Léger et Montupet ltée |
2009 QCCLP 4097 |
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[1] Le 2 avril 2008, monsieur Serge Léger (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 14 mars 2008 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 19 décembre 2007 et déclare que le travailleur n’a pas subi de lésion professionnelle et qu’il n’a pas droit aux prestations prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).
[3] L’audience s’est tenue le 24 février 2009 à Valleyfield, région de Salaberry-de-Valleyfield, en présence du travailleur qui était représenté. Montupet ltée (l'employeur) était présent et représenté.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’il a subi une lésion professionnelle et qu’il a droit aux prestations prévues par la loi.
[5] L’employeur soumet que le travailleur ne pouvait présenter de réclamation à la CSST pour une lésion professionnelle puisqu’un reçu « Quittance et transaction », effectué le 8 décembre 2008, stipule que le travailleur, en contrepartie du versement d’une somme d’argent, donnait quittance finale et intégrale à la compagnie, ses administrateurs, officiers et employés, pour toute action ou droit d’action, plainte, grief, poursuite de quelque nature que ce soit, que l'employé a, avait ou pourrait avoir maintenant ou à l’avenir, découlant directement ou indirectement de son emploi ou de la terminaison dudit emploi.
L’AVIS DES MEMBRES
[6] Conformément à l’article 429.50 de la loi, le commissaire soussigné a obtenu l’avis des membres sur la question faisant l’objet de la contestation.
[7] Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis que la réclamation du travailleur doit être rejetée, car les dispositions de l’article 29 de la loi ne sont pas rencontrées, la preuve ayant démontré qu’il n’y avait pas de cadence d’imposée, que le travailleur bénéficiait d’un temps de repos, qu’il n’avait pas de manipulations constantes à effectuer, que sa lésion est bilatérale et qu’il présentait de la douleur avant son événement accidentel.
[8] Le membre issu des associations syndicales est d’avis d’accueillir la requête en contestation du travailleur pour les motifs que la douleur est apparue graduellement au cours de son emploi sur une période de sept à huit mois, douleur qui s’est mise en place doucement, que la douleur du côté gauche a entraîné des douleurs au côté droit, que les gestes effectués mettaient en tension les épaules qui doivent travailler en même temps, ce qui explique que le travailleur a une lésion professionnelle aux deux membres supérieurs et que le travailleur, même s’il était porteur d’une condition personnelle, doit bénéficier des dispositions de l’article 28 de la loi.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[9] Dans sa prise de décision, la Commission des lésions professionnelles a tenu compte de l’avis des membres, de l’ensemble de la preuve documentaire au dossier, des documents déposés à l’audience, des témoignages du travailleur et de monsieur Thibault Modyevnski ainsi que de l’argumentation des parties.
[10] Au soutien de sa décision, la Commission des lésions professionnelles réfère aux éléments de preuve, tant documentaire que testimoniale, pertinents à la détermination des questions en litige.
[11] À une date qu’il n’est pas possible de préciser, le travailleur consulte le docteur Leduc qui pose un diagnostic de tendinite à l’épaule gauche, prescrit des traitements et des travaux légers. La date de l’événement indiquée est le 28 septembre 2007.
[12] Le 4 octobre 2007, le travailleur présente une réclamation à la CSST dans laquelle il indique qu’il a de la douleur à l’épaule gauche depuis environ huit mois, que cette douleur ne l’empêche pas de travailler mais que depuis le 28 septembre, la douleur a augmenté et son médecin a diagnostiqué une tendinite. Le travailleur complète le formulaire Annexe à la réclamation du travailleur pour maladie professionnelle et mouvements répétitifs qui révèle que le travailleur doit utiliser une fraiseuse, une meneuse, un marteau et un « punch » durant son quart de travail qui est de dix heures et demie par jour. Il est mentionné que le travailleur a consulté en raison de cette lésion les 1er, 12 et 26 octobre 2007, que les gestes effectués nécessitent la flexion de l’épaule, l’abduction de l’épaule, la manipulation d’objets de gauche à droite et qu’il exécute ces gestes dans une fréquence de une à vingt-cinq fois à l’heure pendant cinq secondes de temps et que le poids à soulever est d’environ 10 livres.
[13] Le travailleur consulte régulièrement en raison de cette lésion et le diagnostic de tendinite de l’épaule gauche est maintenu.
[14] Précisons que le travailleur a été autorisé à une assignation temporaire.
