Milot c. Directeur général des élections du Québec |
2018 QCCS 5939 |
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COUR SUPÉRIEURE |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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N° : |
C.S. 500-36-008898-184 (700-36-001319-176) |
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(C.Q. 700-61-138398-166) |
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DATE : |
2 novembre 2018 (RECTIFIÉ LE 21 DÉCEMBRE 2018) |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
Marie-Anne Paquette, J.C.S. |
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ROBERT MILOT |
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APPELANT-Défendeur |
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c. |
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DIRECTEUR GÉNÉRAL DES ÉLECTIONS DU QUÉBEC |
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INTIMÉ-Poursuivant |
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JUGEMENT RECTIFIÉ Sur l’appel de la déclaration de culpabilité |
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[1] La Loi électorale[1] prévoit que seule une personne physique peut verser une contribution à un parti politique.
[2] Monsieur Robert Milot en appelle du jugement[2] qui le déclare coupable d’avoir aidé une personne morale à tenter de verser une contribution à la Coalition Avenir Québec (CAQ), ce qui constitue une manœuvre électorale frauduleuse au terme de cette loi.
[3] Il plaide qu’il a soumis cette contribution (chèque de 100 $ tiré du compte bancaire d’une compagnie) en croyant qu’elle provenait d’une personne physique, qu’il n’a pas remarqué que la contribution provenait d’une personne morale et qu’il n’a jamais eu l’intention d’aider cette personne morale à tenter de verser une contribution politique.
[4] Avec respect, le jugement qui condamne M. Milot comporte une erreur de droit déterminante en ce qui a trait à l’état d’esprit blâmable à démontrer pour engager sa responsabilité pénale. Plus précisément, le Directeur général des élections (DGE) devait établir hors de tout doute raisonnable que M. Milot aurait dû savoir que sa conduite aurait comme conséquence probable d’aider une personne morale à tenter de verser une contribution politique.
[5] Or, le jugement de première instance ne discute pas de la connaissance qu’un collecteur de fonds raisonnablement prudent aurait eue, en pareilles circonstances, quant aux conséquences probables de ses omissions. Plutôt, le jugement analyse le comportement de M. Milot par rapport à celui d’un solliciteur de fonds raisonnablement prudent, et ce, au chapitre de l’analyse du moyen de défense de diligence raisonnable.
[6] Cette erreur est déterminante puisqu’elle a pour effet:
(1) de mener à une analyse du caractère raisonnable du comportement du défendeur, plutôt qu’à une analyse du caractère raisonnable de sa connaissance quant aux conséquences de ses gestes ou omissions;
(2) de déplacer le fardeau de la preuve sur les épaules du défendeur;
(3) d’appliquer un standard de preuve erronément onéreux pour le défendeur.
[7] La tenue d’un nouveau procès sera donc ordonnée.
[8] Les faits pertinents ne sont pas contestés.
[9] M. Milot s’implique en politique depuis 2010 à différents titres : candidat aux paliers fédéral, provincial et municipal, représentant officiel, solliciteur autorisé et directeur adjoint d’organisation au palier provincial[3]. Un certificat de solliciteur valide l’autorise à solliciter des contributions politiques au bénéfice de la CAQ, et ce, pour la période du 12 décembre 2012 au 31 décembre 2015[4].
[10] Monsieur Georges Sabbah est l’administrateur unique de 2947-6504 Québec inc. (Diamor), une compagnie qui œuvre dans le secteur de la joaillerie[5].
[11] Le 20 janvier 2014, à titre de solliciteur autorisé, M. Milot sollicite M. Sabbah pour une contribution de 100 $ à la CAQ.
[12] À cette fin, M. Milot remplit et signe une fiche de contribution au nom de M. Sabbah[6]. Ce dernier lui remet un chèque de 100 $ qui porte la signature de M. Sabbah. Sans plus de vérifications, M. Milot transmet ce chèque aux instances de la CAQ, qui l’acheminent à leur tour au DGE pour encaissement.
[13] Puisqu’à sa face même, le chèque est tiré du compte d’une personne morale, le service de la vérification des contributions politiques du DGE le déclare non conforme et en avise la CAQ[7].
[14] M. Milot en informe M. Sabbah, qui émet cette fois un chèque tiré de son compte bancaire personnel[8].
[15] Le 2 mai 2016, un constat d’infraction est délivré contre M. Milot en lien avec cette contribution.
