Décision

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Décision - Commissaire - Québec

 

COMMISSION DES RELATIONS DU TRAVAIL

(Division des services essentiels)

 

Dossiers :

179175, 288507

Cas :

CQ-2015-7257

 

Référence :

2015 QCCRT 0601

 

Québec, le

16 novembre 2015

______________________________________________________________________

 

DEVANT LA COMMISSAIRE :

Line Lanseigne, juge administratif

______________________________________________________________________

 

 

Comité patronal de négociation pour les commissions scolaires francophones (CPNCF)

Fédération des commissions scolaires du Québec

 

Requérants

c.

 

Fédération des syndicats de l’enseignement (FSE-CSQ)

Josée Scalabrini

Intimées

et

 

Procureur général du Québec

Mis en cause

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

[1]           Le 23 octobre 2015, la Commission reçoit une demande conjointe d’intervention du Comité patronal de négociation pour les commissions scolaires francophones (CPNCF) et de la Fédération des commissions scolaires du Québec (FCSQ) fondée sur les articles 111.17 et 111.18 du Code du travail, RLRQ, c. C-27 (le Code).

[2]           Les requérants allèguent que des moyens de pression exercés par les enseignants représentés par la Fédération des syndicats de l’enseignement (FSE-CSQ) affiliée à la Centrale des syndicats du Québec (CSQ), soit raccourcir les journées de classes et prolonger les récréations, portent ou sont vraisemblablement susceptibles de porter préjudice à un service auquel les élèves et leurs parents ont droit.

[3]           Ces moyens de pression s’exercent depuis le début de l’année scolaire alors qu’aucun avis préalable de grève au sens de l’article 111.11 du Code n’a été transmis.

[4]           La Commission convoque les parties à une séance de conciliation le 30 octobre 2015. Devant l’échec des pourparlers, elle fixe la tenue d’audiences publiques les 6 et 10 novembre suivant.

les faits

[5]           Le Comité patronal de négociation est un comité institué par la Loi sur le régime de négociation des conventions collectives dans les secteurs public et parapublic, RLRQ, c. R-8.2 (Loi sur le régime de négociation). Il est chargé, dans le secteur de l’éducation, de négocier et d’agréer les conventions collectives qui s’appliquent dans les commissions scolaires qu’il représente sauf pour les matières devant faire l’objet d’une négociation locale ou régionale selon les articles 57 et 58 de cette loi.

[6]           La Fédération des commissions scolaires du Québec (FCSQ) regroupe 58 commissions scolaires francophones du Québec. Elles sont les employeurs des enseignants visés.

[7]           La Fédération des syndicats de l’enseignement (FSE-CSQ) est un regroupement de 35 syndicats d’enseignants oeuvrant au primaire et secondaire. Elle est chargée de négocier les conventions collectives pour le personnel enseignant des commissions scolaires et assure la promotion de leurs intérêts professionnels.

le contexte

[8]           La convention collective qui lie les parties a pris fin le 31 mars 2015. Les conditions de travail des enseignants continuent néanmoins de s’appliquer jusqu’à la date d’entrée en vigueur d’une nouvelle convention.

[9]           Ainsi, depuis l’automne 2014, les parties tentent de conclure une nouvelle convention. Des propositions ont été déposées de part et d’autre et plus de 60 rencontres ont eu lieu.

[10]        En juin 2015, un médiateur a été nommé, conformément à la Loi sur le régime de négociation, pour tenter de régler le différend existant entre les parties sur les matières qui sont l’objet de stipulations négociées et agréées à l’échelle nationale. Le 17 août suivant, il dépose un rapport constatant l’échec de cette médiation.

[11]        À ce jour, aucune entente n’a été conclue et les parties sont toujours en négociation. Les principaux enjeux concernent le nombre d’élèves par classe, la pondération des élèves présentant des difficultés, la tâche, le statut des enseignants précaires, les contrats à temps plein en formation professionnelle et à l’éducation des adultes ainsi que le nombre d’heures de travail des enseignants.

[12]        Depuis l’hiver 2015, les enseignants se sont mobilisés pour démontrer leur mécontentement face aux offres patronales et sensibiliser la direction des établissements, les parents ainsi que la population à leurs préoccupations concernant le réseau de l’éducation public au Québec. La FSE a fait parvenir aux Syndicats un plan de mobilisation proposant des actions à entreprendre « pour accroître la pression afin de forcer la partie patronale à considérer nos demandes », est-il mentionné.   

