[1] L'appelant se pourvoit contre un jugement rendu le 7 février 2011 par la Cour du Québec, Chambre criminelle, district de Richelieu (l'honorable juge Richard Marleau), qui le condamne à une peine de 30 mois d’emprisonnement pour un chef de voies de fait simples et des peines concurrentes de 12 mois d’emprisonnement sur chacun de trois chefs pour bris d’une ordonnance de probation découlant du même incident, moins 5 mois de la peine globale de 30 mois d’emprisonnement imposés en raison de la détention préventive;
[2] Pour les motifs du juge Kasirer, auxquels souscrivent les juges Wagner et Gascon, LA COUR :
[3] REJETTE le pourvoi.
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MOTIFS DU JUGE KASIRER |
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[4] Joey Gosselin se pourvoit contre un jugement rendu le 7 février 2011 par la Cour du Québec qui le condamne à une peine de 30 mois d’emprisonnement ferme pour un chef de voies de fait simples commis à l’endroit de sa conjointe, N... V.... Le juge impose également des peines de 12 mois d’emprisonnement sur chacun des trois autres chefs pour bris d’une ordonnance de probation découlant du même incident, peines à être purgées de façon concurrente entre elles et la peine imposée pour les voies de fait. Le juge soustrait 5 des 30 mois d’emprisonnement imposés en raison de la détention préventive.
[5] Dans un arrêt rendu aujourd’hui, la Cour rejette l’appel que M. Gosselin a formé contre la déclaration de culpabilité donnant lieu à la peine (500-01-004802-102).
[6] En appel de sa peine, M. Gosselin soutient que la sanction de 30 mois d’emprisonnement pour voies de fait simples est manifestement non indiquée dans les circonstances. Déclaré coupable de l'infraction pour avoir retenu sa conjointe par le bras, l’appelant soutient que la peine imposée par le juge est disproportionnée à la gravité du crime. De plus, il soutient que la peine s'écarte indûment de la fourchette des peines normalement infligées pour les voies de fait simples. Pour l'appelant, la peine est donc déraisonnable au point de justifier l'intervention de la Cour.
I LE CONTEXTE
[7] Lors du procès, le juge devait trancher entre deux versions contradictoires des événements, dont une présentée par la victime, soit la conjointe de l’appelant. Mme V... a refusé de porter plainte contre M. Gosselin. Témoignant en défense, elle banalise l'acte posé par son conjoint, niant avoir été victime de voies de fait. Le juge ne la croit pas. De l’ensemble de la preuve, il conclut que l’appelant a retenu sa conjointe par le bras, contre son gré, au terme d’une querelle entre eux. La victime se débattait. M. Gosselin ne relâche sa conjointe qu'après l'intervention d'un voisin. Le juge écarte l’argument du caractère peu sérieux du geste de l’appelant comme excuse au crime. Bien que l’appelant ait relâché la victime peu de temps après l’intervention des voisins, l’infraction de voies de fait a été commise. Le juge déclare l’appelant coupable de voies de fait et de bris de conditions.
[8] M. Gosselin est détenu en attendant l’imposition de la peine.
II LE JUGEMENT DE LA COUR DU QUÉBEC
[9] Devant le premier juge, le ministère public réclame la peine maximale de cinq ans. L’appelant est un multirécidiviste en semblable matière, plaide-t-il, ayant notamment des antécédents judiciaires pour voies de fait commises dans un contexte de violence conjugale. S’appuyant sur sa lecture d'un rapport d’évaluation de santé mentale déposé sans objection de la défense, le ministère public qualifie l’appelant d’« irrécupérable » en raison d’un risque de récidive élevé.
[10] Quant à l’appelant, il propose au juge une peine globale de huit mois et demi de prison ferme, moins deux mois et demi de détention préventive. Soulignant l'absence de séquelles chez la victime, l’appelant soutient que la banalité du geste reproché - il n’a fait que retenir sa conjointe momentanément alors qu’elle marchait sur le trottoir - milite en faveur d’une peine bien moindre que la peine maximale. Rappelons que la prétention de l'appelant s'appuie en partie sur une version des faits que n'a pas retenue le juge au procès.
[11] Bien qu'elle ne témoigne pas, la victime est à nouveau présente à l’audition sur la peine. Le juge note qu’elle est toujours la conjointe de l’appelant et qu’elle veut reprendre vie commune avec lui.
