Carignan et Croustilles Yum-Yum inc. |
2010 QCCLP 4239 |
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[1] Le 12 mai 2009, madame Sylvie Carignan (la travailleuse) dépose une requête pour contester une décision rendue le 6 mai 2009 par un conciliateur décideur de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST).
[2]
Cette décision déclare irrecevable la plainte en vertu de l’article
[3]
Le 1er décembre 2009, alors saisie uniquement de la question
de la recevabilité de la plainte, la Commission des lésions professionnelles
accueille la contestation de la travailleuse déposée le 12 mai 2009. Elle
déclare recevable la plainte de la travailleuse en vertu de l’article
[4] Une audience se tient le 27 avril 2010 à Drummondville à cette fin. Le représentant de l’employeur est présent ainsi que la travailleuse et son représentant.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[5] La travailleuse demande de déclarer que le 12 novembre 2007, elle est illégalement l’objet de mesures discriminatoires puisqu’elle fut victime d’une lésion professionnelle et qu’elle a exercé un droit que lui reconnaît la loi. Elle se plaint plus précisément du fait que l’employeur ne lui paie pas l’indemnité de vacances à laquelle elle prétend avoir droit pour l’année 2007-2008.
LES FAITS
[6] Dès le début de l’audience, les parties ont admis les faits suivants :
· madame Sylvie Carignan est une travailleuse au sens de la loi;
· elle travaille pour l’employeur depuis le 15 octobre 1980;
· la travailleuse occupe un poste de préposée à l’emballage;
· le 30 mai 2005, la travailleuse subit une lésion professionnelle;
· la travailleuse est en arrêt de travail complet à compter du 7 décembre 2005;
· la travailleuse est de retour au travail le 18 juin 2007;
· une convention collective lie les parties à toute époque pertinente au litige (pièce E-2);
· en fonction de l’article 14.01a de la convention collective, la semaine régulière de travail est de quarante (40) heures;
· en fonction de l’annexe III et des articles 13.01 et 13.02 de la convention collective, la travailleuse touche un taux horaire de 15,25 $ en plus des primes applicables reliées au quart de travail ainsi qu’à l’ancienneté acquise;
· l’article 17.01a de la convention collective prévoit que l’année de référence aux fins de calcul des gains de vacances s’échelonne du 1er mai d’une année au 30 avril de l’année subséquente;
· en fonction de l’article 17.03e de la convention collective, la travailleuse, en vertu de son ancienneté, a droit à cinq (5) semaines de vacances pour l’année de référence qui débute le 1er mai 2007 ainsi qu’à une rémunération égale à 10 % de son salaire gagné au cours de la période de référence;
· en fonction des dispositions de l’article 6 de la convention collective, la travailleuse fut libérée syndicalement au cours de l’année de référence qui s’échelonne du 1er mai 2006 au 30 avril 2007, temps pour lequel elle est réputée être au travail;
· en fonction des dispositions de l’article 6 de la convention collective, les gains bruts de la travailleuse pour l’année de référence qui s’échelonne du 1er mai 2006 au 30 avril 2007 représentent un montant de 3061,20 $ (pièce T-3);
· la travailleuse n'a pas déposé de grief.
L’ARGUMENTATION DES PARTIES
[7]
Le représentant de la travailleuse plaide qu’en vertu de la convention
collective intervenue entre les parties, celle-ci a droit, à titre d’indemnité
de vacances annuelles pour l’année de référence qui débute le 1er
mai 2007 et qui se termine le 30 avril 2008, au paiement d’une rémunération
égale à 10 % du salaire gagné au cours de l’année de référence qui
s’échelonne du 1er mai 2006 au 30 avril 2007. Puisque la
travailleuse est en arrêt de travail complet pendant toute cette dernière
période de référence, hormis les heures où elle est réputée au travail, en
fonction des dispositions de la convention collective, le représentant demande
au tribunal de déclarer qu’en vertu de l’article
[8]
Il considère que faire autrement a pour conséquence qu’au moment où la
travailleuse réintègre son emploi le 18 juin 2007, elle est privée des
avantages auxquels elle aurait droit n’eût été de l’absence occasionnée par sa
lésion professionnelle. Sans cette fiction juridique, poursuit-il, la
travailleuse serait alors traitée différemment des autres travailleurs, en
raison de l’absence occasionnée par sa lésion professionnelle, ce que cherche à
contrer l’article
[9] Il demande donc que l’employeur paie à la travailleuse l’indemnité de vacances annuelles à laquelle elle a droit, soit une rémunération égale à 10 % du salaire gagné, par fiction juridique, au cours de l’année de référence qui s’échelonne du 1er mai 2006 au 30 avril 2007, plutôt que 10 % des gains bruts effectivement gagnés par la travailleuse, soit un montant de 306,12 $ (3061,20 $ x 10 %), ce que l’employeur prétend devoir payer. Le représentant de la travailleuse ajoute que dans l’éventualité où la plainte de la travailleuse est accueillie, le tribunal condamne l’employeur à verser des intérêts sur les sommes dues. Il termine et dépose des autorités au soutien de sa position.
