Décision

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Rivest c. Brault & Martineau inc.

2014 QCCQ 3354

JD2786

 
COUR DU QUÉBEC

« Division des petites créances »

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE  LONGUEUIL

LOCALITÉ DE LONGUEUIL

« Chambre civile »

 

N° :            505-32-031220-131

 

DATE :      3 avril 2014

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SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE MONIQUE DUPUIS, J.C.Q.

______________________________________________________________________

 

 

ANNICK RIVEST

                        Demanderesse

c.

BRAULT & MARTINEAU INC.

                        Défenderesse

et

EDGEWOOD FURNITURE

                        Appelée

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

[1]           Annick Rivest (" Rivest ")[1] réclame 2 176,23$ à Brault & Martineau inc. (" Brault & Martineau "), soit le prix payé pour un fauteuil sectionnel et son pouf en octobre 2010. Brault & Martineau a reconnu que ce meuble était affecté de défauts de fabrication et l'a remplacé par un autre du même modèle.

[2]           Ce deuxième meuble étant également défectueux, Brault & Martineau l'a remplacé pour un troisième du même manufacturier mais de modèle différent.

[3]           Rivest prétend que ce fauteuil sectionnel est aussi affecté de vices de fabrication, ce que nie Brault & Martineau.

 

Le contexte

[4]           En octobre 2010, Rivest achète un fauteuil sectionnel ainsi qu'un pouf en cuir laminé de marque Edgewood au prix total de 2 176,23$ (pièce P-3). Ce meuble est livré le 6 novembre 2010.

[5]           Deux semaines après la livraison, le pouf est défoncé sur un côté et la section droite du siège a un trou apparent dans la couture.

[6]           Rivest en informe le service à la clientèle de Brault & Martineau qui dépêche un évaluateur chez elle. Le fauteuil et le pouf sont remplacés le 26 janvier 2011 sans frais pour Rivest par un modèle identique.

[7]           Un mois après la livraison de ce deuxième meuble, les coutures des capitons cèdent à plusieurs endroits. Rivest se rend chez Brault & Martineau et rencontre Maxime Lalonde (" Lalonde ") directeur adjoint.

[8]           Il lui vante le nouveau modèle fabriqué par Edgewood Furniture et la convainc de l'accepter en échange. Malgré le peu de confiance qu'elle entretient à l'égard de ce manufacturier, Rivest accepte.

[9]           Le troisième meuble lui est livré le 16 octobre 2011. Sur la facture, on retrouve la mention " défaut manufacturier " et " raison : les dossiers du coussin ont lâché et problème de dye lot " expliquant le retour et le remplacement.

[10]        La facture indique que la valeur du fauteuil est de 1 399,00$ et celui du pouf est de 399,00$ avant taxes.

[11]        Sept mois plus tard, Rivest constate à nouveau des défauts sur ce fauteuil : la couture à l'arrière du dossier commence à céder et à prendre de l'expansion. De plus, le cuir sur deux coussins des assises s'effrite et décolle autour des coutures.

[12]        Elle communique à nouveau avec Brault & Martineau qui envoie le 30 juillet 2012 un représentant de Réparation M.A. Vinyle inc. pour constater et évaluer les dommages.

[13]        Celui-ci prend quelques photos et examine le fauteuil. Il fait signer à Rivest un document attestant de sa visite et complète un rapport sur cet appel de service (pièce D-5). Il décrit ainsi le problème :

" Le modèle se découd en arrière, la cliente demande un échange. Je vais envoyer les photos pour montrer le problème. "

 

[14]        Il ajoute plus loin :

 " Il y a une déchirure qui a cassé le fil et toute la couture s'est défaite. D'après moi c'est de l'abus comme si quelqu'un aurait tiré sur le dossier (sic). "

[15]        Rivest demeure sans nouvelles de Brault & Martineau. Elle communique avec le service à la clientèle quelques semaines plus tard, et est informée des conclusions du technicien quant à un soi-disant usage abusif. Brault & Martineau nie toute responsabilité et refuse de reprendre le meuble et lui rendre le prix payé.

[16]        Brault & Martineau reconnaît par ailleurs que l'usure du cuir sur deux coussins d'assise est prématurée et offre de les remplacer par des nouveaux, ce que Rivest refuse.

[17]        Le 13 mars 2013, elle adresse une mise en demeure à Brault & Martineau réclamant le remboursement du prix payé initialement.

Analyse et décision

[18]        Cette affaire met en jeu les articles 37 et 38 de la Loi sur la protection du consommateur[2] (" L.p.c. ") qui stipulent ce qui suit :

" 37. Un bien qui fait l'objet d'un contrat doit être tel qu'il puisse servir à l'usage auquel il est normalement destiné.

