Décision

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Marcheterre c. Fédération (La), compagnie d'assurances du Canada

2014 QCCA 1026

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

N° :

500-09-023071-129

(550-17-000936-037)

 

DATE :

 20 mai 2014

 

 

CORAM :

LES HONORABLES

LOUIS ROCHETTE, J.C.A.

ANDRÉ ROCHON, J.C.A.

CLAUDE C. GAGNON, J.C.A.

 

 

ANNIE MARCHETERRE

APPELANTE EN REPRISE D'INSTANCE POUR DANIEL PAQUETTE

c.

 

LA FÉDÉRATION CIE D’ASSURANCE DU CANADA

CAROLE ROLLIN

LUC LABROSSE

INTIMÉS - Défendeurs

 

 

ARRÊT

 

 

[1]           L'appelante se pourvoit contre un jugement rendu le 12 septembre 2012 par la Cour supérieure du district de Gatineau (honorable David R. Collier), qui a rejeté l'action du demandeur Daniel Paquette;

[2]           Pour les motifs du juge Rochon, auxquels souscrivent les juges Rochette et Gagnon, LA COUR :

 

 

 

[3]           REJETTE l'appel, sans frais.

 

 

 

 

LOUIS ROCHETTE, J.C.A.

 

 

 

 

 

ANDRÉ ROCHON, J.C.A.

 

 

 

 

 

CLAUDE C. GAGNON, J.C.A.

 

Me Pierre Périgny

DUPUIS PERIGNY, AVOCATS

Me Karin Wollank

Pour l’appelante

 

Me Jean Tremblay

GILBERT SIMARD TREMBLAY

Pour les intimés

 

Date d’audience :

26 mars 2014


 

 

MOTIFS DU JUGE ROCHON

 

 

[4]           Grièvement blessé alors qu’il conduisait un véhicule tout-terrain, propriété de l’intimé Luc Labrosse (Labrosse), Daniel Paquette (Paquette) a introduit une action en responsabilité contre ce dernier, son épouse Carole Rollin (Rollin) et leur assureur.

[5]           Débouté de son recours, Paquette a interjeté appel.  À la suite de son décès, sa conjointe, Annie Marcheterre, a repris l'instance en sa qualité de liquidatrice[1] de la succession.

LES FAITS 

[6]           J’emprunte au jugement de première instance le récit de l’événement :

[3]           Le 24 juin 2000, M. Labrosse et Mme Rollin déménagent de Gatineau à Saint-André-Avellin, où ils viennent d'acheter une maison de ferme et un terrain de cent acres.  Une douzaine d'amis et membres de la famille les aident pour le déménagement.  Parmi eux, se trouve M. Paquette, 36 ans, un ami d'enfance de M. Labrosse. 

[4]           Tôt le matin, les amis remplissent les camions de déménagement à Gatineau.  Ils les déchargent à Saint-André-Avellin vers midi.  Pendant que les hommes rentrent les meubles, les femmes ouvrent les boîtes et placent les effets dans la maison.  Plusieurs enfants jouent dehors ou aident leurs parents.

[5]           Au début de l'après-midi, M. Labrosse place une glacière remplie de bières et de boissons gazeuses sur la galerie de la maison et invite ses amis à se servir.  En tout, 54 cannettes de bière sont mises à la disposition des adultes au cours de la journée, dont 42 d'entre elles sont consommées.  Quelques personnes, dont M. Paquette, consomment la bière sur la galerie pendant que d'autres sont occupées à placer les effets à l'intérieur de la maison.

[6]           Dans un hangar situé près de la maison, se trouve un véhicule tout-terrain appartenant à M. Labrosse.  C'est une moto à trois roues de marque Honda.  Vers 16 heures, un des invités, Claude Boucher, décide de faire une randonnée avec son fils.  Selon M. Boucher, il demande l'autorisation à M. Labrosse avant d'emprunter le véhicule. 

[7]           Sur le véhicule, Claude Boucher et son fils traversent la route devant la maison et entrent dans un champ de pâturage.  C'est un terrain clôturé de 82 acres que M. Labrosse loue à un éleveur de bovins.  Pour y accéder, il faut ouvrir une barrière qui est verrouillée.  Selon M. Boucher, il déverrouille le cadenas avec une clé qui est sur le même trousseau que celle du véhicule tout-terrain.

[8]           Claude Boucher et son fils circulent sur le pâturage pendant environ une demi-heure.  À leur retour, Michel Rollin, le frère de Mme Rollin, embarque sur le véhicule avec l'autre fils de M. Boucher.  Ils empruntent le même trajet en traversant la route et en ouvrant la barrière verrouillée qui mène au champ de pâturage.

[9]           Les randonnées de Claude Boucher et Michel Rollin se déroulent sans incident.

[10]        Pendant ce temps, M. Labrosse s'occupe du déménagement. Il sait que Claude Boucher et Michel Rollin font chacun une randonnée sur le véhicule tout-terrain, mais il affirme qu'aucun des deux hommes n'a demandé son autorisation avant de l'emprunter.

[11]        Vers 18 heures, M. Labrosse et Mme Rollin servent le souper à leurs amis.  Après le repas, plusieurs personnes rentrent chez elles.  Il est prévu que M. Paquette ainsi que la mère et les deux sœurs de Mme Rollin couchent à la maison.

[12]        Vers 19 h 30, M. Paquette emprunte à son tour le véhicule tout-terrain.  Depuis 12 h 30, ce dernier a bu une quinzaine de bières et fumé deux joints de marijuana.  Selon l'expert Bernard Vinet, le taux d'alcoolémie de M. Paquette au moment de partir sur le véhicule serait de 179 à 189 mg/dl, bien au-delà du seuil légal de 80 mg/dl.  Pour sa part, l'expert Serge Gauthier est d'avis que le niveau d'intoxication de M. Paquette au moment d'embarquer sur le véhicule « portait atteinte, de façon significative, à ses capacités de perception et de concentration ».

