Commission scolaire des Laurentides |
2013 QCCLP 7002 |
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[1] Le 14 janvier 2013, la Commission scolaire des Laurentides (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 3 janvier 2013, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST infirme celle qu’elle a initialement rendue le 22 octobre 2012 et déclare que la totalité du coût de l’indemnité de remplacement du revenu versée à la travailleuse pour la période du 13 au 20 juin 2012 doit être imputée au dossier de l’employeur.
[3] Une audience est tenue à Saint-Jérôme le 28 octobre 2013 en présence d’un représentant de l’employeur. Le dossier a été pris en délibéré le jour même.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’il ne doit pas être imputé du coût de l’indemnité de remplacement du revenu versée à la travailleuse pour la période du 13 juin au 26 septembre 2012, période pendant laquelle la travailleuse était incapable d’exercer son emploi en raison d’une maladie intercurrente n’ayant aucun lien avec la lésion professionnelle. Plus particulièrement, il invoque être obéré injustement au sens de l’article 326 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) en raison de l’imputation de ces prestations.
LES FAITS
[5] Le 23 mai 2012, la travailleuse occupe un emploi de directrice adjointe chez l’employeur lorsqu’elle est victime d’un accident du travail, pour lequel est retenu un diagnostic de fracture par arrachement naviculaire au pied gauche.
[6] À cette date, le médecin qui a charge recommande un arrêt de travail et suggère une consultation en orthopédie.
[7] Le 30 mai 2012, la docteure M. Rattue produit un Rapport médical dans lequel elle recommande un arrêt de travail jusqu’au 20 juin 2012.
[8] Le 4 juin 2012, le médecin qui a charge autorise une assignation temporaire.
[9] La travailleuse retourne donc au travail à compter du 11 juin 2012.
[10] À ce sujet, une note d’une agente d’indemnisation de la CSST souligne que selon la perception de la travailleuse elle était alors en travaux légers alors que l’employeur la considérait au travail régulier. Par contre, le 12 juin 2012, un médecin recommande un arrêt de travail pour la période du 13 au 29 juin 2012.
[11] Cet arrêt de travail est prescrit par le docteur Y. Gladu, médecin traitant de la travailleuse, et ce, en raison d’un trouble de l’adaptation. Il remplit alors un formulaire de demande d’assurance invalidité où il fait état de ce diagnostic. Il précise que la travailleuse éprouve des problèmes de concentration et de fatigue. Il prévoit une incapacité pour la période du 13 juin au 3 juillet 2012. Il ne fait pas mention des problèmes reliés à l’accident du travail.
[12] À compter du 13 juin 2012, la travailleuse est donc en arrêt de travail en raison d’un trouble de l’adaptation.
[13] Le 20 juin 2012, la travailleuse revoit la docteure Rattue, laquelle mentionne que cette dernière est apte à retourner au travail. Toutefois, elle précise qu’il y a lieu de procéder à des traitements de physiothérapie dans deux semaines.
[14] Au-delà de cette période, le docteur Gladu maintient la travailleuse en arrêt de travail en raison d’un trouble de l’adaptation.
[15] Pour sa part, la docteure Rattue mentionne dans le Rapport médical du 4 juillet 2012 que la travailleuse doit recevoir des traitements de physiothérapie à raison de deux à trois fois par semaine. Au cours des semaines suivantes, elle maintient sa recommandation de traitements en physiothérapie.
[16] Le 13 août 2012, une agente d’indemnisation de la CSST communique avec la travailleuse qui déclare être en mesure d’effectuer toutes ses tâches. Le jour même, l’agente communique avec l’employeur, lequel indique que l’assignation temporaire est toujours disponible.
[17] Le 14 août 2012, le docteur Gladu recommande un retour au travail progressif à raison de 25 heures par semaine à compter du 27 août 2012. Or, le lendemain la travailleuse revoit le docteur Gladu. Celui-ci annule ce retour au travail en raison de la maladie personnelle. Sur cet aspect, la travailleuse mentionne avoir fait une crise de panique ce qui a nécessité cette nouvelle visite médicale.
[18] L’arrêt de travail s’est poursuivi jusqu’au 26 septembre 2012, date à laquelle l’indemnité de remplacement du revenu a cessé d’être versée à la travailleuse.
