Bélanger et Priszm inc. |
2013 QCCLP 1817 |
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COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES |
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Drummondville |
20 mars 2013 |
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Région : |
Mauricie-Centre-du-Québec |
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Dossier CSST : |
139697262 |
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Commissaire : |
Renée-Claude Bélanger, juge administratif |
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Membres : |
Jean-Guy Verreault, associations d’employeurs |
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Katie Simard, associations syndicales |
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Assesseure : |
Guylaine Landry-Fréchette, médecin |
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Nancy Bélanger |
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Partie requérante |
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et |
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Priszm inc. (F) |
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Partie intéressée |
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[1] Le 3 octobre 2012, madame Nancy Bélanger (la travailleuse) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle elle conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) du 17 septembre 2012, rendue à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 20 juillet 2012 et déclare que la travailleuse n’a pas subi une lésion professionnelle le ou vers le 4 juin 2012 ayant occasionné une épitrochléite et une épicondylite au coude droit. En conséquence, la CSST ajoute que la travailleuse n'a pas droit aux prestations prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) et qu’elle doit rembourser le montant de 555,18 $ qui lui a été versé à titre d'indemnité de remplacement du revenu pour la période du 11 au 24 juin 2012.
[3] À l’audience tenue à Drummondville le 21 novembre 2012, la travailleuse est présente et n’est pas représentée. Priszm inc. (l’employeur) n’est pas présent. La veille de l’audience, la firme Osler, Hoskin & Harcourt informe le tribunal qu’elle représente Duff & Phelps Canada Restructuring inc. (D&P) qui a été désignée comme séquestre de l’employeur. Elle confirme en conséquence l’absence à l’audience à la fois de l’employeur et de D&P.
[4] Le dossier est mis en délibéré le 15 janvier 2013 à la suite de la réception d’un complément de preuve médicale et documentaire requis par le tribunal.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[5] La travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles de reconnaître qu’elle a été victime d’une maladie professionnelle à compter du 4 juin 2012 en raison de gestes répétitifs effectués dans le cadre de son travail de caissière et de cuisinière chez l’employeur. Les diagnostics qu’elle désire voir reconnaître à titre de maladie professionnelle sont ceux d’épitrochléite et d’épicondylite au coude droit.
LES FAITS
[6] En se basant sur l’ensemble de la preuve testimoniale et documentaire, le tribunal retient les faits suivants comme étant pertinents au présent litige.
[7] À l’époque pertinente, la travailleuse âgée de 35 ans occupe un poste de caissière et de cuisinière depuis environ quatorze ans pour le compte de l’employeur qui administre un restaurant Poulet frit Kentucky. Selon les informations contenues au dossier, elle effectue ce travail à raison de 35 heures/semaine du lundi au vendredi, et ce, depuis deux ans. Elle est droitière.
[8] Le 29 juin 2012, elle produit une réclamation à la CSST en vue de faire reconnaître l’existence d’une maladie professionnelle. Dans son formulaire de réclamation, elle explique qu’elle présente des douleurs au coude droit depuis plusieurs mois et que celles-ci se sont amplifiées dernièrement l’empêchant de dormir, de travailler et de fonctionner.
[9] En annexe à sa réclamation, elle joint une lettre dans laquelle elle décrit ainsi les conditions de travail qui prévalent chez son employeur :
Je vous écris car je n’avais plus de place sur le formulaire et j’aimerais vous expliquer la situation. Donc, pour continuer 1 autre personne qui travaillait à temps plein depuis 27 ans est partie en burnout en septembre 2010. Notre gérante n’a engagé aucune fille pour la remplacer, ce qui fait que j’ai commencé à travailler en double, à faire des heures de fous. Je faisais 2 à 3 chiffres de 10 à 7 hr le soir par semaines à part les 10 à 4 :30. Je faisais de la caisse, j’allais à l’arrière faire les commandes, partir les frites et tous les autres aliments dans la friteuse. Ensuite j’emballais mes commandes. Quand le rush étais terminé je devais passer le balai, laver les salles de bain, les tables, laver les vitres, les cabarets faire le remplissage des 2 côtés (avant et arrière) tout en faisant le service à la clientèle. Le tout dans un stress immense et rapide aussi. Depuis que je suis en arrêt, la dame qui me remplace à mal à l’épaule et au pied. Le brassage de panier sans arrêt ainsi que le restant des tâches à faire fini par nous donner très mal au bras. [sic]
[10] Au soutien de sa réclamation, la travailleuse joint un billet médical daté du 11 juin 2012 du docteur Vigneault, son médecin traitant depuis 1995, qui recommande un arrêt de travail du 11 au 19 juin 2012 inclusivement. À cette même date, le docteur Vigneault produit également une attestation médicale sur laquelle il pose les diagnostics d’épitrochléite et d’épicondylite droite. Il recommande un arrêt de travail et de la médication.
