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BARREAU DU QUÉBEC |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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N°: |
06-16-02989 |
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DATE : |
1 février 2017 |
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LE CONSEIL : |
Me MARIE-JOSÉE CORRIVEAU |
Présidente |
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Me LUC R. GERVAIS |
Membre |
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Me JEAN-FRANÇOIS MERCURE |
Membre |
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Me BRIGITTE NADEAU, en sa qualité de syndique adjointe du Barreau du Québec
Partie plaignante
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c.
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Me STÉPHANE RIVARD, Ad. E.
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Partie intimée |
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DÉCISION SUR CULPABILITÉ ET SANCTION |
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[1] La maladie, l’épuisement professionnel et de nombreux démêlés avec l’Agence du revenu du Québec ont contribué à la descente aux enfers d’un brillant avocat, ancien Bâtonnier du Barreau du Québec et récipiendaire de la distinction Avocat émérite pour l’excellence de son parcours professionnel et sa contribution à l’essor de la profession.
[2] L’intimé a utilisé à des fins autres des sommes importantes reçues de ses clients aux fins de remise de la taxe sur les produits et les services (TPS) et de la taxe de vente du Québec (TVQ) pendant plusieurs années.
LA PLAINTE
[3] Le 29 novembre 2016, le Conseil de discipline s’est réuni pour procéder à l’instruction de la plainte disciplinaire portée contre lui, laquelle est ainsi libellée :
1.
À Montréal, entre le 1er
janvier 2010 et le 3 juillet 2015, a utilisé à des fins autres une somme de soixante-cinq
mille dollars (65 000 $), qui lui avait été confiée dans
l’exercice de sa profession par ses clients pour fins de remise de la taxe sur
les produits et les services (TPS) et de la taxe de vente du Québec (TVQ) pour
les années 2010, 2011, 2012, 2013 et 2014, contrevenant ainsi aux dispositions
de l'article
[4] Le matin de l’audition, l’intimé plaide coupable à l’infraction qui lui est reprochée.
[5] Après que le Conseil l’ait déclaré coupable à l’infraction reprochée, les parties présentent leur preuve et argumentation sur sanction.
[6] La syndique adjointe suggère qu’une période de radiation d’un mois soit imposée à l’intimé avec publication de l’avis de radiation et une condamnation au paiement des déboursés. L’intimé suggère plutôt une période de radiation symbolique d’une semaine avec dispense de publication de cet avis.
QUESTIONS EN LITIGE
A) Quelle période de radiation le Conseil doit-il imposer à l’intimé dans les circonstances de la présente affaire?
B) Un avis de radiation doit-il être publié dans un journal circulant dans le lieu où l’intimé a son domicile professionnel?
PREUVE SUR SANCTION
[7] La syndique adjointe produit un cahier de pièces de consentement et un résumé des faits admis par l’intimé.
[8] La preuve est complétée par le témoignage de l’intimé et celui de l’ancien Bâtonnier, Me Bernard Synnott.
[9] Le Conseil en retient essentiellement ce qui suit.
[10] L’intimé est inscrit au Tableau de l’Ordre comme avocat depuis 1979 à l’âge de 21 ans. Il pratique le droit depuis 38 ans.
[11] Il connaît une brillante carrière. Il est reconnu pour son excellent esprit juridique, son empathie et sa grande générosité selon le témoignage de son collègue et ami Me Bernard Synnott.
[12] Il est Bâtonnier de Montréal en 2003-2004.
[13] En 2005, l’intimé apprend qu’il souffre d’un important problème de glande thyroïde et débute une médication pour contrôler cette déficience.
[14] C’est en 2005 que commencent ses démêlés avec l’Agence du revenu du Québec pour ses impôts personnels.
[15] En 2006, il est élu Bâtonnier du Québec pour le terme d’une année.
[16] Il travaille sept jours sur sept et s’épuise professionnellement.
