Décision

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Modèle de décision CLP - avril 2013

Garda (division Montréal) et Carrière

2014 QCCLP 2825

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Trois-Rivières

9 mai 2014

 

Région :

Lanaudière

 

Dossier :

424401-63-1011

 

Dossier CSST :

135932416

 

Commissaire :

Diane Lajoie, juge administratif

 

Membres :

Kathy Otis, associations d’employeurs

 

Guy Mousseau, associations syndicales

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Garda (division Montréal)

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Daniel Carrière

S.C.F.P. (local 3812)

 

Parties intéressées

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION

______________________________________________________________________

 

 

[1]          Le 17 mai 2013, Garda (division Montréal) (l’employeur) dépose une requête en révision ou révocation de la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 28 mars 2013.

[2]          Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles :

 

 

 

REJETTE l’objection à la preuve de Garda (division Montréal), l’employeur;

 

PERMET la production de l’extrait de la convention collective (article 7.04) et sa preuve d’envoi à la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 11 mai 2010;

 

REJETTE la question préliminaire de l’employeur;

 

DÉCLARE que l’employeur, Garda (division Montréal), était l’employeur de monsieur Daniel Carrière, le travailleur, au moment où il a subi une lésion professionnelle, le 16 novembre 2009;

 

REJETTE la requête de l’employeur;

 

CONFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, le 27 octobre 2010;

 

DÉCLARE que monsieur Daniel Carrière, le travailleur, a été victime d’une lésion professionnelle le 16 novembre 2009 et qu’il a droit aux prestations en lien avec cette lésion professionnelle.

 

 

[3]          À l’audience tenue à Joliette le 6 mars 2014, Garda (division Montréal) est présent et représenté par son procureur. Le travailleur, monsieur Daniel Carrière, est présent et représenté. Le S.C.F.P. (local 3812) est présent. La requête est mise en délibéré le 6 mars 2014.

L’OBJET DE LA REQUÊTE

[4]          Garda (division Montréal) demande à la Commission des lésions professionnelles de réviser la décision rendue le 28 mars 2013 parce qu’elle comporte des erreurs de droit manifestes et déterminantes.

[5]          En conséquence, Garda (division Montréal) demande au tribunal de refuser la production au dossier de l’extrait de la convention collective et sa preuve d’envoi à la CSST le 11 mai 2010, d’infirmer la décision rendue par la CSST le 27 octobre 2010, à la suite d’une révision administrative, de déclarer que la reconsidération de la décision du 11 février 2010 est illégale, d’annuler en conséquence la décision du 4 juin 2010 et de rétablir celle du 11 février 2010. De manière subsidiaire, Garda (division Montréal) demande au tribunal de déclarer que le S.C.F.P. (local 3812) est l'employeur du travailleur.

L’AVIS DES MEMBRES

[6]          La membre issue des associations d’employeurs et le membre issu des associations syndicales sont d’avis que la requête en révision devrait être rejetée. Ils estiment en effet qu’il n’a pas été démontré que la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 28 mars 2013 comporte des erreurs de droit ou de faits manifestes et déterminantes.

[7]          De façon plus particulière, les membres sont d’avis, d’une part, qu’en acceptant le dépôt de la  preuve de l’envoi à la CSST de l’extrait de la convention collective, le premier commissaire ne commet pas d’erreur manifeste et déterminante puisqu’il juge ce document pertinent à la solution du litige et que les parties ont pu commenter ce document et y répondre.

[8]          D’autre part, les membres estiment que le premier commissaire commet une erreur de droit lorsqu’il analyse la régularité du processus de reconsidération de la décision du 11 février 2010 en vertu des dispositions du Règlement sur le financement alors que c’est plutôt l’article 365 de la loi qui trouve application. Toutefois, cette erreur n’est pas déterminante puisqu’elle n’emporte pas le sort du litige quant à la régularité de la reconsidération.

[9]          Enfin, la question de savoir qui est l’employeur du travailleur au moment de l’événement relève de l’appréciation de la preuve et de l’application de la jurisprudence que fait le premier commissaire. Sa décision est motivée et intelligible. Cette appréciation lui appartenait et le présent tribunal ne peut substituer la sienne à celle de la première formation.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[10]       La Commission des lésions professionnelles doit décider s’il y a lieu de réviser la décision rendue par le tribunal le 28 mars 2013.

[11]       L’article 429.49 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) prévoit qu’une décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel :

429.49.  Le commissaire rend seul la décision de la Commission des lésions professionnelles dans chacune de ses divisions.

 

Lorsqu'une affaire est entendue par plus d'un commissaire, la décision est prise à la majorité des commissaires qui l'ont entendue.

 

La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.

__________

1997, c. 27, a. 24.

 

 

[12]       La loi prévoit un recours en révision ou révocation dans certaines circonstances particulières :

429.56.  La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :

 

1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;

 

2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;

 

3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.

 

Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.

__________

1997, c. 27, a. 24.

 

 

[13]        Conformément à l’article 429.57 de la loi, la requête en révision ou révocation doit être présentée dans un délai raisonnable suivant la décision visée et indiquer les motifs à son soutien.

[14]        En l’espèce, le tribunal siégeant en révision juge que la requête présentée le 17 mai 2013 respecte, compte tenu des délais de notification de la décision, le délai raisonnable prévu par la loi, lequel est assimilé à un délai de 45 jours. De plus, la requête expose les motifs à son soutien.

[15]        Le recours en révision ou révocation en est un d’exception, dans un contexte où les décisions rendues par la Commission des lésions professionnelles sont finales et sans appel. Ainsi, une décision ne peut être révisée ou révoquée que si l’un des motifs énumérés à l’article 429.56 de la loi est démontré.

