Section des affaires sociales
En matière d'indemnisation
Référence neutre : 2015 QCTAQ 02177
Dossiers : SAS-M-207184-1301 / SAS-M-218268-1311 / SAS-M-218670-1311
JOSÉE CARON
CHAHÉ-PHILIPPE ARSLANIAN
c.
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC
et
COMMISSION DE LA SANTÉ ET DE LA SÉCURITÉ DU TRAVAIL (IVAC)
Partie mise en cause
[1] La requérante (madame) conteste deux décisions en révision de la mise en cause, la Commission de la santé et sécurité du travail (IVAC).
[2] La décision du 12 décembre 2012 maintient un refus de relation entre la fibromyal-gie et les événements du 8 septembre 2008 et du 22 juin 2010 (SAS-M-207184-1301).
[3] La décision du 14 novembre 2013 maintient le taux octroyé pour l’incapacité permanente (IP) à la requérante en lien avec les deux événements, soit 9 %. Ce taux est la somme du déficit anatomo-physiologique (DAP), (6 % à titre de névrose du groupe I et 3 % à titre de troubles de la personnalité) et de l'incapacité au travail (IT) (0 %) (SAS-M-218268-1311).
[4] Par son recours, la requérante désire faire la preuve que la fibromyalgie est en relation avec les événements survenus en bas âge. De plus, elle demande au Tribunal de reconnaître que ses blessures sont consolidées et correspondent à un IP de 100 %, composé d’un DEP de 30 % en lien avec la fibromyalgie, d’un DEP de 25 % en lien avec la condition psychique, et d’une IT de 45 %.
[5] Tel que discuté avec les parties à l’audience, le troisième dossier de la requérante résulte d’une erreur cléricale du secrétariat du Tribunal. La seconde contestation de la requérante est reprise une nouvelle fois (dossier SAS-M-218670-1311). Ce dossier n’a pas d’objet, le recours du dossier précédent s’adressant à la question en litige. Par contre, la documentation transmise par l’intimée étant différente, la documentation des trois dossiers sera utilisée par le Tribunal dans cette affaire.
[6] Une audience a été tenue le 8 octobre 2014. La requérante, son conjoint et deux médecins experts ont témoigné. Les procureurs des deux parties ont présenté leurs arguments. Tel qu’entendu, une argumentation écrite sur un point précis a été produite après l’audience. Le délibéré a débuté le 14 novembre 2014.
[7] La requérante complète une demande de prestations à l’IVAC le 10 septembre 2008. Elle est âgée de 35 ans à l’époque.
[8] Elle écrit avoir vécu des abus sexuels et de la violence de la part du conjoint de sa mère entre les années 1976 et 1986. Les événements ont eu lieu alors qu’elle était âgée de 3 à 13 ans.
[9] Amenée à justifier son retard à effectuer sa demande à l’IVAC, la requérante indique qu'elle avait enfoui ces abus dans sa mémoire. Au moment où il est découvert que des abus sexuels ont été commis sur sa propre fille, la requérante réagit vivement. Son passé lui revient en mémoire et des liens sont faits.
[10] Dans une lettre du 21 avril 2009, une agente d’indemnisation indique que sa demande à l’IVAC est acceptée. « Malgré sa présentation tardive, nous considérons que la demande a été faite dans les délais, soit dans l’année de la survenance de la blessure. En effet, ce n’est qu’à compter du 8 septembre 2008 que vous avez été en mesure de faire le lien entre votre condition psychologique et l’acte criminel subi. Nous vous informons que c’est à la date mentionnée ci-haut que seront déterminés vos droits aux indemnités et aux services, et que ce n’est qu’à compter de cette date que des prestations vous seront versées, le cas échéant. »
[11] C’est ainsi que la date de l’événement (8 septembre 2008) est choisie.
[12] La requérante rencontre une psychologue dans le cadre des thérapies remboursées par l’IVAC. Celle-ci lui permet de réfléchir et de prendre conscience des gestes de violence que sa mère lui a fait subir durant son enfance. Sa mère a aussi joué un rôle dans les abus que la requérante a subis de la part de l’ancien conjoint de sa mère.
