Sénéchal et Dépanneur Bélanger et Proteau inc. |
2015 QCCLP 475 |
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Dossier 452175-07-1110
[1] Le 18 octobre 2011, madame Chrystine Sénéchal (la travailleuse) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 13 septembre 2011 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 28 mars 2011 et déclare que la travailleuse est capable d’exercer l’emploi de commis-caissière occupé habituellement, et ce, à compter du 28 mars 2011.
Dossier 473623-07-1206
[3] Le 11 juin 2012, la travailleuse dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision de la CSST rendue le 15 mai 2012 à la suite d’une révision administrative.
[4] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 13 avril 2012 et déclare que la travailleuse n’a pas droit au renouvellement des chaussures orthopédiques réclamé.
Dossier 541179-07-1405
[5] Le 8 mai 2014, la travailleuse dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision de la CSST rendue le 15 avril 2014 à la suite d’une révision administrative.
[6] Par cette décision, la CSST confirme celles qu’elle a initialement rendues le 3 février 2014 et déclare que la travailleuse n’a pas droit à une allocation d’aide personnelle à domicile et qu’elle n’a pas droit aux frais d’adaptation de son domicile.
[7] L’audience s’est tenue les 4 juin 2014, 6 novembre 2014 et 16 décembre 2014 à Gatineau en présence de la travailleuse et de maître Marie-Josée Beaulieu, sa représentante. Monsieur Gilles Tremblay, propriétaire du Dépanneur Bélanger et Proteau inc. (l’employeur) et conjoint de la travailleuse est également présent à l’audience les 4 juin 2014 et 6 novembre 2014. Quant à la CSST, elle y est représentée par maître Julie Perrier. Le 18 décembre 2014, maître Perrier fait parvenir à la Commission des lésions professionnelles la jurisprudence citée lors de l’audience et la cause est alors mise en délibéré, maître Beaulieu ayant informé le tribunal qu’elle n’avait pas l’intention de commenter cette décision.
L’OBJET DES CONTESTATIONS
Dossier 452175-07-1110
[8] La travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’elle est incapable d’exercer l’emploi de commis-caissière de dépanneur qu’elle occupe habituellement, car cet emploi contrevient à ses limitations fonctionnelles.
[9] Quant à la CSST, elle demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que la travailleuse est capable d’occuper cet emploi.
Dossier 473623-07-1206
[10] La travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’elle a droit au renouvellement des chaussures orthopédiques réclamé.
[11] Quant à la CSST, elle informe le tribunal qu’elle ne fera pas de représentations à cet égard.
Dossier 541179-07-1405
[12] La travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’elle a droit à l’aide pour le ménage léger, l’aide pour le ménage lourd lui a étant déjà accordée.
[13] La CSST estime que la travailleuse n’a pas droit à cette aide étant donné qu’elle est capable de prendre soin d’elle-même et demande à la Commission des lésions professionnelles de conclure en ce sens.
[14] D’autre part, la travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’elle a droit à l’adaptation de son domicile, plus précisément qu’elle a droit à l’installation de :
- Une douche sans seuil;
- Une étagère à proximité de la laveuse et de la sécheuse;
- Des tiroirs dans les armoires sous le comptoir de la cuisine ainsi que l’installation d’une étagère tournante dans l’armoire du coin;
- Un fauteuil élévateur à trajectoire unique de l’étage où se situe le commerce au deuxième étage où se situe la maison.
[15] À cet égard, la CSST demande à la Commission des lésions professionnelles de conclure que la travailleuse n’a pas droit à ces installations.
LES FAITS
[16] Afin de rendre la présente décision, la soussignée a analysé la preuve documentaire et testimoniale, mais étant donné la conclusion à laquelle le tribunal en arrive voulant que le port d’une orthèse constitue une limitation fonctionnelle dans le présent dossier, il n’est pas opportun de rapporter la preuve qui n’est pas pertinente compte tenu de cette conclusion dont les motifs qui la justifient seront exposés plus loin.
[17] La travailleuse, commis-caissière chez l’employeur, subit un accident du travail le 29 août 2010 alors qu’en descendant un escalier, elle manque une marche et son talon droit frappe le sol, son genou droit lâche et elle chute sur le dos. Les diagnostics d’entorse cervicale, d’entorse lombaire et de gonalgie sont retenus. La travailleuse est prise en charge par la docteure Sylvie Charbonneau, omnipraticienne.