[17] Il s’investit ensuite dans un procès qui dura six semaines. Il peine à terminer ses journées et s’isole de plus en plus dans une souffrance psychologique.
[18] Les mandats se font de moins en moins nombreux depuis la fin de son bâtonnat.
[19] Après des moments de très haute performance, il tombe dans un état léthargique qu’il tente tant bien que mal de cacher à sa famille et à ses proches. Il n’est plus lui-même.
[20] En novembre 2007, il débute une médication qui stabilisera son état de santé que plusieurs années plus tard.
[21] De 2007 à 2011, la correspondance de l’Agence du revenu du Québec s’accumule. Il est incapable d’ouvrir son courrier.
[22] Il connaît une mauvaise expérience financière lorsqu’il accepte de devenir président d’une entreprise de produits technologiques qui ferme ses portes quelques mois plus tard.
[23] Il fait l’objet de nombreuses procédures de perception exercées par l’Agence du revenu du Québec et de plusieurs saisies entre 2007 et 2010.
[24] Il fait défaut de remettre les montants dus en vertu de la Loi sur la taxe d’accise relativement à la taxe sur les produits et les services (TPS) et en vertu de la Loi sur la taxe de vente du Québec de 2010 à 2014 reçus à cette fin de ses clients.
[25] Le 21 novembre 2014, il se présente à la Cour dans le cadre d’une requête pour outrage au tribunal présentée contre lui par l’Agence du revenu du Québec pour ne pas avoir respecté les ordonnances de paiement rendues par la Cour supérieure et la Cour fédérale en 2012. Il se sent humilié devant ses confrères lors de l’appel de la cause. Il ne règle cependant pas son litige avec l’Agence.
[26] Au terme de nombreuses procédures, l’Agence du revenu du Québec signifie à l’intimé une requête en pétition de faillite le 17 février 2015.
[27] Le lendemain matin, le quotidien La Presse rend publique la requête dans un article ayant pour titre « Un ex-bâtonnier dans la ligne de mire du fisc ». La nouvelle est reprise dans Droit inc.
[28] L’intimé est complètement démoli. Sa famille est dévastée.
[29] L’intimé n’a plus le choix de faire face à ses obligations.
[30] Me Jean Lozeau, avocat et ami de l’intimé, accepte de le représenter et l’aide à régler son dossier.
[31] Le 1er juin 2015, l’intimé dépose une proposition concordataire entre les mains du syndic à la faillite. Dans cette proposition, l’intimé offre une somme de 100 000 $ aux créanciers ordinaires en règlement complet et final de leur réclamation et la somme de 65 000 $ à l’Agence du revenu du Québec pour les créances de TPS et TVQ. Cette proposition est acceptée le 18 juin 2015.
[32] L’intimé explique que la somme de 65 000 $ est fixée arbitrairement pour régler le dossier. Pour les fins de la plainte disciplinaire portée contre lui, il admet avoir utilisé cette somme à des fins autres, mais souligne que les montants déclarés sont théoriques ayant perçu moins d’honoraires professionnels durant cette période.
[33] Il paye la totalité de la somme de 165 000 $ en encaissant ses REER et en empruntant la différence à sa famille. Il reconnaît aujourd’hui qu’il aurait dû régler cette affaire à l’automne 2014.
[34] L’intimé a maintenant repris sa vie, sa carrière et ses affaires en main. Il doit cependant répondre régulièrement aux questions de ses clients et affronter le jugement des gens qu’il croise. Il dit avoir perdu sa fierté et est d’avis qu’il restera stigmatisé indéfiniment pour ses démêlés avec l’Agence du revenu du Québec.
LES REPRÉSENTATIONS SUR SANCTION
La syndique adjointe
[35] La plaignante plaide que, même en présence de circonstances dramatiques, on ne doit pas vider de son sens la finalité du droit disciplinaire.
[36] Elle rappelle les enseignements de la Cour d’appel dans Marston c. Autorité des marchés financiers[1] relativement à la prédominance de la gravité objective d’une infraction sur les facteurs subjectifs.