[12] Dans son jugement sur la peine, le juge souligne que le couple n’en est pas « à ses premiers démêlés judiciaires ». Mme V... a déjà été victime de voies de fait et de harcèlement dans deux dossiers distincts en 2010, condamnations pour lesquelles l'appelant a reçu des peines de trois mois et de neuf mois d’emprisonnement respectivement, assorties chacune de périodes de probation. Ces probations font l'objet des trois bris de conditions pour lesquels l'appelant a été condamné dans le présent dossier.
[13] Le juge cite de longs extraits du rapport d’évaluation de santé mentale préparé à la demande du ministère public aux fins de l’audience sur la peine pour les accusations de 2010. L'auteur du rapport, le Dr Pierre Gagné, relate le lourd passé violent de l’appelant, ainsi que ses problèmes persistants de consommation de stupéfiants. Le Dr Gagné décrit l’attitude de l’appelant comme « contrôlante par moment » et souligne comment il « minimise ses comportements violents passés et se victimise en expliquant avoir réagi aux comportements violents de sa conjointe ». Le rapport conclut à un risque de récidive élevé, en notant que l’appelant projette d’entamer une cure de désintoxication.
[14] Le juge conclut de la preuve entendue à l’audience que le rapport demeure pertinent. Il souligne que l’appelant n’a pas mené à terme son projet de cure même si M. Gosselin n'exclut pas d'en entreprendre d'autres.
[15] Dans son exercice de détermination de la peine entrepris en application des principes et objectifs énoncés aux articles 718 et seq. C.cr., le juge constate « un long parcours judiciaire parsemé de violence, souvent exacerbé par la consommation de stupéfiants ou d’alcool » (paragr. [44]). Il décrit en détail les multiples condamnations imposées à l’appelant, entre autres pour voies de fait, menaces, appels harassants et harcèlement. Le juge souligne ses condamnations en rapport au « mauvais traitement à l’égard d’une conjointe ou envers une femme de son entourage » (paragr. [51]). Les peines prononcées par le passé n’ont pas eu, selon le juge, l’effet dissuasif voulu sur l’appelant. De plus, il note le peu d’engagement, d’introspection et d’autocritique de la part de l’appelant décrit dans le rapport d’évaluation. Il note également le risque de récidive élevé.
[16] Le juge reconnaît que l’acte reproché « se situe au bas de l’échelle de ce que peut constituer l’infraction de voies de fait ». S’il n’y a pas lieu de banaliser le geste, il note que « retenir par le bras ne peut être qualifié du "pire crime" de voies de fait ou s’en rapprocher » (paragr. [37]). Cela suffit à écarter l’hypothèse de la peine maximale prônée par le ministère public.
[17] Par ailleurs, le juge prend acte de la décision de la victime de ne pas porter plainte contre l'appelant et de son souhait de faire vie commune avec lui. Il note aussi l’absence de séquelles physiques. Il retient toutefois que ces considérations sont contrebalancées par les facteurs aggravants en l’espèce, notamment les antécédents judiciaires de violence de l’appelant.
[18] Il n'envisage aucune possibilité réaliste de réhabilitation. Sur ce point, le juge écrit :
[55] On ne peut conclure non plus que les différentes probations imposées notamment les dernières à Sherbrooke en 2010, ont eu un effet bénéfique dans la réhabilitation de l’accusé. Privilégier un tel encadrement dans l’espoir que l’accusé s’investisse finalement dans une thérapie qui amenuiserait les risques de récidive semble peu réaliste. Il s’agirait bien là de la seule justification d’une peine inférieure à deux ans, peine qui serait de toute manière trop clémente eu égard aux condamnations antérieures. Il est à souhaiter que l’accusé fasse maintenant ces démarches de sa propre initiative s’il croit vraiment que ça peut lui venir en aide.
[19] Le juge conclut à une peine globale de 30 mois, étant d’avis que les chefs font tous partie d’une même transaction criminelle. Il soustrait cinq mois de détention préventive. Il refuse de prononcer une ordonnance d’interdiction de communiquer avec la victime pendant la détention, étant d’avis qu’il dispose de peu d’éléments de preuve la justifiant.
III LES PRÉTENTIONS DES PARTIES
[20] M. Gosselin s'attaque à la peine imposée de 30 mois d'emprisonnement ferme en plaidant qu'elle est manifestement non indiquée dans les circonstances.
[21] On peut résumer son argumentation en trois temps.
