Décision

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Duchesneau c. Marion

2015 QCCQ 13120

COUR DU QUÉBEC

« Division des petites créances »

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

SAINT-FRANÇOIS

LOCALITÉ DE

SHERBROOKE

« Chambre civile »

N° :

450-32-017644-154

 

DATE :

10 décembre 2015

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

GABRIEL DE POKOMÁNDY, J.C.Q.

______________________________________________________________________

 

 

Martin DUCHESNEAU

Demandeur/défendeur reconventionnel

 

c.

 

Roger MARION

Défendeur /demandeur reconventionnel

et.

 

RE/MAX PROFESSIONNEL INC.

Défenderesse

 

et.

 

Jacques WAGNER

et.

Luc THIBODEAU

Défendeurs/demandeurs reconventionnels

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]           Le demandeur cherche à recouvrer le coût des travaux nécessités pour décontaminer l’immeuble résidentiel d’une fermette que lui a vendu Roger Marion par l’intermédiaire des courtiers Jacques Wagner de Re/Max Professionnel inc., et Luc Thibodeau. Il a découvert après la vente que la maison a déjà servi à de la culture de marijuana et estime qu’il s’agit d’un vice caché dont les défendeurs sont responsables.

[2]           Le défendeur Marion conteste la réclamation en soutenant n’avoir pas eu connaissance du vice caché mettant même en doute son existence et paradoxalement reproche au demandeur de n’avoir pas fait un examen suffisant de l’immeuble avant l’achat. Quant aux défendeurs Re/Max Professionnel inc., Jacques Wagner et Luc Thibodeau, ils soumettent n’avoir commis aucune faute et l’absence de lien de droit avec le demandeur.

[3]           Se portant demandeurs par reconvention, les défendeurs Marion, Wagner et Thibodeau réclament une indemnité de 1 500 $ chacun pour les inconvénients de la poursuite.

[4]           Il a été établi qu’au printemps 2013, le demandeur a été intéressé par cet immeuble composé d’une maison d’habitation, d’une grange et d’une terre situé au […] à St-Georges de Windsor, mis en vente par le défendeur Marion par l’intermédiaire de Re/Max Professionnel inc.,  et les agents Jacques Wagner et Luc Thibodeau.

[5]           Le demandeur a fait plusieurs visites dont une vers la mi-mai 2013 en présence du courtier, Jacques Wagner. À cette occasion, ils ont visité la maison, les bâtiments et la grange.

[6]           La présence de panneaux isolants inhabituels pour une grange a fait naître un soupçon dans l’esprit du demandeur que les lieux aient pu servir à de la culture de la marijuana.

[7]           Il s’en est donc spécifiquement informé et on l’a assuré qu’il n’y avait jamais eu de culture dans la maison.

[8]           L’intérieur de la maison semblait fraîchement repeint, était en très bon état d’entretien et de propreté. Il n’y avait aucune trace de moisissure ou d’humidité excessive qui pouvant laisser suspecter que les prétentions du vendeur et de ses agents pouvaient ne pas être exactes quant à la culture dans la maison.

[9]           Édith Bégin, conseillère en finances, et Normand Fouquet, ex-agronome, auprès de La Financière agricole qui devait fournir le financement, ont examiné les lieux avant l’achat et confirment n’avoir rien décelé dans la résidence qui pouvait permettre de soupçonner qu’il y ait déjà eu une culture de marijuana à cet endroit.

[10]        Bien que la maison datait de quelques années, son état impeccable et les représentations rassurantes du vendeur et de ses représentants ont convaincu le demandeur de l’inutilité de faire faire une inspection par un professionnel.

[11]        Ces représentations se retrouvent aussi dans le formulaire obligatoire de Déclaration du vendeur d’un immeuble (P-6) où on lit que depuis l’acquisition par Roger Marion, à sa connaissance, il n’y a pas eu de culture de cannabis ou la production de toute autre drogue ou produit chimique ou dangereux à l’intérieur du bâtiment et qu’il n’y a jamais eu de traces de moisissure ou de pourriture non plus. Sur la même déclaration, on mentionne aussi que le mât électrique avait subi une dérivation ainsi que les conducteurs à l’intérieur.

[12]        Finalement, la vente est conclue le 11 juillet 2013 (P-5), mais le demandeur n’a cependant pas aménagé avant le 10 octobre à cause d’un problème d’approvisionnement en eau dû à une défectuosité de la pompe.