[16]        L'employeur invoque au soutien de sa requête que la décision comporte un vice de fond de nature à l’invalider. De façon plus spécifique, il allègue trois motifs de révision qui constituent à son avis autant d’erreurs de droit manifestes et déterminantes.

[17]        Les notions de «vice de fond» et «de nature à l’invalider» ont été interprétées par la Commission des lésions professionnelles. L’interprétation retenue par le tribunal a par la suite été confirmée par la Cour d’appel. Le tribunal retient des enseignements de la jurisprudence que le vice de fond de nature à invalider la décision est une erreur manifeste de droit ou de faits ayant un effet déterminant sur l’objet de la contestation[2], une erreur qui est déterminante dans les conclusions atteintes[3].

[18]        L’interprétation d’un texte législatif ne conduit pas nécessairement au dégagement d’une solution unique. Ainsi, la simple divergence d’opinions quant à la façon d’interpréter une disposition législative ne constitue pas un vice de fond[4]. Par ailleurs, le fait d’écarter ou d’omettre une règle de droit applicable constitue une erreur de droit manifeste et déterminante[5].

[19]        Il faut aussi retenir que le pouvoir de révision ne peut être une répétition de la procédure initiale ni un appel déguisé sur la base des mêmes faits et arguments[6]. Dans le cadre d’un recours en révision, le juge administratif ne peut non plus substituer son opinion ou son appréciation de la preuve à celle de la première formation. Ce n’est pas non plus une occasion pour une partie d’ajouter de nouveaux arguments[7].

[20]        Dans l’affaire CSST c. Touloumi[8], la Cour d’appel écrit qu’une décision attaquée pour vice de fond ne peut faire l’objet d’une révision interne que lorsqu’elle est entachée d’une erreur dont la gravité, l’évidence et le caractère déterminant ont été démontrés par la partie qui demande la révision.

[21]        Enfin, la Commission des lésions professionnelles siégeant en révision doit faire preuve d’une grande retenue puisque la première décision rendue fait autorité et ce n’est qu’exceptionnellement que cette décision pourra être révisée[9].

[22]        Qu’en est-il en l’espèce ?

[23]        Il appert du dossier constitué par la Commission des lésions professionnelles que le 24 novembre 2009, le travailleur produit une réclamation à la CSST pour un événement du 16 novembre précédent. Il décrit qu’en voulant s’asseoir sur une chaise avec appui - bras, son pied droit a glissé et il a voulu se retenir avec son bras gauche.  Il a alors ressenti un craquement au niveau de l’épaule gauche.

[24]        Sur le formulaire de réclamation, le travailleur identifie Garda comme son employeur. Sous la rubrique Profession ou métier exercé lors de l’accident, il écrit qu’il est convoyeur de fonds, mais en libération à titre de président du syndicat.

[25]        L’agente de la CSST procède à une cueillette d’informations concernant la réclamation du travailleur. Le 23 ou le 28 janvier 2010[10], elle note au dossier qu’au moment de l’événement le travailleur était dans les locaux du syndicat, hors de l’établissement de l'employeur et qu’il était payé par l'employeur.

[26]        Le 9 février 2010, l’agente rapporte aux notes évolutives que le travailleur s’est blessé alors qu’il était en libération syndicale et qu’il était dans l’établissement du syndicat. Elle conclut que c’est au syndicat à être imputé des sommes au dossier et à être l'employeur inscrit au dossier.

[27]        Le 11 février 2010, la CSST rend une décision par laquelle elle déclare que le travailleur a subi un accident du travail le 16 novembre 2009 qui lui a causé une tendinite de l’épaule gauche, une bursite et une synovite.

[28]        Le 27 mai 2010, monsieur Guay, de la CSST envoie une note de service à madame Leblanc. Il écrit qu’il a discuté avec l'employeur et selon le document qu’on lui a transmis par télécopieur, il y a une entente entre la Société en Commandite de Transports de Valeurs Garda et le Syndicat National des Convoyeurs de Fonds SCFP local 3812. Monsieur Carrière serait le président du comité exécutif du syndicat et il serait libéré à temps plein et rémunéré 52 semaines par année par l'employeur. Monsieur Guay conclut que l’imputation aurait dû être faite au «dossier exp 77351325 et ETA 606818113» et il demande que les corrections soient faites.

[29]        Le 4 juin 2010, la note suivante est inscrite au dossier de la CSST par madame Leblanc :

Suite aux informations reçues du Syndicat National des Convoyeurs de fonds, employeur imputé à ce dossier et du service de financement de la CSST, modification de l’imputation de ce dossier, il y a entente entre la Société en Commandite de Transports de Valeurs Garda et le Syndicat National des Convoyeurs des fonds.

Le travailleur au dossier étant le président du comité exécutif du syndicat a été libéré à temps plein et rémunéré 52 semaines par année par son employeur (Garda). Modification du dossier expérience, lettre admissibilité faite à employeur (Garda) et lettre modification imputation au Syndicat.

 

 

[30]        Le 4 juin 2010, une décision d’admissibilité de la lésion est rendue et envoyée à Garda.

[31]        Le 7 juin 2010, la CSST rend une décision qu’elle envoie au Syndicat National des Convoyeurs de Fonds (le syndicat) par laquelle elle l’informe qu’elle a décidé de procéder à une nouvelle détermination de l’imputation du coût de la lésion professionnelle subie par le travailleur afin de corriger une erreur.  En conséquence, la décision du 12 avril 2010 est modifiée et aucun coût n’est imputé au syndicat.