[18] Soulignons que le dépanneur qui appartient à son conjoint est situé au rez-de-chaussée de l’immeuble où habitent ce dernier et la travailleuse. Leur domicile se situe à l’étage.
[19] Il faut aussi préciser qu’avant cet événement, la travailleuse a subi deux autres accidents du travail.
[20] Le 23 novembre 1999, le docteur Platon Papadopoulos, chirurgien orthopédiste, rédige le Rapport d’évaluation médicale concernant l’accident du travail du 14 juin 1998. Le diagnostic pré-évaluation est une insuffisance du croisé antérieur du genou droit ainsi qu’un status post-ménisectomie interne du genou droit. Il écrit que la travailleuse porte une orthèse, mais qu’elle semble être inconfortable. Il ajoute que la travailleuse dit avoir des antécédents chirurgicaux au niveau de son genou droit et qu’elle aurait subi une chirurgie arthroscopique, mais que son genou était quand même en bonne forme avant son accident.
[21] Cette lésion professionnelle entraîne une atteinte permanente à l’intégrité physique et psychique dont le déficit anatomo-physiologique de 11 % se détaille comme suit :
DÉFICIT ANATOMO-PHYSIOLOGIQUE
|
||
CODE |
DESCRIPTION |
% |
|
||
103060 |
Ménisectomie avec séquelles fonctionnelles (interne) |
1 % |
107066 |
Instabilité simple ou complexe nécessitant le port d’une orthèse pour certaines activités de travail ou de loisir |
10 % |
|
|
|
TOTAL DU DÉFICIT ANATOMO-PHYSIOLOGIQUE : |
11 % |
[22] Cette lésion professionnelle entraîne aussi les limitations fonctionnelles suivantes :
- Éviter les mouvements de torsion du genou droit;
- Éviter de rester debout ou de marcher plus d’une heure à la fois;
- Éviter les positions instables;
- Port de l’orthèse nécessaire pour les activités.
[23] Le 17 novembre 2002, la travailleuse subit un deuxième accident du travail alors qu’elle perd pied et qu’elle tombe sur les mains et les genoux. Les diagnostics d’entorse cervicale, d’abrasion de la main gauche et de contusion aux genoux sont retenus.
[24] Le 23 septembre 2003, la travailleuse est évaluée par la docteure Danielle Desloges, chirurgienne orthopédiste, membre du Bureau d’évaluation médicale, en ce qui concerne l’entorse cervicale. La travailleuse rapporte qu’elle a subi deux méniscectomies. La docteure Desloges écrit que la travailleuse « est instable sur une déchirure chronique du croisé antérieur pour laquelle elle porte une orthèse fémoropatellaire ne tolérant pas l’orthèse de croisé ».
[25] Cette lésion professionnelle entraîne une atteinte permanente à l’intégrité physique et psychique dont le déficit anatomo-physiologique est de 2 % pour une entorse cervicale avec séquelles fonctionnelles objectivées et des limitations fonctionnelles, soit d’éviter d’accomplir de façon répétitive ou fréquente des activités impliquant de :
- soulever, porter, pousser ou tirer des charges supérieures à 25 kg;
- ramper;
- effectuer des mouvements avec des amplitudes extrêmes de flexion, d’extension ou de torsion de la colonne cervicale;
- subir des vibrations de basse fréquence ou des contrecoups à la colonne
vertébrale.
[26] Le 29 août 2010, la travailleuse subit un troisième accident du travail la blessant au cou, à la région lombaire et au genou droit. Il s’agit du dossier duquel est saisi le tribunal.
[27] Le 23 novembre 2010, la CSST refuse la relation entre le diagnostic de fasciite plantaire et l’événement du 29 août 2010.
[28] Le 11 janvier 2011, la travailleuse assiste à une rencontre préconsolidation de la lésion professionnelle du 29 août 2010 avec madame Martine Dubois, conseillère en réadaptation, et madame Geneviève Gagnon, agente d’indemnisation.
[29] Lors de cette rencontre, la travailleuse informe les intervenantes que l’orthopédiste a recommandé le port d’une orthèse de décharge et une orthèse plantaire. On l’informe qu’il se peut que l’orthèse plantaire ne soit pas autorisée étant donné que le diagnostic de fasciite plantaire a été refusé. La travailleuse rétorque que cette orthèse a été prescrite en relation avec la lésion au genou, puisqu’elle a pour but de corriger et de réorienter les pieds et d’ainsi mieux répartir le poids au niveau des genoux.
