Décision

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COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

RÉGION :

Montérégie

LONGUEUIL, le 23 octobre 2000

 

 

 

 

 

 

 

DOSSIER :

137728-62-0005

DEVANT LA COMMISSAIRE :

Suzanne Mathieu

 

 

 

 

 

 

 

ASSISTÉE DES MEMBRES :

Suzanne Blais

 

 

 

Associations d’employeurs

 

 

 

 

 

 

 

Françoise Morin

 

 

 

Associations syndicales

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

DOSSIER CSST :

116343815

AUDIENCE TENUE LE :

10 octobre 2000

 

 

 

 

 

 

 

 

 

À :

Longueuil

 

 

 

 

 

 

_______________________________________________________

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

DANIEL BÉLISLE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PARTIE REQUÉRANTE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

et

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

SNC BÉLISLE BOURDOISEAU

 

 

 

et

 

 

 

 

RESTAURANT LE GRILL BISTROT 1

 

 

 

 

 

PARTIES INTÉRESSÉES

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

DÉCISION

 

 

[1]               Le 4 mai 2000, monsieur Daniel Bélisle (le travailleur) dépose une contestation d’une décision rendue en révision le 18 avril 2000 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST).

[2]               Cette décision maintient celle rendue en première instance par la CSST le 14 juin 1999 et conclut qu’au moment de l’événement du 13 février 1999, monsieur Daniel Bélisle ne répondait pas à la définition d’un travailleur au sens de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, L.R.Q., chapitre A-3.001 (la loi) et n’était pas inscrit à la CSST en tant qu’employeur ou administrateur d’une corporation et qu’il n’a donc pas droit aux indemnités prévues à la loi.

[3]               Une audience s’est tenue à Longueuil le 10 octobre 2000 en présence du travailleur et de son procureur ainsi que du propriétaire du Restaurant Le Grill Bistrot 1, monsieur Jean-Paul Vallée. Seul monsieur Bélisle a témoigné lors de cette audience. Quatre documents ont été déposés par la partie demanderesse :

[3.1]         Un avis d’appel à la Cour canadienne de l’impôt déposé par SNC Bélisle et Bourdoiseau (document T-1).

[3.2]         Un jugement officiel rendu sur consentement par la Cour canadienne de l’impôt le 31 août 2000 (document T-2).

[3.3]         Un acte de procédure allégée déposée à la Cour supérieure le 6 décembre 1999 par la Commission des normes du travail contre l’employeur 9033-4301 Québec Inc., faisant affaires sous la raison sociale Restaurant Le Grill Bistrot 1 (document T-3);

[3.4]         L'enregistrement de la société en nom collectif Bélisle Bourdoiseau auprès du Ministère des institutions financières, document déposé à la Commission des lésions professionnelles le 20 octobre 2000.

L'OBJET DE LA CONTESTATION

[4]               La partie appelante demande à la Commission des lésions professionnelles de reconnaître que monsieur Daniel Bélisle est un travailleur au sens de la loi et que le 13 février 1999, son employeur était le Restaurant Le Grill Bistrot 1 et non la société en nom collectif Bélisle et Bourdoiseau, dont il était un des associés.

LES FAITS

[5]               Monsieur Daniel Bélisle témoigne travailler comme serveur de restaurant depuis une quinzaine d’années; il occupe ces fonctions pour l’hôtel Wyndham depuis le 25 mai 1985. Comme il ne faisait jamais d’horaire complet à ce dernier endroit, il travaillait aussi comme serveur pour d’autres employeurs.

[6]               C’est ainsi que le 27 mai 1996, il a été engagé comme serveur pour la période estivale au Restaurant Le Grill Bistrot 1 par le propriétaire, monsieur Jean-Paul Vallée. Il recevait alors un salaire de 60 $ par jour en plus des pourboires; son chèque de paie intégrait les déductions à la source et était signé par monsieur Vallée.

[7]               Mis à pied après la période estivale, il a été rappelé pour travailler au même restaurant à l’été 1997; cependant les modalités étaient différentes. Plutôt que de faire affaire directement avec le propriétaire du restaurant, monsieur Vallée, il était payé par trois personnes d’origine française, associées dans une société en nom collectif, GBL (pour Guérit, Bardier et Lamy) et qui agissaient aussi comme serveurs et cuisiniers dans l’établissement. Monsieur Bélisle recevait alors son chèque de paie signé par GBL, sans déduction à la source, mais témoigne que pour son travail de serveur, il continuait d’agir sous les ordres de monsieur Vallée.