[13] Dans une note interne de l’IVAC du 2 février 2011[1], il est écrit que la requérante se questionne sur la relation entre la fibromyalgie[2] dont elle souffre et les abus sexuels et physiques qu'elle a subis en bas âge. La conseillère lui suggère de faire une nouvelle demande à l’IVAC pour le volet de la violence physique.
[14] Le 30 septembre 2011, l’IVAC accepte sa demande[3] concernant la violence subie de la part de sa mère, soit entre 1981 et 1991 environ. La date du 22 juin 2010 est choisie par l'IVAC pour cet événement.
[15] Les deux événements ayant eu lieu en bas âge et en bonne partie de façon concurrente, la mise en cause choisit d'unir les deux réclamations et de les traiter conjointement. Il faut toutefois noter que les gestes d’abus sexuels, de violence psychologique et de carence affective ont eu lieu sur une période de plusieurs années.
[16] Le 12 octobre 2012, l’IVAC rend une décision portant sur le refus de relation entre la fibromyalgie et les deux événements.
[17] La requérante ayant contesté cette décision, une décision du Bureau de la révision administrative est rendue le 12 décembre 2012. Le refus de relation est maintenu. Il est indiqué que le médecin-conseil de l'IVAC a examiné la preuve médicale au dossier : dans une note médicale de juillet 2009, il serait indiqué que la douleur diffuse est présente depuis 2000.[4]
[18] Le diagnostic de fibromyalgie n’est pas remis en cause par l'IVAC, ni par l'intimée qui la représente. Qu'en est-il de la date de son diagnostic et de sa relation avec les événements vécus en bas âge?
[19] Le 1er juillet 2009, la requérante obtient un premier rendez-vous à la clinique d’un groupe de médecine familiale. Elle aura un suivi régulier par la suite. Il est indiqué qu’elle rencontre le lendemain un rhumatologue pour « voir si dx fibromyalgie tient ou non et sinon c’est quoi ses dlr chronique. » Selon le médecin, la requérante ne s’empêche toutefois pas de faire ses activités car elle ne veut pas diminuer ses capacités.
[20] Dr Marie-Anais Rémillard, rhumatologue, évalue la requérante le 2 juillet 2009 et pose le diagnostic de fibromyalgie. Elle écrit que madame rapporte de la douleur diffuse depuis 2000 et que le diagnostic aurait été posé par son médecin de famille à cette épo-que[5]. La requérante utilise des antidépresseurs. Elle dort mal et est fatiguée d’avoir mal. Le diagnostic est « fibro probable ». Le médecin prescrit des médicaments et verra la requé-rante à quelques reprises avant de confier le suivi à la Clinique de médecine familiale.
[21] Deux médecins experts se sont prononcés sur la relation entre le diagnostic de fi-bromyalgie et les événements survenus durant l’enfance et l’adolescence de la requérante.
[22] Dr Alain Bissonnette[6], dans son rapport du 18 novembre 2013, écrit que cette relation est probable. Il utilise certains critères d’imputabilité. Il en fait la revue et joint à son rapport plusieurs articles scientifiques.
[23] Dr Pierre Richer, anesthésiologiste, a effectué une évaluation de la requérante le 6 juin 2014, à la demande de la partie intimée. Son rapport écrit est du 29 juillet 2014. Dr Richer a témoigné à l’audience en apportant certaines précisions.
[24] Les deux médecins experts sont d’accord pour conclure que la requérante est porteuse du diagnostic de fibromyalgie.
[25] Ils sont aussi d’accord sur le fait que des études ont démontré une augmentation du risque de développer la fibromyalgie lorsqu’un individu a subi des abus sexuels, et notamment si ces circonstances surviennent durant l’enfance[7].
[26] Dr Richer écrit :
« Les événements traumatisants que madame a subis sont survenus dans l’enfance. Le diagnostic de fibromyalgie est documenté au dossier au début des années 2000, alors que madame était âgée de 30 ans. Ce qui correspond à l’âge où se manifeste habituellement le syndrome de la fibromyalgie ».