[13]        La présidente de la FSE, madame Scalabrini, précise toutefois que ces actions de visibilité cherchent à susciter le débat et aucunement à compromettre la réussite scolaire des élèves. D’ailleurs, pour tenir compte de la réalité particulière de chaque milieu, les Syndicats et les enseignants des établissements scolaires sont libres d’entreprendre ou non les moyens d’action proposés.

[14]        Le plan de mobilisation suggère, entre autres, deux actions qui consistent à prolonger les récréations et à raccourcir la journée de classe. Cette dernière action a été mise en œuvre durant l’hiver 2015. Cependant, selon la présidente Scalabrini, elle a depuis été abandonnée et ne fait plus partie du plan de mobilisation suggéré pour la rentrée scolaire.

[15]        À l’audience, madame Scalabrini et la FSE se sont engagées à rappeler aux syndicats que la journée raccourcie ne fait plus partie du plan de mobilisation et à leur demander de respecter ce plan. La partie patronale s’est déclarée satisfaite de cet engagement de sorte que seule la récréation prolongée fait l’objet de la présente demande de redressement.

[16]        À ce jour, la prolongation de la récréation est mise en œuvre dans les établissements de plusieurs commissions scolaires. Cette action consiste, pour le primaire, à prolonger la durée des récréations de 10 minutes et, pour le secondaire, à allonger les pauses, entre les cours, de 10 minutes. Il arrive parfois, mais rarement, que la prolongation soit en fin d’avant-midi ou d’après-midi.

[17]        Cette action a lieu généralement une fois par jour, de deux à quatre fois par semaine. Comme elle est laissée au choix du syndicat local et des enseignants, elle peut être exercée d’une façon moins soutenue pour répondre aux besoins particuliers des élèves comme lors d’une période d’examen, par exemple. 

le cadre législatif

[18]        L’article 1 de la Loi sur l’instruction publique, RLRQ, c. I-13.3, prévoit que :

1.    Toute personne a droit au service de l’éducation préscolaire et aux services d’enseignement primaire et secondaire prévus par la présente loi et le régime pédagogique établi par le gouvernement en vertu de l’article 447, à compter du premier jour du calendrier scolaire de l’année scolaire où elle a atteint l’âge d’admissibilité jusqu’au dernier jour du calendrier scolaire de l’année scolaire où il atteint l’âge de 18 ans, ou 21 ans dans le cas d’une personne handicapée au sens de la Loi assurant l’exercice des droits des personnes handicapée en vue de leur intégration scolaire, professionnelle et sociale (chapitre E-20.1)

Elle a aussi droit, dans le cadre des programmes offerts par la commission scolaire, aux autres services éducatifs, complémentaires et particuliers, prévus par la présente loi et le régime pédagogique visé au premier alinéa ainsi qu’aux services éducatifs prévus par le régime pédagogique applicable à la formation professionnelle établi par le gouvernement en vertu de l’article 448.

[…]

(caractères gras ajoutés)

[19]        Ainsi, le Régime pédagogique de l’éducation préscolaire, de l’enseignement primaire et de l’enseignement secondaire, RLRQ, c. I-13.3, r.8 (le régime pédagogique), adopté en vertu de l’article 447 de la Loi sur l’instruction publique prévoit un nombre d’heures d’enseignement pour chaque matière ainsi que le nombre d’heures total auquel a droit l’élève a titre de services éducatifs. 

[20]        Les articles pertinents en ce qui concerne le régime pédagogique dans la Loi sur l’instruction publique se lisent comme suit :

84. Le conseil d’établissement approuve les modalités d’application du régime pédagogique proposées par le directeur de l’école.

[…]

86. Le conseil d’établissement approuve le temps alloué à chaque matière obligatoire ou à option proposé par le directeur de l’école en s’assurant :

1. de l’atteinte des objectifs obligatoires et de l’acquisition des contenus obligatoires prévus dans les programmes d’études établis par le ministre;

2. (paragraphe abrogé);

3. du respect des règles sur la sanction des études prévues au régime pédagogique.

