Conseil de la magistrature c. Procureur général du Québec | 2023 QCCS 151 | |||||
COUR SUPÉRIEURE | ||||||
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CANADA | ||||||
PROVINCE DE QUÉBEC | ||||||
DISTRICT DE | MONTRÉAL | |||||
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No : | 500-17-121965-225 | |||||
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DATE : | 23 janvier 2023 | |||||
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE | L’HONORABLE | CHRISTIAN IMMER, j.c.s. | ||||
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CONSEIL DE LA MAGISTRATURE et L’HONORABLE LUCIE RONDEAU et L’HONORABLE SCOTT HUGHES et L’HONORABLE CLAUDIE BÉLANGER | ||||||
Défendeurs | ||||||
c. | ||||||
PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC et SECRÉTAIRE À LA SECTION DES CANDIDATS À LA FONCTION DE JUGE | ||||||
Défendeurs | ||||||
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JUGEMENT Sursis (530 C.p.c.) | ||||||
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APERÇU....................................................................2
CONTEXTE.................................................................7
1. Chronologie : l’ancien Règlement, le Jugement Immer et les dispositions attaquées de la CLF, de la LTJ et du Règlement modifié 7
2. La région de coordination de la Montérégie et ses cinq palais de justice.....13
3. La Chambre de la jeunesse et les particularités du poste de juge à la Chambre de jeunesse en Montérégie 14
3.1 Les effectifs et les juridictions........................................14
3.2 La juridiction « 03 », les droits linguistiques spécifiquement prévus à l’article
3.3 Les droits garantis aux parties prenantes lors de l’application de mesures prévues à la Loi sur la protection de la jeunesse 16
3.4 Les besoins de la nation Mohawk....................................18
4. L’Avis 175 en particulier..............................................20
5. Les services de traduction............................................26
ANALYSE DES CRITÈRES..................................................28
1. La question sérieuse.................................................28
1.1 Cadre jurisprudentiel...............................................29
1.2 Analyse...........................................................29
2. Préjudice irréparable.................................................35
2.1 Cadre jurisprudentiel...............................................35
2.2 Analyse...........................................................36
2.3 Conclusion........................................................40
3. Prépondérance des inconvénients.....................................42
3.1 Principes juridiques................................................43
3.2 Discussion........................................................45
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :.........................................46
[1] En mai 2021, le Projet de Loi sur la langue officielle et commune du Québec connu comme le projet de loi 96[1] est déposé à l’Assemblée nationale. L’objet du PL 96 est d’affirmer que la seule langue officielle du Québec est la langue française et qu’elle est la langue commune de la nation québécoise. Le PL 96, une fois adopté, vient opérer une grande réforme de la Charte de la langue française[2].
[2] Lors de son dépôt, le PL 96 propose, entre autres, « diverses mesures de renforcement du français à titre de langue de la législation et de la justice » au Québec[3], dont celles-ci devant se retrouver à l’article
12. Il ne peut être exigé de la personne devant être nommée à la fonction de juge qu’elle ait la connaissance ou un niveau de connaissance spécifique d’une langue autre que la langue officielle sauf si le ministre de la Justice et le ministre de la Langue française estiment que, d’une part, l’exercice de cette fonction nécessite une telle connaissance et que, d’autre part, tous les moyens raisonnables ont été pris pour éviter d’imposer une telle exigence ».
[3] Alors que le PL 96 chemine en commission parlementaire, le ministre de la Justice Simon Jolin-Barrette[5] d’une part et la juge en chef de la Cour du Québec, Lucie Rondeau[6] d’autre part, s’engagent dans un bras de fer sur le contenu des avis de sélection des nouveaux juges de la Cour du Québec quant aux exigences liées à la maîtrise de l’anglais pour certains postes à afficher.
[4] C’est la secrétaire qui dirige le secrétariat à la sélection des candidats à la fonction de juge[7] qui dresse et affiche les avis de sélection. Lorsqu’à une deuxième occasion, la Secrétaire, sous les instructions du Ministre, fait fi des besoins exprimés par la Juge en chef et qu’elle affiche cinq avis de sélection sans mention de l’exigence de la maîtrise de la langue anglaise pourtant énoncée dans les besoins communiqués à la Secrétaire par la Juge en chef, cette dernière, le Conseil de la magistrature[8] et le juge en chef associé, Scott Hughes[9], posent le geste exceptionnel de saisir la Cour supérieure de la question par un pourvoi en contrôle judiciaire.
[5] Leur contestation des cinq avis comporte deux volets :
5.1. Les actions du Ministre sont illégales puisqu’en vertu du Règlement sur la procédure de sélection des personnes aptes à être nommées juges municipaux[10], il n’a aucun pouvoir pour intervenir pour déterminer les besoins. C’est la Juge en chef qui établit les besoins et c’est la Secrétaire qui dresse l’avis de nomination en fonction des besoins. Cela ressort du texte du Règlement et du contexte de son adoption, mais aussi des principes constitutionnels gouvernant l’indépendance administrative institutionnelle des tribunaux.
5.2. Subsidiairement, si l’article 7 du Règlement accorde un pouvoir discrétionnaire au ministre de faire droit, ou non, aux besoins exprimés par la Juge en chef, son exercice de ce pouvoir est déraisonnable.
[6] C’est le soussigné qui entend ce pourvoi. Dans son jugement[11], il casse les cinq avis en concluant que le Règlement écarte le Ministre du processus d’administration de la sélection des candidats au profit d’un secrétariat indépendant et que c’est la Secrétaire qui publie l’avis en tenant compte des besoins exprimés par la Juge en chef. Le Ministre ne peut pas intervenir dans ce processus pour écarter les besoins communiqués par la Juge en chef. La Secrétaire agissait donc de façon déraisonnable en tenant compte des instructions du Ministre sans faire sa propre analyse.
[7] La question d’une violation au principe constitutionnel de l’indépendance judiciaire n’est pas tranchée, le soussigné estimant que cela soulevait des questions complexes que le Tribunal n’avait pas à traiter pour résoudre le litige. L’analyse du Règlement suffisait et l’étude de l’indépendance administrative n’y ajouterait rien de plus.
[8] Le Jugement Immer n’est pas porté en appel. Les avis sont publiés comprenant les exigences linguistiques exprimées dans les besoins formulés par la Juge en chef.
[9] En réponse au Jugement Immer, le gouvernement modifie le PL 96 déjà sous étude. Ces modifications, outre que d’opérer une modification au libellé à l’article
9.1. Assurer que le principe de l’article
9.2. Modifier le processus de sélection des juges pour écarter toute intervention de la magistrature dans le processus de sélection des juges. Le juge en chef de la Cour du Québec n’est plus consulté pour nommer la Secrétaire. La Secrétaire n’a pas à tenir compte des besoins exprimés par le juge en chef. En fait, le rôle du juge en chef, quant à l’établissement des besoins, est limité à fournir, sur invitation du ministre, au moins une fois par année, à titre informatif, une planification des postes à pourvoir en tenant compte du nombre de juges en poste, des vacances prévisibles ainsi que des postes de juge par chambre, par lieu de résidence rattaché à un poste ou par cour, le cas échéant. Il est aussi précisé que les membres du comité de sélection ne peuvent évaluer la connaissance d’ «une langue autre que la langue officielle», sauf si cette exigence est prévue dans l’avis de sélection.
[10] Le 24 mai 2022, la Loi sur la langue officielle et commune du Québec[13] est adoptée. Elle entre en vigueur le 1er juin 2022[14].
[11] Le 9 août 2022, le Conseil, la Juge en chef et le Juge en chef associé et l’honorable Claudie Bélanger, juge en chef adjointe de la Cour du Québec responsable des cours municipales, déposent un pourvoi en contrôle judiciaire[15]. Ils demandent que l’article
[12] Or, en parallèle, un deuxième front litigieux s’ouvre entre la Cour du Québec et le Ministre.
[13] Le 26 avril 2022, une modification à la LTJ porte le nombre de juges de la Cour du Québec de 308 à 319[17]. Par ailleurs, une juge résidant à Longueuil et siégeant en Chambre de la jeunesse avec résidence à Longueuil, la juge Francine Gendron, doit prendre sa retraite en novembre 2022. Incluant le poste de la juge Gendron, 12 postes doivent donc être comblés.
[14] Le 30 mai 2022, la Juge en chef formule des besoins pour 9 de ces postes, dont trois à la Chambre de la jeunesse avec résidence à Longueuil pour divers districts et diverses chambres. Il n’est pas clair si ces postes ont fait l’objet de discussions entre le Ministre et la Juge en chef. La Juge en chef précise que la maîtrise de l’anglais est requise pour six postes.
[15] Après l’envoi de ces besoins, aucune communication n’intervient entre elle et la Secrétaire. La Secrétaire lui transmet, le 8 août 2022, un avis de sélection déjà affiché, mais pour trois postes seulement[18]. Pour chacun de ces trois postes, la Juge en chef avait exprimé l’exigence de la maitrise de l’anglais. Or, seuls deux de ces avis, les avis CQ-2022-176 et 177 précisent que « la connaissance de l’anglais » est requise, alors que l’avis CQ-2022-175 ne fait aucune mention de l’anglais[19].
[16] Estimant que ces avis ne sont pas conformes aux besoins qu’elle a exprimés, la Juge en chef transmet, le 23 août 2022, une demande d’explication à la Secrétaire[20]. Aucune réponse n’est fournie par la Secrétaire; pas même un simple accusé réception.
[17] Le 7 septembre 2022, les demandeurs modifient le Pourvoi pour y ajouter une demande de contrôle judiciaire de l’Avis 175 en particulier. Selon eux, la décision de la Secrétaire de publier l’Avis 175 après que les besoins eurent été transmis par la Juge en chef est irrationnelle et déraisonnable et elle est nulle et invalide car, elle est rendue en vertu des Dispositions attaquées qui sont invalides et inopérantes. En résumé, ils avancent ce qui suit :
17.1. L’Avis 175 demeure gouverné par le Règlement en vigueur au moment où les besoins sont formulés puisque la Loi n’a ni explicitement, ni par son objet, d’effet rétroactif. Par ailleurs, considérant que des droits échoient à la Juge en chef pour déterminer les besoins de la Cour du Québec en vertu de l’article 7 de l’ancien Règlement, elle jouit de droits acquis quant aux besoins du poste visé par l’Avis 175, vu que les faits pertinents se seraient «cristallisés » avant l’entrée en vigueur de la Loi qui vient modifier l’ancien 7 du Règlement. Ainsi, le raisonnement du Jugement Immer s’appliquerait tout autant et la décision de la Secrétaire serait aussi nulle.
17.2. Subsidiairement, si une ou un juge unilingue était nommé au terme du processus de sélection, cela aurait pour « effet concret de violer l’indépendance administrative de la Cour du Québec tout en niant le droit des justiciables d’avoir accès à une justice de qualité »[21]. L’Avis 175 « démontre et reflète l’Ingérence du Ministre dans les matières protégées par l’indépendance judiciaire, créant un effet néfaste sur les rôles et assignations de la Cour du Québec, sans égard à la réalité ».
[18] Les demandeurs ne demandent pas l’annulation de deux des trois avis qui substituaient l’exigence de la connaissance de l’anglais à celle de la maitrise de l’anglais, car « le comité de sélection procédant aux entrevues sera en mesure de vérifier la qualité de l’anglais des candidats à la fonction de juge de telle sorte que l’exercice de leurs fonctions futures ne sera pas compromis »[22]. Ils réservent toutefois tous leurs droits et recours advenant que cette distinction « venait à créer quelconque difficulté en lien avec l’évaluation des compétences linguistiques des candidats »[23].
[19] Les demandeurs plaident que si le processus de sélection va de l’avant sur la base du contenu de l’Avis 175, et qu’un juge est nommé qui n’a pas la maitrise, ni même la connaissance de la langue anglaise, un état de fait sera établi qui ne pourra être par la suite renversé s’ils ont gain de cause sur le fond. Ils assortissent donc leur Pourvoi d’une demande de sursis de l’Avis 175.
[20] C’est cette demande de sursis que le Tribunal est appelé à trancher par le présent jugement.
[21] Le Pourvoi n’opère pas sursis[24], sauf circonstances exceptionnelles. L’imposition d’un sursis relève de l’exercice de la discrétion du Tribunal, discrétion qu’il exerce à l’aune des trois critères fixés par la jurisprudence. Ainsi, le Tribunal doit d’abord mener « une étude préliminaire du fond du litige pour établir l’existence d’une question sérieuse à juger ». Puis, il doit déterminer si les demandeurs « ou les personnes pour lesquelles ils prétendent agir subiront un préjudice irréparable si la demande est rejetée ». Enfin, doit décider « laquelle des deux parties subira le plus grand préjudice selon que l’on accorde ou refuse le redressement en attendant la décision sur le fond »[25]. Comme pour l’injonction interlocutoire, ce pouvoir discrétionnaire doit s’exercer avec parcimonie dans le respect de conditions strictes[26].
[22] Pour les motifs énoncés ci-après, le Tribunal juge que ces trois conditions sont remplies en l’instance. Il fait donc droit à la demande de sursis et suspend toutes les démarches inhérentes à l’Avis 175 jusqu’au jugement à rendre sur de fond.
