Brunelle et STM Réseau du métro |
2012 QCCLP 3571 |
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[1] Le 16 novembre 2010, madame Francine Brunelle (la travailleuse) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 11 novembre 2010, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 25 août 2010 et déclare que la travailleuse n’a pas été victime d’un accident du travail le 25 juillet 2010.
[3] Une audience est tenue le 3 mai 2012 à Joliette. La travailleuse est présente et représentée et l’employeur, S.T.M. Réseau du métro, est également présent et représenté. Le dossier est mis en délibéré le 15 mai 2012, soit après la réception du rapport de la chiropraticienne consultée dans le passé par la travailleuse à la suite d’un engagement de cette dernière de fournir un tel document.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] La représentante de la travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles (le tribunal) d’infirmer la décision de la révision administrative rendue le 11 novembre 2010 et de reconnaître que la travailleuse a été victime d’une lésion professionnelle le 25 juillet 2010. Elle soumet que la présomption prévue à l’article 28 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) s’applique à la travailleuse et que l’employeur doit renverser cette présomption.
LES FAITS
[5] La travailleuse travaille pour l’employeur depuis 1985. Elle a débuté comme chauffeuse d’autobus et en 1989, elle est devenue opératrice de métro, poste qu’elle occupait le 25 juillet 2010, journée où elle allègue avoir subi un accident du travail. Ce jour-là, elle occupe le poste de renfort de terminus à la station Montmorency pour le compte de l’employeur. Ses tâches consistent à remplacer les opérateurs au besoin, faire des échanges de train, garer les trains. Elle peut être assignée sur d’autres lignes au besoin pour remplacer des collègues.
[6] Son assignation est choisie par ancienneté. Elle postule sur des listes. Le poste de renfort de station implique des périodes où elle est en attente de l’arrivée des trains ou qu’on lui assigne du travail. Généralement, dans ses périodes d’attente, elle occupe le local des opérateurs qui est situé à l’arrière du bureau du chef du terminus. C’est ce dernier qui lui assigne son travail. Le 25 juillet 2010, elle travaille sur un horaire de 18 h à 2 h. Le matin du 25 juillet, elle n’avait aucune douleur au dos.
[7] Avant son accident qui serait survenu vers 23 h 45, elle a garé deux trains, ce qui implique d’en prendre possession lorsqu’ils entrent dans la station et d’aller les garer. Lorsque les trains arrivent, elle doit les inspecter pour s’assurer qu’il ne reste plus de passagers à bord avant de les garer. Le jour de l’accident, elle a garé un premier train vers 18 h 30 et un second vers 20 h. Lorsqu’elle gare un train, elle doit appliquer le frein à main. Pour appliquer ce frein, elle doit faire une quarantaine de tours de manivelle en position penchée vers l’avant.
[8] En réponse à une question de la procureure de l’employeur lors du contre-interrogatoire, elle mentionne avoir ressenti une certaine douleur en faisant ce mouvement lorsqu’elle a mis le frein à main sur le deuxième train qu’elle a garé, mais sans plus.
[9] L’accident allégué s’est produit alors qu’elle est dans le local des opérateurs, assise sur une chaise droite avec bras. Un des bras de la chaise est sous la table. Elle est calée dans sa chaise, un peu affalée et lit un livre. La chaise est dans un angle d’environ 45° par rapport à la table. Elle réalise soudainement sur le moniteur qu’un train arrive. Elle se lève brusquement de sa chaise sans la repousser vers l’arrière. Elle mentionne qu’elle fait comme un mouvement de torsion en se levant pour se diriger vers la porte qui est située derrière le bureau où elle est installée. Elle mentionne avoir contourné le bras de sa chaise en se levant.
[10] C’est à ce moment qu’elle ressent une grosse douleur dans le bas du dos, comme un coup de poignard, en haut de la fesse gauche. Elle retombe assise sur sa chaise, incapable de bouger. Le chef de terminus, monsieur Claude Lussier, présent dans la salle, l’a vue à ce moment et lui demande ce qu’elle a. Une autre opératrice, madame Rathé, est également présente dans la salle et témoin de l’incident. Elle est incapable de continuer à travailler et elle éprouve de vives douleurs.
[11] On lui offre un transport en ambulance qu’elle refuse pensant pouvoir quitter par ses propres moyens. Elle demande du ruban adhésif utilisé pour les conduits d’air pour se cintrer les reins. Elle demande au concierge d’aller chercher sa voiture dans le stationnement et de la garer près de la porte de la station, ce qu’il fait.
[12] Elle conduit un véhicule automatique, elle doit faire 20 minutes de trajet pour retourner chez elle. Elle éprouve certaines douleurs lorsqu’elle freine. Rendue à sa résidence vers 1 h, elle se met de la glace pour contrôler l’inflammation. Elle ne dort pas. Elle utilise un TENS qu’elle a depuis son accident du travail subi en 2000 alors qu’elle manipulait un frein à main. Elle aurait eu une blessure au niveau lombaire qui a été consolidée sans limitations fonctionnelles.
[13] Le lendemain, elle consulte un chiropraticien près de chez elle. Elle mentionne que ce n’est pas son chiropraticien habituel, elle l’a choisi pour des raisons de proximité. Le traitement n’est pas concluant. Le lendemain, elle consulte un médecin dans une clinique sans rendez-vous. Par la suite, le 27 juillet 2010, elle rencontre la docteure France Émery à la Clinique du Vieux-Terrebonne. Cette dernière pose un diagnostic d’entorse dorsale et d’entorse lombaire avec sciatalgie. Elle lui prescrit des antidouleurs et des anti-inflammatoires.
[14] Le 5 août 2010, elle revoit la docteure Émery qui pose un diagnostic d’entorse dorsolombaire et recommande de poursuivre la physiothérapie. Elle fait entre 16 et 18 séances de physiothérapie. Elle retourne au travail en assignation temporaire après un mois d’arrêt de travail, c’est elle qui en fait la demande à son médecin. Elle s’occupe de faire le courrier.
[15] Fin septembre 2010, elle entreprend un retour progressif à son travail régulier. Fin octobre, elle reprend ses fonctions régulières.
[16] La déclaration faite dans le formulaire : Réclamation du travailleur se lit comme suit :
Je me suis levé brusquement et j’ai ressenti une douleur vive au bas du dos et je suis retombée assise incapable de me relever. Un chef de terminus m’a porté secours et a avisé le centre de contrôle (PCC). [sic]
[17] Le 22 septembre 2010, elle rencontre le docteur Neveu, médecin désigné par l’employeur. Il ne lui demande pas de décrire le fait accidentel comme tel. Elle précise toutefois qu’elle a fait état de ce qui était arrivé, mais n’a jamais mentionné qu’elle s’était relevée alors qu’elle était en position droite sur sa chaise.
[18] En contre-interrogatoire, elle mentionne qu’elle ne lui a pas précisé qu’elle était affalée dans sa chaise. Elle mentionne qu’elle lui a décrit qu’elle a ressenti de la douleur en se levant brusquement de sa chaise sans plus de précisions. Elle lui mentionne qu’elle a barré en se levant. Elle ne se souvient pas si elle a été questionnée sur d’autres événements qui se seraient produits durant son quart de travail ou si elle a été questionnée sur la survenance d’un mouvement de torsion lors de l’événement qu’elle a décrit au médecin.
[19] La travailleuse explique qu’elle occupe le poste de renfort de terminus depuis 29 à 36 semaines avant l’événement. Tous les opérateurs de même que le chef de terminus ont accès au local des opérateurs. Elle n’a pas véritablement de pauses repas ou repos. Elle est rémunérée pour tout le temps qu’elle passe dans la station. Elle mange entre l’arrivée de deux trains. Garer un train peut prendre 15 à 20 minutes. Elle en a garé un vers 18 h 30 et l’autre vers 20 h. Elle a soupé entre les deux trains.
[20] L’horaire d’arrivée des trains est prévisible. Il y en a un vers 18 h 30, un vers 20 h et un autre vers 24 h. Elle n’est pas tenue de demeurer dans la salle attenante au chef de terminus, mais doit être présente lors de l’arrivée des trains. L’horaire d’arrivée est prévisible. Elle peut circuler dans la station, mais doit y demeurer pour recevoir les ondes de la radio qu’elle porte en tout temps. Dans ses périodes d’attente, elle discute avec le chef de terminus, lit ou fait de l’ordinateur, assise sur la même chaise décrite précédemment.
