopédiste, examine le travailleur à la demande de l’employeur. Il relate dans son rapport qu’il y a eu une erreur diagnostique dans ce dossier. Il ne croit pas que la travailleuse a présenté une tendinite qui a évolué en une synovite acromio-claviculaire. Il croit plutôt qu’un mauvais diagnostic a été posé et «qu’il y avait alors un problème de synovite acromio-claviculaire».
[9] L’employeur demande alors une reconsidération de la décision acceptant la réclamation de la travailleuse par lettre datée du 30 avril 2001 mais transmise le 2 mai 2001.
[10] Par décision datée du 18 janvier 2002, la CSST impute à l’employeur la totalité des coûts de cette lésion. L’employeur conteste mais la CSST lui répond que sa demande de révision ne sera pas traitée compte tenu des articles 326 et 329 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi). L’employeur fait alors une demande de partage d’imputation en vertu des articles 31, 327 et 329 de la loi.
[11] La demande en vertu de l’article 329 est rejetée par la CSST. La demande en vertu de l’article 327 est également rejetée au motif que le fait essentiel invoqué par l’employeur lui était connu depuis plus de six mois.
[12] La Commission des lésions professionnelles, par sa décision du 2 septembre 2004, accueille en partie la contestation de l’employeur. Bien qu’aucune conclusion n’apparaît au dispositif, elle refuse d’accorder un partage de coûts selon l’article 329. Cette partie de la décision n’est pas visée par la requête en révision.
[13] Concernant la demande de transfert de coûts selon l’article 327, le premier commissaire écrit ce qui suit :
[45] La Commission des lésions professionnelles estime que le refus par la CSST de considérer la demande de transfert d’imputation en vertu de l’article 327 de la loi, au motif que la demande aurait été formulée tardivement apparaît erroné.
[46] Tel que précisé antérieurement, l’article 327 de la loi n’assujettit pas une demande éventuelle de l’employeur à quelque délai que ce soit et, d’autre part, la décision d’imputation appliquant le principe général du premier alinéa de l’article 326 avait préalablement été contestée par l’employeur en bonne et due forme.
[47] Ainsi, la Commission des lésions professionnelles considère que la CSST devait statuer sur le fond de la demande logée par l’employeur concernant l’article 327.
[48] Sur le fond, la Commission des lésions professionnelles estime que l’employeur a réussi à démontrer que l’absence d’un diagnostic pertinent dès les premiers instants où la lésion professionnelle a été déclarée, combinée à l’omission de soins appropriés ont fait en sorte que la durée de la période de consolidation a été beaucoup plus importante que celle prévue dans le cas d’une entorse acromio-claviculaire, tel qu’il ressort du rapport émis par le Dr Comeau.
[49] La Commission des lésions professionnelles retient du rapport du Dr Comeau, que dans le contexte d’une synovite secondaire à l’entorse acromio-claviculaire, il y avait indication d’un essai d’infiltration et, suite au constat d’échec de ce traitement conservateur, il y avait aussi indication d’une intervention chirurgicale qui a été pratiquée par le Dr Daigle.
[50] Ainsi, le tribunal considère approprié de transférer à l’ensemble des unités d’employeurs, une partie des coûts reliés à la lésion professionnelle qui n’a été consolidée qu’au 5 août 2001.
[51] Quant au point de départ de ce transfert d’imputation, le présent tribunal est d’avis qu’il y a lieu de retenir le 2 mai 2001, date de la formulation de la demande de reconsidération dans laquelle l’employeur soulève pour la première fois la question relative à l’erreur de diagnostic décrite par le Dr Comeau dans son avis du 20 novembre 2000.
[52] Le tribunal considère qu’il serait injuste envers les autres employeurs de leur imputer les coûts précédant cette date.
[…]
[55] En l’instance, l’employeur avait en mains l’avis du Dr Comeau depuis novembre 2000 mais il a attendu au 2 mai 2001 pour soumettre à la CSST l’information relative à l’erreur de diagnostic. En raison de l’absence de diligence de l’employeur, il n’apparaît pas approprié d’imputer les coûts précédant cette date aux autres unités d’employeurs.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[14] La Commission des lésions professionnelles doit décider s’il y a lieu de réviser la décision du 2 septembre 2004.
[15] L’article 429.49 de la loi énonce que les décisions de la Commission des lésions professionnelles sont finales et sans appel :
429.49. Le commissaire rend seul la décision de la Commission des lésions professionnelles dans chacune de ses divisions.
Lorsqu'une affaire est entendue par plus d'un commissaire, la décision est prise à la majorité des commissaires qui l'ont entendue.
La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.
__________
1997, c. 27, a. 24.