[32]        Le 11 juin 2010, Garda demande la révision de la décision rendue le 4 juin 2010. À la révision administrative, il demande plus particulièrement la révision du fait qu’il soit identifié comme employeur et que les coûts de la lésion lui soient imputés.

[33]        Le 27 octobre 2010, la CSST rend une décision à la suite d’une révision administrative. Dans cette décision, elle  écrit que la décision rendue initialement le 4 juin 2010 n’est pas une décision de reconsidération. Il s’agit plutôt à son avis d’une première décision informant l'employeur de l’acceptation d’une réclamation d’un travailleur sous sa juridiction. La CSST ajoute que l’imputation des coûts ne fait pas l’objet du présent litige et elle ne peut donc pas en disposer.

[34]        En conséquence, la CSST confirme la décision du 4 juin 2010, déclare que le travailleur a subi une lésion professionnelle et déclare irrecevable la demande de révision portant sur l’imputation.

[35]        Garda a contesté cette décision devant la Commission des lésions professionnelles et une audience a eu lieu devant le tribunal le 29 janvier 2013.

[36]        Il appert du procès-verbal de cette audience que le travailleur a témoigné. Des documents ont été déposés, soit un extrait de la convention collective liant le travailleur à l'employeur, un rapport des semaines de travail du travailleur d’août à novembre 2009 et un extrait de la convention collective avec preuve d’envoi à la CSST le 11 mai 2010. Le dépôt en preuve de ce dernier document est fait sous réserve de l’objection formulée par l'employeur qui soutient que les critères applicables à la réouverture d’enquête ne sont pas rencontrés et que le document n’est donc pas admissible.

[37]        Le procès-verbal fait également état des admissions des parties devant le premier commissaire.

[38]        Le 28 mars 2013, le premier commissaire rend sa décision.

 

[39]        Concernant l’objet de la requête, il écrit que, d’une part, l'employeur retire toute demande portant sur la question de l’imputation des coûts, considérant qu’une décision portant sur cette question a été rendue par la CSST et a fait l’objet d’une contestation. D’autre part, l'employeur demande de rétablir la décision rendue par la CSST le 11 février 2010, voulant que le travailleur a subi une lésion professionnelle alors que le syndicat était son employeur.  Il soumet que la décision rendue le 4 juin 2010 le désignant comme employeur est une reconsidération illégale et hors délai. Subsidiairement, il demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’il n’est pas l'employeur du travailleur au moment de l’événement.

[40]        Le premier commissaire rapporte dans sa décision les admissions faites par les parties :

1.     Monsieur Daniel Carrière, le travailleur a été embauché par Garda le 12 février 1982;

 

2.     Le syndicat représente les employés syndiqués de Garda qui occupent un poste de convoyeur de fonds;

 

3.     Le syndicat et l’employeur sont liés par une convention collective en vigueur du 17 octobre 2008 au 30 septembre 2013;

 

4.     L’article 7.04 a) de la convention collective prévoit que le président du syndicat est libéré à temps plein et rémunéré par l’employeur 52 semaines par année, incluant les avantages sociaux, sans remboursement de la part du syndicat;

 

5.     Du 28 août 2005 au 22 novembre 2009 inclusivement, monsieur Carrière était président du syndicat libéré à temps plein et rémunéré selon les dispositions de la convention collective;

 

6.     Au moment des événements du 16 novembre 2009, monsieur Carrière était libéré à temps plein.

 

 

[41]        Il rapporte ensuite le témoignage du travailleur :

[9]  Le travailleur a témoigné à la demande du tribunal sur les activités spécifiques qu’il accomplissait au moment des événements. Il explique qu’il est le président d’un syndicat provincial représentant 900 membres. Il est le seul officier libéré à temps complet et le secrétaire général est libéré à mi-temps.

 

[10]  Son travail au syndicat l’amène à visiter les divisions de l’entreprise réparties à la grandeur du Québec. Il s’y rend pour régler les problèmes de relations de travail, de CSST et d’application de la convention collective, exemple déposer des griefs.

 

[11]  Il rencontre l’employeur une fois par mois pour des comités de relations de travail formels. Il a aussi diverses rencontres locales. Tous les jours, il doit entrer en communication avec des représentants de l’employeur pour régler les problèmes liés à l’application de la convention collective.

 

[12]  Il doit choisir ses routes de travail à tous les six mois comme s’il était au travail, même s’il est libéré à temps complet. Il ne rédige pas de rapport formel de ses activités à l’employeur, mais rencontre des représentants de l’employeur et des directeurs de succursales à chaque semaine avec qui il prend des rendez-vous au préalable. Si le problème ne se règle pas, il leur téléphone presqu’à chaque jour.

 

[13]  Il estime faire beaucoup plus d’heures de travail que le nombre d’heures hebdomadaires de libération qui lui sont accordées. L’employeur ne lui dicte pas son horaire. Son bureau n’est pas dans les locaux de l’employeur, mais dans un édifice adjacent.

 

[14]  Sur ce, la preuve est déclarée close.

 

 

[42]        Le premier commissaire fait état des notes évolutives du dossier et des décisions rendues par la CSST. Enfin, il expose les prétentions des parties.