[21] Lorsqu’elle a mis le frein à main du deuxième train, elle a senti une petite raideur. C’est une manœuvre qu’elle doit faire à chaque fois qu’elle gare un train. Sa chiropraticienne habituelle se nomme madame Solange Caron. Elle ne la consulte pas vraiment, elle la consulte pour se remettre en forme. Elle précise qu’elle ne la voit pratiquement jamais, ça fait des années qu’elle ne l’a pas vue. À la demande de l’employeur et après en avoir souscrit l’engagement, la travailleuse a déposé une lettre de madame Solange Caron, D.C., après l’audience, qui confirme qu’elle ne l’a pas consultée entre le 1er juillet 2008 et le 25 juillet 2010.
[22] Elle précise que lorsqu’est survenu l’accident, ça faisait 45 minutes qu’elle était en position assise en train de lire avant de se lever rapidement et brusquement de sa chaise lors de l’arrivée du train. Elle mentionne s’être complètement contorsionnée en contournant le bras de sa chaise, moment où elle a ressenti une vive douleur comme un coup de poignard, alors qu’elle est à mi-mouvement tournée vers la droite. Elle a utilisé le TENS, le 25 juillet 2010 seulement.
[23] Le docteur Labarre témoigne à la demande de l’employeur. Il mentionne que l’entorse se définit médicalement et au sens strict comme étant une sollicitation excessive ou anormale au-delà du mouvement physiologique du ligament ou de l’articulation.
[24] Il commente l’expertise du docteur Neveu. Il note que le docteur Neveu mesure un indice de Schober normal, mais que la rotation du tronc, faite d’abord en position debout puis reprise en position assise, est plus inconfortable, madame décrivant alors une douleur à la région de la jonction dorsolombaire. Il indique que le docteur Neveu semble d’avis que la travailleuse présente une douleur à la jonction dorsolombaire avec une irradiation caractéristique au niveau de la crête iliaque droite.
[25] Il mentionne que le docteur Neveu a écarté une pathologie au niveau sacro-iliaque en faisant exécuter la manœuvre de Fabere qui s’est avérée négative. Il note que le docteur Neveu écarte également la pathologie discale parce qu’il ne constate aucune évidence de radiculopathie, ce qui n’implique pas, selon le docteur Labarre, que la travailleuse ne présente pas un certain degré de dégénérescence discale puisque 50 % des personnes de 50 ans en présente. Mais comme il n’y a pas eu d’examen par tomodensitométrie, il ne peut confirmer la présence de cette condition.
[26] Il mentionne que le docteur Neveu pose un diagnostic de dérangement intervertébral mineur (DIM) au niveau du segment T12-L1, tel que bien décrit par la professeure Maigne et que la lésion de la travailleuse ne semble pas consolidée lors de son examen.
[27] Sur ce diagnostic de DIM T12-L1, il indique que la professeure Maigne a produit une littérature abondante concernant les DIM qui est une terminologie beaucoup moins utilisée de nos jours. La théorie de la professeure Maigne repose sur le fait que par différentes manipulations on pouvait faire disparaître la douleur ressentie par un patient. On qualifie ces lésions de DIM qui correspondent à un dérangement intervertébral de nature discale ou ligamentaire. C’est la base de la théorie du professeur Maigne.
[28] Il mentionne que cette théorie du professeur Maigne n’a pas été véritablement suivie par la communauté médicale, lui-même n’utilise pas cette terminologie du DIM. Il essaie d’être plus spécifique relativement à la provenance des douleurs. Depuis 2000 et 2004, plusieurs études ont été faites sur l’origine ou les causes des douleurs. Les infiltrations analgésiques aident à cibler la provenance de la douleur qui peut provenir dans certains cas, soit des ligaments ou des facettes.
[29] Selon les études du docteur Schwarzer en 2004 et du docteur Mancicanti en 2000, on a démontré que dans 48 % des cas la douleur disparaissait lorsqu’on injectait les facettes supérieures et inférieures au niveau dorsal, ce qui permet d’en arriver à la conclusion que ce que l’on qualifie souvent d’entorse dorsale est plutôt une douleur d’origine facettaire. Dans les cas des lombalgies, la douleur est d’origine facettaire dans 15 à 40 % des cas. La deuxième cause serait discogénique et la troisième ligamentaire ou musculaire dans environ 15 % des cas.
[30] Le diagnostic d’entorse lombaire est un diagnostic générique qui peut regrouper plusieurs symptômes. Les études ont démontré que dans la plupart des cas où un diagnostic d’entorse est posé, on n’a pas retrouvé de rupture ou déchirure tendineuse. La plupart du temps les douleurs ont une origine facettaire, discale ou sacro-iliaque.
[31] Constatant que le docteur Neveu a éliminé la possibilité que la douleur chez la travailleuse soit d’origine sacro-iliaque ou discale, il reste la possibilité que l’origine soit facettaire à cause de la douleur à la rotation du tronc et de la douleur au niveau D12-L1. La radiographie n’a rien démontré de particulier en ce qui a trait à la présence d’une condition personnelle d’arthrose.
[32] Il considère que le 27 juillet 2010, la docteure Emery a fait un diagnostic présomptif d’entorse dorsale et lombaire avec sciatalgie gauche. À la visite subséquente, elle laisse tomber le diagnostic de sciatalgie.
[33] Pour émettre son opinion sur la relation entre le diagnostic d’entorse dorsolombaire et le mouvement décrit par la travailleuse, le docteur Labarre s’appuie sur les neuf critères de la causalité utilisés au Québec, entre autres par la Société de l’assurance automobile du Québec. Le premier critère est celui de la réalité ou le fait accidentel allégué, le deuxième c’est la nature du dommage corporel ou le diagnostic de la lésion, le troisième, le mécanisme de production de la blessure.
[34] À la lecture du rapport d’enquête et du témoignage de madame, il mentionne que madame était assise et a décrit un mouvement de rotation en se levant. Il mentionne que le mouvement de rotation est plus initié par une rotation des épaules que par une rotation de la colonne lombaire ou dorsale. La colonne dorsale a une capacité de rotation de 37 à 40° alors que la colonne lombaire a une capacité de rotation de 5° en tenant pour acquis que le bassin demeure immobile. Dans le cas de la travailleuse, il soumet que son bassin a suivi, il n’était pas immobile. En se levant, elle a tassé la chaise avec son bassin.
[35] L’entorse se produit si le mouvement de rotation du tronc excède plus de 45° ou s’il y a un poids qui s’ajoute à l’exécution du mouvement ou une contrainte. Exemple, soulever une boîte lourde en faisant un mouvement de flexion dorsolombaire ou lors de l’exécution d’un mouvement contralatéral.
[36] Ici, il n’y a pas d’indices que la travailleuse ait sollicité ses articulations au-delà de leur capacité physiologique. Il est donc d’opinion qu’en tenant compte des critères de causalité, il ne peut établir de relation entre le mouvement décrit et l’entorse dorsolombaire de façon probante ou très probante.
[37] Le quatrième élément à considérer c’est le critère de gravité, la proportion entre l’événement et la blessure. Se lever d’une chaise ce n’est pas un mouvement inhabituel, ce n’est pas un mouvement de gravité. L’histoire naturelle pour la pathologie de madame évolue normalement, elle revient au travail relativement très rapidement. Le dernier critère est la condition personnelle. À part une condition d’arthrose compatible avec l’âge de la travailleuse, il n’y a pas de condition personnelle qui pourrait être à l’origine de la blessure.
[38] Quant à la nature de la blessure subie, il indique que lors du mouvement de rotation, le disque prendra une partie du mouvement et les facettes également. Il est possible que madame, à cause de la présence d’arthrose facettaire, ait ressenti des douleurs d’origine facettaire. Une douleur facettaire n’est pas une entorse.
