Décision

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Services immobiliers Diane Bisson inc. c. Société en commandite Place Mullins

2013 QCCA 868

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

N° :

500-09-021709-118

(500-17-044643-081)

 

DATE :

 10 MAI 2013

 

 

CORAM :

LES HONORABLES

FRANÇOIS PELLETIER, J.C.A.

JACQUES R. FOURNIER, J.C.A.

CLAUDE C. GAGNON, J.C.A. (AD HOC)

 

 

SERVICES IMMOBILIERS DIANE BISSON INC.

APPELANTE - demanderesse

c.

 

SOCIÉTÉ EN COMMANDITE PLACE MULLINS

139612 CANADA INC.

INTIMÉES - défenderesses

 

 

ARRÊT

 

 

[1]           L’appelante se pourvoit contre un jugement rendu le 20 avril 2011 par la Cour supérieure, district de Montréal (l’honorable Marie-Anne Paquette), qui a rejeté sa requête introductive d'instance en recouvrement d'une rétribution d’agent d’immeubles s'élevant à 183 986,25 $.

[2]           Pour les motifs du juge Pelletier, auxquels souscrit le juge Claude C. Gagnon, la COUR :

[3]           ACCUEILLE le pourvoi;

[4]           CONDAMNE solidairement les intimées à payer à l’appelante 183 986,25 $, avec intérêts et indemnité additionnelle à compter du 25 juillet 2008, le tout avec les dépens tant en première instance qu’en appel;

[5]           Pour d’autres motifs, le juge Fournier aurait rejeté l’appel avec dépens.

 

 

 

 

FRANÇOIS PELLETIER, J.C.A.

 

 

 

 

 

JACQUES R. FOURNIER, J.C.A.

 

 

 

 

 

CLAUDE C. GAGNON, J.C.A. (AD HOC)

 

Me Pierre G. Champagne

De Grandpré Joli-Coeur

Pour l’appelante

 

Me Hanh Bao Lam

Hanh-Bao Lam, avocat

Pour les intimées

 

 

Date d’audience :

20 mars 2013



 

 

MOTIFS DU JUGE PELLETIER

 

 

[6]           De l'avis de la juge de première instance, l'appelante, Services immobiliers Diane Bisson inc. [ci-après la « courtière »] n'a pas droit à la rétribution qu'elle réclame à ses clientes, les intimées Société en commandite Place Mullins [ci-après Place Mullins ] et sa commanditée, 139612 Canada inc. En cours de contrat, la courtière a bel et bien obtenu d'un certain monsieur Douek, une offre d'achat que les intimées ont acceptée, mais la vente ne s'est pas réalisée sans que, selon la juge, ces dernières en soient responsables de quelque façon que ce soit. De là sa décision de rejeter la requête introductive d'instance.

[7]           Soit dit avec les plus grands égards, je ne suis pas d'accord avec l'analyse faite par la Cour supérieure ni avec la conclusion qu'elle a tirée. Avant d'élaborer sur les raisons qui sous-tendent mon désaccord, j'estime nécessaire de rappeler les faits essentiels à l'origine du litige.

Les faits

[8]           Le 19 septembre 2007, madame Martin et monsieur Fiorilli, principaux commanditaires de Place Mullins, signent un contrat de courtage exclusif confiant à la courtière le mandat de vendre l’immeuble de Place Mullins à Montréal.

[9]           Après quelques démarches infructueuses auprès d'acheteurs potentiels, la courtière obtient de monsieur Douek une promesse d'achat au montant de 3 260 000 $. Cette offre contient notamment les clauses suivantes :

4.0 OBLIGATIONS - DÉCLARATIONS ET AUTRES CONDITIONS

4.1-      Documents de propriété Le VENDEUR devra fournir : a) un bon titre de propriété libre de toutes charges et autres droits réels, sauf ceux déclarés aux présentes et sauf les servitudes usuelles d'utilité publique; b) tous les titres qu'il peut avoir en sa possession; […] et k) tous autres documents pertinents à la vérification diligente de l'immeuble.

4.14-   AUTRES CONDITIONS : Suivant l'acceptation de cette Promesse d'achat, l'ACHETEUR aura un délai de quinze (15) jours ouvrables, de la réception de tous les documents énumérés à l'article 4.1 de cette promesse d'achat, (que le VENDEUR s'engage à lui fournir dans les 48 heures de l'acceptation de la promesse d'achat) pour inspecter l'immeuble et vérifier les dépenses ainsi que les taux en vigueur, à son entière satisfaction et à son entière discrétion. S'il ne s'en trouve pas satisfait et qu'un avis écrit à cet effet est expédié par lettre recommandée au VENDEUR à l'adresse mentionnée ci-dessus ou à Services Immobiliers Diane Bisson inc., courtier immobilier agréé, avant l'expiration de ce délai, cette Promesse d'achat sera alors nulle et non avenue et l'acompte sera retourné immédiatement et en entier à l'ACHETEUR. Si aucun avis n'est donné à l'intérieur de ce délai, l'ACHETEUR sera alors considéré satisfait. Il est entendu que le VENDEUR permettra l'accès à l'immeuble et remettra tous les documents nécessaires à l'ACHETEUR immédiatement après l'acceptation de cette Promesse d'achat.

4.14.1  ÉTUDES ENVIRONNEMENTALES : L'acheteur fournira son étude environnementale.

[10]        Madame Martin et monsieur Fiorilli acceptent l'offre de sorte que monsieur Douek entreprend la vérification diligente et confie à un expert l'exécution de l'étude environnementale dont parle la clause 4.14.1 ci-dessus. Peu après, l'expert en question décèle la présence d'une contamination par hydrocarbures. Madame Martin fait exécuter un complément d'étude et s'enquiert des coûts d’une éventuelle décontamination. Elle obtient à cet égard une évaluation au montant de 75 314 $ plus taxes.