[13]        La preuve est contradictoire à savoir si M. Labrosse donne son accord à M. Paquette pour qu'il emprunte le véhicule tout-terrain.

[14]        Selon M. Paquette, M. Labrosse est devant la maison et l'autorise à faire une randonnée.  Bien plus, M. Labrosse traverse la route pour déverrouiller la barrière afin de permettre à M. Paquette d'accéder au champ.

[15]        Pour sa part, M. Labrosse nie avoir autorisé M. Paquette à utiliser son véhicule.  Selon lui, il est dans la maison et ignore que M. Paquette part en véhicule tout-terrain.  De plus, il nie avoir déverrouillé la barrière afin de permettre à M. Paquette d'accéder au champ.

[16]        Une fois rendu dans le champ, M. Paquette constate que le terrain sur lequel il circule est cahoteux et qu'il « faut faire attention ».  Il monte une côte en suivant un chemin.  Après sept ou huit minutes, il décide de retourner à la maison; il redescend la côte par le même chemin.  En descendant, M. Paquette aperçoit un trou  sur le chemin.  Il applique les freins mais est incapable d'éviter l'obstacle.  La roue avant du véhicule tout-terrain se coince dans le trou et M. Paquette est projeté au sol. 

[17]        M. Paquette gît par terre sur le ventre, conscient mais incapable de bouger.  Le véhicule tout-terrain reste droit et en marche. 

[18]        Michel Rollin et Claude Boucher sont assis sur la galerie de la maison.  M. Rollin remarque au loin le phare du véhicule.  À l'aide de jumelles, il constate que le véhicule est immobilisé.  Les deux hommes rejoignent M. Paquette et appellent une ambulance. M. Paquette est transporté à l'hôpital.

[19]        Un examen médical démontre que M. Paquette s'est fracturé plusieurs vertèbres cervicales.  Il demeure quadriplégique et dépendant pour tous ses soins de base, lesquels sont fournis depuis l'accident par sa conjointe, Annie Marcheterre. 

[20]        En 2003, M. Paquette intente une action en dommages de 7 396 084 $ contre M. Labrosse, Mme Rollin et leur assureur. 

[renvois omis]

LE JUGEMENT A QUO

[7]           Le juge du procès tient pour acquis que l’article 108 de la Loi sur l’assurance automobile[2] (la Loi) crée une présomption de responsabilité contre le propriétaire de la trimoto et que ce dernier ne saurait la repousser que par la preuve de la faute de Paquette.

[8]           Partant de ce postulat, le juge du procès examine la conduite de Labrosse et de Rollin au regard des fautes qu’ils auraient commises selon les allégations de Paquette. Il conclut que les intimés n’ont pas commis les fautes qu’on leur reproche.

[9]           Préalablement, il avait rejeté un autre argument de Paquette qui plaidait que Labrosse et Rollin avaient admis de façon extrajudiciaire leur responsabilité.

[10]        Puis, le juge de première instance s’interroge sur l’existence, en l’espèce, d’une obligation de diligence positive à l’égard de Paquette. À cet effet, il s’attarde sur l’enseignement de la Cour suprême dans l’arrêt Childs c. Desormeaux[3]. Il ne retient pas que les intimés Labrosse et Rollin puissent encourir quelque responsabilité que ce soit aux termes des principes dégagés dans cet arrêt.

[11]        Le juge conclut également que Labrosse ne pouvait prévoir que Paquette sur « un coup de tête » s’emparerait de la trimoto et qu’un accident s’ensuivrait.

[12]        Par-dessus tout, le juge conclut à une faute de Paquette en empruntant la trimoto de Labrosse - hors de la connaissance de ce dernier - alors qu’il était en état d’ébriété.  Considérant l’absence de faute de Labrosse ou Rollin et la faute exclusive de Paquette, le juge estime que la présomption de responsabilité du propriétaire a été repoussée et rejette l’action de Paquette.

LES MOYENS D’APPEL 

[13]        Après analyse, je reformulerai les moyens d’appel de la façon suivante :

              i)        Aux termes de la Loi, existe-t-il une présomption de responsabilité applicable à Labrosse en sa qualité de propriétaire de la trimoto?

             ii)        Quel est le régime de responsabilité applicable?

            iii)        Le juge a-t-il mal évalué la preuve?

           iv)        Les intimés Labrosse et Rollin ont-ils commis une faute susceptible d’engendrer leur responsabilité?

 

L'ANALYSE

i)          LA PRÉSOMPTION DE LA LOI 

[14]        La Loi et son règlement[4] ont pour effet d’exclure la trimoto du régime d’indemnisation des accidents sans égard à la faute :

 

10. Nul n'a droit d'être indemnisé en vertu du présent titre dans les cas suivants :

1° si le préjudice est causé, lorsque l'automobile n'est pas en mouvement dans un chemin public, soit par un appareil susceptible de fonctionnement indépendant, tel que défini par règlement, qui est incorporé à l'automobile, soit par l'usage de cet appareil;

2° si l'accident au cours duquel un préjudice est causé par un tracteur de ferme, une remorque de ferme, un véhicule d'équipement ou une remorque d'équipement, tels que définis par règlement, survient en dehors d'un chemin public;

3° si le préjudice est causé par une motoneige ou un véhicule destiné à être utilisé en dehors d'un chemin public, tels que définis par règlement;

4° si l'accident survient en raison d'une compétition, d'un spectacle ou d'une course d'automobiles sur un parcours ou un terrain fermé, de façon temporaire ou permanente, à toute autre circulation automobile, que l'automobile qui a causé le préjudice participe ou non à la course, à la compétition ou au spectacle.

 

Dans chaque cas, sous réserve des articles 108 à 114, la responsabilité est déterminée suivant les règles du droit commun.