[39] Il reconnaît qu’il n’a jamais examiné la travailleuse, n’a pas visité les lieux, ni vu la chaise qui est, selon le témoignage de madame, relativement légère avec les bras qui entraient sous la table. Il estime que madame a fait une rotation d’environ 20° lorsqu’elle a fait son mouvement de rotation. Si le bassin est fixe, les cinq vertèbres lombaires vont être responsables de 5° de rotation et les dorsales de 40° de rotation.
[40] Lors de l’exécution d’un mouvement dans la vie courante, le bassin n’est pas fixe de sorte que le mouvement de rotation peut facilement atteindre 90°. C’est le même principe lorsqu’une personne se lève de sa chaise, le bassin bouge et participe au mécanisme de rotation. L’aspect volontaire ou non du mouvement peut avoir une incidence dans le mécanisme lésionnel. Un mouvement involontaire peut causer une lésion alors qu’un mouvement exécuté volontairement est moins susceptible de le faire. La vitesse d’exécution du mouvement n’est pas nécessairement significative si on demeure dans les limites physiologiques de l’articulation.
[41] Le docteur Labarre a pris connaissance des rapports de physiothérapie et a constaté que la condition de la travailleuse s’est améliorée dans le temps. La docteure Émery, le 5 août 2010, note 10 jours après l’événement, que la condition de la travailleuse s’améliore. Le 20 août 2010, le rapport de physiothérapie indique une amélioration de 70 % de la condition de la travailleuse. Si madame souffre d’une entorse lombaire, il est normal de voir une amélioration dans un délai de trois à six semaines avec ou sans traitement.
[42] Si les douleurs ont une origine discale, la condition se dégradera au fil des ans. Elle a une chance sur deux d’avoir une discopathie à cause de son âge. Il ne dit pas qu’elle en a une. Pour le problème facettaire, il aurait fallu que madame reçoive des blocs facettaires, ce qui aurait permis d’identifier une origine facettaire à ses douleurs, ce qu’elle n’a pas eu dans le dossier. Ce type de lésion présente une douleur fluctuante en fonction de toutes sortes de facteurs comme la température. L’arthrose facettaire ne guérit pas, mais empire avec le temps.
[43] Il commente le passage suivant du rapport du docteur Neveu fait le 22 septembre 2010 :
[…] Or il n’y a eu aucun geste de torsion du tronc pouvant expliquer cette douleur et il n’y a aucun autre événement qui serait survenu lorsqu’elle conduisait ses trains ce même 25 juillet. Il est donc vraisemblable que madame a pu faire à un moment donné un mouvement qui a irrité la facette articulaire au niveau T12-L1, ce qui a provoqué par la suite un spasme musculaire lorsqu’elle a tenté de se relever. La CSST me semble donc avoir pris une décision tout à fait correcte de refuser cette réclamation en l’absence de fait accidentel.
[44] Le docteur Labarre est d’opinion que lors de l’application des freins, si elle s’était blessée elle aurait ressenti une douleur immédiatement et non quatre heures plus tard, elle ne s’est pas fait d’entorse à ce moment. Il ne peut établir de continuité évolutive entre les deux événements, soit l’application des freins et le fait de se lever de sa chaise. Il n’est pas d’accord avec l’opinion du docteur Neveu.
[45] Le docteur Labarre est d’opinion finalement que madame ne présente pas et n’a jamais présenté un tableau d’entorse dorsolombaire. Il reconnaît, par ailleurs que l’évolution de la lésion est compatible avec l’évolution d’une entorse qui s’améliore dans un délai de deux à six semaines. Il n’y a pas de démonstration de déchirure. Les douleurs sacro-iliaques sont comprises dans ces études et elles ne guériront pas nécessairement en trois à six semaines puisqu’elles ne sont pas nécessairement des entorses.
[46] Il précise que le diagnostic d’entorse est un diagnostic présomptif qui englobe plusieurs types de lésions qui peuvent avoir une origine autre que ligamentaire ou musculaire. Il peut s’agir d’un problème facettaire ou discale que l’on englobe dans le vocable d’entorse mais qui n’en est pas, au sens strict de la définition médicale.
L’ARGUMENTATION DES PARTIES
[47] La représentante de la travailleuse soumet que les trois éléments de la présomption sont démontrés, soit un diagnostic de blessure, qui survient sur les lieux du travail alors qu’elle exécute son travail. L’entorse dorsolombaire est un diagnostic de blessure, le docteur Labarre ne peut remettre en cause ce diagnostic par son témoignage.
[48] Elle soumet qu’au moment où la travailleuse se blesse, elle est en attente, cette période d’attente fait partie intégrante de ses tâches puisqu’elle est rémunérée. La disponibilité de la travailleuse fait partie intrinsèque du travail de renfort de terminus.
[49] Elle se blesse alors qu’elle se lève brusquement pour répondre à l’arrivée d’une rame de métro. Au niveau de l’exécution du geste, le tribunal devra évaluer si les circonstances décrites ont pu être à l’origine de la blessure. Il y a eu une certaine résistance de la chaise, la travailleuse manœuvre dans un espace restreint. Elle fait également un mouvement de torsion puisqu’elle doit se diriger rapidement vers la porte qui lui fait dos, ce qui implique qu’elle devait faire un mouvement de torsion pour s’y diriger. Selon elle, le 45° de mouvement de torsion suggéré par le docteur Labarre n’est pas une science exacte. Cette appréciation relève du tribunal qui devra l’apprécier.
[50] Elle soumet qu’une fois la présomption établie, c’est à l’employeur de démontrer l’absence de relation causale ou que la lésion ne s’est pas produite au travail. Elle soumet que le docteur Neveu soulève la possibilité que la blessure soit survenue alors que madame se relevait de sa chaise après avoir irrité sa facette T12-L1. Il est en preuve que quelques heures avant, madame a mis deux freins à main et elle a ressenti une certaine raideur après avoir mis le deuxième frein.
[51] Elle réfère le tribunal aux décisions Boies et CSSS Québec-Nord[2], sur la notion de présomption, à l’affaire Lapointe et Studio Ross inc.[3] dans laquelle le mouvement de torsion effectué par une coiffeuse pour se lever d’une chaise afin de parler à la propriétaire à la fin de sa période de repas, a été considéré comme un geste posé alors que la travailleuse exécutait son travail. Elle réfère également à l’affaire Simard et CSD Employeur[4], où on a conclu qu’il ne faisait pas partie de la connaissance d’office du tribunal qu’il y avait nécessité de faire la démonstration d’un mouvement de torsion pour reconnaître l’existence d’un diagnostic d’entorse.
[52] Également, elle réfère le tribunal à l’affaire Nantel et Société de transport de Montréal[5] où on a reconnu que le fait pour un chauffeur d’autobus de se lever de son siège avec un mouvement de rotation après avoir passé dans des nids-de-poule a été considéré comme ayant pu causer une entorse lombaire, sans que ce geste ait nécessairement excédé la capacité physiologique de l’articulation. Et finalement à l’affaire Iannoni et Société de transport de Montréal[6] où le tribunal a souligné qu’il n’était pas absolument nécessaire qu’il y ait mouvement de torsion pour conclure à la survenance d’une entorse dorsale, malgré une preuve médicale contraire.
[53] La représentante de l’employeur soumet que l’article 28 ne peut s’appliquer parce que l’accident ne s’est pas produit alors que la travailleuse exécutait son travail. Elle soumet que la révision administrative ne s’est pas uniquement appuyée sur ce que le docteur Neveu a rapporté dans son examen, mais également sur une note évolutive avec l’agent de la CSST où elle a mentionné qu’il ne s’était rien passé de particulier. Elle soumet que le geste de se lever d’une chaise fait partie du travail habituel et qu’il n’y a pas d’événement imprévu et soudain qui s’est produit.
[54] Elle convient que le diagnostic d’entorse dorsolombaire est non contesté et constitue une blessure. Elle soumet que le premier critère est rencontré. Le deuxième ne l’est toutefois pas. La période d’attente doit être assimilée à une période de pause. Cette période n’est d’aucune utilité pour l’employeur qui n’en tire aucun bénéfice. La travailleuse est libre de faire ce qu’elle veut entre l’arrivée de deux trains. Elle n’est pas à l’occasion du travail. Elle soumet que la travailleuse s’est blessée parce qu’elle a décidé de s’asseoir pour lire un livre et non parce qu’elle s’est levée brusquement pour prendre en charge un train qui entrait dans la station.