[11]        Malgré la présence avérée d'hydrocarbures, monsieur Douek réitère son intention d'acheter aux termes et conditions de la promesse. Il exige cependant que les intimées procèdent à la décontamination du terrain, ce à quoi ces dernières se refusent. Les parties négocient, Place Mullins offrant d'assumer les coûts à hauteur de 40 000 $, mais elles ne parviennent pas à trouver un terrain d'entente. Le 25 juillet 2008, monsieur Douek expédie une mise en demeure dans les termes suivants :

Le 22 juillet 2008

Société en commandite Mullins

Attention : Représentant dûment autorisé

Béatrice Martin, commandité administrateur et G. Fiorilli

2133 Notre-Dame de Grâce

Longueuil, Québec

 

Objet : Vente 1635-1645-1655 Mullins, l’acheteur s’en tient à sa promesse d’achat, acceptée, et avise qu’il n’a pas annulé sa promesse d’achat, les parties sont liées, par conséquent le vendeur ne peut actuellement vendre à un autre acheteur les dites propriétés

 

1.            Ce supplément est partie intégrante de la promesse d’acheter l’immeuble 1635-1645-1655 Mullins, Montréal, par David Douek et ou nominée le 29 novembre 2007 acceptée le 30 novembre 2007 par le vendeur Société en commandite Place Mullins et l’acheteur au prix de $3,269,000.

2.            Les parties ont signé une entente le 10 janvier 2008 à l’effet que la vérification diligente serait réduite à 7 jours suivant la livraison par le vendeur selon les normes du ministère de l’environnement d’un rapport environnemental phase 2.

3.            Or le vendeur a fourni à l’acheteur le 8 février 2008 une étude environnementale phase 2 (démontrant la contamination environnementale des propriétés).

4.            L’acheteur a signé le 11 février un document disant que la vérification diligente reprendra en date de la production par le vendeur d’un rapport de conformité des propriétés aux normes environnementales.

5.            Le 25 avril l’acheteur a signé un document réitérant qu’il s’en tient à la promesse d’achat signée et acceptée par les parties à savoir que a) le vendeur est lié à ladite promesse d’achat et b) le vendeur doit rendre la propriété conforme aux normes du ministère de l’environnement et fournir à l’acheteur un rapport environnemental à cet effet.

6.            Suivant l’exécution de la clause 5 par le vendeur, la vérification diligente reprendra son cours. Le vendeur devra organiser l’accès aux immeubles et aux logements pour l’acheteur ou ses représentants pendant toute la durée de 7 jours et fournir tout nouveau document pertinent à la vérification diligente tel le registre des baux à jour.

 

En conséquence le vendeur est lié à ladite promesse d’achat acceptée entre les parties tant et aussi longtemps qu’il n’aura pas fourni à l’acheteur des propriétés conformes soit décontaminées avec rapport à l’appui et permettant ainsi à ce dernier de terminer sa vérification diligente. Il va de soi que le vendeur ne peut vendre à un autre acheteur étant déjà lié à ladite promesse d’achat.

 

Acheteur : _(S) __________________

                  David Douek et ou nominé

 

Ce   22 ième jour de juillet 2008

 

(S) Diane Bisson___________________________________________________

Témoin Diane Bisson, Services Immobiliers Diane Bisson, ce, 22ième jour de juillet 2008

                                                                                               [reproduction intégrale]

[12]        Les intimées n'obtempèrent pas tant et si bien que la transaction envisagée avorte. Le 3 février 2009, après l’expiration du contrat exclusif de la courtière, l'immeuble est vendu à un tiers au prix de 3 400 000 $. Dans l'acte de vente, le vendeur déclare notamment ce qui suit :

Il n'a reçu aucun avis d'une autorité compétente à l'effet que l'immeuble n'est pas conforme aux règlements et lois en vigueur, sauf en ce qui a trait à la problématique ayant existé concernant la contamination du sol d'une partie des immeubles ci-dessus désignés et vendus. À cette fin, le vendeur reconnaît avoir remis une somme de soixante-quinze mille dollars ($ 75,000.00) à l'entreprise Écogestion, pour des travaux de décontamination. Ce paiement, ainsi que la signature des présentes constituent désormais entre le vendeur et l'acquéreur une transaction au sens des articles 2631 et suivants du Code civil du Québec et de ce fait, l'acquéreur renonce désormais de façon expresse à exercer contre le vendeur tous recours en cette matière.

                                                                                                  [soulignement ajouté]

Le jugement attaqué

[13]        La juge campe le débat dans les termes que voici :

[21]      Il est acquis au débat que Mme Bisson a trouvé le Promettant acheteur et que la vente à ce dernier n'a pas eu lieu pour la seule raison que Place Mullins a refusé d'assumer les coûts de décontamination de l’Immeuble. L’obligation de payer la commission réclamée dépend donc uniquement de la réponse aux questions ci-après :

A.   Une « entente visant à vendre l’Immeuble » a-t-elle été présentée pendant la durée de l’Entente de courtage, déclenchant ainsi l’obligation de payer la commission à l’agent?

B.   Place Mullins avait-elle l’obligation de corriger à ses frais le problème de contamination découvert après l’acceptation de la Promesse d’achat?

C. L'obligation de payer la commission a-t-elle son plein effet ici, parce que Place Mullins empêche la réalisation d'une condition de la Promesse d'achat acceptée?

[14]        Elle répond négativement à la première question. Selon elle, tant que la condition dont est assortie une offre acceptée n'est pas levée, il n'y a pas de vente et le régime des garanties légales attachées à la vente ne s'applique pas[1].

[15]        Relativement à la seconde, elle souligne que la promesse d'achat acceptée n'inclut aucun engagement des intimées à corriger à leurs frais le problème de contamination découvert dans le cours de ce qu'elle estime être la vérification diligente. À l'étape de la promesse d'achat, les intimées n'auraient donc pas été tenues de procéder à la décontamination. Elle distingue de plus le cas à l'étude de celui de Racicot c. Mercier[2], une affaire dans laquelle il s'était révélé que le vendeur ne possédait pas de droits sur une lisière adjacente au terrain faisant l'objet d'une promesse de vente acceptée.

[16]        La juge de première instance conclut aussi à la bonne foi des intimées, celles-ci ayant appris la contamination en même temps que tous les autres intéressés. Elle estime que la déclaration contenue à la clause 7.2 (13o) n'est pas un engagement à remédier aux vices qui pourraient être découverts, mais une divulgation par le vendeur de l'état de ses connaissances relativement à l'état de l'immeuble d'un point de vue environnemental.