38. Un bien qui fait l'objet d'un contrat doit être tel qu'il puisse servir à un usage normal pendant une durée raisonnable, eu égard à son prix, aux dispositions du contrat et aux conditions d'utilisation du bien. "

[19]        Dans le cas des deux premiers fauteuils livrés à Rivest, Brault & Martineau a reconnu qu'ils n'avaient pas servi à un usage normal pour une durée raisonnable et a consenti sans problème à les échanger pour un nouveau.

[20]        Le témoignage de Rivest et les photos qu'elle produit sont à l'effet que les coutures du dossier du troisième fauteuil livré par Brault & Martineau ont cédé après à peine sept mois d'usage. Il ne s'agit certes pas d'un bien qui sert à un usage normal pendant une durée raisonnable, eu égard à toutes les circonstances.

[21]        Brault & Martineau prétend que les coutures ont cédé à cause d'une déchirure qui résulte d'un usage abusif du fauteuil. On aurait agrippé le coussin du dossier pour tirer le fauteuil, provoquant ainsi cette déchirure.

[22]        Pour être exonérée de sa responsabilité aux termes de l'article 38 L.p.c., Brault & Martineau doit démontrer le bien-fondé de ses prétentions par preuve prépondérante comme le stipulent les articles 2803 et 2804 du Code civil du Québec (" C.c.Q. ") :

" Art. 2803 Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.

Celui qui prétend qu'un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée.

Art. 2804 La preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante. "

[23]        La preuve présentée à la Division des petites créances doit répondre aux règles habituelles de preuve. Ainsi, la partie à qui incombe la charge de la preuve doit l'établir de façon prépondérante au moyen d'éléments factuels pertinents en droit et en faits. La règle de la prépondérance de la preuve exige que celui à qui elle incombe démontre que l'existence des faits qu'il invoque est plus probable que leur inexistence. Il ne s'agit pas de démontrer par une certitude absolue ces faits. En l'absence de prépondérance de preuve, la partie qui ne peut se décharger de son fardeau perd sa cause.

[24]        Brault & Martineau fait entendre son directeur adjoint du service à la clientèle au siège social, Jean-Sébastien Courbron (" Courbron "). Malgré son expérience de dix ans à ce poste, Courbron ne dispose certainement pas de la formation ou d'expérience particulière permettant au Tribunal de le qualifier comme expert pour déterminer la cause d'une déchirure d'un meuble en cuir.

[25]        Au surplus, il n'a aucune connaissance personnelle des faits, tout son témoignage étant essentiellement basé sur des faits rapportés par divers intervenants au service de Brault & Martineau.

[26]        André Hébert (" Hébert ") est propriétaire de la compagnie Réparation M.A. Vinyle inc. qui répond à ces appels de service de même qu'à ceux d'autres compagnies depuis plusieurs années. Il a 20 ans d'expérience à identifier la cause de problèmes affectant les revêtements de cuir ou de vinyle des meubles vendus pas Brault & Martineau. Il est rembourreur depuis plus de 20 ans.

[27]        Il affirme que les coutures du dossier du fauteuil ont cédé à cause d'une déchirure qui a affaibli l'ensemble. Pour ce faire, il se réfère au document " appel de service " apparemment complété le 30 juillet 2012.

[28]        Or, il ne se souvient pas si c'est lui qui s'est rendu chez Rivest pour répondre à l'appel de service en provenance de chez Brault & Martineau. Il ne peut reconnaître sa signature sur le document ni quelque indice que ce soit lui permettant de confirmer que c'est lui qui a rempli ce rapport.

[29]        Rivest est formelle, ce n'est pas lui qui s'est présenté chez elle.

[30]        Hébert n'a vraisemblablement pas de connaissance personnelle des faits, il n'a pas vu le fauteuil.

[31]        Même si le Tribunal le qualifiait d'expert, il ne peut donner son opinion sur la cause des faiblesses des coutures du meuble livré en octobre 2011, la prémisse incontournable au témoignage d'un expert étant qu'il doit avoir observé et examiné lui-même l'objet sur lequel porte son expertise.

[32]        Par ailleurs, d'autres causes pourraient expliquer la déchirure, par exemple une faiblesse dans le cuir utilisé par le manufacturier ou le fait que lors de la confection, le tissu ait été coupé trop court.

[33]        Brault & Martineau n'a donc pas repoussé la présomption qui pesait contre elle, elle n'a pas fait la preuve que le défaut affectant les coutures du dossier du meuble livré en octobre 2011 résultait de la faute de Rivest ou d'un tiers.