[55] Elle soumet également que la chaise n’a jamais été bloquée par la table puisque la travailleuse a reconnu qu’elle a reculé lorsqu’elle s’est levée. Elle est d’avis que le tribunal doit retenir l’opinion du docteur Neveu et conclure que la travailleuse n’a pu s’infliger une entorse puisque le mouvement décrit n’a pas excédé 20° de rotation alors que selon le docteur Neveu, il doit y avoir un mouvement de plus de 45° de rotation pour excéder la capacité physiologique de la colonne dorsolombaire et causer une entorse.
[56] Elle réfère le tribunal à l’affaire Rivard et Provigo Distribution (division Maxi)[7] où on a considéré que la présomption de l’article 28 de la loi était renversée puisque le fait de se soulever d’un pouce sur une chaise pour se replacer n’était pas susceptible de causer une entorse lombaire en l’absence de mouvement de torsion.
[57] Dans l’affaire CPE-Les Petits Fripons et Lafleur[8], on a considéré qu’il n’y avait pas de relation causale entre le fait de se relever d’une position accroupie en se poussant de la main sur un petit banc, puisque ce mouvement n’est pas susceptible de provoquer une entorse lombaire. On a donc considéré que la présomption était renversée.
L’AVIS DES MEMBRES
[58] Conformément aux dispositions de l’article 429.50 de la loi, le juge soussigné a requis l’avis des membres issus des associations syndicales et patronales.
[59] Les membres issus des associations syndicales et patronales sont d’avis que la travailleuse a fait la preuve des trois éléments de l’article 28 de la loi donnant ouverture à l’application de la présomption de lésion professionnelle prévue à l’article 28 de la loi.
[60] Toutefois, ils divergent d’opinion quant au renversement du fardeau de la preuve. Le membre issu des associations syndicales est d’avis que l’employeur n’a pas renversé la présomption que le fait que la travailleuse a dû se relever rapidement de sa chaise et dans un espace restreint milite en faveur de la reconnaissance d’un événement qui a pu causer une entorse dorsolombaire. Il est d’avis que le fait que la travailleuse n’ait pas mentionné qu’elle a fait un mouvement de torsion n’est pas significatif puisqu’il n’est pas en preuve que cette question lui a été directement posée.
[61] Quant à la membre issue des associations patronales, elle est d’avis que le fardeau de preuve de l’employeur nécessaire au renversement de la présomption a été rencontré. Le témoignage du docteur Labarre quant au fait que le mouvement décrit par la travailleuse n’a pu causer l’entorse dorsolombaire puisqu’il ne s’agit pas d’un mouvement qui excède la capacité physiologique de la colonne dorsolombaire doit être retenu d’autant plus que cette opinion est également partagée par le médecin régional de la CSST et par le docteur Neveu.
[62] Elle est également d’avis que la travailleuse tente de bonifier sa version lors de l’audience, en faisant état d’un mouvement de torsion lorsqu’elle s’est levée de sa chaise, alors que ce mouvement n’est pas décrit dans son rapport d’accident, mi dans le rapport d’enquête et elle ne l’a pas décrit au docteur Neveu, lors de sa rencontre avec ce dernier. Cette bonification mine la crédibilité de la travailleuse et pour ce motif, cette partie de son témoignage ne devrait pas être retenue.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[63] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si la travailleuse a subi une lésion professionnelle, le 25 juillet 2010.
[64] L’article 2 de la loi définit la lésion professionnelle de la manière suivante :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :
« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;
__________
1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1.
[65] De plus, l’accident du travail y est défini en ces termes :
« accident du travail » : un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant à une personne par le fait ou à l'occasion de son travail et qui entraîne pour elle une lésion professionnelle;
__________
1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1.
[66] Or, afin de faciliter la preuve d’une lésion professionnelle, le législateur a édicté l’article 28 de la loi qui énonce une présomption en ces termes :
28. Une blessure qui arrive sur les lieux du travail alors que la travailleuse est à son travail est présumée une lésion professionnelle.
__________
1985, c. 6, a. 28.
[67] Afin de pouvoir bénéficier de son application, la travailleuse doit démontrer toutes et chacune des conditions énoncées ci-haut, à savoir : qu’elle a subi une blessure et que cette blessure est arrivée sur les lieux du travail alors qu’elle était à son travail.
[68] Une fois ces éléments établis, il peut être présumé qu’elle a subi une lésion professionnelle de telle sorte qu’elle est exemptée de démontrer chacun des éléments constitutifs de la notion d’accident du travail et plus particulièrement, la survenance d’un événement imprévu et soudain.
[69] Dans l’affaire Boies et C.S.S.S. Québec-Nord[9] rendue en 2011 par une formation de trois juges administratifs, la Commission des lésions professionnelles a revu la jurisprudence, la doctrine et les principes généraux d’interprétation des lois relatifs aux conditions d’application de la présomption.
[70] Le soussigné entend donc y référer puisque les indices et paramètres qui y sont énumérés servent à guider le tribunal lorsqu’il s’agit de décider si une blessure est arrivée sur les lieux du travail alors qu’un travailleur est à son travail.
[71] En ce qui concerne la notion de blessure, le tribunal rappelle qu’elle comporte généralement les caractéristiques suivantes :
[154] Le tribunal constate, suite à l’analyse des éléments précités, que la notion de « blessure » comporte généralement les caractéristiques suivantes :
- il s’agit d’une lésion provoquée par un agent vulnérant externe de nature physique ou chimique, à l’exclusion des agents biologiques comme par exemple des virus ou des bactéries.
- il n’y a pas de temps de latence66 en regard de l’apparition de la lésion, c'est-à-dire que la lésion apparaît de façon relativement instantanée. Dans le cas d’une maladie, il y a au contraire une période de latence ou un temps durant lequel les symptômes ne se sont pas encore manifestés.
- la lésion entraîne une perturbation dans la texture des organes ou une modification dans la structure d’une partie de l’organisme.
[…]
[156] D’autre part, certains diagnostics identifient parfois des blessures que la jurisprudence qualifie de mixtes, pouvant être considérés à la fois comme des blessures ou comme des maladies. Ces diagnostics nécessitent alors une analyse plus détaillée du contexte factuel au cours duquel ils se sont manifestés, sans toutefois rechercher la preuve de la relation causale.
[157] Dans les cas de ces diagnostics mixtes, l’emphase doit alors être mise sur les circonstances de leur apparition.
[…]
(159) Les soussignés souscrivent en partie à l’analyse proposée par le tribunal dans cette dernière affaire sur les éléments à prendre en compte dans l’appréciation des circonstances d’apparition de la lésion de nature « mixte », soit :
- la présence d’une douleur subite en opposition à une douleur qui s’installe graduellement;
- une sollicitation de la région anatomique lésée.
[160] Le tribunal est toutefois d’avis d’écarter le critère visant la recherche d’une posture contraignante de la région anatomique lésée et celui de l’adéquation entre le geste, l’effort ou la sollicitation anatomique et l’apparition de symptômes. En effet, cet exercice conduirait à la recherche de la cause ou de l’étiologie de la blessure diagnostiquée, ce que la présomption de l’article 28 de la loi évite précisément de faire. L’accent doit donc être mis sur les circonstances d’apparition de la lésion de nature « mixte ».
[…]
[162] Dans un tel contexte, c’est le tableau clinique observé de façon contemporaine à ce mouvement et à la douleur qu’il a provoquée qui permettra d’identifier les signes révélateurs de l’existence d’une blessure et non la recherche d’un agent vulnérant externe ou causal71.
[…]
[178] Il appert des synonymes employés que c’est la connotation « temporelle » qui ressort de cette définition et non le caractère de « causalité ». Les termes « qui arrive » exigent uniquement une corrélation temporelle entre le moment de la survenance de la blessure et l’accomplissement par le travailleur de son travail81.
__________
66 État de ce qui existe de manière non apparente mais peut, à tout moment, se manifester par l’apparition de symptômes; Larousse médical, Paris, Larousse, 2006, p. 580.