 

Toutefois, dans les cas prévus aux paragraphes 2° et 3° du premier alinéa, une victime a droit à une indemnité si une automobile en mouvement autre que les véhicules mentionnés dans ces paragraphes est impliquée dans l'accident.

10. No person is entitled to compensation under this title in the following cases:

(1) if the injury is caused, while the automobile is not in motion on a public highway, by, or by the use of, a device that can be operated independently, as defined by regulation, and that is incorporated with the automobile;

(2) if the accident in which an injury is caused by a farm tractor, a farm trailer, a specialized vehicle or drawn machinery, as defined by regulation, occurs off a public highway;

(3) if the injury is caused by a snowmobile or a vehicle intended for use off a public highway, as defined by regulation;

(4) if the accident occurs as a result of an automobile contest, show or race on a track or other location temporarily or permanently closed to all other automobile traffic, whether or not the automobile that causes the injury is participating in the race, the contest or the show.

 

 

 

 

 

 

 

 

In each case, subject to sections 108 to 114, responsibility is determined according to the ordinary rules of law.

 

 

However, in the cases described in subparagraphs 2 and 3 of the first paragraph, a victim is entitled to compensation if an automobile in motion, other than a vehicle mentioned in those subparagraphs, is involved in the accident.

 

[je souligne]

 

 

[15]        La responsabilité en cas d’accident impliquant un véhicule exclu du régime doit être déterminée selon les règles du droit commun, sous réserve des articles 108 à 114 de la Loi.  Les dispositions pertinentes sont les suivantes :

108. Le propriétaire de l'automobile est responsable du préjudice matériel causé par cette automobile.

 

Il ne peut repousser ou atténuer cette responsabilité qu'en faisant la preuve :

1. que le préjudice a été causé par la faute de la victime, d'un tiers, ou par cas de force majeure autre que celui résultant de l'état ou du fonctionnement de l'automobile, du fait ou de l'état de santé du conducteur ou d'un passager;

 

2. que, lors de l'accident, il avait été dépossédé de son automobile par vol et qu'il n'avait pu encore la recouvrer, sauf toutefois les cas visés dans l'article 103;

 

 

 

3. que, lors de l'accident survenu en dehors d'un chemin public, l'automobile était en la possession d'un garagiste ou d'un tiers pour remisage, réparation ou transport.

 

 

La personne en possession de l'automobile est responsable comme si elle en était le propriétaire dans les cas visés dans les paragraphes 2 et 3 du deuxième alinéa.

 

La responsabilité du propriétaire s'applique même au-delà du montant d'assurance obligatoire minimum; l'assureur est directement responsable envers la victime du paiement de l'indemnité qui pourrait lui être due, jusqu'à concurrence du montant de l'assurance souscrite.

109. Le conducteur d'une automobile est solidairement responsable avec le propriétaire, à moins qu'il ne prouve que l'accident a été causé par la faute de la victime, d'un tiers ou par cas de force majeure autre que celui résultant de son état de santé ou du fait d'un passager.

 

110. Lorsqu'une automobile est immatriculée au nom d'une personne autre que le propriétaire, cette personne est solidairement responsable avec le propriétaire, à moins qu'elle ne prouve que l'immatriculation a été faite par fraude et qu'elle en ignorait l'existence.

 

[…]

 

113. La responsabilité établie par les articles 108 à 112 s'applique même si l'accident implique plusieurs automobiles.

 

Entre les propriétaires qui ne peuvent s'exonérer, la responsabilité est solidaire et, en l'absence de preuve de fautes inégales, cette responsabilité est présumée égale entre chaque propriétaire.

 

108. The owner of an automobile is liable for the property damage caused by such automobile.

 

He cannot rebut or reduce such liability unless he proves:

(1) that the damage has been caused by the fault of the victim or of a third person, or by superior force other than that resulting from the condition or the running order of the automobile, or from the fault or the state of health of the driver or a passenger;

 

(2) that, at the time of the accident, he had lost possession of his automobile by theft and that he had not yet been able to recover it, except, however, in the cases contemplated in section 103;

 

(3) that at the time of an accident that occurred elsewhere than on a public highway, the automobile was in the possession of a garagist or a third person for storage, repair or transportation.

 

In the cases contemplated in subparagraphs 2 and 3 of the second paragraph, the person in possession of the automobile is liable as if he were the owner.

 

The liability of the owner extends even beyond the minimum compulsory amount of insurance; the insurer is directly liable towards the victim for the payment of any indemnity that may be payable to him, up to the amount of the insurance subscribed.

 

109. The driver of an automobile is solidarily liable in like manner with the owner, unless he proves that the accident has been caused by the fault of the victim or of a third person, or by superior force other than that resulting from his state of health or the fault of a passenger.

 

110. When an automobile is registered in the name of a person other than the owner, such person is jointly and severally liable with the owner, unless he proves that the registration was effected by fraud and without his knowledge.

 

[…]

 

 

113. Liability as established in sections 108 to 112 applies even if an accident involves several automobiles.

 

Between owners who cannot exonerate themselves, the liability is joint and several and, failing evidence of unequal faults, such liability is presumed to be equally shared by each owner.

[je souligne]

 

[16]        L’article 108, al. 2 (1), de la Loi édicte que le propriétaire est responsable du préjudice causé par son automobile et qu’il ne peut atténuer cette responsabilité qu’en faisant la preuve :

que le préjudice a été causé par la faute de la victime, d'un tiers, ou par cas de force majeure autre que celui résultant de l'état ou du fonctionnement de l'automobile, du fait ou de l'état de santé du conducteur ou d'un passager;

[17]        De toute évidence, le juge retient que, au sens de cet article, le conducteur peut être une « victime » et que lorsque le propriétaire démontre que cette victime a commis une « faute », il peut repousser la présomption de responsabilité et s’exonérer.