[37] Elle argue que l’infraction reprochée à l’intimé est grave. Utiliser à des fins autres des sommes confiées à un avocat par des clients pour fins de remise de taxes sur les produits et les services ou de la taxe de vente est en lien avec l’exercice de la profession et porte atteinte à l’intégrité, valeur fondamentale de l’avocat. Elle cite la cause Bourassa c. Gareau[2] qui a pour objet une infraction de même nature.
[38] Ces gestes répétitifs, et ce, sur une longue période, malgré des jugements de la Cour fédérale et de la Cour supérieure en 2012, une requête en outrage au tribunal en 2014 et la pétition de faillite en février 2015 sont autant de facteurs objectifs aggravants, selon la plaignante, qui mettent en cause la protection du public.
[39] Elle dit avoir tenu compte des problèmes de santé et personnels de l’intimé, du remboursement des sommes dues pour les remises de TPS et TVQ, que les sommes utilisées à des fins autres n’appartenaient pas à des clients mais au gouvernement, de la collaboration de l’intimé avec le Bureau du syndic, de l’absence d’antécédents disciplinaires et de sa longue expérience professionnelle à titre de facteurs subjectifs atténuants.
[40] Elle souligne cependant le caractère désinvolte de l’intimé pour avoir laissé perdurer la situation pendant plusieurs années et la banalisation de son inconduite.
[41] Elle ajoute qu’elle n’a rien entendu dans le témoignage de l’intimé qui l’a rassurée quant à l’absence de risque de récidive. Elle dit qu’il n’a pas reconnu avoir mal agi.
[42] Elle mentionne que la médiatisation de ses démêlés avec le fisc ont aussi eu un impact sur le public et l’image de la profession. Elle souligne que l’intimé recevait un salaire de juge de la Cour supérieure durant son bâtonnat.
[43] Elle plaide qu’imposer une période de radiation d’un mois est le strict minimum dans les circonstances. Elle ajoute qu’une période beaucoup plus longue est habituellement imposée pour ce genre d’infraction. Elle réfère à la décision du Tribunal des professions dans l’affaire Bourassa[3] pour justifier la période d’un mois suggérée.
[44] Elle se dit heureuse de constater que l’intimé a repris sa vie en main, mais ajoute que la maladie ne peut pas tout excuser.
[45] Elle argue qu’une période de radiation de moins d’un mois et la dispense de publication de l’avis de radiation affecterait la crédibilité du système disciplinaire.
L’intimé
[46] L’avocat de l’intimé reconnaît qu’une période de radiation d’un mois est raisonnable en soi. Il plaide cependant que, dans les circonstances de la présente affaire, une période de radiation symbolique d’une semaine serait plus appropriée.
[47] Il fonde principalement sa recommandation sur les problèmes de santé qu’a connus l’intimé depuis 2005. Sa condition le rendait incapable de prendre des décisions et de faire face à ses obligations. Même si, en 2012, son état de santé commence à se stabiliser, les effets cumulatifs de ses problèmes personnels, professionnels et financiers le paralysent.
[48] Il cite la décision du Tribunal des professions dans Laurent, ès-qual. c. Vinet (notaires)[4] pour soutenir que la maladie est un facteur déterminant dans l’évaluation de la sanction et qu’il s’agit d’une fatalité et non un acte volontaire.
[49] Il cite également la décision du Tribunal des professions dans Cliche c. Avocats (Ordre professionnel des)[5] qui mentionne que l’état psychologique du professionnel constitue une circonstance atténuante dont on doit tenir compte dans la détermination de la sanction et que, face à une telle situation, le critère d’exemplarité doit avoir une moindre importance.