[13]        Au cours de l’hiver 2013 et le printemps 2014, des traces de moisissures sont apparues au bas des murs. Ce constat et certaines informations reçues de voisins ont fait renaître la suspicion qu’il y a déjà eu de la culture de marijuana à l’intérieur du bâtiment. Le demandeur a tenté d’en savoir plus auprès de la Sûreté du Québec, mais aussi au palais de justice de Sherbrooke pour découvrir qu’un dénommé Dominique Boucher, qui résidait à cet endroit, a été l’objet d’une poursuite criminelle à la suite d’une perquisition et saisie de marijuana. L’affidavit de l’enquêteur au dossier de la Cour confirme que le 23 novembre 2003 les fenêtres de la maison étaient barricadées, embuées et qu’une forte odeur de cannabis se dégageait de la maison.

[14]        La perquisition effectuée le lendemain a permis de mettre à jour une installation complète de production de cannabis dans la maison.

[15]        Devant cette découverte à la mi-mars 2014, le demandeur a rencontré un avocat et a fait transmettre à Roger Marion ainsi qu’aux autres défendeurs une mise en demeure les en informant et de son intention de procéder à des expertises tout en les tenant responsables des dommages que leur attitude d’avoir caché ce fait lui a causés (P-1).

[16]        Il avait en premier lieu retenu les services de Bâtimex, qui après expertise des lieux, a produit un rapport (P-15) confirmant que l’humidité provoquée par une culture de cannabis affecte tous les matériaux dans les pièces où la culture a été effectuée autant à l’état humide qu’à l’état sec et l’odeur anormale est devenue perceptible dans le bâtiment. Devant la gravité de la situation, l’expert recommande au demandeur de faire effectuer une analyse d’air et après une ventilation adéquate dégarnir tous les murs et plafonds contaminés, principalement dans le sous-sol, jusqu’à la structure de bois pour désinfecter ce qui reste en place et refaire à neuf dans l’état initial.

[17]        Pour le rez-de-chaussée et le deuxième étage, on recommandait de nettoyer, désinfecter et appliquer deux couches de peinture à l’huile.

[18]        L’évaluation de la qualité de l’air effectuée par Airmax Environnement (P-8) permet de conclure à une concentration très élevée de moisissures visibles et de spores dans l’air indiquant la présence de sources de contamination fongique au sous-sol.

[19]        Les moisissures retrouvées sur les matériaux et  les spores  en dominance dans l’air étaient du penicillium qui est généralement considéré comme allergène et sa présence en grande concentration dans l’air n’est pas souhaitable.

[20]        La présence de moisissure sur des matériaux secs, comme la majorité des murs et des plafonds, n’est pas limitée à des zones restreintes et il est probable que les activités de culture de cannabis survenues dans la résidence aient pu favoriser leur croissance. La constatation des policiers de fenêtres embuées confirme que les conditions d’humidité de l’air à l’intérieur du bâtiment devaient être très élevées.

[21]        Généralement, les activités de culture de cannabis dans un bâtiment provoquent un taux d’humidité de l’air excessivement élevé que les matériaux peuvent absorber  favorisant d’autant le développement de moisissures. Dans ces circonstances, il est fréquent d’observer des moisissures au plafond et sur toute la hauteur des murs, tel qu’observé dans la résidence du demandeur. On voit même de ces moisissures sur des matériaux qui n’ont pas tendance à moisir, tel qu’un panneau électrique en métal.

[22]        Selon les rapports, bien que la culture du cannabis semble avoir eu lieu quelques années auparavant, si les matériaux contaminés n’ont pas tous été retirés ou convenablement nettoyés, il est probable que les taches de moisissures réapparaissent en présence d’humidité adéquate dans l’air.

[23]        Le rapport conclut aussi par certaines recommandations dont la décontamination du sous-sol et le retrait et remplacement des matériaux contaminés.

[24]        À la mi-août 2014, en possession des expertises, le demandeur a téléphoné au défendeur Marion pour lui indiquer le résultat et l’informer de son intention de procéder aux travaux. Le défendeur lui a raccroché au nez. Cette attitude indiquant clairement l’absence de toute intention de collaborer a incité le demandeur à transmettre le 2 septembre 2014 (P-2) une deuxième mise en demeure par l’office de ses avocats donnant cinq jours au défendeur pour prendre position, à défaut de quoi le demandeur allait conclure qu’il niait toute responsabilité et que le demandeur n’aurait d’autre choix que d’entreprendre des procédures judiciaires.

[25]        Le 13 octobre 2014, l’avocate de Roger Marion demandait un certain délai pour pouvoir faire une inspection qui fut effectuée le 1er novembre 2014 (D-1) par l’inspecteur de PMIR Inspection choisi par les défendeurs.