71 Roy et Solotech inc., 2009 QCCLP 8291 ; voir également Eng et Quincaillerie Richelieu inc., précitée, note 54.
81 Précitée, note 39.
[72] Quant aux indices et paramètres qui servent à guider le tribunal aux fins de décider si la blessure est arrivée sur les lieux du travail alors qu’un travailleur est à son travail, ils sont énumérés ainsi :
- moment d’apparition des premiers symptômes;
- délai de consultation;
- délai de déclaration à l’employeur;
- poursuite des activités normales de travail;
- douleurs ou symptômes avant la date de la blessure alléguée;
- diagnostic différent ou imprécis;
- crédibilité du travailleur;
- condition personnelle symptomatique le jour de l’événement.
[73] Certes, ces éléments ne constituent pas des conditions supplémentaires à l’application de la présomption, il s’agit plutôt d’éléments à considérer dans l’appréciation de la force probante de la preuve offerte aux fins de démontrer les trois conditions essentielles ci-haut énoncées à l’article 28 de la loi.
Un diagnostic de blessure
[74] Appliquant ces principes aux faits du présent dossier, le premier élément constitutif de la présomption est la survenance d’une blessure. Il convient dans un premier temps de déterminer si le tribunal est en présence d’un diagnostic de blessure.
[75] Le diagnostic posé par la docteure France Émery le 27 juillet 2010 est une entorse dorsale et une entorse lombaire avec sciatalgie. Le 5 août 2010, à la visite suivante, elle pose le diagnostic d’entorse dorsolombaire sans sciatalgie, qui se maintient par la suite.
[76] En l’absence de processus de contestation médicale, le tribunal, tout comme la CSST, est lié par le diagnostic posé par le médecin qui a charge. Or, ce diagnostic d’entorse dorsolombaire est, depuis longtemps, reconnu comme étant un diagnostic de blessure par le tribunal[10]. Le tribunal est donc d’avis que la travailleuse rencontre le premier critère de la présomption de l’article 28 de la loi.
Une blessure qui survient sur les lieux du travail
[77] Le tribunal retient de la preuve que les symptômes de la travailleuse sont apparus alors qu’elle se relevait brusquement de sa chaise, quatre heures après le début de son quart de travail et deux heures avant la fin. Bien qu’à ce stade, le tribunal n’ait pas à se prononcer sur la relation entre la blessure et le fait accidentel allégué, il peut s’y intéresser afin de déterminer si le critère de la temporalité est rencontré.
[78] La travailleuse témoigne du fait que le matin du 25 juillet 2010, elle ne ressent aucune douleur au dos. Il n’y a pas de preuve qu’elle était symptomatique d’une condition dorsolombaire avant cette journée, sous réserve d’un incident qui s’est produit en 2001, sans qu’elle n’ait conservé de séquelles. Le 25 juillet 2010, elle mentionne avoir ressenti une raideur en manipulant le frein à main d’un train qu’elle avait stationné plus tôt, mais sans plus. La travailleuse a déposé, à la demande de la représentante de l’employeur, un rapport de sa chiropraticienne qui indique que la travailleuse ne l’a pas consultée au cours des deux années qui précèdent la date de l’accident, ce qui corrobore le témoignage de la travailleuse quant à l’absence de problèmes dorsolombaires avant le 25 juillet 2010.
[79] La travailleuse témoigne également du fait que le chef de terminus est présent et témoin lorsque se produit l’événement du 25 juillet 2010 et il lui a même demandé ce qu’elle avait. On lui offre un transport en ambulance qu’elle refuse mais avant de quitter, elle se fait un bandage au niveau dorsolombaire avec du ruban adhésif (duct tape). Elle mentionne qu’une autre opératrice est également présente sur les lieux et témoin de l’événement, soit madame Rathé.
[80] Son accident est déclaré immédiatement et elle cesse de travailler dès sa survenance. Elle met de la glace et utilise un TENS le soir même à son arrivée chez elle et consulte un chiropraticien dès le lendemain matin, le 26 juillet. Comme cette consultation ne donne pas de résultats, elle voit la docteure France Émery le surlendemain, 27 juillet 2010.
[81] Ces éléments mis en preuve démontrent que la blessure est survenue sur les lieux du travail. La travailleuse satisfait donc au deuxième critère de la présomption.
Alors que la travailleuse est à son travail
[82] Le troisième élément de la présomption impose à la travailleuse de démontrer que la blessure est survenue alors qu’elle est à son travail. La travailleuse a précisé dans son témoignage que le 25 juillet 2010, l’accident s’est produit, alors qu’elle occupe le poste de renfort de terminus. Cette tâche implique qu’elle doit être en disponibilité, c'est-à-dire qu’elle peut être appelée à remplacer un opérateur qui s’absente. Elle doit, entretemps, garer des trains et en faire l’inspection.
[83] L’accident s’est produit alors qu’elle s’est relevée de sa position assise, qu’elle occupait depuis 45 minutes, pour répondre à l’arrivée d’un train qui entrait dans la station. Elle s’est blessée lorsqu’elle s’est levée brusquement en faisant un mouvement de torsion, selon son témoignage. C’est à cet instant précis qu’elle a ressenti sa douleur.
[84] L’employeur soumet que la travailleuse s’est blessée alors qu’elle n’était pas dans l’exécution de son travail. Avec égards, le tribunal ne peut souscrire à cet argument. Selon le témoignage de la travailleuse, elle s’est blessée en se levant brusquement de sa chaise pour aller prendre en charge un train qui entrait dans la station et non en exécutant une activité purement personnelle. Au surplus, le tribunal considère que le fait d’être en disponibilité fait partie intrinsèque de la tâche de renfort de terminus.
[85] S’il est exact que le moment de l’arrivée des trains est prévisible, la travailleuse peut également être appelée à remplacer des confrères ou consœurs de travail et ce remplacement n’est pas nécessairement prévisible. C’est la raison pour laquelle la travailleuse doit, en tout temps, porter une radio afin de répondre aux appels et elle ne peut, pour ce motif, quitter la station. C’est également ce qui justifie qu’elle soit payée en temps continu et qu’elle n’a pas de périodes de pause ou de repas définies.
[86] Le tribunal est d’avis que cet aménagement du travail est profitable pour l’employeur puisqu’il s’assure de la disponibilité, en tout temps, de son personnel qui ne peut refuser d’exécuter un travail à un moment précis, sous prétexte qu’il est en pause ou en période de repas. Dans ce contexte, on ne peut prétendre que l’employeur n’en tire aucun bénéfice.
[87] La Cour d’appel a reconnu dans l’affaire Desrochers c. Hydro Québec[11] que la blessure n’a pas à survenir alors que le travailleur est à son travail régulier, mais peut survenir lorsqu’il exécute un geste qui y est relié. Dans l’affaire Bolduc et Ministère des Transports du Québec[12], notre tribunal a considéré qu’il fallait interpréter largement l’expression « alors que le travailleur est à son travail » de façon à inclure tous les éléments et circonstances entourant le travail y compris les éléments environnementaux auxquels le travailleur est susceptible de réagir. Dans cette affaire, il s’agissait d’un ouvrier qui sursaute de sa chaise en entendant un bruit. C’est une situation qui s’apparente à celle de la travailleuse.
[88] Le tribunal est également d’avis que l’on ne peut importer les notions de droit qui se rattachent à l’expression « à l’occasion du travail » que l’on retrouve à l’article 2 de la loi pour apprécier si la travailleuse « est à son travail » selon l’expression utilisée à l’article 28 de la loi. Puisque le législateur n’a pas utilisé la même expression à chacun de ces articles, il faut en déduire qu’il référait à deux réalités différentes, bien qu’il ne s’agisse ici, que de nuances.
[89] Pour ces motifs, le tribunal est d’avis que la travailleuse a fait la preuve du troisième élément constitutif de la présomption de l’article 28, soit que sa blessure est survenue alors qu’elle était à son travail et elle est en droit de bénéficier de l’application de cette présomption de lésion professionnelle.