[22] D'abord, dans sa formulation de la question en litige, M. Gosselin allègue que le juge accorde une trop grande importance aux objectifs de dissuasion ainsi qu'à la personnalité de l'appelant, contrairement à l'article 718 C.cr., ce qui l'amène à imposer une peine déraisonnable.
[23] Deuxièmement, il plaide que la peine infligée n'est pas proportionnelle à la gravité de l'infraction et au degré de responsabilité du délinquant, comme l'exige l'article 718.1 C.cr.
[24] Troisièmement, M. Gosselin soutient que la peine ne respecte pas le principe de l'harmonisation des peines en semblable matière énoncé à l'article 718.2b) C.cr. Une peine de 30 mois s'écarterait nettement de la fourchette normalement applicable en matière de voies de fait simples. À 30 mois d'emprisonnement, dit-il, la peine imposée ressemble davantage à une sanction pour voies de fait graves.
[25] L'intimée est d'avis que le juge n'a fait aucune erreur permettant à la Cour d'intervenir pour réformer la peine. Le ministère public soutient que le juge a correctement soupesé les objectifs énoncés à l'article 718 C.cr. en fixant la peine à 30 mois d'emprisonnement ferme. À son avis, cette peine est proportionnelle à la gravité du crime et à la responsabilité individuelle de l'appelant. Le juge a tenu compte notamment de la gradation des peines en fixant la sentence de M. Gosselin. Selon l'intimée, la peine imposée se situe dans l'éventail de peines octroyées pour ce type d'infraction commise dans un pareil contexte de violence conjugale.
IV L'ANALYSE
[26] Les principes qui encadrent l'intervention des cours d'appel sur les peines sont connus. Les tribunaux d’appel doivent faire preuve d’une grande retenue dans l’examen des décisions des juges de première instance compte tenu du pouvoir discrétionnaire que leur confère la loi. Dans l'arrêt R. c. Nasogaluak[1], la Cour suprême précise ainsi les règles d'intervention :
[46] Les tribunaux d’appel font preuve d’une grande déférence à l’égard des décisions des juges prononçant les peines. Dans l’arrêt M. (C.A.), [ [1996] 1 R.C.S. 500 ], le juge en chef Lamer a rappelé qu’une peine ne peut être modifiée que si elle n’est « manifestement pas indiquée » ou si elle découle d’une erreur de principe, de l’omission de prendre en considération un facteur pertinent ou d’une insistance trop grande sur un facteur approprié […] Toutefois, comme l’a expliqué le juge Laskin dans R. c. McKnight (1999), 135 C.C.C. (3d) 41 (C.A. Ont.), au par. 35, cela ne signifie pas que les tribunaux d’appel peuvent modifier une peine simplement parce qu’ils auraient accordé un poids différent aux facteurs pertinents :
[traduction] Suggérer que le juge de première instance a commis une erreur de principe parce que, de l’avis du tribunal d’appel, il a accordé trop de poids à un facteur pertinent ou trop peu à un autre équivaut à faire fi de toute déférence. La pondération des facteurs pertinents, le processus de mise en balance, voilà l’objet de l’exercice du pouvoir discrétionnaire. La déférence dont il faut faire preuve à l’égard des décisions prises par le juge dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire commande qu’on évalue la façon dont il a soupesé ou mis en balance les différents facteurs au regard de la norme de contrôle de la raisonnabilité. Ce n’est que si le juge du procès a exercé son pouvoir discrétionnaire de façon déraisonnable, en insistant trop sur un facteur ou en omettant d’accorder suffisamment d’importance à un autre, que le tribunal d’appel pourra modifier la peine au motif que le juge a commis une erreur de principe.
[Je souligne.]
[27] Il ne suffit donc pas pour l'appelant de se plaindre de la sévérité de la peine et d'en proposer une qui serait plus adaptée de l'avis des juges d'appel. Il doit démontrer qu'elle est manifestement non indiquée ou entachée d'une erreur révisable en regard des règles applicables.