[23] Avant d’expliquer son analyse des trois critères, le Tribunal doit présenter plusieurs éléments de contexte. En effet, 4 déclarations sous serment ont été déposés touchant à de nombreux points dont certains assez techniques. Plusieurs pièces ont été déposées de part et d’autre. Les plans d’argumentation des parties puisent copieusement dans cette preuve.
[24] Cinq grands éléments de contexte doivent être discutés.
[25] Le soussigné a fait dans le Jugement Immer une étude détaillée du contexte d’adoption du Règlement en 2012. Il suffira de rappeler certain jalons clés.
[26] À la fin des années 1970, le gouvernement adopte un premier Règlement sur la procédure de sélection des personnes aptes à être nommées juges. Il prévoit les modalités et conditions où le Ministre joue un rôle prépondérant à toutes les étapes du processus de sélection.
[27] La Commission Bastarache est appelée à examiner la LTJ et le règlement existant et de formuler, le cas échéant, des recommandations au gouvernement sur d’éventuelles modifications à apporter à ce processus de nomination. Le Tribunal renvoie aux paragraphes 77 et 78 du Jugement Immer, pour le résumé des principes fondamentaux et des recommandations du Rapport Bastarache.
[28] Faisant suite à certaines, mais pas à toutes ces recommandations, le gouvernement adopte le Règlement en 2012[27] et celui-ci entre en vigueur le 28 janvier 2012.
[29] Neuf ans plus tard, en mai 2021, tel qu’indiqué dans le paragraphe introductif de ce jugement, le PL 96 est déposé avec son article 5 qui vise à modifier l’article
[30] Le 2 février 2022, le soussigné rend le Jugement Immer. Il interprète le Règlement ainsi :
[92] Le Tribunal conclut que le Ministre ne détient aucun pouvoir discrétionnaire quant au contenu de l’avis de sélection à être publié. Son rôle se limite à demander à la Secrétaire de lancer le concours. Cela relève en soi d’un exercice arithmétique : la somme des juges totalise-t-elle 308 juges ?
[93] Il n’a aucun contrôle sur la Secrétaire et ne peut lui dicter sa décision de ne pas inclure un besoin exprimé par la Juge en Chef. Une fois qu’il a demandé à la Secrétaire d’ouvrir le concours, il n’a aucun mot à dire sur l’inclusion des besoins exprimés par la Juge en Chef dans l’avis ni sur l’identité des personnes qu’il doit nommer et qui lui sont présentées par la Juge en Chef, le Barreau et l’Office des Professions. Même le rapport du comité ne lui est pas transmis par la Secrétaire. Dans une séquence finement chorégraphiée, la Secrétaire « transmet au sous-ministre le rapport accompagné des dossiers des candidats proposés. Le sous-ministre le transmet au ministre ».
[Référence omises]
[31] Dès lors, il y a dissonance entre le rôle que l’article
[32] Le gouvernement ne porte pas le jugement en appel. Il modifie plutôt le régime de sélection contenu au Règlement pour le rendre conforme à l’esprit et à la lettre de l’article
[33] Le nouvel article
88.1 Le ministre de la Justice ne peut exiger un critère additionnel à ceux déterminés en vertu du paragraphe 4° du premier alinéa de l’article 88, en lien avec la connaissance ou le niveau de connaissance spécifique des candidats à la fonction de juge d’une langue autre que la langue officielle, sauf si, conformément à l’article
Dans son évaluation, le ministre ne peut être tenu de prendre en considération d’autres données que celles relatives au nombre de juges qui ont une connaissance d’une langue autre que la langue officielle et au nombre d’audiences tenues en application de l’article
[34] Le premier paragraphe de cet article
[35] La Loi modifie aussi plusieurs articles du Règlement. Pour bien saisir les modifications apportées au Règlement, il y a lieu de placer côte à côte les anciens et nouveaux articles du Code. Les textes ayant subi des modifications sont soulignés ou raturés:
Règlement en vigueur jusqu’au 31 mai 2022 | Règlement en vigueur à partir du 1er juin 2022 |
3. Est institué, au sein du ministère de la Justice, le secrétariat à la sélection des candidats à la fonction de juge, dirigé par un secrétaire. Le secrétaire agit sous l’autorité du sous-ministre, qui le désigne après consultation du juge en chef de la Cour du Québec et du Barreau du Québec. Le secrétaire et les employés du secrétariat prêtent le serment de discrétion prévu à l’annexe B | 3. Est institué, au sein du ministère de la Justice, le secrétariat à la sélection des candidats à la fonction de juge, dirigé par un secrétaire. Le secrétaire est désigné par le gouvernement et agit sous l’autorité du sous-ministre de la Justice. Le secrétaire et les employés du secrétariat prêtent le serment de discrétion prévu à l’annexe B. |
6. Le secrétariat dépose sur le site Internet du ministère de la Justice un rapport annuel sur les travaux des comités de sélection. Ce rapport contient une analyse des nominations à la fonction de juge eu égard à la représentation des hommes et des femmes et à celle des communautés culturelles. Le secrétaire transmet une copie de ce rapport au ministre de la Justice. | 6. Le secrétariat dépose sur le site Internet du ministère de la Justice un rapport annuel sur les travaux des comités de sélection. Ce rapport contient une analyse des nominations à la fonction de juge eu égard à la représentation des hommes et des femmes et à celle des communautés culturelles. Dans ce rapport, le secrétariat présente également, pour chacun des districts ou chacune des cours, le cas échéant, les données relatives au nombre de juges qui ont une connaissance d’une langue autre que la langue officielle et au nombre d’audiences tenues en application de l’article Le secrétaire transmet une copie de ce rapport au ministre de la Justice. |
Sans objet | CHAPITRE II.1 PLANIFICATION DES POSTES À POURVOIR 6.1. Au moins une fois par année, le ministre invite le juge en chef de la Cour du Québec, les municipalités où est situé le chef-lieu d’une cour municipale où les juges exercent leurs fonctions à temps plein et de façon exclusive et le juge en chef adjoint de la Cour du Québec responsable des cours municipales à lui soumettre, à titre informatif, une planification des postes à pourvoir en tenant compte du nombre de juges en poste, des vacances prévisibles ainsi que des postes de juge par chambre, par lieu de résidence rattaché à un poste ou par cour, le cas échéant. En cas de vacances non planifiées, le ministre peut consulter le juge en chef de la Cour du Québec, la municipalité où est situé le chef-lieu de la cour municipale et le juge en chef adjoint de la Cour du Québec responsable des cours municipales pour obtenir leur avis concernant la chambre visée, le lieu de résidence rattaché au poste ou la cour visée, le cas échéant. |
7. Lorsqu’un juge doit être nommé et après avoir pris en considération les besoins exprimés par le juge en chef de la Cour du Québec ou, le cas échéant, ceux exprimés par la municipalité où est situé le chef-lieu de la cour municipale et par le juge en chef adjoint de la Cour du Québec responsable des cours municipales, le secrétaire ouvre, à la demande du ministre, un concours et fait publier dans le Journal du Barreau du Québec et sur le site Internet du ministère de la Justice un avis invitant les personnes intéressées à soumettre leur candidature. | 7. Lorsqu’un juge doit être nommé, le ministre demande au secrétaire d’ouvrir un concours et de faire publier sur le site Internet du ministère de la Justice et sur celui du Barreau du Québec un avis invitant les personnes intéressées à soumettre leur candidature. Le ministre indique au secrétaire les renseignements en lien avec les paragraphes 2, 3 et 5.1 de l’article 9. |
9 L’avis comprend les renseignements suivants: 1° les conditions légales d’admissibilité à la fonction de juge; 20 la cour et la chambre, le cas échéant, où il y a un poste à pourvoir; 3° le lieu où la résidence du juge sera fixée, le cas échéant; 4° l’obligation, pour une personne intéressée, de soumettre sa candidature au secrétariat à la sélection des candidats à la fonction de juge, au moyen du formulaire prévu à l’annexe A, et celle de fournir les documents exigés au soutien de cette candidature; 5° les critères de sélection prévus à l’article 25 servant à l’évaluation de la candidature de tout candidat rencontré par un comité de sélection; 6° l’adresse du secrétariat; 7° la date limite pour soumettre sa candidature. | 9 L’avis comprend les renseignements suivants: 1° les conditions légales d’admissibilité à la fonction de juge; 20 la cour et la chambre, le cas échéant, où il y a un poste à pourvoir; 3° le lieu où la résidence du juge sera fixée, le cas échéant; 4° l’obligation, pour une personne intéressée, de soumettre sa candidature au secrétariat à la sélection des candidats à la fonction de juge, au moyen du formulaire prévu à l’annexe A, et celle de fournir les documents exigés au soutien de cette candidature; 5° les critères de sélection prévus à l’article 25 servant à l’évaluation de la candidature de tout candidat rencontré par un comité de sélection; 5.1° le critère exigé par le ministre de la Justice en vertu de l’article 6° l’adresse du secrétariat; 7° la date limite pour soumettre sa candidature. |
Sans objet | 9.1 L’avis ne peut prévoir l’exigence que les candidats à la fonction de juge aient la connaissance ou un niveau de connaissance spécifique d’une langue autre que la langue officielle pour le poste, sauf si le ministre, après consultation du ministre de la Langue française, estime que, d’une part, l’exercice de cette fonction nécessite une telle connaissance et que, d’autre part, tous les moyens raisonnables ont été pris pour éviter d’imposer une telle connaissance. |
25. Pour évaluer la candidature d’un candidat, le comité tient compte des critères suivants: 1° les compétences du candidat, comprenant: a) ses qualités personnelles et intellectuelles, son intégrité, ses connaissances et son expérience générale; b) le degré de ses connaissances juridiques et son expérience dans les domaines du droit dans lesquels il serait appelé à exercer ses fonctions; c) sa capacité de jugement, sa perspicacité, sa pondération, sa capacité d’établir des priorités et de rendre une décision dans un délai raisonnable ainsi que la qualité de son expression; 2° la conception que le candidat se fait de la fonction de juge; 3° la motivation du candidat pour exercer cette fonction; 4° les expériences humaines, professionnelles, sociales et communautaires du candidat; 5° le degré de conscience du candidat à l’égard des réalités sociales; 6° la reconnaissance par la communauté juridique des qualités et des compétences du candidat. | 25. Pour évaluer la candidature d’un candidat, le comité tient compte des critères suivants: 1° les compétences du candidat, comprenant: a) ses qualités personnelles et intellectuelles, son intégrité, ses connaissances, qui ne peuvent comprendre sa connaissance d’une langue autre que la langue officielle, sauf si cette exigence est prévue dans l’avis, et son expérience générale; b) le degré de ses connaissances juridiques et son expérience dans les domaines du droit dans lesquels il serait appelé à exercer ses fonctions; c) sa capacité de jugement, sa perspicacité, sa pondération, sa capacité d’établir des priorités et de rendre une décision dans un délai raisonnable ainsi que la qualité de son expression dans la langue de la justice au Québec, le français; 2° la conception que le candidat se fait de la fonction de juge; 3° la motivation du candidat pour exercer cette fonction; 4° les expériences humaines, professionnelles, sociales et communautaires du candidat; 5° le degré de conscience du candidat à l’égard des réalités sociales; 6° la reconnaissance par la communauté juridique des qualités et des compétences du candidat. |
[36] La Cour du Québec comprend dix régions de coordination, dont la Montérégie.
[37] La Montérégie contient cinq palais de justice : Longueuil, Beauharnois (Valleyfield), Saint-Hyacinthe, Richelieu (Sorel-Tracy) et Iberville (Saint-Jean). Ses activités sont réparties en trois chambres : civile, jeunesse et criminelle et pénale.
[38] Bien que la Cour du Québec et chaque juge qui la compose aient compétence sur tout le territoire du Québec, l’avis de sélection prévoit que les candidats sont sélectionnés et nommés à la fonction de juge pour un lieu de résidence et une région de coordination. Leur acte de nomination fait également spécifiquement mention du lieu de résidence conformément à l’article
[39] L’Avis 175 indique que le poste sera avec résidence à Longueuil, mais que la personne désignée siègera dans les cinq palais de la région, situés à des dizaines de kilomètres l’un de l’autre[31], soit ceux de Longueuil, de Salaberry-de-Valleyfield, de Saint-Jean-sur-Richelieu, de Saint-Hyacinthe et de Sorel.
[40] La coordination de la Montérégie est assumée depuis octobre 2020 par la juge Mélanie Roy. Le 20 décembre 2022, elle signe une déclaration sous serment fournissant des renseignements importants sur sa région de coordination.