[34]        Rivest n'a rien payé lors de la livraison de ce meuble. Cependant, il s'agit du remplacement d'un fauteuil livré précédemment, lui-même offert à Rivest en remplacement du premier acheté en octobre 2010 pour lequel elle a payé 2 176,23$, sans jamais obtenir un fauteuil sectionnel pouvant servir à un usage normal pendant une durée raisonnable, eu égard à son prix, aux dispositions du contrat et aux conditions d'utilisation du bien.

[35]        Brault & Martineau est donc tenue de lui rembourser le prix payé pour le tout premier fauteuil et son pouf, soit 2 176,23$.

[36]        En raison des circonstances particulières de la présente affaire, le Tribunal ne diminue pas le montant accordé à Rivest en fonction d'une dépréciation quelconque ou de l'usage qu'elle en a eu jusqu'au présent jugement.

[37]        Selon les photos produites (pièce P-2), ce fauteuil est la pièce centrale de la salle de séjour, elle-même au centre de la maison. Rivest en a certes eu l'usage, mais gâché par l'aspect défectueux du meuble en raison des déchirures et de l'usure du cuir des coussins d'assise.

[38]        Rivest a droit à la somme de 200,00$ réclamée en raison des troubles et inconvénients en raison du refus de Brault & Martineau de respecter ses obligations.

[39]        Sur paiement de la somme de 2 376,23$, Brault & Martineau pourra reprendre possession du fauteuil sectionnel Edgewood et du pouf livrés à Rivest, à ses frais, selon les conclusions du présent jugement.

[40]        Par ailleurs, le Tribunal accueille l'appel formé par Brault & Martineau à l'égard du manufacturier Edgewood Furniture, cette dernière étant responsable des vices de fabrication, en application des dispositions des articles 1726, 1729 et 1730 C.c.Q. :

" 1726. Le vendeur est tenu de garantir à l'acheteur que le bien et ses accessoires sont, lors de la vente, exempts de vices cachés qui le rendent impropre à l'usage auquel on le destine ou qui diminuent tellement son utilité que l'acheteur ne l'aurait pas acheté, ou n'aurait pas donné si haut prix, s'il les avait connus.

Il n'est, cependant, pas tenu de garantir le vice caché connu de l'acheteur ni le vice apparent; est apparent le vice qui peut être constaté par un acheteur prudent et diligent sans avoir besoin de recourir à un expert.

1729. En cas de vente par un vendeur professionnel, l'existence d'un vice au moment de la vente est présumée, lorsque le mauvais fonctionnement du bien ou sa détérioration survient prématurément par rapport à des biens identiques ou de même espèce; cette présomption est repoussée si le défaut est dû à une mauvaise utilisation du bien par l'acheteur.

1730. Sont également tenus à la garantie du vendeur, le fabricant, toute personne qui fait la distribution du bien sous son nom ou comme étant son bien et tout fournisseur du bien, notamment le grossiste et l'importateur. " (Le Tribunal souligne)

 

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[41]        ACCUEILLE l'action de la demanderesse;

[42]        CONDAMNE la défenderesse à payer à la demanderesse la somme de 2 376,23$ avec intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code Civil du Québec à compter du 19 mars 2013;

[43]        PERMET à la défenderesse, sur paiement de cette condamnation en capital, intérêts et frais, de reprendre le fauteuil sectionnel et le pouf Edgewood à ses frais, après avis écrit de 48 heures à la demanderesse;

[44]        À DÉFAUT par la défenderesse de procéder à l'enlèvement du fauteuil sectionnel et du pouf Edgewood dans un délai de deux mois du présent jugement, PERMET à la demanderesse d'en disposer.

[45]        CONDAMNE la défenderesse à payer à la demanderesse les frais judiciaires de 105,00$;

[46]        ACCUEILLE l'appel de la défenderesse à l'encontre d'Edgewood Furniture;

[47]        CONDAMNE Edgewood Furniture à payer à la défenderesse Brault & Martineau inc. la somme 2 376,23$ avec intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code Civil du Québec à compter du 19 mars 2013, et les frais judiciaires de 105,00$ payés à la demanderesse.

 

 

 

 

__________________________________

MONIQUE DUPUIS, J.C.Q.



[1]     L'utilisation des seuls noms ou prénoms dans le présent jugement a pour but d'alléger le texte et il ne faut y voir aucune discourtoisie à l'égard des personnes concernées.

[2]     L.R.Q., c. P-40.1.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.