Décision

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Modèle de décision CLP - juin 2011

Béton provincial ltée

2013 QCCLP 1168

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Saint-Jean-sur-Richelieu

22 février 2013

 

Région :

Richelieu-Salaberry

 

Dossier :

472979-62A-1206

 

Dossier CSST :

138211792

 

Commissaire :

Esther Malo, juge administratif

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Béton provincial ltée

 

Partie requérante

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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DÉCISION

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[1]           Le 5 juin 2012, Béton provincial ltée (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 28 mai 2012 à la suite d’une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST confirme pour d’autres motifs celle qu’elle a initialement rendue le 14 mars 2012. Elle déclare que la totalité du coût des prestations dues en raison de l’accident du travail subi le 9 août 2011 par monsieur Jacques Rousseau (le travailleur) doit être imputée à l’employeur.

[3]           L’audience s’est tenue à Saint-Jean-sur-Richelieu le 27 novembre 2012 en présence du représentant de l’employeur, maître Jean-François Bélisle.


L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]           Le représentant de l’employeur demande de déclarer que le coût des prestations dues en raison de l’accident du travail subi par le travailleur le 9 août 2011 doit être imputé aux employeurs de toutes les unités puisque l’imputation de ce coût à son dossier financier a pour effet de lui faire supporter injustement le coût de ces prestations, l’accident du travail étant attribuable à un tiers.

LES FAITS

[5]           Le travailleur occupe un emploi d’opérateur de bétonnière chez l’employeur depuis juin 2010.

[6]           Le 9 août 2011, le travailleur doit livrer du béton sur un chantier. Sa bétonnière est le troisième véhicule à une intersection. Le travailleur actionne son clignotant pour tourner. L’intersection est libre et le travailleur tourne à droite. L’attention du travailleur se porte sur des débris provenant du côté gauche de la bétonnière. Le travailleur immobilise la bétonnière et constate qu’il vient de heurter à mort un cycliste. Le travailleur est transporté à l’hôpital en raison d’un choc nerveux.

[7]           Le 15 août 2011, les notes évolutives du dossier indiquent que la CSST accepte la réclamation du travailleur et déclare que celui-ci a subi un accident du travail le 9 août 2011, soit un choc post-traumatique.

[8]           Le 22 août 2011, un rapport d’évaluation psychologique mentionne que le travailleur horrifié s’est retrouvé en état de choc lorsqu’il a vu le cadavre du cycliste.

[9]           Le 7 septembre 2011, la compagnie d’assurances de l’employeur confirme que ce dernier n’est pas responsable de l’accident du 9 août 2011.

[10]        Le 8 septembre 2011, la Société de l’assurance automobile du Québec confirme également que l’employeur n’est pas responsable de la collision avec le cycliste.

[11]        Le 15 septembre 2011, le travailleur produit une déclaration indiquant que la bétonnière était très engagée dans la rue après avoir tourné à droite. Lorsqu’il a regardé dans son miroir gauche, il a vu des débris. En regardant dans son miroir droit, il a aperçu un corps par terre. Il a arrêté immédiatement son véhicule et a appelé les premiers secours. Un témoin lui a dit que le cycliste n’avait pas fait un arrêt avant de traverser la rue. Le travailleur ajoute que s’il n’avait pas vu les débris, il n’aurait jamais arrêté son véhicule, car il n’a rien senti.

[12]        Le 28 décembre 2011, l’employeur produit une demande de transfert en vertu de l’article 326 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) au motif que l’imputation des coûts à son dossier financier a pour effet de lui faire supporter injustement le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail attribuable à un tiers.

[13]        Le 14 mars 2012, la CSST rejette la demande produite par l’employeur en vertu de l’article 326 de la loi. Elle considère que le tiers n’est pas majoritairement responsable de la survenance de l’accident. De plus, il n’est pas injuste de lui faire supporter le coût puisque cet accident fait partie des risques inhérents à la nature de l’ensemble des activités exercées par l’employeur. Cette décision est contestée par l’employeur.