[27] Il ajoute :
« Entre les agressions subies dans l’enfance et le diagnostic de la fibromyalgie, noté au dossier à partir de l’an 2000, il y a un long silence médical qui correspond à une faible probabilité que cette patiente souffrait d’un syndrome de fibromyalgie depuis sa petite enfance.
(…) l’étiologie de la fibromyalgie demeure une énigme médicale et, de plus, l’existence même de la maladie ne fait pas consensus entre différentes écoles de pensée de médecine. Les blessures physiques et psychologiques qu’a subies madame dans l’enfance font partie des nombreux facteurs qui ont contribué à déclencher la perception de ce syndrome douloureux pancorporel. »
(Transcription conforme)
[28] Dr Richer écrit aussi :
« À cet effet, il faut noter que la relation entre la douleur et la détresse psychologique est complexe, considérant que l’impuissance et la détresse sont parfois causées par la douleur et, d’autres fois la conséquence de la douleur. Parmi les facteurs psychosociaux et comportementaux qui sont considérés comme des facteurs de risque pour développer les douleurs chroniques diffuses pancorporelles et la fibromyalgie, ou considéré comme survenant à la suite de douleurs chroniques diffuses pancorporelles et la fibromyalgie, mentionnons les suivants : la détresse psychologique, la comorbidité psychiatrique, les facteurs cognitifs et affectifs comme la catastrophisation, les troubles d’adaptation, les gains secondaires relatifs à des carences affectives en particulier durant l’enfance ou un contexte de judiciarisation de la douleur.
En conclusion, il est probable que les agressions survenues durant l’enfance de madame doivent être considérées comme des facteurs de risques relatifs à l’apparition de la fibromyalgie à l’âge adulte et non comme lien causal direct entre ces événements et la fibromyalgie. Les connaissances en sciences neurologiques sur les mécanismes fonctionnels de la douleur chronique nous permettent de mieux traiter la fibromyalgie, mais l’étiologie de ce syndrome demeure inconnue actuellement. »
[29] La procureure de l’intimée allègue que la preuve n’a pas été faite d’un lien causal entre les agressions subies durant l’enfance et la fibromyalgie, tout au plus peut-on parler d’une possibilité. Elle ajoute que d’autres facteurs de risque sont présents chez la requérante, notamment à l’adolescence, ainsi que la présence de deux conjoints violents, les difficultés avec sa fille et avec le fils de son présent conjoint.
[30] Le Tribunal estime que les enseignements de la Cour d’appel sont utiles dans ce dossier.
[31] Dans l’affaire Viger[8], la Cour d’appel a statué que le TAQ ne pouvait pas exiger une preuve ayant la rigueur d’une preuve scientifique, mais qu’il devait plutôt exiger une preuve prépondérante comme celle traditionnellement acceptée en matière de responsa-bilité civile. Il ne faut pas confondre la causalité scientifique et la causalité juridique.
[32] Le Tribunal est d’avis que Dr Richer a témoigné de la causalité scientifique de la fibromyalgie.
[33] La présente formation conclut que la preuve soumise démontre de façon prépondérante qu’il existe une relation probable entre la fibromyalgie et les agressions sexuelles, psychologiques et physiques subies durant l’enfance.
[34] Dr Pierre Laberge, psychiatre expert, écrit dans son rapport que la requérante « est née et s’est développée à l’intérieur d’un milieu familial totalement disloqué et qui plus est totalement pathologique. (…) L’histoire personnelle rappelée est un tableau d’horreur.[9] » . Dr Jacques Bouchard, psychiatre expert pour l’intimée, écrit dans son rapport que la requérante a vécu une multiplicité d’événements traumatisants à l’époque de l’enfance et de l’adolescence. Des éléments de carence sont présents.
[35] Par ailleurs, la preuve documentaire révèle que la requérante a consulté à l’Hôpital A le 11 août 1986 et au département d’orthopédie d’un autre Centre hospitalier le 9 août 1990. Elle avait respectivement 12 et 16 ans.