L’effet de la présomption
[90] Quant à l’effet de la présomption et à la preuve susceptible de la renverser, le tribunal s’en remet à nouveau à la décision rendue dans l’affaire Boies[13] précitée :
[188] Parce qu’elle est arrivée sur les lieux du travail alors que le travailleur est à son travail, cette blessure est en conséquence présumée être une lésion professionnelle.
[189] De façon plus explicite, la présomption de l’article 28 de la loi entraîne deux effets :
1) celui de dispenser le travailleur de faire la preuve d’un événement imprévu et soudain, donc d’un accident du travail;
2) et celui de présumer la relation causale entre la blessure et les circonstances de l’apparition de celle-ci.
[190] La présomption est donc un moyen de preuve permettant de conclure à l’existence d’un accident du travail et à la relation entre la blessure et cet accident.
[…]
[235] Les motifs permettant de renverser la présomption :
- L’absence de relation causale entre la blessure et les circonstances d’apparition de celle-ci. Par exemple, la condition personnelle peut être soulevée à cette étape; dans ce cas la preuve relative à l’apparition d’une lésion reliée à l’évolution naturelle d’une condition personnelle préexistante pourra être appréciée par le tribunal;
- La preuve prépondérante que la blessure n’est pas survenue par le fait ou à l’occasion du travail ou provient d’une cause non reliée au travail.
[236] Les motifs ne permettant pas de renverser la présomption :
- L’absence d’événement imprévu et soudain;
- L’existence d’une condition personnelle en soi ne fait pas nécessairement obstacle à la reconnaissance d’une lésion professionnelle en raison de la théorie du crâne fragile.
- Le seul fait que les gestes posés au travail étaient habituels, normaux, réguliers.
[91] Selon cet enseignement, on ne pourrait conclure qu’une blessure est prouvée au stade de l’application de l’article 28 de la loi et conclure, ensuite, qu’il n’y a pas d’événement imprévu et soudain, soit au stade de son renversement. En effet, il s’agirait d’une contradiction flagrante. C’est ce qui ressort du passage suivant de la décision rendue dans l’affaire Boies :
[144] Il ressort en outre des différentes définitions du mot « blessure » contenues aux ouvrages précités que l’existence d’une blessure présuppose nécessairement celle d’un fait causal. L’énumération des types de blessures suffit pour s’en convaincre. On ne peut en effet imaginer l’apparition spontanée, d’une « coupure », d’une « bosse », d’une « brûlure », d’une « contusion », d’une « distension », d’une « élongation », d’une « foulure », etc., sans qu’une cause extérieure ou un agent vulnérant extérieur ne l’ait provoqué.
[92] L’employeur soumet qu’aucun événement imprévu et soudain n’est survenu le 25 juillet 2010. Selon l’affaire Boies, cette prétention doit être rejetée puisqu’elle ne peut permettre le renversement de la présomption. Le tribunal rappelle que la reconnaissance de l’application de la présomption à la travailleuse fait en sorte qu’elle se trouve dispensée du fardeau de démontrer la survenance d’un événement imprévu et soudain et, par la même occasion, de la relation entre ce dernier et la lésion diagnostiquée.
[93] Le tribunal rappelle que pour renverser la présomption c’est à l’employeur de démontrer, par une preuve prépondérante, l’absence de relation causale entre la blessure diagnostiquée et les circonstances décrites ou, faire la preuve d’une cause non reliée au travail.
[94] La preuve de l’employeur repose pour l’essentiel sur le témoignage du docteur Labarre qui soutient que le geste posé n’a pu causer une entorse lombaire. Il s’attarde à la définition stricte du dictionnaire qui définit l’entorse comme un étirement musculaire ou ligamentaire attribuable à un geste dépassant un geste physiologique ce qui n’est pas le cas avec le geste décrit par la travailleuse.
[95] La représentante de l’employeur soumet également qu’on ne devrait pas retenir le témoignage de la travailleuse quant au fait qu’au cours de la soirée, elle a ressenti une raideur en appliquant un frein à main pas plus que son témoignage quant à l’exécution du mouvement de torsion lorsqu’elle s’est levée de sa chaise puisque ni dans sa déclaration d’accident, ni dans le rapport d’enquête et ni lors de sa rencontre avec le docteur Neveu ou lors de sa discussion avec l’agent de la CSST, elle n’a fait état de ces deux particularités. Il s’agirait, selon elle, d’une bonification de son témoignage qui mine sa crédibilité.
[96] Il est exact que la travailleuse n’a pas mentionné l’incident du frein à main. Mais le tribunal note qu’elle n’en a pas parlé en témoignage principal non plus. Elle n’a fait état de cet incident que lors du contre-interrogatoire menée par l’employeur qui lui demandait de faire le compte-rendu détaillé de la soirée de l’accident. Lorsqu’elle lui a demandé s’il s’était produit quelque chose de particulier lorsqu’elle a mis le frein à main, la travailleuse a mentionné avoir ressenti une petite raideur, sans plus. Si la travailleuse avait voulu bonifier sa version, elle l’aurait sans doute fait lors de son interrogatoire principal, ce qui n’a pas été le cas.
[97] Quant au mouvement de torsion lorsqu’elle s’est relevée de sa chaise. La travailleuse a effectivement mentionné dans ses déclarations écrites qu’elle s’était levée brusquement pour aller prendre en charge un train qui entrait en gare sans préciser qu’elle a fait un mouvement de torsion. Si elle n’a pas mentionné qu’elle avait fait un mouvement de torsion en se levant, il est également vrai qu’elle n’a pas mentionné qu’elle s’est levée en position droite de sa chaise.
[98] Lors de son témoignage, elle explique devant le tribunal, que la configuration des lieux implique qu’elle doit nécessairement exécuter un mouvement de torsion pour se diriger vers la porte qui est derrière elle. Son explication est plausible. Quant au rapport du docteur Neveu, il n’est pas clair qu’il lui a posé directement cette question. Selon le témoignage de la travailleuse, il ne lui a pas posé et elle ne l’a pas précisé. Elle n’a pas décrit dans le détail la position qu’elle occupait lorsqu’elle lisait et le geste exact posé pour se relever. La lecture du rapport n’indique pas si la version de l’accident relatée par le docteur Neveu émane directement de la bouche de la travailleuse ou s’il ne l’a pas extraite de sa lecture des déclarations écrites de la travailleuse se trouvant au dossier. Le docteur Neveu n’a pas témoigné sur cette question, on doit donc s’en remettre au témoignage de la travailleuse qui mentionne que cette question précise n’a pas été discutée avec ce dernier.
[99] Quant à l’absence de mention dans les rapports d’accident, le tribunal souscrit à l’argument de la représentante de la travailleuse quant au fait qu’on ne peut exiger qu’un travailleur décrive de façon minutieuse et décortique chacun des gestes qui ont pu causer sa blessure pour accorder une crédibilité à sa version. On doit se rappeler que le travailleur n’est pas médecin, la plupart des travailleurs ignorent quel mouvement précis est susceptible de causer la douleur qu’ils ressentent, motif pour lequel les déclarations sont souvent faites en termes très généraux. Le législateur n’exige pas un formalisme rigoureux lorsque le travailleur déclare son accident du travail.
265. Le travailleur victime d'une lésion professionnelle ou, s'il est décédé ou empêché d'agir, son représentant, doit en aviser son supérieur immédiat, ou à défaut un autre représentant de l'employeur, avant de quitter l'établissement lorsqu'il en est capable, ou sinon dès que possible.
__________
1985, c. 6, a. 265; 1999, c. 40, a. 4.
266. Cet avis est suffisant s'il identifie correctement le travailleur et s'il décrit dans un langage ordinaire, l'endroit et les circonstances entourant la survenance de la lésion professionnelle.
L'employeur facilite au travailleur et à son représentant la communication de cet avis.
La Commission peut mettre à la disposition des employeurs et des travailleurs des formulaires à cette fin.
__________
1985, c. 6, a. 266.
[100] La déclaration de la travailleuse répond à cette exigence, elle a décrit l’endroit et les circonstances de son accident. Le tribunal considère que la travailleuse a fourni des précisions quant aux circonstances de son accident lors de son témoignage et qu’il ne s’agit pas ici d’une bonification de sa version qui affecte sa crédibilité comme le soumet la représentante de l’employeur.