[19] Le 25 septembre 2012, une représentante de l’employeur demande à la CSST un transfert du coût de l’indemnité de remplacement du revenu versée à la travailleuse à compter du 11 juin 2012, puisque la travailleuse était en arrêt de travail pour une condition strictement personnelle. Elle souligne que le médecin qui a charge avait mentionné dans son rapport du 21 juin 2012 que la travailleuse était apte à retourner au travail. Elle prétend que cette imputation a pour effet d’obérer injustement l’employeur.
[20] Lors de l’audience, le représentant de l’employeur invoque que la situation décrite au dossier justifie de ne pas imputer à l’employeur le coût de l’indemnité de remplacement du revenu versée à la travailleuse à compter du 11 juin 2012, puisque cela a pour effet de l’obérer injustement.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[21] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si le coût de l’indemnité de remplacement du revenu versée à la travailleuse à compter du 13 juin 2012 et ce jusqu’au 26 septembre 2012 doit être imputé au dossier de l’employeur.
[22] L’article 326 de la loi prévoit ce qui suit :
326. La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.
Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.
L'employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l'année suivant la date de l'accident.
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1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.
[23] Dans le présent dossier, l’employeur soutient avoir été obéré injustement du coût de l’indemnité de remplacement du revenu versée à la travailleuse à compter du 11 juin 2012, puisque cette dernière était en arrêt de travail en raison d’une condition personnelle. Toutefois, il s’avère que cet arrêt de travail a été prescrit par un médecin à compter du 13 juin 2012, c’est donc cette dernière date que le tribunal retiendra dans le cadre de son analyse.
[24] Il convient d’abord de souligner que l’objet du présent litige s’avère une demande de retrait de coûts du dossier financier de l’employeur, laquelle relève du chapitre du financement et plus particulièrement de l’article 326 de la loi. Lors de l’analyse d’une telle demande, le tribunal ne remet pas en cause le droit d’un travailleur à recevoir une prestation en conformité avec les dispositions relatives à l’indemnisation. Le tribunal doit plutôt se demander si le coût des prestations concernées doit être assumé par l’employeur.
[25] L’employeur recherche donc le transfert du coût de certaines périodes d’indemnité de remplacement du revenu versée à la travailleuse à la suite de sa lésion professionnelle.
[26] À cet égard, le législateur a prévu des dispositions spécifiques concernant le droit à l’indemnité de remplacement du revenu. Ainsi, il a reconnu le droit d’un travailleur à continuer de recevoir cette indemnité malgré la survenance d’une maladie intercurrente ou encore d’une condition personnelle. Celles-ci peuvent engendrer diverses situations, par exemple prolonger la période d’incapacité à occuper l’emploi, interrompre une assignation temporaire ou encore empêcher un travailleur d’effectuer un travail léger ou un retour progressif. Il convient alors de se demander si le coût des prestations versées en raison de ces situations doit nécessairement être imputé au dossier de l’employeur.
[27] Afin de répondre à cette interrogation, le législateur a également prévu des dispositions spécifiques afin de déterminer si le coût d’une prestation doit être imputé au dossier d’un employeur, en l’occurrence l’article 326 de la loi. L’analyse d’une demande de retrait de coûts basée sur cette disposition ne remet donc pas en cause le droit d’un travailleur à recevoir une prestation à la suite de sa lésion professionnelle.
[28] D’ailleurs, dans l’affaire Université McGill et Commission de la santé et de la sécurité du travail [2], le tribunal rappelle que les demandes de retrait de coûts du dossier financier d’un employeur relèvent de la division du financement. Il souligne que ces demandes sont fondées sur l’article 326 de la loi qui fait partie du chapitre du financement. Il précise alors que les dispositions relatives au financement n’opèrent pas en vase clos. Elles sont rattachées aux dispositions concernant l’indemnisation puisque les coûts découlent directement d’une prestation versée en vertu d’une lésion professionnelle. Ainsi, cet exercice visant à puiser dans le dossier d’indemnisation et dans les articles de loi pertinents les arguments nécessaires au retrait des coûts revendiqué est fait non seulement en matière d’assistance médicale, mais dans toutes les sphères du financement.