[14]        Le 28 mai 2012, la CSST rend la décision contestée en l’espèce à la suite d'une révision administrative, d’où le présent litige. Elle confirme pour d’autres motifs celle qu’elle a initialement rendue le 14 mars 2012. Elle déclare que la totalité du coût des prestations dues en raison de l’accident du travail subi le 9 août 2011 par le travailleur doit être imputée à l’employeur. Elle considère que l’accident est attribuable à un tiers. Cependant, elle estime que cet accident fait partie des risques inhérents à la nature de l’ensemble des activités exercées par l’employeur et qu’il n’est pas injuste de lui faire supporter le coût des prestations reliées à cet accident du travail.

[15]        L’employeur dépose à l’audience le rapport de police émis à la suite de l’accident. Ce rapport décrit la version d’un témoin. Celui-ci mentionne que la bétonnière a tourné à droite. Un cycliste qui arrivait de la piste cyclable s’est engagé sur la rue au même moment que la bétonnière. Le cycliste a freiné et a glissé sous la bétonnière entre les roues. Celle-ci a ralenti et les roues arrière ont écrasé le cycliste, notamment sa tête.

[16]        Un rapport de police relate la version d’un autre témoin. Celui-ci affirme que la bétonnière a commencé son virage à droite, se retrouvant devant le cycliste à moins d’un mètre. Le cycliste n’a pas pu s’immobiliser et est entré en contact avec le côté de la bétonnière. Il a alors perdu l’équilibre et est tombé sous la bétonnière qui l’a écrasé.

[17]        Monsieur Daniel Couture, responsable des opérations chez l’employeur, témoigne à l’audience. Le 9 août 2011, il était sur un chantier à 200 mètres du lieu de l’accident. Lorsqu’il arrive, les secours ne sont pas encore présents. Le travailleur est dans son véhicule. Monsieur Couture demeure sur les lieux durant la journée. Il constate qu’il y a des écouteurs et un baladeur sur le sol près du corps du cycliste. Des témoins mentionnent aussi que le cycliste portait des écouteurs.

[18]        Monsieur Couture précise que le poids de la bétonnière est de 95 000 livres. L’impact s’est produit sur les essieux arrière. Selon les photographies déposées à l’audience, les traces de sang se situent sur les roues arrière de la remorque. Il n’y aucune trace de sang sur les roues avant.

L’ARGUMENTATION DE L’EMPLOYEUR

[19]        Le représentant de l’employeur soutient que le travailleur a déjà amorcé son virage à droite de façon importante au moment de l’impact. La scène est horrible à voir et il y a des écouteurs près du corps du cycliste. Le port d’un baladeur ou des écouteurs par un conducteur d’une bicyclette est interdit selon l’article 440 du Code de la sécurité routière[2].

[20]        Le représentant de l’employeur précise que le cycliste a heurté la bétonnière et non l’inverse. Il ajoute que le cycliste a commis une inattention assez grave, car il ne pouvait manquer la bétonnière qui est un très gros véhicule. Il a fait preuve d’une grande distraction. De plus, il circulait dans un endroit qui traverse une voie très passante à l’heure de pointe. Le cycliste a omis de faire son arrêt et il n’a même pas ralenti au moment de s’engager dans cette intersection pour la traverser. Le représentant conclut qu’il n’a pas adopté le comportement d’un cycliste prudent et averti dans les circonstances.

[21]        Enfin, le représentant prétend que cet accident ne fait pas partie des risques inhérents aux activités de l’employeur en raison des circonstances exceptionnelles, de la gravité de l'accident et de l'horreur de la scène. Le travailleur n’a eu aucun contrôle sur la situation.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[22]        La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si l’employeur a droit à un transfert de coûts en vertu de l’article 326 de la loi. Cet article se lit comme suit :

326.  La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.

 

Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.

 

L'employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l'année suivant la date de l'accident.

__________

1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.

 

 

[23]        L’employeur doit présenter sa demande dans l’année suivant la date de l’accident. En l’espèce, ce délai est respecté puisque l’employeur a produit sa demande le 28 décembre 2011.

[24]        Selon le principe général d’imputation énoncé au premier alinéa de l’article 326 de la loi, le coût d’une lésion professionnelle est imputé au dossier de l’employeur.