[43]        Le premier commissaire dispose en premier lieu de l’objection à la preuve soulevée par Garda. Il expose qu’en réplique à un argument de l'employeur voulant que la reconsidération de la décision du 11 février 2010 a été faite hors délai, soit plus de 90 jours de la découverte d’un fait essentiel, le représentant du travailleur a demandé de produire la preuve de la transmission à la CSST le 11 mai 2010 d’un extrait de la convention collective (T-1). Cet extrait concerne la libération, avec soldes et avantages sociaux, des membres du comité exécutif du Syndicat pour s’occuper des affaires courantes, de l’administration du Syndicat, de l’application de la convention collective ou pour participer à des rencontres avec l'employeur. Cet extrait concerne également la manière dont la rémunération de la personne libérée est établie.

[44]        L'employeur s’est objecté au dépôt de cette preuve alléguant qu’il s’agit d’une demande de réouverture de l’enquête et que les conditions pour ce faire ne sont pas respectées. L’objection a été prise sous réserve et le premier commissaire en dispose dans sa décision.

[45]        Le premier commissaire reconnaît que le représentant du travailleur a demandé à produire ce document alors que la preuve avait été déclarée close par les parties. Après avoir cité un extrait de l’affaire Trudel et Transport adapté Québec Métro inc.[11], il décide de permettre le dépôt en preuve du document T-1.

[46]        Le premier commissaire motive ainsi sa décision :

[32]  Le tribunal retient qu’il n’y a pas dans la loi une procédure aussi stricte que celle prévue au Code de procédure civile du Québec régissant chacune des étapes de l’instance. Le Règlement sur la preuve et la procédure de la Commission des lésions professionnelles et la Loi sur la justice administrative de même que la jurisprudence nous enseignent d’appliquer avec souplesse les règles régissant la preuve devant le tribunal, particulièrement dans un contexte où aucune des parties n’en subit préjudice.

 

[33]  Le tribunal constate que la preuve que veut introduire le travailleur est pertinente au débat et cette pertinence s’est révélée de façon plus particulière lors de l’argumentation du procureur de l’employeur qui a soulevé l’absence de fait essentiel connu de la CSST dans le délai de 90 jours prévu à l’article 365 de la loi, donnant ouverture à une reconsidération par la CSST de sa décision rendue.

 

[34]  La communication entre les représentants du travailleur et du syndicat et la CSST du 11 mai 2010 devenait ainsi pertinente au débat. Bien qu’il ait été utile, voire nécessaire, que ce document soit lors de l’administration de la preuve du travailleur, puisque la validité de la reconsidération avait déjà été soulevée par l’employeur lors de la révision administrative, le tribunal peut difficilement écarter une preuve pertinente à laquelle l’employeur a eu l’opportunité de répliquer pour une simple question de forme.

 

[35]  Le tribunal rappelle également que cette demande est formulée avant la fin de l’audience proprement dite et avant la mise en délibéré du dossier. Selon l’affaire Trudel et Transport adapté Québec Métro inc, précitée, rien ne s’oppose à la production de documents à ce stade du dossier. Au surplus, il n’y a pas de preuve que l’employeur subit un préjudice puisqu’il a eu l’opportunité d’y répondre.

 

[36]  Pour ces motifs, le tribunal permet le dépôt de cette preuve.

 

[Références omises]

 

 

[47]        Devant le présent tribunal, l'employeur plaide que le premier commissaire a commis une erreur de fait et de droit manifeste en rejetant son objection. À son avis, il n’a pas appliqué correctement les conditions reconnues par la jurisprudence pour permettre la réouverture d’enquête. Il commet aussi une erreur en référant à l’affaire Trudel et Transport adapté Québec Métro inc[12]. puisque dans ce cas, la preuve n’était pas close comme c’est le cas en l’espèce.

[48]        La présente situation diffère en effet de celle dans l’affaire Trudel, dans laquelle la demande de produire une preuve additionnelle avait été faite avant la fin de l’enquête. Le commissaire a alors conclu qu’on pouvait difficilement parler de requête en réouverture d’enquête.

[49]        L'employeur prétend qu’en l’espèce, la demande du travailleur de déposer le document équivaut à demander la réouverture de l’enquête. Au paragraphe 30 de sa décision, le premier commissaire rapporte les arguments de l'employeur qui font référence aux critères reconnus en matière de réouverture d’enquête.

[50]        La décision rendue sur l’objection à la preuve est motivée par la souplesse dont la Commission des lésions professionnelles doit faire preuve dans l’application des règles de preuve et par la pertinence de la preuve que le travailleur souhaite produire. Le premier commissaire considère également le fait que l'employeur a pu répondre à cette preuve et faire valoir ses arguments.

[51]        Le présent tribunal considère que le contexte dans lequel le représentant du travailleur a demandé à produire le document T-1 est particulier en ce que, comme le mentionne le premier commissaire, l’audience n’était pas terminée, ce qui a permis à l'employeur de pouvoir commenter le document et faire valoir ses arguments.

[52]        Aussi, tel que le prévoit la Loi sur la justice administrative[13], le tribunal est maître de la conduite de l’audience. Il doit mener les débats avec souplesse et de façon à faire apparaître le droit et en assurer la sanction. Il appartient au tribunal de décider de la recevabilité des éléments de preuve.

[53]        De plus, afin de disposer d’un litige, la Commission des lésions professionnelles est investie des pouvoirs des commissaires enquêteurs et peut accepter toute preuve pertinente.

[54]        En retenant ultimement le critère de la pertinence de la preuve pour en accepter le dépôt, le premier commissaire ne commet pas d’erreur.

[55]        Par ailleurs, la Cour suprême a décidé que le fait de refuser en preuve un élément pertinent peut constituer une erreur de droit[14].

[56]        De plus, en acceptant le dépôt de cet élément de preuve, le premier commissaire s’est assuré que chaque partie puisse le commenter et y répondre. Il a ainsi préservé le droit des parties d’être entendu.

