Décision

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Modèle de décision CLP - juin 2011

Maçonnerie Yvan Labbé inc. et Commission de la santé et de la sécurité du travail

2013 QCCLP 968

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Laval

18 février 2013

 

Région :

Abitibi-Témiscamingue

 

Dossier :

431617-08-1102-R

 

Dossier CSST :

135924850

 

Commissaire :

Jacques David, juge administratif

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Maçonnerie Yvan Labbé inc.

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Commission de la santé

et de la sécurité du travail

 

Partie intervenante

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 16 décembre 2011, la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) dépose une requête en vertu de l'article 429.56 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) à l'encontre d'une décision rendue par la Commission des lésions professionnelles, le 18 novembre 2011.

[2]           Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles accueille la requête de l’employeur, infirme la décision rendue le 11 février 2011 rendue à la suite d’une révision administrative et déclare que l’employeur ne doit pas être imputé des coûts de l’indemnité de remplacement du revenu qui excède le revenu brut de 20 353 $ versé au travailleur lors de la survenance de sa lésion professionnelle, le 7 juin 2010.

 

[3]           La CSST et l’employeur sont représentés par procureur à l’audience tenue sur la requête en révision, le 14 juin 2012 à Montréal.

L’OBJET DE LA REQUÊTE

[4]           La CSST demande au tribunal de réviser la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 18 novembre 2011 et de déclarer que l’employeur doit être imputé du coût des prestations versées en raison de la lésion professionnelle survenue le 7 juin 2010 à monsieur Guy Labrecque, le travailleur.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[5]           La Commission des lésions professionnelles doit décider si elle doit réviser la décision rendue le 18 novembre 2011.

[6]           L’article 429.49 de la loi stipule qu’une décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel :

429.49.  Le commissaire rend seul la décision de la Commission des lésions professionnelles dans chacune de ses divisions.

 

Lorsqu'une affaire est entendue par plus d'un commissaire, la décision est prise à la majorité des commissaires qui l'ont entendue.

 

La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.

__________

1997, c. 27, a. 24.

 

 

[7]           La loi prévoit toutefois un recours en révision et en révocation à l’article 429.56 :

429.56.  La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :

 

1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;

 

2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;

 

3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.

 

Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.

__________

1997, c. 27, a. 24.

 

[8]           Compte tenu de l’article 429.49, une décision ne peut être révisée ou révoquée que s’il est établi un motif prévu à l’article 429.56.

[9]           Ici, la CSST invoque essentiellement que la décision rendue par le juge administratif comporte un vice de fond de nature à l’invalider. Elle soumet que le premier juge a commis une erreur de droit grave et déterminante.

[10]        La Commission des lésions professionnelles a jugé à de nombreuses reprises que ces termes font référence à une erreur manifeste de droit ou de fait ayant un effet déterminant sur l’issue de la contestation[2]. Ce principe a été retenu maintes fois. Il a été décidé également que le recours en révision ou en révocation ne peut être assimilé à un appel, ni ne doit constituer un appel déguisé.

[11]       Dans l'arrêt Bourassa c. Commission des lésions professionnelles[3], la Cour d'appel du Québec fait état des mêmes règles :

[21]      La notion (de vice de fond de nature à invalider une décision) est suffisamment large pour permettre la révocation de toute décision entachée d'une erreur manifeste de droit ou de fait qui a un effet déterminant sur le litige. Ainsi, une décision qui ne rencontre pas les conditions de fond requises par la loi peut constituer un vice de fond.

 

[22]      Sous prétexte d'un vice de fond, le recours en révision ne doit cependant pas être un appel sur la base des mêmes faits. Il ne saurait non plus être une invitation faite à un commissaire de substituer son opinion et son appréciation de la preuve à celle de la première formation ou encore une occasion pour une partie d'ajouter de nouveaux arguments1.

_______________

1.     Voir: Y. OUELLETTE, Les tribunaux administratifs au Canada, Procédure et Preuve, Montréal, Les Éditions Thémis, 1997, p. 506-508.  J.P. VILLAGI, dans Droit public et administratif, Vol. 7, Collection de droit 2002-2003, Éditions Yvon Blais, 2002, p. 127-129.