[25]        L’employeur qui veut bénéficier de l’exception prévue à cet article, en l’occurrence dans le cas d’un accident attribuable à un tiers, doit faire la preuve des éléments y donnant ouverture. Il doit d’abord démontrer la survenance d’un accident du travail attribuable à un tiers. Il doit ensuite prouver que l’imputation à son dossier aurait pour effet de lui faire supporter injustement le coût des prestations dues.

[26]        La Commission des lésions professionnelles a élaboré les principes applicables en cette matière dans l’affaire Ministère des Transports et CSST[3]. Elle a défini l’expression « attribuable à » et la notion de « tiers ». L’accident du travail est attribuable à un tiers lorsque les agissements ou les omissions d’une personne ont contribué de façon majoritaire à sa survenue, soit dans une proportion supérieure à 50 %. Par ailleurs, cette personne doit être un tiers, c’est-à-dire toute personne autre que le travailleur lésé, son employeur et les autres travailleurs exécutant un travail pour ce dernier.

[27]        Enfin, la preuve que l’accident du travail est attribuable à un tiers ne suffit pas à justifier une imputation aux autres employeurs. L’employeur doit aussi démontrer que l’imputation à son dossier aurait pour effet de lui faire supporter injustement le coût des prestations dues en raison de cet accident.

[28]        Dans cette affaire, la Commission des lésions professionnelles a énoncé que le recours au concept de risque inhérent ou relié aux activités de l’employeur pour apprécier l’effet juste ou injuste d’une imputation s’impose. Le contrôle n’est pas en soi un critère pertinent à l’analyse de l’injustice. La notion de risque inhérent doit être comprise selon sa définition courante, à savoir un risque lié d’une manière étroite et nécessaire aux activités de l’employeur ou qui appartient essentiellement à pareilles activités.

[29]        La Commission des lésions professionnelles ajoute que le critère des risques inhérents ne permet pas à lui seul la résolution satisfaisante de toutes les situations. Elle retient les facteurs suivants pour analyser le caractère injuste d’une imputation :

[339]    Il ressort de ce qui précède qu’en application de l’article 326 de la loi, plusieurs facteurs peuvent être considérés en vue de déterminer si l’imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail attribuable à un tiers, soit :

 

-           les risques inhérents à l’ensemble des activités de l’employeur, les premiers s’appréciant en regard du risque assuré alors que les secondes doivent être considérées, entre autres, à la lumière de la description de l’unité de classification à laquelle il appartient ;

 

-           les circonstances ayant joué un rôle déterminant dans la survenance du fait accidentel, en fonction de leur caractère extraordinaire, inusité, rare et/ou exceptionnel, comme par exemple les cas de guet-apens, de piège, d’acte criminel ou autre contravention à une règle législative, règlementaire ou de l’art;

 

-           les probabilités qu’un semblable accident survienne, compte tenu du contexte particulier circonscrit par les tâches du travailleur et les conditions d’exercice de l’emploi.

 

[340]    Selon l’espèce, un seul ou plusieurs d’entre eux seront applicables. Les faits particuliers à chaque cas détermineront la pertinence ainsi que l’importance relative de chacun.

 

 

[30]        En l’espèce, la preuve établit que le travailleur a subi un accident du travail le 9 août 2011. L’employeur allègue que cet accident est attribuable à un tiers, en l’occurrence un cycliste sortant d’une piste cyclable à une intersection qui traverse une voie très achalandée à l’heure de pointe. Le tribunal considère que celui-ci est un tiers suivant les critères établis par la jurisprudence.

[31]        De plus, la Commission des lésions professionnelles estime que ce tiers a contribué de façon majoritaire à la survenue de l’accident du 9 août 2011.

[32]        D’une part, la preuve prépondérante établit que le cycliste portait des écouteurs. Ceux-ci ont été retrouvés près du corps du cycliste, de même qu’un baladeur. Or, l’article 440 du Code de sécurité routière interdit au conducteur d’une bicyclette de porter de tels objets.

