Association de chasse et de pêche de la région de Mont-Laurier inc. (ZEC Petawaga) c. Conseil de bande Kitigan Zibi Anishinabeg |
2020 QCCS 3146 |
|||||
COUR SUPÉRIEURE (Chambre commerciale)
|
||||||
CANADA |
||||||
PROVINCE DE QUÉBEC |
||||||
DISTRICT DE
|
LABELLE (MONT-LAURIER) |
|||||
N : |
560-17-002152-202 |
|||||
|
|
|||||
|
||||||
DATE : |
Le 7 octobre 2020 |
|||||
_____________________________________________________________________ |
||||||
|
||||||
SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
marie-josée bédard, J.C.S. |
||||
_____________________________________________________________________ |
||||||
|
||||||
ASSOCIATION DE CHASSE ET DE PÊCHE DE LA RÉGION DE MONT-LAURIER INC. [AUSSI DÉSIGNÉE SOUS LE NOM ZEC PETAWAGA] |
||||||
|
||||||
Demanderesse |
||||||
c. |
||||||
CONSEIL DE BANDE KITIGAN ZIBI ANISHINABEG et DYLAN WHITEDUCK, CHEF DU CONSEIL DE BANDE DE KITIGAN ZIBI ANISHINABEG et LES ALGONQUINS DU LAC BARRIÈRE et CASEY RATT, CHEF DES ALGONQUINS DU LAC BARRIÈRE et CONSEIL DE LA NATION ANISHNABE DE LAC SIMON et ADRIENNE JÉRÔME, CHEFFE DU CONSEIL DE LA NATION ANISHNABE DE LAC SIMON et CONSEIL DES ANICINAPEK DE KITCISAKIK et RÉGIS PÉNOSWAY, CHEF DU CONSEIL DES ANICINAPEK DE KITCISAKIK |
||||||
|
||||||
Défendeurs |
||||||
|
||||||
et LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC |
||||||
|
||||||
Mis en cause |
||||||
______________________________________________________________________ |
||||||
|
||||||
JUGEMENT (ORDONNANCE D’INJONCTION INTERLOCUtoire provisoire) article |
||||||
______________________________________________________________________ |
||||||
|
||||||
1. LE CONTEXTE
[1] La demanderesse, l’Association de chasse et de pêche de la région de Mont-Laurier inc., gère les activités sur le territoire de la zone d’exploitation protégée (« ZEC ») Petawaga, y incluant les activités de chasse sportive. Le mandat de gestion du territoire de la ZEC est confié à la demanderesse par le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (« le Ministère ») en vertu de protocoles d’ententes intervenus qui se sont renouvelés depuis 1977.
[2] Le territoire de la ZEC Petawaga sert également de territoire traditionnel de chasse aux membres de la défenderesse, la bande Kitigan Zibi Anishinabeg (« la communauté de KZA »). Les territoires traditionnels de chasse des trois autres communautés autochtones défenderesses ne comprennent pas celui de la ZEC Petawaga. Le territoire traditionnel de la communauté des Algonquins du Lac Barrière est situé dans la réserve faunique de La Vérendrye (« RFLV ») dont le territoire est contigu à celui de la ZEC Petawaga. Les territoires des deux autres défenderesses, la Nation Anishnabe de Lac Simon et la communauté des Anicinapek de Kitcisakik sont quant à eux situés plus au nord.
[3] Les activités de chasse des communautés autochtones sont exercées à des fins alimentaires, rituelles et sociales. La chasse fait partie intégrante de leur mode de vie et de leur culture.
[4] Depuis le ou vers le 14 septembre 2020, des membres de la communauté de KZA ont érigé des barrages - ou des contrôles routiers selon les termes utilisés par les défendeurs - qui entravent l’accès à environ 40% du territoire de la ZEC aux personnes qui veulent y pratiquer la chasse à l’orignal.
[5] La demanderesse sollicite une ordonnance d’injonction interlocutoire provisoire contre les défendeurs afin de les enjoindre, entre autres, à retirer les barrages et entraves érigés sur le chemin Lépine-Clova.
[6] Il est utile de résumer le contexte dans lequel la présente demande d’injonction survient.
[7] Le Ministère a comme responsabilité d’assurer la gestion des ressources fauniques sur le territoire québécois, notamment celle des populations d’orignaux. Les prélèvements d’orignaux se font par les chasseurs sportifs et par les communautés autochtones.