[8]               Au printemps de l’année 1998, certains problèmes sont survenus dans la société GBL et un des trois associés aurait démissionné; durant cette période transitoire, monsieur Bélisle a recommencé à recevoir des chèques de paie signés par monsieur Jean-Noël Vallée.

[9]               Puis, des discussions ont eu lieu entre lui et monsieur Vallée, qui lui aurait demandé de s’associer avec le cuisinier, monsieur Bourdoiseau, dans une société en nom collectif; il lui a soumis le contrat versé au dossier de la CSST, en lui laissant comprendre que son emploi de serveur dépendait de la signature de ce contrat et de son enregistrement dans une société en nom collectif. Monsieur Bélisle témoigne à l’effet qu’il ne connaissait pas monsieur Bourdoiseau avant que monsieur Vallée ne lui parle de cette entente.

[10]           Monsieur Bélisle témoigne avoir accepté de jouer le jeu parce qu’il s’est senti menacé de perdre son emploi s’il ne se conformait pas aux exigences de monsieur Vallée, lequel lui a fait comprendre que sur le plan fiscal, ce procédé bénéficiait à tout le monde.

[11]           En référence au contenu du contrat signé par monsieur Daniel Bélisle le 1er mars 1998, ce dernier affirme qu’il contient des faussetés, niant entre autres les allégations à l’effet qu’il posséderait une banque de données sur le personnel de la restauration ou qu’il ait déjà référé des employés dans d’autres restaurants.

[12]           Selon le travailleur, la réalité était tout autre en mars 1998 : le Restaurant Le Grill Bistrot 1 avait à son emploi deux employés, auxquels s’ajoutait du personnel selon les besoins du moment. Ce personnel, que monsieur Bélisle ne connaissait pas, était toujours contacté par monsieur Vallée, lequel était constamment sur les lieux du restaurant.

[13]           C’est également monsieur Vallée qui fixait les horaires du personnel, c’est lui qui avait seul le pouvoir d’embaucher, de congédier, de réprimander un employé, de donner les directives au personnel concernant les tâches à effectuer et jamais monsieur Bélisle n’a détenu un seul de ces pouvoirs au sein du restaurant Le Grill Bistrot 1.

[14]           Seule l’opération de la paie faisait intervenir le rôle de la société en nom collectif Bélisle Bourdoiseau; celle-ci signait des chèques en blanc qui étaient ensuite complétés par monsieur Vallée et dont les fonds étaient tirés d’un compte commercial bancaire ouvert à la Banque de Montréal par les deux associés et monsieur Vallée. Ce dernier y déposait, à l’aide d’une carte bancaire, deux fois par mois, le montant nécessaire correspondant aux salaires à être versés aux employés.

[15]           Monsieur Bélisle affirme que le procédé était à ce point sous le contrôle total de monsieur Vallée que lui-même ignorait les salaires versés aux autres employés.

[16]           Quant à la société en nom collectif, monsieur Bélisle affirme que jamais il n’a eu à en tenir compte dans ses rapports d’impôt, puisqu’il a toujours été considéré comme un travailleur occupant plusieurs emplois de serveurs chez plusieurs restaurateurs.

[17]           Monsieur Vallée a expliqué que le contrat versé au dossier, et qui a été préparé par une firme d’avocats, est celui qui avait initialement été préparé de concert avec la société GBL, de sorte que les clauses qu’on y retrouve sont d’ordre général et se retrouvent dans tous les contrats de ce genre. Il mentionne avoir acheté le Restaurant Le Grill Bistrot 1 en 1996 et ne plus avoir déclaré de travailleurs à son emploi depuis 1997, date où a été mise sur pied la première société en nom collectif GBL, modifiée ensuite en B et B, pour tenir compte du changement des associés.

L'ARGUMENTATION DES PARTIES

[18]           Le procureur de monsieur Daniel Bélisle demande à la Commission des lésions professionnelles de tenir compte des conclusions de la Cour canadienne de l’impôt qui a déclaré, dans son jugement du mois d’août 2000 (document T-2), que «Daniel Bélisle avait un emploi assurable en vertu de la Loi sur l’assurance-emploi et qu’il n’y avait pas de relation employeur-employé entre SNC Bélisle et Bourdoiseau et Daniel Bélisle» et que cette relation existait plutôt entre l’employeur 9033-4301 Québec Inc. et Daniel Bélisle.