[16] Le 21 avril 2017, M. Milot est déclaré coupable[9] de l’infraction ainsi libellée :
À Montréal, le ou vers le 20 janvier 2014, a aidé
la compagnie 2947-6504 Québec inc., alors qu’elle ne possédait pas la qualité
d’électeur, à tenter de verser une contribution de 100 $ à la Coalition Avenir
Québec, contrairement à l’article
[Soulignements du Tribunal]
[17]
Le 11 mai 2017, dans le dossier pénal en Cour du Québec[11],
M. Milot dépose un avis en vertu de l’article
[18]
Le 17 mai 2017, M. Milot dépose également un avis d’appel du jugement sur
la culpabilité, conformément à l’article
[19] Le 9 février 2018, l’audience sur la peine a lieu en Cour du Québec devant M. Gaby Dumas, juge de paix magistrat. Au cours de cette audience, la PGQ demande de rejeter et de déclarer irrecevable l’argument constitutionnel élaboré à l’avis du 11 mai 2017.
[20] Le même jour, M. Gaby Dumas, juge de paix magistrat, rend jugement sur la peine.
[21]
Sur la question constitutionnelle, il note que l’article
[22] M. Milot est par ailleurs condamné à l’amende minimale de 5 000 $[17].
[23]
Le 28 février 2018, M. Milot institue un recours civil[18]
en contrôle judiciaire où il demande de déclarer inopérant l’article
[24]
Le 8 mars 2018, M. Milot dépose un avis d’appel amendé dans le cadre des
présentes procédures en appel intentées sous l’égide du Code de procédure
pénale. L’avis d’appel amendé ajoute un appel du jugement sur la peine et demande
de déclarer inopérante la sanction de suspension des droits démocratiques
prévue à l’article
[25]
Le 20 mars 2018, devant le juge Daniel Royer, j.c.s., tous conviennent
de rayer la conclusion constitutionnelle ajoutée à l’avis d’appel amendé du 8
mars 2018 puisque la constitutionnalité et l’opérabilité de l’article
[26] Le 23 mars 2018, les procédures dans le recours civil en contrôle judiciaire sont suspendues dans l’attente du présent jugement, qui ne porte que sur l’appel logé en vertu du Code de procédure pénale.
[27] Le 11 avril 2018, à la demande de M. Milot, la juge Johanne St-Gelais, responsable de la chambre criminelle et pénale de la Cour supérieure du Québec, accepte de transférer le dossier du district de Terrebonne vers le district de Montréal pour permettre à l’appel de procéder à une date plus rapprochée. Le déclenchement d’élections provinciales est alors imminent et la condamnation empêche M. Milot de s’y présenter comme candidat.
[28] Cependant, le 12 juin 2018, la veille de l’audience sur l’appel, M. Milot dépose un mémoire amendé et un plan d’argumentation qui soulèvent des motifs supplémentaires. L’audience est alors reportée afin de permettre au DGE de les étudier et de déposer un exposé amendé pour y répondre.
[29] Le DGE dépose son exposé amendé le 17 août 2018 et l’appel procède le 5 septembre 2018.
[30] La Loi électorale prévoit que seules des personnes physiques peuvent verser des contributions à des partis politiques:
1. Possède la qualité d’électeur, toute personne qui:
1° a 18 ans accomplis;
2° est de citoyenneté canadienne;
3° est domiciliée au Québec depuis six mois;
4° n’est pas en curatelle;
5° n’est pas privée de ses droits électoraux en application de la présente loi, de la Loi sur la consultation populaire (chapitre C-64.1), de la Loi sur les élections et les référendums dans les municipalités (chapitre E-2.2) ou de la Loi sur les élections scolaires (chapitre E-2.3). Le domicile d’une personne est le même que celui établi en vertu du Code civil.
[…]
87. Seul un électeur peut verser une contribution. Il ne peut le faire qu’en faveur d’une entité autorisée et que conformément à la présente section.