[8] Depuis un certain nombre d’années, les communautés autochtones constatent un déclin de la population d’orignaux sur le territoire de la RFLV et ses environs. Depuis au moins 2019, ils interpellent le Ministre des Forêts, de la Faune et des Parcs (« le Ministre ») à cet égard et réclament un moratoire sur la chasse sportive à l’orignal dans ces secteurs. Ils allèguent que la diminution de la population d’orignaux a un impact sur leurs activités de chasse traditionnelle.
[9] Des discussions sont en cours depuis et un comité technique composé de représentants du Ministère, d’experts et des communautés autochtones a été constitué en vue de trouver des solutions pour assurer la pérennité de la population d’orignaux, et du même coup, la pérennité des activités de chasses traditionnelles des communautés autochtones.
[10] Dès l’automne 2019, les communautés autochtones ont demandé au Ministre d’imposer un moratoire sur la chasse sportive dans la RFLV pendant les discussions, ce qu’il a refusé de faire.
[11] À l’hiver 2020, le Ministère a par ailleurs entrepris une démarche conjointe avec les communautés algonquines pour procéder à un inventaire aérien de la population d’orignaux dans la RFLV afin d’en obtenir un portrait et d’élaborer une stratégie commune visant à assurer la pérennité de la ressource.
[12] L’inventaire de la population d’orignaux a permis de constater une densité inférieure à celle constatée lors de l’inventaire réalisé en 2008. Le résumé du rapport préliminaire relève une pression de prélèvement qui est supérieure à la capacité d’accroissement de la population. On y note également que la structure de la population est représentative d’une population exploitée et que le nombre de femelles adultes permet de croire que la mise en place de modalités restrictives de prélèvement pourrait accroître la population d’orignaux à moyen terme. Un rapport complet doit être déposé.
[13] Suite au dépôt du rapport préliminaire, les communautés défenderesses ont à nouveau demandé au Ministre d’imposer une suspension de la chasse sportive en attendant qu’une entente négociée intervienne. Le Ministre n’a pas accédé à la demande, mais il a imposé certaines mesures restrictives aux activités de chasse sportive pour cette année.
[14] C’est dans ce contexte que des membres de la communauté KZA ont érigé des barrages routiers pour protester contre le refus du Ministre d’imposer un moratoire, pour sensibiliser la population à leurs préoccupations relativement au déclin de la population d’orignaux et pour protéger la ressource en entravant les activités de chasse sportive. Les autres communautés défenderesses ont érigé des contrôles routiers sur leurs territoires traditionnels respectifs qu’ils utilisent pour sensibiliser le public et les utilisateurs au déclin de la population d’orignaux.
[15] Une rencontre a eu lieu entre les représentants des communautés autochtones défenderesses et le Ministre le 26 septembre 2020. Suite à cette rencontre, le Ministre a fait une proposition le 28 septembre 2020 au terme de laquelle il s’est dit prêt à prendre certains engagements et à imposer des mesures restrictives additionnelles à la chasse sportive à compter de 2021 tout en demandant le retrait immédiat des entraves routières.
[16] Les communautés défenderesses affirment qu’elles étudient présentement la proposition du Ministre et que les discussions se poursuivent. Les barrages routiers sont toutefois demeurés en place et les communautés allèguent qu’ils servent de moyens de pression exercés de façon pacifique dans le cadre de leurs discussions avec le Ministre.
2.1 Cadre juridique
[17]
La demande se fonde sur les articles
[18] La partie en demande doit établir :
· Qu’elle a une apparence de droit, c’est-à-dire qu’elle a une question sérieuse à faire trancher;
· Qu’en l’absence de l’ordonnance, elle subira un préjudice sérieux ou irréparable ou que la situation crée un état de fait de nature à rendre le jugement au fond inefficace; et
· Que la balance des inconvénients favorise l’émission de l’injonction parce qu’elle est la partie qui subira le préjudice le plus important si l’injonction interlocutoire est refusée[1].
[19] Lorsque la demande est sollicitée sur une base provisoire, le critère d’urgence doit également être satisfait[2].
[20] La communauté KZA soumet que le critère de l’apparence de droit applicable en l’espèce est celui de la forte apparence de droit exigé dans le contexte d’une demande en injonction de nature mandatoire[3]. Au soutien de sa position, elle invoque que la demande vise le démantèlement des contrôles routiers érigés et que l’existence de ces contrôles dans le contexte des discussions entre le Ministère et les communautés défenderesses constitue la situation qui correspond au statu quo.