[101] Reste à disposer de la question de la relation. Le tribunal qui a conclu à l’application de la présomption de l’article 28 de la loi doit maintenant examiner si l’employeur a renversé son fardeau de preuve. Le tribunal, après avoir entendu la preuve, retient que la travailleuse, le 25 juillet 2010, lors de son entrée au travail n’avait aucun problème de dos. De l’avis du médecin désigné par l’employeur, elle ne présente pas non plus de condition personnelle pouvant expliquer, à elle seule, la condition dans laquelle elle s’est retrouvée le 25 juillet 2010 vers 23 h 45.
[102] Par ailleurs, le docteur Labarre convient que madame présente un certain niveau d’arthrose compatible avec son âge au niveau de la colonne dorsale. Le protocole d’imagerie médicale fait état d’une légère spondylodiscarthrose étagée au niveau de la région dorsale. Il opine également qu’elle peut aussi présenter une certaine condition de dégénérescence discale que l’on retrouve chez 50 % des individus de cet âge, sans qu’une preuve formelle de cette condition ne soit au dossier puisque la travailleuse n’a pas passé d’examen de tomodensitométrie (scan).
[103] L’opinion du docteur Labarre pour renverser la présomption peut se résumer ainsi. Il mentionne dans un premier temps que le diagnostic d’entorse dorsolombaire est un diagnostic présomptif qui peut englober plusieurs pathologies qui ne correspondent pas à la définition stricte de l’entorse, qui se définit comme étant un étirement ligamentaire ou musculaire au-delà de la capacité physiologique du muscle ou du ligament et qui se manifeste par des ruptures tendineuses ou musculaires.
[104] Il mentionne que des études ont révélé que dans près de 50 % des cas, des lésions que l’on qualifie d’entorse n’ont pas révélé la présence de déchirures ou de blessures ligamentaires. Ces études ont également démontré que dans 48 % des cas, la douleur avait une origine facettaire ou discale et que peu de lésions, qualifiées d’entorse, avaient une origine ligamentaire ou musculaire.
[105] Toutefois, lorsqu’il émet son opinion sur la relation entre le diagnostic d’entorse dorsolombaire de la travailleuse et le mouvement décrit, il invite le tribunal à revenir à la définition stricte de l’entorse pour ne rechercher qu’un mouvement qui a pu provoquer un étirement musculaire ou ligamentaire attribuable à un geste dépassant un geste physiologique.
[106] Comme il est d’opinion que le geste décrit par la travailleuse n’a pas dépassé 45° de torsion de la colonne dorsolombaire avec un bassin immobilisé, il est d’avis que la travailleuse n’a pu s’infliger une entorse dorsolombaire au sens strict puisque le mouvement décrit n’a pas excédé la capacité physiologique de la colonne dorsolombaire. Il invite donc le tribunal à conclure à l’absence de relation. Le docteur Labarre va même plus loin en mentionnant que selon lui, la travailleuse ne s’est pas infligée d’entorse dorsolombaire. Il remet en question l’existence même du diagnostic.
[107] Le tribunal peut difficilement suivre ce raisonnement qui est incompatible avec une interprétation large et libérale de la loi. La loi prévoit que le diagnostic du médecin qui a charge lie toutes les parties, dont la CSST et l’employeur, s’il ne fait pas l’objet d’une contestation médicale en temps opportun, selon le processus défini dans la loi.
[108] Retenir l’opinion du docteur Labarre aurait pour effet de permettre la remise en cause du diagnostic au stade de l’appréciation de la relation alors que l’employeur a fait le choix de ne pas le contester en temps approprié. Faire droit à cet argumentaire aurait l’effet de permettre à un employeur qui n’a pas contesté un diagnostic qu’il sait erroné de demander par la suite du tribunal de conclure à l’absence de relation parce que le geste décrit ne peut avoir causé la lésion diagnostiquée. Le tribunal se retrouverait dans la position où il devrait conclure soit à l’inexistence du diagnostic qui le lie, ce qu’il ne peut faire, selon la loi ou soit de conclure à l’absence de relation, comme le tribunal l’a fait dans l’affaire CPE-Les Petits Fripons, précédemment citée en note 8. Cet argument relève du sophisme.
[109] Avec respect, le tribunal est d’avis que son rôle est de rechercher la cause la plus probable de la blessure de la travailleuse. La loi prévoit déjà, par le mécanisme de la présomption édictée à l’article 28 que ce qui s’est produit au travail est une cause probable, puisque la blessure est survenue sur les lieux du travail alors que la travailleuse était à son travail.
[110] Le tribunal souscrit à l’opinion du docteur Labarre, qui est partagée par toute la communauté médicale, quant au fait que le diagnostic d’entorse est un diagnostic générique qui peut englober des pathologies autres que le strict étirement ligamentaire ou musculaire au-delà du geste physiologique. Pour cette raison, au stade de l’étude de la relation, il ne voit pas pourquoi il devrait revenir à la définition stricte de l’entorse pour écarter plusieurs causes possibles de la blessure diagnostiquée qui n’impliquent pas nécessairement un étirement musculaire ou ligamentaire au-delà d’un geste physiologique.
[111] Le docteur Labarre, lui-même, est d’opinion que le problème présenté par la travailleuse peut avoir une origine facettaire ou discale chez une personne qui présente un certain degré d’arthrose ou une certaine dégénérescence discale compatible avec l’âge de la travailleuse. Le docteur Labarre n’a pas émis l’avis que pour que la travailleuse s’inflige une blessure d’origine facettaire ou discale, il faille nécessairement que la travailleuse exécute un mouvement qui va au-delà de capacité physiologique de la colonne dorsolombaire.
[112] Il existe même au dossier une preuve médicale d’une telle probabilité. Le docteur Neveu, qui est le premier médecin désigné par l’employeur, émet une telle opinion dans son rapport lorsqu’il mentionne :
Il est donc vraisemblable que madame a pu faire à un moment donné un mouvement qui a irrité la facette articulaire au niveau T12-L1, ce qui a provoqué par la suite un spasme musculaire lorsqu’elle a tenté de se relever.
[113] La travailleuse a témoigné du fait qu’en mettant en place le frein à main sur une des rames de métro plus tôt dans la soirée, elle a dû faire une quarantaine de tours de manivelle en position penchée vers l’avant et elle a ressenti une certaine raideur dorsale. Par la suite, elle est demeurée en position assise et calée dans sa chaise immobile durant 45 minutes pour se relever brusquement à l’arrivée de la rame de métro et elle a ressenti une douleur immédiate et incapacitante.
[114] Le tribunal constate que le docteur Neveu offre une explication plausible de la cause de la blessure qui contredit le témoignage du docteur Labarre. Ce dernier se dit d’ailleurs en désaccord avec l’hypothèse de son collègue. Le seul motif pour lequel le docteur Neveu est d’avis que la décision de la CSST est fondée, c’est qu’il considère que le fait de se lever brusquement d’une chaise ne constitue pas un événement imprévu et soudain. Le tribunal ne peut retenir cet argument puisque dans l’affaire Boies, notre tribunal a considéré que la preuve d’une absence d’événement imprévu et soudain ne permettait pas de renverser la présomption édictée par l’article 28 de la loi.
[115] Le tribunal conclut donc que la preuve médicale contradictoire offerte par l’employeur ne permet pas de renverser la présomption de l’article 28 dont bénéficie la travailleuse. L’opinion du docteur Neveu laisse le tribunal sans explication quant à l’origine de la blessure de la travailleuse. Comme le mentionnait le tribunal dans l’affaire Simard, précitée note 4, la génération spontanée d’une lésion est difficilement concevable.
[40] De plus, puisque l’entorse est en soi une blessure, on ne peut conclure en l’absence de preuve médicale à cet effet qu’elle est apparue spontanément en l’absence de geste traumatisant, et donc d’événement imprévu et soudain. Or, il n’y a aucune preuve à l’effet que l’entorse résulte de la discarthrose lombaire ou de l’obésité dont le travailleur est porteur.
[116] Le tribunal considère de plus que l’opinion du docteur Labarre quant au mouvement nécessaire pour causer une entorse est loin de faire l’unanimité.