[29] Dans le présent dossier, l’employeur invoque avoir été obéré injustement du coût de certaines périodes d’indemnité de remplacement du revenu et se réfère alors au deuxième alinéa de l’article 326 de la loi. Il s’agit là d’une demande de transfert partiel du coût des prestations.
[30] À ce sujet, le tribunal a déjà déterminé à maintes occasions que ces demandes devaient être traitées en regard du deuxième alinéa de l’article 326 de la loi.
[31] Toutefois, une analyse de la jurisprudence récente du tribunal révèle qu’une telle demande devrait plutôt être analysée en vertu du premier alinéa de l’article 326 de la loi.
[32] Ainsi, dans l’affaire Supervac 2000[3], le tribunal a analysé l’ensemble de la jurisprudence et a conclu que le premier alinéa de l’article 326 de la loi pouvait recevoir application dans le cadre d’une demande de transfert partiel du coût des prestations comme celle qui est actuellement en litige dans le cadre de la présente contestation.
[33] Dans l’affaire Centre d’éveil Devenir Grand[4], le tribunal souscrit à cette interprétation et souligne ce qui suit :
[37] Dans l’affaire Supervac 20003 rendue le 28 octobre 2013, la Commission des lésions professionnelles écrit qu’afin de mieux cerner la portée de l’article 326 de la loi relativement au litige dont elle est saisie, soit que le coût de l’indemnité de remplacement du revenu versée au travailleur en raison de l’interruption de l’assignation temporaire occasionnée par son congédiement pour cause juste et suffisante ne devrait pas lui être imputé, il faut procéder à une analyse contextuelle globale de la loi.
[38] Par la suite, le tribunal fait une revue de la jurisprudence en la matière et relate que traditionnellement et de façon majoritaire, la Commission des lésions professionnelles a analysé les demandes de transfert au motif d’interruption ou d’impossibilité d’exécution de l’assignation temporaire pour une condition personnelle selon le deuxième alinéa de l’article 326 de la loi exigeant que l’employeur fasse la preuve qu’il est « obéré injustement »4.
[39] La Commission des lésions professionnelles rapporte que depuis 2003 quelques décisions ont été rendues5 traitant de ce type de demande en ayant recours au premier alinéa de l’article 326 de la loi plutôt qu’au deuxième alinéa au motif que le coût des prestations que l’employeur désire voir retirer de son dossier financier n’est pas directement dû en raison de l’accident du travail subi par le travailleur.
[40] Elle estime donc qu’il apparaît nécessaire de s’interroger sur l’intention réelle du législateur et s’exprime comme suit :
[99] Par conséquent, il apparaît nécessaire de s’interroger sur l’intention réelle du législateur lorsqu’il a édicté le principe général d’imputation au premier alinéa de l’article 326 de la loi et les exceptions à ce principe, notamment au deuxième alinéa du même article.
[100] Pour y parvenir, il est essentiel de revenir à l’analyse contextuelle globale de la loi qui fait ressortir que le principe général d’imputation prévu au premier alinéa de l’article 326 de la loi vise à s’assurer que le coût des prestations versées en raison d’un accident survenu chez un employeur lui soit imputé.
[101] Cependant, lorsqu’une partie de ces coûts est générée par une situation étrangère n’ayant pas de lien direct avec la lésion professionnelle, comme c’est notamment le cas du congédiement ou encore de la condition intercurrente ou personnelle interrompant une assignation temporaire, est-il justifiable que ces sommes demeurent imputées au dossier de l'employeur?
[102] Dans de telles circonstances, ne serait-ce pas le premier alinéa de l’article 326 de la loi qui devrait s’appliquer plutôt que le second?
[103] En vue de se prononcer à cet égard, le tribunal a analysé le libellé même de l’article 326 de la loi et en dégage les principes suivants.
[104] Le deuxième alinéa de l’article 326 de la loi semble référer à un transfert total du coût des prestations. Pour en venir à cette conclusion, le tribunal se base notamment sur l’expression retenue par le législateur, soit d’imputer « le coût des prestations ».