[17]        Abordant la troisième question, elle se dit d'avis qu'en refusant de procéder à la décontamination, les intimées n'ont pas commis de faute ni empêché la vente de se réaliser. Le caractère fautif du geste ou de l'omission, inexistant en l'espèce, aurait été nécessaire pour que l'on puisse conclure que le débiteur avait empêché la réalisation d'une condition au sens de l'art.  1503  C.c.Q.

Analyse

[18]        Il me faut, je crois, insister en premier lieu sur le fait que la seule véritable question à trancher concerne le droit de la courtière à sa commission. À première vue, donc, la solution doit émerger du contrat de courtage lui-même. Or, à la lecture du jugement de première instance, force est de constater que l'analyse de la juge déborde largement ce cadre et se concentre plutôt sur les droits et obligations des parties à la promesse d’achat. Je n'affirme pas qu'un pareil examen est ici sans pertinence. Je constate toutefois que l'accent mis sur ce volet de la question détourne l'attention de ce qui constitue l'enjeu principal. Il s'agit ici de rattacher adéquatement l'offre de contracter au contrat qui fixe les droits et obligations réciproques des parties au litige, soit le contrat de courtage. Soit dit en passant, celui-ci en est un qui échappe à la forme obligatoire requise par la Loi sur le courtage immobilier en vigueur au moment de sa conclusion[3], puisqu'il n'intervient pas entre un courtier et une personne physique.

[19]        Voici donc, en premier lieu le texte du contrat qui prévoit la rétribution de la courtière :

6. RÉTRIBUTION DU COURTIER  (TAXES EN SUS)

6.1 Le VENDEUR versera au COURTIER une rétribution de :

cinq pour cent (5 %+ TPS + TVQ) du prix fixé pour la vente, dans les cas prévus en 1o, 2o et 3o ci-dessous, ou du prix indiqué en 4.1 advenant toute opération sur le capital-actions du VENDEUR ou dans le cas prévu en 4o ci-dessous; ou

une somme forfaitaire de ______________________ dollars (__________$) dans les cas prévus ci-dessous :

1o           si une entente visant à vendre l'IMMEUBLE, conforme aux conditions de vente énoncées au présent contrat, lui est présentée pendant la durée du contrat;

ou

2o         si une vente de l’IMMEUBLE a lieu dans les 365 jours suivant l’expiration du contrat avec une personne qui a été intéressée à l’IMMEUBLE pendant la durée du contrat, sauf si, durant cette période, le VENDEUR a conclu de bonne foi avec un autre courtier immobilier un contrat stipulé exclusif pour la vente de l’IMMEUBLE; ou

3o         si une entente visant à vendre l’IMMEUBLE est conclue pendant la durée du contrat, que ce soit par ou sans l’intermédiaire du COURTIER; ou

4o si un acte volontaire du VENDEUR empêche la libre exécution du contrat.

[20]        La juge a sommairement conclu qu'il fallait examiner l'affaire sous l'éclairage du sous-paragraphe 1o de la clause 6.1 du contrat de courtage. Elle écrit :

[22]      Tel que prévu à la clause 6.1 (1o), la présentation d’une «entente visant à vendre l’immeuble» déclenche l’obligation de payer la commission à l’agent :

[…]

[21]         Cette approche se démarque des prétentions avancées dès le départ par la courtière dans sa procédure introductive d'instance. Celle-ci s'appuyait plutôt sur l’éventualité prévue au sous-paragraphe 3o pour prétendre à son droit à la rétribution, et, subsidiairement, à celle prévue au sous-paragraphe 4o. Voici les allégations pertinentes de la requête introductive :

13. La partie défenderesse doit à la demanderesse, la rétribution de 5% du prix de vente prévue au contrat de courtage P-2, soit la somme de 163 000 $, puisque pendant la durée du contrat de courtage, une entente visant à vendre l’immeuble a été conclue;

14. Subsidiairement, c’est à cause d’un acte volontaire de la partie défenderesse que la libre exécution du contrat de vente ne peut avoir lieu, l’acheteur étant toujours disposé à acheter;

[22]        Première remarque d’importance, la juge n’analyse tout simplement pas la prétention principale de la courtière et n’aborde qu’indirectement sa proposition subsidiaire. Or, à mon avis, cette dernière avait bien ciblé le problème en se réclamant du sous-paragraphe 3o de la clause 6.1. En contraste, les trois questions étudiées par la juge ne sont pas celles dont la résolution permet de trancher le litige. Je les reproduis une fois de plus aux fins de commodité :

A.   Une « entente visant à vendre l’Immeuble » a-t-elle été présentée pendant la durée de l’Entente de courtage, déclenchant ainsi l’obligation de payer la commission à l’agent?

B.   Place Mullins avait-elle l’obligation de corriger à ses frais le problème de contamination découvert après l’acceptation de la Promesse d’achat?

C. L'obligation de payer la commission a-t-elle son plein effet ici, parce que Place Mullins empêche la réalisation d'une condition de la Promesse d'achat acceptée?

[23]        Selon la juge, la question A relèverait du sous-paragraphe 6.1.1o, lequel, à mon avis, ne s'applique pas aux faits de l'espèce. Quant à la question B, elle est dans une certaine mesure étrangère à la solution du litige. Enfin, la question C renvoie au sous-paragraphe 4o de la clause 6.1 et, encore ici, il ne s’agit pas de la disposition devant recevoir application.

[24]        Dans ce contexte et afin d'en dégager la portée réelle, j’estime utile de revoir les quatre situations susceptibles de déclencher l’obligation de payer la rétribution de la courtière en vertu du contrat de courtage :

6.1.1Si une entente visant à vendre l'IMMEUBLE, conforme aux conditions de vente énoncées au présent contrat, lui est présentée pendant la durée du contrat;

[25]        Comme elle le précise au paragraphe 22, que j’ai reproduit précédemment, la juge relie sa question « A » à ce sous-paragraphe de la clause 6.1 du contrat. Elle croit cependant nécessaire d’en faire une interprétation libérale, un exercice qui lui inspire plusieurs commentaires, dont notamment les suivants :

[23] Selon le Tribunal, tant que les conditions d'une promesse d'achat conditionnelle ne sont pas levées ou respectées, il n'y a pas d' «entente visant à vendre l'immeuble», au sens de la clause 6.1 (1o). En effet, l'Entente de courtage ne génère pas une obligation de payer la commission du courtier sur simple acceptation d'une promesse d'achat conditionnelle. Conclure autrement mènerait au résultat absurde où des commissions successives seraient payables à un même courtier pour un même immeuble, et ce, sans égard à la finalité recherchée par le promettant vendeur et le promettant acheteur: le transfert de propriété de l'Immeuble.