[10]
Le représentant de l’employeur soutient évidemment la position
contraire. Il argue que le montant de 306,12 $ représente ni plus ni moins
que ce qu’il doit à la travailleuse en fonction des règles de la convention
collective négociée de bonne foi par les parties. À son avis, le texte de l’article
L’AVIS DES MEMBRES
[11] Le membre issu des associations syndicales est d’avis d’accueillir la plainte de la travailleuse. Il conçoit, à l’instar de la jurisprudence qui opte pour cette position, que la seule façon de donner plein effet à l’article 242, et ce, dans le respect de l’esprit de la loi, est de considérer que celui-ci implique une fiction juridique, laquelle fait en sorte de considérer la période d’absence occasionnée par une lésion professionnelle comme une période de temps travaillé. À défaut et compte tenu du caractère d’ordre public de la loi, les travailleurs qui subissent une lésion professionnelle sont traités de manière différente des autres et partant, sont donc victimes de mesures discriminatoires.
[12] Le membre issu des associations d'employeurs est d’avis de rejeter la plainte de la travailleuse. Il considère que d’ordonner le paiement de l’indemnité de vacances annuelles réclamée par cette dernière en l’instance, vient ajouter aux conditions de travail prévues à la convention collective négociée par les parties. Il est d’avis que si une telle indemnité doit être versée en considérant la période d’absence de la travailleuse comme une période de temps travaillée, il faudrait alors déterminer précisément ce nombre d’heures et y inclure tous autres avantages qui s’y rattachent, par exemple les heures supplémentaires.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[13] La Commission des lésions professionnelles doit décider si le 18 juin 2007, au moment de réintégrer son emploi après une période d’absence occasionnée par sa lésion professionnelle, la travailleuse est victime de mesures discriminatoires de la part de l'employeur. Plus particulièrement du fait que ce dernier refuse de considérer cette période d’absence (qui couvre notamment la totalité de la période de référence qui s’échelonne du 1er mai 2006 au 30 avril 2007) comme une période de temps travaillée, et ce, aux fins du calcul et du paiement de son indemnité de vacances annuelles pour l'année de référence 2007-2008.
[14]
L’article
242. Le travailleur qui réintègre son emploi ou un emploi équivalent a droit de recevoir le salaire et les avantages aux mêmes taux et conditions que ceux dont il bénéficierait s'il avait continué à exercer son emploi pendant son absence.
Le travailleur qui occupe un emploi convenable a droit de recevoir le salaire et les avantages liés à cet emploi, en tenant compte de l'ancienneté et du service continu qu'il a accumulés.
__________
1985, c. 6, a. 242.
[15]
Il y a lieu, dès à présent, de reproduire le texte de l’article
235. Le travailleur qui s'absente de son travail en raison de sa lésion professionnelle :
1° continue d'accumuler de l'ancienneté au sens de la convention collective qui lui est applicable et du service continu au sens de cette convention et au sens de la Loi sur les normes du travail (chapitre N-1.1);
2° continue de participer aux régimes de retraite et d'assurances offerts dans l'établissement, pourvu qu'il paie sa part des cotisations exigibles, s'il y a lieu, auquel cas son employeur assume la sienne.