(caractères gras ajoutés)

[21]        Quant au régime pédagogique, il mentionne ce qui suit aux articles 17 et 18 :

17. Pour l’élève de l’éducation préscolaire, la semaine comprend un minimum de 23 heures 30 minutes consacrées aux services éducatifs; pour l’élève de l’enseignement primaire, la semaine comprend un minimum de 25 heures consacrées à de tels services.

Tous les élèves bénéficient quotidiennement d’un minimum de 50 minutes pour le repas du midi, en plus du temps prescrit pour les services éducatifs. L’élève de l’enseignement primaire bénéfice également d’une période de détente le matin et l’après-midi, en plus du temps prescrit.

Toutefois, pour l’élève handicapé et l’élève vivant en milieu économiquement faible visés aux deuxième et troisième alinéas de l’article 12, la semaine comprend un minimum de 11 heures 45 minutes consacrées aux services éducatifs, à moins que la commission scolaire, dans la mesure et aux conditions déterminées par le ministre, l’en ait exempté.

18. Pour l’élève de l’enseignement secondaire, la semaine comprend un minimum de 25 heures consacrées aux services éducatifs; cet élève bénéfice d’un minimum de 50 minutes pour le repas du midi et d’au moins 5 minutes entre chaque période d’enseignement, en plus du temps prescrit.

(caractères gras ajoutés)

[22]        Ce nombre d’heures consacrées aux services éducatifs est donc impératif et ne peut être utilisé à d’autres fins sauf lorsque le régime pédagogique le prévoit. C’est le cas à l’article 18 où il est mentionné que les premiers jours de classe du calendrier scolaire des élèves du préscolaire peuvent être utilisés pour permettre leur entrée progressive.

[23]        Par ailleurs, le calendrier scolaire d’un élève du primaire et d’un élève de premier cycle de l’enseignement scolaire doit obligatoirement comprendre 720 heures et pour l’élève du second cycle de l’enseignement secondaire, 648 heures consacrées à l’enseignement des matières prévues aux articles 22, 23 et 23.1 du régime pédagogique.

[24]        Ces matières obligatoires, ou à options, figurent sur la liste établie par le ministère de l’Éducation et sont mentionnées au régime pédagogique. Chaque école détermine, en fonction des caractéristiques et des besoins particuliers de son milieu, la grille matière d’enseignement. Celle-ci doit cependant comprendre 25 heures d’enseignement et respecter le temps prescrit pour les matières obligatoires et à option prévu au régime pédagogique.

[25]        À titre d’illustration, au niveau primaire, le nombre d’heures par semaine prévu pour le français est de neuf heures. Il est de sept heures pour les mathématiques et de deux heures pour l’éducation physique et à la santé. Tout en respectant les dix-huit heures requises pour ces matières obligatoires, l’école pourra les répartir différemment et proposer une grille matière d’enseignement comportant dix heures pour le français, six heures pour les mathématiques et deux heures pour l’éducation physique et à la santé. Quant aux autres disciplines, l’école doit répartir sept heures pour l’enseignement de l’anglais, l’éthique et culture religieuse ainsi que pour deux disciplines au choix parmi les suivantes : art dramatique, arts plastiques, danse et musique.

[26]        Au niveau secondaire, le nombre d’heures à respecter pour l’enseignement des matières obligatoires et à option est établi sur une base annuelle, par exemple 400 heures de français au 1er cycle du secondaire.

[27]        Pour pouvoir déroger aux heures obligatoires consacrées à l’enseignement des matières prévues au régime pédagogique, l’école doit obtenir la permission du ministre. C’est le cas notamment pour les programmes de sport-études offerts dans les écoles. 

[28]        La grille matières est préparée par le comité d’organisation scolaire de l’école en tenant compte des besoins des élèves, des enjeux liés à leur réussite ainsi que des caractéristiques du milieu. Avant d’être adoptée par le conseil d’établissement, elle est présentée aux enseignants pour discussion et recommandation. Elle est également soumise à la direction des services éducatifs de la commission scolaire pour s’assurer de sa conformité avec le régime pédagogique. Ce processus de consultation débute durant l’année scolaire précédente et la grille matière est généralement adoptée au mois de février.

l’exercice du moyen d’action

[29]        Mentionnons d’abord qu’au primaire, l’horaire des élèves comprend habituellement cinq périodes de classe par jour, de 60 minutes chacune, pour l’enseignement des matières obligatoires, trois le matin et deux l’après-midi. Elles sont données par le titulaire ou un spécialiste. À ces périodes, s’ajoute du temps pour le déplacement, la récréation ou le dîner.