[26]        Son rapport consiste en un relevé du taux d’humidité dans les matériaux de chacune des pièces de la bâtisse; il confirme que dans le sous-sol, il y a une odeur d’humidité et des traces de moisissures et d’infiltrations d’eau de cause indéterminée à vérifier.

[27]        Selon l’expert des défendeurs, bien qu’il y avait un taux d’humidité élevé à certains endroits, ce n’était pas anormal.

[28]        Cependant, à l’audience, il nous a relaté qu’en aucun moment ses mandants ne lui ont parlé du fait d’une possible culture de marijuana et n’a donc pas fait de vérification dans cette optique.

[29]        Finalement, le 17 novembre 2014 voyant l’absence de mobilisation de la partie adverse, le demandeur mandate son avocat d’aviser l’avocate des défendeurs qu’on allait entreprendre les travaux de décontamination. Il ressort de l’échange de courriel entre les avocats que l’avocate du défendeur Marion soutenait que le vendeur ignorait qu’il y ait eu culture dans cet immeuble et qu’au surplus il aurait vendu sans garantie légale.

[30]        Cette dernière prétention, que le fils du demandeur a tenté de soutenir dans son témoignage à l’audience, est totalement inexacte, car une clause spécifique au contrat notarié stipule que la vente est faite avec la garantie légale.

[31]        Malgré le rappel de cet aspect de la vente, le défendeur Marion nie toute responsabilité et il ne manifeste aucune intention de contribuer aux travaux ni les effectuer lui-même.

[32]        Le demandeur a donc procédé à la décontamination le 1er décembre 2014 par la firme Nettoyage Sinestrie inc. au coût de 2 405,28 $ (P-9).  L’évaluation de la qualité de l’air a coûté 1 509,62 $ (P-10) tandis que les coûts des services de Bâtimex totalisent 1 305,91 $  dont 607,07 $ pour l’inspection et le rapport et 758,84 $ pour la présence à la Cour (P-22).

[33]        Le demandeur a effectué lui-même avec l’aide de son père le démantèlement des matériaux de finition et la réfection du sous-sol. Il réclame à un taux horaire de 18 $ 64 heures pour la première partie soit 1 152 $ et 100 heures donc 1 800 $ pour la remise en état.

[34]        Le demandeur a fait gicler un isolant sur les murs au coût de 2 690 $ (P-11), tandis que les matériaux de construction ont coûté 464,68 $ plus 108,54 $ et 1 264,29 $ pour un total de 1 837,51 $.

[35]        Le demandeur réclame ces montants bien qu’il ait fait faire des soumissions par des entrepreneurs dont Service d’entretien Fréchette qui aurait chargé 14 425,91 $ pour la démolition et réfection des murs sans le tirage de joints et la peinture, tandis que Nettoyage Sinestrie aurait chargé 9 418 $ pour le dégarnissage du sous-sol ainsi que le nettoyage complet (P-14).

[36]        Les travaux de peinture, selon les recommandations de l’expert de Bâtimex pour sceller les murs et les matériaux, sont estimés à 14 647,82 $. Cependant, le demandeur ne les a pas encore fait effectuer.

[37]        André Parent de Bâtimex, qui a une longue expérience dans le domaine, est d’avis que les travaux que le demandeur devait effectuer ne pouvaient pas se faire à beaucoup moins que 20 000 $.

[38]        Le 7 avril 2015, après avoir complété le gros des travaux, le demandeur a transmis une autre mise en demeure aux défendeurs (P-3) leur réclamant la somme de 40 985,05 $ dont 2 084,50 $ pour frais d’inspection et d’évaluation, 9 418,75 $ pour frais de décontamination, 24 481,80 $ pour travaux de réfection ainsi que 5 000 $ en dommages généraux.

[39]        En l’absence de réponse satisfaisante, il a institué la présente poursuite où il a réduit le montant des dommages à 15 000 $ pour se prévaloir des dispositions régissant les petites créances.

[40]        Roger Marion, bien que présent à l’audience, n’a pas témoigné. C’est son fils Alain Marion qui gère ses affaires depuis 25 ans qui a relaté que la propriété concernée achetée en 2001 a été la majeure partie du temps, en location.

[41]        Il déclare n’avoir pas eu connaissance qu’il y aurait eu de la culture de marijuana ni même de perquisitions sur les lieux, voire des arrestations ou accusations des locataires. Il admet cependant qu’en 2003 Dominique Boucher louait la place, mais il aurait déguerpi sans donner de nouvelles et il a perdu sa trace. À son départ, selon lui, la maison a été laissée en bon état. Pourtant en 2008, des rénovations majeures ont été effectuées pour remettre la maison dans un état impeccable.