[16] Par ailleurs, l’article 429.56 prévoit que la Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision qu’elle a rendue pour les motifs qui y sont énoncés. Cette disposition se lit comme suit :
429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu:
1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.
__________
1997, c. 27, a. 24.
[17] En l’espèce, l’employeur allègue que la décision rendue est entachée d’un vice de fond de nature à l’invalider.
[18] Selon une jurisprudence constante de la Commission des lésions professionnelles, la notion de vice de fond de nature à invalider la décision a été interprétée comme signifiant une erreur de droit ou de faits ayant un effet déterminant sur l’objet de la contestation.[2]
[19] La Cour d’appel s’est prononcée à plusieurs reprises relativement à l’interprétation de cette notion de «vice de fond»[3]. Notamment, dans les affaires Fontaine et Touloumi, la Cour d’appel souligne qu’il incombe à la partie qui demande la révision de faire la preuve que la première décision est entachée d’une erreur «dont la gravité, l’évidence et le caractère déterminant ont été démontrés».
[20] Dans l’affaire Fontaine, la Cour d’appel nous met en garde d’utiliser à la légère l’expression «vice de fond de nature à invalider» une décision puisque la première décision rendue par la Commission des lésions professionnelles fait autorité et ce n’est qu’exceptionnellement que cette décision pourra être révisée. Par ailleurs, dans cette même affaire le juge Morissette cite avec approbation l’extrait suivant de la décision rendue dans l’affaire Bourassa : «la notion est suffisamment large pour permettre la révocation de toute décision entachée d’une erreur manifeste de droit ou de fait qui a un effet déterminant sur le litige».
[21] Le représentant de l’employeur allègue dans ce dossier que le premier commissaire a mal appliqué l’article 327 de la loi. Il prétend qu’une mauvaise application d’une disposition de la loi donne ouverture à la révision.
[22] L’employeur prétend que le premier commissaire avait raison de conclure qu’il n’y a pas de délai prévu à la loi pour faire une demande de transfert des coûts en vertu de l’article 327. Il estime cependant que le commissaire a commis une erreur en transférant les coûts de la lésion professionnelle pour la période du 2 mai 2001 au 5 août 2001.
[23] En effet, le commissaire a transféré les coûts seulement à partir de la date de la demande de reconsidération au motif que l’employeur a manqué de diligence. L’employeur invoque qu’en agissant ainsi le tribunal a ajouté à la loi en lui imposant le respect d’un critère qui n’est pas prévu à l’article 327. Il s’agit d’une erreur de droit déterminante puisque les coûts en relation avec la mauvaise période ont été transférés.
[24] En l’espèce, l’employeur a demandé un transfert de coûts en vertu de l’article 327 de la loi. La Commission des lésions professionnelles par sa décision du 2 septembre 2004, a accordé un tel transfert et cette partie de la décision n’est pas visée par la requête en révision.
[25] La Commission des lésions professionnelles doit uniquement décider s’il y a lieu de réviser la partie de la décision concernant la période du transfert des coûts.
[26] Les articles 31 et 327 de la loi prévoient ce qui suit :
31. Est considérée une lésion professionnelle, une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion:
1° des soins qu'un travailleur reçoit pour une lésion professionnelle ou de l'omission de tels soins;
2° d'une activité prescrite au travailleur dans le cadre des traitements médicaux qu'il reçoit pour une lésion professionnelle ou dans le cadre de son plan individualisé de réadaptation.
Cependant, le premier alinéa ne s'applique pas si la blessure ou la maladie donne lieu à une indemnisation en vertu de la Loi sur l'assurance automobile (chapitre A-25), de la Loi visant à favoriser le civisme (chapitre C-20) ou de la Loi sur l'indemnisation des victimes d'actes criminels (chapitre I-6).
__________
1985, c. 6, a. 31.
327. La Commission impute aux employeurs de toutes les unités le coût des prestations:
1° dues en raison d'une lésion professionnelle visée dans l'article 31;
2° d'assistance médicale dues en raison d'une lésion professionnelle qui ne rend pas le travailleur incapable d'exercer son emploi au-delà de la journée au cours de laquelle s'est manifestée sa lésion.
__________
1985, c. 6, a. 327.
[27] Il appert de la décision du 2 septembre 2004 que la Commission des lésions professionnelles a considéré le diagnostic de synovite acromio-claviculaire comme une nouvelle lésion en vertu de l’article 31. On comprend de la lecture de la décision qu’elle a considéré qu’il y a eu omission de soins en raison du fait que les médecins n’ont pas posé le bon diagnostic ce qui a entraîné une nouvelle lésion, la synovite acromio-claviculaire.
[28] Selon l’article 327 de la loi, seulement les coûts reliés à la lésion visée par l’article 31 peuvent être transférés. Les coûts reliés à la lésion initiale ou à la récidive, rechute ou aggravation ne peuvent faire l’objet d’un transfert de coûts en vertu de l’article 327.