[28] Quant au principe d'harmonisation de peines, la Cour suprême a établi dans R. c. M. (C.A.)[2] qu'il ne peut primer sur la règle du respect de la discrétion du juge de procès, dans la mesure où la sentence n’est pas entachée d’une erreur de principe et où la peine n'est pas nettement déraisonnable :
92 […] La détermination de la peine est un processus intrinsèquement individualisé, et la recherche d'une peine appropriée applicable à tous les délinquants similaires, pour des crimes similaires, sera souvent un exercice stérile et théorique. De même, il faut s'attendre que les peines infligées pour une infraction donnée varient jusqu'à un certain point dans les différentes communautés et régions du pays, car la combinaison « juste et appropriée » des divers objectifs reconnus de la détermination de la peine dépendra des besoins de la communauté où le crime est survenu et des conditions qui y règnent. Pour ces motifs, conformément à la norme générale de contrôle que nous avons formulée dans Shropshire, je crois qu'une cour d'appel ne devrait intervenir afin de réduire au minimum la disparité entre les peines que dans les cas où la peine infligée par le juge du procès s'écarte de façon marquée et substantielle des peines qui sont habituellement infligées à des délinquants similaires ayant commis des crimes similaires.
[Je souligne.]
[29] Il y a lieu d'analyser les trois arguments évoqués plus haut à tour de rôle.
(a) Les objectifs pertinents (article 718 C.cr.)
[30] Le juge a-t-il erré en insistant indûment sur les objectifs de dénonciation et de dissuasion dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire?
[31] À mon avis, on ne peut pas dire que le juge se méprend dans son identification et sa mise en œuvre des objectifs énoncés à l'article 718 C.cr. Sa démarche s'inscrit dans l'exercice normal de ce que la Cour suprême qualifie du « vaste pouvoir discrétionnaire » que possède tout juge d'instance en raison de la nature individualisée du processus[3].
[32] Le juge insiste sur le passé criminel de M. Gosselin en notant, au paragraphe [47] de ses motifs, que « les peines prononcées dans le passé n'ont pas eu l'effet dissuasif voulu » et que le parcours de M. Gosselin indique que « la réinsertion sociale se montre difficile et parsemée de récidive ». Le juge ajoute au paragraphe [48] que, du fait du passé criminel de l'appelant, « [il] est clair que le principe de l'isolation du délinquant doit ici recevoir application ».
[33] Le casier judiciaire de l'appelant contient effectivement de nombreuses condamnations pour infractions contre la personne, notamment commises dans le contexte de la violence conjugale et parfois contre la même victime, et ce, sur une très longue période. Le juge écrit :
[50] L'accusé a des antécédents qui remontent à 1993. On y recense selon la preuve présentée 15 condamnations pour voies de fait, 9 pour menaces, 2 pour appels harassants et 2 pour harcèlements. On y ajoute différents crimes contre la propriété et 15 condamnations pour bris de toutes sortes, incluant 3 pour bris de probation.
[51] Ne serait-ce qu'en matière de mauvais traitement à l'égard d'une conjointe ou envers une femme de son entourage dans les dernières années, l'accusé s'est vu imposer à deux reprises des peines équivalentes à 18 mois en 2005 (une fois pour menace et voies de fait, l'autre pour menace et harcèlement), une peine de 16 mois en 2006 (voies de fait) et une peine de 9 mois en mai 2010, sans compter d'autres condamnations entre 2003 et 2010 où les peines varient de 1 jour à 9 mois.
[52] S'y ajoutent deux dossiers en 2003 et 2004 où seule une amende sera imposée pour des infractions d'appels harassants, menaces et voies de fait et une peine de 24 mois en 2007 en Colombie-Britannique pour introduction par effraction, voies de fait armées et menaces.
[53] Quant aux bris de probation, l'accusé a reçu pour ce type d'infraction une peine de 4 mois en 1994 et deux peines distinctes de 60 jours en 2005.
[34] Parmi les multiples condamnations de l'appelant, le juge insiste notamment sur celles survenues après 2003 qui, à l'exception d'une infraction en 2004, ont toutes été commises dans un contexte de violence conjugale.
[35] Le juge reconnaît que les objectifs de dénonciation, de dissuasion et d'isolation du délinquant doivent prévaloir, sans pour autant faire abstraction des autres objectifs identifiés par le législateur. Il conclut par contre que les chances de réhabilitation sont quasi inexistantes et que l'accusé représente un danger pour la société. Pour ce faire, il tient compte de manière pertinente du rapport de santé mentale déposé par la poursuite qui confirme largement l'impression que le risque de récidive est élevé et que les quelques thérapies suivies n'ont pas donné lieu à une introspection qui laisse présager une réhabilitation prochaine.