[36] En 1986, la requérante rapporte de la lombalgie. Le pédiatre écrit que l’expulsion de la personne qui l’a abusée est survenue quelques mois auparavant.
[37] En 1990, l’orthopédiste, s’exprimant sur les plaintes de la requérante, écrit :
« Plusieurs douleurs musculosquelettiques que la patiente incombe à son contexte antérieur d’enfant battue.
Principalement, on retient :
1) Douleurs dorsales interscapulaires chroniques avec épisode aigu (mot illisible) lors mouvements de flexion du tronc
2) Gonalgie bilatérale lors mise en charge- lors marche prolongée. Impression de dérobade lors descente d’escalier »
(Transcription conforme)
[38] À l’examen physique, il indique qu’il n’y a pas de scoliose, ni de déformation, et que les amplitudes de mouvements sont normales. Il y a présence de douleur à la palpation de toute la colonne.
[39] Des radiographies se révèlent normales. Il conclut en :
« 1) Douleurs dorsales chroniques sans anomalie du rachis
2) Gonalgie bilatérale secondaire au syndrome fémoro-patellaire sans instabilité
3) Contexte social secondaire. »
[40] Des médicaments anti-inflammatoires sont prescrits.
[41] C’est donc dire que la requérante présentait de la douleur à la palpation de la région lombaire à 12 ans et à toute la colonne à l’âge de 16 ans, au point de consulter dans un Centre hospitalier.
[42] Le Tribunal ne croit pas qu’il faille écarter la relation entre la fibromyalgie et les abus vécus à l’enfance en raison du fait que le diagnostic a été posé en 2000, ou au plus tard en 2009. Dr Richer indique dans son rapport que la fibromyalgie est habituellement diagnostiquée à l’âge de 30 ans (la majorité entre 30 et 40 ans). Exiger que, dans le cas de la requérante, le diagnostic ait été posé dans l’enfance ou à l’adolescence pour établir la relation est irréaliste et va à l’encontre des connaissances médicales. La preuve démontre que la requérante a présenté des épisodes de douleur musculo-squelettique documentés à l’âge de 12 et 16 ans.
[43] La prétention de la partie intimée que les actes de violence vécus par la requérante plus tard à l’adolescence et dans sa vie de jeune adulte aient pu jouer un rôle aussi ou plus important dans le développement de la fibromyalgie n’est pas retenue par le Tribunal. Si ces événements ont une possible importance, le fait est que les études scientifiques démontrant un facteur de risque statistiquement significatif (et dont ont fait mention les différents experts) ont porté sur des abus en bas âge.[10]
[44] La décision en révision du 12 décembre 2012 est ainsi infirmée et la relation reconnue.
[45] Le Tribunal traite maintenant de la question de l’IP.
[46] La procureure de l’intimée allègue que si le Tribunal en venait à reconnaître la relation entre la fibromyalgie et les événements, le dossier devrait être retourné à la mise en cause. Elle ajoute que les deux médecins experts ont recommandé une prise en charge par une équipe multidisciplinaire. La condition de la requérante n’est pas encore consolidée et il serait prématuré de statuer sur le DAP et l’IT.
[47] Pour sa part, la partie requérante plaide que l’incapacité permanente relative à la fibromyalgie doit être analysée par le Tribunal, en même temps que la condition psychiatrique. Le Tribunal a tous les éléments pour se prononcer. Retourner le dossier à l’IVAC pour qu’elle se prononce sur le DAP et l’IT attribuables à la fibromyalgie serait préjudiciable à madame.
[48] Malgré les positions divergentes des parties sur l’enseignement à tirer de l’Arrêt J.R. c. SAAQ et TAQ de la Cour d’appel[11], la présente formation est d’avis que cette affaire diffère du présent dossier pour un motif différent. Dans l’arrêt précité, le Service de la révision administrative de la SAAQ avait tous les éléments pour prendre sa décision concernant les séquelles et il ne l’avait pas fait. La Cour conclut que le TAQ avait compétence pour rendre la décision qui devait être rendue.
[49] Malgré ce fait, le Tribunal est d’avis qu’il a tous les éléments pour décider de l’IP.
