Béland c. Voyage Charterama Trois-Rivières ltée |
2010 QCCQ 2842 |
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COUR DU QUÉBEC |
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(Division des petites créances) |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
TROIS-RIVIÈRES |
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« Chambre civile» |
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N° : |
400-32-010541-097 |
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DATE : |
25 mars 2010 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
ALAIN TRUDEL, J.C.Q. |
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MARIETTE BÉLAND et ROBERT ST-ONGE |
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Demandeurs |
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c. |
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VOYAGE CHARTERAMA TROIS-RIVIÈRES LTÉE |
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Défenderesse et GROUPE VACANCES SUNWING INC. |
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et SANTÉ CANADA Appelés en garantie |
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JUGEMENT |
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[1] Rapatriés d'urgence du Mexique en raison de l'éclosion de nombreux cas d'infection au virus A(H1N1) (grippe porcine), les demandeurs réclament de leur agence de voyages le remboursement total du coût du voyage et divers dommages totalisant la somme de 4 060 $.
[2] Alléguant que la décision de rapatrier les clients a été prise par la compagnie Groupe Vacances Sunwing agissant comme grossiste, la défenderesse appelle cette dernière en garantie afin de répondre de la demande des demandeurs.
[3] Avant l'audience, la défenderesse se désiste de l'appel en garantie intenté contre l'Agence de santé publique du Canada.
Les faits
[4] Le 17 mars 2009, les demandeurs acquièrent de l'agence de voyages défenderesse un forfait voyage de type tout inclus à destination de Riviera Maya, au Mexique, pour une durée de quinze jours, c'est-à-dire du 25 avril au 9 mai 2009, au coût de 2 030 $ par personne.
[5] Les demandeurs quittent Montréal le 25 avril 2009 à bord du vol de 8 h 45 et arrivent à destination à l'aéroport en début d'après-midi.
[6] La chambre qui leur est allouée ne répondant pas aux critères convenus avec la défenderesse, les demandeurs sont immédiatement relocalisés, à leur satisfaction, dans un bâtiment plus près de la plage.
[7] Les demandeurs profitent de leurs vacances au soleil pendant quelques jours jusqu'au moment où le 30 avril 2009, ils reçoivent un appel téléphonique du représentant de la compagnie Groupe Vacances Sunwing inc. qui les invite à une rencontre dans le lobby de l'hôtel le lendemain matin à 9 h 30.
[8] Lors de cette rencontre, les demandeurs, comme tous les autres clients de Groupe Vacances Sunwing, sont avisés de la décision de la compagnie de rapatrier immédiatement au Canada tous ses clients séjournant au Mexique suite à l'émission, en date du 27 avril 2009, d'une recommandation de l'Agence de la santé publique du Canada mettant en garde les voyageurs canadiens à propos de l'éclosion d'infection au virus de la grippe A(H1N1) au Mexique.
[9] L'agence de la santé publique du Canada recommande alors de remettre à plus tard tout voyage non essentiel au Mexique, le tout jusqu'à nouvel ordre.
[10] Le représentant de la compagnie Groupe Vacances Sunwing remet alors aux demandeurs un avis écrit, daté du 30 avril 2009, qui se lit comme suit:
« Le 30 avril 2009
Nom du passager BELAND / ST-ONGE
Hotel BLUE BAY ESMERALDA
Numero de chambre
Cher(e) passager(e),
Suite aux récents conseils de voyages émis par l'Agence de la santé publique du Canada concernant les voyages au Mexique, Vacances Sunwing amende son programme de vols au Mexique effectif immédiatement.