[42]        Il reproche au demandeur de ne pas avoir fait faire une inspection de la maison avant la vente, car selon lui, les traces de moisissure étaient bien visibles sur les murs.

[43]        Pourtant, son père a attesté du contraire à la déclaration du vendeur (P-6).

[44]        Alain Marion dit qu’il était en présence du courtier en immeubles lorsqu’à la suite des interrogations du demandeur, ils ont communiqué avec la Sûreté du Québec pour vérifier s’il y a déjà eu des opérations policières relatives à de la culture de cannabis dans cette résidence. Selon son témoignage, sur un simple appel téléphonique, la Sûreté du Québec lui aurait donné des informations à l’effet qu’il n’y en a jamais eu.

[45]        Selon lui, les montants réclamés sont exagérés. Il estime que démanteler un sous-sol comme celui de la maison vendue n’aurait pas dû prendre plus que deux heures.

[46]        Il a souligné que son père et lui étaient de bonne foi dans cette vente et qu’ils ignoraient véritablement qu’il y a déjà pu y avoir une culture de marijuana dans cette résidence.

[47]        Patrick Massie, l’expert retenu par le défendeur Roger Marion, témoigne que le mandat qu’il avait c’était de vérifier d’où pouvaient venir la moisissure et l’humidité. Cependant, on ne lui a jamais parlé de culture de marijuana.

[48]        Caroline Janelle, représentante de Re/Max Professionnel inc., confirme que la promesse a été faite par l’intermédiaire de Claude Wagner qui est un courtier affilié à leur agence. Cependant, c’est le courtier Luc Thibodeau qui a pris l’inscription.

[49]        La déclaration du vendeur et le formulaire de courtage exclusif ne sont donc pas signés par Wagner.

[50]        Elle ne voit pas du tout en quoi Re/Max Professionnel pouvait être responsable des problèmes que connaît le demandeur.

[51]        Luc Thibodeau, courtier en immeubles, souligne qu’à la suite d’un premier mandat où il était seul, il en a reçu un en colistage avec Richard Wagner.

[52]        Lors de la préparation des documents de vente, ils ont été informés qu’Hydro-Québec avait signalé une modification au mât d’alimentation qui est une indication d’une possible culture de marijuana. C’est donc à son initiative, que l’appel aurait été fait à la Sûreté du Québec et qu’on aurait obtenu l’information qu’on n’avait rien trouvé au sujet de cette adresse.

[53]        Il confirme, tout comme Jacques Wagner, qu’au moment de la vente il n’y avait aucune trace de moisissure dans cette maison qui était propre.

[54]        Wagner avait malgré tout proposé à l’acheteur de faire faire une inspection préachat, mais a respecté la décision de Duchesneau qui n’en voulait pas.

[55]        C’est le résumé de la preuve que le Tribunal doit maintenant apprécier à la lumière des principes qui, au fil des temps, ont été dégagés.

LE DROIT

[56]        Le litige présenté au Tribunal est régi et doit être résolu à la lumière des articles suivants du Code civil du Québec :

1726. Le vendeur est tenu de garantir à l'acheteur que le bien et ses accessoires sont, lors de la vente, exempts de vices cachés qui le rendent impropre à l'usage auquel on le destine ou qui diminuent tellement son utilité que l'acheteur ne l'aurait pas acheté, ou n'aurait pas donné si haut prix, s'il les avait connus.

Il n'est, cependant, pas tenu de garantir le vice caché connu de l'acheteur ni le vice apparent; est apparent le vice qui peut être constaté par un acheteur prudent et diligent sans avoir besoin de recourir à un expert.

1728. Si le vendeur connaissait le vice caché ou ne pouvait l'ignorer, il est tenu, outre la restitution du prix, de tous les dommages-intérêts soufferts par l'acheteur.

[57]        Ces articles imposent au vendeur une obligation de garantie contre les vices cachés du bien vendu. Au cas de manquement, l'acheteur aura à sa disposition le recours en diminution de prix ou l'action en résolution du contrat de vente, selon la gravité du vice.

[58]        L'acheteur d'une maison qui veut bénéficier de cette garantie doit établir que l’immeuble était affecté au moment de la vente d'un défaut d'une certaine gravité et qu'il l'ignorait au moment de la signature du contrat, malgré un examen sérieux qu'il en a fait.