 

 

[12]        La Cour d'appel reprend les mêmes règles dans l'arrêt Commission de la santé et de la sécurité du travail et Fontaine[4]. Elle ajoute que le vice de fond prévu à l’article 429.56 est assimilable à une « faille » dans la première décision, laquelle sous-tend une « erreur manifeste », donc voisine d’une forme d’incompétence :

[51]           En ce qui concerne la raison d’être de la révision pour un vice de fond de cet ordre, la jurisprudence est univoque. Il s’agit de rectifier les erreurs présentant les caractéristiques qui viennent d’être décrites. Il ne saurait s’agir de substituer à une première opinion ou interprétation des faits ou du droit une seconde opinion ni plus ni moins défendable que la première[51]. Intervenir en révision pour ce motif commande la réformation de la décision par la Cour supérieure car le tribunal administratif « commits a reviewable error when it revokes or reviews one of its earlier decisions merely because it disagrees with its findings of fact, its interpretation of a statute or regulation, its reasoning or even its conclusions»[52]L’interprétation d’un texte législatif « ne conduit pas nécessairement au dégagement d’une solution unique»[53] mais, comme « il appart[ient] d’abord aux premiers décideurs spécialisés d’interpréter»[54] un texte, c’est leur interprétation qui, toutes choses égales d’ailleurs, doit prévaloir. Saisi d’une demande de révision pour cause de vice de fond, le tribunal administratif doit se garder de confondre cette question précise avec celle dont était saisie la première formation (en d’autres termes, il importe qu’il s’abstienne d’intervenir s’il ne peut d’abord établir l’existence d’une erreur manifeste et déterminante dans la première décision)[55]Enfin, le recours en révision « ne doit […] pas être un appel sur la base des mêmes faits » : il s’en distingue notamment parce que seule l’erreur manifeste de fait ou de droit habilite la seconde formation à se prononcer sur le fond, et parce qu’une partie ne peut « ajouter de nouveaux arguments » au stade de la révision[56].

_________________

[51] Voir l’arrêt Godin, supra, note 12, paragr. 47 (le juge Fish) et 165 (le juge Chamberland) et l’arrêt Bourassa, supra, note 10, paragr. 22

[52] Ibid., paragr. 51.

[53] Arrêt Amar, supra, note 13, paragr. 27.

[54] Ibid., paragr.26

[55] Supra, note 10, paragr. 24.

[56] Ibid., paragr. 22.

 

[le tribunal souligne]

 

 

[13]        Comme l'indique le juge administratif Nadeau dans Savoie et Camille Dubois (fermé)[5], ces décisions de la Cour d'appel invitent la Commission des lésions professionnelles à faire preuve d'une très grande retenue dans l'exercice de son pouvoir de révision :

[18]      Toutefois, l’invitation à ne pas utiliser la notion de vice de fond à la légère et surtout l’analyse et l’insistance des juges Fish et Morrissette sur la primauté à accorder à la première décision et sur la finalité de la justice administrative, invitent et incitent la Commission des lésions professionnelles à faire preuve d’une très grande retenue. La première décision rendue par la Commission des lésions professionnelles fait autorité et ce n'est qu'exceptionnellement que cette décision pourra être révisée.

 

 

[14]        Ainsi, à moins qu’il arrive à la conclusion que le premier juge administratif a commis une erreur de fait ou de droit manifeste et déterminante, le juge administratif saisi d'une requête en révision ne peut pas écarter la conclusion à laquelle en vient le juge administratif qui a rendu la décision attaquée et il ne peut y substituer sa propre conclusion. En somme, il ne peut réviser ou révoquer une décision uniquement parce qu'il n'interprète pas le droit substantif ou n'apprécie pas la preuve comme le premier juge administratif.