[Soulignements du Tribunal]
[31]
Une personne morale commet donc une infraction à l’article
564.2. Est passible, s’il s’agit d’une personne physique, d’une amende de 5 000 $ à 20 000 $ pour une première infraction et de 10 000 $ à 30 000 $ pour toute récidive dans les 10 ans ou, s’il s’agit d’une personne morale, d’une amende de 10 000 $ à 50 000 $ pour une première infraction et de 50 000 $ à 200 000 $ pour toute récidive dans les 10 ans quiconque contrevient ou tente de contrevenir à l’une des dispositions des articles 87 à 91, 100, 127.5, 127.6, des premier et troisième alinéas de l’article 127.7, des articles 413 à 415, 429 et 429.1 ainsi que, dans la mesure où ils font référence à l’un ou l’autre de ces articles, du premier alinéa de l’article 127.8 et de l’article 127.11. […]
[Soulignements du Tribunal]
[33]
M. Milot a été reconnu coupable d’avoir ainsi
participé à une infraction à la Loi électorale en aidant une personne à
commettre une infraction à cette loi. Ce mode de participation est ainsi
libellé à l’article
566. Toute personne qui, par son acte ou son omission, en aide une autre à commettre une infraction est coupable de cette infraction, si elle savait ou aurait dû savoir que sa conduite aurait comme conséquence probable d’aider à la perpétration de l’infraction.
Toute personne qui, par un encouragement, un conseil, un consentement, une autorisation ou un ordre, en incite ou en amène une autre à commettre une infraction est coupable de cette infraction ainsi que de toute autre infraction que l’autre commet si elle savait ou aurait dû savoir que sa conduite aurait comme conséquence probable la perpétration de ces infractions.
Ne constitue pas une défense le fait qu’aucun moyen ou mode de réalisation n’ait été proposé pour la perpétration de l’infraction ou que cette dernière ait été commise d’une manière différente de celle proposée.
[Soulignements du Tribunal]
[34] Lorsque comme ici, on reproche à une personne d’avoir aidé (art. 566) une personne morale (art. 87) à verser ou à tenter de verser une contribution (art. 564.2), l’infraction reprochée est une infraction de manœuvre électorale frauduleuse (art. 567).
567. Une infraction prévue aux articles 551.1 et 553.1, à l’un des paragraphes 1° ou 3° de l’article 554, au paragraphe 3° de l’article 555, au paragraphe 4° de l’article 556, aux articles 557 à 559.1, à l’article 560, à l’article 564.1, 564.1.1 et à l’article 564.2 lorsqu’il réfère aux articles 87, 90, 91, aux premier et troisième alinéas de l’article 127.7 et au premier alinéa de l’article 127.8 dans la mesure où celui-ci fait référence à l’article 90 est une manœuvre électorale frauduleuse.
[Soulignements du Tribunal]
[35] Une personne physique déclarée coupable d’une infraction de manœuvre électorale frauduleuse perd divers droits démocratiques, dont celui d’être candidat à une élection pour une période de cinq ans (art. 568), et ce, en plus d’être condamnée à l’amende minimale de 5 000 $ (art. 564.2).
568. La personne déclarée coupable d’une infraction qui est une manœuvre électorale frauduleuse perd, pour une période de cinq ans à partir du jugement, le droit de se livrer à un travail de nature partisane, de voter et d’être candidate à une élection et elle ne peut, pour la même période, occuper aucune fonction dont la nomination est faite par décret du gouvernement ou par résolution de l’Assemblée nationale.
[Soulignements du Tribunal]
[36] Les erreurs que M. Milot invoque à l’encontre de sa déclaration de culpabilité se rapportent à trois éléments :
(1) L’état d’esprit blâmable (mens rea) requis
M. Milot plaide qu’il a soumis le chèque par inadvertance pour encaissement. Il n’avait pas réalisé que la contribution provenait d’une personne morale et non de M. Sabbah, qu’il avait personnellement sollicité.
Il ne pouvait donc pas être déclaré coupable de l’infraction puisqu’il n’avait pas l’intention d’aider une personne morale à tenter de faire une contribution.
(2) L’appréciation des moyens de défense présentés
Subsidiairement, M. Milot soutient que le juge aurait dû retenir sa défense de diligence raisonnable. Il aurait appliqué un standard trop élevé à ce chapitre.
(3) L’élément matériel (actus reus) requis
M. Milot avance que l’élément matériel de l’infraction n’était pas démontré hors de tout doute raisonnable puisque le DGE n’a pas encaissé la contribution et qu’il n’a pas été démontré que quiconque ici avait l’intention de tenter de faire une contribution illégale par l’entremise d’une personne morale.
[37] Le jugement qui condamne M. Milot pourra être écarté s’il est déraisonnable eu égard à la preuve ou s’il est entaché d’une erreur de droit déterminante :
286 CPP. Le juge accueille l’appel sur dossier s’il est convaincu par l’appelant que le jugement rendu en première instance est déraisonnable eu égard à la preuve, qu’une erreur de droit a été commise ou que justice n’a pas été rendue.