[41] Le Pourvoi fait état des statistiques rapportés dans le jugement Immer quant à l’utilisation de l’anglais dans ce district[32]. Notons que le soussigné a formulé certaines réserves quant à ces statistiques dans le Jugement Immer sans pour autant les écarter complètement[33]. Ainsi, lors d’un exercice de collecte d’information mené du 1er février 2021 au 14 mars 2021 auprès des juges de la Cour du Québec[34], il est ressorti que pour la Montérégie, le taux d’utilisation de l’anglais s’élève à 53 % à Longueuil, 17 % à Saint-Hyacinthe, 23 % à Saint-Jean-sur-Richelieu, 66 % à Salaberry-de- Valleyfield et 14 % à Sorel-Tracy[35]. Pour la Chambre de la jeunesse en Montérégie, sur 154 questionnaires soumis par des juges en réponse à l’appel de la Juge en chef, dans 41% des cas, l’anglais avait été employé[36].
[42] Pour établir le contexte relatif à ce thème, le Tribunal traitera (3.1) des effectifs et des juridictions, (3.2) de la juridiction « 03 », des droits linguistiques spécifiquement prévus à l’article
[43] Sans les ajouts de juges recherchées par la Juge en chef, les effectifs de la Chambre de la jeunesse en Montérégie comptent présentement 11 juges, dont 5 qui résident à Longueuil, 1 à Saint-Hyacinthe, 1 à Saint-Jean-sur-Richelieu, 3 à Salaberry-de-Valleyfield et 1 à Sorel Tracy[37]. Bien que 5 juges aient leur résidence à Longueuil, ils sont appelés à siéger, dans une proportion de 25%, en renfort à Saint-Jean-sur-Richelieu, Saint-Hyacinthe et Sorel-Tracy. Ils sont aussi appelés, mais dans une moindre mesure, à siéger à Salaberry-de-Valleyfield[38].
[44] L’article
a) pour exercer les attributions du tribunal pour adolescents conformément à la Loi sur les jeunes contrevenants [la LTJ n’a pas été modifié pour prévoir la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents[39] qui vient remplacer Loi sur les jeunes contrevenants];
b) en matière de protection de la jeunesse conformément à la Loi sur la protection de la jeunesse (chapitre c. P-34.1);
c) à l’égard des poursuites prises en vertu du C.p.p. lorsque le défendeur est âgé de 14 ans ou plus et de moins de 18 ans au moment de l’infraction alléguée;
d) à l’égard de l’adoption
[45] Dans son jugement Dans l'affaire: Renvoi à la Cour d'appel du Québec portant sur la validité constitutionnelle des dispositions de l'article
[46] 20% de la charge de travail du poste à pourvoir[41] se rapportera à des matières où l’article
[47] Comme le soussigné l’a expliqué dans le Jugement Immer[42], la Cour d’appel, dans Dinghra[43], a exposé les tenants et aboutissants des droits linguistiques énoncés à cet article. Dans la version officielle anglaise de ce jugement, la Cour d’appel explique que les droits énoncés à l’article
[48] Il convient d’ajouter que la ou le juge nommé à la Chambre de la jeunesse aura à traiter avec des justiciables qui sont parmi les plus vulnérables se présentant devant la Cour du Québec : des adolescents pris dans les mailles du système de justice. Comme le soussigné l’a souligné dans le Jugement Immer, la LSJPA énonce les grands principes qui doivent être respectés dans le traitement des adolescents[44]. Il est spécifiquement énoncé au sous-paragraphe 3(b)iii) de la LSJPA que:
(b) le système de justice pénale pour les adolescents doit être distinct de celui pour les adultes, être fondé sur le principe de culpabilité morale moins élevée et mettre l’accent sur :
[…]
(iii) la prise de mesures procédurales supplémentaires pour leur assurer un traitement équitable et la protection de leurs droits, notamment en ce qui touche leur vie privée.
[49] La Loi sur la protection de la jeunesse[45] est adoptée en 1977[46], de façon contemporaine à la Charte québécoise des droits et libertés de la personne.
[50] Elle vient bonifier aux articles 3 à 11, les droits fondamentaux de tout Québécois et Québécoise, dans le cadre particulier des interventions auprès de l’enfant.
[51] En 2022, soit un mois avant la sanction de la Loi contenant les Dispositions attaquées, la Loi modifiant la sur la protection de la jeunesse et d’autres dispositions[47] reçoit la sanction, opérant une réforme de la LPJ.
[52] Un préambule est ajouté, et il contient, entre autres, les « considérants » suivants :
CONSIDÉRANT que le Québec s’est déclaré lié par la Convention relative aux droits de l’enfant par le décret n° 1676-1991 du 9 décembre 1991;
CONSIDÉRANT que l’intérêt de l’enfant est la considération primordiale dans toute décision prise à son sujet;
CONSIDÉRANT qu’en vertu de la Charte des droits et libertés de la personne et du Code civil du Québec, tout enfant a droit à la protection, à la sécurité et à l’attention que ses parents ou les personnes qui en tiennent lieu peuvent lui donner;
CONSIDÉRANT que la protection des enfants est une responsabilité collective et qu’elle exige la mobilisation et la collaboration de l’ensemble des ressources du milieu afin de limiter l’intervention d’autorité de l’État dans la vie des familles en application de la présente loi aux situations exceptionnelles;
[…]
CONSIDÉRANT que l’enfant et ses parents ont le droit de faire entendre leur voix et que leur participation aux décisions qui les concernent et la prise en compte de leur opinion ont pour effet de renforcer leur pouvoir d’agir;
[Soulignés du Tribunal]
[53] L’article 3 reprend l’énoncé contenu au préambule à l’effet que l’intérêt de l’enfant constitue la considération primordiale dans l’application de la LPJ. L’article
4.3. Toute intervention auprès d’un enfant et de ses parents en vertu de la présente loi doit privilégier, lorsque les circonstances sont appropriées, les moyens qui permettent à l’enfant et à ses parents de participer activement à la prise de décision et au choix des mesures qui les concernent.
[Soulignés du Tribunal]
[54] Déjà lors de la mise en vigueur de cet article en 1979, l’article
6.1 Les informations et les explications qui doivent être données à l’enfant dans le cadre de l’application de la LPJ doivent l’être en des termes adaptés à son âge et à sa compréhension. Le juge doit également s’assurer que les parents ont compris les informations et les explications qui leur sont données et notamment permettre à l’enfant et à ses parents de faire entendre leurs points de vue et d’exprimer leurs préoccupations.
[55] Le soussigné présente, dans le Jugement Immer, le contexte particulièrement difficile dans lequel se déroule les dossiers en protection de la jeunesse. Le Tribunal juge utile de reproduire l’extrait suivant :
[162] (…) À cet égard, sans nullement avoir la prétention d’en faire un résumé exhaustif, rappelons brièvement certaines des tristes circonstances dans lesquelles les dossiers communément appelées « mesures urgentes » peuvent se présenter. Lorsqu’un signalement est fait au Directeur de la protection de la jeunesse (« Directeur »), il doit déterminer si la sécurité ou le développement de l’enfant est compromis. Ils sont compromis si l’enfant se retrouve dans une situation d’abandon, de négligence, de mauvais traitements psychologiques, d’abus sexuels ou d’abus physiques ou lorsqu’il présente des troubles de comportement sérieux. Si le Directeur retient le signalement, il peut prendre des mesures de protection immédiate pour 48 heures. Au-delà de ce délai, à moins que les parents n’y consentent, le Directeur doit demander l’autorisation d’un juge de la Cour du Québec pour prolonger la durée des mesures de protection.
[56] Le soussigné rappelait les propos de la juge L’Heureux-Dubé dans Office des services à l’enfant et à la famille de Winnipeg[48], à l’effet que la forme d’intervention la plus perturbatrice est l’ordonnance du tribunal conférant la tutelle temporaire ou permanente puisqu’elle porte atteinte à l’intégrité psychologique du parent, qu’elle stigmatise le parent et qu’elle peut causer une grande détresse à l’enfant. Les salles à volume de la Chambre de la jeunesse à Longueuil.
[57] Au palais de justice de Longueuil, il y a quotidiennement en moyenne entre 2 et 4 salles où des audiences devant la Chambre de la jeunesse de la Cour du Québec sont tenues au terme de demandes présentées d’urgence ou sur le fond, tout autant en matière criminelle et pénale en vertu de la LSJPA, en matière de protection de la jeunesse en vertu de la LPJ ou en matière d’adoption[49]. Une salle est affectée aux urgences[50]. Les demandes présentées d’urgence totalisent fréquemment près de 15 demandes par jour[51].
[58] Le district judiciaire de Longueuil sert les Mohawks résidant à Kahnawake, alors que le district judiciaire de Beauharnois sert les Mohawks résidant à Akwesasne. Ainsi, la Chambre de jeunesse, que ce soit au Palais de justice de Longueuil ou à celui de Beauharnois, est appelée à intervenir auprès de parents, d’enfants et d’intervenants membres de cette Première Nation.
[59] Toujours dans sa réforme de la LPJ en 2022, les considérants suivants ont été ajoutés à la LPJ:
CONSIDÉRANT que les autochtones sont les mieux placés pour répondre aux besoins de leurs enfants de la manière la plus appropriée;
CONSIDÉRANT que la sécurité culturelle est essentielle au mieux-être des enfants autochtones;
CONSIDÉRANT que l’intervention auprès d’un enfant autochtone doit être réalisée en tenant compte des circonstances et des caractéristiques de sa communauté ou d’un autre milieu dans lequel il vit de manière à respecter son droit à l’égalité et à favoriser la continuité culturelle;
[Soulignés du Tribunal]
[60] Bien que la Loi modifiant la Loi sur la protection de la jeunesse et d’autres dispositions législatives soit sanctionnée, le nouveau chapitre qui regroupe les dispositions applicables aux autochtones et qui prévoit de nouvelles dispositions visant à tenir compte des facteurs historiques, sociaux et culturels qui leur sont propres n’est pas en vigueur. Les notes explicatives afférentes à cette loi résument ainsi ces dispositions :
La loi introduit un chapitre qui regroupe les dispositions applicables aux autochtones et prévoit de nouvelles dispositions visant à tenir compte des facteurs historiques, sociaux et culturels qui leur sont propres. Notamment, elle prévoit que toute décision prise en vertu de la Loi sur la protection de la jeunesse doit favoriser la continuité culturelle des enfants autochtones. Elle détermine également des facteurs additionnels qui doivent être pris en considération dans la détermination de l’intérêt de ces enfants, dont la culture de leur communauté ainsi que leurs liens avec leur famille élargie et les personnes de leur communauté. Elle prévoit des règles particulières applicables à la durée des ententes consécutives sur des mesures volontaires et à l’intervention judiciaire qui concernent des enfants autochtones. La loi prévoit aussi la possibilité, dans certains cas, de former un conseil de famille conformément à la coutume ou à la pratique autochtone ainsi que la possibilité pour une communauté autochtone ou un regroupement de communautés d’administrer l’aide financière pour favoriser la tutelle, la tutelle coutumière, l’adoption et l’adoption coutumière.
[Soulignés du Tribunal]
[61] La juge Roy explique la réalité linguistique des Mohawks. Ainsi, la quasi-totalité des Mohawks s’expriment en anglais, tout comme leurs avocats. Elle explique que bâtir un lien de confiance « nécessite inéluctablement » qu’ils aient accès à une justice de qualité dans la langue officielle du Canada de leur choix[52]. Elle ajoute que la Cour du Québec tente de mettre en place des initiatives telles celles de tenir des conférences à l’amiable dans la communauté[53].
[62] Les déclarations sous serment du PGQ sont silencieuses quant à cette réalité autochtone. Cela étant dit, le profil de la Première Nation mohawk que le gouvernement provincial affiche sur son site web confirme autant la prévalence de l’anglais que les efforts faits au niveau de l’administration de la justice [54]:
La nation mohawk compte plus de 16 200 membres. Environ 2 700 Mohawks vivent hors réserve, alors que 13 500 se répartissent entre trois communautés : Kahnawake (7 923), Akwesasne (5 600, dans la partie québécoise de la réserve) et Kanesatake (1 388). La langue d’usage des Mohawks est l’anglais; certains parlent leur langue maternelle, et quelques-uns s’expriment en français.
Établis à proximité de Montréal, les Mohawks de Kahnawake ont pris en charge, il y a plusieurs années, la plupart des secteurs de leur activité communautaire. Ayant conclu, en 1984, une entente avec le Québec, ils ont maintenant la pleine responsabilité de la construction et du fonctionnement d’un hôpital : le Centre Kateri. La communauté possède aussi son propre corps policier. Les écoles de la communauté, dont la Kahnawake Survival School, offrent un enseignement qui intègre divers aspects de la culture mohawk. La réserve d’Akwesasne recoupe les territoires de l’État de New York, du Québec et de l’Ontario. Les gouvernements du Québec, de l’Ontario et du Canada contribuent à doter la communauté mohawk canadienne d’infrastructures de base en matière de santé, de services sociaux, de loisirs, d’éducation, de formation et d’administration de la justice. […]
[Soulignés du Tribunal]
[63] Le 26 avril 2022, la LTJ est modifiée pour porter le nombre de juge de 308 à 319[55].
[64] Le 30 mai 2022, la juge en chef Rondeau écrit à la Secrétaire :
Comme vous le savez, l’article
Par la présente, je souhaite donc vous exprimer les besoins de la Cour du Québec, conformément à l’article 7 du Règlement sur la procédure de sélection des candidats à la fonction de juge de la Cour du Québec, de juge d’une cour municipale et de juge de paix magistrat (ci-après Règlement), dans la perspective de l'ouverture de concours et la publication d'un avis afin de pourvoir neuf de ces postes de juge de la Cour du Québec ainsi que le poste vacant de juge de paix magistrat.
