Autobus Tremblay & Paradis inc. et Tremblay |
2008 QCCLP 6725 |
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[1] Le 20 décembre 2007, Autobus Tremblay & Paradis inc., l’employeur, dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles à l’encontre d’une décision rendue le 15 novembre 2007 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST, donnant suite à l’avis émis par le membre du Bureau d’évaluation médicale (le BEM) le 17 septembre 2007, se déclare liée par celui-ci quant à la date de consolidation, la nécessité ou suffisance des soins, l’existence d’une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles. Par conséquent, la CSST confirme la décision rendue le 15 novembre 2007, déclare que M. Raynald Tremblay, le travailleur, est capable d’exercer son emploi à compter du 29 juin 2007 et met fin au versement de l’indemnité de remplacement du revenu.
[3] Par cette même décision, la CSST déclare que le travailleur a droit à une indemnité pour préjudice corporel en raison du pourcentage d’atteinte permanente à l’intégrité physique.
[4] Une audience est tenue à Québec le 3 juillet 2008 à laquelle assistent l’employeur et son représentant de même que le travailleur.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[5] L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que la procédure d’évaluation médicale suivie par la CSST pour obtenir l’avis du membre du BEM n’est pas conforme à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi). À cet égard, il soutient que la CSST était plutôt liée par l’avis complémentaire émis par le médecin ayant charge de sorte que la décision rendue par laquelle elle entérine l’avis émis par le membre du BEM est mal fondée.
L’AVIS DES MEMBRES
[6] Le membre issu des associations syndicales et le membre issu des associations d'employeurs sont d’avis que la procédure d’évaluation médicale est régulière. À cet égard, ils soulignent que le rapport complémentaire du médecin ayant charge a été produit après le délai de 30 jours prévu à la loi. Quoiqu’il en soit, à la lecture même de l’avis émis par le membre du BEM, il en ressort que la CSST a transmis le rapport complémentaire au BEM, de sorte que celui-ci dispose de ces informations au moment de rendre son avis. Ils considèrent qu’il y aurait donc lieu de rejeter la contestation logée par l’employeur.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[7] La Commission des lésions professionnelles doit se prononcer sur le bien-fondé de la décision rendue par la CSST, laquelle donnait suite à l’avis émis par le membre du BEM le 17 septembre 2007.
[8] Les articles de la loi, pertinents à la solution de ce litige, sont les suivants :
204. La Commission peut exiger d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle qu'il se soumette à l'examen du professionnel de la santé qu'elle désigne, pour obtenir un rapport écrit de celui-ci sur toute question relative à la lésion. Le travailleur doit se soumettre à cet examen.
La Commission assume le coût de cet examen et les dépenses qu'engage le travailleur pour s'y rendre selon les normes et les montants qu'elle détermine en vertu de l'article 115 .
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1985, c. 6, a. 204; 1992, c. 11, a. 13.
205.1. Si le rapport du professionnel de la santé désigné aux fins de l'application de l'article 204 infirme les conclusions du médecin qui a charge du travailleur quant à l'un ou plusieurs des sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212, ce dernier peut, dans les 30 jours de la date de la réception de ce rapport, fournir à la Commission, sur le formulaire qu'elle prescrit, un rapport complémentaire en vue d'étayer ses conclusions et, le cas échéant, y joindre un rapport de consultation motivé. Le médecin qui a charge du travailleur informe celui-ci, sans délai, du contenu de son rapport.
La Commission peut soumettre ces rapports, incluant, le cas échéant, le rapport complémentaire au Bureau d'évaluation médicale prévu à l'article 216 .
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1997, c. 27, a. 3.
206. La Commission peut soumettre au Bureau d'évaluation médicale le rapport qu'elle a obtenu en vertu de l'article 204, même si ce rapport porte sur l'un ou plusieurs des sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212 sur lequel le médecin qui a charge du travailleur ne s'est pas prononcé.
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1985, c. 6, a. 206; 1992, c. 11, a. 13.