[18]        Notre Cour a rarement eu l’occasion de se pencher sur l’application de la présomption de la Loi en faveur d’une « victime » qui serait soit le propriétaire, le conducteur ou le passager du véhicule causant le préjudice. Dans l’arrêt Tinmouth c. Leclerc, la Cour a décidé que le mot « tiers », au troisième paragraphe de l’article 108, ne pouvait inclure la notion de conducteur. Le juge Moisan explique :

A l'audience s'est soulevé un autre moyen d'exonération du propriétaire, l'article 108(3). On y lit que le propriétaire peut aussi repousser la responsabilité s'il établit que « lors de l'accident survenu en dehors d'un chemin public, l'automobile était en la possession... d'un tiers pour... réparation ».

Il n'y a pas de doute que l'accident est survenu en dehors d'un chemin public et à l'occasion de réparations. Il faut se demander si le conducteur est un tiers au sens des articles 108 et 109.

Le mot-clé c'est ici «possession». La conduite comprend plus que la possession, c'est évident. C'est pourquoi on règle le cas du conducteur à l'article 109. L'hypothèse de 108(3) se limite donc à une situation précise: un accident hors route alors qu'un tiers est en possession du véhicule pour des fins précises: remisage, réparation, transport. S'il arrive que ce tiers-possesseur conduise le véhicule, la présomption de responsabilité de l'article 109 s'applique.

Un argument additionnel au même effet est apporté par le professeur Baudouin alors qu'il cherche à définir le tiers de l'article 108 de la Loi.

«Le mot tiers doit s'entendre ici d'une personne dont le propriétaire n'est pas responsable. Un préposé ne peut donc pas être considéré comme tel.»

Pour ces raisons, le propriétaire ne peut, à mon avis, échapper à la responsabilité que la Loi lui impose.[5]

[renvois omis et je souligne]

[19]        À deux reprises, la Cour du Québec a décidé que le « tiers » de l’article 108 de la Loi ne pouvait être le conducteur[6]. Il s’agissait dans chacun des cas d’un propriétaire qui tentait de repousser la présomption de la Loi au motif qu’un acte fautif avait été posé par le conducteur.

[20]        Les règles édictées aux articles 108 à 114 de la Loi instaurent entre autres un régime de présomption au bénéfice des victimes d’accidents automobiles.

[21]        Aux termes de ce régime, le propriétaire et le conducteur sont tenus solidairement responsables sauf s’ils démontrent que le préjudice a été causé par la faute de la victime, d’un tiers ou par cas de faute majeure excluant, pour le propriétaire, celui résultant de fait ou l’état de santé du conducteur ou d’un passager ou excluant, pour le conducteur, celui résultant de son état de santé ou du fait du passager.

[22]        Le système ne trouve application que si on est en présence d’une victime qui n’est ni propriétaire ni conducteur. Si l’on devait aux fins de la disposition en cause assimiler les termes « victimes » ou « tiers » à celui de « conducteur », les dispositions deviendraient incohérentes au point d’annuler dans certains cas la présomption législative ou à l’inverse dans d’autres cas de rendre celle-ci irréfragable.

[23]        Il suffit de penser à un conducteur fautif qui est victime d’un accident. Si l’on devait assimiler les termes « victime » et « conducteur », l’incohérence du texte de l’article 108 al.2 (1) de la Loi est flagrante. Le propriétaire peut se décharger de son fardeau en prouvant la faute de la victime - donc celle du conducteur -, mais non par la preuve d’une force majeure qui relève du fait du conducteur. Puisque la faute du conducteur est forcément une cause étrangère assimilable à une force majeure (article 1470 C.c.Q.), le législateur permettrait une exonération pour ensuite l’interdire dans la même phrase.

[24]        Par ailleurs, si on retient que le conducteur ne peut pas être assimilé à une victime, alors et dans ce cas, le propriétaire serait confronté à un conducteur fautif sans pouvoir plaider la faute exclusive de ce dernier, alors que le régime lui permet de s’exonérer par la preuve de la faute de la victime et même d’un tiers.

[25]        Les articles 108, 109, 110 et 113 de la Loi n'ont pas été conçus dans le but de régir la relation juridique entre le conducteur et le propriétaire.  Au contraire, ces dispositions prévoient d'abord et avant tout un régime de responsabilité solidaire entre ces deux parties.  Il en découle, par voie d'implication nécessaire, l'existence d'un tiers ou d'une victime qui bénéficie de ce régime particulier de responsabilité.  C'est, d'ailleurs, le motif pour lequel les tribunaux ont toujours refusé d'exonérer le propriétaire lorsque celui-ci invoquait la faute d'un tiers alors que ce tiers était de fait le conducteur.

[26]        Il en va de même des règles de droit commun qui traitent des présomptions de responsabilité face aux tiers du fait ou de la faute d'autrui et des biens (articles 1459 et suivants C.c.Q.).  On ne saurait prétendre que le mineur, le préposé ou le gardien de l'animal puissent fonder un recours sur ce régime de responsabilité et l'invoquer contre un parent (article 1459 C.c.Q.), un commettant (article 1463 C.c.Q.) ou le propriétaire d'un animal (article 1466 C.c.Q.).  Les règles de présomption sont édictées au bénéfice du tiers et n'ont pas pour but de régir les relations juridiques entre un parent et un mineur, un commettant et son préposé ou le propriétaire d'un animal et le gardien de l'animal.

[27]        Au même titre, les dispositions en cause de la Loi visent à régir la relation juridique entre, d'une part,  les tiers ou les victimes et, d'autre part, le propriétaire et le conducteur de l'automobile et non le rapport juridique entre ces deux derniers, sauf en ce qui a trait aux règles de la solidarité.

[28]        Force m’est de conclure que, entre le propriétaire et le conducteur, la responsabilité du premier à l’égard du second ne peut être établie qu’aux termes des règles de droit commun.

ii)         LE RÉGIME DE RESPONSABILITÉ 

[29]        Comme je viens de l’expliquer, le juge de première instance a entrepris son analyse en fonction d’une mauvaise prémisse. Les intimés n’avaient pas le fardeau de repousser la présomption prévue à l’article 108 de la Loi. Il revenait plutôt à Paquette d’établir par prépondérance de preuve[7] que les intimés Labrosse et Rollin avaient commis une faute de nature à engager leur responsabilité[8].