[59]        Le défaut, découvert depuis la vente, doit être d'une telle gravité qu'il rend le bien impropre à l'usage auquel on le destinait ou diminue tellement son utilité que l'acheteur ne l'aurait pas acheté ou n'aurait pas donné un si haut prix s'il l'avait connu.

[60]        Il faut donc un certain déficit d'usage causé par ou en relation avec la présence et la gravité du vice caché. Les moisissures à l'intérieur des murs, surtout si elles ont permis le développement de champignons ou pores nuisibles à la santé, ont été reconnues être d'une telle gravité[1].

[61]        La gravité du vice s'évaluera donc en fonction du déficit d'usage, autrement dit des limitations qu'il pose à l'occupant des lieux.

[62]        Toute défectuosité ou imperfection, aussi grave qu'elle puisse être, ne peut automatiquement être qualifiée de « vice » au sens de la garantie de qualité du Code civil du Québec, la mise en œuvre de celle-ci étant tributaire d'un déficit d'usage[2].

[63]        Un défaut qui ne produit pas de conséquences n'est pas un vice au sens légal du terme. Il en est de même aussi d'un défaut qui ne produit qu'une conséquence minime, sans effet significatif sur l'usage du bien[3].

[64]        L'acheteur qui invoque l'obligation de garantie du vendeur contre les vices cachés doit donc établir qu'il ignorait la défectuosité lors de la vente.

[65]        Lorsque le vice est connu de l'acheteur, soit parce que lui ou son expert l'a découvert avant la vente, ou encore que le vendeur le lui a dénoncé, il n'existe aucune garantie, sauf stipulation expresse contraire[4].

[66]        Le vice, pour donner lieu à la garantie, doit donc être caché. Il ne doit pas, lors de la vente, se révéler à l'examen de la chose vendue. Si le vice dont se plaint l'acheteur est apparent, quelque grave qu'il soit, il ne donnera ouverture à aucun recours contre le vendeur.

[67]        Le défaut sera considéré apparent si l'acheteur connaissait son existence ou si un acheteur prudent et diligent ayant pris toutes les précautions raisonnables, sans avoir besoin de recourir à un expert, l'avait constaté[5].

[68]        L'acheteur a l'obligation d'être vigilant et faire preuve d'un certain sérieux dans l'examen du bien qu'il convoite.

[69]        Un défaut ne sera pas considéré caché par cela seul que l'acheteur ne l'a pas aperçu alors qu'il était visible ou qu'il n'en a pas apprécié la véritable gravité.

[70]        L'obligation de garantie du vendeur n'est pas destinée à remédier aux conséquences de la légèreté ou de l'ignorance d'un acheteur[6].

[71]        Le comportement de l'acquéreur sera évalué par rapport à la norme objective de l'acheteur raisonnable et prudent[7].

[72]        L'obligation de prudence et de diligence exige que l'acheteur prête une attention suffisante au bien qu'il examine en vue de son achat[8].

[73]        Il est requis que l'acheteur procède à un examen raisonnable du bien. Seuls les vices qui échappent à un tel examen seront jugés cachés. La jurisprudence n'est pas très précise sur ce qu'elle entend par un examen raisonnable, mais il doit, en principe, être attentif et sérieux, quoiqu'on accepte qu'il puisse être rapide et non approfondi[9].

[74]        Cet examen n'impliquera pas le recours à des mesures inhabituelles telles qu'ouvrir un mur, démolir partiellement un édifice ou creuser autour de la fondation, sauf si un indice visible soulève des soupçons. Un vice est caché s'il ne peut être découvert qu'au moyen d'un travail qu'il n'est pas d'usage de faire[10].

[75]        La vérification élémentaire, l'examen rapide, le simple examen ou l'inspection raisonnable[11] sont considérés comme suffisants.

[76]        Le vice cesse d'être apparent lorsqu'il ne peut être constaté qu'après des recherches minutieuses d'un caractère spécial[12].

[77]        Généralement, on considérera que l'acheteur satisfait à l'obligation d'inspection en procédant à un examen visuel des principaux éléments constitutifs de l'extérieur et de l'intérieur d'un édifice, des principaux systèmes mécaniques accessibles de la toiture et l'état de quelques-uns des appartements. Il n'est pas obligatoire de tout vérifier dans le détail et encore moins de commencer à ouvrir ou à sonder plancher, mur, plafond ou fondation.

[78]        L'examen requis n'est pas un examen approfondi. S'il doit être attentif, il peut demeurer sommaire[13].