212. L'employeur qui a droit d'accès au dossier que la Commission possède au sujet d'une lésion professionnelle dont a été victime un travailleur peut contester l'attestation ou le rapport du médecin qui a charge du travailleur, s'il obtient un rapport d'un professionnel de la santé qui, après avoir examiné le travailleur, infirme les conclusions de ce médecin quant à l'un ou plusieurs des sujets suivants :
1° le diagnostic;
2° la date ou la période prévisible de consolidation de la lésion;
3° la nature, la nécessité, la suffisance ou la durée des soins ou des traitements administrés ou prescrits;
4° l'existence ou le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur;
5° l'existence ou l'évaluation des limitations fonctionnelles du travailleur.
L'employeur transmet copie de ce rapport à la Commission dans les 30 jours de la date de la réception de l'attestation ou du rapport qu'il désire contester.
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1985, c. 6, a. 212; 1992, c. 11, a. 15; 1997, c. 27, a. 4.
217. La Commission soumet sans délai les contestations prévues aux articles 205.1, 206 et 212.1 au Bureau d'évaluation médicale en avisant le ministre de l'objet en litige et en l'informant des noms et adresses des parties et des professionnels de la santé concernés.
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1985, c. 6, a. 217; 1992, c. 11, a. 19; 1997, c. 27, a. 6.
221. Le membre du Bureau d'évaluation médicale, par avis écrit motivé, infirme ou confirme le diagnostic et les autres conclusions du médecin qui a charge du travailleur et du professionnel de la santé désigné par la Commission ou l'employeur, relativement aux sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212, et y substitue les siens, s'il y a lieu.
Il peut aussi, s'il l'estime approprié, donner son avis relativement à chacun de ces sujets, même si le médecin qui a charge du travailleur ou le professionnel de la santé désigné par l'employeur ou la Commission ne s'est pas prononcé relativement à ce sujet.
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1985, c. 6, a. 221; 1992, c. 11, a. 23.
224. Aux fins de rendre une décision en vertu de la présente loi, et sous réserve de l'article 224.1, la Commission est liée par le diagnostic et les autres conclusions établis par le médecin qui a charge du travailleur relativement aux sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212 .
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1985, c. 6, a. 224; 1992, c. 11, a. 26.
224.1. Lorsqu'un membre du Bureau d'évaluation médicale rend un avis en vertu de l'article 221 dans le délai prescrit à l'article 222, la Commission est liée par cet avis et rend une décision en conséquence.
Lorsque le membre de ce Bureau ne rend pas son avis dans le délai prescrit à l'article 222, la Commission est liée par le rapport qu'elle a obtenu du professionnel de la santé qu'elle a désigné, le cas échéant.
Si elle n'a pas déjà obtenu un tel rapport, la Commission peut demander au professionnel de la santé qu'elle désigne un rapport sur le sujet mentionné aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212 qui a fait l'objet de la contestation; elle est alors liée par le premier avis ou rapport qu'elle reçoit, du membre du Bureau d'évaluation médicale ou du professionnel de la santé qu'elle a désigné, et elle rend une décision en conséquence.
La Commission verse au dossier du travailleur tout avis ou rapport qu'elle reçoit même s'il ne la lie pas.
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1992, c. 11, a. 27.
[9] Le 22 février 2007, le travailleur subit une lésion professionnelle alors qu’en soulevant une charge, il ressent une douleur au dos. Il consulte un médecin dès le lendemain, lequel pose le diagnostic d’une entorse lombaire. Le médecin prescrit des traitements de physiothérapie pour une lombosciatalgie au membre inférieur gauche.
[10] À compter du 8 mars 2007, le travailleur est suivi par le Dr Jean Morin, lequel agit à titre de médecin ayant charge.
[11] Le 15 mai 2007, le Dr Morin mentionne au rapport médical que le travailleur présente une entorse lombaire rebelle. Il recommande d’obtenir une opinion quant à la condition du travailleur auprès d’un médecin-conseil. Il prévoit la consolidation de la lésion au 4 juin 2007.
[12] Le 22 mai 2007, la CSST demande que le travailleur soit examiné par le Dr Jean-François Fradet, chirurgien orthopédiste, conformément à l’article 204 de la loi afin que celui-ci se prononce sur les points 2 à 5 de l’article 212 de la loi.