[50] Il argue que l’intimé a déjà été passablement puni pour ses fautes par la publicité entourant ses démêlés avec l’Agence du revenu du Québec le 18 février 2015. Le jour même de la publication de ses problèmes avec le fisc dans les médias, il transmet un communiqué de presse dans lequel il confirme ses intentions de faire face à toutes ses responsabilités relatives à son dossier avec Revenu Québec.
[51] Il ajoute que l’intimé a assumé la responsabilité de payer la somme de 65 000 $ en remises de TPS et TVQ alors que ce montant était supérieur à ce qu’il avait perçu à cette fin.
[52] Au soutien de sa recommandation d’imposer une radiation symbolique d’une semaine, il soumet la décision Barreau du Québec (syndique adjointe) c. Cloutier[6]. Dans cette affaire, le Comité de discipline du Barreau avait tenu compte des difficultés personnelles et matrimoniales de l’intimé ainsi que ses problèmes financiers, incluant des saisies effectuées par le ministère du Revenu, pour lui imposer une radiation de sept jours avec réprimande pour avoir utilisé à des fins autres des sommes reçues de deux villes, où il agissait comme juge municipal, pour le paiement des cotisations dues à la Conférence des juges municipaux.
[53] Il demande également que le Conseil n’ordonne pas la publication de l’avis de radiation dans un journal circulant dans la localité où l’intimé a son domicile professionnel. Il soutient que la communauté juridique sera avisée par l’avis de radiation dans le Journal du Barreau et qu’il n’est pas nécessaire d’en rajouter.
[54] Il argue que la publication de l’avis de radiation aurait un effet punitif et serait néfaste pour la reprise en main de l’intimé.
[55] Il cite les décisions Pellerin[7], Cloutier[8] et Mayer[9] au soutien de ses prétentions. À titre de circonstances exceptionnelles, il invoque que l’infraction commise ne relève pas d’une relation avocat-client, la courte période de radiation, l’état psychologique de l’intimé et la médiatisation de ses problèmes avec l’Agence du revenu du Québec.
ANALYSE
A) Quelle période de radiation le Conseil doit-il imposer à l’intimé dans les circonstances de la présente affaire?
[56] Afin de déterminer la sanction appropriée, le Conseil doit appliquer les enseignements de la Cour d’appel dans l’affaire Pigeon c. Daigneault[10]. Il doit ainsi imposer une sanction qui assurera en premier lieu la protection du public, dissuadera le professionnel de récidiver et découragera les autres membres de la profession de l’imiter.
[57] Le Conseil doit également considérer le droit du professionnel d’exercer sa profession en se rappelant que l’exercice d’une profession est un privilège comportant des obligations corrélatives, dont le respect des exigences de la réglementation de son Ordre[11].
[58] Dans son analyse, le Conseil doit évaluer les facteurs objectifs et subjectifs atténuants et aggravants pertinents, comme l’énonce la Cour d’appel dans l’extrait suivant[12] :
« [ 39] Le Comité de discipline impose la sanction après avoir pris en compte tous les facteurs, objectifs et subjectifs, propres au dossier. Parmi les facteurs objectifs, il faut voir si le public est affecté par les gestes posés par le professionnel, si l'infraction retenue contre le professionnel a un lien avec l'exercice de la profession, si le geste posé constitue un acte isolé ou un geste répétitif, … Parmi les facteurs subjectifs, il faut tenir compte de l'expérience, du passé disciplinaire et de l'âge du professionnel, de même que sa volonté de corriger son comportement. La délicate tâche du Comité de discipline consiste donc à décider d'une sanction qui tienne compte à la fois des principes applicables en matière de droit disciplinaire et de toutes les circonstances, aggravantes et atténuantes, de l'affaire. »
Facteurs objectifs
[59]
Utiliser des sommes confiées par un client à des fins autres que celles
pour lesquelles elles ont été remises constitue une des infractions les plus
graves dans l’exercice de la profession d’avocat. C’est d’ailleurs pourquoi le
législateur, à l’article
[60] Cette infraction se situe au cœur même de la profession et compromet non seulement la protection du public, mais la confiance à laquelle celui-ci est en droit de s’attendre de la part d’un avocat.