[57]        Pour ces raisons, le présent tribunal juge que l’acceptation en preuve du document T-1 ne constitue pas une erreur manifeste de droit, compte tenu du contexte particulier de la présente affaire.

[58]        Le premier motif de révision soumis par l'employeur n’est donc pas retenu.

[59]        Après avoir disposé de l’objection à la preuve, le premier commissaire traite de la question préliminaire soulevée par l'employeur.

[60]        Cette question préliminaire soulève l’irrégularité de la reconsidération de la décision rendue par la CSST le 11 février 2010. Devant le premier commissaire, l'employeur soutient que les conditions prévues à l’article 365 de la loi ne sont pas respectées et que la CSST ne pouvait donc pas reconsidérer la décision rendue le 11 février 2010. L’article 365 de la loi se lit comme suit :

365.  La Commission peut reconsidérer sa décision dans les 90 jours, si celle-ci n'a pas fait l'objet d'une décision rendue en vertu de l'article 358.3, pour corriger toute erreur.

 

Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'une partie, si sa décision a été rendue avant que soit connu un fait essentiel, reconsidérer cette décision dans les 90 jours de la connaissance de ce fait.

 

Avant de reconsidérer une décision, la Commission en informe les personnes à qui elle a notifié cette décision.

 

Le présent article ne s'applique pas à une décision rendue en vertu du chapitre IX.

__________

1985, c. 6, a. 365; 1992, c. 11, a. 36; 1996, c. 70, a. 43; 1997, c. 27, a. 21.

 

 

[61]        Or, dans sa décision, le premier commissaire décide que l’article 365 de la loi ne s’applique pas au présent cas. Il estime qu’en rendant la décision du 4 juin 2010, la CSST a substitué l’employeur au dossier et a ainsi rendu une décision incidente portant sur l’imputation des coûts de la lésion, soit une décision visée par le chapitre IX de la loi puisqu’elle détermine à nouveau l’imputation des coûts de la lésion dans ce dossier.

[62]        De l’avis du premier commissaire, ce sont donc les dispositions des articles 224 à 226 du Règlement sur le financement[15] qui s’appliquent en l’espèce. Dans ce contexte, il rejette deux des arguments de l'employeur :

[55]  Telle qu’on le constate dans ce dossier, la décision initiale a été rendue le 11 février 2010 et la décision reconsidérée le 4 juin 2010. L’argument de l’employeur quant au délai de 90 jours ne peut donc être retenu puisque ce n’est pas ce délai qui est applicable mais plutôt le délai de six mois prévu aux articles 224, 225 et 226 du Règlement sur le financement, précité. Le tribunal ne peut retenir également l’argument de l’employeur voulant que la CSST n’ait pas informé les parties avant de reconsidérer sa décision puisque cette exigence ne se retrouve pas au Règlement sur le financement.

 

 

[63]        En l’espèce, la contestation de l'employeur dont était saisi le premier commissaire vise la décision rendue par la CSST le 27 octobre 2010, à la suite d’une révision administrative. Par cette décision, la CSST confirme la décision rendue initialement le 4 juin 2010.

[64]        Cette décision du 4 juin 2010, adressée à Garda, est intitulée Décision d’admissibilité.  Elle déclare que le travailleur a subi un accident du travail le 16 novembre 2009, qui lui a causé une tendinite, bursite et synovite à l’épaule gauche.

[65]        Le 7 juin 2010, la CSST rend une autre décision par laquelle elle déclare qu’elle procède à une nouvelle détermination de l’imputation du coût de la lésion professionnelle afin de corriger une erreur et qu’aucun coût n’est imputé au syndicat.

[66]        Dans la décision rendue le 27 octobre 2010, à la suite d’une révision administrative, la CSST déclare que la décision du 4 juin 2010 est une première décision informant l'employeur Garda de l’acceptation d’une réclamation d’un travailleur sous sa juridiction. Il ne s’agit pas d’une reconsidération.  Elle ajoute que l’imputation des coûts ne fait pas l’objet du litige.

[67]        Rappelons que le 11 février 2010, la CSST a rendu une première décision d’admissibilité, acceptant la réclamation du travailleur. Il appert du dossier que l'employeur au dossier est alors le syndicat.

[68]        Le présent tribunal est d’avis que la décision rendue le 11 février  2010 est une décision d’admissibilité. Il en est de même de la décision rendue le 4 juin 2010.

[69]        Comme le plaide le procureur de l'employeur, toute décision d’admissibilité a des conséquences au niveau de l’imputation des coûts. En effet, conformément à l’article 326 de la loi, la CSST impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail survenu à un travailleur alors qu’il était à son emploi. Toutefois, cela ne fait pas en sorte que la décision d’admissibilité soit rendue en vertu du chapitre IX de la loi.

[70]        Si tel était le cas, aucune décision d’admissibilité ne pourrait faire l’objet d’une reconsidération en vertu de l’article 365 de la loi puisqu’il est prévu que cet article ne s’applique pas aux décisions rendues en vertu du chapitre IX.

[71]        Il appert des articles 281 à 331.3 du chapitre IX de la loi que les décisions rendues en vertu de ce chapitre visent la détermination de la classification d’un employeur (article 303), la cotisation d’un employeur (article 325) et l’imputation à un employeur de l’ensemble ou d’une partie des coûts dus en raison d’une lésion professionnelle (article 331).

[72]        De l’avis du présent tribunal, une décision d’admissibilité comme celles rendues le 11 février 2010 et le 4 juin 2010, ne sont pas des décisions rendues en vertu du chapitre IX de la loi.