[19]           Il demande de se référer aux divers documents compilés par la Commission des normes du travail démontrant que monsieur Daniel Bélisle a toujours exercé le métier de serveur depuis 1985, ce qui a été confirmé par le témoignage crédible de ce dernier devant la Commission des lésions professionnelles.

[20]           Il demande de déclarer illégal le contrat intervenu le 1er mars 1998, à la fois parce qu’il contient plusieurs affirmations fausses et surtout parce qu’il a été signé par une société en nom collectif, Bélisle et Bourdoiseau, qui n’était même pas enregistrée à l’époque de la signature, puisque l’enregistrement a eu lieu plusieurs mois plus tard, soit à la mi-juillet 1998.

[21]           Il soutient que la preuve démontre que de 1996 à 1999, monsieur Daniel Bélisle a travaillé pour le Restaurant Le Grill Bistrot 1 à titre de serveur et que seules, durant cette période, les modalités de versement de la paie ont été modifiées, la relation d’autorité travailleur-employeur demeurant toujours la même.

[22]           Il réfère ensuite aux diverses clauses du contrat signé le 1er mars 1998, soit celles apparaissant aux paragraphes 9, 15 et 19, lesquelles démontrent que monsieur Vallée, à titre de propriétaire du restaurant et de président de la compagnie à numéro 9033-4301Québec Inc., détenait seul un lien d’autorité sur les employés dudit restaurant.

[23]           Il réfère aux critères jurisprudentiels reconnus en matière de lien d’emploi et fait valoir que la preuve entendue ne permet pas de retenir que monsieur Daniel Bélisle soit un travailleur autonome ni un employeur au sens de la présente loi.

[24]           Quant à monsieur Vallée, le représentant du Restaurant Le Grill Bistrot 1, il n’a fait valoir aucune représentation spéciale, déplorant seulement le fait qu’il n’ait pas été mis au courant par la Commission des lésions professionnelles des enjeux de la présente audience, auquel cas il se serait présenté en compagnie de son avocat.

L'AVIS DES MEMBRES

[25]           Les membres issus des associations syndicales et d’employeurs se rallient aux motifs apparaissant à la présente décision.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[26]            La Commission des lésions professionnelles doit décider si lors de sa réclamation pour accident du travail en février 1999, monsieur Daniel Bélisle était un travailleur au sens de la loi.

[27]           Dans la présente loi, les notions de travailleur, travailleur autonome et d’employeur sont définies à l’article 2 de la loi, alors que l’article 9 indique les critères servant à mieux cerner la notion de travailleur autonome:

     «travailleur»: une personne physique qui exécute un travail pour un employeur, moyennant rémunération, en vertu d'un contrat de louage de services personnels ou d'apprentissage, à l'exclusion :

     1° du domestique;

     2° de la personne physique engagée par un particulier pour garder un enfant, un malade, une personne handicapée ou une personne âgée, et qui ne réside pas dans le logement de ce particulier;

     3° de la personne qui pratique le sport qui constitue sa principale source de revenus;

 

 

 

     «travailleur autonome»: une personne physique qui fait affaires pour son propre compte, seule ou en société, et qui n'a pas de travailleur à son emploi.

 

 

 

     «employeur»: une personne qui, en vertu d'un contrat de louage de services personnels ou d'un contrat d'apprentissage, utilise les services d'un travailleur aux fins de son établissement;

 

 

 

9. Le travailleur autonome qui, dans le cours de ses affaires, exerce pour une personne des activités similaires ou connexes à celles qui sont exercées dans l'établissement de cette personne est considéré un travailleur à l'emploi de celle - ci, sauf :

     1° s'il exerce ces activités :

     a) simultanément pour plusieurs personnes ;

     b) dans le cadre d'un échange de services, rémunérés ou non, avec un autre travailleur autonome exerçant des activités semblables ;

     c) pour plusieurs personnes à tour de rôle, qu'il fournit l'équipement requis et que les travaux pour chaque personne sont de courte durée ; ou

     2° s'il s'agit d'activités qui ne sont que sporadiquement requises par la personne qui retient ses services.

________

1985, c. 6, a. 9.

 

 

 

[28]           Il y a également lieu de rappeler l’article 4 de la loi qui énonce que:

4.  La présente loi est d’ordre public.

 

     Cependant, une convention ou une entente ou un décret qui y donne effet peut prévoir pour un travailleur des dispositions plus avantageuses que celles que prévoit la présente loi.