Le présent article s'applique au travailleur jusqu'à l'expiration du délai prévu par le paragraphe 1° ou 2°, selon le cas, du premier alinéa de l'article 240 .
__________
1985, c. 6, a. 235.
[16] Comme il est aisé de le constater, l’article 235 régit le traitement que doit recevoir un travailleur pendant l’absence occasionnée par une lésion professionnelle, alors que l’article 242 régit le traitement qu’il doit recevoir au moment où il réintègre son emploi après une telle absence.
[17]
Les parties, dans le cadre de leur exposé respectif, ont aussi référé
aux articles
1. La présente loi a pour objet la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu'elles entraînent pour les bénéficiaires.
Le processus de réparation des lésions professionnelles comprend la fourniture des soins nécessaires à la consolidation d'une lésion, la réadaptation physique, sociale et professionnelle du travailleur victime d'une lésion, le paiement d'indemnités de remplacement du revenu, d'indemnités pour préjudice corporel et, le cas échéant, d'indemnités de décès.
La présente loi confère en outre, dans les limites prévues au chapitre VII, le droit au retour au travail du travailleur victime d'une lésion professionnelle.
__________
1985, c. 6, a. 1; 1999, c. 40, a. 4.
4. La présente loi est d'ordre public.
Cependant, une convention ou une entente ou un décret qui y donne effet peut prévoir pour un travailleur des dispositions plus avantageuses que celles que prévoit la présente loi.
__________
1985, c. 6, a. 4.
[18]
Il s’agit donc encore et toujours en l’espèce du débat qui entoure
l’interprétation et l’application de l’article
[19] La Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Hôtel Dieu de Lévis et Nadeau[2] fait une revue fort élaborée des différentes décisions alors rendues et qui se rattachent au premier courant[3], ainsi qu’au second[4].
[20] Depuis, d’autres s’y sont inévitablement ajoutées, dont celles déposées par le représentant de la travailleuse[5] ainsi que celles déposées par le représentant de l'employeur[6].
[21] Dans l’affaire Hôtel Dieu de Lévis précitée, le tribunal rappelle succinctement les deux thèses qui s’opposent. Le premier courant :
[153] Selon le premier courant jurisprudentiel dont adhère le soussigné dans les cas en l’espèce, ceux-ci16 appliquent, somme toute, le raisonnement suivi dans l’affaire Marin17 et concluent que cet article impose une fiction, selon laquelle il faut considérer comme des heures travaillées les heures d’absence pour lésion professionnelle afin que l’article prenne tout son sens et que le travailleur ne soit pas pénalisé du fait de sa lésion professionnelle.
[154] Or, le fondement de l’employeur, reposant sur le
jugement de la Cour supérieure (juge Corriveau) dans l’affaire Marin,
est à l’effet qu’une disposition de la convention collective qui établissait
les vacances en fonction des heures travaillées allait à l’encontre de
l’article
Le premier alinéa de cet article est à l’effet que le retour au travail doit s’effectuer de telle manière que le travailleur se retrouve dans une situation similaire à celle où il se serait retrouvé en l’absence de lésion professionnelle, et ce, eu égard à son salaire et à ses avantages. Ainsi, si le salaire du travailleur a été majoré (nouvelle convention collective, échelon annuel, etc.), il touchera le nouveau salaire à son retour.
De l’avis de la Commission d’appel, le terme « avantages » de l’article 242 couvre les divers bénéfices prévus dans la convention collective ou ailleurs et auxquels un travailleur a droit. Les vacances payées sont définitivement l’un de ces avantages.
Le travailleur avait donc droit à son retour de bénéficier de vacances « aux mêmes taux et conditions que ceux dont il bénéficiait s’il avait continué à exercer son emploi pendant son absence. »
Le but de cet article et aussi des diverses dispositions de la loi (art. 235, 236, 240, 244, 245, 259, 261) relatives au retour au travail visent, répétons-le, à permettre au travailleur de ne pas être pénalisé en raison de sa lésion professionnelle.
D’autre part, la Commission d’appel ne peut retenir l’avis de l’employeur à l’effet que la demande du travailleur a un aspect rétroactif non couvert par l’article 242. La Commission d’appel considère que la paie de vacances dont il est question ici a été établie et remise au retour ou après le retour au travail du travailleur et que l’élément antérieur (accumulation des heures) dans ce dossier se confond avec les termes « s’il avait continué à exercer son emploi pendant son absence » et en est indissociable.