[50] Pour trancher dans la présente affaire, le Tribunal retient que les deux experts ont traité de la question de l’incapacité permanente dans leurs rapports, déposés après la décision de la révision administrative. Les procureurs des deux parties ont eu le loisir de présenter leurs arguments sur l’incapacité permanente, en motivant les taux de DAP et d’IT, qu’à leur avis, le Tribunal devrait retenir. La règle Audi alteram partem est respectée.
[51] Retourner le dossier à l’IVAC pour qu’elle statue sur cette question apporte un « allongement néfaste des délais d’indemnisation des victimes » comme l’a exprimé la Cour d’appel.[12]
[52] En ce qui concerne la question de la consolidation de la lésion de fibromyalgie, la présente formation ne croit pas que la requérante doive attendre encore des années pour se voir indemniser. La fibromyalgie est une condition qui fluctue dans le temps[13], de façon plus ou moins importante selon les individus. Aucune preuve n’a été soumise démontrant que l’état de la requérante pourrait s’améliorer de façon significative. La requérante a témoigné du fait qu’elle a tenté de multiples médicaments sans grand succès. Les experts mentionnent qu’un soulagement potentiel de la douleur est possible à la suite d’une prise en charge par une équipe spécialisée. Quant à la possibilité que la condition de fibromyalgie puisse se dégrader dans l’avenir, le Tribunal rappelle que la requérante aura l’opportunité de faire reconnaître une aggravation de sa condition, si tel est le cas dans le futur, auprès de la mise en cause.
[53] Le Tribunal ayant en main tous les éléments pour se prononcer, il examine maintenant cette question.
[54] Dr Richer est d’opinion que la condition de la requérante n’étant pas consolidée, il ne peut pas déterminer les limitations fonctionnelles. Par ailleurs, il est d’avis que la condition actuelle de la requérante correspond à un total de 8 %[14] au niveau du DAP.
[55] Dr Bissonnette, de son côté, indique que la condition de la requérante s’apparente, par analogie, à une ATTEINTE CÉRÉBRO-SPINALE, perturbations des fonctions cognitives supérieures, et que son état correspond à un taux de 20-40 % (nécessité d’une certaine surveillance).
[56] Le Tribunal, après avoir examiné le barème applicable, est d’avis, comme les médecins experts, qu’aucune condition décrite à l’annexe A du Règlement ne correspond précisément à la notion de fibromyalgie et qu’il faut agir par analogie.
[57] L’article 2 du Règlement sur le barème des déficits anatomo-physiologiques[15] énonce :
« 2. Un accidenté dont l’intégrité physique est atteinte se voit reconnaître un pourcentage de déficit anatomo-physiologique accordé selon les titres I à XI de l’annexe A.
Toutefois, dans le cas où une lésion ne figure pas au barème prévu par les titres I à X de l’annexe A, l’évaluation se fait en comparant cette lésion à des lésions semblables, prévues par ce barème. »[16]
[58] Notons que le Titre II, SYSTÈME NERVEUX CENTRAL ET PÉRIPHÉRIQUE comprend quatre sections :
- A) Traumatisme cranio-cérébral
- B) Nerfs crâniens
- C) Atteinte cérébro-spinale
- D) Le système nerveux périphérique.
[59] Comme Dr Bissonnette le suggère, la présente formation conclut que le titre C) ATTEINTE CÉRÉBRO-SPINALE est la section qui correspond le mieux à la condition de fibromyalgie.
[60] Toutefois, le Tribunal est d’avis que dans la sous-section b) cerveau, l’item désor-dres neurologiques ou autres perturbations de l’état de conscience comme la syncope, l’épilepsie, la cataplexie et la narcolepsie correspond mieux à la lésion de fibromyalgie en raison du fait qu’il s’agit d’une maladie neuro-endocrinienne prenant origine au sein du système nerveux central[17] ou d’une altération de la neurophysiologie[18]. Le Tribunal retient plus particulièrement les désordres neurologiques énoncés à cette sous-section.