Nous vous avisons que votre vol de retour a été annulé. Des arrangements ont été pris pour vous retourner au Canada plus tôt que la date originale sur un autre vol de Sunwing Airlines. Veuillez voir ci-dessous les informations concrètes de votre nouveau vol:
Date du vol: Vendredi 01 Mai / Samedi 02 Mai
Numéro de vol: WG 514
Heure de départ de Cancun 03:40 AM Samedi
Heure d'arrivée: 08:40 AM Samedi
Heure de départ de l'hotel 22:45 PM Vendredi
Nous sommes conscients que vos vacances sont différentes de celles planifiées, mais personne ne pouvait prédire cette situation. En dépit du fait que cette situation résulte d'un cas de force majeure, bien au dela du controle du Groupe Vacances Sunwing, Sunwing vous remboursera les nuits inutilisées sous forme de voucher de voyage a utiliser dans un future voyage. (Ces vouchers seront envoyés par la poste a votre agence de voyage).
Bien à vous,
Sunwing Travel Group Inc. » (sic)
[11] Désirant demeurer au Mexique malgré l'avis du grossiste, les demandeurs se voient contraints d'accepter de mettre fin à leurs vacances lorsqu'ils sont informés que dans les circonstances, Groupe Vacances Sunwing ne pouvait garantir la disponibilité d'un avion canadien à la fin de leur séjour puisque le transporteur a cessé toute vente en direction du Mexique depuis le 28 avril 2009.
[12] Dans la cohue et l'inconfort dus au surnombre de passagers rapatriés par les compagnies aériennes, et après une longue attente à l'aéroport de Cancun, les demandeurs prennent finalement un vol de retour de nuit et débarquent à Montréal le 2 mai 2009 au matin.
[13] Le 2 juin 2009, Groupe Sunwing Vacances offrent aux demandeurs un crédit sous forme de bons de voyages afin de les compenser pour les nuits non utilisées d'une valeur de 392 $ par personne, crédit amendé plus tard au montant de 412,41 $ par personne.
[14] Cette offre est refusée par les demandeurs.
Les prétentions
[15] Les demandeurs plaident que la défenderesse Voyage Charterama a manqué à ses obligations contractuelles envers eux puisqu'ils n'ont pas pu bénéficier de l'ensemble de leur séjour au Mexique.
[16] Ils plaident l'inexécution des obligations de la défenderesse alléguant de plus que les conditions d'hébergement offertes ne respectaient pas les ententes convenues au moment de l'acquisition du forfait, notamment quant à la localisation de la chambre sur le site.
[17] Ils réclament à la défenderesse la somme 4 060 $ à titre de dommages et intérêts.
[18] La défenderesse prétend avoir respecté toutes et chacune de ses obligations à l'égard des demandeurs et plaide que l'éclosion des cas d'infection au virus A(H1N1) constituait pour elle un cas de force majeure.
[19] Alléguant que la décision de rapatrier les demandeurs a été prise par le grossiste, le Groupe Vacances Sunwing, la défenderesse appelle cette dernière en garantie afin qu'elle réponde de la réclamation des demandeurs.
[20] Le Groupe Vacances Sunwing plaide, quant à elle, qu'elle ne peut être tenue responsable des dommages subis par les demandeurs alléguant également la force majeure.
[21] Elle prétend que l'éclosion soudaine des cas d'infection au virus A(H1N1) et les recommandations de l'Agence de santé publique du Canada ont dicté sa décision de rapatrier les demandeurs, comme l'ensemble de ses clients par ailleurs, afin de remplir son obligation d'assistance et de sécurité à leur endroit.
Le droit
[22]
Les demandeurs et la défenderesse se sont parties un contrat de service
au sens de l'article
2098 C.c.Q. Le contrat d'entreprise ou de service est celui par lequel une personne, selon le cas l'entrepreneur ou le prestataire de services, s'engage envers une autre personne, le client, à réaliser un ouvrage matériel ou intellectuel ou à fournir un service moyennant un prix que le client s'oblige à lui payer.