[13] Le 4 juin 2007, l’intervenant de la CSST consigne au dossier que le médecin a autorisé un retour au travail uniquement pour les tâches de chauffeur d’autobus.
[14] Le 19 juin 2007, le Dr Morin précise au rapport médical que le travailleur présente des douleurs résiduelles de l’ordre de 3 à 4 sur une échelle de 10 mais, qu’il a repris son travail à ses tâches habituelles à compter de la date de son examen.
[15] Le 29 juin 2007, le Dr Jean-François Fradet examine le travailleur. Il conclut son rapport en précisant que le travailleur lui dit présenter une amélioration de sa condition dans une proportion de 50 %. Il se plaint encore d’une douleur lombaire basse intermittente en paravertébrale gauche qui irradie au niveau du membre inférieur gauche. Le Dr Fradet considère que l’examen fait à ce jour est dans les limites de la normale du point de vue locomoteur et neurologique. Il observe toutefois une ankylose en extension, en position debout, mais il ajoute que celle-ci n’est pas confirmée par un examen croisé. Il conclut son rapport en précisant que les traitements administrés jusqu’à ce jour sont suffisants. À son avis, il n’y a aucune indication de traitement supplémentaire en relation avec le diagnostic d’une entorse lombaire.
[16] En ce qui concerne la date de consolidation de la lésion, le Dr Fradet souligne qu’il s’est écoulé plus de quatre mois depuis l’événement et qu’il n’y a plus de signe clinique d’une entorse lombaire. Le travailleur ayant atteint une stabilité de sa condition, il considère que la date de consolidation correspond à celle de son examen, soit le 29 juin 2007. À son avis, il n’y a plus d’évidence d’une entorse lombaire et, devant un examen normal, il estime qu’il n’y a pas d’atteinte permanente ni de limitations fonctionnelles en relation avec l’événement initial du 22 février 2007.
[17] La CSST reçoit le rapport du Dr Fradet le 6 juillet 2007.
[18] Le 11 juillet 2007, la CSST transmet le rapport au Dr Morin et lui demande de le commenter dans une délai de 30 jours.
[19] Le 15 août 2007, l’intervenant de la CSST consigne au dossier ne pas avoir reçu le rapport complémentaire transmis au médecin qui a charge le 11 juillet 2007. Une « demande d’avis auprès du BEM » est complétée le 15 août 2007. La CSST demande au BEM de se prononcer sur la divergence d’opinions entre les Drs Morin et Fradet au sujet de la date de consolidation de la lésion, de la nature, nécessité, suffisance ou durée des soins ou traitements de même que l’existence ou non des limitations fonctionnelles et de l’atteinte permanente.
[20] Le 27 août 2007, la CSST reçoit le rapport complémentaire complété par le Dr Morin le 21 août 2007.
[21] Le Dr Morin précise qu’après lecture du rapport d’expertise médicale produit par le Dr Fradet, il convient que la date de consolidation est le 29 juin 2007, que la durée des traitements en physiothérapie prenait fin au 31 mai 2007 et qu’il n’y a aucune atteinte permanente ni limitations fonctionnelles découlant de la lésion.
[22] Un rapport final est également complété par le Dr Morin le 21 août 2007 sur lequel retient la date de consolidation fixée par le Dr Fradet, soit le 29 juin 2007 et précise que la lésion n’entraîne pas d’atteinte permanente ni de limitations fonctionnelles.
[23] L’intervenant de la CSST consigne aux notes évolutives avoir informé le représentant de l’employeur qu’elle a soumis le litige au BEM car il n’avait pas en main le rapport final complété par le médecin ayant charge. L’employeur lui en transmet une copie à ce jour.
[24] Le 10 septembre 2007, le Dr Marc Ross Michaud, chirurgien orthopédiste, désigné pour agir en qualité de membre du BEM, examine le travailleur à la suite duquel il rend son avis le 17 septembre 2007.