[21] La demande en injonction provisoire recherche le démantèlement de ces barrages routiers et la remise en état vers la situation qui prévalait avant l’utilisation de ce moyen de pression. La preuve ne démontre pas que des barrages routiers ont été érigés sur le chemin Lépine-Clova dans le passé. Les défendeurs ne peuvent pas non plus prétendre bénéficier du droit d’ériger des entraves sur une voie publique.
[22] La demande vise donc un retour au statu quo et à la situation de normalité qui consiste à permettre un libre accès à un chemin public.
[23] Dans ce contexte, la demande ne peut être envisagée comme étant une demande de nature mandatoire. Le critère applicable est donc celui de la question sérieuse à trancher par opposition à une demande qui est frivole ou vexatoire et il est satisfait. En tout état de cause, le Tribunal concluerait que le critère de l’apparence de droit est satisfait même s’il devait appliquer le critère plus exigeant.
2.2 Discussion
Ø Le critère de l’apparence de droit
[24] Sans décider du fond, le Tribunal considère que les faits allégués en l’espèce et le protocole d’entente intervenu entre la demanderesse et le Ministre révèlent que le critère de l’apparence de droit est satisfait puisque la demande soulève une question sérieuse.
[25] La demanderesse est une personne morale sans but lucratif qui a été créée dans le but d’assurer la gestion de la ZEC Petawaga dont le territoire appartient à la Couronne provinciale. Ce mandat de gestion lui a été confié par le Ministre.
[26] L’article 1.1 du protocole prévoit clairement que le Ministre confie à la demanderesse la gestion de la ZEC Petawaga selon les modalités prévues au protocole. L’article 1.2 indique que la demanderesse s’engage à assumer les responsabilités suivantes :
1.2 L’Organisme accepte de gérer la ZEC pour le Ministre et s’engage notamment, à planifier, organiser, diriger et contrôler l’exploitation, la conservation, la protection, l’aménagement de la faune et accessoirement la pratique d’activités récréatives : assurer qu’il n’y a pas de faits et gestes ou de pratiques allant à l’encontre de la conservation de la faune et de son habitat, assurer l’égalité des chances pour tous à l’accès et à l’utilisation de la ressource faunique, favoriser la participation, dans un cadre démocratique, des personnes intéressées à la gestion de la faune et rechercher l’autofinancement des opérations de l’Organisme.
[27] La ZEC Petawaga couvre une superficie de 1186 km² et contient un territoire de chasse encadré et géré par la demanderesse. Le protocole d’entente énonce les nombreuses responsabilités de la demanderesse et permet à la ZEC d’exercer des activités commerciales de chasse.
[28] Des barrages ont été érigés à 3 endroits spécifiques sur le chemin Lépine-Clova. Un des barrages est situé à l’intersection de la route provinciale 117 et le chemin Lépine-Clova, alors que les deux autres sont respectivement situés au kilomètre 22 (intersection du chemin Côte-Jaune) et au kilomètre 43-44 (intersection du chemin Wawati) du chemin Lépine-Clova.
[29] Les défendeurs allèguent que des contrôles routiers et non des barrages ont été érigés et qu’ils n’entravent pas la circulation de la population en général. Ils entravent uniquement l’accès des personnes qui veulent entrer sur le territoire de la ZEC pour y pratiquer la chasse à l’orignal.
[30] Le Tribunal retient effectivement de la preuve prépondérante que les barrages routiers sont érigés dans le but d’empêcher l’accès à cette partie du territoire de la ZEC aux personnes qui veulent y entrer pour pratiquer des activités de chasse.
[31] La route 117 et le chemin Lépine-Clova, sont des voies publiques et le chemin Lépine-Clova sert d’accès principal à environ 40% du territoire de la ZEC Petawaga.
[32] Les défendeurs allèguent qu’il existe des routes alternatives pour accéder au territoire de la ZEC et ils avancent que le droit réclamé par la demanderesse se limite à qu’à vouloir éviter à ses membres un détour routier pour accéder à la partie Est du territoire de la ZEC.
[33] La demanderesse reconnaît qu’il existe des accès alternatifs au territoire en cause, mais elle soutient que les emprunter requière de faire un détour de plus de 6 heures.
[34] À cet égard, dans une déclaration sous serment, Monsieur Guillaume Richer affirme qu’il est allé à la chasse à l’orignal sur le territoire de la ZEC et qu’il a été intercepté par des manifestants lorsqu’il a voulu quitter le territoire en utilisant le chemin Lépine-Clova. Il a dû rebrousser chemin et faire un détour de plus de 500 km pour quitter le territoire par Clova.