__________________
16 Bombardier
Aéronautique et Frégeau-Corriveau,
17 Marin et Société canadienne de métaux
Reynolds,
18
[22]
Les tenants du premier courant considèrent donc que pour donner plein
effet à l’article
[23] Puis, le tribunal résume ainsi le second courant, toujours dans l’affaire Hôtel Dieu de Lévis précitée :
[157] Quant au deuxième courant jurisprudentiel soumis par
l’employeur, les commissaires qui l’appliquent interprètent la fiction établie
par l’article
[24] Selon la Commission des lésions professionnelles en l’instance, les tenants du second courant écartent quant à eux cette fiction juridique qui consiste à considérer la période d’absence occasionnée par une lésion professionnelle comme une période de temps effectivement travaillée. À compter du moment où un travailleur réintègre son emploi après une telle période, il faut prendre celle-ci en considération pour reconnaître au travailleur le droit de recevoir le salaire et les avantages aux mêmes taux et conditions que ceux dont il bénéficierait s’il avait continué à exercer son emploi. Mais cela, sans pour autant créditer et reconnaître au travailleur un certain nombre d’heures de travail, ce qui fait alors en sorte que l’employeur n’a pas l’obligation de devoir payer à un travailleur, suite à son retour, notamment une indemnité de vacances annuelles basée dans les faits sur une période de temps non travaillée. Il s’agit de la position de l’employeur dans le cadre de la présente affaire.
[25]
De plus, la très grande majorité des décisions précitées et qui font
état des deux courants jurisprudentiels semblent s’accorder au moins sur une
chose : l’article
[25] Toutefois, comme le note également le tribunal dans cette affaire, il importe de retenir qu’au-delà de cette apparente controverse, les deux positions jurisprudentielles se rejoignent sur un aspect primordial, soit qu’il ne saurait être question d’interpréter l’article 242 de manière à lui donner une portée rétroactive :
[33] Bien que l’application du
raisonnement développé dans chacune de ces interprétations mène à des résultats
différents sur une question de même nature, il n’en demeure pas moins que les
tenants de chacune des interprétations considèrent qu’il n’y a pas lieu de
conférer une portée rétroactive à l’article
[34] Sur ce point, les deux
interprétations se rejoignent en ce qu’elles considèrent que l’article
[26] Le tribunal rappelle ainsi la position adoptée à ce sujet dans l’affaire Noël-Fontaine et Société d’aluminerie Reynolds (Canada) limitée3 :
[35] La revue de la jurisprudence
relative à l’interprétation de l’article
[36] Rappelons que dans cette affaire, la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles devait décider si le refus de reporter des congés facultatifs acquis par accumulation d’un certain nombre d’heures de travail, tel que prévu à la convention collective, constituait une mesure discriminatoire à l’encontre de la travailleuse :
[…]
Malgré la non-rétroactivité de l’article 242, il ne faut toutefois pas perdre de vue que le premier alinéa de cette disposition de la loi impose, à certains égards, une fiction qui implique une transformation du passé : il faut faire, malgré son absence, comme si le travailleur avait continué à exercer son emploi pendant son absence. Cette fiction n’a toutefois d’impact qu’à compter du retour au travail, et par la suite; c’est ce que le professeur Pierre-André Côté appelle l’effet immédiat et prospectif à la page 107 de son ouvrage Interprétation des lois (Les Editions Yvon Blais Inc., Cowansville, 1982) :
Une loi qui ne prétend pas régir le passé, mais uniquement l’avenir, ne peut donc être considérée comme rétroactive à moins qu’on emploie ce terme d’une manière "inexacte" ou "impropre". Il faut distinguer la rétroactivité et l’atteinte, pour l’avenir, à des droits acquis dans le passé. Il faut distinguer l’effet rétroactif de la loi de son effet immédiat et prospectif."