[79]        Le comportement du vendeur pourra, à l'occasion, jouer un rôle dans l'appréciation du caractère du vice. Le camouflage, les représentations trompeuses, voire la réticence qui heurtent la bonne foi peuvent réduire l'obligation de l'acheteur d'examiner le bien et amener les tribunaux à considérer caché un vice qui autrement serait apparent[14].

[80]        De tels comportements de la part du vendeur quant à l'état de la chose ou aux causes réelles des vices apparents dégageront parfois l'acquéreur de l'obligation d'explorer davantage[15], surtout lorsque les explications au sujet de la manifestation de défauts orientent l'acquéreur sur une fausse piste ou le placent dans un état de fausse sécurité.

[81]        L'acheteur n'a pas à faire de recherches ou de vérifications additionnelles si on lui représente qu’il n’y pas de problème ou que le problème n'est pas grave.

[82]        Lorsque le vendeur place l'acheteur par un tel comportement ou de fausses représentations dans une situation de fausse sécurité, le vice, même apparent, peut devenir caché au sens de la loi[16].

[83]        L'acheteur qui découvre après la vente que le bien lors de son acquisition était affecté de vices cachés peut demander la réduction du prix de vente, mais auparavant il doit dénoncer la situation au vendeur (art.1739 C.c.Q.).

[84]        Si le vendeur, mis en demeure de procéder aux travaux de réparation, n'y procède pas, l'acheteur peut les faire exécuter et réclamer du vendeur le remboursement des coûts (art. 1602 C.c.Q.).

[85]        Aux termes des articles 2803 et 2804 C.c.Q., c'est le réclamant qui a le fardeau de prouver de façon prépondérante les faits au soutien de ses prétentions.

[86]        Il y a lieu de rappeler que les règles fondamentales de l'action estimatoire ou en réduction du prix de vente exigent que la réduction demeure raisonnable et ne procure jamais un avantage indu à l'acheteur[17].

[87]        Il ne saurait être question d'ordonner la restitution intégrale ou démesurée du prix payé tout en permettant à l'acheteur de conserver la propriété du bien vendu[18].

[88]        Le droit à la réduction du prix de vente est régi par les articles 1604 et 1726 du Code civil du Québec. À l'article 1604, on mentionneLa réduction proportionnelle de l'obligation corrélative s'apprécie en tenant compte de toutes les circonstances appropriées …

[89]        Afin de déterminer le prix que l'acheteur aurait donné s'il avait connu les vices cachés (Art. 1726 C.c.Q.), le législateur prévoit qu'il faut tenir compte « de toutes les circonstances appropriées » (art. 1604.3 C.c.Q.).

[90]        Cet exercice judiciaire où le Tribunal intervient dans le rapport contractuel des parties pour modifier à la baisse le prix d'achat qu'elles ont convenu, fait appel au pouvoir souverain d'appréciation du juge, mais la discrétion judiciaire s'effectue à l'aide de certains paramètres que les extraits suivants des décisions des tribunaux permettent de bien cerner.

[91]        La réduction du prix de vente doit être possible et raisonnable. En règle générale, les tribunaux font montre de souplesse dans l'appréciation du préjudice causé et pondèrent la réduction de façon à empêcher son enrichissement[19].

[92]        Les tribunaux évaluent souvent la réduction du prix en prenant comme base de calcul le coût des réparations qui seront nécessaires pour remédier au vice. Ce coût sera réduit, dans les cas appropriés, en fonction de la plus value que les travaux apporteront au bien compte tenu de son âge (c'est-à-dire sa dépréciation), car l'acheteur ne doit pas s'enrichir indûment à l'occasion des réparations[20].

[93]        La diminution de prix à laquelle l'acheteur a le droit ne correspond donc pas nécessairement au montant intégral des travaux qu'il a fait réaliser pour corriger la situation[21].

[94]        On ne doit considérer que le coût des seuls travaux nécessaires à la correction du problème et à la réparation du vice auquel on veut remédier.

[95]        Le coût des travaux qui apporte une amélioration ne doit donc pas être retenu dans l'estimation du montant de diminution devant être accordé à l'acheteur, pas plus que le coût des travaux exagérément dispendieux ou encore inutiles[22].

[96]        Voici, en résumé, les principes et les règles de droit reconnus qui régissent la situation des vices et défauts cachés lors de l'achat d'un bien.

[97]        Nous allons maintenant examiner les prétentions et la conduite des parties à la lumière de ces principes, en faisant les distinctions qui peuvent s'imposer.

 

ANALYSE ET DÉCISION

[98]        La preuve qui nous a été présentée nous convainc que l’immeuble vendu par Roger Marion à Martin Duchesneau était affecté de vices cachés.