[105] Or, si l’on compare le libellé de cet alinéa à celui de l’article 329 de la loi où il est spécifiquement mentionné que la CSST peut imputer « tout ou partie du coût des prestations », il est possible de faire une distinction importante entre la portée de ces deux dispositions.
[106] D’ailleurs, dans l’affaire Les Systèmes Erin ltée27, la Commission des lésions professionnelles s’est penchée sur la portée du deuxième alinéa de l’article 326 de la loi. Il apparaît pertinent d’en citer certains passages :
[26] Finalement, il importe de souligner que l’article 326 de la loi permet un transfert du coût des prestations dues en raison d’un accident du travail, et ce, aux employeurs d’une, de plusieurs ou de toutes les unités afin de prévenir que l’employeur ne soit obéré injustement.
[27] Cela implique, comme dans le cas de l’article 327, qu’il y a transfert de coût et non partage, comme c’est le cas en application des articles 328 et 329. Cette dernière disposition prévoit que la CSST « peut [...] imputer tout ou partie du coût des prestations aux employeurs de toutes les unités » alors que l’article 326 prévoit que la CSST « peut [...] imputer le coût des prestations [...] aux employeurs [...] ». Ainsi, lorsqu’il y a matière à application de l’article 326 alinéa 2, la totalité du coût des prestations ne doit plus être imputée à l’employeur, un transfert devant être fait : il ne saurait être question de ne l’imputer que d’une partie du coût. C’est, en quelque sorte, tout ou rien.
[28] D’ailleurs, lorsqu’il est question d’un accident du travail attribuable à un tiers, la totalité du coût des prestations est toujours transférée ; il n’est jamais question de partage ou de transfert du coût pour une période donnée.9 Il a d’ailleurs déjà été décidé à plusieurs reprises qu’il devait obligatoirement en être ainsi.
[29] Étonnamment, lorsqu’il est question d’éviter que l’employeur soit obéré injustement, un transfert du coût des prestations pour une période donnée, soit un transfert d’une partie seulement du coût total, a régulièrement été accordé, sans, par contre, qu’il semble y avoir eu discussion sur cette question.10
[30] Avec respect pour cette position, la commissaire soussignée ne peut la partager, pour les motifs exprimés précédemment. Il en va des cas où l’on conclut que l’employeur serait obéré injustement comme de ceux où l’on conclut à un accident attribuable à un tiers : l’employeur ne saurait alors être imputé ne serait-ce que d’une partie du coût des prestations dues en raison de l’accident du travail.
[31] Il importe cependant de préciser qu’il est possible, en application de l’article 326 (mais alinéa 1), de ne pas imputer à l’employeur une partie du coût des prestations versées au travailleur, pour autant que cette partie du coût ne soit pas due en raison de l’accident du travail. Un bon exemple de cette situation est la survenance d’une maladie personnelle intercurrente (par exemple, le travailleur fait un infarctus, ce qui retarde la consolidation ou la réadaptation liée à la lésion professionnelle) : les prestations sont alors versées par la CSST, mais comme elles ne sont pas directement attribuables à l’accident du travail elles ne doivent, par conséquent, pas être imputées à l’employeur. L’article 326, 1er alinéa prévoit en effet que c’est le coût des prestations dues en raison de l’accident du travail qui est imputé à l’employeur.
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9 Voir notamment : General Motors du Canada ltée et C.S.S.T. [1996] C.A.L.P. 866, révision rejetée, 50690-60-9304, 20 mars 1997, E. Harvey; Centre hospitalier/Centre d’accueil Gouin-Rosemont, C.L.P. 103385-62-9807, 22 juin 1999, Y. Tardif; Ameublement Tanguay inc. et Batesville Canada (I. Hillenbrand), [1999] C.L.P. 509; Aménagements Pluri-Services inc. et Simard-Beaudry Construction inc., C.L.P. 104279-04-9807, 26 novembre 1999, J.-L. Rivard; Provigo (Division Maxi Nouveau concept), [2000] C.L.P. 321, Société immobilière du Québec et Centre jeunesse de Montréal, [2000] C.L.P. 582, Castel Tira [1987] enr. (Le) et Lotfi Tebessi, C.L.P. 123916-71-9909, 18 décembre 2000, D. Gruffy, Stone Electrique MC., [2001] C.L.P. 527.