[11] La note de consultation rédigée par le docteur Vigneault à cette date fait état d’une « algie » au membre supérieur droit qui est pire depuis quelques mois avec augmentation depuis une à deux semaines. La travailleuse présente une douleur en flexion au niveau du poignet qui monte jusqu’à l’épaule. Une douleur au niveau de l’épitrochlée et de l’épicondyle est également notée. Les diagnostics retenus sont ceux d’épitrochléite et d’épicondylite.
[12] Le 19 juin 2012, le docteur Vigneault reprend les diagnostics d’épitrochléite et d’épicondylite au coude droit. Il prolonge l’arrêt de travail et prescrit des traitements de physiothérapie et des anti-inflammatoires.
[13] Le 6 juillet 2012, l’employeur transmet une lettre d’opposition à l’admissibilité à la CSST. Il invoque le fait que la travailleuse est porteuse d’une condition personnelle d’arthrose acromioclaviculaire à l’épaule droite diagnostiquée en 2010 et pour laquelle elle a bénéficié d’arrêts de travail au moins à deux reprises[2]. Il ajoute qu’à cette époque, la travailleuse éprouvait une douleur qui irradiait dans son bras droit jusqu’au poignet. L’employeur souligne également que la travailleuse a eu un accident d’auto en 2005 qui a affecté son côté droit[3].
[14] À ce sujet, l’employeur joint un rapport d’expertise médicale du docteur Raymond Hould, chirurgien orthopédiste, effectué le 25 février 2008 à la demande de la Société d’assurance-automobile. Dans le cadre de cet examen qui est effectué en regard d’une lésion impliquant l’humérus droit et la cheville gauche, le docteur Hould évalue le coude droit de la travailleuse et conclut que ce dernier est normal. Il ne note aucune douleur à la palpation des différents compartiments et précise que les mouvements des coudes sont complets et superposables.
[15] Le 9 juillet 2012, le docteur Vigneault maintient l’arrêt de travail, la médication et les traitements de physiothérapie.
[16] Le 18 juillet 2012, la CSST communique avec la travailleuse afin de procéder à la cueillette d’information nécessaire à la prise de décision. La travailleuse mentionne alors qu’aucun fait accidentel précis n’est survenu. Elle confirme qu’elle exécute différentes tâches dans le cadre de son travail telles que : la caisse, la cuisine, l’entretien des espaces de travail et de la salle à manger. Elle explique qu’elle éprouve des symptômes graduels depuis plusieurs mois et qu’elle a consulté en raison des symptômes qui sont devenus de plus en plus importants.
[17] L’agente d’indemnisation en vient à la conclusion que la travailleuse était dans l’exercice de son travail régulier alors que des symptômes graduels sont apparus. Elle ajoute que les tâches de la travailleuse sont variées sans notion de mouvements répétitifs avec cadence.
[18] Le 20 juillet 2012, la CSST rend une décision par laquelle elle refuse la réclamation. Cette décision est confirmée le 17 septembre 2012 par la CSST siégeant en révision administrative; d’où le présent litige.
[19] Le 23 juillet 2012, la travailleuse revoit le docteur Vigneault. Il indique dans sa note de consultation qu’il est d’avis que la blessure est reliée aux mouvements effectués au travail.
[20] Le 2 août 2012, le docteur Vigneault effectue une infiltration de l’épitrochlée.
[21] Le 31 août 2012, le docteur Vigneault autorise un retour au travail à compter du 4 septembre 2012 à raison de sept heures par jour maximum.