[24] L’Entente de courtage doit être interprétée de façon à ce que le courtier impliqué partage aussi cet objectif ultime de faciliter le transfert de la propriété de l’Immeuble. Le Tribunal rejette l’idée que l’Entente de courtage puisse être interprétée de façon à ce que le courtier poursuive l'objectif absurde de présenter des offres d’achat dans l’espoir qu'elles ne résulteront pas en une vente, et ce, simplement pour générer des commissions successives.

[25] Le Tribunal conclut donc qu'il n'y a pas eu ici d'«entente visant à vendre l'immeuble» puisque la Promesse d'achat acceptée était assortie d'une condition relative à la conformité environnementale de la propriété et que cette condition ne s'est pas réalisée.

[26] Pour conclure à l'obligation de Place Mullins de payer la commission au terme de l'Entente de courtage, le Tribunal devrait décider que la vente ne s'est pas concrétisée pour l'unique raison que Place Mullins a failli à ses obligations en n'acceptant pas d'assumer seule les coûts de décontamination de l'Immeuble. Le Tribunal traitera de cette question dans le deuxième volet de son analyse

[26]        En tout respect, je suis d’avis que ces commentaires dénaturent le texte et faussent la portée de l'entente conclue entre la courtière et ses clientes. Le sous-paragraphe 6.1.1o évoque une situation qui n’est pas celle qu’ont vécue les parties. Plus précisément, ce sous-paragraphe renvoie expressément à l’article 4o du même contrat, lequel s’intitule Prix et conditions de vente. J'en reproduis la teneur :

4. PRIX ET CONDITIONS DE VENTE (TAXES EN SUS)

4.1 Le prix de vente demandé est de trois millions sept cent cinquante mille dollars (3 750 000 $). Toute taxe pouvant être imposée comme conséquence de la vente de l’IMMEUBLE (TPS, TVQ, autre) et qui doit être perçue par le VENDEUR sera alors remise à ce dernier par l’acheteur éventuel à moins que l’acheteur ne soit déjà inscrit auprès des autorités gouvernementales compétentes.

4.2 Emprunt existant : 1 165 000 $ 9,75 % due 2010 - 10 ans - 25 ans Caisse pop. Les frais reliés au remboursement de cet emprunt ainsi qu’à la radiation de toute hypothèque seront à la charge du VENDEUR.

[…]

4.4 Sont exclus de la vente :

les appareils et équipements suivants font l’objet d’un contrat de location : Cornomatic 1635 1 lav. 1 séch. 1645 2 lav. 2 séch. 1655 1 lav. 1 sécheuse

4.5 Si l’IMMEUBLE est détenu en copropriété divise, il n’y aura aucune répartition du fonds de prévoyance ou d’un autre fonds de la copropriété.

[…]

4.7 Date ou délai de l’occupation : Selon les baux.

[27]        En somme, le sous-paragraphe 6.1.1o décrit une situation idéale, celle où, pendant la durée du contrat, la courtière présente à son client une offre d’achat qui satisfait toutes les demandes que ce dernier a décrites à l'article 4o. Dans un tel cas, le client doit la rétribution, peu importe ce qui survient par la suite.

6.1.2o  Si une vente de l’IMMEUBLE a lieu dans les 365 jours suivant l’expiration du contrat avec une personne qui a été intéressée à l’IMMEUBLE pendant la durée du contrat, sauf si, durant cette période, le VENDEUR a conclu de bonne foi avec un autre courtier immobilier un contrat stipulé exclusif pour la vente de l’IMMEUBLE;

[28]        Voilà un cas où c’est la conclusion d'un contrat de vente qui déclenche l’obligation de payer la rétribution de la courtière. Le texte est clair; il renvoie à l'existence d'une vente proprement dite et non à une entente visant à vendre. Il ne s’agit pas de l’éventualité qui nous intéresse ici et il est inutile d’élaborer davantage sur cette situation.

6.1.3o  Si une entente visant à vendre l’IMMEUBLE est conclue pendant la durée du contrat, que ce soit par ou sans l’intermédiaire du COURTIER; ou

[29]        Il s'agit ici de l’éventualité qui correspond le plus aux faits de l'affaire, et c’est vraisemblablement celle qui se produit le plus souvent en pratique. On y prévoit le cas où un acheteur éventuel présente une offre d’achat qui ne satisfait pas toutes les exigences formulées par le client à l’article 4o du contrat de courtage. On suppose cependant que le vendeur accepte cette offre. Une fois acceptée, celle-ci devient alors une entente visant à vendre l’IMMEUBLE [qui] est conclue.

[30]        À mon avis, en application de cette disposition, la rétribution de la courtière devient due lorsqu'il y a rencontre parfaite des volontés entre le promettant acheteur et le promettant vendeur.

[31]        À ce stade, il n'est pas inutile de rappeler l'objet d'un contrat de promesse d'achat :

1396.   La promesse, à elle seule, n'équivaut pas au contrat envisagé; cependant, lorsque le bénéficiaire de la promesse l'accepte ou lève l'option à lui consentie, il s'oblige alors, de même que le promettant, à conclure le contrat, à moins qu'il ne décide de le conclure immédiatement.

[32]        Ceci signifie que le droit à la rétribution de la courtière naît lorsque le promettant acheteur et le promettant vendeur deviennent inconditionnellement tenus de conclure le contrat de vente. Faut-il le souligner, l'obligation envers la courtière existe alors sans égard à l'exécution de cette obligation de conclure le contrat qui incombe aux parties engagées par la promesse de contracter acceptée. Il peut fort bien arriver que la vente envisagée ne se réalise pas pour toutes sortes de raisons étrangères au contrat de courtage et aux obligations qu'il fait naître entre la courtière et ses clientes. Le contrat de promesse de vente acceptée n'échappe pas à la règle générale selon laquelle une partie à un contrat n'est pas tenue d'exiger l’exécution en nature de la prestation à laquelle son cocontractant est tenu (1590 C.c.Q.).