[15]        Il n’en demeure pas moins que la jurisprudence a établi clairement que l’omission ou le refus du premier juge administratif d’appliquer une règle de droit législative ou règlementaire applicable à une situation précise équivaut à méconnaître une règle de droit. Il en est de même si la décision équivaut à modifier ou à ajouter au texte de la loi. Cela peut constituer une erreur de droit manifeste qui a un effet déterminant sur l’issue de la décision. Dans ce cas la décision peut être révisée ou révoquée[6].

[16]        En tout état de cause la jurisprudence enseigne que la révision ou la révocation n’est pas en soi un outil de cohérence décisionnel[7].

[17]        Pour les motifs qui suivent, le tribunal siégeant en révision conclut qu’il n’y a pas lieu de réviser la décision rendue par le premier juge administratif. La question que soulève la CSST en est une d’interprétation de l’article 326 de la loi. La décision rendue par le premier juge suit un raisonnement intelligible et est basée sur une interprétation ayant cours à la Commission des lésions professionnelles, bien qu’à l’époque il y avait peu de décisions dans ce sens et la décision est suffisamment motivée[8]. Dans ce contexte, il n’est pas requis de déterminer comme l’a invité la procureure de l’employeur si la CSST pouvait se prévaloir du recours en révision alors qu’elle n’est pas intervenue auparavant dans le dossier.

Le contexte

[18]        Le travailleur a subi une lésion professionnelle le 7 juin 2010. L’indemnité de remplacement du revenu est déterminée en tenant compte du salaire reçu chez l’employeur, mais également de l’indemnité de remplacement du revenu réduite que lui versait alors la CSST en raison d’une lésion professionnelle antérieure survenue chez un autre employeur. La CSST a donc appliqué les dispositions de l’article 73 de la loi :

73.  Le revenu brut d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle alors qu'il reçoit une indemnité de remplacement du revenu est le plus élevé de celui, revalorisé, qui a servi de base au calcul de son indemnité initiale et de celui qu'il tire de son nouvel emploi.

 

L'indemnité de remplacement du revenu que reçoit ce travailleur alors qu'il est victime d'une lésion professionnelle cesse de lui être versée et sa nouvelle indemnité ne peut excéder celle qui est calculée sur la base du maximum annuel assurable en vigueur lorsque se manifeste sa nouvelle lésion professionnelle.

__________

1985, c. 6, a. 73.

 

 

[19]        La décision du premier juge administratif énonce les montants retenus. Il n’est pas requis de les reprendre ici.

[20]        À la suite de la décision de lui imputer l’ensemble des coûts des prestations, notamment l’indemnité de remplacement du revenu calculée suivant l’article 73 de la loi, l’employeur a formulé une demande de transfert de l’imputation en soutenant qu’il est obéré injustement par l’imputation de la partie de l’indemnité de remplacement du revenu du travailleur calculée sur les sommes qui excède le salaire annuel qu’il lui verse en contrepartie de sa prestation de travail.

[21]        La CSST a refusé cette demande. Cette décision a été confirmée à la suite d’une révision administrative.

[22]        Le premier juge administratif a toutefois donné raison à l’employeur. Il a précisé que l’employeur ne devait pas être imputé de l’excédent non pas parce qu’il est obéré injustement par cette imputation. L’application d’une disposition législative ne peut avoir cet effet, mais parce que la somme équivalente à l’indemnité de remplacement du revenu réduite qu’il reçoit n’est pas une prestation reliée à une lésion professionnelle subie par un de ses travailleurs. Il s’agit d’une application de l’alinéa 1 de l’article 326 de la loi :

326.  La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.

 

Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.

 

L'employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l'année suivant la date de l'accident.

__________

1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.

 

 

[23]        Il importe de reproduire les motifs précis du premier juge administratif à ce sujet :

[25]      Toutefois, le tribunal estime que la somme correspondant à l’indemnité réduite de remplacement du revenu ne doit pas être imputée au dossier de l’employeur puisqu’il ne s’agit pas d’une prestation reliée à une lésion professionnelle subie par un de ses travailleurs.