[22] Le 11 septembre 2012, le docteur Vigneault transmet une lettre à la CSST par laquelle il se dit en désaccord avec la décision de refus rendue. Il explique que la travailleuse doit, dans le cadre de son travail, faire un mouvement de rotation de façon relativement répétitive qui sollicite ses muscles épicondyliens droits. Il indique que la travailleuse a ressenti des douleurs en manipulant un panier de friture (frites et/ou poulet). Il ajoute qu’il n’y a aucune raison pouvant expliquer cette lésion à la maison.
[23] À l’audience, la travailleuse témoigne. Elle explique qu’en 2010, une collègue de travail qui occupait un poste à temps plein a quitté son emploi pour cause de maladie. À cette époque, la travailleuse explique qu’elle travaillait déjà 30 heures par semaine.
[24] Assignée principalement « à l’arrière du restaurant », la travailleuse s’occupait d’effectuer les commandes. À l’occasion, dans les périodes d’achalandage, elle pouvait être appelée à se rendre « en avant » pour aider à la prise de commandes et à l’emballage.
[25] Lors du départ de sa collègue, cette dernière n’a pas été remplacée. À partir de ce moment, la travailleuse a dû assumer simultanément les trois postes de travail, soit la prise de commandes, la préparation et l’emballage des commandes. Elle estime qu’à partir de ce moment, sa semaine de travail normale était de 35 à 39 heures/semaine.
[26] La travailleuse décrit une journée type de travail de la façon suivante :
- Au total, onze employés travaillent au restaurant.
- Du lundi au vendredi elle arrive au travail à 10 heures (le restaurant ouvre à 11 heures). Durant cette heure de travail, elle est seule avec le cuisinier et la gérante qui est dans son bureau et s’occupe de l’administration. Cette situation survient au moins une fois par semaine.
- Entre 10 :00 et 11 :00, elle effectue le ménage du restaurant, des salles de bains, etc.
- Procède au remplissage des bacs de glace.
- Cuisine et prépare les salades pour le dîner.
- Remplit le congélateur en vue du dîner.
- Procède à la mise en place pour le dîner.
- À 11 :30, la caissière ou une personne assignée à l’emballage entre au travail. Elle précise qu’il n’y a pas toujours quelqu’un de céduler à 11 :30. Elle explique cette situation par un manque de personnel. Étant donné que ce poste est souvent offert à un étudiant, celui-ci peut venir travailler lorsqu’il y a un congé scolaire sinon personne n’est disponible pour venir travailler de jour.
- Lorsqu’elle ouvre les portes à 11 :00, si elle est seule, elle prend la commande et va à l’arrière pour la préparer. Elle explique que c’est elle qui s’occupe de faire les sandwichs, les frites, le poulet pop-corn, etc.
- Entre 11 :30 et 12 :30 c’est le « rush » du dîner. Elle explique qu’il y a une école à proximité du restaurant ce qui emmène une clientèle d’étudiants en grand nombre.
- Si elle est seule, la travailleuse prend les commandes aux caisses et va en arrière pour les compléter. Si une deuxième personne est présente à 11 :30 c’est elle qui s’occupe de prendre les commandes et la travailleuse reste à l’arrière pour les préparer.
- Elle précise que le poulet est cuit par le cuisinier et que ce dernier est souvent trop occupé pour venir aider en avant.
- En après-midi elle effectue le ménage du restaurant.
- Elle effectue la mise en place pour le souper et procède au remplissage des salades.
- À travers ces tâches, elle sert la clientèle.
- Avant le mois de juin 2012, elle effectuait le « rush » du souper qui débute vers 16 :15. Elle finissait à 19 :00 et précise que parfois elle devait quitter plus tard car le « rush » n’était pas terminé. Elle explique que pour l’heure du souper il y a « habituellement » deux personnes qui travaillent en avant et une autre qui commence son quart de travail à 16 :00 et qui est à l’arrière avec elle pour préparer les commandes. Bref, outre les lundis et mercredis, il y a quatre personnes pour travailler à l’heure du souper. Sauf exception, elle n’a pas à aller prendre les commandes à l’avant pour le souper.
- Les personnes qui travaillent de soir doivent faire le ménage avant de quitter. La travailleuse précise qu’elles ne le font pas ce qui fait qu’elle doit le faire en arrivant le lendemain matin.
- Elle soutient qu’il est faux de prétendre comme le fait l’employeur, qu’il n’y a pas de rythme imposé ou de cadence puisque tout doit toujours être prêt pour le prochain client.