[35] Dans une déclaration sous serment, Monsieur Nick Ottawa, membre de la communauté de KZA, affirme pour sa part qu’il est possible d’accéder au territoire de Petawaga en passant par Ferme-Neuve qui permet l’accès au secteur Est du territoire de la ZEC et aux points d’entrée qu’il a identifiés sur un plan annexé à sa déclaration (Wawati et Cesar Rapids). Il a également affirmé que pour se rendre du point Wawati à celui de Cesar Rapids, il a parcouru un trajet de 2 heures.
[36] En réponse aux affirmations de M. Ottawa, la demanderesse a déposé une déclaration sous serment souscrite par Monsieur Jean-Marc Bélanger dans laquelle il affirme que la portion du territoire en cause (40% du territoire total) n’est pas accessible par Ferme-Neuve et que l’accès alternatif via le nord représente un détour de plus de 6 heures de route à partir de Mont-Laurier.
[37] Le Tribunal retient de la preuve prépondérante que l’utilisation de chemins alternatifs entraîne un détour considérable qui est de nature à décourager les membres de la demanderesse de se rendre sur le territoire de la ZEC pour y pratiquer la chasse. C’est d’ailleurs l’objectif même qui est visé par ceux qui ont érigé les barrages sur le chemin Lépine-Clova.
[38] Pour assurer le mandat que lui a confié le Ministre, la demanderesse doit pouvoir permettre à ses membres d’accéder et circuler sur l’ensemble du territoire qu’elle gère. Les membres de la demanderesse qui pratiquent entre autres des activités de chasse devraient pouvoir accéder au territoire et aux infrastructures de villégiature sans entrave. Les activités de chasse se tiennent sur des terres publiques en toute légalité et en conformité avec les paramètres prévus au protocole d’entente intervenu entre la demanderesse et le Ministre.
[39] La demanderesse et ses membres ont donc un droit apparent de pouvoir accéder à l’ensemble du territoire géré par la demanderesse en empruntant le chemin Lépine-Clova qui est un chemin public et non un chemin privé.
[40] Les défendeurs invoquent que les barrages ont été érigés pour protéger des droits ancestraux qui sont protégés par la Constitution. Le Tribunal reviendra sur l’importance des enjeux soulevés par les défendeurs dans l’appréciation de la balance des inconvénients. À ce stade-ci il est suffisant de souligner que les enjeux soulevés dans le présent dossier démontrent sans aucun doute que la question à trancher en est une qui satisfait le critère de l’apparence de droit.
Ø Le critère relatif au préjudice
[41] La demanderesse allègue que les barrages érigés par les défendeurs bloquent l’accès à environ 40% du territoire de la ZEC, ce qui représente une superficie approximative de 500 km².
[42] Une vingtaine d’infrastructures de villégiature se trouvent dans ce secteur et des centaines de membres vont s’y rendre pendant la période de la chasse à l’orignal avec arme à feu qui débute le 10 octobre 2020 pour une période de 9 jours. La demanderesse invoque que les barrages empêchent et vont continuer d’empêcher ses membres de pratiquer la chasse à l’orignal sur son territoire.
[43] Les défendeurs allèguent plutôt que le préjudice allégué par la demanderesse et ses membres est hypothétique et limité. Ils invoquent également que le préjudice subi par la demanderesse est purement économique si jamais elle devait rembourser des chasseurs.
[44] Ils allèguent aussi que les chasseurs peuvent emprunter des chemins alternatifs et donc que le préjudice allégué se limite à des inconvénients mineurs considérant les enjeux en cause.
[45] Avec égards, le Tribunal considère que le préjudice subi par les membres de la demanderesse n’est ni hypothétique ni de nature purement monétaire.
[46] Le Tribunal a déjà traité de la question des chemins alternatifs qui ne constituent pas une alternative réelle pour les membres de la demanderesse. Ainsi, en raison des barrages érigés, les membres de la demanderesse sont privés du droit de pratiquer la chasse sportive, alors qu’ils détiennent les permis requis pour ce faire et que le Ministre a refusé de suspendre la chasse à l’orignal dans le secteur. Leur présence sur le territoire de la ZEC est donc légitime et conforme au protocole d’entente qui lie le Ministre à la demanderesse. Le préjudice allégué ne se limite donc pas à une simple question monétaire.
[47] De plus, les entraves occasionnées par les barrages causent également un préjudice sérieux à la demanderesse parce qu’elles perturbent de façon importante ses activités et sa capacité d’assumer les responsabilités qui lui incombent en vertu du protocole qui la lie au Ministre.