[30]        Depuis la rentrée scolaire, les enseignants commencent la récréation avant le signal en écourtant de dix minutes la période de cours qui précède. Ils sortent avec les élèves dans la cour de récréation et assurent leur surveillance durant cette période. Toutefois, lorsque le temps de la récréation débute, seuls les enseignants attitrés à cette surveillance demeurent avec les élèves.

[31]        Au secondaire, l’horaire d’un élève comporte plusieurs cours de matières différentes durant la journée. Leur nombre et leur durée peuvent varier selon les écoles et les commissions scolaires. Quoi qu’il en soit, entre chacune de ces périodes, le temps est invariablement accordé pour le déplacement, une pause ou le dîner.

[32]        À l’instar de leurs collègues du primaire, les enseignants du secondaire terminent le cours, qui précède une pause, dix minutes avant le signal de la fin de la période. Ils restent avec les élèves durant ce temps et exercent une surveillance accrue près des portes de sortie pour éviter qu’ils ne quittent l’établissement. Lorsque la prolongation de dix minutes se termine, la pause redevient sous la seule responsabilité des surveillants, comme c’est le cas habituellement.

[33]        Des représentants des commissions scolaires rapportent que dans certaines écoles secondaires dont l’horaire est basé sur un cycle de dix jours, la prolongation de la pause a pour effet d’écourter toujours la même période de cours pour l’élève et cause plus de tort. De plus, comme les professeurs ne prolongent pas toujours la pause les mêmes jours, cela crée de la confusion et perturbe davantage le milieu scolaire.

les prétentions de la partie patronale

[34]        Selon la partie patronale, les enseignants ne dispensent pas le temps d’enseignement prescrit et contreviennent au régime pédagogique ainsi qu’à la grille matières adoptée par le conseil de l’établissement de l’école conformément à la Loi sur l’instruction publique. Les élèves perdent ainsi environ 40 minutes d’enseignement par semaine. Puisque ce moyen de pression perdure depuis le début de l’année scolaire, c’est près de six heures d’enseignement dont sont privés certains élèves pour assurer leur réussite scolaire.

[35]        Cette situation a nécessairement un impact sur l’apprentissage et touche plus durement les élèves en difficultés, ceux qui reçoivent des services complémentaires (orthopédagogie, orthophonie) ou qui ont déjà moins d’heures de cours en raison d’un programme enrichi (programme-anglais, PPEI, sport-études).

[36]        En plus de réduire le temps d’enseignement et de diminuer les services auxquels ont droit les élèves et leurs parents, « la prolongation de la récréation » entraîne des problèmes d’ordre disciplinaire et de sécurité, particulièrement dans les écoles secondaires. La durée de la pause, qui s’étire sur près de 25 minutes, amplifie les conflits et favorise l’émergence de comportements déviants. Il est fait état notamment d’augmentation de la consommation de drogue et de l’absentéisme plus fréquent chez les jeunes en difficultés.

[37]        Des incidents sont survenus à la suite des moyens de pression des enseignants tels que des élèves qui sortent de l’école pour aller dans des dépanneurs à proximité ou qui ne reviennent pas en classe après la pause. Une bagarre importante aurait aussi eu lieu.

[38]        Enfin, la partie patronale rappelle que l’école est un milieu de vie où tous doivent contribuer à établir un climat propice à l’apprentissage. Or, la conduite des enseignants incite les élèves à ne pas respecter les horaires puisque la cloche n’a plus de signification. De plus, elle perturbe et fragilise le cadre éducatif nécessaire à la motivation des élèves.

Les prétentions de la partie syndicale

[39]        La partie syndicale, quant à elle, prétend que le moyen d’action entrepris par les enseignants ne constitue pas une violation de la Loi sur l’instruction publique, ni du régime pédagogique ou de la convention collective. En effet, aucune disposition n’encadre la manière dont ils doivent dispenser la prestation de service et le conseil d’établissement de l’école n’a aucune prérogative en cette matière.