 

[26]      En effet, selon la règle générale d’imputation, l’employeur n’est responsable que des coûts reliés à un accident du travail survenu à un travailleur alors qu’il est à son emploi. Ainsi, les coûts attribuables à une lésion professionnelle survenue chez un autre employeur ne doivent pas être imputés à son dossier. C’est ce qui ressort des dispositions contenues dans la loi prévoyant l’imputation des coûts, soit les articles 327, 328 et 329 de la loi, comme l’écrivait le tribunal sans l’affaire J.M. Bouchard & Fils inc7.

 

[27]      Au surplus, l’employeur du travailleur lors de la survenance de la lésion professionnelle en 1991, laquelle a entraîné plusieurs rechutes qui ont mené à la détermination d'un emploi convenable et le versement de l’indemnité réduite de remplacement du revenu, a déjà eu à supporter les coûts rattachés à cette lésion professionnelle. Il est donc normal que la CSST ne puisse imputer à nouveau des coûts qu’elle a déjà facturés à cet employeur et pour lesquels elle a effectué les provisions actuarielles nécessaires, comme le soulignait avec justesse le tribunal dans Rôtisserie St-Hubert (10520 Lajeunesse)8.

 

[28]      Ainsi, au moment de son accident du travail survenu le 7 juin 2010, le salaire de l’emploi occupé par le travailleur n’était que de 20 353 $. En vertu du principe général d’imputation, l’employeur ne doit être imputé que des coûts reliés à ce salaire. Les coûts reliés à la portion de l’indemnité de remplacement du revenu correspondant à l’indemnité réduite de remplacement du revenu que recevait alors le travailleur, soit 40 287 $, doivent être retranchés du dossier financier de l’employeur.

_____________________

            2 103214-73-9807, 6 janvier 2000, C. Racine.

3 114354-32-9904, 18 octobre 2002, M.-A. Jobidon.

4 Ville de Laval, 389558-61-0909, 21 juillet 2010, G. Morin; Auto Classique de Laval inc., 394677-61-0911, 23 novembre 2010, L. Nadeau.

5 Ville de Drummondville et CSST, [2003] C.L.P. 1118 , requête ne révision rejetée, [2004] C.L.P. 1856 (C.S.).

6 Ville de Drummondville et CSST, [2003] C.L.P. 1118 ; Hôpital Laval, C.L.P. 353474031-0807, 23 mars 2009, H. Thériault; Groupe C.D.P., C.L.P. 356625-31-0808, 23 juillet 2009, G. Tardif; Nettoyeurs Pellican Inc., C.L.P. 372145-31-0903, 4 août 2009, S. Sénéchal; ARTB inc., C.L.P. 346416-03B-0804, 19 août 2009, R. Deraîche; Fernand Harvey & Fils inc., C.L.P. 382751-31-0907, 17 décembre 2009, R. Hudon; Carquest Canada Ltée, C.L.P. 389155-03B-0909, 29 avril 2010, M.-A. Jobidon; Goupe C.D.P. inc., 422607-61-1010, 23 mars 2011, P. Bouvier.

            7 2010 QCCLP 3746 .

            8 2011 QCCLP 1741 .

 

 

Les arguments

[24]        Le procureur de la CSST souligne qu’il est en accord avec la conclusion du premier juge administratif au sujet de la non-application du second alinéa de l’article 326 de la loi.

[25]        Il invoque toutefois une erreur de droit grave et déterminante de la part du premier juge administratif sur trois points précis concernant le premier alinéa de cette disposition qui peuvent être résumés ainsi :

·        Le premier juge administratif excède sa compétence lorsqu’il ajoute à la LATMP en fondant sa décision sur le fait que le coût représentant l’indemnité de remplacement du revenu réduite n’est pas relié à l’accident du travail survenu chez l’employeur le 7 juin 2010 et en assimilant que celui-ci ne correspond pas au salaire effectivement gagné par le travailleur au moment de cet accident du travail, ce que la LATMP ne prévoit pas. Il ajoute ainsi une nouvelle règle d’imputation qui n’est pas prévue à la loi. De même, il crée un recours en « désimputation » qui n’est pas prévu au premier alinéa de l’article 326 de la loi.

