Blais et Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique |
2018 QCTAT 472 |
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[1] Le 20 septembre 2016, monsieur Jacques Blais (le travailleur) dépose un acte introductif au Tribunal administratif du travail (le Tribunal) par lequel il conteste une décision rendue le 15 septembre 2016 par la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (la Commission) à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la Commission confirme celle qu’elle a initialement rendue le 17 mai 2016 et déclare que le travailleur n’est pas atteint, en raison de la lésion professionnelle du 4 février 2003, d’une invalidité grave et prolongée au sens de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) et que la Commission n’a pas à assumer la part des cotisations de la Compagnie de Chemin de fer Canadien Pacifique (l’employeur) au régime de retraite du travailleur.
[3] Les parties ont renoncé à la tenue d’une audience prévue le 30 octobre 2017 et ont fait parvenir une argumentation écrite au soutien de leurs prétentions.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Le travailleur demande au Tribunal de déclarer qu’il a droit à l’application des articles 93 et 116 de la loi et que la Commission doit assumer les cotisations de l’employeur dans son régime de retraite.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[5] Le Tribunal doit déterminer si la Commission doit assumer les cotisations de l’employeur dans le régime de retraite du travailleur.
[6] Le 29 janvier 2016, le travailleur fait une demande écrite à la Commission pour demander qu’elle assume la part de l’employeur dans son régime de retraite en appliquant l’article 116 de la loi, qui indique ce qui suit :
116. Le travailleur qui, en raison d’une lésion professionnelle, est atteint d’une invalidité visée dans l’article 93 a droit de continuer à participer au régime de retraite offert dans l’établissement où il travaillait au moment de sa lésion.
Dans ce cas, ce travailleur paie sa part des cotisations exigibles, s’il y a lieu, et la Commission assume celle de l’employeur, sauf pendant la période où ce dernier est tenu d’assumer sa part en vertu du paragraphe 2° du premier alinéa de l’article 235.
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1985, c. 6, a. 116.
[7] Dans sa demande, le travailleur est d’avis qu’il rencontre les critères de l’article 93 de la loi qui donnent ouverture à cette application.
93. Une personne atteinte d’une invalidité physique ou mentale grave et prolongée est considérée invalide aux fins de la présente section.
Une invalidité est grave si elle rend la personne régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice.
Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement entraîner le décès ou durer indéfiniment.
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1985, c. 6, a. 93.
[8] D’emblée, le Tribunal est d’avis que le travailleur n’a pas droit à l’application de l’article 116 de la loi.
[9] Il y a lieu pour le Tribunal de faire un rappel des faits pertinents de notre affaire.
[10] Le travailleur est né en 1964 et il occupe un emploi d’« homme de cour » pour l’employeur. Le 4 février 2003, il subit une lésion professionnelle lorsqu’il tente de monter dans un wagon de train en marche. Sa réclamation est acceptée par la Commission et la lésion professionnelle du travailleur sera consolidée avec une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles importantes.
[11] Le 31 août 2007, la Commission des lésions professionnelles rend une décision dans laquelle elle reconnaît un diagnostic psychique qui est consolidé le 24 mai 2006 avec une atteinte permanente et une limitation fonctionnelle qui empêche le travailleur de retourner travailler dans le même environnement de travail où il a subi sa lésion professionnelle initiale.
[12] Le 2 mai 2008, le travailleur est victime d’un accident d’automobile. Cet accident est reconnu par la Commission et par la Société de l’assurance automobile du Québec à la suite d’une réclamation du travailleur.