[15] Le tribunal reprend ainsi la description des tâches rapportées par la révision administrative et qui est conforme à celle entendue devant le tribunal :
Le travailleur est opérateur de finition chez l'employeur depuis environ un an. Il est droitier et travaille 40 heures par semaine, sur des quarts de travail de 12 heures. Il dispose de 2 pauses de 15 minutes et 2 pauses de 30 minutes par quart de travail.
Sur la réclamation du travailleur datée du 4 octobre 2007, il explique qu’il a de la douleur à l’épaule gauche depuis environ 8 mois. Cette douleur ne l’empêchait pas de travailler mais depuis le 28 septembre 2007, la douleur a beaucoup augmenté.
Son travail consiste à enlever les bavures sur les pièces de métal suite au démoulage. Il travaille debout devant une table qui lui arrive juste au-dessus de la ceinture et porte des gants pour effectuer ses tâches.
Il prend les pièces pesant entre 15 et 20 livres, à l’aide d’un marteau et d’un pic. Il tient le pic de la main gauche alors qu’il manipule le marteau de la main droite. Il doit à l’occasion, pendant cette opération, tourner la pièce sur laquelle il travaille.
Par la suite, il utilise une meuleuse lisse. De la main droite, il dirige la meuleuse en tenant le manche alors que de la main gauche, il tient une poignée afin d’agripper le métal.
Finalement, il utilise une fraiseuse qui lui permet d’atteindre les endroits plus difficiles. Sa posture est alors similaire à la posture adoptée à la meuleuse.
Le temps alloué à chacune des pièces varie selon la quantité de bavures à enlever et en moyenne, il travaille sur environ 150 pièces par quart de travail. À l’occasion, il doit fait (sic) le tour des tables afin de recueillir le nombre de pièces faites, cette opération est effectuée à toutes les heures et prend environ 5 minutes.
Le travailleur ressent des malaises aux épaules depuis 7 à 8 mois lorsqu’il les déclare à son employeur au mois de septembre 2007.
Le 1er octobre 2007, il consulte un médecin qui diagnostique une tendinite de l’épaule gauche. Ce diagnostic est maintenu lors des consultations médicales subséquentes.
Le travailleur soumet à la Révision administrative que les douleurs ont commencé à apparaître aux alentours du mois d’avril 2007. Il explique qu’il n’a manqué aucune journée de travail, en raison de ses malaises, avant le 28 septembre 2007.
Il rapporte qu’il a pris des anti-inflammatoires et des analgésiques afin d’atténuer la douleur puisque le 1er octobre 2007, voyant que la douleur continuait de s’accroître, il est allé consulter un médecin.
[…]
En effet, la Révision administrative considère que même si le travailleur répète certains mouvements qui sollicitent l’épaule gauche, au cours de sa journée de travail, tel qu’à l’occasion des mouvements de flexion de l’épaule lorsqu’il manipule les pièces, il ne s’agit pas de répétitions de mouvements ou des pressions sur des périodes de temps prolongées.
En fait, son travail comporte une variété de tâches sollicitant des structures anatomiques distinctes. L’exécution des tâches implique le repos de ces structures lorsque le travailleur passe d’une tâche à une autre.
De même, l’absence de cadence et la fréquence peu élevée des mouvements sollicitant l’épaule gauche au cours du quart de travail ainsi que l’absence d’effort ne permettent pas d’établir qu’il s’agit de répétitions de mouvements ou de pressions sur des périodes de temps prolongées.
[16] Le tribunal a bénéficié d’une démonstration des gestes effectués par le travailleur ainsi que des photos démontrant les outils que le travailleur doit utiliser. Les gestes décrits à l’audience et rapportés nous démontrent que le travailleur est devant une table de travail qui arrive environ au niveau de sa ceinture, qu’il a les bras toujours un peu en élévation, cette élévation est considérée légère mais elle nécessite la mise en tension de ses épaules et qu’il doit effectuer les différentes tâches nécessaires à son travail directement sur sa table de travail. Par la suite, il doit déposer la pièce sur le convoyeur.
[17] L’employeur dépose à l’audience l’horaire de travail du travailleur qui démontre que ce dernier travaille sur une longue période avec des périodes de congé importantes entre chaque période de travail ainsi que plusieurs autres documents, notamment les politiques indiquant aux travailleurs de l’entreprise qu’ils doivent dès que possible déclarer les accidents de travail dont ils sont victimes.