[36] Je note, par ailleurs, qu'il était du devoir du juge de considérer, comme circonstance aggravante, les éléments de preuve établissant que l’infraction perpétrée par l’appelant constitue un mauvais traitement de sa conjointe. En effet, la peine imposée devait faire voir que le statut de conjoint de la victime était un facteur aggravant en application du principe de détermination de la peine consacré à l’article 718.2a)(ii) C.cr. Même si cela n'est pas le seul facteur en jeu, les tribunaux doivent reconnaître l’importance particulière de la dénonciation et de la dissuasion d’un comportement qui, par sa nature même, mine la relation de confiance qui caractérise la vie commune[4]. C’est bien la démarche préconisée par le juge dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire de fixer la peine appropriée, abstraction faite de la question de savoir si l'absence de séquelles devait atténuer la peine.
[37] Au niveau de l'identification et de l'application des principes, l'appelant ne fait voir aucune erreur dans la démarche du juge.
(b) La proportionnalité de la peine (article 718.1 C.cr.)
[38] Pour l’appelant, une peine de 30 mois d’emprisonnement en pénitencier est trop sévère devant le geste reproché, c’est-à-dire d’avoir retenu la victime par le bras, momentanément, sans son consentement. Cette impression se confirme, à ses yeux, quand on considère que la victime elle-même ne voulait pas porter plainte à la suite des évènements.
[39] Même s’ils sont liés, chacun de ces deux éléments - l'absence de séquelles physiques et le caractère apparemment minimal de l'atteinte à la personne de Mme V... - seront analysés eu égard à l'évaluation de la proportionnalité de la peine.
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[40] Le juge a-t-il négligé de prendre en compte ce que l’appelant qualifie d'« absence de séquelles chez la victime » dans la détermination de la peine?
[41] Rappelons que le juge prend note de l’absence de séquelles physiques, mais il n’y accorde pas une importance déterminante. Pour le juge, les souhaits de la victime et l’absence de séquelles « ne pèsent pas lourd face aux facteurs aggravants, la personnalité de l’accusé et ses antécédents en semblable matière » (paragr. [54]).
[42] L’appelant reproche au juge d'avoir erré sur ce point en minimisant le fait que la victime ne semble souffrir d'aucune séquelle. Pour l’appelant, ce facteur aurait dû avoir un impact atténuant sur le quantum de la peine eu égard au principe fondamental de la proportionnalité énoncé à l’article 718.1 C.cr.
[43] L'appelant se méprend.
[44] D'abord, on ne peut certes pas dire que le juge a ignoré l'absence de séquelles physiques et l'impact du comportement de l'appelant sur la victime dans ses motifs. Même si le juge n’a pas cru le témoignage de la victime en entier au procès, il prend acte de son affirmation qu’elle veut reprendre vie commune avec lui, particulièrement pertinente en ce qui concerne l'interdit de contact. Quant aux suites de l’infraction pour Mme V..., le juge écrit « [o]n peut inférer de ce témoignage que la victime ne souffre pas de séquelles découlant du crime, du moins pas celles normalement associées aux conséquences d’une telle infraction » (paragr. [8]). Plus loin, il note que le ministère public « reconnaît l’absence de séquelles chez la victime comme seul facteur atténuant » (paragr. [22]).
[45] Concernant la pertinence de l'absence de séquelles physiques, on notera d'abord que l'infraction de voies de fait simples, par sa nature, ne nécessite pas la preuve de conséquence sur la victime. S'il est vrai que la présence de séquelles peut constituer un facteur aggravant dans les infractions contre la personne, je me garde de conclure qu'une absence de séquelles physiques constitue un facteur atténuant ici. C'est d'autant plus le cas dans un contexte de violence conjugale comme celui-ci où, comme le juge le laisse entendre au paragraphe [8] de ses motifs, les séquelles peuvent se mesurer autrement que par les lésions physiques.
[46] Les motifs font voir que le juge est conscient de l'importance relative du fait, soulignée par les experts, qu’une victime de violence conjugale ne porte pas plainte d’un tel événement aux autorités[5]. Il y a souvent un risque que les dires d’une victime dans un tel contexte soient entachés de crainte ou qu’ils reflètent un choix dicté par une vulnérabilité économique plutôt par des raisons valables, même si d'autres hypothèses ne peuvent être complètement écartées[6]. Dans ses motifs, le juge est conscient de ce risque qui conditionne l’importance qu’il accorde aux souhaits de la victime. Il écrit, à juste titre, que dans un contexte de violence conjugale, les souhaits de la victime de vouloir retourner vivre avec son agresseur « doivent être considérés avec prudence quand vient le moment de déterminer la peine » (paragr. [33]). Là encore, l’appelant ne fait voir aucune erreur révisable dans la démarche du juge.