·        Le premier juge administratif confond salaire et prestation au sens de la loi, en ce que ce n’est pas le salaire versé qui est imputé à l’employeur mais bien le coût d’une prestation, en l’occurrence, la valeur de l’indemnité de remplacement du revenu calculée suivant l’article 73 de la loi et versée au travailleur en raison d’une lésion professionnelle survenue alors que le travailleur est à son emploi et non en raison d’une lésion professionnelle antérieure survenue chez un autre employeur.

·        Le premier juge administratif remet en cause indirectement le droit à l’indemnité de remplacement du revenu du travailleur alors qu’il est essentiellement saisi d’une question d’imputation.

[26]        La procureure de l’employeur soumet que le premier juge administratif a commis aucune erreur révisable. Il a simplement interprété l’article 326 de la loi en s’inspirant de la jurisprudence contemporaine, notamment les affaires J.M. Bouchard & fils[9], Comfort Inn par Journey’s end[10], Ébénisterie St-Urbain ltée[11]. L’interprétation privilégiée ne stérilise pas l’article 326 de la loi et ne porte aucunement préjudice au travailleur.

[27]        En somme, la décision du premier juge administratif est motivée, rationnelle et appuyée sur la jurisprudence. Il n’y a pas matière à révision ou révocation plaide-t-elle.

Analyse

[28]        L’application des dispositions législatives propres au calcul de l’indemnité de remplacement du revenu et celles relatives à l’imputation des coûts reliés à une lésion professionnelle fait l’objet d’une volumineuse jurisprudence depuis des années.

[29]        La décision sous révision détermine que l’employeur ne doit pas être imputé des sommes qui représentent la portion de l’indemnité de remplacement du revenu que reçoit le travailleur qui est calculée sur l’indemnité réduite qu’il recevait à la suite d’une lésion professionnelle antérieure survenue chez un autre employeur.

[30]        Le calcul de l’indemnité de remplacement du revenu que le travailleur a reçue n’est pas en litige. Il s’agit de l’application de l’article 73 de la loi. Aucune erreur n’est soulevée à cet égard.

[31]        Le premier juge administratif a également conclu que l’employeur ne pouvait être obéré injustement en matière d’imputation du simple fait de l’application de la loi, notamment l’article 73. Dans ce contexte, le juge administratif a refusé d’appliquer le second alinéa de l’article 326 de la loi. Aucune erreur n’est davantage soulevée ici.

[32]        Selon le procureur de la CSST à l’audience, l’erreur du juge administratif en est une principalement de droit. Il affirme qu’à l’évidence, l’indemnité de remplacement du revenu que reçoit le travailleur résulte de la lésion professionnelle du 7 juin 2010 et non d’une lésion professionnelle antérieure. L’employeur doit donc être imputé des sommes représentant cette indemnité de remplacement du revenu.

[33]        Le tribunal considère plutôt qu’il s’agit ici d’une question d’interprétation des faits et du droit. Analysant les faits, le juge administratif a conclu qu’une partie des sommes qui constitue l’indemnité de remplacement du revenu que reçoit le travailleur n’est pas attribuable à la lésion professionnelle survenue chez l’employeur imputé. Par conséquent, ce dernier n’a pas à être imputé de cette partie.

[34]        Pour en arriver à cette conclusion, le juge administratif s’est livré à une analyse des faits et du droit applicable. Cette analyse constitue une interprétation. Il ne s’agit pas d’un refus d’appliquer une disposition législative ou de l’omission de l’appliquer, mais d’une application particulière du texte.

[35]        Précisément, le premier juge administratif partage d’emblée et sans équivoque le raisonnement retenu par plusieurs juges administratifs sur la même question[12].

 

 

[36]        Depuis le moment où la décision sous révision a été rendue, de nombreuses autres décisions ont été rendues exactement au même effet[13].