[13] De façon concomitante, le 4 septembre 2008, la Commission rend une décision par laquelle elle déclare qu’après avoir procédé au processus de réadaptation, il est impossible de déterminer un emploi convenable pour le travailleur. Les notes évolutives du 27 août 2008 à ce sujet indiquent ce qui suit :
Considérant les 2000 jours sans succès de retour au travail;
Considérant les limitations fonctionnelles importantes au niveau physique;
Considérant le pourcentage d’atteinte permanente;
Considérant la scolarité limitée du travailleur et son unilinguisme anglophone;
Considérant la judiciarisation du dossier et les nombreuses demandes de RRA déposées;
Considérant l’isolement social de M. Blais, la persistance des céphalées et des problèmes de concentration;
Considérant l’observation de M. Figueroa, conseiller en orientation, qui évalue la situation d’emploi de M. Blais comme précaire;
Considérant que le travailleur demeure centré sur les douleurs et qu’il est en traitement pour un accident d’auto;
Nous concluons qu’il est présentement impossible d’identifier un emploi convenable et, par conséquent, nous recommandons l’application de l’article 47 de la LATMP. [sic]
[14] La Commission rend une décision selon laquelle le travailleur est incapable d’exercer son emploi ou un emploi convenable en vertu de l’article 47 de la loi, qui se lit comme suit :
47. Le travailleur dont la lésion professionnelle est consolidée a droit à l’indemnité de remplacement du revenu prévue par l’article 45 tant qu’il a besoin de réadaptation pour redevenir capable d’exercer son emploi ou, si cet objectif ne peut être atteint, pour devenir capable d’exercer à plein temps un emploi convenable.
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1985, c. 6, a. 47.
[15] Il y a lieu pour le Tribunal de traiter de la distinction entre la notion de capacité d’un travailleur à occuper un emploi et celle d’un travailleur invalide au sens de l’article 93 de la loi.
[16] Il y a également lieu de noter que le 28 avril 2011, la Commission des lésions professionnelles a rendu une décision par laquelle elle déclare qu’à la suite de l’accident d’automobile du travailleur, son atteinte permanente à l’intégrité psychique a augmenté.
[17] Dans son argumentation écrite, le représentant du travailleur soumet, en se référant à une décision rendue par le Tribunal[2], par laquelle il a été reconnu que l’incapacité d’un travailleur au sens de l’article 47 de la loi rencontre les critères énumérés aux articles 93 et 116 de la loi, qu’il faut faire droit à la demande du travailleur.
[18] Le Tribunal ne partage pas ce point de vue. Au contraire, le Tribunal croit qu’il y a deux raisons pour lesquelles on ne peut faire droit à la demande du travailleur.
[19] Dans un premier temps, concernant la notion d’invalidité du travailleur telle qu’elle est décrite à l’article 93 de la loi, la jurisprudence majoritaire[3] du Tribunal a longtemps fait une distinction entre cette invalidité et celle de l’incapacité d’un travailleur d’occuper un emploi rémunérateur au sens de l’article 47 de la loi.
[20] En effet, le Tribunal a longtemps statué que pour reconnaître au travailleur une invalidité grave au sens de l’article 93 de la loi, il doit être incapable de faire son travail pour des motifs strictement reliés à sa lésion professionnelle.
[21] Or, dans notre affaire, la Commission a déterminé que le travailleur était incapable d’occuper un emploi rémunérateur pour plusieurs motifs au-delà de ceux directement rattachés à sa lésion professionnelle. Notamment, son unilinguisme anglophone et sa faible scolarisation.
[22] Il est vrai que le travailleur a subi un accident d’automobile le 2 mai 2008 qui a aggravé sa lésion professionnelle, mais de l’avis du Tribunal, ce fait n’a aucune incidence sur l’application des critères de l’article 93 de la loi.
[23] Dans un deuxième temps, le Tribunal doit attirer l’attention sur le fait que le travailleur a attendu huit ans après que la Commission ait déclaré qu’il n’avait pas la capacité d’occuper un emploi avant de faire sa demande pour l’application des articles 93 et 116 de la loi.