 


1985, c. 6, a. 4.

 

 


[29]           La notion juridique d’ordre public, que les tribunaux de droit commun ont abondamment interprétée, signifie que «la simple volonté ou déclaration unilatérale des parties concernant la nature du contrat existant entre elles ne lie pas le tribunal puisqu’il s’agit justement de la question qu’il a à résoudre».[1]

[30]           Appliquée au cas en l’espèce, cette interprétation signifie que le contrat qu’a pu passer en mars 1998 monsieur Daniel Bélisle avec monsieur Jean-Noël Vallée ne lie pas la Commission des lésions professionnelles; celle-ci peut bien évidemment y référer pour une meilleure compréhension des faits à être prouvés, mais son analyse factuelle doit se faire en regard des définitions prévues à la présente loi, laquelle est une loi d’ordre public qui doit protéger tout travailleur accidenté au travail.

[31]            La Commission des lésions professionnelles retient, de la preuve documentaire déposée et de la preuve testimoniale entendue, que monsieur Daniel Bélisle est un travailleur au sens de la présente loi et que son employeur est bien le Restaurant Le Grill Bistrot 1, dont le propriétaire connu est monsieur Jean-Noël Vallée qui détient la compagnie à numéro 9033-4031 Québec Inc.

[32]           La Commission des lésions professionnelles en vient à cette conclusion parce qu’elle tient comme avérés les faits suivants.

[33]           C’est à la demande expresse de monsieur Jean-Noël Vallée, propriétaire du Restaurant Le Grill Bistrot 1, que la société en nom collectif Bélisle et Bourdoiseau a été constituée et enregistrée auprès du Ministère des institutions financières du Québec.

[34]           Cette société ne servait que de paravent à l’employeur 9033-4301 Québec Inc. faisant affaires sous la raison sociale le Restaurant Le Grill Bistrot 1, et l’associé Daniel Bélisle n’a jamais exercé aucun pouvoir d’autorité ni agi comme employeur au sein de cette société en nom collectif.

[35]           Daniel Bélisle a toujours exercé, depuis 1985, le métier de serveur et a détenu, à ce titre, plusieurs emplois chez plusieurs employeurs, selon des horaires de travail variés. C’est ainsi que depuis 1985, il a un statut de serveur régulier à l’hôtel Wyndham, même si cet employeur ne lui offre que très peu d’heures de travail par mois.

[36]           Daniel Bélisle avait, dans les faits, un contrat verbal de louage de services personnels avec monsieur Jean-Noël Vallée, lequel exerçait à son endroit les pouvoirs usuellement reconnus chez un employeur.

[37]           À cet égard, la Commission des lésions professionnelles rappelle que la notion de «contrat de louage de services personnels ou d’apprentissage» auquel fait référence l’article 2 de la loi, a été interprétée à plusieurs reprises par la jurisprudence qui a développé une série de critères permettant d’apprécier la preuve factuelle versée dans chaque dossier.

[38]           Ces critères sont les suivants:

1- la nature du lien de subordination;

2- le mode de rémunération;

3- les risques de pertes et la participation aux profits de l’entreprise;

4- la propriété des outils et du matériel;

5- la liberté d’action au sein de l’entreprise;

6- la nature de l’incorporation et/ou de l’enregistrement.

 

 

[39]           Comme le mentionne la commissaire Line Vallières dans la décision précitée de André Chrétien, «c’est l’analyse factuelle de chaque cas, en fonction de ces critères, qui permet la qualification du lien contractuel entre les parties; ils doivent être analysés dans leur ensemble puisqu’ils ne sont pas nécessairement, pris isolément, plus déterminants l’un que l’autre.»

[40]           Quelle est ici la nature du lien de subordination entre Jean-Noël Vallée et Daniel Bélisle? Ce dernier était-il dans un poste de subordination à l’égard du premier, avait-il un quelconque pouvoir de contrôle sur les décisions à prendre pour la gestion du Restaurant Le Grill Bistrot 1? Ou, au contraire, n’avait-il qu’à exécuter le travail pour lequel il avait été embauché?

[41]           Les faits mis en preuve ne permettent qu’une réponse: monsieur Daniel Bélisle était sous le contrôle total et absolu de monsieur Jean-Noël Vallée; c’est ce dernier, comme propriétaire du restaurant, qui prenait toutes les décisions et monsieur Bélisle n’avait qu’à fournir sa prestations de services à titre de serveur.