[27] Appelée à préciser les difficultés particulières de sa tâche depuis 2010, la travailleuse indique qu’avant le départ de sa collègue, elle était principalement assignée à la préparation des commandes à l’arrière et ne devait travailler en avant qu’exceptionnellement. Elle estime qu’elle ressentait beaucoup moins de stress. Depuis 2010, elle est souvent toute seule à tout faire. Bref, le tribunal retient qu’en plus du nombre d’heures qui semble avoir augmenté, la travailleuse trouve la situation difficile lorsqu’elle est seule pour assumer l’ensemble des tâches.
[28] La travailleuse ajoute qu’avant 2010, les salades étaient cuisinées et portionnées par sa collègue de travail alors que depuis son départ, c’est elle qui s’occupe de cette tâche. Elle trouve que cette nouvelle tâche est problématique principalement à l’étape du portionnement.
[29] Au surplus, le transvidage des paniers de frites est difficile selon la travailleuse. Appelée à mimer le geste effectué avec le panier de frites, la travailleuse s’exécute et le tribunal retient qu’il y a un geste de préhension de la main droite avec pronation de l’avant-bras, le coude étant en flexion. Ce mouvement est suivi d’un geste de rotation du poignet avec une déviation radiale pour transvider le panier. Avant l’apparition des douleurs, elle explique qu’elle soulevait le panier de frites et le brassait avec la main droite. Suite à l’apparition des douleurs, elle prenait le panier à deux mains.
[30] La travailleuse ajoute qu’elle doit manipuler entre 20 et 30 paniers de frites par jour et que chacun d’entre eux pèse entre 5 et 10 livres selon qu’il est plein ou non. Elle précise que les paniers de poulet pop-corn sont plus lourds sans toutefois être en mesure d’en préciser le poids.
[31] L’achalandage est variable selon la travailleuse en fonction de la journée de la semaine. Entre 11 h 00 et 11 h 30 il peut y avoir entre 15 et 20 clients. Entre 11 h 30 et 12 h 30, elle n’est pas en mesure de dire combien de clients peuvent se présenter, mais précise que la « file d’attente » se rend jusqu’à la porte et que cela n’arrête pas. Par la suite, il y a environ 5 à 10 clients à l’heure. Elle estime finalement qu’elle peut avoir à servir environ 125 personnes par quart de travail.
[32] Elle a le droit de prendre une pause de trente minutes. Par contre, comme elle est souvent toute seule, elle ne prend pas sa pause et prend son repas en même temps qu’elle sert les clients.
[33] Questionnée sur les circonstances d’apparition de ses douleurs, la travailleuse précise qu’il n’y a pas eu de fait accidentel. Au début, elle ressentait plus un inconfort alors qu’avec le temps, la douleur a commencé à s’intensifier et à l’empêcher de dormir. Les douleurs au coude ont commencé du côté interne et se sont déplacées vers l’externe par la suite.
[34] Son médecin voulait l’arrêter de travailler au début de l’année 2012, mais elle ne voulait pas étant donné qu’elle n’a pas d’assurance-salaire. Elle a arrêté de travailler durant trois mois à partir de juin 2012 et après un mois d’arrêt de travail, la douleur s’était résorbée beaucoup. Elle a reçu une infiltration avant de reprendre le travail en septembre 2012.
[35] Lorsqu’elle a recommencé à travailler en septembre 2012, elle utilisait son bras gauche. Après trois semaines, elle a commencé à présenter des douleurs du côté gauche.
[36] Questionnée sur ses antécédents, la travailleuse explique qu’en 2005, elle a subi un accident de voiture ayant causé une blessure à l’humérus droit.
[37] À la fin de l’année 2010, elle a consulté un orthothérapeute pour des douleurs à l’épaule, aux poignets (canal carpien) et a été suivi par la suite pour le coude. Elle n’est toutefois pas en mesure de préciser la date.
[38] En 2011, elle a consulté le docteur Vigneault pour un problème d’engourdissements aux mains et des douleurs à l’épaule; elle n’avait pas mal au coude. Elle précise d’ailleurs qu’elle n’a jamais présenté de problème au coude droit. De plus, elle ne fait pas de diabète.