La fiction imposée au premier alinéa de l’article 242 implique donc, de l’avis de la Commission d’appel, qu’il faille à certains égards, à compter du retour au travail et pour l’avenir, faire comme si le travailleur avait travaillé pendant son absence; à certaines fins, et non pour verser du salaire au travailleur pour sa période d’absence, l’article 242 impose ainsi de considérer comme travaillées des heures d’absence du travail en raison d’une lésion professionnelle.
Mais à quelles fins appliquer cette fiction? À toutes fins utiles, de l’avis de la Commission d’appel, pour éviter qu’un travailleur ne soit, en matière de salaire et d’avantages à compter de son retour au travail et par la suite, pénalisé ou désavantagé du fait qu’il ait été absent du travail pendant un certain temps en raison d’une lésion professionnelle.
[…]
La Commission d’appel ne voit, dans
le libellé du premier alinéa de l’article
[…]
La Commission d’appel apprécie donc qu’en édictant le premier alinéa de l’article 242, le législateur a voulu que le travailleur qui reprend son travail ne soit pas désavantagé, à compter de ce moment, par rapport à ce qu’aurait été sa situation en termes de salaire et d’avantages n’eût été de sa lésion professionnelle et de l’absence y reliée. S’il faut à cette fin, en regard du salaire et des avantages, ainsi que des taux et conditions afférents, faire comme s’il avait continué à exercer son emploi pendant son absence, c’est ce que le législateur prescrit de faire; s’il faut considérer comme du temps travaillé du temps qui ne l’a pas été, c’est aussi ce qu’il faut faire en raison de la fiction imposée par le législateur.
[…]
(Notre soulignement)
______________
3
[27] De plus, le tribunal s’exprime comme suit au sujet des circonstances dans lesquelles il est permis de considérer, par fiction, du temps travaillé qui ne l’a pas été en raison d’une lésion professionnelle pour les fins de l’application de l’article 242 :
[37] Si l’on retient
l’interprétation de l’article
[38] Cette fiction permet donc
d’utiliser des données relatives à la période de référence, soit la période
d’absence pour lésion professionnelle, aux fins de calculer ou d’établir un
taux, une condition, un nombre, etc. Cet exercice ne fait pas de la période de
référence une période à indemniser et ne permet pas de récupérer du salaire ou
des avantages rattachés à la période d’absence pour lésion professionnelle. La
jurisprudence établit clairement que l’article
[39] Dans l’affaire Bombardier
Aéronautique et Fregeau-Corriveau6, la commissaire
Vaillancourt a bien exprimé en quoi ce raisonnement s’accordait mieux avec
l’énoncé de l’article
[…]
[48] D’une part, rappelons que
l’article
___________
6
[26] Ce qui précède implique notamment qu’au moment de sa réintégration, un travailleur ne peut réclamer le paiement d’une indemnité de vacances annuelles pour la période durant laquelle il touchait des indemnités de remplacement du revenu en raison de sa lésion professionnelle.
[27]
Prenant en considération les deux courants jurisprudentiels et la portée
non rétroactive de l’article
[28] À compter du moment où un travailleur est victime d’une lésion professionnelle et qu’il devient en conséquence incapable d’exercer son emploi, il acquiert le droit au versement d’une indemnité de remplacement du revenu (article 44). Cette indemnité est égale à 90 % du revenu net qu’il tire annuellement de son emploi (article 45). Aux fins de déterminer ce revenu net, la CSST considère le revenu brut annuel d’emploi moins le montant des déductions pondérées par tranches de revenus en fonction de la situation familiale du travailleur. Elle tient alors compte des impôts payables aux deux paliers de gouvernement ainsi que des cotisations payables pour l’assurance-emploi, la régie des rentes du Québec ainsi que l’assurance parentale. La CSST publie chaque année la table des indemnités de remplacement du revenu ainsi déterminées et qui prend effet le 1er janvier de l’année pour laquelle elle est faite (article 63).
[29]
Le revenu brut annuel d’emploi est, quant à lui, déterminé notamment sur
la base du revenu brut prévu par le contrat de travail du travailleur. Un
travailleur peut demander que soit établi un revenu brut plus élevé que celui
prévu par son contrat de travail, ce dernier, la plupart du temps, calculé à
partir d’un taux horaire multiplié par un nombre d’heures de travail par année.