[…]
Lorsque le défendeur interjette appel d’un jugement de déclaration de culpabilité ou qui conclut à l’incapacité du défendeur de subir l’instruction en raison de son état mental et qu’il y a eu erreur de droit, le juge peut rejeter l’appel si le poursuivant démontre que, sans cette erreur, le jugement aurait été le même.
[Soulignements du Tribunal]
[38] Le Tribunal conclut que le jugement dont appel est entaché d’une erreur déterminante sur l’état d’esprit blâmable constitutif de l’infraction.
[39] Cette erreur a eu un effet déterminant sur le résultat. Elle justifie à elle seule la tenue d’un nouveau procès, sans qu’il ne soit nécessaire d’examiner les deux autres motifs d’appel.
[40] M. Milot a été reconnu coupable d’avoir participé à une infraction. Afin d’identifier l’état d’esprit à démontrer pour engager sa responsabilité pénale en pareil cas, il est nécessaire de situer et d’identifier la mécanique de ce mode de participation.
[41]
L’infraction principale en cause ici est celle prévue à l’article
[42] À bon droit, le jugement de première instance retient que cette infraction principale est une infraction de responsabilité stricte et qu’elle ne requiert pas la preuve d’un état d’esprit blâmable[20].
[43] En effet, il est établi que la nature d’une infraction dépend de l’interprétation des dispositions législatives en cause et que les infractions réglementaires sont présumées de responsabilité stricte[21].
[44] Or, les infractions réglementaires, de responsabilité stricte, peuvent être considérées comme faisant partie d’une branche du droit administratif à laquelle les principes traditionnels du droit criminel ne s’appliquent que de façon limitée[22]. En effet, ce domaine de la responsabilité pénale se rapporte à des questions quotidiennes. Les personnes qui exercent des activités ainsi réglementées savent déjà qu’elles seront soumises à un cadre strict, dans le but de protéger le public, et que leur vigilance sera nécessaire pour assurer le respect des règles[23].
[45] Pour ces raisons, la preuve d’un état d’esprit blâmable n’est pas exigée, en principe, en matière d’infractions réglementaires (responsabilité stricte).
[46] Ici, ni la nature de l’infraction principale ni le texte qui l’énonce (art. 564.2) ne requiert ici la preuve d’un élément intentionnel ou d’un état d’esprit particulier[24]. Le jugement dont appel ne comporte aucune erreur à ce chapitre.
[47] Le jugement de première instance retient également qu’un mode de participation est reproché à M. Milot et que la preuve d’un état d’esprit blâmable est requise[25].
[48] Cela est conforme à l’état du droit, notamment aux enseignements de la Cour suprême du Canada dans La Souveraine[26].
[49] Plus précisément, on reproche à M. Milot (art. 566) d’avoir aidé une personne morale à tenter de verser une contribution. Il s’agit donc d’un mode de participation par aide à la commission d’une infraction principale. Tel que mentionné précédemment[27], cette infraction principale est de responsabilité stricte.
566. Toute personne qui, par son acte ou son omission, en aide une autre à commettre une infraction est coupable de cette infraction, si elle savait ou aurait dû savoir que sa conduite aurait comme conséquence probable d’aider à la perpétration de l’infraction.
[Soulignements du Tribunal]
[50]
Pour déterminer les éléments constitutifs du mode de participation prévu
à l’article
[51] En effet, une disposition qui édicte un mode de participation à une autre infraction (« par son acte ou omission en aide une autre ») ne crée pas nécessairement une infraction secondaire.
[52] Plus précisément, si le texte prévoit que la personne qui aide commet elle-même une infraction (« commet une infraction »), l’infraction de complicité est une infraction distincte.
[53] À l’inverse, si le texte prévoit que le complice est coupable de l’infraction commise par l’acteur principal, comme s’il l’avait commise lui-même (« est coupable de cette infraction »), il s’agit d’un mode de participation. L’infraction est alors qualifiée d’infraction secondaire[28].
[54]
Vu le texte de la disposition, l’infraction prévue à l’article
[55] La responsabilité pénale secondaire qui résulte de la participation à une infraction nécessite la preuve d’un état d’esprit blâmable. Cette preuve est requise même lorsque la preuve d’un état d’esprit blâmable n’est pas exigée pour l’infraction principale[29].