[23]
Les obligations du prestataire de services sont énoncés à l'article
2100 C.c.Q. L'entrepreneur et le prestataire de services sont tenus d'agir au mieux des intérêts de leur client, avec prudence et diligence. Ils sont aussi tenus, suivant la nature de l'ouvrage à réaliser ou du service à fournir, d'agir conformément aux usages et règles de leur art, et de s'assurer, le cas échéant, que l'ouvrage réalisé ou le service fourni est conforme au contrat.
Lorsqu'ils sont tenus du résultat, ils ne peuvent se dégager de leur responsabilité qu'en prouvant la force majeure.
[24]
Le contrat de service constitue également un contrat de consommation au
sens de l'article
[25] Ainsi, le commerçant, en l'occurrence, la défenderesse et le grossiste, est soumis à certaines obligations à l'égard du consommateur.
[26]
Ces obligations sont plus spécifiquement énoncées aux articles
Art.
Art.
Dans un contrat à exécution successive, le commerçant est présumé exécuter son obligation principale lorsqu'il commence à accomplir cette obligation conformément au contrat.
Art.
[27] En cette matière, il est établi qu'une obligation de résultat incombe à l'agent de voyages et au grossiste.
[28] Ces derniers ne peuvent se dégager de leur responsabilité qu'en prouvant la force majeure ou la faute de la victime.
[29]
La force majeure est spécifiquement définie à l'article
1470 C.c.Q. Toute personne peut se dégager de sa responsabilité pour le préjudice causé à autrui si elle prouve que le préjudice résulte d'une force majeure, à moins qu'elle ne se soit engagée à le réparer.
La force majeure est un événement imprévisible et irrésistible; y est assimilée la cause étrangère qui présente ces mêmes caractères.
[30] À titre d'exemple, les Tribunaux ont reconnu que les perturbations survenues lors d'un voyage en Israël en raison de la recrudescence de la violence survenue après le départ ou le passage d'un ouragan qui prive temporairement les clients des prestations promises constituent des cas de force majeure permettant à l'agence de voyages de s'exonérer de sa responsabilité de livrer les prestations convenues à ses clients. [2]
[31]
Il est également établi que l'obligation de
l'agence et du grossiste est solidaire envers les clients comme le prévoit
l'article
1523 C.c.Q. L'obligation est solidaire entre les débiteurs lorsqu'ils sont obligés à une même chose envers le créancier, de manière que chacun puisse être séparément contraint pour la totalité de l'obligation, et que l'exécution par un seul libère les autres envers le créancier.
Questions en litige
1.
L'éclosion des cas d'infection au virus de la
grippe porcine A(H1N1) au mois d'avril 2009 constitue-elle un cas de force
majeure au sens de l'article
2. L'agence de voyages et le Grossiste Groupe Vacances Sunwing sont-ils responsables des dommages subis par les demandeurs suite à leur rapatriement?
Analyse et décision
[32] La défenderesse a envers les demandeurs une obligation de résultat quant à la livraison des prestations pour lesquelles elle s'est engagée et pour lesquelles elle a été rémunérée.
[33] À l'exception de la mésentente mineure concernant la localisation de leur chambre sur le site, il découle de la preuve qu'entre le 25 et le 30 avril 2009, les demandeurs ont obtenu la livraison des services prévus au contrat intervenu le 17 mars précédent.
[34] Ce n'est qu'à compter du 30 avril 2009 que la livraison des prestations dues aux demandeurs a été compromise. En effet, le grossiste avise alors ses clients qu'il doit amender son programme de vol et annuler le vol de retour des demandeurs prévu le 9 mai 2009 pour des circonstances hors de son contrôle.
[35]
Tel que précisé à l'article
[36] Cette décision a été prise vers le 29 avril 2009 par Groupe Vacances Sunwing en considération des obligations qu'ont les agences de voyages et grossistes à l'égard de leurs clients dont notamment celle de leur prêter une assistance raisonnable selon les circonstances et de s'assurer qu'ils puissent bénéficier des prestations convenues au contrat sans les exposer à des dangers pour leur sécurité, leur santé et leur vie.