[33]        D’autre part, il a été démontré que le cycliste n’a pas fait un arrêt avant de s’engager pour traverser une intersection située sur une voie très passante à l’heure de pointe. La preuve montre également que le cycliste n’a même pas ralenti. La bétonnière ayant une grosse dimension, le cycliste pouvait très bien l’apercevoir, d’autant plus qu’elle était devant lui et non l’inverse. Il s’agit d’un manque important de prudence de la part du cycliste. En conséquence, la Commission des lésions professionnelles conclut que l’accident du travail subi par le travailleur est attribuable à un tiers.

[34]        Par ailleurs, le tribunal estime que l’employeur a démontré que l’imputation a pour effet de lui faire supporter injustement le coût des prestations. Il est vrai que l’emploi exercé par le travailleur l’expose à des accidents de la route. Cela peut faire partie des risques inhérents à la nature des activités exercées par l’employeur. Cependant, la Commission des lésions professionnelles croit que plusieurs éléments dans cette affaire constituent des circonstances exceptionnelles.

[35]        D’abord, il ne s’agit pas d’un banal accident de la route. Le travailleur a fait preuve de prudence et n’a commis aucun geste répréhensible. Il est immobilisé à une intersection étant le troisième dans la file de véhicules. Il met son clignotant pour effectuer un virage à droite et s’engage lentement dans la voie qui est libre.

[36]        Alors que sa bétonnière est très engagée dans la rue qu’il vient d’emprunter, un cycliste venant à l’arrière frappe le côté du véhicule et est écrasé sans que le travailleur ne se rende compte de quoi que ce soit. S’il n’avait pas vu des débris en regardant son miroir, le travailleur n’aurait eu aucune connaissance des faits.

[37]        Le travailleur ne pouvait donc pas apercevoir le cycliste qui était en arrière de lui. D’ailleurs, l’impact s’est produit sur les essieux arrière. La séquence des événements s’est déroulée alors que le travailleur n’avait aucune vision des faits. Il ne pouvait pas s’attendre à un accident et il n’avait aucun contrôle sur la situation. Il est important de souligner que le cycliste a heurté la bétonnière et non l’inverse.

[38]        De plus, les circonstances de l’accident contribuant à l’horreur de la scène dont a été témoin le travailleur ajoutent aussi un aspect exceptionnel à l’affaire en l’espèce.

[39]        L’ensemble de ces faits et leur enchaînement font en sorte qu’il s’agit de circonstances exceptionnelles et inusitées. Il est peu probable qu’un semblable accident survienne compte tenu des tâches du travailleur. Celui-ci n’exerce pas un emploi d’ambulancier, de policier ou de pompier. Il ne s’agit donc pas d’un risque lié de manière étroite et nécessaire aux activités de l’employeur.

[40]        La Commission des lésions professionnelles a conclu dans l’affaire Créations Madero[4] qu’il est injuste d’imputer à l’employeur les coûts reliés à l’accident du travail subi par le travailleur. Dans cette affaire, le travailleur conduisait un camion remorque de l’employeur dans sa voie normale de circulation, lorsqu’une automobile venant en sens inverse a franchi la ligne médiane pour foncer sur lui et le heurter de plein fouet.

[16]      Il faut souligner qu’en l’espèce, l’accident du travail ne se limite pas à la collision de deux véhicules moteurs, mais comprend aussi, et surtout, la scène atroce à laquelle le travailleur a été confronté de même que l’insupportable réalisation qu’il était totalement impuissant à intervenir pour sauver une vie.

 

[17]      On peut arguer, il est vrai, que ce sont là des conséquences de la collision, mais il n’en demeure pas moins qu’elles constituent également des composantes intrinsèques de l’accident du travail, qu’elles forment partie intégrante du fait générateur de la lésion professionnelle.

 

[18]      Certes, un accident de la route est malheureusement toujours possible, en dépit de toutes les précautions prises, de toutes les mesures de sécurité mises en œuvre et de toutes les règles de sécurité routière édictées par nos lois.