[30] La travailleuse mentionne aussi qu’elle a déjà eu une orthèse moulée (orthèse de décharge) dans le passé, mais qu’elle ne l’a pas utilisée parce qu’elle ne tenait pas en place. Elle est invitée à en discuter avec l’orthésiste.
[31] Lors des discussions concernant l’emploi prélésionnel de commis-caissière, la travailleuse dit qu’elle est persuadée qu’elle demeurera capable de refaire son travail. Elle effectue des travaux légers au dépanneur à raison de quatre heures par semaine. Ses principales tâches consistent à recevoir et étiqueter les films, faire la comptabilité du commerce et le remplacement à la caisse lors des pauses du dîner.
[32] Le 19 janvier 2011, la travailleuse est évaluée par le docteur Jean Varin, chirurgien orthopédiste, à la demande de la CSST.
[33] La travailleuse relate qu’en ce qui concerne son genou droit, il y a un gonflement persistant et permanent, que son genou est instable, qu’il est douloureux et qu’il y a des dérobements quotidiens. Elle ajoute qu’elle a de la difficulté dans les escaliers et qu’elle doit utiliser une rampe, qu’elle est incapable de marcher dans des terrains accidentés ou de se mettre à genoux, qu’elle utilise une canne depuis sa chute du mois d’août 2010 et qu’elle ne peut pas marcher plus de 30 minutes à la fois.
[34] Le docteur Varin relate dans son rapport que le docteur Marc Miville Deschenes, chirurgien orthopédiste, a prescrit une orthèse pour croisé antérieur déficient et de décharge de compartiment interne ainsi que des orthèses plantaires, mais que la travailleuse est en attente d’avoir ces orthèses.
[35] Dans la rubrique Discussion, il écrit ce qui suit :
DISCUSSION :
Cette dame avait donc des antécédents pertinents de lésion du genou en 1998 pour lequel, elle a eu un autre accident en 2002 subissant une entorse cervicale. Elle avait des séquelles à la région cervicale et au genou droit.
Il y a un autre dérobement dans un escalier lorsqu’elle manque une marche en 2010. Ceci occasionne des douleurs au cou, à la cheville, à la région lombaire et au genou droit.
Madame est améliorée de toutes ces conditions sauf le genou droit.
Une résonance magnétique a démontré l’absence du croisé antérieur qui était connu avec lésion méniscale interne/externe.
Cette dame voit un orthopédiste qui ne considère pas qu’un traitement chirurgical soit approprié. Nous sommes d’accord avec cette opinion. Il suggère plutôt des infiltrations mais madame aurait des problèmes lorsqu’elle prend de la cortisone.
[36] Les séquelles actuelles sont les suivantes :
DÉFICIT ANATOMO-PHYSIOLOGIQUE
|
||
CODE |
DESCRIPTION |
% |
|
||
203513 |
Entorse cervicale avec séquelles fonctionnelles objectivées |
2 % |
203997 |
Entorse lombaire sans séquelles fonctionnelles objectivées |
0 % |
103257 |
Entorse de la cheville droite sans séquelles fonctionnelles objectivées |
0 % |
106833 |
Flexion 110 degrés, genou droit |
2 % |
107075 |
Instabilité du genou droit nécessitant le port d’une orthèse pour toutes activités |
15 % |
103061 |
Ménisectomie interne avec séquelles fonctionnelles |
1 % |
103480 |
Déchirure méniscale externe au genou droit |
1 % |
|
||
TOTAL DE L’ATTEINTE PERMANENTE : |
21 % |
[37] Le docteur Varin suggère les limitations fonctionnelles suivantes :
On doit maintenir les limitations fonctionnelles de classe I de IRSST du rachis cervical soit d’éviter de manipuler des charges de plus de 25 kilos.
Éviter de ramper, d’effectuer des mouvements d’amplitude extrême du rachis cervical et de subir des vibrations de basse fréquence à la colonne vertébrale.
Nous n’émettrons pas de limitations fonctionnelles pour la cheville ou le rachis lombaire.
En ce qui concerne le genou droit, cette dame doit éviter de faire des mouvements du genou droit, doit éviter la montée fréquente d’escaliers.
Elle ne peut pas se servir du membre inférieur droit comme un pédalier.
Elle ne doit pas marcher ou rester debout plus de 30 minutes à la fois.