Ce nombre d’heures annuelles étant lui-même généralement déterminé à partir
d’un horaire de travail hebdomadaire. Un travailleur peut y faire ajouter entre
autres des bonis, primes, pourboires commissions, heures supplémentaires, les
vacances, si leur valeur en espèces n’est pas incluse dans le salaire et autres
majorations (ce que prévoit le second alinéa de l’article
[30]
De cela, le tribunal retient qu’à compter du moment où un travailleur
est victime d’une lésion professionnelle, qu’il en résulte une absence du
travail et qu’il acquiert le droit au versement de l’indemnité de remplacement
du revenu, sa situation se cristallise dans le temps. C’est ce que l’on doit
comprendre notamment lorsque le législateur prévoit à l’article
[31] Dans l’affaire Harvey précitée, le tribunal tient les propos suivants qu’il y a lieu de reproduire ici :
[27] Quant à elle, se référant à sa jurisprudence2 citée par l’employeur en l’instance, la Commission des lésions professionnelles retient d’abord qu’aucune disposition de la loi ne permet de réajuster une indemnité de remplacement du revenu, exception faite de la revalorisation ou indexation une fois par année en fonction d’un indice des prix à la consommation, du revenu brut annuel ayant servi de base au calcul de cette indemnité de remplacement du revenu.
[28] La Commission des lésions professionnelles réitère en fait intégralement en l’instance les motifs retenus dans l’affaire précitée « Marie-Ève Anctil et Centre Myriam » par madame la commissaire Lucie Nadeau dans les termes suivants :
« Ainsi, la jurisprudence a considéré que les changements au contrat de travail qui surviennent postérieurement au moment où s’est ouvert le droit du travailleur à l’indemnité de remplacement du revenu n’affectent pas le revenu brut ainsi déterminé que ce soit à la suite d’une hausse salariale accordée par l’employeur ou de l’obtention d’un nouvel emploi.
On y retient que l’article
Par contre, dans certaines
situations, la Commission des lésions professionnelles a permis d’ajuster la
base salariale pour tenir compte d’une situation déjà prévue avant l’arrêt de
travail. C’est le cas d’une travailleuse qui s’est vue reconnaître le droit au
retrait préventif et à l’indemnité de remplacement du revenu alors qu’elle
était en congé partiel sans solde mais que son retour au travail à temps plein
était prévu avant le début du certificat de retrait préventif. La Commission
des lésions professionnelles a considéré qu’il ne s’agissait pas d’un
changement postérieur au contrat de travail survenu alors que la travailleuse
était déjà en arrêt de travail mais que cet élément était antérieur, prévu au
contrat de travail et connu lorsque la travailleuse s’est adressée à la CSST.
La Commission des lésions professionnelles conclut en ce sens en référant à
l’interprétation du contrat de travail au sens de l’article
[29] La Commission des lésions professionnelles fait intégralement siens les motifs précités et réitère qu’en conformité avec sa jurisprudence2 pertinente, le seul réajustement du revenu servant de base au calcul de l’indemnité de remplacement du revenu est la revalorisation prévue à l’article 117 et que les changements au contrat de travail qui surviennent postérieurement au moment où s’est ouvert le droit du travailleur à l’indemnité de remplacement du revenu, n’affectent pas le revenu brut ainsi déterminé.
[30] Se référant par ailleurs à la décision de la Cour
d’appel dans « Simon c. Commission scolaire de l’Or-et-des-Bois,
« […] Le revenu annuel retenu doit prendre appui sur la réalité d’emploi de chaque travailleur et sur une projection défendable de sa situation dans l’avenir. La futurologie n’a pas sa place dans ce cadre. » [sic]
[31] Bref, la Commission des lésions professionnelles retient l’argument principal de l’employeur en l’instance en ce qui a trait à la cristallisation à la date où naît le droit de la travailleuse à l’indemnité de remplacement du revenu, des éléments à être pris en compte aux fins de la détermination du revenu brut devant être utilisé aux fins du calcul de cette indemnité de remplacement du revenu, et elle considère que cet élément est fondamental eu égard à l’économie du système d’indemnisation en matière de lésion professionnelle, lequel deviendrait d’une lourdeur et d’une complexité carrément ingérable dans l’hypothèse non retenue où le calcul en cause devrait prendre en compte tous les éléments non connus ni autrement prévus ou décidés et susceptibles d’influer sur le revenu prévu au contrat de travail de la travailleuse au cours de la période d’indemnisation.