[37]        En fait le tribunal siégeant en révision n’a identifié qu’une seule décision postérieure qui retient l’interprétation que fait valoir ici la CSST. Il s’agit de l’affaire  Transport RCI[14]. Dans cette décision, le juge administratif retient plutôt le raisonnement retenu dans l’affaire Nettoyeurs Pellican (Les)[15]. Il conclut ainsi :

[31]      En terminant, bien que depuis l’affaire J.M. Bouchard & Fils inc. , un autre courant jurisprudentiel existe  au sein du tribunal sur cette question, le soussigné préfère retenir, pour les motifs ci-haut exposés, l’interprétation retenue dans l’affaire Nettoyeurs Pellican inc. (Les) , interprétation qui est d’ailleurs davantage conforme à l’intention du législateur.

 

[32]      Le tribunal conclut donc que l’employeur doit assumer la totalité des coûts des prestations à la suite de la lésion professionnelle survenue au travailleur le 20 novembre 2009.

(références omises)

 

 

[38]        Dans le cas présent, le premier juge administratif a retenu une interprétation du premier alinéa de l’article 326 de la loi suivant laquelle seule la partie de l’indemnité de remplacement du revenu versée au travailleur correspondant au salaire que celui-ci gagnait chez l’employeur doit être imputée à ce dernier. L’excédent provient de l’indemnité de remplacement du revenu réduite issue d’une lésion professionnelle antérieure survenue chez un autre employeur. Dans ce contexte, il conclut que cette portion n’est pas « attribuable » à la lésion professionnelle sous étude.

[39]        Ce faisant, le premier juge n’a pas confondu le salaire et la prestation. Il simplement ventilé la valeur de la prestation en fonction des différents éléments qui la compose. Il a conclu que seulement une partie des prestations doit être imputée à l’employeur. Il ne s’agit pas là d’une erreur manifeste et déterminante.

[40]        En développant son argument à l’audience, le procureur de la CSST soutient que le premier juge administratif a recherché une forme de responsabilité ou de non-responsabilité de la part de l’employeur eu égard au premier alinéa de l’article 326 de la loi ce qui est une erreur grave, à son avis.

[41]        Il est exact que le premier juge administratif utilise les termes « responsable » et « attribuable»  dans la raison qu’il fait valoir au paragraphe 26. Or, ces termes ne sont pas utilisés par le législateur à l’article 326 de la loi et réfèrent à une forme de responsabilité, pourtant écartée à la loi. Néanmoins, les termes mêmes du paragraphe 25 de la décision révèlent tout le contexte dans lequel le premier juge utilise ces mots. La lecture combinée de ces paragraphes démontre qu’il n’est pas question de responsabilité au sens commun du terme et de ce concept mentionné à l’article 25 de la loi :

25.  Les droits conférés par la présente loi le sont sans égard à la responsabilité de quiconque.

__________

1985, c. 6, a. 25.

 

 

[42]        Le procureur de la CSST fait également grand état du paragraphe 28 de la décision. Le premier juge administratif retient que l’imputation de l’indemnité de remplacement du revenu à l’employeur doit être limitée au coût relié au salaire qu’il verse au travailleur.

[43]        Il s’agit ici essentiellement d’une question d’interprétation de la disposition législative en fonction des faits juridiques pertinents à l’analyse. Il y a là une logique certaine, fondée sur une certaine conception du principe général de l’imputation des coûts.

[44]         Contrairement à ce qu’affirme le procureur de la CSST, le premier juge administratif ne remet pas en cause le droit du travailleur à un montant particulier d’indemnité de remplacement du revenu. Il s’agit d’un autre débat qui a été réglé par l’absence de contestation de l’employeur sur ce point précis au moment opportun.

[45]        Enfin, l’interprétation de la règle générale d’imputation que privilégie le premier juge administratif n’a pas nécessairement l’effet de créer un recours ou un mécanisme nouveau de « désimputation ». D’ailleurs, le procureur de la CSST a souligné que cette question est soulevée de façon plus précise dans le cadre d’un autre recours en révision pendant devant la Commission des lésions professionnelles, soit dans l’affaire Comfort Inn par Journey’s end[16]. Cet argument n’a pas été développé à l’audience. Qu’il suffise de dire que l’application de l’alinéa 1 de l’article 326 par la CSST entraîne une décision, laquelle peut être contestée conformément à la loi. C’est ce qui s’est produit dans le cas présent. Il ne saurait de ce fait y avoir d’erreur de compétence de la part du premier juge administratif.