[117] Ainsi dans l’affaire Provigo Distribution inc. et Marion-Frigault[14], notre collègue, le juge administratif Arsenault mentionne ce qui suit :
[29] Il incombait alors à l’employeur de renverser cette présomption et de démontrer que l’entorse lombaire de la travailleuse était attribuable à une autre cause que son travail. Cette preuve n’a pas été faite de sorte que la travailleuse est présumée avoir subi une lésion professionnelle.
[30] La simple allégation que la travailleuse a fait un geste physiologique sans contrainte, que la douleur qu’elle a pu ressentir lors de ce geste qu’elle a posé au travail, soit faire un mouvement de torsion lombaire avec une plaque à biscuits dans les mains, ne peut être considérée à elle seule comme une blessure et constituer l’événement imprévu et soudain nécessaire à la survenance d’un accident du travail, que le geste qu’elle a posé au travail ne peut constituer un agent externe causant une blessure, que ce geste ne peut avoir causé ce que les dictionnaires définissent comme une entorse, soit un étirement musculaire ou ligamentaire attribuable à un geste dépassant un geste physiologique, ne suffit pas à renverser la présomption prévue à la loi.
[31] Le tribunal sait, par expérience et depuis fort longtemps, qu’il n’est pas nécessaire de produire un geste aussi violent que ce que décrivent les dictionnaires pour subir une entorse lombaire. Un geste impliquant une torsion du tronc, tel celui posé par la travailleuse, peut provoquer ce genre de blessure, surtout lorsque la personne qui en est victime souffre, comme cela semble être le cas de la travailleuse, d’une radiculopathie lombaire. Ce type d’affection rend le rachis concerné plus fragile, et par conséquent, plus susceptible d’être blessé, même lors d’un geste par ailleurs habituel et banal. La blessure survenue lors d’un tel geste n’est pas moins une blessure au sens de la loi. Il est difficile de croire que le législateur ait voulu empêcher les travailleurs de bénéficier de la protection offerte par la loi advenant une blessure causée par un geste banal ou résultant de gestes habituellement posés dans le cadre de leur travail.
[32] À cet égard, le tribunal réfère à une décision antérieure3 qu’il a rendue et dans laquelle il référait à un arrêt de la Cour d’appel4 du Québec dans lequel elle retenait le principe qu’exclure de la définition d’accident du travail les activités posées dans le cadre normal du travail apparaît d’un illogisme certain. La commissaire, tout comme le soussigné, conçoit difficilement que parce qu’une personne exécute un mouvement ou un geste physiologique ou régulièrement posé dans le cadre de ses fonctions habituelles, cela implique qu’elle ne puisse être indemnisée si elle se blesse en posant ce geste.
___________
3 Société canadienne des postes et Urcullu, C.L.P., 152915-61-0101, 27 juillet 2001, L. Nadeau.
4 Lefebvre c. C.A.S., [1991] R.J.Q. 1864 (C.A.).
[118] Dans l’affaire Deragon Auto Cité et Primeau[15], le tribunal, même en présence d’une preuve médicale qui concluait au geste ne dépassant pas la capacité physiologique de l’articulation, mentionne ce qui suit :
[11] La prétention de l’employeur essentiellement est à l’effet que la description de l’événement fournie par le travailleur particulièrement quant aux gestes posés ne peut correspondre au mécanisme de production d’une entorse qui est une blessure due à un mouvement brutal de l’articulation lui faisant dépasser ses amplitudes normales. L’employeur s’appuie de l’opinion du docteur Carl Giasson Junior; selon ce médecin, « la lésion de type entorse qui lie la CSST et la CLP ne peut découler du geste décrit par le travailleur. » Selon lui, le segment lésé n’est pas mobilisé par le pivot sur la droite, et il s’agit d’un geste répété quotidiennement par des milliers d’automobilistes; ce geste écrit-il, demeure un geste physiologique et on ne peut s’infliger une entorse dans l’exécution d’un geste physiologique. Toutefois, le docteur Giasson ajoute : « Mais en acceptant pour fin de discussion, que le geste décrit par le travailleur aurait été susceptible de type entorse, force nous aurait été de reconnaître que cette entorse aurait été légère en terme de gravité. » Le docteur Giasson continue en disant que la consolidation tardive dans le cas du travailleur renforce son opinion à l’effet que cette entorse dorsale subie par le travailleur ne peut découler du fait accidentel qu’il a rapporté.
[12] Avec respect pour l’opinion du docteur Giasson, le tribunal ne partage pas son point de vue. Tout en ayant noté la mention de la présence d’un spasme musculaire aux différents rapports du physiothérapeute, le tribunal considère que la présence d’un tel spasme témoigne généralement d’une souffrance localisée au voisinage du spasme pouvant originer d’une atteinte au niveau de la colonne telle une entorse dorsale comme dans le cas présent. Le tribunal estime, dans le cas présent, qu’il est tout à fait plausible et même probable que le geste décrit par le travailleur ne soit pas aussi physiologique que l’entend le docteur Giasson. Le mouvement de torsion du dos pour regarder derrière soit en reculant un véhicule est un mouvement physiquement exigeant; il se peut fort bien que ce mouvement dépasse la limite d’une amplitude normale; il pourrait alors correspondre, de l’avis du tribunal, au mécanisme de production d’une lésion telle une entorse. D’ailleurs, n’est-il pas intéressant de noter que le docteur Giasson n’écarte pas « pour fin de discussion » que le geste décrit par le travailleur aurait été susceptible d’une lésion de type entorse pour ensuite écarter cette hypothèse en raison ultimement du long délai de consolidation de la lésion du travailleur. Or, dans le cas présent, le délai de consolidation n’est pas aussi long qu’on veuille bien le laisser croire, compte tenu que le travailleur était autorisé à un retour au travail en travaux légers dès le 12 août 2002.
[119] La cause la plus probable c’est le geste posé par la travailleuse qui s’est relevée rapidement et brusquement au moment de l’arrivée du train dans la station. Aucune autre explication n’a été fourni au tribunal qui pourrait lui permettre d’écarter cette cause. Selon le témoignage du docteur Labarre une entorse dorsolombaire ne peut résulter d’un geste banal et la preuve révèle que le 25 juillet 2010, c’est le seul geste particulier que la travailleuse a exécuté.
[120] Donc, en raison de la première conclusion à laquelle est parvenu le tribunal quant à l’application de la présomption de l’article 28 de la loi et en l’absence de preuve renversant la présomption, le tribunal conclut que la travailleuse a subi une lésion professionnelle le 25 juillet 2010 et il fait droit à la requête de la travailleuse.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de la travailleuse, madame Francine Brunelle;
INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 11 novembre 2010, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que madame Francine Brunelle, la travailleuse, a subi une lésion professionnelle le 25 juillet 2010 et qu’elle a droit aux prestations prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
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Daniel Pelletier |
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Me Isabelle Leblanc |
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Lamoureux Morin Lamoureux |
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Représentante de la travailleuse |
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Me Élaine Léger |
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Fasken Martineau DuMoulin |
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Représentante de l’employeur |
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[1] L.R.Q. c. A-3.001.
[2] 2011 QCCLP 2775 .
[3] C.L.P. 91656-03-9710, 24 avril 1998, M. Carignan.
[4] 2007 QCCLP 65 .
[5] 2012 QCCLP 2272.
[6] 2012 QCCLP 1366 .
[7] C.L.P. 227003-63-0402, 19 juillet 2005, D. Beauregard.
[8] 2007 QCCLP 5631 .
[9] 2011 QCCLP 2775 .
[10] Voir à cet effet Michaud c. Commission des lésions professionnelles et al, [2001] C.L.P. 156 (C.S.)
[11] [1992] C.A.L.P. 1241 (C.A.) Requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée, 93-03-04, (23263).
[12] C.A.L.P. 14868-05-8910, 2 avril 1992, R. Brassard (J4-08-13).
[13] Voir note 2, précitée.
[14] C.L.P. 277604-63-0512 et 282744-63-0602, 6 juillet 2006, J.-P. Arsenault, AZ-50382600 .
[15] C.L.P. 202643-62A-0303, 9 juillet 2003, C. Demers, AZ-50182779.
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