[61] Pour ce genre d’infraction, le spectre des sanctions imposées est très large. Nombre de décisions condamnent le professionnel à plusieurs mois de radiation, voire même des années, dans un contexte d’appropriation :
· Barreau du Québec (syndic adjoint) c. Carvajal, CDBQ 06-14-02884 et 06-16-02993, 19 décembre 2016 (3 mois de radiation)
·
Notaires (Ordre professionnel des) c. Caron,
· Notaires (Ordre professionnel des) c. Coulombe, 2016 CanLII 13425 (QC CDNQ) (6 mois de radiation)
· Notaires (Ordre professionnel des) c. Bacon, 2016 CanLII 44930 (QC CDNQ) (6 mois de radiation)
·
Notaires (Ordre professionnel des) c. Viger,
·
Barreau du Québec (syndic adjoint) c. Caron,
·
Barreau du Québec (syndique adjointe) c. Wickham,
·
Barreau du Québec (syndic adjoint) c. Tremblay,
[62] Le Conseil doit cependant respecter le principe de l’individualisation de la sanction et tenir compte des circonstances particulières de chaque affaire.
[63] En l’espèce, l’intimé a négligé de faire les remises de taxes de TPS et TVQ découlant des honoraires facturés et payés par ses clients pour les années 2010, 2011, 2012, 2013 et 2014. Il ne s’agit donc pas d’un cas isolé. Même si le montant de 65 000 $ a été fixé arbitrairement, le Conseil considère que les sommes en jeu sont importantes.
[64]
La Cour d’appel dans Bourassa c. Gareau[13]
a confirmé que le seul fait de conserver les sommes qui devaient être remises
au gouvernement au titre de TPS et TVQ au fur et à mesure des échéances
constituait une utilisation autre de cet argent. L’utilisation précise
des fonds faite par la notaire n’était donc pas pertinente. La Cour d’appel
conclut en la commission d’un acte dérogatoire à l’honneur, à la dignité et à
la discipline des notaires aux termes de l’article
[65] Appelé à décider de la sanction, le Tribunal des professions[14] a imposé une période de radiation d’un mois à la notaire Bourassa pour cette infraction qui avait aussi vécu des difficultés personnelles au moment des manquements.
[66] Par ailleurs, le Conseil prend en compte que les sommes dues au gouvernement ont été remboursées dans le cadre d’un règlement avant le dépôt de la présente plainte. Il note cependant que ce règlement est intervenu après que l’Agence du revenu du Québec a dû intenter de nombreuses procédures contre l’intimé, dont une requête en faillite en février 2015 et la pression médiatique qui a mis au grand jour le comportement fautif de ce dernier.
Facteurs subjectifs
[67] Les facteurs subjectifs sont liés à la personnalité de l’avocat.
[68] Il est donc nécessaire de prendre en compte, comme facteurs atténuants, le plaidoyer de culpabilité de l’intimé à la première occasion, sa longue expérience professionnelle, l’absence d’antécédents disciplinaires, sa collaboration avec le Bureau du syndic et son apport important à l’essor de la profession.
[69] Le Conseil doit également considérer les graves problèmes de santé de l’intimé qui ont perturbé sa vie professionnelle et personnelle pendant plusieurs années. Le Conseil accorde une grande crédibilité au témoignage sincère de l’intimé et ne peut que se réjouir que ces années de noirceur soient enfin derrière lui.
[70] Mais, comme le souligne la plaignante, la maladie ne peut tout occulter.
[71] L’intimé a négligé trop longtemps de prendre les moyens nécessaires pour mettre de l’ordre dans ses finances et sa comptabilité. Il a laissé perdurer une situation qui l’a mené devant les tribunaux et le Conseil. Il reconnaît d’ailleurs qu’en 2014, alors que son état de santé était maîtrisé depuis 2012, il aurait pu éviter que la situation dégénère et régler son dossier avec l’Agence du revenu du Québec.