[73]        En concluant que la décision reconsidérée en est une d’imputation et en procédant à l’analyse de la régularité du processus de reconsidération en fonction des articles 224 à 226 du Règlement sur le financement, le premier commissaire commet une erreur de droit puisque le cadre légal de la reconsidération de la décision d’admissibilité est l’article 365 de la loi.

[74]        L’application de la mauvaise règle de droit ou encore l’omission d’appliquer une règle de droit constitue une erreur de droit manifeste.

[75]        Cette erreur de droit manifeste est-elle déterminante, est-ce qu’elle emporte le sort du litige ?

[76]        C’est donc plutôt en vertu de l’article 365 de la loi que l’analyse de la régularité de la reconsidération devait être faite.

[77]        En vertu de l’article 365 de la loi, la CSST peut reconsidérer sa décision dans les 90 jours, si celle-ci n’a pas fait l’objet d’une décision rendue en vertu de l’article 358.3 de la loi, pour corriger toute erreur.

[78]        En l’espèce, la décision initiale a été rendue le 11 février 2010 et reconsidérée le 4 juin 2010, soit en dehors du délai de 90 jours.

[79]        La CSST peut également reconsidérer sa décision si elle a été rendue avant que soit connu un fait essentiel. Cette reconsidération doit alors être faite dans les 90 jours de la connaissance de ce fait essentiel.

[80]        Dans sa décision, bien qu’il décide que ce sont les dispositions du Règlement sur le financement qui s’appliquent, le premier commissaire analyse la question de la méconnaissance d’un fait essentiel puisque ce règlement prévoit à l’article 225 que la CSST peut déterminer à nouveau l’imputation si la décision a été rendue avant que soit connu un fait essentiel.

[81]        Les articles 365 de la loi et 225 du Règlement sur le financement réfèrent à la même notion de fait essentiel et la qualification de ce qui constitue ou non un fait essentiel se fait en fonction des mêmes critères.

[82]        Après avoir exposé qu’il existe toutes sortes de libérations syndicales et mentionné que le fait que le salaire soit défrayé par l'employeur est un élément à considérer, mais non déterminant, le premier commissaire conclut que le texte de la clause 7.04 de la convention collective communiquée à la CSST le 11 mai 2010, comportant le détail des modalités de la libération syndicale du président, prend toute son importance. Il écrit :

[60]  L’information communiquée à la CSST le 11 mai 2010, soit le texte de la clause 7.04 de la convention collective comportant le détail des modalités de la libération syndicale du président, prend toute son importance.

 

[61]  La CSST constate que la libération du président doit être autorisée par l’employeur. Qu’il est libéré à temps plein aux frais de l’employeur, sans aucune forme de remboursement de la part du syndicat. Que cette libération a pour but de permettre au président de s’occuper des affaires courantes, de l’administration du syndicat, mais également de l’application de la convention collective et pour participer à des rencontres avec l’employeur.

 

[62]  L’ensemble de ces informations n’était pas en possession de la CSST, le 11 février 2010. Ces informations constituent un fait essentiel au sens de l’article 225 du Règlement sur le financement et elles justifiaient la reconsidération de la décision de la CSST. La décision de considérer le syndicat comme employeur a porté sur une situation de faits incomplète ou non conforme à la réalité.

 

 

[83]        Que l’analyse de l’existence d’un fait essentiel soit faite en fonction de l’article 365 de la loi ou de l’article 255 du Règlement sur le financement n’est pas déterminant en l’espèce puisque cette notion est interprétée de la même manière par la jurisprudence.

[84]        Le premier commissaire décide que des informations essentielles étaient inconnues de la CSST au moment de rendre sa décision le 11 février 2010. Il en serait arrivé à la même conclusion s’il avait procédé à cette analyse en vertu de l’article 365 de la loi.

[85]        Par ailleurs, le  tribunal est d’avis que le fait de déterminer s’il existe ou non en l’espèce un fait essentiel inconnu de la CSST au moment de rendre sa décision est une question de faits. L’appréciation de la preuve pour décider de cette question appartient au premier commissaire et le présent tribunal ne saurait substituer sa propre appréciation à la sienne.

[86]        Par ailleurs, le recours en révision ne doit pas être un appel déguisé sur la base des mêmes faits et arguments.

[87]        De plus, le délai de 90 jours est ici respecté, dans la mesure où le premier commissaire reconnaît que la CSST a eu connaissance d’un fait essentiel le 11 mai 2010.

[88]        Conformément à l’article 365 de la loi, avant de reconsidérer une décision, la CSST en informe les personnes à qui elle a notifié cette décision.

[89]        En l’espèce, le premier commissaire ne traite pas de cette obligation puisqu’il n’applique pas l’article 365 de la loi. Cette omission constitue une erreur qui n’est toutefois pas déterminante.

[90]        En effet, la jurisprudence portant sur les conséquences de l’absence de l’avis prévu à l’article 365 de la loi est partagée. Pour certains, l’omission par la CSST d’aviser les parties de sa volonté de reconsidérer une décision rend la procédure de reconsidération irrégulière alors que pour d’autres, ce n’est pas le cas.

[91]        Dans l’affaire Davila et 9135-7103 Québec inc[16]., le tribunal déclare que l’omission par la CSST d’informer les parties de sa démarche de reconsidération rend la décision non conforme. Le tribunal déclare la reconsidération irrégulière et rétablit la décision initiale.