[Soulignés du Tribunal]
[65] Pour les postes de juges à la Cour du Québec, elle demande leur affichage pour les régions de coordination suivantes:
65.1. Montérégie : trois postes de juge à la Chambre de la jeunesse et un poste de juge à la Chambre criminelle et pénale avec résidence à Longueuil ou dans le voisinage immédiat ainsi qu’un poste de juge à la Chambre criminelle et pénale avec résidence à Saint-Hyacinthe ou dans le voisinage immédiat. Pour tous ces postes, les personnes seront appelées à siéger dans les districts judiciaires de Beauharnois, Iberville, Longueuil, Richelieu et Saint-Hyacinthe.
65.2. Québec-Chaudière-Appalaches : Un poste de juge à la Chambre de la jeunesse avec résidence à Québec ou dans le voisinage immédiat.
65.3. Mauricie-Bois-Francs-Centre-du-Québec : Un poste de juge qui siégera principalement à la Chambre de la jeunesse et, subsidiairement, à la Chambre criminelle et pénale, avec résidence à Shawinigan ou dans le voisinage immédiat.
65.4. Abitibi-Témiscamingue-Eeyou-Istchee-Nunavik : Un poste de juge qui siégera à la Chambre criminelle et pénale, à la Chambre de la jeunesse et à la Chambre civile avec résidence à Val-d’Or ou dans le voisinage immédiat. Cette personne sera appelée, entre autres, à siéger dans les points de service de la cour itinérante et donc auprès une population comprenant des membres des Premières Nations ou des Inuits et Inuites.
65.5. Bas-Saint-Laurent-Gaspésie-Côte-Nord-Îles-de-la-Madeleine : Un poste de juge qui siégera principalement à la Chambre de la jeunesse et, subsidiairement, à la Chambre criminelle et pénale, avec résidence à Sept-Îles ou dans le voisinage immédiat. Cette personne sera appelée à siéger, entre autres, dans les points de service de la cour itinérante et donc auprès d’une population comprenant des membres des Premières Nations.
[66] L’état du dossier est extrêmement insatisfaisant quant à ce qui intervient ensuite du 30 mai au 8 août 2022, date de l’affichage de l’Avis 175. Le Ministre et la Secrétaire n’ont pas souscrit à une déclaration sous serment. La chronologie comporte des trous béants. Seules certaines démarches sont expliquées par le PGQ par la voie de deux déclarations sous serment qui seront discutées plus amplement ci-dessous. Le Tribunal ne saisit pas pour autant la chaîne complète des événements. Voici ce que le Tribunal retient.
[67] Lorsque la Juge en chef communique ses besoins à la Secrétaire, cette dernière la transmet nécessairement au Ministre. Au terme d’un processus décisionnel qui n’est pas expliqué, il est décidé qu’une analyse sera faite pour juger des besoins linguistiques pour les 6 postes sur 9 postes identifiés par la Juge en chef qui requièrent selon elle la maîtrise de l’anglais. Il n’est pas précisé qui en fait la demande, mais les ressources de deux département du ministère sont mises à profit. M. Lacroix-Dufour, directeur de la Direction de la performance et de l’intelligence d’affaires au sein du Ministère de la Justice[56], confirme que c’est la demande de la Juge en chef qui anime la participation de son département:
4. En mai 2022, la Cour du Québec a transmis une correspondance concernant l’ouverture de concours et la publication d’un avis afin de pourvoir neuf (9) postes de juges de la Cour du Québec (pièce P-14).
5. La Cour du Québec a demandé que l’exigence portant sur la maîtrise de la langue anglaise soit incluse dans l’avis de sélection des six (6) postes de juge dont le lieu de résidence est fixé à Longueuil, Val-d’Or et Sept-Îles.
6. À la suite de cette demande, j’ai participé à une démarche d’analyse entreprise par le MJQ afin d’estimer le nombre de dossiers judiciaires fermés en 2021 pour lesquels au moins une audience s’est tenue en anglais, conformément au choix de l’accusé en vertu de l’article
[68] M. Gaëtan Rancourt, directeur de la direction générale de la qualité des services, confirme lui aussi que son analyse découle de la demande de la Juge en chef:
4. En mai 2022, la Cour du Québec a transmis une correspondance concernant l’ouverture de concours et la publication d’un avis afin de pourvoir neuf (9) postes de juges de la Cour du Québec (pièce P-14).
5. La Cour du Québec a demandé que l’exigence portant sur la maîtrise de la langue anglaise soit incluse dans l’avis de sélection des six (6) postes de juge dont le lieu de résidence est fixé à Longueuil, Val d’Or et Sept-Îles.
6. À la suite à cette demande, j’ai supervisé la démarche d’analyse entreprise par le MJQ afin d’estimer le nombre de dossiers judiciaires fermés en 2021 dont au moins une audience s’est tenue en anglais, conformément au choix de l’accusé en vertu de l’article
[69] Au niveau de la démarche effectuée, il faut comprendre que la DPIA identifie d’abord une liste de dossiers qui servira d’échantillon de dossiers pour établir les besoins linguistiques et ce, en effectuant les tâches suivantes :
69.1. Emploi d’une « formule statistique permettant de définir la taille de l’échantillon requis afin d’estimer la proportion de causes fermées en 2021 pour lesquelles au moins une audience s’est déroulée en anglais, avec un degré de précision de 5 points de pourcentage, et un intervalle de confiance de 95 % ».
69.2. Une fois la taille de l’échantillon déterminée, constitution « pour chacun des greffes concernés et pour les juridictions 01 (poursuite criminelle) et 03 (pénal pour adolescents), la liste des dossiers judiciaires à analyser ».
69.3. Sélection « de manière aléatoire les dossiers faisant partie de chacune des listes, et ce, à partir d’un programme informatique ».
[70] La DPIA s’intéresse à six greffes, soit ceux de Val-d’Or, Baie James et circuit intérieur, Baie d’Ungava, Baie d’Hudson, Longueuil et Sept-Îles. Ces greffes correspondent « au lieu de résidence pour lequel une exigence de la maîtrise de la langue anglaise a été demandée par la Cour du Québec, ainsi que pour les greffes et la Cour itinérante d’Abitibi et de Mingan ».
[71] Une fois l’échantillon et la liste de dossiers confectionnés par la DPIA, c’est l’équipe de M. Rancourt qui prend le relais et qui effectue une écoute des audiences pour déterminer la langue de l’accusé et du juge. M. Rancourt explique comment la réécoute s’effectue :
8. Cet exercice de réécoute a été réalisé pour chacun des greffes des palais de justice correspondant au lieu de résidence pour lequel une exigence de la maîtrise de la langue anglaise a été demandée par la Cour du Québec, ainsi que pour les greffes et la Cour itinérante d’Abitibi et de Mingan.
9. Pour estimer la proportion de causes fermées en 2021, dont au moins une audience s’est déroulée en anglais, une liste de dossiers judiciaires dans les juridictions 01 (poursuite criminelle) et 03 (pénal pour adolescents) a été confectionnée par la Direction de la performance et de l’intelligence d’affaire (« DPIA ») pour chacun des greffes concernés.
10. Une formule statistique élaborée par la DPIA a permis de définir la taille de l’échantillon requis de chacune des listes pour estimer la proportion recherchée avec un degré de précision de 5 points de pourcentage, soit un intervalle de confiance de 95 %.
11. Les dossiers faisant partie de chacune des listes ont par la suite été sélectionnés de manière aléatoire par la DPIA, et ce, à l’aide d’un programme informatique.
12. C’est à partir de ces listes que l’exercice de réécoute de l’enregistrement des audiences a été réalisé par la DGQSSAT.
13. Une équipe de la DGQSSAT a d’abord procédé à l’analyse du plumitif des dossiers pour identifier la date des audiences sélectionnées aux fins de la démarche d’analyse, à savoir les enquêtes préliminaires, les audiences ayant eu un plaidoyer de culpabilité et celles portant sur la détermination de la culpabilité d’un accusé.
14. Par la suite, l’équipe de la DGQSSAT a procédé à l’écoute sommaire de l’enregistrement de chaque audience sélectionnée afin d’identifier la langue utilisée par l’accusé et le juge.
15. Lorsqu’il n’était pas possible d’obtenir l’enregistrement d’une audience, notamment pour des motifs de confidentialité, un nouveau dossier judiciaire a été sélectionné aléatoirement pour le remplacer.
[72] L’équipe de M. Rancourt tire les conclusions suivantes :
72.2. À Sept-Îles, pour un poste en chambre de la jeunesse, l’exercice de M. Rancourt montre que dans 4% des audiences dossiers écoutées, l’accusé parle l’anglais et dans 3% des cas, le juge parle l’anglais.
[73] M. Rancourt explique qu’il n’a pas pu faire l’analyse des dossiers 03 en chambre de jeunesse, « puisque la Loi sur le système de justice pénale pour adolescents (« LSJPA ») et la Directive A-4 ne permettent pas d’accéder aux enregistrements des audiences pour des fins autres que la tenue de dossiers »[57]. Au même effet, dans la note de bas de page no. 2 de l’Annexe 1 au soutien de la déclaration sous serment de M. Lacroix-Dufour, il est expliqué:
2. De multiples contraintes légales ont empêché la réalisation de l’exercice de réécoute pour la juridiction 03 (pénal pour adolescents). En effet, les règles relatives à la confidentialité des dossiers et l’accès limité à ceux-ci, en vertu de la Loi sur le système de justice pénal pour adolescents et de la Directive A-4, ne permettent pas d’accéder aux enregistrements d’audiences pour autres fins que la tenue de dossier.
[74] Ainsi, le dossier retourne à la DPIA, on ne sait pas à la demande de qui. L’équipe de la DPIA consulte alors des sources secondaires, soit : des données sur la proportion des mandats d’aide juridique en anglais de la Commission des services juridiques (« CSJ ») pour les juridictions 01 et 03 ainsi que les données sur le nombre de dossiers ouverts pour le Centre intégré de santé et de services sociaux de la Montérégie-Est (« CISSS ») durant l’année 2021 dont la langue de communication indiquée par l’adolescent est l’anglais. L’équipe de M. Lacroix-Dufour note :
74.1. Les dossiers de la CSJ montrent que pour Longueuil, les proportions sont de 4,4% pour la juridiction 01 3,3% pour la juridiction 03. Pour Sept-Îles, ces proportions sont pour la juridiction 01, 2,9% et pour la juridiction 03, 2,2%.
74.2. Pour les CISSS, la « proportion de dossiers ouverts en anglais dans le système PIJ pour la juridiction 03 (pénal pour adolescent) est de […] 2,7% pour Longueuil et 4,3% pour Sept-Îles »[58].
[75] M. Lacroix-Dufour en arrive aux conclusions suivantes :
19. Lorsque mises en relation, les données transmises par la CSJ pour la juridiction 01 (tableau 1) tendent à confirmer les données obtenues par le MJQ dans le cadre de la démarche de réécoute des audiences pour cette juridiction1. En effet, ces données présentent des proportions similaires concernant l’usage de l’anglais, notamment pour le greffe de Longueuil (4,4% pour les mandats de la CSJ en anglais et 4% pour les audiences où la langue employée par l’accusé est l’anglais).
20. Pour la juridiction 03, bien que la réalisation de l’exercice de réécoute n’ait pu être réalisé, la mise en relation des données transmises par la CSJ et le CISSS (tableaux 1 et 2) avec les résultats obtenus dans le cadre de la démarche de réécoute des audiences de la juridiction 01, permettent également de constater des proportions similaires.
[76] On remarquera qu’aucun jalon temps n’est fourni. On ignore à qui cette information a été transmise. Tout ce que l’on sait c’est que, vraisemblablement au terme de cet exercice, la Secrétaire affiche, sans autre interaction avec la Juge en chef, l’avis de sélection suivant pour trois postes au lieu de neuf :
CQ-2022-175 : Un poste pour lequel la personne siégera à la Chambre de la jeunesse avec résidence à Longueuil ou dans le voisinage immédiat. La personne sera appelée à siéger dans les districts judiciaires de Beauharnois, Iberville, Longueuil, Richelieu et Saint-Hyacinthe.
CQ-2022-176 : Un poste pour lequel la personne siégera à la Chambre criminelle et pénale avec résidence à Longueuil ou dans le voisinage immédiat. La personne sera appelée à siéger dans les districts judiciaires de Beauharnois, Iberville, Longueuil, Richelieu et Saint-Hyacinthe. La personne devra aussi présider les séances de comparution, les samedi, dimanche et jours fériés, des personnes détenues. La personne doit avoir la connaissance de la langue anglaise.
CQ-2022-177 : Un poste pour lequel la personne siégera principalement à la Chambre de la jeunesse et, subsidiairement, à la Chambre criminelle et pénale avec résidence Sept-Îles ou dans le voisinage immédiat. La personne sera appelée à siéger dans les districts judiciaires de Baie-Comeau, Bonaventure, Gaspé, Kamouraska, Mingan et Rimouski ainsi que dans les points de service de la cour itinérante. La personne doit avoir la connaissance de la langue anglaise.