[99]        En effet, il est établi, autant l’expertise que les autres éléments trouvés par Duchesneau, que cet immeuble a déjà servi à la production de marijuana et en a été contaminé. Les moisissures décelées non seulement contribuaient à la détérioration progressive de l’immeuble, mais en plus constituaient un risque pour la santé des occupants.

[100]     Le Tribunal a beaucoup de difficultés à croire le témoignage d’Alain Marion, que ni lui ni son père n’ont jamais eu connaissance qu’il ait pu y avoir une culture dans cette bâtisse. En effet, il est facile de concevoir que le démantèlement d’un équipement de culture de marijuana dans le cadre d’une perquisition ne se fait pas sans laisser de traces.

[101]     La prétention qu’à son départ le locataire Boucher ait laissé la maison dans un état de propreté ne peut qu’étonner, car du même souffle ce témoin prétend qu’ils ont perdu sa trace.

[102]     Or les choses n’ont pas dû se réparer seules.


[103]     Au contraire, il nous semble plus vraisemblable que le locataire Boucher, lorsqu’il a été l’objet d’une perquisition et de saisie ainsi que d’accusations de la part de la Sûreté du Québec ait déguerpi comme le confirme Alain Marion sans avoir pris les précautions pour remettre la bâtisse dans l’état initial. D’ailleurs, l’avis d’Hydro-Québec à l’effet que le mât ainsi que le filage électrique ont été modifiés démontre très bien que le propriétaire ne pouvait pas ignorer qu’il s’est fait quelque chose d’anormal dans sa bâtisse. Ce n’est pas courant qu’un locataire d’une maison modifie le mât électrique ainsi que le filage intérieur d’une résidence sans le consentement du propriétaire.

[104]     Nous sommes donc convaincu que le propriétaire savait qu’il y a déjà eu une culture dans cette résidence et ne l’a pas révélé, bien au contraire, il a tenté d’en camoufler les traces par une peinture neuve et une fausse déclaration du vendeur.

[105]     Le défendeur Roger Marion doit donc indemniser le demandeur du préjudice subi à la suite de ce vice qu’il a caché et dont les conséquences se sont manifestées quelques mois après la prise de possession.

[106]     Il doit donc rembourser les frais d’inspection et d’expertises d’Airmax Environnement et de Bâtimex dont le travail était nécessaire pour établir l’étendue des dommages ainsi que les réparations à être effectuées.

[107]     La présence d’André Parent de Bâtimex à l’audience était aussi nécessaire et le Tribunal est d’avis que ses frais et honoraires pour la journée doivent être remboursés.

[108]     Le demandeur a pareillement droit d’être indemnisé pour le coût de la désinfection payé à Nettoyage Sinestrie ainsi que pour le coût d’un conteneur et de sa vidange au montant de 400,99 $.

[109]     Une indemnité de 2 952 $ pour le temps consacré au démantèlement du sous-sol et sa réfection ne nous apparaît pas exagérée. Au contraire, c’est l’estimation d’Alain Marion qui dit qu’en deux heures ils auraient fait la démolition qui nous apparaît totalement exagérée.

[110]     En ce qui a trait à l’isolation des murs de béton avec de la mousse giclée, il nous apparaît que cette dépense a apporté une plus-value à la bâtisse et à notre avis, l’indemnité à laquelle le demandeur a le droit à ce chapitre devrait être modulée. Et le Tribunal est d’avis qu’un montant de 2 000 $ remettrait les choses dans l’état initial et éviterait que la réparation ne cause un enrichissement pour le demandeur.

[111]     Il va sans dire que le demandeur a le droit aussi au remboursement des matériaux utilisés.


[112]     En ce qui a trait au tirage de joints et la peinture, il s’agit de travaux nécessaires pour sceller le contaminant et empêcher sa prolifération. Bien que les travaux ne soient pas complétés, le demandeur devra les faire et il a le droit d’en être indemnisé au montant estimé de 14 647,82 $.

[113]     Tenant compte que les montants auxquels le défendeur aurait le droit dépassent largement  les 15 000 $ réclamés la poursuite du demandeur sera accueillie pour le plein montant.

[114]     Le défendeur Roger Marion devra donc lui verser cette somme avec les intérêts et l’indemnité additionnelle depuis le 25 novembre 2014 où les travaux ont débuté et les frais.

[115]     Il devra en plus rembourser aussi les frais de confection du rapport de l’expert  André Parent à 607,07$ et lui payer l’indemnité à laquelle il a le droit en tant qu’expert pour la présence à l’audience aux termes du Règlement sur les indemnités et les allocations payables aux témoins assignés devant les cours de justice, RLRQ, c. C-25, r. 2., soit la somme de 180 $.