[92]        Dans l’affaire Latreille et 90141672 Québec inc.[17], il est plutôt décidé que même si le travailleur n’a pas été suffisamment avisé, cette irrégularité pouvait être rectifiée en révision et en appel.

[93]        Dans l’affaire Bergeron et Gamma Industries inc[18]., le commissaire écrit :

[20]  Le tribunal est d’avis que le seul fait pour la CSST de ne pas aviser une partie avant de reconsidérer n’affecte pas la régularité de la procédure. En effet, il s’agit davantage d’une mesure visant à tenir une partie informée d’un revirement dans son dossier plutôt que d’une mesure péremptoire affectant la validité de la procédure suivie par la CSST. Les seules conditions essentielles sont l’existence d’une erreur et le délai de 90 jours, comme ce fut le cas dans le présent dossier.

 

 

[94]        En présence de deux courants jurisprudentiels, il n’appartient pas au présent tribunal de trancher entre les deux positions ou d’en privilégier une plutôt qu’une autre.

[95]        L’erreur commise n’est donc pas déterminante et il n’y a pas lieu de réviser la partie de la décision portant sur la régularité du processus de reconsidération.

[96]        Le deuxième motif de révision présenté par l'employeur n’est pas non plus retenu.

[97]        Ultimement, le premier commissaire devait déterminer qui est le véritable employeur du travailleur au moment où survient la lésion, le syndicat ou Garda ?

[98]        Il en vient à la conclusion que Garda est l'employeur.

[99]        Dans sa requête en révision et à l’audience, Garda plaide que cette conclusion n’est pas supportée par la preuve, résulte d’hypothèses et fait fi de la jurisprudence applicable. Il ajoute que cette conclusion engendre un résultat illogique et non souhaité par le législateur. Il soumet que le premier commissaire dénature la notion de subordination telle qu’interprétée par la jurisprudence.

[100]     Pour trancher la question de l’identification de l'employeur au moment de l’événement, le premier commissaire réfère en premier lieu aux définitions de travailleur et d’employeur que l’on retrouve dans la loi.

[101]     Il procède ensuite à l’analyse de la preuve et conclut que Garda est demeuré l'employeur du travailleur.

[102]     Au soutien de sa décision, le premier commissaire considère plusieurs éléments :

[68]  Le tribunal retient de la preuve que le président du syndicat est avant tout un salarié de l’employeur, son emploi habituel est camionneur. La rémunération qui lui est versée en tant que président du syndicat libéré à temps plein, par l’employeur, est celle qu’il recevrait s’il était au travail pour le compte de l’employeur.

 

[69]  La convention collective précise qu’il doit choisir ses assignations selon son rang d’ancienneté, afin que l’on puisse établir sa rémunération. Il conserve tous ses avantages sociaux prévus à la convention collective, comme tout autre employé de l’entreprise.

 

[70]  L’employeur allègue qu’il n’a aucun contrôle sur les activités du président du syndicat. Ce n’est pas ce que le tribunal retient de la preuve. La convention collective précise que la libération du président doit être autorisée par l’employeur et pour les fins mentionnées à l’article 7.04, soit s’occuper des affaires courantes du syndicat, mais également de l’application de la convention collective. Il doit de plus participer aux rencontres avec l’employeur.

 

[71]  L’employeur peut-il raisonnablement prétendre que lorsque le président du syndicat participe à des rencontres ou à des discussions avec ses représentants, dans le but de voir à l’application conforme de la convention collective qui régit l’organisation du travail, ce dernier ne rend pas des services aux fins de son établissement. Le tribunal ne le croit pas. Le rôle du président s’inscrit dans la réalisation de la mission de l’établissement de l’employeur qui ne peut se faire que si l’organisation du travail fonctionne de façon adéquate. Le président du syndicat participe à l’atteinte de cette mission par son rôle d’intermédiaire entre ses membres et la direction de l’entreprise.

 

[72]  En autorisant la libération du président du syndicat à temps plein, l’employeur s’assure de la disponibilité d’un interlocuteur pour régler les problèmes d’application de la convention collective. Si ses interventions profitent aux membres du syndicat, elles profitent également à l’entreprise de l’employeur, motif pour lequel il accepte probablement d’acquitter le salaire et les avantages sociaux de ce dernier, comme s’il était au travail. Le syndicat en tant qu’agent négociateur de la convention collective participe à la vie de l’entreprise et au maintien d’un climat harmonieux de travail qui favorise la réalisation de la mission de l’employeur.

 

[73]  Quant au contrôle de l’employeur sur les activités du président, le tribunal considère que l’employeur balise la libération syndicale consentie au président. Il pourrait certes, cesser de rémunérer le président du syndicat si ce dernier ne s’acquittait plus des tâches prévues à l’article 7.04 de la convention collective. Le tribunal y voit là un lien de subordination et d’emploi qui sont maintenus.

 

 

[103]     Le premier commissaire réfère ensuite à deux décisions portant sur le prêt de service et sur la durée de la libération syndicale.

[104]     Il reconnaît que la jurisprudence fait une distinction entre la libération syndicale ponctuelle et celle de longue durée. Il explique pourquoi il s’écarte de la jurisprudence citée :

[76]  Le tribunal souscrit aux propos de sa collègue, quant au fait qu’il n’y a pas de rupture du lien d’emploi dans un tel contexte. Le tribunal nuance toutefois lorsqu’il est question de libération de longue durée. Dans le présent dossier, il est admis que le travailleur, qui est président du syndicat, est libéré à temps plein depuis 2005, soit depuis quatre ans, au moment où survient la lésion. La durée de cette libération lui fait-elle perdre son statut de salarié de l’employeur?