[33]        Sauf disposition expresse au contraire de la loi[4], rien n'assujettit ici les droits de la courtière à la conclusion effective d'un acte de vente ou à la décision purement discrétionnaire de l'une des parties à la promesse de recourir à une demande judiciaire en passation de titres.

[34]        Pour autant que nécessaire, je précise qu’il faut distinguer cette situation de celle où l’acheteur éventuel exerce légitimement son droit de retrait en raison de la non-réalisation des conditions stipulées en sa faveur dans la promesse d’achat (par exemple la non-obtention d’un prêt hypothécaire, malgré des démarches en ce sens faites de bonne foi). En pareil cas, les parties n’ont aucune obligation de passer titres, parce que la condition à laquelle cette obligation est assujettie ne s’est pas réalisée (1497 C.c.Q.); aucune entente visant à vendre l’IMMEUBLE [n'ayant été] conclue.

1507. La condition suspensive accomplie oblige le débiteur à exécuter l'obligation, comme si celle-ci avait existé depuis le jour où il s'est obligé sous telle condition.

La condition résolutoire accomplie oblige chacune des parties à restituer à l'autre les prestations qu'elle a reçues en vertu de l'obligation, comme si celle-ci n'avait jamais existé.

[35]        En l’espèce, la difficulté provient de ce que Place Mullins et sa commanditée ont perçu leur obligation de conclure le contrat de vente comme en étant une assujettie à une condition résolutoire dont la survenance les aurait libérées. À tort, selon moi, la juge a accepté cette proposition. J’y reviendrai.

6.1.4o Si un acte volontaire du VENDEUR empêche la libre exécution du contrat

[36]        Ce sous-paragraphe évoque le cas où, volontairement, le vendeur fait obstacle à la réalisation de l’objet du contrat, c’est-à-dire à l’obtention d’une offre propre à conduire à la conclusion d’une vente ou à la conclusion de la vente elle-même. Il pourrait s'agir ici d'omissions ou de gestes délibérés de nature à entraver le travail de la courtière ou à la priver de sa prestation. En pareil cas, la courtière n’a pas droit seulement au pourcentage du prix fixé pour la vente, lequel s’applique dans les éventualités envisagées dans les sous-paragraphes 1o, 2o et 3o, mais bien au pourcentage calculé sur le prix qu’elle a elle-même fixé à l’article 4o :

6.1 Le VENDEUR versera au COURTIER une rétribution de :

cinq pour cent (5 %+ TPS + TVQ) […] du prix indiqué en 4.1 […] dans le cas prévu en 4o ci-dessous;

[37]        Ce cas de figure pourrait s’apparenter à une clause pénale. Ainsi, si nous devions l’appliquer au cas à l'étude, il emporterait la conclusion que les intimées doivent en réalité plus que les 5 % de l’offre qu’elles ont acceptée. Paradoxalement, si on peut dire, le moyen subsidiaire avancé par la courtière lui procurerait donc une rétribution plus grande que celle que lui assure son moyen principal…

[38]        Je ne m’attarde pas davantage à cette situation parce que, selon moi, c’est la proposition principale plaidée par la courtière qui doit recevoir application.

[39]        Ces prémisses posées, voici, à mon avis, les conclusions en droit qu’il convient de tirer des faits non contestés.

[40]        En l’espèce, le promettant acheteur, monsieur Douek, a stipulé en sa faveur la réalisation de certaines conditions, dont celle du résultat favorable d’une vérification diligente effectuée à l’intérieur d’un certain délai. Il s’est aussi ménagé la possibilité de faire effectuer une étude environnementale en utilisant une formulation qui étonne à première vue :

4.14.1  ÉTUDES ENVIRONNEMENTALES : L’acheteur fournira son étude environnementale.

[41]        La juge a assimilé cette clause à celle qui la précède et qui porte sur la vérification diligente. À mon avis, cette juxtaposition a tout au moins ses limites. Ainsi, dans le cas de la vérification diligente, le promettant acheteur ne peut invoquer son insatisfaction qu’à l’intérieur d’un certain délai. De surcroît, il paraît jouir d’un très large pouvoir discrétionnaire de dédit face à son obligation de passer titres, lorsqu’il se déclare insatisfait des résultats de la vérification. Par opposition, la formulation de la clause dite d’études environnementales est beaucoup plus laconique. Elle est, en conséquence, moins susceptible de conférer une aussi grande discrétion au promettant acheteur. Quoi qu’il en soit, la juge a retenu, selon moi à juste titre, qu'elle créait une condition résolutoire. Elle a aussi reconnu à bon droit que cette condition était stipulée en faveur de monsieur Douek.

[42]        Il est enfin acquis au débat que c’est l’application de cette clause dite d’études environnementales qui a été l’occasion du contentieux qui s’est développé entre les parties.

[43]        Tout en reconnaissant que cette clause de l’offre d’achat accordait une faculté de dédit au promettant acheteur, la juge a confondu ce droit de dédit stipulé en faveur de monsieur Douek avec l’obligation incombant à Place Mullins de passer titres. Cette méprise ressort notamment de la formulation des paragraphes 33 et 34 du jugement :

[33]      En effet, la clause 4.14 accorde à M. Douek la faculté de retirer la Promesse d'achat, même acceptée, s'il est insatisfait de l’inspection de l'Immeuble. En acceptant la Promesse d'achat, Place Mullins ne s'est aucunement engagée à remédier à ses frais à tout problème de contamination découvert lors de la vérification diligente à être effectuée par M. Douek. La Promesse d'achat que Place Mullins a acceptée ne stipule aucune telle obligation. Au contraire, la clause 4.14 prévoit que dans l'éventualité d'une telle découverte, M. Douek peut retirer sa promesse. Au surplus, la Promesse d'achat prévoit qu'une étude environnementale sera fournie.