[24] Dans l’affaire Barber et Peintre & Décorateur HW inc. précitée[4], le Tribunal a expliqué ce qui suit :
[31] La Commission des lésions professionnelles constate qu’il n’y a pas de délai prévu à l’article 116 de la loi. Par contre, la jurisprudence est à l’effet qu’un travailleur qui veut bénéficier des dispositions de l’article 116 se doit d’aviser la CSST dans un délai raisonnable3. Dans l’affaire Sylvain Ouellet et Constructeurs GPC inc., le commissaire conclut à ce sujet :
Comme par ailleurs l’article 116 se trouve à être un prolongement de l’article 235 et que dans son texte le législateur a employé des termes similaires, tels celui de « continuer à participer au régime de retraite offert », il faut bien conclure que les mêmes règles demeurent applicables et, qu’en conséquence, un travailleur qui veut bénéficier des dispositions de l’article 116 doit aviser, dans un délai raisonnable, la CSST qu’il désire toujours contribuer à son régime de retraite et offrir les cotisations exigibles, le tout à la fin de la période prévue à l’article 240 dans lequel se retrouve le travailleur eut égard au nombre d’employés dans l’entreprise.
[32] Entre le moment où le travailleur s’est vu déclarer incapable de reprendre le travail dans le cadre de la réadaptation et la demande du 17 juin 2004, il s’est écoulé environ 14 ans. Durant toute cette période, le travailleur ne s’est pas prévalu des dispositions précitées alors qu’il se savait dans l’impossibilité de reprendre le travail.
[33] En l’espèce, aucune explication n’a été fournie si ce n’est que le travailleur n’avait pas été informé à l’époque de ses droits. Or, il est clairement reconnu par la jurisprudence que l’ignorance de la loi ne constitue pas un motif raisonnable permettant de relever le travailleur de son défaut en vertu de l’article 352 de la loi.
[Note omise]
[25] Le Tribunal partage entièrement cet avis. En effet, aucune preuve n’a été présentée lors de l’audience voulant démontrer que le travailleur aurait continué à verser ses prestations dans son régime de retraite tel que l’exige l’article 116 de la loi.
[26] Sur ce sujet, le Tribunal est d’avis que le libellé de cet article est clair. Le travailleur doit payer sa part de cotisations dans son régime de retraite et la Commission doit verser la part de l’employeur, à condition que le travailleur rencontre les critères énumérés à l’article 93 de la loi, ce qui, comme l’a déjà déterminé le Tribunal, n’est pas le cas en l’espèce.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL :
REJETTE la contestation de monsieur Jacques Blais, le travailleur;
CONFIRME la décision rendue par la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail le 15 septembre 2016 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le travailleur ne peut bénéficier des dispositions de l’article 116 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
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Marco Romani |
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M. Éric Marsan |
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LÉGER & MARSAN, ASSOCIÉS |
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Pour la partie demanderesse |
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M. Olivier Tremblay |
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CLINIQUE DE MÉDECINE INDUSTRIELLE ET PRÉVENTIVE DU QUÉBEC INC. |
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Pour la partie mise en cause |
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Me Marie-Douce Fugère |
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PAQUET TELLIER |
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Pour la partie intervenante |
[1] RLRQ, c. A-3.001.
[2] Guilbault et CLSC - CH - CHSLD des Forestiers, C.L.P. 225409-07-0401, 20 mai 2004, S. Lemire.
[3] Barber et Peintre & Décorateur HW inc., C.L.P. 254505-72-0502, 31 mars 2006, S. Arcand; Dumont et Cégep Lévis-Lauzon, C.L.P. 329479-03B-0710, 31 mars 2009, R. Savard; Turcotte et Centre Hospitalier de Sherbrooke, C.L.P. 387619-05-0908, 19 mars 2010, M.-C. Gagnon; Blouin et Lac d’Amiante du Québec ltée, 2013 QCCLP 1029; Dostie et Métallurgie Castech inc., 2014 QCCLP 2535.
[4] Précitée, note 3.
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