[30]        Le juge du procès a procédé à l’analyse de la responsabilité des intimés à l’aide des critères dégagés par la Cour suprême dans l’arrêt Childs c. Desormeaux[9]. À ce sujet, il écrit :

[70]      La loi n'impose pas une telle obligation de diligence dans les circonstances.  Dans l'affaire Childs,  la Cour suprême identifie trois situations où une obligation de diligence positive peut exister.  La première est celle où « le défendeur incite et invite intentionnellement le tiers à prendre un risque inhérent et évident qu'il a créé ou qu'il contrôle ».  La deuxième situation est celle où il existe un lien « de type paternaliste comportant un degré de surveillance et de contrôle, comme le lien parent-enfant ou instituteur-élève ».  La troisième situation dans laquelle une obligation de diligence positive est créée est celle où les défendeurs « exercent des fonctions publiques ou se livrent à des activités commerciales comportant des responsabilités implicites envers le grand public ». Dans tous ces cas, selon la Cour, il y a « participation réelle du défendeur à la création du risque ou l'exercice par celui-ci d'un contrôle sur un risque que d'autres personnes ont été invitées à courir ».

[renvois omis]

[31]        Dans cette affaire ontarienne, la question qui se posait portait sur l’existence d’une obligation de diligence de l’hôte envers les autres usagers de la route lorsqu’il laisse partir un invité ivre au volant de son véhicule.

[32]        Conformément à une démarche propre à la common law, la Cour suprême a dégagé à partir de trois situations particulières des critères juridiques pour tenter de déterminer la responsabilité de l’hôte. Adoptant un mode de réflexion similaire, le juge de première instance a segmenté son analyse. Il s’est demandé d’abord si les intimés avaient incité Paquette à se livrer à une activité dangereuse. Il s’est interrogé sur la prévisibilité de l’accident et, finalement, sur l’existence d’une obligation de diligence positive des intimés à l’égard de Paquette. De cette analyse, il conclut que Paquette est le seul responsable de l’accident.

[33]        Soit dit avec égards, dans une société régie par le droit civil, cette approche est à proscrire. Seul le recours aux règles de la responsabilité civile du Code civil du Québec s’imposait, et ce, même si les deux approches (civiliste et de common law) peuvent conduire au même résultat et puiser dans des raisonnements communs. C’est là, me semble-t-il, l’enseignement constant de la Cour suprême depuis au moins 1920, comme le rappelle le juge Beetz dans l’arrêt Rubis c. Gray Rocks Inn Ltd. :

Pour la plus grande partie, ce sont des jugements de première instance qui ont eu tendance à recourir à la common law et la Cour d'appel a parfois réagi contre cette tendance: Drapeau c. Gagné, précité; Riel c. Murren Co. Ltd., [1971] C.A. 367. Le juge en chef Rinfret, de cette Cour, a réagi de la même façon dans Eaton c. Moore, [1951] R.C.S. 470 à la p. 476.

[…]

Nous n'avons pas à décider quel devrait être notre jugement si nous appliquions la common law. Les précédents de la common law ne sont d'aucune utilité dans la présente affaire et il faut leur appliquer ce que le juge Mignault écrivait dans Desrosiers c. Le Roi (1920), 60 R.C.S. 105 à la p. 126:

Il me semble respectueusement qu'il est temps de réagir contre l'habitude de recourir, dans les causes de la province de Québec, aux précédents du droit commun anglais, pour le motif que le code civil contiendrait une règle qui serait d'accord avec un principe du droit anglais. Sur bien des points, [...] le code civil et le common law contiennent des règles semblables. Cependant le droit civil constitue un système complet par lui-même et doit s'interpréter d'après ses propres règles. Si pour cause d'identité de principes juridiques on peut recourir au droit anglais pour interpréter le droit civil français, on pourrait avec autant de raison citer les monuments de la jurisprudence française pour mettre en lumière les règles du droit anglais. Chaque système, je le répète, est complet par lui-même, et sauf le cas où un système prend dans l'autre un principe qui lui était auparavant étranger, on n'a pas besoin d'en sortir pour chercher la règle qu'il convient d'appliquer aux espèces bien diverses qui se présentent dans la pratique journalière.

Dans le même arrêt le juge Brodeur opine dans le même sens à la p. 125 et le juge Anglin, plus tard Juge en chef, écrit aux pp. 119 et 120:

[TRADUCTION] La présente affaire illustre très bien le danger auquel on s'expose en traitant les décisions anglaises comme des précédents dans les causes québécoises qui ne sont pas régies par des principes dérivés du droit anglais.

Ce passage a été cité et approuvé par le juge Rinfret, parlant pour cette Cour dans Hallé c. Canadian Indemnity Company, [1937] R.C.S. 368 à la p. 384. [10] 

[je souligne]

[34]        Plus récemment, dans l'arrêt Prud'homme c. Prud'homme[11], la Cour suprême, sous la plume du juge LeBel, reprenait avec approbation ces propos du juge Beetz.

[35]        Au regard du droit civil (article 1457 C.c.Q.), une seule question générale se pose : les intimés Labrosse et Rollin ont-ils adopté une conduite contraire à celle d’une personne normalement prudente et diligente placée dans les mêmes circonstances?