[61] Les descriptions des DAP à ce titre se lisent comme suit :
« i. lorsqu’elles gênent légèrement la capacité de vaquer aux activités communes à tous les individus : - 5 à 15 %
ii. lorsqu’elles dérangent modérément la capacité de vaquer aux activités communes à tous les individus : - 20 à 45 %
iii. lorsqu’elles dérangent de façon importante la capacité de vaquer aux activités communes à tous les individus : - 45 à 80 %
iv. lorsqu’elles entraînent une surveillance constante, l’internement ou empêchent l’exécution des activités communes à tous les individus :
- 100 % »
[62] Lors d’une visite médicale le 1er juillet 2009, la requérante rapporte au médecin qu’elle ne s’empêche pas de faire ses activités.
[63] Lors de l’évaluation faite par Dr Richer en 2014, la requérante rapporte qu’elle est incapable d’assurer ses soins personnels, mais qu’elle peut préparer les repas, s’occuper de la lessive, faire l’entretien ménager, tout en respectant le rythme et l’horaire de la douleur. Sa vie sociale est réduite en raison de la douleur. Elle n’a pas de passe-temps.
[64] Les témoignages de la requérante à l’audience, ainsi que celui de son conjoint, concordent avec cette description. Madame indique que la douleur s’est intensifiée depuis qu’elle a cessé toute consommation de drogues en 2010.
[65] Dr Bissonnette écrit que la requérante présente une fibromyalgie de « modérée à sévère ».
[66] De ces descriptions, le Tribunal est d’avis qu’un DAP de 25 % correspond à la condition de la requérante, les symptômes accompagnant la fibromyalgie dérangeant modérément sa capacité à vaquer aux activités communes à tous les individus.
[67] En ce qui concerne l’incapacité au travail relié à cette condition, même si la requérante ne travaillait pas au moment de sa demande à l’IVAC, la jurisprudence du Tribunal démontre qu’il peut être accordé une IT, malgré ce fait[19].
[68] La détermination du taux d’IT est une question subjective. Après avoir examiné la preuve soumise et le témoignage de la requérante, le Tribunal octroie le même taux d’incapacité au travail que celui accordé au DAP, soit 25 %. Le Tribunal ne croit pas que la requérante est totalement incapable d’occuper un emploi en regard des lésions reliées aux événements, même si elle garde des limitations, secondairement à la douleur.
[69] La preuve soumise démontre que les diagnostics psychologiques en lien avec les événements obligent la requérante à recourir, de façon constante, à des mesures thérapeutiques soulageantes. La requérante rencontre régulièrement un psychiatre, voit encore la psychologue, même si cette dernière n’est plus rémunérée par la mise en cause, et reçoit une médication antidépressive. Il existe une certaine réduction des activités quotidiennes et une altération du rendement social ou personnel, notamment avec son conjoint. C’est pourquoi le Tribunal conclut que la condition psychologique de la requérante correspond au groupe II des névroses.
[70] Dr Laberge indique que le DAP attribuable est de 20 % et Dr Bouchard est d’opinion qu'il est de 10 %, situant la requérante dans le groupe I des névroses (0 à 15 %).
[71] Le Tribunal a décidé que la condition de madame se situe dans le groupe II des névroses. Par contre, il est d’avis que la requérante se situe à la limite inférieure de ce groupe (15 à 45 %). C’est ainsi qu’un DAP de 15 % est octroyé.
[72] Finalement, le Bureau de la révision administrative a maintenu, dans sa décision du 14 novembre 2013, un DAP de 3 % pour un trouble de la personnalité.
[73] Dans son expertise, Dr Bouchard est d’opinion que madame ne présente pas de trouble de la personnalité et que ces problèmes à cet égard sont regroupés sous le diagnostic de trouble de l’adaptation.
[74] Dr Laberge, pour sa part, écrit que les éléments de carence affective indéniable ne permettent pas de conclure à un diagnostic de personnalité limite, alors que des traits de personnalité évitantes sont manifestes. Il est d’avis que madame se classe au tiers inférieur du groupe I, soit 5 %.