[46]        En tout état de cause, le recours en révision constitue en quelque sorte le procès d’une décision et non une seconde occasion de décider de novo de la situation juridique des parties.

[47]        L’interprétation privilégiée par le premier juge administratif est partagée par une très grande majorité des juges administratifs de la Commission des lésions professionnelles.

[48]        Il n’appartient pas au tribunal siégeant en révision de choisir entre deux interprétations d’un texte législatif dans la mesure où celle qui est privilégiée s’appuie sur un raisonnement qui n’est pas clairement irrationnel ou qui frôle l’absurde[17]. Le procureur de la CSST n’a pas fait cette démonstration si tant est qu’il aurait pu la faire[18].

[49]        Il ne lui appartient pas davantage de déterminer quelle interprétation aurait dû être retenue en premier lieu ou de trancher entre deux courants d’interprétation, entre deux courants jurisprudentiels.

[50]        Le juge administratif Marie Langlois a bien résumé ce principe dans l’affaire La Compagnie Marie Chouinard et Won Won Myeong[19] :

[28]      Le fait qu'une autre interprétation de l’article 8 de la loi et des dispositions du Code civil eu égard aux faits de l’espèce soit possible ou même plausible ne saurait constituer un motif de révision. Le présent tribunal doit s’en tenir à déterminer si l’interprétation de la première juge administrative fait ou non partie de la panoplie des interprétations possibles.

 

[29]      Soulignons que ce principe est énoncé par la Cour d’appel du Québec en matière d’interprétation de textes législatifs dans l’arrêt Amar et CSST et Locations d’autos et camions Discount13, principe qui a été repris plus récemment dans l’affaire Fontaine14 . La Cour retient que l’interprétation d’un texte législatif ne conduit pas toujours à une interprétation unique et que les décideurs jouissent d’une marge de manœuvre appréciable dans leur interprétation. En outre, il n’appartient pas à la Commission des lésions professionnelles siégeant en révision de déterminer l’interprétation à retenir, de trancher les conflits jurisprudentiels existants ou de donner son opinion sur ces questions15.

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            13 C.A. Mtl, 500-09-011643-012, 28 août 2003, jj. Mailhot, Rousseau-Houle et Rayle.

                        14 Précitée, note 6 [CSST c. Fontaine, [2005] C.L.P. 626 (C.A.].

15 Desjardins et Réno-Dépôt, [1999] C.L.P. 898 ; Robin et Hôpital Marie Enfant, C.L.P. 87973-63-9704, le 13 octobre 1999, J.-L. Rivard; Buggiero et Vêtements Eversharp ltée, C.L.P. 93633-71-9801, le 11 novembre 1999, C.-A. Ducharme (requête en révision judiciaire rejetée, C.S. Mtl : 500-05-054889-991, le 30 mars 2001, j. Baker; (Olymel) Turcotte & Turmel inc. et CSST, C.L.P. 91587-04B-9710, le 31 juillet 2001, M. Allard; Gaumond et Centre d'hébergement St-Rédempteur inc. [2000] C.L.P. 346 ; Prévost Car inc. et Giroux, C.L.P. 160753-03B-0105, le 10 février 2004, M. Beaudoin; Couture et Les immeubles Jenas [2004] C.L.P. 366 ; Vêtements Golden Brand Canada ltée et Cardenas, C.L.P. 187742-72-0207, le 1er mars 2006, M. Zigby.

 

 

[51]        Dans ce contexte, la requête de la CSST n’est pas fondée.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requête en révision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail.