[36]        L’arrêt de la Cour suprême St-Jean c. Mercier illustre bien la démarche civiliste appropriée :

[52]      Elle reproche au juge Morin de s’être posé la mauvaise question pour déterminer si une faute avait été commise et a donc appliqué la mauvaise norme dans son évaluation de la conduite de l’intimé.  Selon la Cour d’appel, au lieu de se demander si l’intimé avait commis une faute en ne diagnostiquant pas ou en diagnostiquant mal la contusion médullaire et la fracture-luxation aux D8 et D9, le juge Morin aurait dû se demander si l’intimé avait agi selon les règles de l’art dans le traitement du patient.  La Cour d’appel affirme essentiellement que la question à trancher devait être formulée en termes généraux selon la norme de conduite pertinente à l’analyse de la faute en droit civil du Québec, au lieu d’y intégrer les faits particuliers du litige.

[53]      Pour déterminer si un professionnel a commis une faute, il faut en effet se demander si le défendeur s’est comporté comme un autre professionnel raisonnablement prudent et diligent placé dans les mêmes circonstances (J.-L. Baudouin et P. Deslauriers, La responsabilité civile (5e éd. 1998), p. 850).  Se demander principalement, dans cet examen général, si un acte donné ou une omission constitue une faute est réducteur de l’analyse et risque de semer de la confusion.  Ce qu’il faut se demander c’est si l’acte ou l’omission constituerait un comportement acceptable pour un professionnel raisonnablement prudent et diligent placé dans les mêmes circonstances.  La démarche erronée risque de mettre l’accent sur le résultat plutôt que sur les moyens.  Le professionnel a une obligation de moyens et non de résultat.[12]

[je souligne]

[37]        Une fois les faits arrêtés, la conclusion du juge sur la faute se doit d’être juste :

[29]      Dans l'arrêt St-Jean c. Mercier, la Cour suprême indique en outre ceci :

60         Je le répète, en droit de la responsabilité civile délictuelle, l'imputation de la faute est une question mixte de droit et de fait, soit l'application d'un concept juridique à un ensemble de faits. La norme applicable en l'espèce à la question de fait et de droit est celle de la justesse. Il appartient à notre Cour, si elle les juge erronées, de modifier les conclusions de la Cour d'appel sur la faute.

[30]      En l'espèce, les constatations factuelles de la juge de première instance ne sont pas contestées, ce sont les conclusions qu'elle en tire au regard de la faute qui posent problèmes. En conséquence, à mon avis, la norme applicable est celle de la justesse.[13]

[renvois omis]

[38]        Avant d’examiner cette question, il y a lieu de trancher les moyens de Paquette relativement aux erreurs manifestes et déterminantes qu’aurait commises le juge de première instance. Si de telles erreurs existent, elles seraient susceptibles de miner le fondement du jugement entrepris.

iii)        L’ÉVALUATION DE LA PREUVE

[39]        Au procès, Paquette a soutenu que l’intimé Labrosse connaissait son état d’ébriété avancé et qu’en toute connaissance de cause il l’a autorisé à effectuer une balade de trimoto. Labrosse l’aurait même accompagné pour lui faciliter l’accès au champ où est survenu le tragique accident.

[40]        Le juge de première instance n’a pas retenu cette version de Paquette. Il a plutôt conclu que Paquette avait pris le véhicule sur « un coup de tête » hors de la connaissance des intimés Labrosse et Rollin.

[41]        Dans son pouvoir souverain d’appréciation, le juge du procès pouvait, sans commettre d’erreur révisable, conclure comme il l’a fait à l’égard des prétentions de Paquette. Ce dernier est le seul à soutenir sa version des faits. Tous les témoins, parents et amis des parties, ont témoigné à l’effet contraire.

[42]        Pour un, le témoin Michel Rollin affirme que Paquette a pris les clés sur le réfrigérateur. À ce moment, les intimés Labrosse et Rollin sont à l’étage occupés à faire du rangement. Le témoin avertit Paquette que, en raison de son état (alcool et marijuana), il ne devrait pas utiliser la trimoto. Paquette fait fi de ce conseil d’avis qu'il est tout à fait capable de conduire. Le témoin estime que Paquette est un adulte et qu’il n’a pas à aller plus loin pour l’empêcher de conduire.  Le témoin rappelle que Paquette fait 6 pieds 2 pouces et pèse 240 livres. Au procès, Paquette déclarera avoir agi spontanément, sur « un coup de tête » dira-t-il.

[43]        Ce témoignage est confirmé par ceux de Louise Beauchemin et Claude Boucher.

[44]        La preuve autorisait également de conclure que Paquette était « familier » avec le véhicule pour l’avoir utilisé à quelques reprises dans le passé.

[45]        Paquette voit une contradiction dans les propos du juge selon lesquels l’intimé Labrosse n’a pas noté de changement dans le comportement de Paquette, puisqu’il était trop occupé pour remarquer son état d’ébriété. Loin d’être contradictoires, ces propositions sont parfaitement cohérentes et se complètent l’une et l’autre.

[46]        Sur le tout, je suis d’avis que le juge de première instance n’a commis, à l'égard des faits, aucune erreur qui aurait justifié une intervention de la Cour.

[47]        C’est à partir des assises factuelles retenues par le juge de première instance qu’il convient d’examiner la conduite des intimés Labrosse et Rollin.

 

iv)        LES INTIMÉS ONT-ILS COMMIS UNE FAUTE SUSCEPTIBLE D’ENGENDRER LEUR RESPONSABILITÉ?

[48]        En l'espèce, l'analyse de la responsabilité des intimés doit d'abord débuter par celle de Paquette.  À cette fin, il y a lieu de revenir sur les faits mis en preuve.

[49]        Du début de l’après-midi à 19 h 30, Paquette boit environ quinze bières et fume deux joints de marijuana.

[50]        Sans avertissement, il décide d’emprunter le véhicule tout-terrain dont les clés sont sur le réfrigérateur à l'intérieur de la résidence.  Vu son état d'ébriété avancé, le témoin Michel Rollin tente de le dissuader d'utiliser la trimoto.  Paquette ne tient pas compte de ce conseil et se rend à l'extérieur pour entreprendre sa randonnée motorisée.