[40]        Les enseignants disposent d’une large autonomie professionnelle comme le prévoit l’article de 19 de la Loi sur l’instruction publique :

19. Dans le cadre du projet éducatif de l’école et des dispositions de la présente loi, l’enseignant a le droit de diriger la conduite de chaque groupe d’élèves ui lui est confié.

L’enseignant a notamment le droit :

1.    de prendre les modalités d’intervention pédagogique qui correspondent aux besoins et aux objectifs fixés pour chaque groupe ou pour chaque élève qui lui est confié;

2.    de choisir les instruments d’évaluation des élèves qui lui sont confiés afin de mesurer et d’évaluer constamment et périodiquement les besoins et l’atteinte des objectifs par rapport à chacun des élèves qui lui sont confiés en se basant sur les progrès réalisés.

[41]        Les enseignants ne sont pas confinés à exercer leur tâche strictement dans une classe. D’ailleurs, les services éducatifs que l’élève est en droit de recevoir sont définis au programme de formation et comprennent plusieurs composantes qui ne se limitent pas à l’apprentissage de matière disciplinaire. 

[42]        L’article 2 du régime pédagogique énonce la nature de ces services :

2. Les services d’éducation préscolaire ont pour but de favoriser le développement intégral de l’élève par l’acquisition d’attitudes et de compétences qui faciliteront la réussite de ses parcours scolaire et personnel et de lui permettre de s’intégrer graduellement dans la société.

Les services d’enseignement primaire ont pour but de permettre le développement intégral de l’élève et son insertion dans la société par des apprentissages fondamentaux qui contribueront au développement progressif de son autonomie et qui lui permettront d’accéder aux savoirs proposés à l’enseignement secondaire.

Les services d’enseignement secondaire ont pour but de poursuivre le développement intégral de l’élève, de favoriser son insertion sociale et de faciliter son orientation personnelle et professionnelle. Ils compètent et consolident la formation de base de l’élève en vue d’obtenir un diplôme d’études secondaires ou une autre qualification et, le cas échéant, de poursuivre des études supérieures.  

[43]        S’appuyant sur le programme de formation, la partie syndicale conclut que la mission de l’école est de permettre à l’enfant de développer des compétences disciplinaires et transversales ainsi que d’aborder des domaines généraux de formation. Elle vise le développement global de l’élève afin d’en faire un citoyen responsable qui vit dans une société démocratique et de droit.

[44]        Ainsi, la prolongation des récréations constitue un autre contexte d’apprentissage qui permet à l’élève d’acquérir des compétences d’ordre personnel et social ou de l’ordre de la communication comme coopérer, résoudre des conflits, apprendre à vivre ensemble et communiquer de façon appropriée. L’acquisition de ces compétences doit d’ailleurs être évaluée par l’enseignant et la récréation prolongée constitue un environnement privilégié pour le faire.

[45]        Des enseignants rapportent que la récréation prolongée permet d’avoir une relation privilégiée avec les élèves. Certains en profitent pour gérer des conflits ou aborder les problèmes d’intégration vécus par certains élèves. Bien que les enseignants demeurent avec leur groupe, la preuve ne révèle cependant pas d’activité pédagogique structurée.

[46]        Au secondaire, les enseignants sont dispersés parmi l’ensemble des élèves de l’école. Ils semblent être plus confinés à un rôle d’encadrement même si des relations positives et formatrices avec des élèves peuvent parfois avoir lieu durant cette pause prolongée. D’ailleurs, plusieurs témoignages font état de moyens mis en place par les enseignants pour prévenir les incidents. Aucune activité pédagogique structurée n’a été mise en preuve.

[47]        Selon la partie syndicale, le temps d’enseignement prévu dans le régime pédagogique est indicatif et donne une certaine flexibilité aux enseignants. Ainsi, les dix minutes manquantes qu’allègue la partie patronale ne porteraient pas préjudice aux élèves puisque les enseignants arrivent à planifier et donner leurs cours en tenant compte de cette réduction. Toutefois, un sondage de la FSE, diffusé auprès de ses membres, nuance ces propos et révèle que les enseignants doivent parfois couper dans la matière.

les motifs de la décision

[48]        Il importe d’abord de préciser le rôle de la Commission en matière de services essentiels, car il varie selon qu’elle exerce sa compétence à l’occasion de l’exercice légal du droit de grève ou lorsqu’il s’agit d’un conflit qui survient en dehors de l’exercice de ce droit.