[29] Le premier commissaire a donc commis une erreur lorsqu’il a décidé d’accorder un transfert des coûts à partir de la date de la demande de reconsidération de l’employeur. Il a appliqué le critère de la diligence pour justifier sa décision de transférer les coûts seulement à partir de cette date. Or, le critère de la «diligence» n’est pas prévu à l’article 327 de la loi.
[30] La Commission des lésions professionnelles a considéré dans l’affaire Aluminerie Lauralco inc. et CSST[4] qu’en appliquant un critère qui ne découle pas de l’article 329, le tribunal commettait une erreur qui justifiait la révision de sa décision. Ce principe est transposable au présent dossier car la Commission des lésions professionnelles a aussi dans ce dossier appliqué un critère qui n’est pas prévu à l’article 327.
[31] Un transfert des coûts, selon l’article 327, implique que la totalité des coûts reliés à cette lésion soit imputée à l’ensemble des employeurs. Par conséquent, la Commission des lésions professionnelles estime que la décision du 2 septembre 2004 contient une erreur de droit manifeste et déterminante puisque la règle de droit prévue à l’article 327 n’a pas été bien appliquée.
[32] L’employeur demande, cependant, de transférer les coûts de la lésion professionnelle pour la période du 14 janvier 2000 au 15 novembre 2000, période selon laquelle la travailleuse n’a pas été traitée pour le bon diagnostic. Il cite à l’appui de sa demande la décision rendue dans l’affaire Joseph et CAE Électronique[5].
[33] Or, cette jurisprudence n’est pas applicable en l’espèce[6]. Dans cette affaire, le tribunal avait considéré qu’il était injuste d’imputer au dossier de l’employeur les coûts générés par la lésion professionnelle pour la période pendant laquelle les soins reçus ne s’étaient pas avérés utiles au traitement de la lésion diagnostiquée. Le tribunal a accordé un partage des coûts en vertu de l’article 326 dans ce dossier parce que l’employeur a été obéré injustement. Il ne s’agissait pas d’une demande de transfert selon l’article 327 de la loi.
[34] La Commission des lésions professionnelles, par sa décision du 2 septembre 2004, a accordé un transfert des coûts selon l’article 327. Dans ces circonstances, ce sont tous les coûts reliés à la lésion visée par l’article 31 qui doivent être transférés. Il y a donc lieu de conclure que tous les coûts en relation avec la synovite acromio-claviculaire doivent être transférés à l’ensemble des employeurs. Comme le diagnostic de synovite acromio-claviculaire a été confirmé par l’échographie et que ce rapport est daté du 15 novembre 2000 c’est à partir de cette date que le transfert est accordé.
[35] Par ailleurs, le tribunal constate que le premier commissaire indique dans le dispositif de sa décision qu’il infirme la décision de la CSST du 5 mai 2003 alors qu’il ressort clairement de la lecture de la décision qu’il maintient la partie de la décision concernant la demande de partage en vertu de l’article 329.
[36] En conséquence, il y a lieu de corriger le dispositif afin d’indiquer que la décision du 5 mai 2003 est modifiée et non infirmée.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE en partie la requête de l’employeur, Bell Canada;
RÉVISE la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 2 septembre 2004;
MODIFIE la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 5 mai 2003 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que tous les coûts reliés à la synovite acromio-claviculaire doivent être imputés à l’ensemble des employeurs à partir du 15 novembre 2000;
DÉCLARE que les autres conclusions de la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 5 mai 2003 demeurent inchangées.
|
|
|
Santina Di Pasquale |
|
Commissaire |
|
|
|
|
|
|
|
|
Me Jean-François Gilbert |
|
GILBERT, AVOCATS |
|
Représentant de la partie requérante |
|
|
|
|
[1] L.R.Q., c. A-3.001
[2] Produits forestiers Donahue inc. et Villeneuve, [1998] C.L.P. 733 ; Franchellini et Sousa, [1998], C.L.P. 783
[3] Tribunal administratif du Québec c. Godin, R.J.Q. 2490 (C.A.); Bourassa c. CLP, [2003] C.L.P. 601 (C.A.); Amar c. CSST, [2003] C.L.P. 606 (C.A.); CSST c. Fontaine [2005] C.L.P. 626 (C.A.); CSST c. Touloumi, C.A., 500-09-015132-046, 6 octobre 2005, jj. Robert, Morissette, Bich, 05LP-159
[4] C.L.P. 89993-31-9707, 28 septembre 2000, M. Beaudoin
[5] Joseph et CAE Électronique ltée, C.L.P. 103214-73-9807, 6 janvier 2000, C. Racine
[6] Précitée, note 5
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.