[51]        Tout se passe rapidement, Paquette se rend dans le champ face à la résidence.  Il entreprend sa randonnée à 15 ou 20 km / heure.  Il suit un petit sentier de terre battue.  Rendu à l'extrémité du sentier, il rebrousse chemin en empruntant le même trajet.  Il décrit l'accident de la façon suivante :

Q-           Mais quand vous avez tourné au bout là.  Mais après ça, vous vous êtes replacé dans la trail?

R-           C'est ça.

Q-           Puis là où l'accident est arrivé, c'était dans la trail?

R-           Oui.

Q-           Vous alliez à quelle vitesse au moment de l'accident?

R-           Ah, quinze (15), vingt (20).

Q-           En quoi ça, en kilomètres ou en milles à l'heure?

R-           En kilomètres.

Q-           En kilomètres.

R-           Je dirais quinze (15) kilomètres.

Q-           Décrivez-moi la manœuvre que la moto… que le trois roues a faite?

R-           Ah, je le sais pas.  Je le sais pas.  Je sais que j'ai frappé là.  J'ai vu un… j'ai vu la roue rentrer dans crevasse puis là, moi, j'ai flippé.  Je peux pas vous dire là.

Q-           Vous m'avez dit tantôt que vous avez vu la crevasse à peu près à vingt-cinq (25) pieds en tentant une manœuvre pour passer à côté.

R-           Oui mais j'ai mi les… j'ai mis les freins.

Q-           En voyant la crevasse, vous avez freiné?

R-           Oui.

Q-           Tout de suite, en la voyant?

R-           Bien, « en la voyant »… Oui.

Q-           Puis là, le…

R-           J'ai ralenti.

Q-           Puis la moto n'a pas arrêté?

R-           La moto, elle a ralenti, oui.

Q-           Mais à quinze (15) kilomètres/heure sur vingt-cinq (25) pieds, elle n'a pas arrêté?

R-           Bien, c'était pas mon but d'arrêter.  C'était mon but de ralentir puis passer juste par-dessus la crevasse.

Q-           Vous vouliez la sauter?

R-           Bien, c'était pas…

Q-           C'était pas une grosse crevasse?

R-           C'était pas un ditch là.  C'était un… J'avais passé là pour… pour monter.  J'avais aucune… aucune raison de pas être capable de revenir.  Dans ma tête là, j'avais aucune raison de pas être capable de repasser.

Q-           C'est une randonnée agréable que vous faisiez?

R-           Oui.

Q-           Il n'y a pas eu d'incident?

R-           Bien, « il y a pas eu d'incident »…

Q-           Avant votre accident, il n'y a pas eu d'incident?

R-           Non.

[52]        Selon la preuve retenue par le premier juge, les intimés n'ont pas autorisé Paquette à emprunter la trimoto.  Ils étaient à l'étage de la résidence au moment de l'accident.  Ils ne savaient pas que Paquette avait entrepris de faire une randonnée avec le véhicule.  Les intimés ne connaissaient pas l'état d'ébriété avancé de Paquette ou encore qu'il avait consommé de la marijuana.

[53]        Paquette, sans être expérimenté en la matière, était familier avec la conduite du véhicule pour l'avoir emprunté à quelques reprises dans le passé.

[54]        Il n'y a aucune preuve que l'état du véhicule ait pu causer l'accident.

[55]        Force m'est de conclure que la responsabilité de l'accident doit être assumée par Paquette.  Lors des évènements, Paquette a 36 ans.  En l'espace d’un maximum de 7 heures, il consomme une quantité importante de bières et deux joints de marijuana.

[56]        Selon les experts entendus, son taux d'alcoolémie est plus que le double de la limite permise et sa capacité de conduire est gravement atteinte.  L'accident ne s'explique qu'en raison de cet état d'ébriété avancé.

[57]        Même en retenant la thèse la plus favorable à Paquette, sa responsabilité demeure entière.  Si l’accident n’est pas dû à son état d’ébriété, il ne peut découler que d’une erreur de jugement de sa part.

[58]        À l'audience, l'avocate de Paquette reconnaît, à bon droit, la responsabilité de ce dernier.  Elle argue, toutefois, que les intimés doivent partager cette responsabilité à hauteur de 50 %.

[59]        À ce sujet, l'avocate soutient que, en leur qualité d'hôtes, les intimés n'ont pas pris les mesures requises pour éviter un accident qui était prévisible.

[60]        Soit dit avec égards, l'argument ne me convainc pas.

[61]        Les intimés Labrosse et Rollin n'ont pas adopté une conduite contraire à celle d’une personne normalement prudente et diligente placée dans les mêmes circonstances.

[62]        La mise à la disposition de boissons alcoolisées à des amis et parents venus consacrer leur journée à aider les intimés Labrosse et Rollin dans leur déménagement, n’est pas un geste qui s’écarte de la conduite d’une personne prudente et diligente.

[63]        Même si d’aucuns peuvent penser a posteriori que l’accident aurait pu être évité par les intimés si ceux-ci avaient agi avec une prudence extrême, cela n’a pas pour effet de transformer le geste des intimés en faute civile :

[…] Chercher la faute revient donc à comparer la conduite de l’agent à celle d’une personne normalement prudente et diligente, douée d’une intelligence et d’un jugement ordinaires, et à se demander si elle aurait pu prévoir ou éviter l’événement qui a causé le dommage. Cette prévisibilité du préjudice n’a cependant pas à être absolue, mais relative ou raisonnable. Il ne s’agit pas d’obliger l’individu à prévoir tous les types d’accidents possibles, mais seulement ceux qui, dans les circonstances, sont raisonnablement probables. […][14]

[je souligne]

[64]        Dans les circonstances de l’espèce, offrir à ses invités des rafraichissements alcoolisés correspond à une conduite acceptée par la société. On ne saurait raisonnablement prétendre qu’une telle offre engendre l’obligation pour l’hôte de prévoir qu’une consommation effrénée par un individu en particulier s’ensuivra. Cela est d’autant plus vrai que, selon la preuve retenue par le juge du procès, les intimés Labrosse et Rollin n’ont pas été témoins de cette consommation excessive.