[49]        Lors de l’exercice légal du droit de grève, la Commission doit s’assurer que des services essentiels suffisants sont fournis à la population à partir de critères qui diffèrent selon qu’il s’agit des services provenant de services publics assujettis, de la fonction publique ou du secteur public et parapublic.

[50]        Pour les enseignants du secteur public, le législateur n’a pas prévu le maintien de services essentiels et aucun service ne doit être obligatoirement maintenu lors de l’exercice légal de leur droit de grève. Dans pareil cas, la Commission n’a donc pas compétence pour assurer le maintien de services.

[51]        Il en est autrement lorsqu’il s’agit d’un conflit entre les parties en dehors de l’exercice légal du droit de grève, comme c’est le cas dans la présente affaire. La Commission a alors compétence pour intervenir si elle en vient à la conclusion qu’il existe un conflit entre les parties, que ce conflit se traduit par des actions concertées et, finalement, que ces actions concertées portent préjudice ou sont susceptibles de causer préjudice à un service auquel la population a droit. 

[52]        Lorsque ces trois conditions sont réunies, la Commission peut exercer les pouvoirs de redressement que lui accorde le législateur. Les dispositions pertinentes du Code se lisent comme suit :

111.11. Une partie ne peut déclarer la grève ou un lock-out à moins qu’il ne se soit écoulé au moins 20 jours depuis la date où le ministre a reçu l’avis prévu à l’article 50 de la Loi sur le régime de négociation des conventions collectives dans les secteurs public et parapublic (chapitre R-8.2) et qu’un avis préalable d’au moins sept jours juridiques francs n’ai été donné par écrit au ministre et à l’autre partie […]

108. Nulle association de salariés ou personne agissant dans l’intérêt d’une telle association ou d’un groupe de salariés n’ordonnera, n’encouragera ou n’appuiera un ralentissement d’activités destiné à limiter la production.

111.16. Dans les services publics et les secteurs public et parapublic, la Commission peut, de sa propre initiative ou à la demande d'une personne intéressée, faire enquête sur un lock-out, une grève ou un ralentissement d'activités qui contrevient à une disposition de la loi ou au cours duquel les services essentiels prévus à une liste ou une entente ne sont pas rendus.

[…]

111.17. Si elle estime que le conflit porte préjudice ou est vraisemblablement susceptible de porter préjudice à un service auquel le public a droit ou que les services essentiels prévus à une liste ou à une entente ne sont pas rendus lors d'une grève, la Commission peut, après avoir fourni aux parties l'occasion de présenter leurs observations, rendre une ordonnance pour assurer au public un service auquel il a droit, ou exiger le respect de la loi, de la convention collective, d'une entente ou d'une liste sur les services essentiels.

[…]

111.18. La Commission peut, de la même manière, exercer les pouvoirs que lui confèrent les articles 111.16 et 111.17 si, à l'occasion d'un conflit, elle estime qu'une action concertée autre qu'une grève ou un ralentissement d'activités porte préjudice ou est susceptible de porter préjudice à un service auquel le public a droit.

(caractères gras ajoutés)

le conflit

[53]        La preuve révèle qu’il existe un conflit relié aux négociations en cours concernant le renouvellement de la convention collective. Comme le souligne la Cour d’appel dans l’affaire Syndicat canadien de la fonction publique et Claude Morisseau et Centre hospitalier de l’Université Laval, [1989] RJQ 2648, il faut donner au mot conflit un sens large et usuel permettant d’assurer l’accomplissement et l’objet du Code. C’est ainsi que les tribunaux et la Commission ont interprété que le conflit comprend tout litige qui oppose les parties l’une à l’autre.

L’action concertée

[54]        La partie syndicale reconnaît que l’action entreprise par les enseignants est concertée.

préjudice ou vraisemblance de préjudice

[55]        De toute évidence, l’action menée par les enseignants contrevient à la Loi sur l’instruction publique et au régime pédagogique que prévoit cette loi.

[56]        Le régime pédagogique exige que les élèves du primaire et du secondaire reçoivent un minimum de 25 heures de services éducatifs par semaine. De plus, le temps alloué pour l’enseignement des matières obligatoires et optionnelles est déterminé dans chaque école selon la répartition établie par le régime pédagogique.