___________
2 Christine
Auclair et Déco signalisation inc., C.L.P.
Marie-Ève
Anctil et Centre Myriam, C.L.P. 264595-63-0506-R, 18 septembre 2006,
L. Nadeau,
[32]
Le tribunal, en accord avec cette position, croit qu'elle cadre
parfaitement et complète celle mise de l’avant quant à la non-rétroactivité de
l’article 242, dans le passage de l’affaire Goyer précitée. L’article
[33] Le fait de déterminer, cristalliser et revaloriser le revenu brut annuel d’emploi annuellement par le biais des articles précités, traduit l’intention du législateur d’assurer une certaine stabilité financière au travailleur victime d’une lésion professionnelle, et ce, tant et aussi longtemps que son absence du travail est attribuable aux conséquences de cette lésion. Cette stabilité est assurée puisque calquée sur ses revenus réels au moment de la survenance de la lésion, lui permettant ainsi notamment de rencontrer ses obligations durant une telle période d’absence.
[34] L’article 235 de son côté prévoit que malgré cette absence et durant celle-ci, l’ancienneté d’un travailleur, (ou le service continu, le cas échéant) continue de s’accumuler, venant ainsi maintenir à jour son statut et bonifier entre autre le salaire et les avantages qui y sont rattachés.
[35]
Au moment de sa réintégration, un travailleur doit pouvoir continuer de
bénéficier de la stabilité financière mise en place à compter de son absence.
La fiction juridique à laquelle l’on doit recourir par le biais de l’article
[36]
De plus, de l’avis du tribunal, la première partie de l’article
242. A worker who is reinstated in his employment or equivalent employment is entitled to the wages or salary and benefits, at the same rates and on the same conditions, as if he had continued to carry on his employment during his absence.
(…)
__________
1985, c. 6, a. 242.
(notre soulignement)
[37] Avec respect pour l’opinion contraire, compte tenu de ce qui précède, ceci laisse peu de doute quant à l’interprétation qui doit être donnée à l’article 242 pour lui donner tout son sens et tout son effet. La loi renferme un ensemble de mesures qui se complètent et s’imbriquent parfaitement pour former un tout indissociable. Ces mesures se mettent en place en amont de la survenance d’une lésion professionnelle pour assurer au travailleur une stabilité financière à compter de son absence, durant celle-ci, au moment de sa réintégration, et pour l’avenir. Remettre en question ce désir de stabilité, de l’humble opinion de ce tribunal, irait à l’encontre de l’intention du législateur. Pour paraphraser la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Harvey précitée, ceci s’inscrit dans l’économie du système d’indemnisation en matière de lésion professionnelle.
[38]
Lorsqu’un travailleur réintègre son emploi, la situation originalement
cristallisée à compter du moment où naît son droit au versement de l’indemnité
de remplacement du revenu et qui lui assure une certaine stabilité durant son
absence, reprend vie. Ce que vise essentiellement l’article
[39]
Le contrat de travail, collectif ou non, du travailleur, doit lui
assurer au moment de sa réintégration une protection et une reconnaissance au
niveau de son salaire et de ses avantages à tout le moins équivalentes à ce que
la loi lui reconnaît. Dans le cas contraire, il est évident que cela représente
une contravention à l’article
[40] En l’espèce, malgré toutes les dispositions dont les parties ont convenu, et ce, de bonne foi, dans le cadre de la négociation de leur convention collective relativement à la situation d’un travailleur qui réintègre son emploi à la suite d’une absence reliée à une lésion professionnelle, le tribunal doit tout de même en arriver à la conclusion que la plainte de la travailleuse est bien fondée. À compter du moment où son contrat de travail ne lui reconnaît pas, au moment de sa réintégration le 18 juin 2007, le droit au paiement d’une indemnité de 10 % des gains bruts au cours de l’année de référence 2006-2007 comme si (« as if ») elle avait continué à exercer son emploi, il y a contravention à la loi.