[65]        Les intimés Labrosse et Rollin ont-ils été imprudents en ne prenant pas toutes les dispositions possibles pour empêcher quiconque d’utiliser la trimoto? De nouveau, j’estime que non.

[66]        Paquette est un adulte.  Je répète qu'il était familier avec le véhicule et que l'état mécanique de ce dernier n'est pas en cause dans l'accident.

[67]        Ce que plaide Paquette surtout est le fait que les intimés avaient le devoir de le protéger de ses propres excès.

[68]        Dans la mesure où l’on devrait accorder un poids à cet argument, encore faudrait-il que la preuve révèle que les intimés étaient au courant de l’état physique de Paquette et qu’il était prévisible que Paquette, sur « un coup de tête », s’empare des clés de la trimoto placées sur le réfrigérateur. Malheureusement pour Paquette, la preuve n’est pas à cet effet.

[69]        En définitive, la cause véritable des dommages subis par Paquette est due exclusivement à sa consommation excessive et à sa décision subite d’effectuer une randonnée de trimoto à l’insu des intimés, et ce, malgré l’avertissement clair du témoin Michel Rollin que Paquette a préféré ignorer. Dans ces circonstances, Paquette ne peut faire porter sur les autres les conséquences de sa propre turpitude, comme l’a rappelé notre Cour dans l’arrêt Maltais c. Simard :

[3]        Les appelants avancent que l'intimée Hélène Brisson a fait défaut d'aménager les lieux de façon sécuritaire.  Quant aux autres intimés, ils auraient dû, selon les appelants, protéger Claude Maltais contre ses propres agissements, ayant été à même de constater que celui-ci ne disposait pas de son libre arbitre en raison d'un état d'ébriété avancé.

[4]        L'article 1457 du Code civil pose le principe que la personne douée de raison est responsable de ses actes envers autrui.  A fortiori l'est-elle envers elle-même.

[5]        Lorsque, volontairement, une personne affaiblit ses capacités intellectuelles et physiques, elle n'en demeure pas moins entièrement responsable de ses actes.  Elle ne peut invoquer sa propre turpitude pour échapper en tout ou en partie à la responsabilité qui lui incombe.

[6]        Il peut cependant se présenter des circonstances faisant en sorte qu'une autre faute vienne participer à la création du préjudice.  C'est ce que plaide l’appelant Claude Maltais en l'espèce, reconnaissant cependant qu'il a été fautif à l'origine en s'enivrant et, par la suite, en effectuant un plongeon manifestement contre-indiqué.

[7]        Au terme d'une analyse soignée, la Cour supérieure a conclu que l’appelant n'avait pas réussi à établir l'existence d'une autre faute causale.  Ce jugement n'est entaché d'aucune erreur susceptible de justifier une intervention de notre Cour.

[8]        Au premier chef, c'est à tort que les appelants reprochent à la juge de ne pas avoir constaté le statut d'invité de l’appelant Claude Maltais.  En l'espèce, pareille reconnaissance n'aurait eu aucune conséquence sur le sort de l'affaire.  Il importe de souligner que la juge a conclu que les intimés avaient averti l’appelant Claude Maltais à plusieurs reprises des dangers qu'il y avait d'effectuer quelque plongeon que ce soit depuis le quai.  L’appelant a fait fi de ces avertissements avec les conséquences que l'on sait.  Cette détermination de fait trouve appui dans la preuve et alourdit d'autant le fardeau déjà très lourd pesant sur les épaules de celui qui a entrepris de reporter sur autrui les conséquences des fautes qu'il admet avoir commises. [15] 

[je souligne]

[70]        Les principes dégagés dans l'affaire Maltais furent repris l'année suivante dans l'arrêt Joly c. Salaberry-de-Valleyfield (Ville de)[16].

[71]        Pour ces motifs, je propose de rejeter l’appel sans frais vu les circonstances.

 

 

 

 

ANDRÉ ROCHON, J.C.A.

 



[1]     Elle est désignée au testament comme « liquidateur ».

[2]     RLRQ, c. A-25.

[3]     [2006] 1 R.C.S. 643, 2006 CSC 18.

[4]     Règlement sur la définition de certains mots et expressions aux fins de la Loi sur l’assurance automobile, RLRQ, c. A-25, r. 5, art. 9 (f); Affaires sociales - 514, T.A.Q.E. 2000AD-208, [2000] T.A.Q. 1047 (rés.), paragr. 15.

[5]     Tinmouth c. Leclerc, [1992] R.R.A. 807 (C.A. Qué.).

[6]     Compagnie mutuelle d'assurances Wawanesa c. Desbiens, 2011 QCCQ 12321; Québec (Procureure générale) c. Sirois, 2011 QCCQ 18028.

[7]     Article 2803 C.c.Q.

[8]     Article 1457 C.c.Q.

[9]     [2006] 1 R.C.S. 643, 2006 CSC 18.

[10]    Rubis c. Gray Rocks Inn Ltd., [1982] 1 R.C.S. 452, 468 et 470.

[11]    [2002] 4 R.C.S. 663, 2002 CSC 85.

[12]    St-Jean c. Mercier, [2002] 1 R.C.S. 491, 2002 CSC 15.

[13]    Paquet c. Longpré, [2009] R.J.Q. 1905, [2009] R.R.A. 691, 2009 QCCA 1378.

[14]    Jean-Louis Baudouin et Patrice Deslauriers, La responsabilité civile, vol. 1, 7e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2007, paragr. 1-192.

[15]    [2006] R.R.A. 309, 2006 QCCA 614, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, 9 novembre 2006, 31513.

[16]    [2007] R.R.A. 867, 2007 QCCA 1608.

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