[39] Avant son accident de voiture en 2005, elle faisait du jogging et jouait à la balle-molle. Ces activités ont été abandonnées. Elle ne fait pas de sport de raquette et ne fait pas d’ordinateur non plus.
[40] Monsieur Bernard Jones témoigne à la demande de la travailleuse. Il a été cuisinier pour l’employeur durant 35 ans et a quitté son emploi il y a trois mois.
[41] Il précise qu’il était seul comme cuisinier et qu’il devait effectuer l’entretien de la cuisine et s’occuper de la cuisson du poulet.
[42] Durant la période d’août 2011 à août 2012, il était cédulé 40 heures/semaine et faisait facilement de 10 à 15 heures de temps supplémentaire par semaine. Durant la période du dîner qu’il estime être de 11 h 30 à 13 h 15, il arrivait qu’il soit obligé d’aller à l’emballage des commandes étant donné l’achalandage. Cette situation survenait le plus souvent sur l’heure du dîner les lundis, mardis et mercredis.
[43] Selon lui, il devait y avoir entre 200 à 250 clients par jour dont entre 50 et 60 sur l’heure du dîner. En après-midi, il pouvait y avoir entre 10 et 15 clients par heure.
[44] C’est lui qui est à la réception des commandes du restaurant. Ceci étant, il est en mesure de préciser que les lundis, mardis et mercredis, le restaurant utilise entre 5 à 8 caisses de frites alors que les jeudis et vendredis 10 à 12 caisses sont utilisées, l’achalandage étant plus important.
[45] Il ajoute que durant les dernières années, il n’avait jamais le temps de prendre ses pauses. Il confirme également avoir remarqué que la travailleuse ne prenait jamais ses pauses étant donné qu’elle était toute seule et qu’elle devait assumer l’ensemble des tâches.
[46] Au moment de l’audience, il explique qu’il a quitté son emploi étant donné la surcharge de travail dû au départ d’employés à la cuisine qui n’ont pas été remplacés. Il témoigne que la rétention du personnel était également un problème « en avant ».
[47] Au chapitre des antécédents, le tribunal retient de l’analyse des notes de l’orthothérapeute produites par la travailleuse qu’elle consulte à partir du 19 janvier 2010 pour des engourdissements à la main droite et au bras droit.
[48] À compter du mois d’avril 2011, elle est suivie par le docteur Vigneault en parallèle. Un diagnostic de canal carpien bilatéral est posé pour lequel elle est infiltrée. On note également une « algie » à l’épaule droite. Elle est d’ailleurs suivie pour ces diagnostics de façon régulière par le docteur Vigneault durant le printemps et l’été 2011.
[49] Le 17 août 2011, le docteur Vigneault ajoute les diagnostics d’épicondylite droite, d’épithrochléite et d’arthrose acromioclaviculaire à l’épaule droite. Toutefois, dès la visite médicale du 2 septembre 2011, le docteur Vigneault ne fait plus mention du diagnostic d’épicondylite droite et d’épithrochléite. La douleur acromioclaviculaire à l’épaule droite est par contre toujours présente.
[50] Le 17 février 2012, la note de l’orthothérapeute fait état d’un engourdissement au bras droit plus important qu’à gauche. On note également une douleur au coude droit à l’interne.
[51] La travailleuse revoit par ailleurs le docteur Vigneault le 2 mars 2012 et seul le diagnostic de canal carpien apparaît pour lequel elle reçoit une infiltration.
[52] En complément de preuve, la travailleuse produit ses horaires de travail, tel que requis par le tribunal pour la période du 26 décembre 2011 jusqu’au 10 juin 2012. Le tribunal constate que la moyenne des heures travaillées est d’environ 31 heures.
[53] Le tribunal constate par ailleurs que durant plusieurs quarts de travail, la travailleuse est seule à partir de 10 h 00 ou que l’autre caissière travaille de 11 h 30 à 13 h 30. Le tribunal constate une annotation de la travailleuse qui réitère que lorsqu’elle est seule, elle ne peut pas prendre de pause.