[25] Dans son avis rendu, le membre du BEM précise avoir pris connaissance de l’ensemble des rapports médicaux contenus au dossier dont le rapport d’expertise produit par le Dr Fradet le 29 juin 2007 de même que le rapport complémentaire du 21 août 2007 complété par le Dr Morin. Le membre du BEM retient la date de consolidation de la lésion déterminée par les Drs Fradet et Morin, soit le 29 juin 2007, sans nécessité de traitement additionnel.
[26] En ce qui concerne l’existence ou le pourcentage d’atteinte permanente à l’intégrité physique, le membre du BEM précise toutefois que dans le cadre de son pouvoir discrétionnaire, il se prononce sur le déficit anatomo-physiologique à retenir, soit 2 % pour entorse lombaire avec séquelles fonctionnelles objectivées dont le code correspondant au Règlement sur le barème des dommages corporels[2] (le barème) est le 204 004. De plus, il identifie des limitations fonctionnelles découlant de la lésion, lesquelles correspondent à la classe I, selon l’IRSST.
[27] Le représentant de l’employeur plaide notamment que la CSST n’avait pas à soumettre le dossier au BEM puisque le médecin ayant charge a entériné les conclusions du Dr Fradet et que devant ce fait, la CSST devenait liée par cette opinion.
[28] D’abord, à la lecture de l’article 205.1 de la loi, il en ressort que le médecin traitant dispose d’un délai de 30 jours pour fournir à la CSST un rapport complémentaire afin de commenter les conclusions émises par le médecin désigné en vertu de l’article 204 de la loi. Rappelons que cette disposition n’impose pas une obligation pour le médecin traitant à se prévaloir de la possibilité de produire un rapport complémentaire mais, lui en offre plutôt l’opportunité. Il s’agit là d’une étape préalable à la demande d’un avis au membre du BEM.
[29] Dès lors, même si le médecin traitant n’a pas produit de rapport complémentaire, la Commission des lésions professionnelles estime que la CSST peut demander un avis au BEM.
[30] Par ailleurs, l’article 217 de la loi prévoit que la CSST doit agir avec célérité pour soumettre le litige au BEM.
[31] Ceci étant, les conclusions du Dr Fradet allant à l’encontre de celles du médecin ayant charge, c’est donc à bon droit que la CSST a acheminé la demande au BEM le 15 août 2007 et qu’elle lui a soumis ensuite le rapport complémentaire reçu entre-temps. Ce faisant, le membre du BEM disposait de toutes les informations apparaissant au dossier du travailleur aux fins de se prononcer sur les questions en litige[3].
[32] Quant à l’avis émis par le membre du BEM, lequel se prononce sur l’existence d’une atteinte permanente à l’intégrité physique et des limitations fonctionnelles, la jurisprudence a reconnu que, conformément à l’article 221 de la loi, le membre du BEM peut se prononcer sur un ou plusieurs sujets, s’il le juge approprié que le médecin ayant charge ou le médecin désigné se soit ou non prononcé sur ces questions. Par ailleurs, le BEM peut également donner son avis sur tous les points qu’il juge nécessaire même en l’absence de litige sur ces sujets[4].
[33] Compte tenu de ce qui précède, la Commission des lésions professionnelles estime que la procédure d’évaluation médicale ne comporte pas d’irrégularité.
[34] Par conséquent, la Commission des lésions professionnelles estime que la CSST était liée par l’avis émis par le membre du BEM et que la décision rendue lui donnant suite est bien fondée.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête déposée le 20 décembre 2007 par Autobus Tremblay & Paradis inc.;
CONFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 15 novembre 2007 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que la lésion était consolidée le 29 juin 2007 sans nécessité de soins ou traitements additionnels, que le déficit anatomo-physiologique est de l’ordre de 2 % pour entorse lombaire avec séquelles fonctionnelles objectivées et que les limitations fonctionnelles de M. Raynald Tremblay sont celles de classe I selon l’IRSST telles qu’identifiées à l’avis émis par le membre du Bureau d’évaluation médicale.
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HÉLÈNE THÉRIAULT |
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M. Yves Brassard |
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ASSOCIATION DU TRANSPORT ÉCOLIER DU QUÉBEC |
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Représentant de la partie requérante |
AVIS :
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