[18] L’employeur a déposé un reçu « Quittance et transaction » dans lequel le travailleur renonce à son droit au septième paragraphe :
En considération de ce qui précède et sous réserve du paiement des montants dus en vertu des présentes, l’Employé donne ainsi quittance finale et intégrale à la Compagnie, ses administrateurs, officiers, employés, préposés, agents et mandataires et à toute autre compagnie liée ou affiliée à Montupet Ltée pour toute action ou droit d’action, plainte, grief, poursuite de quelque nature que ce soit, que l’Employé a, avait ou pourrait avoir maintenant ou à l’avenir, découlant directement ou indirectement de son emploi ou de la terminaison dudit emploi y compris, sans s’y limiter, toute réclamation en dommages-intérêts, salaire, indemnité de cessation d’emploi ou préavis de terminaison d’emploi, boni, paiement incitatif, indemnité de vacances, assurance-salaire, prestations d’invalidité long terme ou autres réclamations d’assurances collectives, ou en vertu du régime de retraite ainsi que tout autre bénéfice.
[19] Le tribunal constate que l’engagement du travailleur ne concerne pas les réclamations pour maladie professionnelle. De plus, les dispositions de l’article 4 de la loi prévoient :
4. La présente loi est d'ordre public.
Cependant, une convention ou une entente ou un décret qui y donne effet peut prévoir pour un travailleur des dispositions plus avantageuses que celles que prévoit la présente loi.
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1985, c. 6, a. 4.
[20] Ces dispositions font en sorte que la loi est d’ordre public et personne ne peut renoncer aux dispositions de la loi, sauf pour des dispositions plus avantageuses que celles prévues par la loi. De plus, les sommes qui ont été versées et qui apparaissent aux paragraphes 4 et 5 de la transaction consistent à un montant forfaitaire brut qui correspond à l’indemnité de préavis restante pour la période du 2 janvier 2009 au 11 février 2009 alors que le versement de la somme de 13 415,73 $ correspond au boni de rétention dû à l’employé. Il est bien évident que ce reçu-quittance et transaction vise tout ce qui concerne les réclamations pour les sommes reliées à son emploi et non pas pour une réclamation en raison d’une lésion professionnelle. L’argument de l'employeur sur cette question doit être écarté.
[21] La transaction ne fait pas mention que le travailleur renonce à toute réclamation en raison d’une lésion professionnelle. Il aurait été nécessaire que ce renoncement soit clairement établi, de façon précise et non équivoque. Ce qui n’est pas le cas en l’espèce, le travailleur n’ayant donné quittance que pour les avantages pécuniaires reliés à son emploi, et non à ceux découlant d’une lésion professionnelle donnant ouverture aux prestations prévues par la loi. Une réclamation pour une lésion professionnelle constitue un droit personnel au travailleur, et est indépendant de son contrat de travail, d’une disposition de la convention collective, ou de toute autre loi ou règlement enrobant les relations de travail.
[22] Ne demeure donc que la question à savoir si le travailleur a subi une lésion professionnelle dans le cadre de son emploi.
[23] La preuve est à l’effet que le travailleur dois effectuer de façon répétée, des gestes mettant à contribution ses membres supérieurs, nécessitant la mise en tension de l’épaule, même s’il s’agit de gestes avec des outils différents pour des tâches et des fonctions qui diffèrent d’une tâche à l’autre, il s’agit toujours de l’utilisation des membres supérieurs, avec la mise en tension de l’épaule. Le médecin qui a charge du travailleur établit la relation entre son travail et les gestes qu’il effectue. Ce qui permet de reconnaître que le travailleur présente une lésion professionnelle en vertu des dispositions de l’article 2 de la loi :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :
« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;
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1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1.
[24] Malgré le fait que le travailleur a des périodes de repos, celles-ci ne semblent pas avoir été suffisantes pour empêcher l’apparition de la lésion qui s’est installée de façon progressive. La manipulation d’une boîte de moteur, fut-il en aluminium, les outils, dont certains sont vibrants, utilisés de façon répétitive, explique l’apparition de la lésion professionnelle que le travailleur a présentée. Un geste répété aux cinq secondes constitue un geste répétitif. Même en l’absence de cadence imposée, les tâches doivent être effectuées au rythme de la production et aucune autre explication concernant l’apparition de la douleur du travailleur n’a été fournie alors que nous avons la preuve de gestes dans des positions qui mettent à contribution le site lésionnel.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de monsieur Serge Léger, le travailleur;
INFIRME la décision rendue par la Direction de la révision administrative le 14 mars 2008;
DÉCLARE que monsieur Serge Léger a subi une lésion professionnelle le 28 septembre 2007, et qu’il a droit aux prestations prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
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Simon Lemire |
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M. Éric Gravelle |
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T.C.A. (local 698) |
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Représentant de la partie requérante |
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Me Stéphanie Laurin |
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Le Corre Associés, avocats |
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Représentante de la partie intéressée |
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AVIS :
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