Elle devrait porter une orthèse stabilisatrice.
Elle doit éviter des positions instables comme échelles et échafauds.
Elle ne peut pas se mettre à genoux.
[38] Le 1er février 2011, la docteure Charbonneau rédige le Rapport complémentaire dans lequel elle indique qu’elle est d’accord avec le Rapport d’évaluation médicale du docteur Varin.
[39] Le 3 février 2011, l’agente d’indemnisation reçoit un appel de la travailleuse qui lui dit qu’elle ne pourra refaire son emploi avec les limitations fonctionnelles émises par le docteur Varin. Celle-ci n’a toujours pas reçu son orthèse.
[40] Le 8 février 2011, la travailleuse informe l’agente d’indemnisation qu’elle a reçu son orthèse et qu’elle tient, mais qu’elle ne fait pas dans ses bottes. Par contre, le 14 février 2011, la travailleuse téléphone à l’agente d’indemnisation pour lui dire que l’orthèse ne tient plus et qu’elle va devoir aller voir le fournisseur afin qu’il lui montre comment la faire tenir.
[41] Le 23 février 2011, la travailleuse dit à l’agente d’indemnisation que l’orthèse glisse encore, mais que le fournisseur a commandé des bas pour faire tenir l’orthèse. La travailleuse ajoute que l’orthèse plantaire et la botte l’aident, son genou étant plus stable.
[42] Le 25 février 2011, la docteure Charbonneau écrit dans son Rapport médical que la condition de la travailleuse s’est détériorée, que l’orthèse est plus ou moins ajustée et qu’elle n’est donc pas efficace pour l’instant.
[43] Le 10 mars 2011, elle écrit dans son Rapport médical que l’orthèse plantaire est correcte, mais que l’orthèse pour le genou n’est pas fonctionnelle, qu’elle glisse et qu’il y a eu plusieurs rendez-vous chez l’orthésiste. Elle ajoute que la douleur va en augmentant et qu’un rendez-vous en orthopédie est prévu dans un an pour évaluer la possibilité d’une chirurgie.
[44] Le 11 mars 2011, la travailleuse informe la conseillère en réadaptation que la nouvelle orthèse pour le genou ne convient pas. Cette dernière lui conseille de revoir l’orthésiste étant donné que l’orthèse a été payée par la CSST et que la travailleuse est en droit d’avoir un équipement qui lui convient.
[45] Le 15 mars 2011, madame Dubois a une entrevue avec la travailleuse afin d’évaluer sa capacité de retour au travail à la lumière des limitations fonctionnelles émises par le docteur Varin. En ce qui concerne l’orthèse stabilisatrice, elle écrit dans sa note d’intervention ce qui suit :
-Elle devrait porter une orthèse stabilisatrice;
La T dit s’être fait faire une nouvelle orthèse stabilisatrice. Cependant, la T dit qu’elle ne lui fait pas. Elle affirme lui avoir mentionné que l’ancienne n’avait jamais fait non plus mais que l’orthésiste aurait insisté en lui indiquant qu’une orthèse fait sur mesure serait plus adéquate. Cependant, la T mentionne qu’elle ne tient pas malgré le fait que nous l’ayons payé 1,200.00 $. Elle affirme que bien que l’orthésiste l’ajuste en clinique, elle tombe lorsqu’elle arrive chez elle et la T se dit incapable de l’ajuster elle-même. J’invite donc la T à revoir l’orthésiste puisqu’il est important qu’elle puisse avoir une orthèse bien ajustée. La T dit l’avoir oublié ce matin. Elle ne pourra donc pas le revoir aujourd’hui. Je l’invite donc à prendre un rendez-vous le plus rapidement possible pour revoir l’ajustement. Compte tenu que l’orthèse a été payé et que la T fera les démarches pour la faire ajuster, nous convenons que cette limitation est respectée.
[sic]
[soulignement ajouté]
[46] Madame Dubois conclut que les limitations fonctionnelles sont respectées. La travailleuse souligne qu’elle aimerait que son orthèse soit ajustée avant d’entreprendre un retour au travail, car elle craint d’aggraver sa condition. Il est donc convenu de fixer la date de retour au travail au 28 mars 2011 afin de permettre à la travailleuse de revoir l’orthésiste pour faire ajuster son orthèse.