[34]      Le Tribunal note ici que l'obligation de fournir une étude environnementale est prévue à la clause 4.14.1. Ainsi, elle fait partie de l'inspection et de la vérification prévue à la clause 4.1., et pour laquelle M. Douek s'est réservé le droit de retirer la Promesse d'achat si les trouvailles n'étaient pas à sa satisfaction. Le Tribunal est aussi d’accord avec l’interprétation du procureur de la demanderesse, qui indique que l’article 4.14.1 ne traite que des frais relatifs à l’inspection environnementale et ne suggère pas que les trouvailles négatives faites à la suite d'une telle inspection devraient entraîner des conséquences différentes de celles faites à la suite des vérifications ou inspections spécifiquement mentionnées à la clause 4.1.

[soulignement ajouté]

[44]        Je suis aussi d'avis que la juge a commis une erreur de principe lorsqu'elle affirme au paragraphe 29 de son jugement :

[29]      […] En effet, tant que la condition dont est assortie une offre conditionnelle acceptée n'est pas levée, il n'y a pas de vente et le régime des garanties légales attachées à la vente ne s'applique pas.

[45]        En conformité avec l'article 1396 C.c.Q. elle aurait dû dire plutôt : En effet, tant que la condition dont est assortie une offre conditionnelle acceptée n'est pas levée, il n'y a pas obligation de conclure le contrat de vente.

[46]        C'est ainsi que la méprise concernant l'identité de l'obligation assujettie à la condition résolutoire a provoqué la conclusion erronée selon laquelle Place Mullins pouvait à bon droit refuser de passer titres en raison du fait que M. Douek s'[était] réservé le droit de retirer la Promesse d'achat si les trouvailles n'étaient pas à sa satisfaction. À mon avis, il y a là erreur de principe.

[47]        On sait qu'ici, monsieur Douek a expressément renoncé à invoquer l'avènement de ce fait inconnu pour se prétendre libéré de son obligation de conclure le contrat d'achat. J'ajoute que, dans les circonstances de l'espèce, cette faculté de dédit lui aurait probablement permis de refuser de se porter acquéreur d'un immeuble ayant déjà subi une contamination, alors même que Mullins aurait offert de supporter les coûts destinés à solutionner le problème. Mais, ce n'est pas ce qui s'est produit, puisque, bien au contraire, monsieur Douek a mis les intimées en demeure en réitérant son intention d'acquérir l'immeuble.

[48]        Allant plus loin dans l'analyse, je souligne que l’obligation de Place Mullins de délivrer, après la vente, un immeuble conforme aux lois et règlements relatifs à la protection de l’environnement n’est pas explicitement stipulée dans l’offre d’achat. Toutefois, la courtière était autorisée par Place Mullins à faire des représentations dans le sens de la conformité de l'immeuble sous ce rapport en raison du paragraphe 13 de la clause 7.2. du contrat de courtage :

7. DÉCLARATIONS DU VENDEUR

[…].

7.2 Le VENDEUR déclare de plus […] :

[…] 13o que l'IMMEUBLE est conforme aux lois et règlements relatifs à la protection de l'environnement.

                                                                                                  [soulignement ajouté]

[49]        Les événements postérieurs à l’acceptation de la promesse et à la découverte de la contamination permettent de déduire que monsieur Douek croyait que, par le contrat de vente à intervenir, conforme en tous points à la promesse de contracter, Place Mullins aurait l’obligation de supporter le coût de la décontamination. Pour sa part, cette dernière estimait qu'elle n'aurait pas à le faire, mais fait encore plus important, elle a cru, à tort selon moi, ne pas être obligée de vendre à un prix susceptible d'être amputé de pareils coûts par l'effet d'un jugement à intervenir. La juge a d'ailleurs fait le constat factuel de ces prises de position respectives.

[50]        En résumé, monsieur Douek, qui seul avait le droit de dédit, y a expressément renoncé. Par cette renonciation, il rendait inconditionnelle la promesse de contracter, laquelle le liait ainsi que Place Mullins. Dans ce contexte, chacune des parties avait donc ouverture à l'action en passation de titres.

[51]        Bien que détenant ce droit, tout en l'ignorant peut-être, Place Mullins, on peut l'inférer sans crainte de se tromper, n'avait pas l'intention d'y recourir. Quant à monsieur Douek, il en a réclamé l'exécution, mais a finalement décidé de ne pas s'adresser aux tribunaux pour l'obtenir de force. Je note que, pour parvenir à l'exécution en nature, il aurait d'abord dû renoncer à poursuivre son inspection diligente avant d'entamer les procédures en passation de titres, vu le refus exprimé par les intimées de lui en permettre dorénavant l'exécution. De plus, tenant pour acquis qu'existait toujours un contentieux relatif à l'étendue des garanties incombant au vendeur, il aurait dû, dans ses procédures en passation de titres, offrir l'entièreté du prix accepté, mais sous protêt et sous la réserve expresse des droits que lui conférerait un jugement à venir tranchant ce contentieux.

[52]        Dans les faits, après négociation, les parties ne sont pas parvenues à un compromis. Plutôt que de forcer la passation du titre dans le contexte que je viens d'évoquer, monsieur Douek a abandonné ses droits.

[53]        À mon avis, la courtière est étrangère à ce résultat. Elle a rempli ses obligations et l’éventualité prévue à la clause 6.1.3o du contrat de courtage s’est réalisée parce qu’une entente visant à vendre l’IMMEUBLE a été conclue pendant la durée du contrat. Cette vente n’a pas été empêchée par la réalisation d’une condition conférant une faculté de dédit au promettant acheteur, mais plutôt en raison de la décision prise par chacune des parties de ne pas rechercher l’exécution forcée de l’obligation contractée dans le contrat de promesse d’achat acceptée. Pour les fins du débat que nous avons à trancher, celui du droit de la courtière à sa rétribution en application du contrat de courtage, il importe peu que les parties, surtout monsieur Douek, aient pris la décision de ne pas forcer judiciairement la passation du contrat de vente afin d'éviter le risque de se voir imposer par jugement le fardeau de supporter les coûts de la décontamination.