[56]
Ainsi, le jugement de première instance conclut avec justesse que la
preuve d’un état d’esprit blâmable est nécessaire ici, même s’il s’agit d’une
infraction statutaire[30].
À la lumière du texte de l’article
[11] L’utilisation des termes « si elle savait ou aurait dû savoir » font référence à une norme d’appréciation objective, soit la négligence pénale. Le libellé de l’infraction reprochée nécessite la preuve que le défendeur avait l’intention d’aider une personne morale à verser une contribution illégale, sachant, ou devant savoir, que ses actes ou son omission d’agir menaient probablement à sa perpétration, qu’il était conscient des faits constituant l’infraction ou refusait volontairement de les envisager.
[12] Ainsi, que le complice sache ou non que son action ou omission aura pour conséquence d’aider l’auteur principal importe peu. Il suffit d’établir que la personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances l’aurait su. La conduite du défendeur s’apprécie donc en fonction de celle d’une personne raisonnable s’adonnant à la même activité.
[Soulignements du Tribunal]
[57] Aux fins de prouver l’état d’esprit blâmable requis, il suffisait donc que le DGE établisse une prévisibilité objective, c’est-à-dire que M. Milot « aurait dû savoir que sa conduite aurait comme conséquence probable d’aider» une personne morale à tenter de verser une contribution.
[58]
Ajoutons tout de même que le DGE n’avait pas à prouver que
M. Milot avait effectivement l’intention d’aider une autre personne à
commettre une infraction, ici d’aider une personne morale à tenter de verser
une contribution. Si une telle preuve était requise, les précisions que
l’article
[59] En effet, comment pourrait-on, d’une part, exiger une preuve que le défendeur avait l’intention spécifique d’aider une personne morale à contrevenir à la loi et, d’autre part, respecter le texte selon lequel un défendeur peut être reconnu coupable si on conclut qu’il aurait dû savoir que sa conduite aurait comme conséquence probable d’aider une personne à contrevenir à la loi.
[60] Le seuil minimal de la responsabilité pénale s’applique donc ici quant à la preuve de l’état d’esprit blâmable et ce seuil se mesure par rapport à la personne raisonnable[31]. Le fait qu’il s’agisse ici d’une infraction de manœuvre électorale frauduleuse ne rehausse pas, à lui seul, ce seuil minimal requis[32].
[61]
On ne peut non plus conclure que la sévérité des sanctions prévues à
l’article
[62] Ainsi, il était suffisant pour le DGE d’établir hors de tout doute raisonnable que M. Milot « aurait dû savoir que sa conduite aurait comme conséquence probable d’aider » une personne morale à tenter de verser une contribution.
[63] Bien qu’il identifie correctement l’état d’esprit blâmable constitutif de ce mode de participation à une infraction à la Loi électorale, le jugement de première instance n’analyse pas la question sous cet angle. En effet, il ne comporte aucune analyse visant à déterminer si le DGE a établi hors de tout doute raisonnable que M. Milot aurait dû savoir que sa conduite aurait comme conséquence probable d’aider une personne morale à verser une contribution.
[64] Plutôt, il enchaîne immédiatement[34] avec l’analyse de la défense de diligence raisonnable et déplace l’étude de la question de l’état d’esprit blâmable au chapitre de l’appréciation de la défense de diligence ou d’erreur raisonnable.
[65] Ainsi, le jugement dont appel s’emploie à déterminer si M. Milot a pris les précautions raisonnables pour éviter qu’une personne morale ne tente de contrevenir à la loi.
[24] Dans les circonstances, le fait d’ignorer que le chèque n’est pas tiré du compte personnel de Georges Sabbah, n’est d’aucun secours pour le défendeur puisqu’il aurait dû le savoir en s’assurant de la conformité de cette contribution avant de la soumettre. Il n’établit aucun moyen de défense ni ne fournit aucune excuse valable pouvant justifier pareil manquement de sa part.
[25] Par ailleurs, le défendeur ne peut espérer échapper à sa responsabilité pénale, en se réfugiant derrière le filet de sécurité mis en place par le DGE pour vérifier la conformité des contributions. Un tel filet ne saurait servir d’échappatoire à ses propres manquements, puisque s’en remettre totalement à une autre personne, sans contrôle ni supervision de sa part, relève d’un aveuglement volontaire ne pouvant constituer un moyen de défense ou une excuse valable.[35]
[Soulignements du Tribunal]
[66] Avec respect, il s’agit d’une erreur déterminante.