[77] Un nombre de questions importantes demeurent sans réponse à la lecture de cet Avis-175.
77.1. Qui a fait ce choix? Le Ministre?
77.2. Applique-t-il le nouveau régime de la CLF, de la LTJ et du Règlement?
77.3. Si oui, il en est nécessairement venu à la conclusion qu’il était nécessaire de nommer un juge ayant une connaissance de l’anglais pour le poste de la Chambre criminelle et pénale avec résidence à Longueuil et pour lesquels la personne sera appelée à siéger dans les districts judiciaires de Beauharnois, Iberville, Longueuil, Richelieu et Saint-Hyacinthe. Ainsi, il s’est nécessairement attardé à la deuxième étape de l’analyse mandatée par les Dispositions attaquées, soit la question des moyens raisonnables. Or, quels moyens a-t-il pris en considération pour éviter d’imposer cette exigence? Pourquoi a-t-il conclu qu’il n’était pas raisonnable de les mettre en place?
77.4. Les statistiques recueillies par l’écoute (juridiction 01) et par les données du CJS et du CISSS (juridiction 03) mènent à des résultats très similaires pour le district de Longueuil: près de 4% des usagers utilisent l’anglais. Vu la décision prise pour la Chambre criminelle et pénale, le Ministre a-t-il jugé que l’exigence de la connaissance de l’anglais n’était pas nécessaire en Chambre de la Jeunesse? Si la connaissance de l’anglais était nécessaire, quels moyens raisonnables a-t-il jugé peuvent être mis en place par la Cour du Québec pour éviter que cette exigence soit imposée?
77.5. Pourquoi afficher un seul poste à la Chambre de la jeunesse en Montérégie, alors que trois postes étaient demandés? Le Ministre a-t-il l’intention dans un proche avenir de demander à la Secrétaire d’ouvrir un concours pour la nomination de deux autres juges? L’affichage de ce seul poste vise-t-il à remplacer la juge Gendron qui prend sa retraite en novembre 2022 ou sert-il à remplir la fonction d’une ou d’un juge additionnel?
[78] L’absence de réponses à toutes ces questions au son importance lorsque viendra le temps d’étudier le critère de la question sérieuse.
[79] Pour donner un portrait sur l’offre de services en matière d’interprètes anglais-français, le PGQ dépose la déclaration sous serment de Bernard Foisy, directeur pour le soutien à l’audience en matière criminelle et pénale du Centre judiciaire Gouin au sein de la Direction générale des services de justice de la Métropole du ministère de la Justice pour attester des services liés aux interprètes[59]. S’ajoute aussi à ses fonctions celle d’être le responsable du Bureau des interprètes pour l’ensemble de la province[60].
[80] Le Bureau veille au recrutement, à la qualification et à l’assignation des interprètes judiciaires, notamment en matière criminelle et pénale fédérale ou provinciale et en matière de la jeunesse (sauf l’adoption). M. Foisy explique que dans ces matières, la partie ou le témoin a droit à des services d’interprétation judiciaire lorsqu’il ne comprend pas la langue employée à l’audience. Les frais occasionnés par ces services sont à la charge du MJQ.
[81] 45 interprètes sont sous contrat avec le ministère de la Justice pour offrir des services d’interprétation anglais-français. Un processus de recrutement est présentement en cours pour embaucher 15 interprètes additionnels (anglais-français) afin « de compléter l’offre de services ». En date du 12 décembre 2022, un seul interprète additionnel a été embauché à Montréal et un autre doit entrer en poste le 19 décembre 2022[61].
[82] Les demandes d’interprètes sont formulées par le greffe ou la magistrature directement. Pour la région de la Montérégie, toutes les demandes d’interprètes sont traitées par le Bureau provincial des interprètes situé au palais de justice de Montréal.
[83] Le Bureau assigne systématiquement des interprètes au Palais de justice de Montréal en Chambre criminelle et pénale ainsi qu’à la Chambre de la jeunesse de la Cour du Québec[62]. L’assignation systématique d’un interprète anglais-français peut être étendue à d’autres districts ou à d’autres chambres de la Cour du Québec, et ce, selon les besoins identifiés[63]. Il n’y a présentement aucune assignation systématique d’interprètes anglais-français pour les cinq districts de la Montérégie, ce qui inclut Longueuil[64].
[84] Un interprète peut également être assigné de manière spécifique à un juge, selon les besoins exprimés. Aucun interprète n’a été assigné à un juge siégeant dans les districts de la Montérégie[65].
[85] Des statistiques plus précises ont été fournies quant à des demandes faites au Bureau pour des interprètes pour la Montérégie. Les données n’ont pas été recueillies de façon uniforme à travers les greffes. Voici ce que l’on peut retenir pour chacun des districts[66].
85.1. Richelieu : 27 demandes ont été faites pour la période allant du mois d’octobre 2017 au 8 novembre 2022. 9 de ces demandes étaient pour des dossiers relevant de matières en protection de la jeunesse (jur. 41).
85.2. St-Hyacinthe : 63 demandes ont été faites pour la période allant du mois de décembre 2021 au 7 novembre 2022. Parmi celles-ci, une était pour un dossier relevant de matières en protection de la jeunesse (jur. 41).
85.3. Beauharnois : 198 demandes ont été faites pour la période allant du 7 avril 2021 au 7 novembre 2022. Parmi celles-ci, 15 étaient pour des dossiers relevant de matières en protection de la jeunesse (jur. 41) et 5 pour des matières relevant de la LSJPA (jur. 03).
85.4. Iberville : Aucune donnée n’est disponible.
85.5. Longueuil : 196 demandes ont été faites pour la période allant de janvier 2021 au 15 novembre 2022. Pour ce district, il n’était pas possible de savoir de quel type de dossier il s’agit puisque l’équipe locale ne conserve pas de copie des demandes d’interprètes.
[86] Finalement, quant aux demandes urgentes, M. Foisy explique :
17. Le Bureau des interprètes assigne régulièrement des interprètes anglais-français pour répondre aux demandes d’assignations urgentes ou à celles formulées à la dernière minute par les greffes judiciaires ou la magistrature.
18. Les demandes de cette nature qui portent sur l’interprétation anglais-français sont traitées sans délai et un interprète est généralement assigné dans la même journée, en fonction des besoins exprimés.
19. En cas d’urgence, le Bureau des interprètes peut également, avec l’approbation du tribunal, fournir des services d’interprétation à distance.
[87] Dans le cadre de demandes d’engagements, le PGQ est venu préciser que le Bureau a reçu 4 demandes urgentes ou formulées à la dernière minute durant la période d’avril 2021 à novembre 2022 pour le district de Beauharnois[67].
[88] Cette mise en contexte étant complétée, il s’agit à présent de procéder à l’analyse des trois critères applicables en matière de sursis.
[89] Il y a lieu de faire (1.1) quelques commentaires sur le fardeau en matière de question sérieuse au stade du sursis avant de procéder (1.2) à l’analyse des questions sérieuses proposées par les demandeurs.
[90] Comme le Tribunal l’a noté dans l’aperçu de ce jugement, il se doit d’effectuer « une étude préliminaire du fond du litige pour établir l’existence d’une question sérieuse à juger ». Cette démarche s’applique tout autant en matière de litiges constitutionnels[68]. Le critère de la question sérieuse est « généralement peu exigeant. Il suffit que la demande ne soit ni frivole ni vexatoire »[69]. Un « long examen du bien-fondé de la demande n’est souvent ni nécessaire ni souhaitable »[70].
[91] Comme le Tribunal l’a déjà expliqué dans l’aperçu, la contestation de la validité de l’Avis 175 comporte deux volets. Examinons chacun de ces volets.
[92] Les arguments des demandeurs soulevés peuvent être résumés ainsi :
92.1. Le principe fondamental en matière d’interprétation des lois est la non-rétroactivité.
92.2. La Loi ne contient aucune disposition transitoire concernant les dispositions attaquées. Ainsi, elles sont entrées en vigueur le 1er juin 2022.
92.3. La formulation des besoins de la Juge en chef, « étape au cœur de l’ancienne version »[71], a été complétée le 30 mai 2022. Ces besoins touchaient 3 postes pour la Chambre de la jeunesse avec résidence à Longueuil, dont un visant à remplacer la juge Francine Gendron qui devait prendre sa retraite en novembre 2022 et deux nouveaux postes.[72]
92.4. Ainsi, vu que les besoins ont été formulés avant la mise en vigueur de la modification de l’article 7 du Règlement, c’est l’ancienne version qui trouve application.
92.5. « Au surplus et en tout état de cause »[73], l’abrogation d’une loi ou d’un règlement n’affecte pas les droits acquis qui sont déjà cristallisés selon la Cour suprême dans Dikranian[74].
92.6. Il y a telle cristallisation des droits en l’instance, car le Ministre était automatiquement et « arithmétiquement » appelé à lancer un concours vu le départ à la retraite de la juge Gendron.
92.7. Rien n’indique que la Secrétaire a rempli son rôle selon le Règlement de tenir compte des besoins de la Juge en chef. Elle n’a pas répondu à la demande d’explications de la Juge en chef.
92.8. Vu les exigences en matière de connaissance de l’anglais, il aurait été en tout état de cause déraisonnable de les écarter.
[93] Il n’est pas clair si le PGQ conteste la présence d’une question sérieuse quant à cette première série d’arguments. Néanmoins, il est d’opinion que l’intensité de l’apparence de droit joue aussi au niveau de la prépondérance de l’inconvénient. Il y a donc lieu de résumer les éléments clés de son raisonnement :
93.1. Accorder le sursis aurait pour effet de sceller le sort de l’Avis 175 et ne maintiendrait pas le statu quo.
93.2. La question de l’application immédiate de la Loi et du Règlement ne doit pas faire l’objet d’une adjudication à l’étape du sursis, mais bien au fond.
93.3. Subsidiairement, le législateur a parlé par la Loi. Aucun doute ne plane sur la volonté du législateur d’encadrer le critère linguistique.
93.4. Le Tribunal ne peut se prononcer sur l’à-propos des politiques sous-jacentes à l’adoption des lois.
93.5. La Loi est d’application immédiate à partir de sa mise en vigueur le 1er juin 2022 et régit le processus de nomination, malgré la manifestation des besoins de la Juge en chef le 30 mai 2022. Une nouvelle loi s’applique aux « situations en cours » selon le raisonnement de la Cour suprême dans Dell et elle gouvernera le déroulement futur de cette situation[75].
93.6. Le lancement du concours ne débute que lorsque le Ministre le demande. L’expression des besoins par la Juge en chef ne constitue pas la seule condition d’ouverture. Au mieux, l’expression des besoins de la Juge en chef touchait à une « situation en cours », alors que le Règlement s’appliquait de façon immédiate. Dès le 1er juin 2022, il revenait au Ministre d’établir les besoins et de donner des instructions à cet égard à la Secrétaire.
[94] Malgré la qualité des arguments soulevés par le PGQ, le Tribunal juge néanmoins que les demandeurs établissent une question sérieuse sur ce premier volet.
[95] D’abord, rien n’indique dans la Loi que le Règlement doit avoir un effet rétroactif sur des avis de sélection. Comme l’explique la Cour suprême dans Dell, la rétroactivité demeure l’exception et dans la mesure où une loi est ambiguë et donne lieu à deux interprétations possibles, on favorisera une interprétation non rétroactive de la loi[76].
[96] Il est toutefois vrai, comme l’avance le PGQ, que cela ne règle pas la question. Il faut se demander si le nouveau régime à un effet immédiat sur « une situation en cours ». Or, cela est une question bien plus litigieuse. La ou le juge du fond devra déterminer si, du fait que la Juge en chef a transmis les besoins de la Cour du Québec pour le poste avant la mise en vigueur du Règlement, selon la terminologie imposée par la Cour suprême dans Dell, l’établissement du contenu de l’Avis 175 était une « situation en cours » ou si, au contraire, c’était une « situation entièrement survenue »[77].
[97] Le PGQ affirme que le lancement du concours ne « débute véritablement que lorsque le ministre le demande » en vertu de l’ancien Règlement.
[98] C’est ici que les trous béants au niveau de la preuve du PGQ prennent toute leur importance. Il n’est ni futile ni vexatoire à ce stade d’avancer que le Ministre a dans les faits demandé l’ouverture du concours. En effet, le Tribunal a expliqué dans la section 4 du Contexte, que les déclarations sous serment déposés par le PGQ ne précisent pas quand le Ministre a fait la demande à la Secrétaire d’ouvrir le concours. L’arithmétique commandait la nomination d’un juge et les besoins de la Juge en chef avaient été communiqués à la Secrétaire. Il est incontournable qu’une discussion est nécessairement intervenue entre le Ministre et la Secrétaire après la réception des besoins de la Juge en chef quant à l’opportunité d’ouvrir un concours. Il est aussi incontournable, de par les admissions de messieurs Rancourt et de M. Lacroix-Dufour, que c’est la demande de la Juge en chef du 30 mai qui a mené à leurs analyses de la question de la connaissance de l’anglais pour les six postes à pourvoir.