[54]        Les intimées auraient-elles eu à supporter ces coûts? Nous n'avons pas à répondre à cette interrogation, laquelle aurait relevé d’un débat opposant les intimées au promettant acheteur. La Cour supérieure, pas plus que nous d'ailleurs, n'en était saisie. De surcroît, l’éventuelle réduction du prix de vente découlant de l’exécution par le vendeur de son obligation de garantie n’a pas d’incidence sur la hauteur de la rétribution due à la courtière en application du sous-paragraphe 6.1.3o du contrat de courtage. En effet, cette rétribution est calculée à partir du prix fixé pour la vente (paragraphe 6.1) dans l’entente visant à vendre l’IMMEUBLE (sous-paragraphe 6.1.3o), c'est-à-dire dans la promesse d'achat acceptée. Elle n'est pas tributaire du prix auquel la vente elle-même se finalise.

[55]        Au demeurant, je ne connais pas de précédent où une commission de courtier aurait été rétroactivement modifiée en conséquence d’une diminution de prix découlant d’une action fondée sur la découverte d’un vice. Ici, il entre dans le domaine des possibilités qu'un jugement en passation de titres aurait pu accessoirement conclure au droit de monsieur Douek de déduire les coûts de décontamination du prix à être remis à Place Mullins. Pareil jugement aurait alors avalisé une thèse selon laquelle il y a, dans le cas d’une promesse acceptée, matière à appliquer par anticipation les obligations de garantie du vendeur[5]. Encore une fois, cependant, il s’agit d’une question qui est étrangère au litige que nous avons à trancher.

[56]        Devant notre cour, les intimées ont aussi plaidé que, n’étant pas propriétaires inscrites au registre foncier de l’immeuble faisant l’objet de la vente, elles ne devaient pas la rétribution prévue au contrat de courtage. Cet argument est sans aucun fondement, d’autant que les intimées ne l'ont jamais soulevé en Cour supérieure. En première instance, elles ont en effet reconnu implicitement qu'elles étaient bel et bien les parties liées par le contrat de courtage.

[57]        En marge de ce moyen clairement mal fondé, je note que l’acte de vente conclu postérieurement avec le tiers confirme expressément le véritable statut de propriétaire de Place Mullins, comme en fait foi l’extrait suivant :

CLAUSE SPÉCIALE

Le vendeur déclare que lorsqu’il a fait l’acquisition des immeubles ci-dessus désignés, soit le trente octobre deux mille, il a acquis ces derniers non pas pour lui-même personnellement mais à titre de fiduciaire pour la Société en Commandite Place Mullins. En aucun temps, le vendeur n’a retiré aucun loyer des immeubles mentionnés, tous les revenus et dépenses ayant été affectés directement à la Société en Commandite Place Mullins, comme cela a d’ailleurs été confirmé dans une convention signée entre les parties devant Me Marc-André Théorêt, notaire, le huit février deux mille un, sous le numéro 11,768 de ses minutes.

[58]        Pour toutes ces raisons, je propose d’accueillir le pourvoi et de condamner solidairement les intimées à payer à l’appelante 183 986,25 $, avec intérêts et indemnité additionnelle à compter du 25 juillet 2008, le tout avec les dépens tant en première instance qu’en appel.

 

 

 

FRANÇOIS PELLETIER, J.C.A.


 

 

MOTIFS DU JUGE FOURNIER

 

 

[59]        J'ai eu l'avantage de prendre connaissance des motifs de mon collègue, le juge Pelletier.

[60]        J'adhère entièrement à sa présentation des faits et comme lui, je considère que la clause applicable pour déterminer le droit à la commission du courtier en immeubles est celle qui appartient à 6.1.3o du contrat de courtage.

[61]        Par contre, et avec le plus grand respect, je ne partage pas son opinion quant à l'application de la clause aux faits de l'espèce et en conséquence, je ne suis pas d'accord avec le sort qu'il réserve au pourvoi. Je m'explique.

[62]        Douek, le promettant-acheteur a convenu d'acheter l'immeuble pour un prix de 3 260 000 $. Son offre est conditionnelle à une inspection de l'immeuble qui comporte une étude environnementale, à sa charge.

[63]        L'étude environnementale révèle la présence d'une contamination aux hydrocarbures. Place Mullins ignore la présence de contamination qui n'a pas été décelée au moment où elle a acheté l'immeuble et que son prêteur de l'époque a exigé qu'une telle étude soit effectuée. Sa bonne foi n'est pas remise en cause.

[64]        Le coût de la décontamination est estimé à quelque 75 000 $.

[65]        Informé de la contamination, le promettant-acheteur offre d'acheter l'immeuble à la condition qu'il soit décontaminé. Place Mullins refuse. La vente ne sera jamais conclue.

[66]        La position de Douek équivaut, au stade de la promesse d'achat, à forcer Place Mullins à exécuter les garanties d'un vendeur. Dans son traité sur la vente, le professeur Jobin écrit[6] :

En ce qui concerne la promesse bilatérale, le texte de l'article 1396 , alinéa 2 du Code civil du Québec paraît clair : elle ne constitue pas une vente, mais un avant-contrat par lequel les parties s'obligent à passer ultérieurement la vente. Les parties à la promesse sont donc toutes les deux tenues à une obligation de faire, soit de signer une convention de vente conforme à la promesse, obligation qui pourra éventuellement être sanctionnée par l'action en passation de titre (article 1712, infra no 43). En principe la promesse elle-même n'engendre aucun des effets de la vente; notamment, elle ne transfère pas la propriété du bien et ne confère au promettant-acquéreur aucun droit réel susceptible d'être publié. Ainsi, advenant que le promettant-vendeur transfère la propriété du bien à un tiers en violation de la promesse, le promettant-acheteur ne dispose que d'un recours en dommages-intérêts contre lui.

[Références omises]

[67]        Je suis, d'avis qu'à ce stade de la relation contractuelle, le contrat de vente n'est pas conclu. Les parties se sont simplement engagées à conclure une vente selon les termes de la promesse. Si la vente n'est pas conclue, les garanties du vendeur ne s'appliquent pas.

[68]        L'objet même de la condition est de permettre à Douek de se dédire.

[69]        Lorsqu'il offre d'acheter l'immeuble, mais à la condition que Place Mullins décontamine, il se prévaut de sa clause résolutoire alors qu'il refuse de donner suite à l'offre telle que formulée. Cette offre est donc résolue.