[47] Le 17 mars 2011, la travailleuse discute avec madame Dubois. Elle lui fait part de ses inquiétudes quant au retour au travail. Elle se demande pourquoi la CSST n’attend pas que son orthèse soit ajustée avant de rendre sa décision sur la capacité de travail.
[48] Le 18 mars 2011, madame Dubois téléphone à l’orthésiste chez Pro-Orthotek. Cette conversation téléphonique est rapportée dans sa note d’intervention :
-ASPECT MÉDICAL :
Appel à Pro-Orthotek afin de nous informer de la raison pour laquelle la T ne peut porter son orthèse adéquatement. Monsieur Morais nous indique, suite à la consultation du dossier de la T, qu’en raison de son problème de surpoids, elle a une forme de jambe dite conique soit en forme d’entonnoir. Par conséquent, l’orthèse a tendance à glisser. Généralement dans ces cas, on propose une courroie de suspension qui est fixée à l’orthèse du genou. Néanmoins, il semblerait que la T l’ait refusé. On lui aurait alors suggéré un bas spécial mais il semblerait que le bas ait aussi tendance à glisser. Monsieur Morais mentionne toutefois que la T a un rendez-vous lundi prochain avec lui pour l’ajustement de son orthèse. Il lui proposera donc à nouveau le port de la courroie de suspension. Nous lui demandons donc de nous rappeler s’il ne réussit pas à bien l’ajuster car il est primordial que la T puisse porter son orthèse stabilisatrice.
[soulignement ajouté]
[49] Le 28 mars 2011, la CSST décide que la travailleuse est capable d’exercer l’emploi de commis-caissière qu’elle occupe habituellement. Cette décision est maintenue à la suite d’une révision administrative le 13 septembre 2011, d’où la contestation de la travailleuse dans le dossier portant le numéro 452175-07-1110.
[50] Le 4 avril 2011, madame Dubois téléphone à la travailleuse concernant sa demande de révision de la décision de capacité à exercer son emploi. Cette dernière dit être en attente d’une consultation pour une chirurgie. Elle ajoute que son orthèse ne fonctionne toujours pas bien et qu’elle a revu l’orthésiste qui lui a remis une courroie de suspension. La travailleuse ajoute que lorsqu’elle porte l’orthèse, elle se blesse et s’inflige des contusions. L’orthèse lui coupe la circulation sanguine et son pied devient engourdi. Elle est invitée à nouveau à revoir l’orthésiste.
[51] Le 15 août 2011, la docteure Charbonneau écrit dans son Rapport médical que la travailleuse doit avoir une orthèse stabilisatrice qui ne glisse pas et qui empêche les mouvements du genou. Elle rédige une ordonnance en ce sens.
[52] Le 15 septembre 2011, une agente d’indemnisation discute avec monsieur Germain Morais, orthésiste. Ce dernier l’informe de la possibilité d’avoir une chevillière avec l’orthèse parce que l’orthèse ne fonctionne pas bien. Il ajoute qu’il a montré à la travailleuse comment l’ajuster et que, malgré tout, l’orthèse ne tient pas.
[53] Le 30 septembre 2011, la travailleuse consulte la docteure Odette Perron, chirurgienne orthopédiste, qui écrit dans son protocole d’examen que :
Les limitations fonctionnelles nous apparaissent tout à fait compatibles, toutefois en raison du volume de la cuisse, il est absolument impossible pour madame de déambuler avec une orthèse, ce qui devrait donc être tenu en considération dans les limitations fonctionnelles. Par ailleurs, elle nous décrit son travail de commis au dépanneur qui demande d’être debout de façon prolongée, qui demande d’être à genoux et accroupi pour faire le remplissage des tablettes et avoir accès aux différents articles et qui exige également le transport de charges lourdes qui ne nous apparaissent pas compatibles avec les limitations fonctionnelles émises par Dr Varin. Madame verra donc avec la CSST à ce sujet.
[54] Le 5 décembre 2011, une agente d’indemnisation communique avec la travailleuse et l’informe qu’elle a laissé un message à l’orthésiste. Elle ajoute que si l’orthèse ne convient pas, la travailleuse devra revoir son médecin pour en discuter. Celle - ci réitère que l’orthèse ne tient pas.
[55] Dans une note d’intervention du 24 janvier 2012 apparaissant au dossier de la CSST, il est écrit ce qui suit :
autorisation pour réparation orthèse de genou avec tiges de métalliques et une paires de souliers orthopédiques
[sic]
[56] Le 12 avril 2012, une agente d’indemnisation téléphone à la travailleuse et l’informe que le remboursement du coût des chaussures n’est pas autorisé, car la CSST a refusé la relation entre la fasciite plantaire et l’événement du 29 août 2010.