10 Ville de St-Léonard et C.S.S.T. C.A.L.P. 73961-60-9510, 27 mars 1997, F. Dion- Drapeau; C.S.S.T. et Échafaudage Falardeau inc., [1998] C.L.P. 254; Abitibi Consolidated inc. et Opron inc., C.L.P. 35937-04-9202, 4 mars 1999, B. Roy (décision accueillant la requête en révision). [sic]
[nos soulignements]
[107] La soussignée souscrit au raisonnement et aux motifs retenus dans cette décision de même qu’à l’interprétation qui en est faite du second alinéa de l’article 326 de la loi.
[108] De plus, un autre élément permet au tribunal de conclure que le deuxième alinéa de l’article 326 de la loi vise un transfert total des coûts et non un transfert partiel. Il s’agit du délai prévu pour effectuer une telle demande.
[109] En effet, le législateur a spécifiquement prévu que l'employeur doit présenter sa demande dans l’année suivant la date de l’accident. Ceci s’explique, de l’avis du tribunal, par le fait que les demandes de transfert total de coûts visent généralement des motifs liés à l’admissibilité même de la lésion professionnelle. C’est clairement le cas à l’égard des accidents attribuables à un tiers et le libellé même de cet alinéa ne permet pas de croire qu’il en va autrement à l’égard de la notion d’obérer injustement. D’autant plus que l’application de ce deuxième alinéa à des demandes de transfert partiel a donné lieu à des interprétations variées de cette notion « d’obérer injustement » et mené à une certaine « incohérence » relativement à l’interprétation à donner à cette notion et à la portée réelle de l’intention du législateur.
[110] La soussignée est d’opinion que le législateur visait clairement, par les deux exceptions prévues au deuxième alinéa de l’article 326 de la loi, les situations de transfert total du coût lié à des éléments relatifs à l’admissibilité même de la lésion professionnelle, ce qui justifie d’ailleurs le délai d’un an prévu au troisième alinéa de cet article. S’il avait voulu couvrir les cas de transfert partiel de coûts, le législateur aurait vraisemblablement prévu un délai plus long, comme il l’a fait à l’égard de la demande de partage de coûts prévue à l’article 329 de la loi qui ne vise pas des situations directement reliées à l’admissibilité mais plutôt celles survenant plus tard, en cours d’incapacité.
[111] Ceci semble d’autant plus vrai que la plupart des demandes de transfert total de coûts, liées principalement à l’interruption de l’assignation temporaire ou à la prolongation de la période de consolidation en raison d’une situation étrangère à l’accident du travail, surviennent fréquemment à l’extérieur de cette période d’un an puisqu’elles s’inscrivent au cours de la période d’incapacité liée à la lésion professionnelle. Il s’agit donc là d’un autre élément militant en faveur d’une interprétation selon laquelle les deux exceptions prévues au deuxième alinéa de l’article 326 de la loi visent un transfert total et non un transfert partiel.
[112] Dans le cas à l’étude, puisqu’il ne s’agit pas d’une demande de transfert total, le tribunal en vient à la conclusion qu’il faut l’analyser en vertu du principe général d’imputation prévu au premier alinéa de l’article 326 de la loi.
[41] La soussignée souscrit entièrement à ce raisonnement et fait siennes l’analyse et les conclusions de la Commission des lésions professionnelles dans cette affaire et, par conséquent, estime que la demande de l’employeur doit être analysée sous l’angle du premier alinéa de l’article 326.
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3 2013 QCCLP 6341.
4 Voir notamment : Hôpital Laval et CSST, C.A.L.P. 76351-03-9601, 10 octobre 1997, B. Roy; Ballin inc., C.L.P. 176607-62B-0201, 11 octobre 2002, Y. Ostiguy; Les Industries Maibec inc., C.L.P. 257704-03B-0503, 6 janvier 2006, M. Cusson; Provigo (Division Montréal Détail), C.L.P. 281311-03B-0602, 20 septembre 2006, R. Savard, (07LP-183); Bois et Placages Généreux ltée, C.L.P. 358267-62-0809, 27 avril 2009, R. L. Beaudoin.