L’AVIS DES MEMBRES
[54] Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis de rejeter la requête de la travailleuse. Il considère en effet que cette dernière n’a pas démontré qu’elle effectuait des tâches répétitives qui permettent de conclure que les diagnostics d’épitrochléite et d’épicondylite du coude droit sont reliés à son travail. Au surcroît, il estime que la travailleuse n’a pas présenté une preuve médicale qui permette de conclure que les diagnostics d’épitrochléite et d’épicondylite sont la conséquence des tâches spécifiques qu’elle accomplissait. Finalement, la preuve ne permet pas d’établir une relation avec une quelconque surcharge de travail. En conséquence, il est d’avis de maintenir le refus de la lésion professionnelle.
[55] La membre issue des associations syndicales est d’avis d’accueillir la requête de la travailleuse. Elle considère que le contexte particulier auquel la travailleuse a été confrontée à compter de septembre 2010 permet d’identifier des tâches sollicitant de façon indue les muscles épitrochléliens et épicondyliens du coude droit. En conséquence, les diagnostics d’épitrochléite et d’épicondylite du coude droit devraient être reconnus à titre de lésion professionnelle.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[56] La Commission des lésions professionnelles doit décider si la travailleuse a subi une lésion professionnelle le ou vers le 4 juin 2012.
[57] Pour effectuer l’analyse de l’admissibilité de cette réclamation, le tribunal est lié par les diagnostics d’épitrochléite et d’épicondylite au coude droit qui n’ont pas été remis en cause.
[58] D’emblée, la notion d’accident du travail est écartée de même que la notion de rechute, récidive ou aggravation. D’ailleurs, la preuve soumise ne permet pas une analyse en regard de ces notions. La preuve établissant au contraire qu’aucun événement particulier ni fait accidentel n’est survenu.
[59] De façon plus précise, le tribunal se propose d’analyser la présente réclamation sous l’angle de l’article 30 de la loi puisque les diagnostics d’épitrochléite et d’épicondylite ne sont pas des maladies répertoriées à l’annexe 1 de la loi donnant ouverture à l’application de la présomption de l’article 29.
[60] L’article 30 de la loi se lit comme suit :
30. Le travailleur atteint d'une maladie non prévue par l'annexe I, contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui ne résulte pas d'un accident du travail ni d'une blessure ou d'une maladie causée par un tel accident est considéré atteint d'une maladie professionnelle s'il démontre à la Commission que sa maladie est caractéristique d'un travail qu'il a exercé ou qu'elle est reliée directement aux risques particuliers de ce travail.
__________
1985, c. 6, a. 30.
[61] Soulignons que le tribunal ne dispose d’aucune indication lui permettant d’assimiler la présente affaire à une maladie caractéristique du travail au sens de l’article 30.
[62] La travailleuse a donc le fardeau de démontrer par une preuve prépondérante que l’épitrochléite et l’épicondylite au coude droit diagnostiquées le 11 juin 2012 par le docteur Vigneault sont reliées aux risques particuliers de son travail de caissière et de cuisinière pour l’employeur.
[63] À ce sujet, le tribunal considère important de préciser le fardeau de preuve qui incombe à la travailleuse. Celle-ci doit en effet démontrer par une preuve prépondérante, en fonction de la balance des probabilités, qu’elle a été exposée à des risques particuliers dans l’exécution de ses tâches et que ces risques particuliers ont été significatifs et déterminants dans l’apparition et/ou le développement de sa maladie.
[64] Bien que le fardeau de preuve requis ne soit pas celui de la certitude scientifique, il n’est pas pour autant suffisant d’invoquer de simples possibilités pour convaincre le tribunal. La balance des probabilités réfère à un degré raisonnable de probabilités supérieures à 50 %[4].
[65] Le tribunal considère que la preuve en l’espèce démontre que la travailleuse a été exposée à des risques particuliers dans l’exécution de ses tâches et que ceux-ci ont été significatifs et déterminants dans le développement de sa maladie.
[66] De façon plus précise, la travailleuse allègue une surcharge de travail et des modifications à ses tâches de travail suite au départ d’une collègue de travail en septembre 2010.
[67] La preuve démontre qu’au mois d’août 2011, un diagnostic d’épitrochléite et d’épicondylite est posé par le docteur Vigneault ainsi que celui d’arthrose acromio-claviculaire de l’épaule droite. Deux semaines plus tard, la note de consultation ne fait aucune référence aux diagnostics d’épitrochléite et d’épicondylite.