[42]           D’ailleurs, les pouvoirs exercés par monsieur Vallée sont bien décrits dans le contrat signé le 1er mars 1998, contrat dont la légalité n’a pas à être décidée par la Commission des lésions professionnelles, celle-ci se contentant d’y référer pour la compréhension des faits mis en preuve par les parties. Monsieur Vallée s’y réservait en effet l’exercice des pouvoirs suivants:

(clause 9 du contrat)

 

«Le Grill restera maître de l’évaluation du personnel ainsi utilisé dans ses locaux et pourra refuser de continuer de faire travailler tel ou tel personne employée par BB pour des raisons d’absence de professionnalisme ou d’expérience professionnelle insuffisante, de faute professionnelle lourde, de négligence répétée de la part de la personne dans son travail, malgré les remarques pertinentes de la hiérarchie, pour incompatibilité professionnelle de la personne avec son entourage de travail, ou encore pour des raisons reliées à l’attitude critiquable et négative de la personne vis-à-vis de la clientèle du Grill.» (sic)

 


(clause 15 du contrat)

 

«Il n’y aura pas de lien de subordination au sens strict de l’expression, mais les personnes utilisées par BB pour l’exécution de la présente convention accepteront toutes directives nécessaire et normale dans le cadre de l’activité quotidienne du Grill en rapport avec les fonctions occupées et le Grill aura toute latitude comme s’il était employeur régulier, et équivalent aux prérogatives et pouvoirs habituellement reconnus à tout employeur en regard de son activité normale et habituelle quant aux ordres, instructions et blâmes éventuels qui s’avèrent nécessaires pour la bonne marche de l’activité de l’entreprise.» (sic)

 

 

[43]           Il appert de façon non équivoque de ces deux clauses que l’employeur, Restaurant Le Grill Bistrot 1, y détermine la nature du lien de subordination entre lui et ses employés, dont fait partie monsieur Bélisle.

[44]           Ce dernier l’a bien expliqué à l’audience: il n’avait aucun droit de regard sur le travail des employés, il ne pouvait exercer à leur endroit aucune forme d’autorité, ne voyait ni à leur embauche, ni à leur fin d’emploi, encore moins ne pouvait les réprimander sur leur comportement au travail ou sur la qualité de ce dernier, tous pouvoirs que se réservait en exclusivité monsieur Vallée qui, selon son propre témoignage, était en permanence sur place au restaurant.

[45]           Il n’y a jamais eu un quelconque risque de pertes ou de profits dans la société en nom collectif réunissant Bélisle et Bourdoiseau; monsieur Vallée y injectait deux fois par mois le montant exact requis pour correspondre à la valeur des salaires dus, auquel s’ajoutait le montant prévu pour taxes.

[46]           La société en nom collectif Bélisle et Bourdoiseau ne servait donc que de courroie de transmission pour la rémunération des employés; dans les faits, le Restaurant Le Grill Bistrot 1 fonctionnait comme si ses employés étaient tous des employeurs ou des travailleurs autonomes, ce qui évitait au propriétaire de payer à des organismes comme la CSST, les cotisations prévues à la présente loi afin de protéger les travailleurs subissant des lésions professionnelles.

[47]           La présente cause présente plusieurs similitudes avec celle jugée récemment par la Commission des lésions professionnelles dans Solitec et Marcel Cloutier[2]; là comme ici, les arrangements fictifs mis en place présentent l’image d’un milieu de travail ne regroupant plus des travailleurs agissant sous les ordres d’un employeur, mais plutôt un groupe de «patrons» liés entre eux par une sorte de fiction juridique, dont le but ne paraît autre que d’échapper aux lourdes charges financières liées au lien d’emploi classiquement reconnu.

[48]           La preuve atteste en effet que monsieur Bélisle ne disposait d’aucune marge d’autonomie au sein d’une société dont la finalité certes profitait aux deux parties: d’une part, elle permettait à monsieur Vallée d’utiliser les services personnels de monsieur Bélisle sans prétendre avoir à son endroit les obligations d’un employeur en regard de plusieurs programmes, comme l’assurance emploi et les accidents du travail, pour ne relever que ceux-là; et d’autre part, elle permettait à monsieur Bélisle d’obtenir un chèque de paie sans retenues à la source.