[48] Dans le contexte de la présente affaire, le maintien des barrages crée également une situation de fait auquel le jugement au fond ne pourra pas remédier de façon efficace.
Ø La balance des inconvénients
[49] À ce stade-ci, le Tribunal doit rechercher laquelle des parties subira le plus grand préjudice selon que l’injonction interlocutoire provisoire est accordée ou non. Il s’agit du critère le plus important en l’espèce.
La position de la demanderesse
[50] La demanderesse soumet que la balance des inconvénients penche en faveur de l’émission d’une ordonnance d’injonction provisoire.
[51] Elle soumet que ses employés et surtout ses membres ont un droit légitime de pouvoir circuler librement sur le chemin Lépince-Clova pour accéder à l’ensemble du territoire de la ZEC Petawaga pour y pratiquer la chasse à l’orignal.
[52] Elle allègue par ailleurs que les défendeurs n’ont aucun droit d’ériger des entraves dans une voie publique et que ce faisant, ils posent des gestes illégaux. Elle soutient également qu’elle n’est pas partie aux discussions entre le Ministère et les communautés autochtones et que ses membres n’ont pas à faire les frais des moyens de pression que les défenderesses exercent pour faire avancer les discussions.
[53] Elles soulèvent également qu’en érigeant des barrages, les défenderesses court-circuitent le système judiciaire en décidant de façon unilatérale et sans droit de brimer les droits de la demanderesse et de ses membres.
[54] La demanderesse allègue enfin que la demande en injonction provisoire vise le rétablissement du statu quo, soit celui de permettre l’accès et la libre circulation sur le chemin Lépine-Clova en vue d’accéder à ses infrastructures de chasse et de pêche sur un territoire public.
La position des défendeurs
[55] La situation est beaucoup plus complexe du point de vue des défendeurs et elle s’inscrit dans un contexte particulier qui met en cause les droits ancestraux des communautés autochtones. Ils allèguent que le Tribunal doit considérer l’importance de ces droits dans son analyse de la demande et plus particulièrement dans son appréciation de la balance des inconvénients.
[56] Depuis toujours, les communautés autochtones pratiquent la pêche et la chasse de façon traditionnelle dans leurs territoires respectifs. Le territoire traditionnel de la communauté KZA comprend le territoire de la ZEC Petawaga alors que celui des Algonquins du Lac Barrière y est contigu. Les territoires des deux autres communautés sont situés plus au nord.
[57] La chasse est pratiquée par les membres des communautés autochtones à des fins de subsistance et à des fins rituelles et culturelles. La chasse à l’orignal est indissociable de l’identité culturelle des communautés et fait partie intégrante de leur mode de vie. La survie de la population d’orignaux est donc essentielle pour leur permettre d’exercer leurs droits et également de les transmettre aux générations futures.
[58] Les défendeurs invoquent que le droit de chasse à des fins alimentaires, rituelles et sociales bénéficie de la protection prévue à l’article 35 de la Constitution et que ce droit est largement prioritaire à celui des personnes qui pratiquent la chasse sportive.
[59] Depuis des années, les défendeurs observent un déclin significatif de la population d’orignaux dans la RFLV et dans les secteurs environnants ce qui est susceptible de compromettre la pérennité de leurs activités traditionnelles de chasse. Ils attribuent ce déclin en partie à la chasse sportive.
[60] Les défendeurs allèguent que malgré les demandes qu’ils ont formulées, aucune mesure appropriée n’est prise par le Ministère pour assurer la pérennité de la population d’orignaux et protéger leur droit ancestral de chasse sur ce territoire.
[61] Ils allèguent en outre que l’inventaire aérien de la population d’orignaux réalisé sur le territoire de la RFLV est incomplet et présente un portait beaucoup trop optimiste de l’état du cheptel.
[62] Les défendeurs reconnaissent qu’ils ont des échanges avec des représentants du Ministère et avec le Ministre et qu’ils espèrent trouver une solution négociée pour mettre en place des mesures qui permettront d’accroître la population d’orignaux afin d’assurer la pérennité du cheptel.
[63] Ils avancent que dans ce contexte, l’érection des barrages routiers constitue un exercice légitime et pacifique de leur droit de protester contre le refus du Ministre d’imposer un moratoire à la chasse sportive à l’orignal tout en maintenant une certaine pression pendant les négociations. Ils veulent également sensibiliser la population concernant les risques que la chasse sportive pose sur la population d’orignaux et par le fait même sur leurs droits de chasse traditionnels.