5 Groupe Admari inc. et CSST, C.L.P. 178321-01A-0202, 31 mars 2003, L. Desbois; Les Systèmes Erin ltée., C.L.P. 195814-01A-0211, 29 décembre 2005, L. Desbois; Hôpital Laval, C.L.P. 356825-31-0808, 15 janvier 2009, M. Beaudoin; Centre de Santé Orléans, C.L.P. 368396-31-0901, 19 juin 2009, C. Lessard; J.M. Bouchard & Fils inc., précitée, note 5 ; Les Serres Serge Lacoste inc., 2012 QCCLP 5308; Productions forestières Berscifor inc. (Scierie), 2013 QCCLP 926.
[34] Dans l’affaire Arneg Canada inc.[5], le tribunal souscrit également à cette interprétation et soumet ce qui suit :
[23] À l’instar de la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Supervac 20003, le présent tribunal est donc d’avis que le deuxième alinéa de l’article 326 de la loi vise le transfert total des coûts et que les demandes de transfert partiel de coûts relèvent plutôt de l’application du premier alinéa de l’article 326 de la loi.
[24] La Commission des lésions professionnelles a également rendu une autre décision4 traitant d’une demande de transfert partiel de coûts déposée en raison d’une assignation temporaire cessée par la survenance d’une invalidité non reliée à la lésion professionnelle. Dans cette affaire, la Commission des lésions professionnelles retient aussi que les demandes de transfert partiel pour maladie intercurrente doivent être analysées à la lumière du premier alinéa de l’article 326 de la loi.
[25] Il en va de même dans la décision impliquant Centre de santé et de services sociaux de Rivière-du-Loup5 rendue depuis peu. Dans cette affaire, la Commission des lésions professionnelles accorde le transfert du coût des prestations versées et imputées au dossier de l’employeur pour la période où il lui a été impossible de maintenir la travailleuse en assignation temporaire en raison d’une invalidité étrangère à la lésion professionnelle. La Commission des lésions professionnelles reprend l’analyse développée par le juge administratif dans la décision Commission scolaire des Samares6 et applique le principe général édicté au premier alinéa de l’article 326 de la loi pour conclure que l’employeur ne doit pas être imputé du coût des prestations dues en raison d’un accident personnel sans lien avec l’accident du travail reconnu.
[26] En résumé, la lecture de l’article 326 de la loi amène le présent tribunal à conclure qu’en vertu du premier alinéa, un employeur peut demander que les coûts qui ne sont pas dus en raison de l’accident du travail ne lui soient pas imputés puisque l’imputation à son dossier de ces coûts contrevient au principe général d’imputation édicté par la loi. Une telle demande vise nécessairement un transfert partiel des coûts.
[27] Aux fins de statuer sur la présente requête, le tribunal doit donc déterminer si le coût des prestations versées à la travailleuse et imputées au dossier de l’employeur, pour la période du 6 décembre 2012 au 2 janvier 2013, est dû en raison de l’accident du travail subi par la travailleuse le 6 novembre 2012.
[28] C’est à l’employeur que revient le fardeau de démontrer que le coût des prestations versées et imputées durant cette période n’est pas dû en raison de l’accident du travail de la travailleuse.
[29] Qu’entend le législateur lorsqu’il fait référence au « coût des prestations dues en raison d’un accident du travail »?
[30] La Commission des lésions professionnelles a également analysé la notion de « prestations dues en raison de » dans l’affaire Supervac 20007, le tout à la lumière des définitions provenant de dictionnaires et de la jurisprudence pour retenir les principes suivants :
[122] À la lumière des définitions énoncées plus haut et des décisions auxquelles il est fait référence, le tribunal est d’avis que l’utilisation du terme « due en raison d’un accident du travail » que l’on retrouve au premier alinéa de l’article 326 de la loi présuppose qu’il doit exister un lien direct entre l’imputation des prestations versées et l’accident du travail.
[123] Ainsi, toute prestation imputée qui n’est pas due en raison d’un accident du travail devrait être retirée du dossier financier de l’employeur.
[31] Le présent tribunal souscrit entièrement à ce raisonnement.
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3 Id.
4 Commission scolaire des Samares, 2013 QCCLP 4572.
5 2013 QCCLP 6189.