[57]        Rappelons que cette grille matière est adoptée par le conseil d’établissement et ne peut être modifiée sans son accord. Elle découle d’un important processus consultatif dans lequel sont impliqués les enseignants et tient compte des besoins des élèves et des caractéristiques propres à chaque milieu.

[58]        Aucune demande de dérogation à la grille horaire n’a été demandée par les enseignants.

[59]        En prolongeant la récréation, les enseignants ne fournissent pas la totalité du temps d’enseignement prescrit dans chaque matière, privant ainsi les élèves du service auquel ils ont droit en vertu de la loi. 

[60]        Bien que ces dix minutes additionnelles de récréation permettent aux enseignants d’établir des échanges privilégiés avec leurs élèves, de gérer et prévenir des situations problématiques et même d’effectuer certaines interventions particulières qui contribuent au développement des compétences prévues au programme, il ne s’agit pas d’une période planifiée et structurée d’apprentissage. Elle ne peut être assimilée aux services éducatifs auxquels réfèrent la Loi sur l’instruction publique et le régime pédagogique.

[61]        D’ailleurs, les activités éducatives qui se déroulent en dehors de l’école doivent être approuvées par le conseil d’établissement, conformément à l’article 87 de la Loi sur l’instruction publique. Ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

87. Le conseil d’établissement approuve la programmation proposée par le directeur de l’école des activités éducatives qui nécessitent un changement aux heures d’entrée et de sortie quotidienne des élèves ou un déplacement de ceux-ci à l’extérieur des locaux de l’école.

[62]        Malgré le professionnalisme dont font preuve les enseignants dans le cadre de l’exercice de leurs moyens d’action, force est de constater que les élèves ne reçoivent pas le temps d’enseignement qu’ils sont en droit de recevoir. Ce déficit s’établit à environ 40 minutes par semaine et représente près de six heures de moins d’enseignement depuis la rentrée scolaire. Cette perte est suffisamment importante pour conclure qu’elle porte préjudice au service d’éducation.

[63]        La partie syndicale plaide que la réalité particulière du secteur de l’éducation doit être prise en compte pour déterminer si l’action concertée, telle que relatée, porte préjudice à un service auquel a droit la population. En l’espèce, les enseignants n’ont aucune obligation de maintenir des services essentiels et peuvent exercer leur droit de grève sans condition. Il apparaît donc illogique que le législateur ait voulu qu’ils soient tenus de dispenser l’intégralité des services lors de l’exercice d’un moyen de pression qui s’avère, sans conteste, moins préjudiciable que la grève. Dans ce contexte, la Commission ne devrait rendre des ordonnances de redressement que s’il y a un risque sérieux à la santé et sécurité des élèves. Ce qui n’est pas le cas, plaide-t-elle.

[64]        Il est vrai que la grève risque d’affecter davantage les élèves que le ferait le moyen de pression que conteste la partie patronale. Toutefois, seule la grève est conforme aux exigences du Code et autorise les syndiqués à cesser d’offrir leur prestation de travail. Le fait que le secteur de l’éducation ne soit pas assujetti au maintien des services essentiels n’y change rien.

[65]        Le législateur a encadré l’exercice du droit de grève dans le secteur public. Ainsi, sa légalité est d’abord sujette à un avis préalable de sept jours et doit indiquer le moment où l’association entend y recourir. En dehors de l’exercice légal de ce droit de grève, le législateur a interdit tout ralentissement de travail. La notion de services essentiels n’existe pas dans cette situation et tous les syndiqués sont tenus de fournir la prestation de travail prévue.

[66]        Les enseignants, tout comme les syndiqués des autres secteurs d’activités, sont soumis au même impératif et doivent fournir les services auxquels la population a droit en dehors de l’exercice légal du droit de grève. D’ailleurs, les articles 60 et 108 du Code constituent des dispositions générales similaires aux articles 111.16, 111.17 et 111.18 du Code qui interdisent le ralentissement de travail en dehors de l’exercice du droit de grève.

[67]        La convention des enseignants prévoit que :

8-1.01. Les conditions d’exercice de la profession d’enseignante ou d’enseignant doivent être telles que l’élève puisse bénéficier de la qualité d’éducation à laquelle il est en droit de s’attendre et que la commission et les enseignantes et enseignants ont l’obligation de lui donner.