[57] Le 13 avril 2012, la CSST rend une décision à ce sujet et lors de la révision administrative de cette décision, la travailleuse explique au réviseur que ces chaussures orthopédiques ont été prescrites pour sa lésion au genou droit et non pas pour le diagnostic de fasciite plantaire et que cette aide technique aide à réduire la pression sur ses genoux. Elle ajoute que cette aide a été payée deux fois par la CSST, soit en janvier 2011 et en février 2012, et qu’on l’avait informée en 2011 qu’elle aurait droit à trois paires de souliers orthopédiques par année.
[58] Cette décision est tout de même maintenue à la suite d’une révision administrative le 15 mai 2012 au motif qu’il n’y a pas de relation entre les chaussures orthopédiques et la lésion professionnelle, d’où la contestation de la travailleuse dans le dossier portant le numéro 473623-07-1206.
[59] Le 23 juin 2012, madame Julie Noël, ergothérapeute, rédige un Rapport d’évaluation des besoins d’adaptation à domicile. À l’évaluation objective, madame Noël écrit ce qui suit :
Activités de la vie quotidienne et domestique :
Soins d’hygiène : Madame démontre une difficulté à se relever de la toilette qui est à une hauteur de 15 po. Il y a absence de barre d’appui. Le transfert à la douche est difficile en raison de la présence du seuil et Madame est à risque de chute en raison d’une diminution de la force au membre supérieur droit.
Préparation de repas : Madame peut effectuer la préparation de repas simple. La tolérance debout est limitée alors elle utilise une chaise à la table lorsqu’elle effectue la préparation de repas. Elle ne peut rejoindre les chaudrons et articles dans les armoires qui se situent sous le comptoir car elle ne peut effectuer un accroupi.
Déplacements : Il y a présences de 14 marches pour accéder la maison au 2ieme étage du commerce. Madame Sénéchal marche à l’aide d’une canne lors des déplacements à l’extérieur.
[sic]
[60] Madame Noël recommande des aides techniques, mais il n’est pas opportun d’en faire la nomenclature puisque la travailleuse ne fait aucune demande au tribunal en ce sens.
[61] Par ailleurs, madame Noël fait certaines recommandations quant à l’aménagement du domicile. Elle considère que la douche actuelle ne peut accommoder une chaise de douche et que la travailleuse a besoin de s’asseoir pour faciliter ses soins d’hygiène, car elle risque de chuter si elle demeure debout. Elle ajoute qu’il y a aussi un risque de chute en présence d’un seuil pour accéder à la douche étant donné que la travailleuse présente une diminution de la force au niveau de la jambe droite. Elle recommande donc l’aménagement suivant :
- Enlever la douche en place et installer une douche sans seuil de 42 x 60 po. Installer une robinetterie avec thermorégulateur. Installer une douche téléphone avec boyau de 7 pieds, montée sur une tige coulissante.
- Installer une barre d’appui horizontale de 24 po sur le mur savonnier. Emplacement à déterminer avec Madame.
[62] Elle considère aussi qu’il serait opportun d’installer une étagère sur le mur à proximité de la laveuse et de la sécheuse pour permettre à la travailleuse d’y placer son linge à la sortie de la sécheuse en vue d’éviter la position accroupie.
[63] Madame Noël suggère aussi d’installer des tiroirs dans les armoires sous le comptoir de la cuisine afin d’éviter la position accroupie pour rejoindre des objets ainsi qu’une étagère tournante dans l’armoire du coin de la cuisine.
[64] Elle propose aussi l’installation d’un fauteuil à élévateur à trajectoire unique du commerce au domicile.
[65] Finalement, elle écrit que « Madame Sénéchal pourrait bénéficier d’aide pour effectuer l’entretien ménager de la maison ».
[66] Le 27 mars 2013, madame Andrée Tremblay, spécialiste en réparation, discute avec monsieur Morais, orthésiste chez Pro-Orthotek. Elle écrit qu’à la suite de la plainte de la travailleuse voulant que l’orthèse glisse, il a fait des tests en laboratoire, soit 2 marches de 20 minutes environ, et que l’orthèse n’a pas glissé. Il en conclut que cette orthèse est adéquate; nous y reviendrons.