 

 

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Jacques David

 

 

 

 

Me Monia Vallée

LEBLANC, LAMONTAGNE ET ASSOCIÉS

Représentante de la partie requérante

 

 

Me David Martinez

VIGNEAULT, THIBODEAU, BERGERON

Représentant de la partie intervenante

 



[1]          L.R.Q. c. A-3.001.

[2]           Voir notamment Produits forestiers Donohue inc. et Villeneuve, [1998] C.L.P. 733 ; Franchellini et Sousa, [1998] C.L.P. 783 .

[3]           [2003] C.L.P. 601 (C.A.).

[4]           [2005] C.L.P. 626 (C.A.); également dans CSST et Toulimi, C.A. 500-09-015132-046, 6 octobre 2005, jj. Robert, Morissette, Bich, 05LP-159.

[5]           C.L.P. 224235-63-0401, 12 janvier 2006, L. Nadeau. Voir aussi Roy et Staples Canada Inc., 2011 QCCLP 3709 .

[6]           Opron inc. et C.L.P. et P.G. du Québec et CSST, C.S. Longueuil, 505-17-001370-032, 12 avril 2002, j. Verrier; CSST et Del Grosso, [1998] C.L.P. 866 ; Côté et Inerballast inc., [2000] C.L.P. 1125 ; Doré et Autobus Trans-Nord ltée, C.L.P. 152762-64-0012, 23 avril 2002, M. Bélanger; Services Aéroportuaires Natesco inc. et CSST, C.L.P. 159169-64-0104, 23 avril 2004, N. Lacroix (décision accueillant une requête en révision); Terrassements Lavoie ltée et Conseil Conjoint (FTQ) [2004] C.L.P. 194 ; I.M.P. Group limited et CSST [2007] C.L.P. 1558 ; Caron et Gaston Turcotte & fils inc., 2009 QCCLP 6496 ; St-Denis et Manoir Heather Lodge, 2010 QCCLP 5437 et Goulet et Signalisation Laurentienne, 2011 QCCLP 4319 .

[7]           Tribunal administratif du Québec c. Godin, [2003] R.J.Q. 2490 (C.A.) et Fontaine [précitée, note 4] et La Compagnie Marie Chouinard et Won Won Myeong et CSST, 2010 QCCLP 7620 .

[8]           Voir Mutuelle de prévention de la CMEQ et Ratté Électrique inc., 2012 QCCLP 1167 .

[9]           [2010] C.L.P. 138 .

[10]         2010 QCCLP 7607 , révision pendante.

[11]         2011 QCCLP 4231 .

[12]         Voir les décisions citées aux notes 9 et 10 ainsi que Rôtisseries St-Hubert, 2011 QCCLP 1741 . Voir aussi Ébénisterie St-Urbain, précitée note 11; 2M Ressources Inc., 2011 QCCLP 684 ; Transport École-Bec Montréal (EBM) inc., 2011 QCCLP 3322 ; Groupe C.D.P., 2011 QCCLP 2207 qui sont également antérieures, mais non mentionnées par le premier juge administratif.

[13]         Entreprises Cafection (Les), 2012 QCCLP 3578 ; Construction BCK, 2012 QCCLP 1184 ; Sodexho Québec ltée-Cafétéria, 2012 QCCLP 3516 ; Forage Dynami-tech, 2012 QCCLP 1935 ; Serres Serge Lacoste 2000 inc. (Les), 2012 QCCLP 5308 ; Programme Emploi-Service, 2012 QCCLP 5852 ; Maison du Pain inc. (La), 2012 QCCLP 6098 ; Signotech inc., 2012 QCCLP 6333 ; Coopérative de soutien à domicile de Laval, 2012 QCCLP 7748 .

[14]         2012 QCCLP 1018 .

[15]         C.L.P. 372145-31-0903, 4 août 2009, S. Sénéchal.

[16]         Précitée, note 10.

[17]         Voir Ville de Drummondville et CSST, C.L.P. 175197-04B-0112, 18 novembre 2003, D. Beauregard.

[18]         Mutuelle de prévention de la CMEQ et Ratté Électrique inc., précitée, note 8.

[19]         Précitée, note 7.

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