[99] En conséquence, le Tribunal ne peut affirmer qu’il est futile et vexatoire d’affirmer qu’au 1er juin la situation était « survenue ».
[100] Ainsi, si l’ancien art. 7 du Règlement était applicable, il ne serait ni frivole ni vexatoire d’avancer que l’Avis 175 est tout autant illégal et ultra vires et que l’analyse conduite par le soussigné dans le Jugement Immer pour les cinq avis qui étaient le sujet de ce jugement s’applique mutatis mutandis à l’Avis 175.
[101] Comme deuxième groupe d’arguments, les demandeurs arguent :
101.1. Tel qu’établi par la Cour suprême, l’indépendance judiciaire est un principe constitutionnel non écrit confirmé[78].
101.2. L’indépendance judiciaire comporte trois garanties dont celle de l’indépendance administrative des tribunaux.
101.3. Tel qu’énoncé par la Cour suprême dans Généreux[79] et Valente[80], l’indépendance administrative englobe les décisions administratives portant directement sur l’exercice des fonctions judiciaires, ce qui inclut la gestion des rôles, séances et assignations et le fonctionnement de la Cour.
101.4. L’indépendance administrative de la Cour s’attache à la dimension collective de l’indépendance judiciaire, quoique la Juge en Chef puisse l’exercer dans le cadre de ses fonctions conformément à l’article
101.5. Le texte même des modifications des dispositions de la LTJ, de la CLF et du Règlement qui déterminent dans quel contexte il peut être exigé par le Ministre qu’un candidat ait la connaissance de l’anglais sont nulles, invalides, inconstitutionnelles et inopérantes puisque:
- Les textes de loi prévoient que la consultation se fait avec le ministre de la Langue française, mais pas avec la Juge en chef.
- En limitant les données que le Ministre est tenu de consulter, c’est-à-dire, le nombre de juges et le nombre d’audiences tenues en application du droit des accusés prévus à l’article
- Même si le Ministre concluait à la nécessité d’exiger une connaissance de l’anglais, cette exigence ne pourrait être mise en œuvre que si le Ministre, en consultation avec le ministre la Langue française, considère que « tous les moyens raisonnables » ont été pris pour l’éviter. Cela impliquerait une une « mise en tutelle de la Cour par le Ministre qui surveillera la gestion de ses séances, rôles et assignations pour se déclarer satisfait ou non que tous les moyens raisonnables ont été pris pour éviter de devoir nommer un juge maîtrisant l’anglais »[82].
101.6. L’Avis 175 ayant été émis sous l’égide de ces dispositions nulles, invalides, inconstitutionnelles et inopérantes, il est en soi nul et invalide.
[102] Il n’est pas clair si le PGQ concède que la deuxième question soulève une question sérieuse[83]. Il conteste toutefois clairement le bien-fondé de la position des demandeurs pour les motifs suivants :
102.1. Les demandeurs n’exigent pas le sursis de l’application de la Loi elle-même, mais bien d’un geste spécifiquement posé en vertu de celle-ci. L’on doit donc présumer de la validité des actes et décisions du décideur administratif[84].
102.2. Le pouvoir de nommer les juges relève exclusivement du pouvoir exécutif.
102.3. L’indépendance administrative est effectivement une condition essentielle de l’indépendance judiciaire, mais cette indépendance administrative se limite aux questions administratives qui se rattachent directement et immédiatement à la fonction décisionnelle. Cela inclut l’assignation des juges aux causes, les séances ou le rôle de la Cour.
102.4. Les questions administratives ne peuvent se poser qu’en aval de la nomination d’un juge et non en amont. Le processus de nomination ne peut soulever des enjeux d’indépendance administrative.
102.5. Les demandeurs tentent de modifier de façon judiciaire les droits linguistiques issus d’un compromis historique. Ces droits sont limités à ceux énoncés à l’article
[103] Le Tribunal estime aussi que ce deuxième volet soulève une question sérieuse.
[104] D’abord, et avec égards, il serait erroné de soutenir que la présomption de validité d’un acte administratif implique qu’il ne peut y avoir de question sérieuse quant à la validité de cet acte administratif. C’est d’ailleurs précisément ce que la juge Bich explique dans son jugement sur la demande de sursis dans l’affaire Northex Environnement pourtant cité par le PGQ au soutien de son argument. En tout état de cause, le Tribunal doit se convaincre qu’il y a une question sérieuse quant à la validité d’un acte administratif ou législatif. Au stade de la question sérieuse, il n’a pas à présumer de la validité de la Loi, ni de l’acte administratif. Cela pourra jouer un rôle dans le cadre de l’examen de la prépondérance des inconvénients tel que le Tribunal en discutera plus amplement ci-après.
[105] Par ailleurs, le Tribunal estime qu’en matière de sursis, il est raisonnable et nécessaire dans une perspective de prépondérance des inconvénients comme il le sera discuté plus loin, de chercher à limiter la portée de ce sursis et de laisser, autant que possible, la loi contestée avoir un effet. Le fait que le demandeur ne demande le sursis que du seul Avis 175 et pas de la Loi ou des avis 176 et 177 ne constitue pas une fin de non-recevoir pour établir la question sérieuse. Il s’agit au contraire d’un exercice qui vise à limiter les inconvénients d’une suspension des dispositions contestées de la Loi.
[106] L’argument de la prérogative de l’exécutif de nommer les juges et d’allouer les ressources de l’État est certes d’une importance primordiale, mais il n’est pas nécessairement déterminant[85]. En ne se limitant pour l’instant qu’à la Chambre criminelle et pénale et à la Chambre de la jeunesse, il n’est certainement pas frivole ni vexatoire d’avancer que les deux conditions de l’article
[107] En ce qui a trait aux droits linguistiques, il suffira de souligner qu’en matière criminelle et pénale, l’article
[108] L’analyse des droits linguistiques faites par le soussigné dans le Jugement Immer démontre aussi que, plus généralement, dans le domaine de la protection de la jeunesse, la LPJ impose des obligations particulières aux tribunaux quant à la participation des parents et à leur droit à être informés et de participer[86]. Il y a question sérieuse à savoir si l’article
[109] Finalement, les contours des droits linguistiques des Mohawks soulèvent aussi des questions sérieuses qui ne peuvent être écartés.
[110] Pour toutes ces raisons, le Tribunal estime que le deuxième volet soulève aussi une question sérieuse.
[111] Il y a lieu de faire à nouveau (2.1) quelques commentaires sur le fardeau en matière de préjudice au stade du sursis avant de procéder (2.2) à l’analyse.
[112] Il s’agit de savoir si le refus du redressement pourrait être si défavorable à l'intérêt du requérant que le préjudice ne pourrait pas faire l'objet d'une réparation, en cas de divergence entre la décision sur le fond et l'issue de la demande de sursis. Le terme irréparable, dans ces circonstances, a trait à la nature du préjudice subi plutôt qu'à son étendue.
[113] La preuve d’un préjudice doit être bien défini. Les demandeurs ont le fardeau de produire des éléments de preuve précis et détaillés établissant la probabilité d’un préjudice irréparable[87]. C’est le préjudice qui découle du refus d’accorder la mesure de sursis qui doit être évalué, et non celui qui découle de l’application des mesures en litige de façon permanente[88]. Le préjudice allégué doit être précis et ne pas se fonder sur des considérations hypothétiques[89].
[114] La Juge en chef, le Juge en chef associé et la juge Roy déposent des déclarations sous serment qui contiennent les éléments utiles à l’analyse du préjudice irréparable.
[115] Le Tribunal a déjà indiqué dans le Jugement Immer, que par les fonctions qui lui sont attribuées par la LTJ, la Juge en chef a une connaissance inégalée en matière des besoins de la Cour du Québec et des enjeux d’administration judiciaire de sa Cour.
[116] Il en est de même pour la juge Roy. Il faut souligner que la nomination de la juge Roy a été approuvée par décret, selon le processus prévu aux article
Il est ordonné, en conséquence, sur la recommandation du ministre de la Justice:
Que soit approuvée la désignation, à titre de juge coordonnatrice, de madame la juge Mélanie Roy, et que son mandat s’échelonne du 25 octobre 2020 au 24 octobre 2023.
[Soulignés du Tribunal]
[117] Conformément à la LTJ, à titre de juge coordonnatrice pour la Montérégie, elle a la responsabilité d’assister et de conseiller la Juge en chef de la Cour du Québec dans ses tâches de direction, dont celles de voir à la distribution des causes, à la fixation des séances et à l’assignation des juges à travers cette région. Il y a 46 juges au total, soit 40 juges et 6 juges de paix magistrats, auxquels peuvent s’ajouter des juges suppléants.
[118] Pour être cohérent avec ce régime législatif, il faut donner un grand poids à la déclaration de la juge Roy. À cela s’ajoute par ailleurs les éléments suivants issus du cheminement professionnel de la juge Roy qui lui permettent d’avoir une perspective privilégiée quant à la réalité des justiciables comparaissant devant la Chambre de la jeunesse en Montérégie:
118.1. Elle a été inscrite au tableau de l’Ordre du Barreau du Québec en 1997.
118.2. Depuis son accession au Barreau et jusqu’à nomination, elle a pratiqué au contentieux du Centre de jeunesse de la Montérégie étant notamment coordinatrice puis chef du contentieux. Elle a agi en matière de protection de la jeunesse, d’adoption et de délinquance et avait la responsabilité des dossiers issues de la communauté de Kahnawake.
118.3. En 2011, elle est nommée pour exercer la fonction de juge de la Cour du Québec auprès de la Chambre de la jeunesse et en février 2017, elle est désignée juge coordinatrice adjointe ainsi que responsable de la Chambre de la jeunesse pour la région de coordination de la Montérégie.
118.4. Lorsqu’elle est nommée juge coordonnatrice pour la région de la Montérégie, elle garde la responsabilité de la Chambre de jeunesse.
118.5. En 2017, elle offre une formation sur le témoignage des enfants destinée aux nouveaux juges des cours provinciales canadiennes.
118.6. À titre de juge coordinatrice de la région de la Montérégie qui comprend 40 juges et 6 juges de paix magistrats, elle assume les fonctions qui lui sont dévolues par l’article
[119] Voici donc les éléments qu’elle apporte pour les fins d’analyse un éventuel préjudice irréparable.
[120] D’abord, la juge Roy met de l’avant plusieurs éléments pertinents pour établir le préjudice irréparable qui serait causé à l’administration de la Cour du Québec si le comité de sélection était empêché de juger de la connaissance et qu’un ou une juge ne maîtrisant par l’anglais était nommé en réponse à l’Avis 175. Selon elle, vu que l’organisation et la coordination du travail constituent déjà de lourdes tâches, « ajouter une considération linguistique à cela en toutes circonstances et en dépit du manque criant de ressources créerait une situation intenable »[91]. Pour justifier cette conclusion, elle cite les considérations suivantes :
120.1. Le nombre de 11 juges est « actuellement insuffisant ». Les défis que cela pose sont accentués par le fait qu’un « juge saisi d’un dossier donné en matière de jeunesse ne pourrait pas ensuite être saisi de tout autre dossier concernant le même enfant ou adolescent »[92].
120.2. Un juge doit être en mesure d’accomplir l’éventail des tâches afin de ne pas « créer de toute pièce un bris de service »[93]. Or, un juge qui ne maîtrise pas l’anglais ne serait par en mesure d’assurer l’éventail des tâches.
120.3. Les juges siégeant en Chambre de la jeunesse en justice pénale pour adolescents doivent veiller au respect de l’article
120.4. Les juges siégeant en Chambre de la jeunesse en matière de protection de la jeunesse en en matières urgentes doivent assurer les droits fondamentaux énoncés aux sections 1 et 2 du chapitre 1 de la LPJ. Les parents ont droit à la protection des droits fondamentaux énoncés à la section
120.5. Ces droits fondamentaux exigent la mise en place de mesures supplémentaires procédurales afin de protéger les droits des justiciables.
120.6. Nombre de ces matières procèdent dans des salles de volume avec très peu de préavis.
120.7. La distance séparant les palais de justice de la région de la Montérégie « rend illusoire le déplacement d’un juge lors d’une journée donnée », car ce déplacement doit nécessairement être prévu d’avance[94].
120.8. Le recours aux juges suppléants n’est pas une solution puisque c’est ce juge à la retraite qui détermine les périodes auxquelles il se rend disponible.
120.9. Ainsi, vu l’utilisation quotidienne de l’anglais, une ou un juge ne pourra pas prêter renfort aux palais de justice de Saint-Jean-sur-Richelieu, Saint-Hyacinthe ou Sorel-Tracy où un seul juge siège.
120.10. Ne faire siéger cette personne qu’à Longueuil « chamboulerait nécessairement l’organisation des activités de la Cour ».
120.11. Vu la nature urgentes des demandes entendues dans la salle de volume, et le fait qu’il y a 15 demandes entendues par jour, il est en pratique impossible de transférer une demande ou la connaissance de l’anglais est requise devant les juges siégeant au fond et cela « est susceptible de cause des remises injustifiées ou de nier le droit d’être entendu des justiciables, incluant dans des contextes urgents ».