 

[77]  De l’avis du tribunal, la seule durée de la libération syndicale n’est pas un facteur déterminant. La convention collective ne prévoit pas que le travailleur est libéré pour une longue période d’avance. Elle prévoit que le président du syndicat bénéficie de cette libération. Si le travailleur perd son statut de président, il perd également sa libération syndicale.

 

[78]  De toute évidence, la durée prévisible de la libération ne peut excéder la durée du mandat du président. Il serait paradoxal qu’un travailleur qui est réélu par ses pairs comme président du syndicat pour un troisième ou quatrième mandat, perde son statut de travailleur uniquement à cause de sa réélection, alors que, s’il perd son élection, son remplaçant en bénéficierait. Ce serait pour le moins incongru. À partir de combien de renouvellements perd-on son statut de travailleur? Ce concept est, de l’avis du soussigné, inapplicable.

 

[79]  Le facteur déterminant demeure la finalité de la libération. Est-elle au bénéfice de l’entreprise ou est-elle au seul bénéfice du syndicat ou encore du travailleur? Quel est le contrôle qu’exerce l’employeur sur la libération ou sur l’employé pendant sa libération? Ce sont là, les éléments les plus pertinents à considérer, bien avant la durée de la libération.

 

 

[105]     Le premier commissaire explique ensuite aux paragraphes 80 et 81 en quoi les décisions soumises par l'employeur diffèrent du cas sous étude.

[106]     De l’avis du présent tribunal, la conclusion du premier commissaire voulant que Garda soit l'employeur du travailleur au moment de la lésion relève de l’appréciation et de l’analyse qu’il fait de la preuve et de l’application de la jurisprudence.

[107]     Le premier commissaire a procédé à une analyse de l’ensemble de la preuve et a expliqué pourquoi il s’écartait de certains principes jurisprudentiels. La décision est motivée.

[108]     Que le présent tribunal ne soit pas d’accord avec cette interprétation ou cette conclusion ne constitue pas un motif de révision. En effet, le tribunal siégeant en révision ne peut procéder à une nouvelle appréciation de la preuve en fonction des arguments soumis par l'employeur. Il ne peut substituer sa propre interprétation ni sa conclusion à celle de la première formation.

[109]     Le premier commissaire a motivé sa décision et expliqué pourquoi il ne retenait pas la seule durée de la libération comme facteur déterminant. Par ailleurs, la durée de la libération n’apparaît pas comme le seul critère retenu par le premier commissaire pour rendre sa décision.

[110]     Les arguments soumis par Garda au soutien de la requête en révision visent à obtenir, sur la base des mêmes faits et arguments, une autre conclusion que celle retenue par le premier commissaire.

[111]     L’interprétation que fait le premier commissaire de la preuve n’est peut-être pas celle que prône Garda. Elle n’est peut-être pas celle non plus que le tribunal aurait retenue à la suite de sa propre analyse de la preuve soumise. Il n’en demeure pas moins qu’au stade de la révision, le rôle du tribunal consiste à rectifier, le cas échéant, une erreur qui doit être grave, évidente et déterminante et non de substituer à une première interprétation de la preuve sa propre interprétation[19]. La preuve d’une telle erreur n’est pas faite en l’instance.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requête de Garda (division Montréal).

 

 

 _________________________________

 

 Diane Lajoie

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Me Patrick Galizia

NORTON ROSE FULBRIGHT Canada

Représentant de la partie requérante

 

 

M. Pierre Handfield

S.C.F.P.

Représentant de la partie intéressée

 

 



[1]           RLRQ, c. A-3.001.

[2]           Produits forestiers Donohue inc. et Villeneuve [1998] C.L.P. 733.

[3]           Franchellini et Sousa [1998] C.L.P. 783.

[4]           Tribunal administratif du Québec c. Godin [2003] R.J.Q. 2490 (C.A.); Amar c. CSST [2003] C.L.P. 606 (C.A.); CSST c. Fontaine [2005] C.L.P. 626 (C.A.).

[5]           Champagne et Ville de Montréal, 236011-63-0406, 23 février 2006, S. Di Pasquale; Techno-Pro inc. (fermé) et A.C.Q. Mutuelle 3-R [2010] C.L.P. 587.

[6]           Tribunal administratif du Québec c. Godin,  citée note 4.

[7]           Bourassa c. CLP [2003] C.L.P. 601 (C.A.) requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée, 22 janvier 2004 (30009); CSST c. Fontaine, citée note 4.

[8]           [2005] C.L.P. 921 (C.A.).

[9]           Louis-Seize et CLSC-CHSLD de la Petite-Nation, 214190-07-0308, 20 octobre 2005, L. Nadeau (05LP-220).

[10]         La date est difficilement lisible sur le document.

[11]         2008 QCCLP 2347.

[12]         Citée note  11.

[13]         RLRQ, c. J-3.

[14]         Syndicat des employés de l’Université du Québec à Trois-Rivières et Larocque [1993] 1 RCS 471.

[15]         RLRQ, c. A-3.001, r.7.

[16]         [2009] C.L.P. 19.

[17]         90863-62-9708, 31 mars 2000, É. Ouellet, requête en révision judiciaire rejetée, C.S. Montréal, 500-05-057966-002, 7 mars 2001, j. Côté; Chenette et Distribution M.F. enr., 116295-62A-9905, 13 octobre 1999, D. Rivard.

[18]         207745-31-0305, 26 février 2004, J.L. Rivard.

[19]         Industries Raleigh du Canada ltée, 337372-62B-0801, 28 juillet 2009, S. Sénéchal.

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