[68] L’analyse du dossier médical de la travailleuse, dont en particulier la note de consultation du docteur Vigneault du 17 août 2011 sur laquelle apparaissent les diagnostics d’épitrochléite et d’épicondylite s’inscrit, de l’avis du tribunal, dans un contexte de problématique douloureuse évoluant depuis deux ans et intéressant l’ensemble du membre supérieur droit. Le tribunal note toutefois que deux semaines plus tard, soit le 2 septembre 2011, le docteur Vigneault ne reprend pas ce diagnostic, ce qui témoigne d’une douleur passagère et ponctuelle.
[69] En fait, les diagnostics d’épitrochléite et d’épicondylite sont repris par le docteur Vigneault le 11 juin 2012 uniquement. Le tribunal conclut par conséquent que l’épitrochléite et l’épicondylite diagnostiquées en août 2011 semblent s’être résorbées durant un certain temps pour redevenir symptomatiques seulement en juin 2012.
[70] Par ailleurs, le tribunal note que dans le cadre du suivi effectué en orthothérapie, pour un problème d’engourdissement aux mains, la note du 17 février 2012 fait état d’une douleur au coude droit à la région interne. Cette note vient corroborer le témoignage de la travailleuse à l’effet que les douleurs au coude droit sont apparues quelques mois avant son arrêt de travail du mois de juin 2012.
[71] En ce qui a trait aux tâches de travail, la preuve démontre qu’à compter de l’automne 2010, la travailleuse doit assumer, souvent toute seule, la totalité des tâches impliquant le service direct à la clientèle, soit la prise de la commande, la réalisation et l’emballage de cette commande.
[72] Bien que la preuve démontre que l’achalandage est variable, il n’en demeure pas moins que l’employeur administre un commerce de restauration rapide et que la travailleuse doit adopter un rythme et une cadence accélérée pour répondre adéquatement à la clientèle.
[73] Au niveau des heures de travail, la preuve documentaire est à l’effet que la travailleuse a effectué en moyenne 31 heures par semaine durant la période de six mois avant l’événement. La preuve démontre également qu’elle est souvent seule et que lorsqu’elle a de l’aide, il s’agit d’une courte période. Outre cette preuve documentaire, le témoignage du cuisinier, monsieur Jones, a corroboré celui de la travailleuse.
[74] Lorsqu’elle n’est pas seule, le tribunal note que la deuxième personne entre au travail à 11 h 30 et quitte à 13 h 30, ce qui oblige la travailleuse à faire la mise en place, le ménage et toutes les tâches connexes. Bref, la travailleuse doit s’assurer que tout est prêt pour l’heure du dîner.
[75] Après l’heure du dîner, la travailleuse est à nouveau seule pour effectuer le ménage du restaurant, remplir les frigidaires, refaire des salades, bref faire la mise en place pour l’heure du souper, le tout à travers le service de la clientèle qui représente de 5 à 10 clients à l’heure.
[76] Le tribunal constate que la preuve démontre que la travailleuse est la plus expérimentée puisqu’il ressort des témoignages entendus que l’employeur a un problème de rétention de personnel et que les personnes embauchées sont souvent des étudiants n’ayant pas nécessairement beaucoup d’expérience.
[77] Au niveau de l’ensemble des tâches, il appert que la travailleuse effectue un ensemble de mouvements qui sollicitent l’ensemble des structures de ses membres supérieurs tels que la prise de commandes, le remplissage des congélateurs, l’emballage des commandes, l’entretien de la salle à manger et de la salle de bain, etc.
[78] Plus spécifiquement, au niveau de la préparation des commandes, le tribunal considère entre autres que la manipulation des paniers de frites constitue un mouvement qui sollicite les muscles épitrochléliens et épicondyliens. Bien qu’il ne s’agit pas d’une sollicitation soutenue et continue durant tout le quart de travail puisqu’elle survient plutôt durant la période d’achalandage d’une durée d’une heure à une heure trente, le tribunal considère que lorsque la travailleuse est seule, la cadence est accélérée.
[79] Au surplus, le poids du panier et la force déployée pour le sortir de la friteuse constituent également un mouvement qui sollicite les muscles épitrochléliens et épicondyliens.