[67] Premièrement, cette erreur mène à l’analyse de la mauvaise question: « un solliciteur raisonnablement prudent aurait-il fait plus de vérifications pour empêcher qu’une personne morale ne tente de verser une contribution illégale ? » plutôt que : « un solliciteur raisonnablement prudent aurait-il pu raisonnablement croire que ses agissements auraient probablement pour conséquence d’aider une personne morale à tenter de verser une contribution ? ».
[68] Deuxièmement, cette erreur fait reposer le fardeau de la preuve sur le défendeur, alors qu’il appartient au DGE de démontrer hors de tout doute raisonnable les éléments constitutifs de l’infraction, incluant l’état d’esprit blâmable objectif.
[69] Même si les faits ne sont pas contestés, le Tribunal n’est pas en mesure de conclure avec suffisamment d’assurance quelle aurait été l’issue du procès sans cette erreur déterminante. Seule une nouvelle instruction permettrait de le faire.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[70] ACCUEILLE l’appel;
[71] ANNULE le jugement rendu le 21 avril 2017;
[72] ORDONNE la tenue d’un nouveau procès;
[73] AVEC LES FRAIS D’APPEL.
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MARIE-ANNE PAQUETTE, j.c.s. |
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Me Julius H. Grey Me Isabelle Turgeon |
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GREY CASGRAIN, s.e.n.c.r.l. |
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Avocats de l’appelant |
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Me Christina Chabot Me Nadia Lavigne Me Mathilde Bhérer |
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DIRECTEUR GÉNÉRAL DES ÉLECTIONS DU QUÉBEC |
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Avocates de l’intimé |
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Dates d’audience : |
5 septembre 2018 |
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3. LES DISPOSITIONS PERTINENTES DE LA LOI ÉLECTORALE
5.1 L’état d’esprit blâmable (mens rea) requis
5.1.2 M. Milot a été déclaré coupable de participation à une infraction
5.1.3 La preuve d’un état d’esprit blâmable objectif était requise
5.2 Le remède : une nouvelle instruction doit être ordonnée
[1] RLRQ, c. E-3.3.
[2]
Directeur général des élections du Québec c. Milot,
[3] Témoignage de M. Milot, p. 50-52.
[4] Pièce P-4 (Certificats de solliciteurs).
[5] Pièce P-8 (Registre des entreprises du Québec); Témoignage M. Sabbah, p. 6, lignes 12 à 25.
[6] Pièce P-5 (Fiche de contribution).
[7] Pièce P-7 (Rapport d’intervention des contributions en vérification, 6 mars 2014); Témoignage de monsieur Mathieu Gousse, p. 42, lignes 1 à 11.
[8] Témoignage de M. Sabbah, p. 9, lignes 19 à 25 et p.10, lignes 1 à 25.
[9]
Directeur général des élections du Québec c. Milot,
juge de paix magistrat).
[10] Constat d’infraction (2 mai 2016).
[11] Dossier no 700-61-138398-166.
[12] RLRQ, c. C-25.01.
[13] RLRQ, c. E-2.2.
[14] RLRQ, c. C-25.1.
[15] RLRQ, c. E-2.2.
[16] Transcription du 9 février 2018, pp. 2-3.
[17] Loi électorale, art. 564.2; Transcription du 9 février 2018, pp. 4-5.
[18] Dossier 700-17-014999-188.
[19] Id.
[20]
Directeur général des élections du Québec c. Milot,
[21]
La Souveraine c. Autorité des
marchés financiers,
[22]
La Reine c. Sault Ste-Marie,
[23]
La Souveraine c. Autorité des marchés financiers,
[24]
La Reine c. Sault Ste-Marie,
[25]
Directeur général des élections du Québec c. Milot,
[26]
La Souveraine c. Autorité des marchés financiers,
[27] Par. [41] à [46] du présent jugement.
[28]
La Souveraine c. Autorité des marchés financiers,
[29] Id., par. 38-40, 43, 46-47.
[30]
Directeur général des élections du Québec c. Milot,
[31] Guy COURNOYER et Gilles LÉTOURNEAU, Code de procédure pénale annoté, 10e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2016, p. 127.
[32] Thérien c. Pellerin, 1997 CanLII 10408, pages 31-33 (QC C.A.).
[33]
Voir par analogie : Green c. Société du Barreau du Manitoba,
[34]
Directeur général des élections du Québec c. Milot,
[35]
Directeur général des élections du Québec c. Milot,
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.