[49]           Quant à opposer que monsieur Bélisle ne pouvait ignorer, lorsqu’il a signé les divers documents relatifs à sa participation dans Bélisle et Bourdoiseau, qu’il devenait ainsi son propre employeur, ceci ne peut servir de fin de non recevoir à la reconnaissance du statut de travailleur, entendu au sens de la présente loi.

[50]           Dans la décision précitée de André Chrétien, la commissaire Line Vallières cite la Cour d’appel du Québec, qui rappelle que «le comportement d’une personne à l’endroit des autorités fiscales ne constitue pas un critère déterminant pour établir son statut en vertu de la Loi sur les normes du travail».[3]

[51]           En résumé, la Commission des lésions professionnelles estime qu’au-delà des intentions avouées ou non des parties dans les contrats qu’elles ont pu signer ensemble ou avec d’autres aux fins d’échapper ou non à diverses obligations qui leur incombaient, ce qu’il importe ici de rappeler, c’est que la loi, qui est d’ordre public, a prévu à l’article 26 que :

26. Un travailleur peut exercer les droits que la présente loi lui confère malgré le défaut de son employeur de se conformer aux obligations que celle-ci lui impose.

________

1985, c. 6, a. 26.

 

 

[52]           Par ailleurs, la preuve au dossier ne permet pas de conclure que monsieur Bélisle est un travailleur autonome, puisque son travail de serveur de restaurant ne répond à aucun des critères prévus à l’article 9 de la loi, n’exerçant pas les activités de serveur en même temps pour plusieurs personnes, ni dans le cadre d’un échange de services, ni pour plusieurs personnes sur de courte durée, ni non plus de manière sporadique.

[53]           La preuve au dossier ne permet pas non plus de conclure que dans le cadre de la société en nom collectif Bélisle et Bourdoiseau, monsieur Bélisle ait exercé des fonctions d’administrateur ni d’employeur, n’ayant jamais utilisé, en vertu d’un contrat de louage de services personnels, les services d’autres travailleurs aux fins de sa société en nom collectif.

[54]           La preuve permet seulement de conclure que monsieur Daniel Bélisle est un travailleur, soit une personne physique qui exécutait en février 1999, un travail de serveur pour l’employeur connu sous le nom de 9033-4301 Québec Inc, faisant affaires sous la raison sociale Restaurant Le Grill Bistrot 1, dont le propriétaire est monsieur Jean-Noël Vallée.

[55]           La Commission des lésions professionnelles retourne donc le présent dossier de réclamation pour l’événement survenu le 13 février 1999 afin que la CSST statue sur le mérite même de cette réclamation, à savoir si le travailleur a subi ou non une lésion professionnelle à cette date.

 

POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la contestation déposée le 4 mai 2000 par le travailleur, monsieur Daniel Bélisle;

INFIRME la décision rendue en révision le 18 avril 2000 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail;

DÉCLARE que monsieur Daniel Bélisle est un travailleur au sens de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles et que son employeur est le Restaurant Le Grill Bistrot 1;

RETOURNE le dossier à la Commission de la santé et de la sécurité du travail afin que celle-ci analyse la réclamation de monsieur Daniel Bélisle pour un événement survenu le 13 février 1999, le tout en conformité avec la présente décision.

 

 

 

 

 

Suzanne Mathieu

 

Commissaire

 

 

 

 

 


 

Monsieur Paul Côté

F.A.T.A.- MONTRÉAL

6839-A , rue Drolet

Montréal (Québec)  H2S 2T1

 

Représentant de la partie requérante

 

 

 

Monsieur Jean-Paul Vallée

RESTAURANT LE GRILL BISTROT 1

183, rue Saint-Paul Est

Montréal (Québec) H2Y 1G8

 

Représentant du Restaurant Le Grill Bistrot 1

 

 

 



[1]           Cité dans CSST et André Chrétien et Installation André Chrétien, CLP 90581-62-9708, commissaire Line Vallières, assistée de Robert Dumais et Noëlla Poulin, décision du 4 mai 1999

[2]           CLP 141451-62-0006, décision du 6 septembre 2000, commissaire Suzanne mathieu, assistée de Gaston Turner et Vianney Michaud

[3]           North American Automobile Association Ltd c Commission des normes du travail du Québec, CA 500-09-001561-877, Montréal, 18 mars 1993, juges Brossard, Proulx et Delisle

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