 

[19]      Mais, comme le rappelle la décision rendue dans l’affaire Ministère des Transports et Commission de la santé et de la sécurité du travail, ce ne sont pas tous les risques susceptibles de se réaliser qui doivent être inclus dans la notion de risque inhérent pertinente à l’application de l’article 236 de la Loi :

 

[322]    La notion de risque inhérent doit cependant être comprise selon sa définition courante, à savoir un risque lié d’une manière étroite et nécessaire aux activités de l’employeur ou qui appartient essentiellement à pareilles activités, en étant inséparable (essentiel, intrinsèque…)215. On ne doit donc pas comprendre cette notion comme englobant tous les risques susceptibles de se matérialiser au travail, ce qui reviendrait en pratique à stériliser le deuxième alinéa de l’article 326 de la loi.

 

[323]    Certes, ayant entraîné une lésion professionnelle, les circonstances entourant l’accident correspondent à l’événement imprévu et soudain survenu par le fait ou à l’occasion du travail dont parle la loi. À ce titre, elles recelaient nécessairement un certain potentiel de risque, la meilleure démonstration en étant que ledit risque s’est effectivement réalisé par le fait ou à l’occasion du travail.

 

[324]    Force est cependant de reconnaître, à la lumière de nombreux litiges soumis à la Commission des lésions professionnelles au fil des ans, que le critère des risques inhérents, tout approprié soit-il, ne permet pas à lui seul la résolution satisfaisante de toutes les situations.

 

[325]    En effet, lorsqu’une lésion professionnelle survient dans des circonstances inhabituelles, exceptionnelles ou anormales, la stricte application du critère des risques inhérents aux activités de l’employeur est inadéquate et même injuste.

 

[326]    De par leur caractère inusité, ces circonstances ne sont pas le reflet fidèle de l’expérience associée au risque découlant des activités de l’employeur, car elles se situent nettement en dehors de ce cadre.

 

[327]    On peut en conclure qu’il serait dès lors « injuste » d’en imputer les conséquences financières à l’employeur, puisqu’on viendrait ainsi inclure dans son expérience le fruit d’événements qui n’ont pas de rapport avec sa réalité d’entreprise, telle que traduite notamment par la description de l’unité dans laquelle il est classé, et les risques qu’elle engendre.

 

[328]    Incorporer les conséquences financières d’un tel accident dans l’expérience de l’employeur concerné trahirait le fondement même de sa contribution au régime, telle que le législateur l’a élaborée. Pareille imputation se faisant au détriment de l’employeur requérant, elle serait par conséquent injuste, au sens de l’article 326 de la loi.

 

____________________

215         À ce sujet, voir Petit Larousse illustré, éditions Larousse, Paris, 207, p. 582; le nouveau Petit Robert, éditions Le Robert, Paris, 2008, p. 1332.

 

 

[20]      On est loin ici d’un banal accident de la route, lequel n’aurait sans doute pas infligé au travailleur la blessure grave qu’il a subie à la suite d’une réelle catastrophe.

 

[21]      Pour ces motifs, il serait injuste d’imputer à l’employeur les coûts reliés à l’accident du travail subi par le travailleur.  La demande est dès lors bien fondée.

 

 

[41]        Puisque le tiers n’est pas un employeur au sens de la loi, la Commission des lésions professionnelles conclut qu’il y a lieu d’imputer le coût des prestations reliées à la lésion professionnelle subie par le travailleur le 9 août 2011 à l’ensemble des employeurs.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête de Béton provincial ltée, l’employeur;

 

INFIRME la décision rendue le 28 mai 2012 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que le coût des prestations dues en raison de l’accident du travail subi le 9 août 2011 par monsieur Jacques Rousseau, le travailleur, doit être imputé aux employeurs de toutes les unités.

 

 

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Esther Malo

 

Me Jean-François Bélisle

Bourque, Tétreault et ass.

Représentant de la partie requérante

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001.

[2]           L.R.Q., c. C-24.2.

[3]           [2007] C.L.P. 1804 (formation de trois commissaires).

[4]           2008 QCCLP 4193 . Voir également l’affaire Robert Bury cie ltée, 2011 QCCLP 7529 ; Société de transport de l’Outaouais, 2012 QCCLP 5258 ; Société de transport de Montréal (Gest. Lésions prof.), 2012 QCCLP 5875 .

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