[72] Le Conseil ne croit pas qu’il y ait risque de récidive après avoir entendu le témoignage de l’intimé considérant notamment les mesures qu’il a prises pour maintenir une comptabilité conforme aux exigences de la profession.
[73] Cela dit, comme l’a établi la Cour d’appel dans Marston c. Autorité des marchés financiers[15] en reprenant les propos de l’auteur Pierre Bernard dans son article « La sanction en droit disciplinaire : quelques réflexions »[16], les facteurs subjectifs ne doivent pas prévaloir sur la gravité objective de l’infraction :
« [68] Plus loin, l’auteur ajoute :
En ce sens, un comité de discipline a amorcé une réflexion qui peut s’avérer intéressante pour nous. En effet, dans Avocats (Corp. professionnelle des) c. Schneiberg le comité de discipline disait :
Les facteurs subjectifs doivent être utilisés avec soin. On ne doit pas leur accorder une importance telle qu’ils prévalent sur la gravité objective de l’Infraction puisqu’ils portent sur la personnalité de l’intimé alors que la gravité objective porte sur l’exercice de la profession.
(…)
Pour parvenir à une décision sur la sanction, avant donc de l’individualiser en lui appliquant les facteurs, il faut considérer :
- la finalité du droit disciplinaire, c’est-à-dire la protection du public. Cette protection est en relation avec la nature de la profession, sa finalité et avec la gravité de l’infraction;
- l’atteinte à l’intégrité et à la dignité de la profession;
- la dissuasion qui vise autant un individu que l’ensemble de la profession;
- l’exemplarité.
Cet exercice est donc antérieur à l’individualisation.
Cette nécessité de s’intéresser d’abord à l’infraction comme telle et ensuite seulement à la personnalité du professionnel trouve un appui important dans les commentaires que faisait Me Mario Goulet, qui disait ceci dans son volume au sujet des critères subjectifs :
Dans un domaine du droit administratif qui vise à protéger le public et non à punir, la gravité objective d’une faute donnée ne devrait jamais être subsumée au profit des circonstances atténuantes relevant davantage de la personnalité du praticien que de l’exercice de sa profession. »
[74] À la lumière des critères applicables et des circonstances propres à cette affaire, le Conseil est d’avis qu’une période de radiation d’un mois est juste et appropriée et n’a pas pour effet de punir l’intimé[17]. Cette sanction n’est ni trop clémente ni trop sévère. Elle est d’ailleurs conforme à la décision du Tribunal des professions Bourassa c. Gareau[18], dont les faits se rapprochent le plus du cas à l’étude.
B) Un avis de radiation doit-il être publié dans un journal circulant dans le lieu où l’intimé a son domicile professionnel?
[75] Comme le mentionnait le Conseil de discipline du Barreau dans l’affaire Guillaume[19] :
« [90]
L’avis de publication de la décision est la règle lorsqu’il y a imposition
d’une radiation temporaire en vertu de l’article
[91] Cette publication ne constitue pas une sanction disciplinaire à la conduite de l’intimée, mais bien une conséquence à cette conduite fautive.
[92] La jurisprudence nous enseigne cependant que, pour des raisons exceptionnelles, le Conseil peut ordonner que l’avis de la décision ne soit pas publié.
[93] Dans l’affaire Pellerin c. Avocats (Ordre professionnel des)[20], le Tribunal des professions s’exprime ainsi à ce sujet :
[27] Il importe de rappeler que le principal but de la publication d’un avis de la décision est la protection du public et qu’en l’absence de circonstances exceptionnelles, la jurisprudence constante établit qu’elle sera ordonnée (références omises).
[28] L’objectif de protection du public comporte deux volets, à savoir :
- La nécessité d’informer le public que les comités de discipline veillent à sa protection;
- La nécessité d’informer le public qu’un professionnel ne peut pas, pendant une certaine période, exercer sa profession ou que son exercice est limité, de manière à éviter que des mandats lui soient confiés.