6 Précitée, note 4.
7 Précitée, note 2.
[35] Dans cette affaire, le tribunal conclut que l’interruption de l’assignation temporaire en raison d’une condition personnelle donne ouverture à un transfert du coût de l’indemnité de remplacement du revenu versée pendant la période du 6 décembre 2012 au 2 janvier 2013. Le tribunal estime que l’origine de cette invalidité est étrangère à l’accident du travail du 6 novembre 2012.
[36] À la lumière de cette analyse de la jurisprudence, le tribunal souscrit également à cette interprétation. Le tribunal examinera donc le bien-fondé de la demande de l’employeur sous l’angle du premier alinéa de l’article 326 de la loi.
[37] Il devra déterminer si le coût de l’indemnité de remplacement du revenu versée à la travailleuse pendant la période du 13 juin 2012 au 26 septembre 2012 doit être imputé au dossier de l’employeur.
[38] Or, l’employeur a soumis une preuve prépondérante qui démontre que l’indemnité de remplacement du revenu versée à la travailleuse à compter du 13 juin 2012 ne constitue pas une prestation due en raison de son accident du travail.
[39] En effet, il ressort de la preuve qu’à compter du 13 juin 2012 la travailleuse était inapte à effecteur son assignation temporaire en raison d’une maladie personnelle. À cette date, un médecin traitant recommandait un arrêt de travail en raison d’un trouble de l’adaptation. Ce diagnostic n’a pas été reconnu en relation avec l’accident du travail du 23 mai 2012.
[40] Ainsi, n’eût été la survenance de cette maladie personnelle, laquelle s’avère une cause étrangère à la lésion professionnelle, la travailleuse aurait été en mesure d’effectuer son assignation temporaire (ou encore des travaux légers), puisque le médecin qui a charge, la docteure Rattue, l’avait autorisée à compter du 11 juin 2012. L’arrêt de travail a été prescrit par un autre médecin à compter du 13 juin 2012 uniquement en raison d’une maladie personnelle.
[41] Toutefois, au cours de cette période d’arrêt de travail un médecin a prescrit des traitements de physiothérapie, lesquels sont en relation avec l’accident du travail. Le coût de ces traitements doit donc être imputé au dossier financier de l’employeur puisqu’il s’agit de prestations dues en raison de l’accident du travail et non d’une cause étrangère.
[42] Cet arrêt de travail a continué jusqu’au 26 septembre 2012, et ce, uniquement en raison de la maladie personnelle de la travailleuse. L’analyse de la preuve démontre donc que l’indemnité de remplacement du revenu qui lui a été versée à compter du 13 juin jusqu’au 26 septembre 2012 ne constitue pas une prestation due en raison de l’accident du travail, mais bien en raison d’une cause étrangère.
[43] Le coût de cette prestation ne doit alors pas être imputé au dossier de l’employeur.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête déposée par la Commission scolaire des Laurentides, l’employeur ;
INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 3 janvier 2013, à la suite d’une révision administrative ;
DÉCLARE que l’employeur ne doit pas être imputé du coût de l’indemnité de remplacement du revenu versée à la travailleuse, pour la période du 13 juin au 26 septembre 2012.
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Daniel Martin |
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Monsieur Gérald Corneau |
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GCO Santé et Sécurité inc. |
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Représentant de la partie requérante |
[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] 2011 QCCLP 4532.
[3] 2013 QCCLP 6341, requête en révision judiciaire actuellement pendante.
[4] 2013 QCCLP 6610; voir au même effet : 1641-9749 Québec inc., 2013 QCCLP 6066; Centre de santé et de services sociaux de Rivière-du-Loup, 2013 QCCLP 6189, requête en révision actuellement pendante; Québec (Ministère du Développement durable, de l’Environnement, de la Faune et des Parcs), 2013 QCCLP 6579; Centre jeunesse et famille Batshaw, 2013 QCCLP 6706; Rocoto ltée, 2013 QCCLP 6761; Résidence Notre-Dame de Hull, 2013 QCCLP 6764.
[5] 2013 QCCLP 6474; voir au même effet : Provigo Distribution (Division Maxi), 2013 QCCLP 6462.
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