8-2.01. […]

Dans ce cadre, les attributions caractéristiques de l’enseignante ou l’enseignant sont :

1) de préparer et de dispenser des cours dans les limites des programmes autorisés;

(caractères gras ajoutés)

[68]        Puisque la convention continue de s’appliquer, ils doivent maintenir la prestation de travail prévue lorsqu’ils n’exercent pas leur droit de grève.

[69]        À ce stade-ci, la Commission ne peut, comme le lui demande la partie syndicale, décider si l’interdiction faite aux enseignants, en dehors de droit de grève, d’exercer un moyen de pression, qui prive ou qui est susceptible de priver la population d’un service auquel elle a droit, entrave leur droit à un processus véritable de négociation et porte atteinte aux droits que leur garantit l’article 2d) de la Charte. Elle doit respecter les impératifs du Code de procédure civile qui requiert qu’un avis à la Procureure générale soit transmis annonçant l’intention de contester la constitutionnalité d’une loi.

[70]        En conséquence, la présomption de constitutionnalité du Code prévaut et la Commission doit appliquer ses dispositions telles qu’elles existent tant qu’il n’en est pas décidé autrement.

[71]        En l’espèce, elle doit conclure qu’il y a conflit et action concertée. La prolongation de la récréation ne respecte pas le temps d’enseignement des matières prévu à la grille matière ainsi qu’à la grille horaire et contrevient à la convention collective et à la Loi sur l’instruction publique. Ce moyen de pression porte inévitablement préjudice à un service auquel ont droit les élèves. 

[72]        La question du statut de requérant du CPNCF a été dénoncé par la partie syndicale compte tenu de son rôle de négociateur. Cette présence ne peut qu’affecter négativement le maintien de l’équilibre entre les parties. La Commission déplore cette situation, mais puisque aucune demande particulière n’a été faite, il n’y a pas lieu de disposer de cette question.

[73]        Enfin, dans les circonstances de la présente affaire, la Commission juge inopportun d’exiger de la FSE et de sa présidente les déclarations publiques que requiert la partie patronale.

EN CONSÉQUENCE, la Commission des relations du travail

ORDONNE                    à la Fédération des syndicats de l’enseignement (FSE-CSQ), à ses agents, représentants, mandataires, officiers et employés de prendre les mesures nécessaires pour que les enseignantes et les enseignants, membres des associations accréditées affiliées à la FSE-CSQ, fournissent leur prestation normale de travail;

ORDONNE                    à madame Josée Scalabrini, à titre de présidente de la FSE-CSQ, de prendre les mesures nécessaires pour que les enseignantes et les enseignants, membres des associations accréditées affiliées à la FSE-CSQ, fournissent leur prestation normale de travail;

ORDONNE                    à tous les enseignantes et enseignants membres des associations accréditées affiliées à la FSE-CSQ de fournir leur prestation normale de travail;

ORDONNE                    à la Fédération des syndicats de l’enseignement (FSE-CSQ) de faire connaître la teneur de la présente décision aux enseignantes et enseignants qu’elle représente;

PREND ACTE              que la Fédération des syndicats de l’enseignement (FSE-CSQ) et sa présidente, madame Josée Scalabrini, s’engagent à rappeler aux syndicats qu’elles représentent que « la journée raccourcie » ne fait pas partie du plan de mobilisation et à leur demander de respecter ce plan;

RAPPELLE                   que le non respect de ses engagements est réputé constituer une violation d’une ordonnance de la Commission;

RÉSERVE                     sa compétence pour décider de la demande de dépôt des présentes ordonnances au bureau du greffier de la Cour supérieure des districts de Montréal et de Québec, le tout conformément à l’article 111.20 du Code du travail;

DÉCLARE                     que les présentes ordonnances entrent en vigueur immédiatement.

                                        

 

 

__________________________________

Line Lanseigne

 

 

Mes Jean-Claude Girard et Stéphanie Lelièvre

MORENCY, SOCIÉTÉ D’AVOCATS, S.E.N.C.R.L.

Représentant des requérants

 

Mes Claudine Morin et Caroline Lang

BARABÉ CASAVANT

Représentante des intimées

 

 

Date de la dernière audience :

10 novembre 2015

 

/nm

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