[29] La discrétion conférée aux comités de discipline au 5°alinéa de l’article 156 relativement à la décision de faire publier ou non l’avis de radiation doit être exercée judicieusement, en tenant compte de l’ensemble de la preuve administrée, en gardant à l’esprit la finalité de cette disposition mais aussi en soupesant les répercussions non seulement envisageables ou appréhendées mais probables pour le professionnel.
[30] Lorsqu’il est question de circonstances exceptionnelles, chaque cas doit être étudié en fonction des faits qui lui sont propres.
[Nos soulignements]
[94] Le Conseil de discipline doit donc, à la lumière des faits de chaque cas, décider si la protection du public commande la publication d’un avis de la décision en prenant en considération que l’intérêt public doit primer sur l’intérêt privé du professionnel. »
[76] Le Conseil comprend que l’intimé et sa famille ont souffert de la médiatisation des démêlés avec l’Agence du revenu du Québec et que l’intimé craint que la publication de l’avis de radiation lui cause encore plus de tort.
[77] Cependant, cela ne suffit pas à convaincre le Conseil que nous sommes en présence de circonstances exceptionnelles justifiant une dispense de publication.
[78] Le Conseil est d’avis qu’il est important que le public soit informé que l’intimé s’est vu imposer une période de radiation d’un mois pour l’infraction qu’il a commise. Le public doit savoir que le système disciplinaire est là pour le protéger et que le statut de Bâtonnier du Québec de l’intimé ne change rien à l’importance de cette mission. Le maintien de la confiance du public dans le système disciplinaire en dépend.
[79] Cette publication démontrera au surplus que l’intimé a effectivement assumé la responsabilité de ses gestes et a reçu une sanction en conséquence. Cette étape sera la fin de cet épisode malheureux.
[80] Après cette période de radiation, l’intimé pourra de nouveau mettre au profit de la société et de la communauté juridique son talent et son engagement envers la profession.
POUR CES MOTIFS, LE CONSEIL, UNANIMEMENT, LE 29 NOVEMBRE 2016 :
A DÉCLARÉ l’intimé coupable du seul chef de la plainte déposée contre lui.
ET CE JOUR :
IMPOSE une période de radiation temporaire de 1 mois;
DÉCIDE qu’un avis de la
présente décision soit publié dans un journal circulant dans le lieu où
l’intimé a son domicile professionnel, conformément à l’article
CONDAMNE l’intimé au paiement des déboursés, incluant les frais de publication de l’avis de la présente décision.
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__________________________________ Me MARIE-JOSÉE CORRIVEAU Présidente
__________________________________ Me LUC R. GERVAIS Membre
__________________________________ Me JEAN-FRANÇOIS MERCURE Membre |
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Me Brigitte Nadeau, syndique adjointe du Barreau du Québec Partie plaignante
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Me Giuseppe Battista Avocat de la partie intimée
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Date d’audience : |
29 novembre 2016 |
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[1]
[2]
2012 CanLII 86330 (QC CDNQ);
[3] 2016 QCTP 147.
[4] 2000 QCTP 029.
[5]
[6]
[7]
Pellerin c. Avocats (Ordre professionnel des),
[8] Précité note 6.
[9]
Barreau du Québec (syndic adjoint) c. Mayer,
[10]
[11]
David c. Bergeron, ès qualités (denturologistes),
[12] Précité note 10.
[13]
Précité note 2,
[14] Précité note 3.
[15] Précité note 1.
[16] Développements récents en déontologie, droit professionnel et disciplinaire, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2004, p.87-88.
[17] Sylvie POIRIER, La discipline professionnelle au Québec, Les Éditions Yvon Blais, Cowansville, 1998, aux pages 172 et 173.
[18] Précité note 3.
[19] 2016 QCCDBQ 35 (CanLII).
[20]
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.