[80] Le tribunal est par ailleurs conscient qu’il ne s’agit pas là d’une nouvelle tâche pour la travailleuse puisqu’avant le départ de sa collègue en septembre 2010, elle était spécifiquement affectée à la préparation des commandes, donc à la préparation des frites y incluant le brassage et le transvidage des paniers de frites. Toutefois, le contexte de travail a changé en ce que la travailleuse doit maintenant effectuer simultanément trois postes de travail, cette situation particulière augmente le facteur de risques selon le tribunal.
[81] La confection et le portionnement des salades constituent, selon la travailleuse, des nouvelles tâches. Le tribunal considère que ces tâches peuvent également impliquer une sollicitation des muscles épitrochléliens et épicondyliens et constituer aussi un facteur de risques.
[82] Le tribunal retient par conséquent que bien que la travailleuse effectue plusieurs tâches variées, il n’en demeure pas moins que certaines d’entre elles sollicitent de façon indue les structures anatomiques du coude droit dans un contexte particulier où elle est souvent toute seule pour répondre et servir la clientèle, et ce, à plusieurs occasions dans une semaine. Le tribunal retient que le fait qu’elle soit seule pour répondre à la clientèle l’oblige à adopter un rythme et une cadence accélérés qui ne semblaient pas aussi significatifs avant septembre 2010.
[83] En regard de la preuve d’une relation médicale entre les mouvements effectués et le travail, le tribunal retient la lettre du docteur Vigneault du 11 septembre 2012 qui suit la travailleuse depuis 1995 et qui émet une opinion à l’effet que les diagnostics sont en lien avec le travail effectué. Il explique ainsi que la travailleuse doit, dans le cadre de son travail, faire un mouvement de rotation de façon relativement répétitive qui sollicite ses muscles épicondyliens droits. Il ajoute qu’aucun autre facteur personnel ne peut être en cause. En l’absence de preuve contraire, le tribunal retient cette preuve comme probante et prépondérante.
[84] En réponse aux arguments soulevés par l’employeur dans sa lettre d’opposition à l’admissibilité du 6 juillet 2012, le tribunal constate qu’il appert du rapport d’expertise du docteur Hould du 25 février 2008 que l’accident d’auto de 2005 ayant causé une lésion à l’humérus droit et à la cheville gauche n’a entraîné aucune séquelle au coude droit.
[85] De même, le fait que la travailleuse ait consultée et ait eu un suivi médical pour un canal carpien bilatéral au cours de l’année 2011 n’empêche aucunement la reconnaissance d’une lésion professionnelle au coude droit.
[86] Bref, le tribunal retient que la preuve factuelle et médicale permet de conclure à l’existence d’un contexte de travail particulier dans lequel on retrouve des mouvements ou des postures contraignantes et qu’au surplus, la preuve médicale démontre la relation entre ces mouvements et l’apparition des diagnostics d’épitrochléite et d’épicondylite.
[87] En somme, le tribunal considère que les facteurs de risques de développer une épitrochléite et une épicondylite au coude droit au poste de caissière et de cuisinière chez l’employeur ont été démontrés et que la notion de « risques particuliers du travail » de l’article 30 de la loi est applicable.
[88] En conséquence, le tribunal conclut que la travailleuse a subi une lésion professionnelle le ou vers le 4 juin 2012 ayant entraîné un diagnostic d’épitrochléite et d’épicondylite du coude droit.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête déposée le 3 octobre 2012 par madame Nancy Bélanger, la travailleuse;
INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail du 17 septembre 2012, rendue à la suite d’une révision administrative;
ET
DÉCLARE que madame Nancy Bélanger, la travailleuse, a subi une lésion professionnelle le ou vers le 4 juin 2012 ayant occasionné des diagnostics d’épitrochléite et d’épicondylite du coude droit et qu’en conséquence, elle a droit aux prestations prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
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Renée-Claude Bélanger |
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Me Julien Morissette |
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OSLER, HOSKIN & HALCOURT |
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Représentant de la partie intéressée |
[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] Voir à cet effet les pages 19 et 20 du dossier constitué.
[3] Voir à cet effet les pages 21 et s. du dossier constitué.
[4] Succession Maurice Lemieux (2000) C.L.P. 1087 ; Caron et Association de la construction du Québec, C.L.P. 286993-31-0603, 20 décembre 2007, J.-F. Clément.