[47] Finalement sur ce point, l’appelant relève le fait que le juge refuse de se rendre à la suggestion de la poursuite de lui imposer une interdiction de tout contact avec sa conjointe. L’appelant y voit une contradiction avec le choix du juge de relativiser les souhaits de la victime dans la détermination de la peine.
[48] L’appelant se trompe. Le juge retient que la preuve ne lui permet pas d’imposer cette interdiction qui, à son avis, l’amènerait à spéculer inutilement sur « les raisons profondes qui motivent la victime à vouloir garder contact avec l'accusé, même après avoir été victime de ce dernier à plus d'une reprise dans la dernière année » (paragr. [59]). Au mieux, cette conclusion permet d'inférer un constat du juge que Mme V... n'est pas immédiatement en danger. Mais le refus de prononcer l'interdiction de contact procède selon des normes différentes de la détermination de la peine. Il n'y a pas de contradiction nécessaire dans le choix du juge de refuser l'interdiction en laissant à la victime le devoir de sonder son propre cœur quant à son avenir.
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[49] Toujours au regard du principe fondamental de la proportionnalité, le juge a-t-il erré dans son appréciation du sérieux de l’acte commis dans son évaluation de la peine sous l'article 718.1 C.cr.?
[50] Pour l’appelant, le fait d’avoir simplement retenu la victime pour quelques secondes, sans lui infliger de blessures, doit être qualifié de banal et, eu égard au principe de la proportionnalité des peines, il ne peut justifier la sanction imposée. Ayant plaidé, sans succès, que la maxime de minimis non curat lex devait servir à le disculper de l'accusation de voies de fait dans son appel sur le verdict[7], l'appelant revient à la charge en plaidant que le caractère peu important de son geste physique aurait dû inciter le juge à imposer une peine moins lourde que 30 mois d'emprisonnement.
[51] L'appelant n'a pas tort de dire que, du moins sur le plan théorique, le concept « des petites choses la loi ne se soucie pas » pourrait avoir un impact dans l'appréciation de la proportionnalité de la peine[8].
[52] Toutefois, on ne peut pas taxer le juge d'avoir erré en exagérant l'importance de l'acte de M. Gosselin qu'il qualifie, comme je l'ai indiqué plus haut, de geste « au bas de l'échelle de ce que peut constituer l'infraction des voies de fait ». Les motifs du juge indiquent clairement que ceci est un des éléments qu'il tient en ligne de compte en écartant l'application de la peine maximale demandée à l'origine par le ministère public (paragr. [42] et [43]). Le juge est conscient du risque de punir la personne de M. Gosselin et non seulement son crime ; il écrit à cet égard que « suivre la proposition de la poursuite équivaudrait à punir uniquement l’accusé pour ses caractéristiques et ses antécédents sans tenir compte des circonstances du crime et de ses effets sur la victime » (paragr. [42]). Une fois la peine maximale écartée, le juge garde la gravité subjective du crime à l’esprit quand il décide qu’une peine de plus de deux ans est nécessaire dans les circonstances (paragr. [54]).
[53] Dans les faits, le juge avait raison de ne pas banaliser outre mesure l'acte de M. Gosselin. Le comportement de M. Gosselin n’a pas été banal. La victime est retenue contre son gré à la vue du public. Elle se débattait. Seule l’intervention des voisins a permis son relâchement, ce que M. Gosselin fait à regret. Si le juge constate l’absence de lésions physiques, ses motifs indiquent qu’il n’exclut pas des séquelles psychologiques. Le ministère public a raison de soutenir qu'il s'agissait d'un contrôle physique exercé dans le cadre de rapports intimes, ce qui est un aspect du contexte qui dénote l’absence de banalité du geste. Par son geste, M. Gosselin n'a pas seulement entravé la liberté de mouvement de Mme V.... Ce geste de contrôle sur la personne de sa conjointe constitue aussi un « mauvais traitement » de sa victime au sens de l'article 718.2b)(ii) C.cr.[9]. Le juge explique que M. Gosselin ne réalise pas qu’il a commis un acte violent. La version des événements qu'il a retenue au terme du procès permettait de conclure que le degré de culpabilité morale de l'appelant est important même si le geste est en apparence moins sérieux. Le juge ne se méprend pas dans son analyse de cet aspect de l'affaire.