[37]
Ainsi, le Tribunal conclut que la preuve est à
l'effet que l'éclosion des cas d'infection au virus A(H1N1) comportait une
caractéristique d'irrésistibilité permettant de considérer cette situation
comme un cas de force majeure au sens de l'article
[38] De plus, pour conclure à l'imprévisibilité d'une situation, on doit se replacer au moment où les parties ont contracté leurs obligations.
[39] Or, le 17 mars 2009, au moment de l'achat du forfait par les demandeurs, aucune indication ne permettait à la défenderesse ni au grossiste de prévoir l'importance de l'éclosion des cas d'infection au virus A(H1N1) non plus que la réaction de l'Agence de la santé publique du Canada et de l'Organisation mondiale de la santé face à cette situation.
[40] L'agence de voyages et le grossiste sont ainsi bien fondés de décliner responsabilité à l'égard des demandeurs en plaidant la force majeure.
[41] Enfin, le Tribunal prend acte de l'offre présentée par l'appelée en garantie Groupe Vacances Sunwing et répétée à l'audience de dédommager les demandeurs pour la partie terrestre non utilisée des frais encourus au montant de 412,41 $ chacun.
[42] La preuve d'une force majeure libère le débiteur de ses obligations envers son créancier.
[43]
Les articles
1693. Lorsqu'une obligation ne peut plus être exécutée par le débiteur, en raison d'une force majeure et avant qu'il soit en demeure, il est libéré de cette obligation; il en est également libéré, lors même qu'il était en demeure, lorsque le créancier n'aurait pu, de toute façon, bénéficier de l'exécution de l'obligation en raison de cette force majeure; à moins que, dans l'un et l'autre cas, le débiteur ne se soit expressément chargé des cas de force majeure.
La preuve d'une force majeure incombe au débiteur.
1694. Le débiteur ainsi libéré ne peut exiger l'exécution de l'obligation corrélative du créancier; si elle a été exécutée, il y a lieu à restitution.
Lorsque le débiteur a exécuté son obligation en partie, le créancier demeure tenu d'exécuter la sienne jusqu'à concurrence de son enrichissement.
[44] En l'espèce, la preuve démontre que les demandeurs ont acquitté le coût total du voyage par le dépôt d'un acompte de 600 $ le 17 mars 2009 et le solde de 3 460 $ le 24 mars 2009.
[45] Puisque l'agence de voyages et le grossiste ne peuvent, dans les circonstances, exiger de leurs clients l'obligation corrélative, c'est-à-dire, le plein montant de leur contre-partie, il y a lieu à restitution.
[46] L'agence de voyages et le grossiste n'ayant exécuté leurs obligations que partiellement en livrant la partie aérienne et une portion de la partie terrestre du forfait acquis par les demandeurs, ils doivent restituer aux demandeurs la portion terrestre non utilisée.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[47] ACCUEILLE partiellement la demande des demandeurs;
[48]
CONDAMNE la défenderesse Voyage Charterama Trois-Rivières ltée à
payer aux demandeurs la somme de 824,82 $ avec intérêt légal et
l'indemnité additionnelle prévue à l'article
[49] CONDAMNE la défenderesse Voyage Charterama Trois-Rivières ltée aux dépens;
[50] ACCUEILLE partiellement la demande en garantie contre Groupe Vacances Sunwing inc.;
[51]
CONDAMNE la défenderesse en garantie Groupe Vacances Sunwing inc.
à payer à la défenderesse Voyages Charterama Trois-Rivières ltée la somme de 824,82
$ avec intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle prévue à
l'article
[52] CONDAMNE la défenderesse en garantie Groupe Vacances Sunwing inc. à payer les dépens à la défenderesse Voyages Charterama Trois-Rivières ltée.
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__________________________________ ALAIN TRUDEL, J.C.Q. |
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Date d’audience : |
6 janvier 2010 |
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AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.