[116]     Étant donné l’absence de l’experte d’Airmax Environnement, le Tribunal est d’avis que le coût de confection de son rapport devra être assumé par le demandeur.

[117]     En l’absence de toute preuve de faute attribuable à Re/Max professionnel, Jacques Wagner et Luc Thibodeau, les recours contre ces défendeurs nous apparaissent sans fondement et seront rejetés.

[118]     Les demandes reconventionnelles, autant celles formulées par Jacques Wagner et Luc Thibodeau que celle de Roger Marion seront rejetées faute de preuve particularisant les préjudices subis. Certes un recours comporte toujours son lot de stress et d’inconvénient, mais cela ne justifie pas de condamner chaque fois la partie adverse  à un dédommagement.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

ACCUEILLE la demande;

CONDAMNE le défendeur, Roger Marion, à verser au demandeur, Martin Duchesneau, la somme de QUINZE MILLE DOLLARS (15 000 $) avec les intérêts au taux légal augmenté de l’indemnité additionnelle calculée suivant l’article 1619 du Code civil du Québec à compter du 25 novembre 2014 et les frais de 987,07 $, comprenant outre le coût du timbre judiciaire, les frais de confection de rapport et l’indemnité de présence à l’audience de l’expert André Parent; 

REJETTE la poursuite contre Re/Max Professionnel inc. avec les frais de 240 $;

REJETTE la demande contre Jacques Wagner avec les frais de 190 $;

REJETTE la demande contre Luc Thibodeau avec les frais de 190 $;

REJETTE les demandes reconventionnelles de Roger Marion, Jacques Wagner et Luc Thibodeau, sans frais.

 

 

 

 

 

GABRIEL DE POKOMÁNDY, J.C.Q.

 

 

Date d’audience :

25 novembre 2015

 

RETRAIT ET DESTRUCTION DES PIÈCES

 

            Les parties doivent reprendre possession des pièces qu'elles ont produites, une fois l'instance terminée. À défaut, le greffier les détruit un an après la date du jugement ou de l'acte mettant fin à l'instance, à moins que le juge en chef n'en décide autrement.

 

            Lorsqu'une partie, par quelque moyen que ce soit, se pourvoit contre le jugement, le greffier détruit les pièces dont les parties n'ont pas repris possession, un an après la date du jugement définitif ou de l'acte mettant fin à cette instance, à moins que le juge en chef n'en décide autrement. 1194, c. 28, a. 20.

 

 



[1]     Cochois c. Fontaine, J.E. 2000-334; Van Brabant c Lessard, REJB 2003-46413.

[2]     Guilbault c. Pelletier, EYB 2006-107307 (C.S.).

[3]     Lortie c. Grimard, 2007 QCCQ 5494.

[4]     Pierre-Gabriel JOBIN, La vente, 2e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, no 134.

[5]     Thérèse ROUSSEAU-HOULE, Précis du droit de la vente et du louage, 2e éd. Québec : P.U.L. 1986 p. 123.

[6]     Dallaire c. Villeneuve, SOQUIJ AZ-50303904.

[7]     Rousseau c. Gagnon, AZ-87011008.

[8]     Arcand c. Clément, SOQUIJ AZ-71011021.

[9]     Pierre-Gabriel JOBIN, précité note 4, p. 159.

[10]    Thérèse ROUSSEAU-HOULE, précité, note 5, p. 128.

[11]    Placement Jacpar inc. c. Benzakour, [1989] R.J.Q. 2309.

[12]    Thibaudeau c. Parent, (C.A., 1981-06-22), C.A.Q. 200-09-000346-798.

[13]    Placement Jacpar inc., précité, note 11.

[14]    Pierre-Gabriel JOBIN, précité, note 4.

[15]    Placement Jacpar inc., précité, note 11.

[16]    B. & R. Gauthier inc. c. Lemieux, (C.A., 1980-09-02), C.A.Q. 200-09-000096-773.

      Belcourt Construction Co. c. Creatchman, [1979] C.A. 595.

[17]    Caron c. Centre routier inc., [1990] R.J.Q. 75.

[18]    Verville c. 9146-7308 Québec inc., 2008 QCCA, 1593.

[19]    Id.

[20]    Pierre-Gabriel JOBIN, et Michelle CUMYN, La vente, 3e éd. Cowansville, éd. Yvon Blais, 2007, no 180, p. 239-240.

[21]    Lortie c. Grimard, précité, note 3.

[22]    Id.

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