[54] Notons, aussi, que si le caractère momentané du geste est un fait à considérer relativement à la gravité subjective de l'infraction sous l'article 718.1 C.cr., les circonstances entourant le geste sont également pertinentes à la mesure du degré de la responsabilité de l'appelant en application du principe fondamental de la proportionnalité. Sans perdre de vue la gravité subjective du crime, le juge tient compte, à bon droit, de cet élément dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire lui permettant d’arriver à la peine fixée.
[55] C'est cette évaluation in concreto qui amène le juge à écarter aussi une peine inférieure à deux ans, « peine qui serait de toute manière trop clémente eu égard aux condamnations antérieures » (paragr. [55]). Il note que les multiples peines d'emprisonnement infligées à l'appelant par le passé n'ont pas eu l'effet dissuasif escompté. En fixant la peine à 30 mois, le juge met en œuvre adéquatement le principe de la gradation des peines qui milite en faveur de l'isolement de l'appelant vu l'échec des peines antérieures[10]. Lors des représentations sur sentence, l'avocate du ministère public a soigneusement passé en revue les condamnations antérieures, soulignant comment des peines moindres, imposées notamment dans un contexte de violence conjugale, n'ont pas mené M. Gosselin à une prise de conscience de sa responsabilité. Comme le note le juge, ces peines varient, mais elles vont jusqu'à 18 mois d'emprisonnement.
[56] Le juge tient aussi compte, comme il se doit, des infractions commises pendant les périodes de probation, qui aggravent un crime déjà plus sérieux en raison de l'identité de la victime. Il tient également compte du haut risque de récidive et décide d'isoler l'appelant pour une période importante en vue de mieux asseoir l'objectif dissuasif de la peine.
[57] Pour conclure sur ce point, l'appelant ne fait voir aucune erreur révisable au chapitre de la mise en œuvre du principe de la proportionnalité de la peine. Correctement mises dans leur contexte, la nature du geste reproché à l'appelant et ses conséquences sur la victime « ne pèsent pas lourd », comme dit le juge, eu égard à la gravité du crime et au degré de responsabilité de l'appelant.
(c) L'harmonisation de la peine (article 718(2)b) C.cr.)
[58] L'appelant plaide que la peine est manifestement non indiquée puisqu'elle s'écarte nettement de la fourchette normalement applicable en matière de voies de fait simples. Pour l'appelant, la peine de 30 mois s’apparente aux peines imposées pour voies de fait graves, même dans un contexte de violence conjugale.
[59] Nous savons que la fourchette des peines normalement imposées ne pose pas des balises inflexibles. Il convient de rappeler que l'appelant doit démontrer ici une erreur dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire du juge ou que la peine est nettement déraisonnable dans les circonstances :
[35] On ne pouvait prioriser cet exercice d'harmonisation des peines au détriment de la règle du respect de la discrétion du juge de procès, dans la mesure où la sentence n'était pas entachée d'une erreur de principe et où la première juge n'avait pas infligé une peine nettement déraisonnable en accordant une attention inadéquate à des facteurs particuliers ou en évaluant incorrectement la preuve […].[11]
[60] Rappelons aussi que le principe d'harmonisation, tel qu'énoncé au Code criminel, ne fait pas primer les bienfaits de l'uniformisation des peines sur le principe de l'individualisation de la sanction. L'article 718.2b) C.cr. le souligne en toutes lettres : l'harmonisation des peines, c'est « l'infliction de peines semblables à celles infligées à des délinquants pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables » (en anglais « in similar circumstances »). La valeur sociale de la comparaison abstraite de peines infligées est donc conditionnée par la nécessité d'une démarche in concreto, c'est-à-dire une comparaison qui tient compte des circonstances particulières de la commission du crime et de la situation de la personne qui l'a commise.
[61] Citant notamment l’arrêt Lachance[12] dans lequel cette Cour a imposé une peine de 12 mois pour des gestes beaucoup plus graves, l’appelant soutient que la peine porte ainsi atteinte au principe de l’harmonisation des peines. Or, dans Lachance, il existait une possibilité de réhabilitation, ce qui n'est pas le cas en l'espèce[13]. Ma collègue la juge Bich, qui a rédigé les motifs, s'était d'ailleurs montrée ouverte à imposer une peine plus sévère à l'accusé. Elle s'en tiendra finalement à la suggestion du ministère public, surtout en raison des chances de réhabilitation[14].