[70]        Je vois mal comment Place Mullins aurait pu forcer, ce qu'elle n'est pas obligée de faire, Douek à passer titre aux conditions prévues à l'offre d'achat alors qu'au moins tacitement par sa nouvelle offre ce dernier s'est prévalu de la clause résolutoire.

[71]        Je ne vois pas non plus comment Douek aurait pu forcer Place Mullins à lui vendre et à effectuer la décontamination.

[72]        Poursuivi, Douek n'aurait eu qu'à plaider que l'étude environnementale ayant révélé la contamination, il n'était plus tenu d'acheter. Il s'agit d'une condition simplement potestative dont la réalisation est liée à un événement externe au contractant.

[73]        S'agissant d'un contrat synallagmatique, il ne peut, dès lors que la condition est remplie, subsister des obligations pour un seul des contractants.

[74]        La réalisation de la condition, soit l'insatisfaction du vendeur faisant suite à l'étude environnementale, a pour effet de relever les parties de leur obligation d'acheter dans le cas de Douek ou de vendre dans le cas de Place Mullins.

[75]        Je suis d'accord avec le juge Pelletier lorsqu'il écrit que la condition est stipulée en faveur de l'acheteur et que le vendeur ne peut lui-même la soulever. Il est vrai que l'acheteur pourrait ne pas soulever la condition et forcer le contrat de vente, mais dès lors qu'il la soulève, l'acheteur ne peut dicter de nouvelles conditions.

[76]        Dans son traité sur la vente, le professeur Jobin écrit[7] :

C'est également durant cette période de temps intervenant entre la promesse et la vente que le notaire procède le plus souvent à la vérification des titres de la propriété. La non-réalisation d'une condition de la promesse, tout comme la découverte d'un vice de titre auquel le vendeur n'est pas en mesure de remédier (même quand elle ne fait pas l'objet d'une condition expresse), justifient la résolution de la promesse par l'acheteur et son refus de procéder à la vente. Dès que l'acheteur répudie la promesse, le vendeur est libre de contracter avec un tiers.

Les conditions dont est assortie la promesse sont le plus souvent stipulées dans l'intérêt de l'acheteur, qui a le choix de s'en prévaloir si elles se réalisent et de provoquer ainsi la résolution de la promesse, ou d'y renoncer et de contraindre alors le vendeur à procéder à la vente.

[Références omises]

[Je souligne]

[77]        Sur ce, je reviens aux termes du contrat de courtage. Je l'ai déjà dit, je suis d'accord avec le juge Pelletier lorsqu'il considère que la juge de première instance a commis une erreur en considérant que c'est la clause 6.1.3o qui doit recevoir application.

[78]        Aux fins de commodité, je reprends ici une partie du contrat de courtage :

6. RÉTRIBUTION DU COURTIER  (TAXES EN SUS)

6.1 Le VENDEUR versera au COURTIER une rétribution de :

cinq pour cent (5 %+ TPS + TVQ) du prix fixé pour la vente, dans les cas prévus en 1o, 2o et 3o ci-dessous, ou du prix indiqué en 4.1 advenant toute opération sur le capital-actions du VENDEUR ou dans le cas prévu en 4o ci-dessous; ou

une somme forfaitaire de ______________________ dollars (__________$) dans les cas prévus ci-dessous :

1o           si une entente visant à vendre l'IMMEUBLE, conforme aux conditions de vente énoncées au présent contrat, lui est présentée pendant la durée du contrat;

ou

2o         si une vente de l’IMMEUBLE a lieu dans les 365 jours suivant l’expiration du contrat avec une personne qui a été intéressée à l’IMMEUBLE pendant la durée du contrat, sauf si, durant cette période, le VENDEUR a conclu de bonne foi avec un autre courtier immobilier un contrat stipulé exclusif pour la vente de l’IMMEUBLE; ou

3o         si une entente visant à vendre l’IMMEUBLE est conclue pendant la durée du contrat, que ce soit par ou sans l’intermédiaire du COURTIER; ou

4o si un acte volontaire du VENDEUR empêche la libre exécution du contrat.

6.1.1o   Si une entente visant à vendre l'IMMEUBLE, conforme aux conditions de vente énoncées au présent contrat, lui est présentée pendant la durée du contrat;

6.1.2o   Si une vente de l’IMMEUBLE a lieu dans les 365 jours suivant l’expiration du contrat avec une personne qui a été intéressée à l’IMMEUBLE pendant la durée du contrat, sauf si, durant cette période, le VENDEUR a conclu de bonne foi avec un autre courtier immobilier un contrat stipulé exclusif pour la vente de l’IMMEUBLE;

6.1.3o   Si une entente visant à vendre l’IMMEUBLE est conclue pendant la durée du contrat, que ce soit par ou sans l’intermédiaire du COURTIER; ou

6.1.4o   Si un acte volontaire du VENDEUR empêche la libre exécution du contrat

[79]        Conformément à la clause, il y a bien eu une entente, l'offre d'achat. Cependant, cette entente est sous condition résolutoire ou suspensive. Comme Douek s'est prévalu de la condition, l'entente est réputée n'avoir jamais existé.

[80]        Résolutoire pour Douek qui peut la soulever et, suspensive pour Place Mullins qui ne peut forcer la vente tant que Douek n'est pas satisfait de l'état de l'immeuble ou que le délai pour l'inspection n'est pas écoulé.

[81]        En conséquence, en l'absence d'une entente liant les parties, le droit à la commission n'est pas né.

[82]        Je propose de rejeter l'appel, avec dépens.

 

 

 

JACQUES R. FOURNIER, J.C.A.

 



[1]     Jugement de la Cour supérieure, paragr. 29.

[2]     [1968] B.R. 975 (C.A.) [Racicot].

[3]     L.R.Q., c. C-73.1, art. 32 et s.

[4]     C'était le cas dans Association des courtiers et agents immobiliers du Québec c. Proprio Direct inc., [2008] 2 R.C.S. 195 .

[5]     Voir à ce sujet Pierre-Gabriel Jobin, La vente, 3eéd., Cowansville, Yvon Blais, 2007, à la page 232.

[6]     Pierre-Gabriel Jobin, avec la collaboration de Michelle Cumyn, La vente, 3e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2007, n° 169, p. 54.

[7]     Ibid., p.56.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.