[75] La présente formation décide de maintenir le taux de 3 % octroyé par la mise en cause au chapitre des troubles de la personnalité, la preuve soumise ne permettant pas de le changer.
[76] Finalement, à l’instar de Dr Bouchard et de Dr Laberge, le Tribunal est d’avis que la condition psychologique de la requérante ne la rend pas inapte à occuper un emploi. La condition qui apporte des limitations est la fibromyalgie.
[77] L’IT pour l’aspect psychologique est maintenue à 0 %.
POUR CES MOTIFS le Tribunal :
- ACCUEILLE les recours,
- INFIRME la décision en révision du 12 décembre 2012 (SAS-M-207184-1301),
- RECONNAÎT la relation entre la fibromyalgie et les événements,
- INFIRME la décision en révision du 14 novembre 2013 (SAS-M-218268-1311),
- OCTROIE un taux d’incapacité permanente de 68 %, composé d’un DAP de 25 % pour la fibromyalgie, d’un DAP de 15 % au chapitre des névroses du groupe II, d’un DAP de 3 % au chapitre des troubles de la personnalité et d’un IT de 25 % pour la fibromyalgie, et
- DÉCLARE que le recours SAS-M-218670-1311 est sans objet, la contestation de la décision en révision de ce dossier étant comprise dans le recours SAS-M-218268-1311.
Ferland & Proulx
Me Manuel Johnson
Procureur de la partie requérante
Bernard, Roy (Justice-Québec)
Me Sylvie Gilbert
Procureure de la partie intimée
/jj
[1] Il est relaté une conversation téléphonique entre la conseillère en orientation et la requérante.
[2] Il est écrit que la requérante rapporte que le diagnostic de fibromyalgie a été posé en 2000 et qu’elle a rencontré un rhumatologue pour cette condition en 2009 à l’Hôpital A.
[3] Cette demande est reçue le 25 février 2011.
[4] Le débat qui a eu lieu à l’audience, comme nous le détaillerons plus loin, a porté sur la relation entre la fibromyalgie et les événements survenus dans l’enfance et l’adolescence. Le médecin-conseil de l’IVAC indique dans sa note qu’il suggère le refus de relation parce que la douleur diffuse est apparue en 2000, soit avant les événements du 8 septembre 2008 et du 22 juin 2010.
[5] La requérante a témoigné avoir été suivie par un médecin de famille, Dr Camiré, entre 1995 et 2000. Lors d’une demande d’accès au dossier médical de la requérante, il est apparu que celui-ci a été détruit.
[6] Il a procédé à l’évaluation, à la demande de la procureure de la requérante présente au dossier à cette époque.
[7] Dr Richer fait référence à une étude de 1997 où un lien est établi entre des abus sexuels et une douleur au dos. Quant à Dr Bissonnette, il fournit le document complet d’une étude parue en 2009 dans la revue médicale PAIN. On y explique avoir démontré que « physically traumatic events and factors suggesting poor social/psychological environment are associated with long-term increased risk of chronic widespread pain, and that these associations remain after adjustement for psychological distress and social class ».
[8] SAAQ c. Diane Viger et TAQ, 28 août
2000,
[9] Il cite en exemple le conjoint de la mère, abuseur, placements en familles d’accueil à l’âge de 13 ans, d’autres abus chez un couple de voyeurs pornos, et à certains moments sévices psychologiques et physiques de la part de la mère.
[10] Un des articles médicaux soumis mentionne spécifiquement un âge inférieur à sept ans.
[11]
[12] Arrêt déjà cité.
[13] Selon l’expert, Dr Richer.
[14] Il attribue 2 % à la colonne cervicale, 2 % à la colonne dorsale, 2 % à la colonne lombaire et 2 % pour le facteur de la bilatéralité.
[15] RLRQ, chapitre A-3, r. 2, article 124, paragraphe m).
[16] À noter que le titre XI est celui qui évalue les préjudices esthétiques.
[17] Selon le rapport d’expertise de Dr Bissonnette.
[18] Selon le rapport d’expertise de Dr Richer.
[19] 2010 QCTAQ 06696.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.