[64] Pour eux, l’érection de barrages constitue donc un moyen raisonnable et proportionnel pour empêcher l’extinction de la population d’orignaux dans le RFLV et préserver leur droit de chasse tout en poursuivant les discussions avec le Ministère.
[65] Ils soutiennent que le préjudice allégué n’a pas d’impact sur le public en général et que l’impact de leurs actions est ciblé et raisonnable compte tenu des importants enjeux qui sont sous-jacents. Pour les défendeurs, il est clair que la balance des inconvénients penche en faveur du rejet de la demande d’injonction provisoire parce que la pérennité de la population d’orignaux est essentielle à l’exercice de leurs droits de chasse qui sont beaucoup plus importants que les droits que peuvent invoquer les membres de la demanderesse qui s’adonnent à la chasse sportive.
[66] Les défendeurs allèguent également que le fait de judiciariser la situation est susceptible de compromettre la possibilité de trouver des solutions négociées avec le Ministère.
La position du Procureur général du Québec (« PGQ »)
[67] Le PGQ considère qu’il se trouve dans une situation délicate et il a décidé de ne pas prendre position dans la présente demande en injonction provisoire.
[68] Le PGQ a par ailleurs indiqué par le biais de sa procureure qu’il désapprouve la façon de faire des membres des communautés autochtones qui ont érigé des barrages illégaux, mais qu’il souhaite tout de même poursuivre les discussions en vue de trouver une solution négociée.
[69] Le PGQ a également indiqué que le droit de manifester n’emporte pas celui de bloquer des chemins publics.
Discussion
[70] Il ne fait aucun doute que la présente affaire met en jeu des intérêts importants.
[71] D’une part, la demanderesse assume des fonctions et des responsabilités dans la gestion d’un territoire qui appartient à la Couronne. Elle n’exerce donc pas des activités qui sont de nature purement privée.
[72] En principe, le territoire de la ZEC est accessible à la population du Québec et les membres de la demanderesse qui détiennent des permis de chasse ont le droit de pratiquer la chasse sportive en toute légalité et légitimité.
[73] D’autre part, les préoccupations des communautés autochtones sont légitimes et soulèvent des questions importantes qui touchent leurs droits ancestraux, leur mode de vie et leur identité. Il ne fait aucun doute que la chasse à l’orignal est au cœur de leur mode de vie et que les préoccupations qu’ils ont relativement au déclin de la population des orignaux sont sérieuses.
[74] Ils ont interpelé le Ministre et un processus conjoint est actuellement en cours pour trouver des mesures adéquates afin de préserver et accroître la population d’orignaux dans la RFLV. De telles mesures auraient vraisemblablement un impact sur la population d’orignaux sur le territoire de la ZEC Petawaga qui est contigu à celui de la RFLV.
[75] Les défendeurs allèguent que le maintien des barrages routiers constitue une façon raisonnable d’exercer leur droit de s’exprimer de façon pacifique et de manifester tout en maintenant la pression sur le Ministre pendant leurs discussions. Avec égards, le Tribunal ne partage pas ce point de vue.
[76] Il est tout à fait légitime pour les représentants des communautés autochtones de vouloir maintenir un rapport de force pendant les négociations avec le Ministère et de vouloir manifester leur désaccord avec la décision du Ministre de ne pas imposer un moratoire sur la chasse sportive. Les préoccupations sous-jacentes à ces discussions sont sérieuses et importantes pour les communautés autochtones et leurs craintes liées au déclin de la population sont réelles.
[77] Le droit de manifester et de s’exprimer librement n’emporte toutefois pas le droit de poser des gestes illégaux en bloquant des voies publiques et en entravant l’accès sur un territoire qui appartient à la collectivité.
[78] Les défendeurs allèguent que la présente instance risque de compromettre les chances de trouver des solutions négociées pour assurer la survie et la pérennité de la population des orignaux. Ils insistent sur l’importance de privilégier la voie de la discussion avec le gouvernement plutôt que la voie litigieuse pour faire valoir leurs droits et revendications.
[79] Le Tribunal comprend que les communautés défenderesses ne souhaitent pas judiciariser leurs revendications et leur désaccord avec le Ministère, mais en choisissant de poser des gestes illégaux pour faire valoir leur point de vue et maintenir la pression sur le Ministre, elles mettent elles-mêmes la table vers une judiciarisation de la situation qui au surplus cause un préjudice à des tiers qui ne sont pas impliqués dans les négociations.