120.12. L’interposition de traducteurs et la lourdeur du processus d’interprétation complexifie et rallonge la durée des audiences causant des délais additionnels que la Chambre de la jeunesse n’a pas la capacité d’absorber « en raison, notamment, de son niveau de saturation »[95]. Si le témoignage est rendu ni en anglais ni en français, cela risque d’entrainer une chaîne d’interprètes : de la langue étrangère à l’anglais, puis de l’anglais au français.
120.13. Les interprètes ne sont généralement pas disponibles à court préavis.
120.14. Par ailleurs, le recours à l’interprète n’est pas d’utilité pour le travail en délibéré. Le juge qui n’a pas la maitrise de l’anglais ne pourra pas comprendre les procédures, les rapports ou autres documents rédigés en anglais.
120.15. Ainsi, au mieux, un juge ne connaissant pas l’anglais ne pourrait être placé que sur le rôle du fond, car c’est le seul cas d’espèce où la langue des parties, avocats et témoins peut être connue[96].
[121] Il en ressort aussi les éléments suivants quant au préjudice irréparable qui risque d’être subi par les jeunes justiciables et autres personnes concernées :
121.1. Les jeunes justiciables ont un droit fondamental aux protections accordées par le Code criminel, la LSJPA et la LPJ.
121.2. Les parents ont des droits particuliers en vertu de la LPJ quant à leur participation.
121.3. Le sondage mené à la demande de la Juge en chef montre que l’utilisation de l’anglais par les juges sur une base quotidienne est notamment de 53% à Longueuil et 66% à Valleyfield.
121.4. Les personnes membres de communautés issues de l’immigration qui ne maîtrisent pas suffisamment le français « pour des questions aussi intimes, personnelles et émotives que celles que soulèvent la Chambre de la jeunesse »[97] doivent utiliser l’anglais.
121.5. Les membres de la nation Mohawk parlent l’anglais. Il sera impossible de bâtir un lien de confiance avec les membres de la communauté mohawk de Kahnawake s’ils n’ont pas accès à une justice de qualité dans la langue officielle du Canada de leur choix, c’est-à-dire l’anglais. Les initiatives pour mettre en place une administration de la justice dans leur communauté seront d’autant plus difficile à exécuter et les CRA impossibles à tenir.
121.6. La « lourdeur du processus d’interprétation ne permettrait aucunement de rencontrer les exigences strictes en matière de jeunesse »[98]. Il est inapproprié d’utiliser des traducteurs pour des matières hautement personnelles. Par ailleurs, la présence de l’interprète lorsque le Tribunal conclut qu’il doit entendre l’enfant hors de la présence des parties, nuirait à la fluidité et à l’efficacité des échanges.
[122] Le PGQ voit la chose d’un tout autre œil.
[123] D’abord, il plaide que le préjudice que les justiciables subiraient n’est pour l’heure que « pure spéculation ».
[124] Ensuite, il avance que l’établissement d’un préjudice sérieux et irréparable à l’indépendance administrative exige d’abord l’établissement de ses contours, ce qui est une matière pour le fond qui nécessite un débat constitutionnel complet[99].
[125] Il indique que les éléments suivants réfutent l’existence d’un préjudice, sérieux et irréparable, actuel et imminent :
125.1. Il y a un très haut taux de bilinguisme des avocats au Québec, soit près de 87,5% des avocats et des juges, soit 89,9%. « La nomination d’un juge qui n’a aucune connaissance de l’anglais ne semble donc présenter qu’une faible probabilité de réalisation »[100].
125.2. Dans le cadre du bras de fer entre la Juge en chef et le Ministre, en 2021, l’avis de sélection CQ-2021-144 a été publié sans exigence de la connaissance de l’anglais alors que la Juge en chef l’avait exigé. Or, le PGQ affirme : « on comprend du silence actuel des demandeurs dans leurs procédures t déclarations sous serment que le prétendu préjudice […] ne s’est tout simplement pas produit »[101].
125.3. Tous le juges de la Chambre jeunesse de la Montérégie sont bilingues. Il y a donc un nombre suffisant de juges bilingues.
125.4. Un juge assigné à la Chambre de la jeunesse, pouvant être appelé à siéger en matière pénale, peut accéder à des cours de formation en langue anglaise[102].
125.5. Dans des procès qui n’impliquent pas la tenue d’un procès en anglais selon le choix de l’adolescent accusé, le recours au besoin aux services d’interprètes permet « la tenue efficace de procès où les parties, témoins, avocats et juges seront en mesure de comprendre le déroulement de l’audition, ce qui ne saurait constituer un préjudice au sens des droits linguistiques applicables.
[126] Pour avoir droit au sursis, il ne faut pas attendre qu’un préjudice évident se matérialise. La Cour d’appel dans Hak indique bien qu’il faut rechercher si les parties ou des tiers subiront un préjudice irréparable si la demande est rejetée.
[127] Le Tribunal conclut les demandeurs se sont déchargés de leur fardeau de produire des éléments de preuve précis et détaillés et non hypothétiques établissant la probabilité qu’un préjudice irréparable soit subi autant pour l’administration de la Chambre de la jeunesse en Montérégie que par les justiciables et parties intéressées qui comparaissent devant cette Chambre.
[128] Les demandeurs n’ont pas à attendre de voir si un juge unilingue sera effectivement nommé et que des audiences soient remises ou que les droits d’adolescents ou de parents soient bafoués par des retards, des remises ou par des difficultés de communication avec le juge pour saisir le Tribunal. Il sera trop tard.
[129] Il est vrai que pour établir le préjudice causé à l’indépendance administrative, il faut d’abord délimiter les contours de cette indépendance judiciaire administrative, délimitation qui ne pourra effectivement être faite de façon définitive qu’au fond. Cela étant, une fois établie la question sérieuse quant à l’existence et quant à la violation de l’indépendance administrative, il serait aberrant de ne pas considérer le préjudice irréparable. Or, à la lumière des déclarations sous serment déposées par les demandeurs, ce préjudice est évident à la lumière des éléments soulevés par la juge Roy quant aux impacts de la nomination d’un juge ne connaissant pas l’anglais sur les adolescents, sur les parents, et tout particulièrement sur les adolescents et parents Mohawks. Le parcours de la juge Roy lui assure une connaissance inégalée des exigences de la région de la Montérégie, de la Chambre de la jeunesse et des besoins des Mohawks. Les éléments qu’elles soulèvent ne sont pas du ressort de la spéculation ou d’hypothèses. Il s’agit de faits.
[130] D’aucune façon les facteurs de mitigation pouvant découler de l’utilisation d’interprètes ne peuvent-ils écarter ce préjudice irrémédiable. Les interprètes ne sont pas assignés de façon permanente à aucun district en Montérégie. Par ailleurs, dans un contexte de pénurie de main d’œuvre, le Tribunal estime, avec égard pour tous les efforts que le ministère déploie pour éviter les bris de service et assurer la dotation, que c’est le PGQ qui fait preuve de spéculation et d’hypothèses lorsqu’il indique que des ressources additionnelles d’interprètes pourront être dégagées pour assigner de façon permanente un interprète au nouveau juge. Qui plus est, l’utilisation d’interprètes retarde inéluctablement le déroulement des audiences. Ils ne font pas la traduction des documents. Les cours de langue ne sont pas, non plus, une solution à court ou à moyen terme.
[131] De plus, tout en ne mettant nullement en doute le professionnalisme et la rigueur des gestionnaires du ministère de la Justice ayant signé les déclarations sous serment en doute, il demeure déroutant de constater que le Ministre se fie aux analyses statistiques de ces personnes, plutôt qu’aux observations de la juge en chef, du juge en chef adjoint et de la juge coordonnatrice de la Montérégie.
[132] Quoi qu’il en soit, la preuve colligée par le PGQ contient des trous béants quant à la réalité de la Chambre de la jeunesse :
132.1. L’exercice de détermination de l’utilisation de la langue anglaise par les accusés et le juge ne portait que sur le lieu de résidence, Longueuil, mais non pas sur les 4 autres districts où la ou le juge sélectionné sera appelé à siéger.
132.2. Aucune réécoute n’a pu être faite des dossiers 03 de la Chambre de la jeunesse. C’est donc des sources secondaires, soit les dossiers de la CSJ et du CISSS qui ont été consultées.
132.3. Aucune réécoute n’a évidemment été faite pour des dossiers des autres divisions dont la division « 41 » et « 49 » qui touchent la LPJ.
132.4. Aucune étude n’a été faite des besoins particuliers des Mohawks.
[133] Par ailleurs, au risque de redite, le Tribunal réitère qu’il manque un pan complet de l’analyse, soit l’impact envisagé selon le PGQ en fonction des pourcentages identifiés.
[134] Or, le Ministre en est lui-même venu à la conclusion qu’en chambre criminelle, pour la Montérégie, il était non seulement nécessaire que l’on exige de la personne à être nommée qu’elle connaisse l’anglais, mais de surcroit, que cette exigence s’imposait malgré la mise en place de « tous les moyens raisonnables ». L’inférence la plus cohérente que l’on peut tirer, selon le Tribunal, est que la réalité en Chambre criminelle et pénale de la division 01 devrait aussi se vivre en division 03, soit les matières relevant de la LSJAP.
[135] Finalement, le Tribunal ne peut laisser au hasard de la nomination éventuelle la question comme le propose le PGQ. Il est bien vrai que les chances sont grandes que, dans la grande région métropolitaine, une ou un avocat qui cherche à postuler à la Cour du Québec ait une connaissance de l’anglais à la lumière des statistiques de Statistique Canada déposées par le PGQ. Or, vu les efforts importants déployés par le Ministre, le gouvernement et l’Assemblée nationale pour permettre à une personne qui ne maîtrise pas le français de néanmoins postuler, et vu le fait qu’il est interdit au comité de sélection de tenir en compte de la connaissance de l’anglais, il serait totalement incohérent et sophistique d’affirmer que la nomination d’une telle personne ne connaissant pas l’anglais soit du domaine de la simple spéculation. Tout le système est mis en place pour précisément permettre sa mise en candidature et donc nécessairement sa possible nomination.
[136] Au stade du sursis, le Tribunal conclut donc que le préjudice irréparable a été établi.
[137] À nouveau, il y a lieu de faire (3.1) quelques commentaires sur le fardeau en matière de prépondérance des inconvénients avant de procéder (3.2) à l’analyse. Le Tribunal estime que c’est le critère le plus difficile à remplir.
[138] La Cour suprême énonce dans Harper[103] des principes importants quant à la prépondérance des inconvénients. Rappelons que le gouvernement avait adopté une loi plafonnant les dépenses électorales en 2000. Le très honorable Stephen Harper contestait sa constitutionnalité avançant qu’elle violait la liberté d’expression. Or, un juge de première instance avait accueilli une injonction interlocutoire suspendant les effets de la loi au nom de la protection de la liberté d’expression. La Cour d’appel et la Cour suprême devait se prononcer sur une demande de sursis d’exécution. La Cour suprême explique ceci sur le sujet de la prépondérance des inconvénients :
5. Les demandes d’injonction interlocutoire interdisant l’application d’une mesure législative toujours valide dont la constitutionnalité est contestée font intervenir des considérations particulières lorsqu’il s’agit d’évaluer la prépondérance des inconvénients. D’une part, il y a le bénéfice qui découle de la loi. D’autre part, il y a les droits auxquels, allègue-t-on, la loi porte atteinte. Une injonction interlocutoire peut avoir pour effet d’empêcher le public de bénéficier d’une loi dûment adoptée qui peut être jugée valide en définitive, et de donner gain de cause dans les faits au requérant avant même que l’affaire soit tranchée par les tribunaux. Par ailleurs, refuser l’injonction ou surseoir à son exécution peut priver des demandeurs de certains droits constitutionnels simplement parce que les tribunaux ne sont pas en mesure d’agir assez rapidement: R. J. Sharpe, Injunctions and Specific Performance (éd. feuilles mobiles), au par. 3.1220.
[139] La Cour d’appel explique Quebec English School Board Association[104] que l’intérêt public est présumé se refléter dans la loi contestée. Ainsi, dans la « plupart des cas », il faut présumer que la loi causera un préjudice à l’intérêt public. À cet égard, elle cite Harper à l’effet qu’il n’y a donc pas lieu « d’exiger la preuve que cette mesure législative sera à l’avantage du public ».
[140] La présomption « joue un grand rôle ». Ainsi, la Cour suprême explique que « pour arriver à contrer le supposé avantage de l’application continue de la loi que commande l’intérêt public, le requérant qui invoque l’intérêt public doit établir que la suspension de l’application de la loi serait elle-même à l’avantage du public »[105]. De ce fait, « les injonctions interlocutoires interdisant l’application d’une mesure législative dont on conteste la constitutionnalité ne seront délivrées que dans les cas manifestes »[106].