[62] L'appelant présente d'autres exemples tirés d'une vaste jurisprudence où les actes commis semblent plus graves et pour lesquels, pourtant, une peine de moins de 30 mois a été imposée. Ces décisions présentent toutes des distinctions par rapport à la présente affaire. Dans un cas, on insiste sur le fait que les conséquences du geste n'étaient pas prévues[15]. Dans un autre, l'accusé a enregistré un plaidoyer de culpabilité, ce qui constitue un facteur atténuant[16]. Dans l'une des décisions, la Cour d'appel est intervenue afin d'imposer une peine plus sévère[17]. Les faits étaient également différents.
[63] L'éventail des peines imposées pour voies de fait simples commises à l'endroit d'une conjointe est large et il est vrai que la peine infligée ici se situe en haut de l'échelle[18]. On ne peut toutefois pas dire que l'appelant a réussi à démontrer l'existence d'une erreur révisable ou que la peine imposée de 30 mois est manifestement non indiquée vu les circonstances de l'affaire.
[64] Je suis d'avis que l'appel doit être rejeté.
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NICHOLAS KASIRER, J.C.A. |
[1] R. c. Nasogaluak, [2010] 1 R.C.S. 206 , paragr. [46].
[2] R. c. M. (C.A.), [1996] 1 R.C.S. 500 , paragr. 92.
[3] R. c. L.M., [2008] 2 R.C.S. 163 , paragr. [17].
[4] Voir R. c. Boucher, (2004) 186 C.C.C. (3d) 479, paragr. [27] et les explications de l’article 718.2a)(ii) C.cr. données par les auteurs Julie Desrosiers et Hugues Parent, La peine, Montréal, Éd. Thémis, 2012, 62 à 65.
[5] Clayton Ruby, Sentencing, 7e éd., Toronto, LexisNexis, 2008, 672, cité par le juge au paragr. [34] de ses motifs.
[6] À cet égard, on notera qu'au paragr. [33] de ses motifs, le juge cite R. c. Ward, 2009 ONCA 777, un arrêt consigné sur procès-verbal dans lequel la Cour d’appel d’Ontario souligne la possibilité qu’une conjointe choisisse de reprendre la vie commune après un incident de violence conjugale pour des raisons valables.
[7] Voir Gosselin c. R., C.A.M., 500-10-004802-102, aux paragr. [40] et seq.
[8] Voir Simon Roy et Julie Vincent, « La place du concept de minimis non curat lex en droit pénal canadien », (2006) 66 R. du B. 213, paragr. 72 et seq., où les auteurs expliquent comment « le caractère mineur et anodin d'un acte » est un facteur à considérer dans l'appréciation de la proportionnalité de la peine.
[9] 718.2a)(ii) C.cr. prévoit :
718.2 […] a) […] (ii) que l’infraction perpétrée par le délinquant constitue un mauvais traitement de son époux ou conjoint de fait, |
718.2 […] (a) […] (ii) evidence that the offender, in committing the offence, abused the offender’s spouse or common-law partner, |
[10] Anglehart c. R., 2012 QCCA 771 , paragr. [31].
[11] R. c. L.M., supra, note 3, paragr. [35].
[12] R. c. Lachance, 2005 QCCA 638 .
[13] Ibid., paragr. [13] et [51].
[14] Ibid., paragr. [53].
[15] R. c. Pilon, 2007, QCCA 1829. Cet appel par le ministère public traite d'un cas de voies de fait avec lésions dans un contexte de violence conjugale. La Cour reconnaît que les conséquences du geste n'étaient pas prévues et que cela peut entrer en ligne de compte.
[16] R. c. Tiberghien, 2008 QCCA 2178 .
[17] R. c. Firingstoney, 2002 SKCA 22. L'accusé est âgé de 26 ans lors des événements. Il a un dossier judiciaire comprenant plus de 40 condamnations, dont 10 avec violence et plusieurs impliquant la même victime. En première instance, il est condamné à deux ans moins un jour à purger dans la collectivité, incluant neuf mois de surveillance électronique. La Cour d'appel de la Saskatchewan imposera finalement une peine d'emprisonnement ferme de 21 mois, déduction faite de 3 mois de surveillance.
[18] La fourchette de peine pour voies de fait simples commises dans un tel contexte semble varier entre l'absolution et des peines de trois ans : voir, par ex., Ruby, supra, note 4, 864-7.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.