[80] Permettre que des membres des communautés défenderesses érigent des barrages illégaux en guise de manifestation court-circuite les règles de droit. Le droit de revendiquer, de s’exprimer et de négocier n’emporte pas celui de faire fi des lois adoptées au bénéfice de la collectivité. L’importance des questions sous-jacentes aux discussions en cours avec le Ministère ne peut servir d’argument pour justifier et légitimer des actes posés illégalement.
[81] Si les communautés défenderesses considèrent que leurs droits sont compromis par le refus du Ministre d’imposer un moratoire sur la chasse sportive, elles peuvent toujours recourir aux tribunaux. Elles ne peuvent toutefois pas décider de prendre les choses en main en défiant les lois et en excusant leurs gestes par l’importance de leurs revendications.
[82] Les communautés défenderesses ont le droit de choisir divers moyens pour exprimer leur point de vue et faire valoir leurs revendications, mais ce droit n’inclut pas celui de pouvoir poser des gestes illégaux sans qu’aucune conséquence n’en découle.
[83] En l’absence d’injonction, la chasse à l’orignal est compromise pour les membres de la demanderesse. Si une injonction est émise, les barrages devront être enlevés mais les communautés défenderesses pourront poursuivre leurs discussions avec le Ministère et tout en choisissant d’autres moyens pour manifester leur désaccord avec la position du Ministre de refuser de suspendre la chasse à l’orignal pendant les discussions.
[84] Dans le contexte de la présente affaire, la balance des inconvénients doit également s’apprécier en tenant compte de l’intérêt public.
[85] Or, l’intérêt public commande que les voies publiques ne soient pas entravées de façon illégale et que l’accès à un territoire appartenant à la Couronne ne soit pas bloqué en guise de manifestation, et ce, même si les revendications sous-jacentes sont importantes et légitimes. L’intérêt public favorise le respect des règles de droit même dans un contexte de discussions avec le gouvernement concernant des droits aussi importants que ceux qui sont en cause.
[86] Il est également utile de mentionner que les discussions actuelles entre les communautés autochtones et le Ministère visent spécifiquement le territoire de la RFLV et non directement celui de la ZEC Petawaga et que la demanderesse n’est aucunement impliquée dans ce processus.
[87] De plus, les défendeurs allèguent que la diminution de la population d’orignaux est en partie due à la chasse sportive, mais dans l’état actuel du dossier, la preuve ne permet de mesurer si et dans quelle mesure la chasse sportive pratiquée par les membres de la demanderesse contribue au déclin de la population d’orignaux dans le secteur.
[88] Le Tribunal retient également qu’au moins une personne, Monsieur Guillaume Richer, qui a souscrit une déclaration assermentée, a fait l’objet de menaces et d’intimidation lorsqu’il a voulu quitter le territoire de la ZEC après avoir chassé et tué un orignal. Toute forme de violence est inacceptable même dans un contexte de manifestation et de revendication et le maintien des barrages routiers sur une voie publique est de nature à mener à d’autres incidents tendus.
[89] Il ne faut pas non plus perdre de vue que la demande d’injonction provisoire vise le rétablissement du statu quo qui prévalait avant l’érection d’entraves illégales à la circulation en attendant que la demande en injonction interlocutoire soit entendue.
Ø L’urgence
[90] La demanderesse allègue que la situation est urgente et qu’elle a agi avec célérité. Les défendeurs prétendent plutôt que la demanderesse crée elle-même l’urgence, notamment parce que les barrages routiers sont érigés depuis quelques semaines, que la chasse à l’orignal (à l’arc et l’arbalète) est déjà ouverte depuis le 26 septembre 2020 et que l’ouverture de la chasse à l’arme le 10 octobre prochain ne constitue pas une urgence justifiant l’émission d’une injonction provisoire.
[91] L’érection de barrages ou de toute autre forme d’entrave sur la voie publique constitue un geste illégal. Une telle situation est en soi suffisante pour démontrer l’urgence de la demande.
[92] De plus, la chasse à l’orignal avec une arme qui est pratiquée par plusieurs membres de la demanderesse débute le 10 octobre 2020. Il est évident que le maintien des barrages compromet ces activités de chasse.
[93] Dans ce contexte, le critère de l’urgence est satisfait.
3. RÉCAPITULATIF
[94] Le Tribunal considère que les critères justifiant l’émission d’une ordonnance d’injonction provisoire sont satisfaits et une ordonnance provisoire sera rendue avec les modulations suivantes.
[95] La demanderesse a institué la présente instance contre 4 communautés autochtones et leurs chefs respectifs. Or, la preuve déposée à ce jour révèle que le territoire de la ZEC Petawaga est uniquement compris dans le territoire traditionnel de chasse des membres de la communauté de KZA.