[141] C’est donc, gouverné par ces principes, que la Cour d’appel dans Quebec English School Board Association maintient la suspension de la Loi modifiant principalement la Loi sur l’instruction publique relativement à l’organisation et à la gouvernance scolaires ordonnée par le juge Sylvain Lussier,[107] suspension qui se limitait aux commissions scolaires anglophones. La juge Chantal Corriveau a aussi suspendu l’effet de certaines dispositions de la CLF qui avaient été introduites par la Loi, dans Mitchell[108].
[142] Ici, fait assez rarissime, c’est une branche de l’État, le judiciaire, qui affronte deux autres branches de l’État, soit le législatif et l’exécutif. Ce sont deux conceptions de l’intérêt public qui s’affrontent. Les propos de la Cour d’appel dans Quebec English School Board Association sont donc d’autant plus à-propos:
[59] L’intérêt public joue un rôle de premier plan dans l’analyse de la prépondérance des inconvénients lorsqu’il s’agit de suspendre l’application d’une loi. Il ne fait aucun doute que l’intérêt public est présumé se refléter dans la loi contestée et qu’un tribunal se doit d’être très prudent avant d’ordonner le sursis d’une loi sur une base interlocutoire sans bénéficier de l’ensemble de la preuve et du débat de fond. C’est pourquoi, comme nous l’écrivions plus tôt, une telle mesure doit être réservée aux seuls « cas manifestes ». Toutefois, et bien que le gouvernement n’ait pas à prouver l’existence d’un objectif réel et urgent ou d’un mal urgent à éradiquer (Hak, par. 104 et 105), il demeure qu’il « n’a pas le monopole de l’intérêt public » et que celui-ci ne milite pas toujours nécessairement en faveur de l’application d’une loi existante : RJR – MacDonald, p. 343. De même, l’intérêt public n’est pas uniquement celui de l’ensemble de la société, mais s’exprime aussi dans les intérêts particuliers de groupes identifiables : RJR – MacDonald, p. 344; Groupe CRH Canada inc. c. Beauregard,
[Soulignés du Tribunal]
[143] Notons aussi que la demande de suspension ne s’applique qu’à l’égard de l’Avis 175 et non à l’ensemble des avis.
[144] Or, c’est un fait que le Tribunal doit tenir à l’esprit. Ainsi, toujours dans English School Board, la Cour d’appel notait que « l’effet limité de la suspension peut jouer un rôle dans la pondération requise par le critère de la prépondérance des inconvénients puisque la réforme voulue par le gouvernement s’applique déjà et continuera de s’appliquer »[109] dans la majorité des avis de sélection. Il ne s’agit pas de suspendre l’effet la CLF, de la LTJ ou du Règlement dans son entier, mais seulement l’Avis 175.
[145] En empruntant les propos de la Cour d’appel, en l’instance « il ne s’agit pas ici d’empêcher le gouvernement de mettre en œuvre les réformes législatives pour lesquelles il a été élu et de priver la population de ses bienfaits », (…) mais plutôt « de pondérer ponctuellement les effets de cette réforme »[110] sur l’indépendance administrative de la Cour du Québec et sur les droits linguistiques des adolescents et des parents en fonction de l’article
[146] Le Tribunal estime que dans la situation particulière où les deux parties invoquent l’intérêt public, les inconvénients concrets subis par le public prennent une importance déterminante et que nous nous trouvons effectivement dans un cas manifeste où la prépondérance des inconvénients favorise les demandeurs.
[147] Pour la Cour du Québec et pour les justiciables, la présence d’un juge ne connaissant pas l’anglais crée un préjudice concret amplement documenté sous la rubrique du préjudice irréparable ci-dessus.
[148] Pour éviter ce préjudice, la seule fonction qui pourra être attribuée à un juge de la Chambre de jeunesse en Montérégie sera de l’assigner à des causes au fond où les parties, les avocats et les témoins s’adresseront à la Cour en français et où tous les documents sont en français. On arguera que cela a certes une utilité.
[149] Or, la juge Roy dans sa déclaration sous serment explique qu’ « à court et long terme, cette conséquence sera plus grave sur le plan de l’administration judiciaire que le fait de surseoir pour quelques mois à la procédure de sélection et de nomination, et ce, malgré le nombre insuffisant de juge en Montérégie pour répondre aux besoins des justiciables »[111]. Le Tribunal juge que cette explication est convaincante. Même si les demandeurs ont raison sur le fond, la Cour du Québec et les justiciables devront composer avec un juge qui ne peut exécuter une grande partie des fonctions pour lesquelles elle ou il est nommé et ce, de façon inamovible.
[150] Rien n’empêche un candidat unilingue francophone de soumettre sa candidature pour pourvoir un poste de juge dans une région où la maîtrise de l’anglais n’est pas une exigence[112]. Comme le démontre les besoins identifiés par la Juge en chef le 30 mai 2022, 33% des postes pour lesquelles elle demandait l’affichage ne comprenaient pas d’exigence de connaissance de l’anglais. Vu que selon le PGQ, c’est 12,5% des avocats qui ne connaissent pas l’anglais, l’objectif de la CLF ne s’en trouvera pas entièrement évacué.
[151] Le Tribunal a constaté avec dépit à l’audience que les parties discutaient encore d’échéancier et que le dossier n’évoluait pas prestement vers une audience. Le PGQ a demandé un délai jusqu’à la mi-mai 2023 pour possiblement déposer un rapport d’expert qui effectuerait une étude comparative des processus de nomination à travers les provinces canadiennes. Le dossier devrait être en état en septembre 2023. Les parties sont évidemment encouragées à demander une mise au rôle par préférence pour vider la question au fond le plus rapidement possible.
[152] ACCUEILLE la demande de sursis;
[153] ORDONNE à la Secrétaire à la sélection des candidats à la fonction de juge de surseoir à toute démarche inhérente à la procédure de mise en candidature au poste à combler à la Cour du Québec en lien avec l’avis de sélection CQ-2022-175 jusqu’au jugement final sur la présente demande de pourvoi en contrôle judiciaire;
[154] FRAIS DE JUSTICE à suivre le sort du litige.
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| __________________________________CHRISTIAN IMMER, j.c.s. | |
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Me Marc-André Fabien | ||
Me Vincent Cérat Lagana | ||
Me Chris Semerjian Me Claudie Fréchette FASKEN MARTINEAU DUMOULIN Avocats des demandeurs | ||
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Me Charles Gravel Me Bruno Deschênes Me Manuel Klein BERNARD ROY | ||
Me François-Olivier Barbeau LAVOIE, ROUSSEAU | ||
Avocats du défendeur | ||
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Date d’audience : | 11 janvier 2023 | |
[1] Ci-après le «PL 96».
[2] RLRQ, c. C-11, [« CLF »].
[3] Notes explicatives.
[4] Il sera modifié par après quant au rôle que le ministre de la Langue française a à jouer, tel qu’il l’est plus amplement expliqué au paragraphe 29 de ce jugement.
[5] Ci-après le « Ministre ».
[6] Ci-après « Juge en chef ».
[7] Ci-après, la « Secrétaire ».
[8] Ci-après « Conseil ».
[9] Ci-après « Juge en chef associé ».
[10] RLRQ, c. C-19, r. 1.2, [« Règlement »].
[11] Conseil de la magistrature c. Ministre de la Justice du Québec,
[12] RLRQ, c. T- 16 [« LTJ »].
[13] LQ 2022, c. 14, [« Loi »].
[14] Id., art. 218.
[15] Ci-après, le [«Pourvoi»]. En employant l’expression Pourvoi, le Tribunal fera référence autant au Pourvoi initial qu’au Pourvoi modifié et re-modifié.
[16] Collectivement, les « Disposition attaquées ».
[17] Loi modifiant la Loi sur la protection de la jeunesse et d'autres dispositions législatives, LQ 2022, c 11, art. 70.
[18] Pièce P-15.
[19] Ci-après « Avis 175 ».
[20] Pièce P-16.
[21] Demande, par. 316.7.
[22] Id., par. 316.17.
[23] Id., par. 316.19.
[24] Art.
[25] Procureur général du Québec c. Quebec English School Board Association,
[26] Association générale des étudiants de la Faculté des lettres et sciences humaines de l'Université de Sherbrooke c. Roy Grenier,
[27] Gazette officielle du Québec, partie II, 5 octobre 2011, 143ième année, p. 4453.
[28] Voir le Journal des débats de la Commission de la culture et de l’éducation, 9 décembre 2021, https://www.assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/commissions/cce-42-2/journal-debats/CCE-211209.html .
[29] Voir le Journal des débats de la commission de la culture et de l’éducation du 13 avril 2022, https://www.assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/commissions/cce-42-2/journal-debats/CCE-220413.html .
[30] Art.
[31] Déclaration sous serment de l’honorable Mélanie Roy, par. 31.
[32] Jugement Immer, par. 242 à 253.
[33] Id., par. 243.
[34] Id., par. 249.
[35] Id., par. 252.3.
[36] Id., par. 253.
[37] Id., par. 42.
[38] Id., par. 42 à 44.
[39] LC 2002, c. 1, ci-après « LSJPA ».
[40]
[41] Id., par. 26.
[42] Jugement Immer, par. 159 et 160.
[43] Dinghra c. R.,
[44] Jugement Immer, par. 164.
[45] RLRQ c. P-34.1, [«LPJ»].
[46] Voir l’historique dressé par le soussigné dans E.L. c. Procureur général du Québec,
[47] L.Q. 2022, c. 11.
[48] Office des services à l’enfant et à la famille de Winnipeg c. K.L.W.,
[49] Déclaration de Mélanie Roy, par. 54.
[50] Id., par. 55.
[51] Pourvoi, par. 128.2; déclaration de Mélanie Roy, par. 55.
[52] Déclaration de Mélanie Roy, par. 34 à 38.
[53] Id., par. 39.
[54] Voir https://www.quebec.ca/gouvernement/portrait-quebec/premieres-nations-inuits/profil-des-nations/mohawks.
[55] Art.
[56] Ci-après DPIA.
[57] Déclaration sous serment de M. Rancourt, par. 16.
[58] Déclaration de M. Lacroix-Dufour, par. 16 à 18.
[59] Pièce D-1.
[60] Ci-après le « Bureau ».
[61] Pièce P-21, réponse à l’engagement EBF-4.
[62] Pièce D-1, par. 14.
[63] Id., par. 15.
[64] Pièce P-21, réponse à l’engagement EBF-9.
[65] Pièce P-21, réponse à l’engagement EBF-10.
[66] Pièce P-21, réponses aux engagements EBF-5 et EBF-7.
[67] Pièce P-21, réponse à l’engagement EBF-11.
[68] Hak c. Procureure générale du Québec,
[69] Groupe CRH Canada inc c. Beauregard,
[70] Id.
[71] Plan d’argumentation des demandeurs, par. 31.
[72] Le Tribunal précise que le nombre de juges de la Cour du Québec ayant été haussé de 308 à 319 en avril 2022 dans la LTJ, 11 nouveaux postes devaient être créés. Il n’est pas clair si la résidence ou la chambre à laquelle les 11 nouveaux juges seraient attitrés avaient déjà fixés par le Ministre, ni s’ils avaient fait l’objet de discussions entre la Juge en chef et le Ministre préalablement ou postérieurement à la hausse du nombre de juges dans la LTJ.
[73] Id., par. 32.
[74] Dikranian c. Québec (Procureur général),
[75] Dell Computer Corp. c. Union des consommateurs,
[76] Id., par. 118.
[77] Id., par. 113 et 114.
[78] Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale de l’Île-du-Prince-Édouard; Renvoi relatif à l'indépendance et à l'impartialité des juges de la Cour provinciale de l’Île-du-Prince-Édouard,
[79] R. c. Généreux,
[80] Valente c. La Reine,
[81] Plan d’argumentation des demandeurs, sous-par. 41(b).
[82] Id., sous par. 41(c).
[83] Plan d’argumentation du PGQ, par. 62.
[84] Northex Environnement inc. c. Blanchet,
[85] C’est ce que le Tribunal retient du raisonnement de la Cour suprême dans Ontario c. Criminal Lawyers’ Association of Ontario,
[86] Jugement Immer, par. 161-165.
[87] Hak, par. 65 à 67.
[88] English Montreal School Board c. Procureure générale du Québec,
[89] Karounis c. Procureur général du Québec,
[90] Décret 1032-2020, 2020, 44 G.O. II, p. 4602.
[91] Déclaration sous serment de la juge Mélanie Roy, par. 68.
[92] Id., par. 66.
[93] Id., par. 65.
[94] Id., par. 45.
[95] Id., par. 58-60.
[96] Id., par. 62.
[97] Id., par. 34.
[98] Id., par. 57.
[99] Plan d’argumentation, par. 97.
[100] Pièce D-3.
[101] Plan d’argumentation du PGQ, par. 86.
[102] Pièce D-6.
[103] Harper c. Canada (Procureur général),
[104] Procureur général du Québec c. Quebec English School Board Association,
[105] Harper, par. 9.
[106] Id.
[107] L.Q. 2020, c. 1.
[108] Mitchell c. Procureur général du Québec,
[109] QESBA, par. 61.
[110] Id.
[111] Déclaration sous serment de Mélanie Roy, par. 23.
[112] Id., par. 70.
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