[41]
La travailleuse demande finalement à la Commission des lésions professionnelles
d’exercer son pouvoir discrétionnaire et d’ordonner à l’employeur de verser des
intérêts sur les sommes qui lui reviennent. C’est l’article
261. Lorsque la Commission ordonne à l'employeur de verser au travailleur l'équivalent du salaire et des avantages dont celui-ci a été privé, elle peut aussi ordonner le paiement d'un intérêt, à compter du dépôt de la plainte ou de la demande d'intervention, sur le montant dû.
Le taux de cet intérêt est déterminé suivant les règles établies par règlement. Cet intérêt est capitalisé quotidiennement.
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1985, c. 6, a. 261; 1993, c. 5, a. 4.
[42] De l’opinion du tribunal, en l’espèce, l’employeur n’a pas fait preuve de mauvaise foi en refusant de verser à la travailleuse l’indemnité de vacances qu’elle réclame depuis son retour au travail. La justification de ce refus est basée ni plus ni moins que sur une interprétation contraire à celle à laquelle en arrive le présent tribunal. Laquelle interprétation contraire est, au surplus, soutenue par une certaine jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles. Dans les circonstances, et la bonne foi se présumant, ce tribunal dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en la matière, n’ordonne pas le paiement d’intérêts.
[43] La Commission des lésions professionnelles juge donc que la plainte de la travailleuse est bien fondée et que cette dernière a droit au paiement d’une indemnité de vacances annuelles pour l’année de référence qui débute le 1er mai 2007 et qui se termine le 30 avril 2008. Cette indemnité doit représenter 10 % du salaire gagné, par fiction juridique, comme si elle avait continué d’exercer son emploi, au cours de l’année de référence qui s’échelonne du 1er mai 2006 au 30 avril 2007. Cette indemnité doit tenir compte des différentes conditions de travail dont les parties ont convenu par admissions lors de l’audience, moins les sommes que la travailleuse aurait déjà reçues au même titre et pour la même période.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la contestation de la travailleuse, madame Sylvie Carignan;
DÉCLARE bien fondée la plainte déposée par la travailleuse le 26 novembre 2007;
DÉCLARE que la travailleuse a droit au paiement d’une indemnité de vacances annuelles pour l’année de référence qui débute le 1er mai 2007 et qui se termine le 30 avril 2008;
DÉCLARE que cette indemnité doit représenter 10 % du salaire gagné, par fiction juridique, comme si la travailleuse avait continué d’exercer son emploi, au cours de l’année de référence qui s’échelonne du 1er mai 2006 au 30 avril 2007;
DÉCLARE que cette indemnité doit tenir compte du fait qu’en vertu des dispositions pertinentes de la convention collective qui lie les parties, la travailleuse a droit à un salaire au taux horaire de 15,25 $ majoré des primes rattachées à son ancienneté ainsi qu’à son quart de travail le cas échéant, à raison de quarante (40) heures par semaine;
DÉCLARE que doit être déduite de cette indemnité toute somme que la travailleuse aurait pu percevoir antérieurement à la présente décision, et ce, au même titre et pour la même période.
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Jacques Degré |
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Me Jean Mailloux |
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Pépin, Roy |
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Représentant de la partie requérante |
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M. Pierre Dulac |
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Représentant de la partie intéressée |
[1] L.R.Q., c. A-3.001
[2] C.L.P.
[3] Bombardier
Aéronautique et Frégeau-Corriveau,
C.L.P. 154450-61-0101,19 avril 2002 et 23 mai 2002, A. Vaillancourt; Sobey’s inc. et Gauthier, C.L.P.
[4] Laberge et Garderie Cadet Rousselle, C.L.P.
[5] Meuble Villageois et Dorval, C.L.P. 286496*03B-0604, 8 janvier
2007, R. Jolicoeur; Métra Aluminium et Goyer, C.L.P.
[6]
Marier
et Brasserie Labatt inc.,
C.L.P. 242510-62-0409, 18 mars 2005, L. Couture; CLSC Notre-Dame-de-Grâce et
Louise Carrier, C.L.P.
[7] C.L.P.
[8] Cyr et Bombardier inc.,
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