[96] De plus, la preuve ne permet pas de conclure que des membres des communautés autres que celle de KZA ou leurs dirigeants ont participé à l’érection des barrages routiers sur le chemin Lépine-Clova. Ainsi, aucune conclusion ne sera rendue contre eux.
[97] La preuve révèle que les barrages ont été érigés par des membres de la communauté KZA. Dans sa déclaration sous serment, le chef de la communauté, Dylan Whiteduck, affirme que l’érection des barrages n’est pas une initiative du conseil de bande et qu’il n’a pas le contrôle sur les membres de la communauté qui ont décidé d’ériger ces barrages. Il affirme toutefois endosser les gestes posés par les membres de sa communauté qu’il perçoit comme étant une façon paisible de protester et de démontrer une volonté de préserver la population d’orignaux dans le secteur alors que des discussions se tiennent avec le Ministère.
[98] Dans le contexte actuel, le Tribunal émettra une ordonnance de nature prohibitive à l’égard du conseil de bande et de toute personne ayant connaissance du présent jugement et lui ordonnera d’informer les membres de la communauté de l’existence de la présente ordonnance. L’ordonnance visera également toute personne informée de l’existence de l’ordonnance et autorisera la demanderesse de recourir aux forces policières pour démanteler les barrages qui ont été érigés sur le chemin Lépine-Clova;
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[99] REJETTE SANS FRAIS DE JUSTICE la demande d’injonction interlocutoire provisoire contre les défendeurs suivants : Les Algonguins du Lac Barrière; Casey Ratt; Conseil de la nation Anishnabe de Lac Simon; Adrienne Jérôme; Conseil des Anicinapek de Kitcisakik; et Régis Pénosway;
[100] ACCUEILLE en partie la présente demande en injonction provisoire pour une période de dix (10) jours à compter du présent jugement;
[101] AUTORISE la demanderesse à signifier la présente ordonnance en dehors des heures légales et les jours fériés par tous les moyens, y compris par huissier, télécopieur, courriel, annonce à la radio ou télévision ou en l’absence des défendeurs ou en cas de refus de répondre ou d’accepter signification, en laissant copie sous l’huis de la porte, dans la boîte aux lettres ou sur le perron;
[102] ORDONNE aux défendeurs Conseil de bande Kitigan Zibi et Dylan Whiteduck, chef de bande, et à toute personne ayant connaissance de la présente ordonnance de s’abstenir d’ériger tout barrage, barrière ou obstacle de quelque nature que ce soit qui a pour effet d’empêcher ou d’entraver l’accès et la libre circulation sur le chemin public Lépine-Clova, et ce, notamment afin de permettre à la demanderesse, ses membres, ses employés et le public de se rendre et de circuler sur l’ensemble du territoire de la ZEC Petawaga;
[103] ORDONNE que toute entrave routière érigée sur le chemin Lépine-Clova soit démantelée et enlevée et à défaut, AUTORISE la demanderesse à démanteler et enlever les entraves routières érigées sur le chemin Lépine-Clova; pour ce faire, AUTORISE la demanderesse à faire appel aux forces policières pour signifier la présente ordonnance et en assurer l’exécution;
[104] AUTORISE les forces policières et tout agent de la paix à poser toutes les actions requises et appropriées dans les circonstances pour assurer l’exécution de la présente ordonnance et assurer un accès sans entrave au Chemin Lépine-Clova et à l’ensemble du territoire de la ZEC Petawaga;
[105] DISPENSE la demanderesse de fournir caution;
[106] LE TOUT avec frais de justice à suivre selon le sort du litige au mérite.
|
|
|
MARIE-JOSÉE BÉDARD j.c.s. |
|
|
Date d’audience : 5 octobre 2020
|
|
Me Dany Chamard Procureur de la demanderesse
Me Yvan Houle et Me Hugo Saint-Laurent Borden Ladner Gervais LLP Procureurs du Conseil de bande Zitigan Zibi et du cheff Dylan Whiteduck
Me Audrey Boctor et Me François Goyer IMK Procureurs de Les Algonguins du Lac Barrière et et du chef Casey Ratt
Me Simon Corriveau Cain Lamarre Procureurs de Conseil de la nation Anishnabe de Lac Simon et cheffe Adrienne Jérôme et Conseil des Anicinapek de Kitcisakik et cheff Régis Penosway |
|
Me Stéphanie Garon Me Daniel Benghozi Bernard, Roy (Justice Québec) Procureurs du PGQ
|
|
|
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.