[67] Le 25 novembre 2013, madame Stéphanie Bélanger, physiothérapeute-ergonome, ainsi que madame Natacha Brousseau, ergothérapeute, toutes deux mandatées par la CSST, se rendent chez la travailleuse afin d’évaluer les besoins en adaptation du domicile, les besoins en aide personnelle à domicile ainsi que le poste de travail.
[68] Le 10 décembre 2013, madame Brousseau produit une évaluation des besoins en adaptation du domicile. L’environnement physique y est décrit avec précision.
[69] Concernant la douche et la baignoire existantes, madame Brousseau écrit ce qui suit :
Lors de notre visite à domicile. Mme Sénéchal a rapporté avoir beaucoup de difficulté à effectuer ses transferts à la douche et à maintenir une position debout prolongée lors des tâches d’hygiène. Ainsi, depuis plusieurs mois, Mme effectue ses soins d’hygiène principalement par bains éponges au lavabo de la salle de bain.
Pour sécuriser les transferts et optimiser l’autonomie de la cliente, nous recommandons les équipements suivants :
· Banc de transfert
· Tapis de bain antidérapant à l’intérieur et à l’extérieur du bain
· Barre d’appui verticale de 24 pouces sur le montant du mur de la robinetterie
· Douche téléphone avec crochet
Nous avons vérifié avec plusieurs experts et spécialistes en équipements spécialisés qui s’accordent pour dire qu’un bain moulé peut accommoder un banc de transfert. Une douche sans seuil ne correspond pas à la solution la plus raisonnable en fonction des limitations fonctionnelles et de la nature des blessures.
[70] Concernant les armoires de cuisine et les tablettes existantes, elle écrit que :
Mme Sénéchal indique de ne pas être en mesure d’atteindre ses chaudrons dans ses armoires et ses tablettes du bas. Pour contrer cette difficulté, elle indique souhaiter des tiroirs et des tablettes coulissantes dans ses armoires de cuisine.
Toutefois, cette requête n’est pas justifiée par les limitations fonctionnelles émises :
· Il n’y a aucune limitation au niveau du rachis lombaire
· Se pencher ne demande pas d’effectuer des mouvements avec des amplitudes extrêmes de flexion, d’extension ou de torsion de la colonne cervicale.
· Bien qu’elle ne puisse se mettre à genou, il n’existe aucune restriction par rapport à d’autres techniques pour s’accroupir ou se pencher.
Pour atteindre ses chaudrons dans ses armoires du bas nous recommandons les stratégies suivantes :
· Relocaliser les chaudrons et poêles les plus souvent utilisés
· Utiliser la chaise d’ordinateur, s’y assoir pour se baisser à une hauteur plus convenable
· Demander à un membre de la famille (conjoint ou grand-père adoptif) de sortir les équipements le matin avant de quitter le logement
· Utiliser les techniques alternatives pour s’accroupir.
[71] Concernant les escaliers, elle recommande l’adaptation de la cage d’escalier intérieur en y installant une deuxième main courante pour en faciliter et en sécuriser l’utilisation et pour respecter les limitations fonctionnelles. Elle précise qu’en raison de la forme en « L » des escaliers, aucun appareil élévateur ne pourrait y être installé et que même si l’appareil était installé sur la plateforme, celle-ci n’est pas suffisamment grande pour supporter l’installation.
[72] Dans son rapport d’évaluation des besoins en aide personnelle à domicile du 10 décembre 2013, madame Bélanger relate les éléments de son évaluation selon la grille utilisée par la CSST. Chaque activité est analysée et voici un résumé de ce qui est pertinent à la solution du présent litige :
Le lever |
Madame est lente, mais autonome pour effectuer ses transferts au lit. |
Autonome. Les limitations fonctionnelles sont respectées.
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Le coucher |
Madame est lente, mais autonome pour effectuer tous ses transferts au lit. |
Autonome. Les limitations fonctionnelles sont respectées
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Hygiène corporelle |
Le revêtement du bain ne permet pas l’installation de barre de bain. Néanmoins, une barre de bain à l’entrée et à la sortie du bain pourraient être installées. La travailleuse pourrait aussi faire installer une barre d’appui diagonale fixée au mur latéral de la toilette.
Ces barres d’appuis sont des suggestions, car l’installation n’est pas nécessaire afin de respecter les limitations fonctionnelles.
Malgré les douleurs et les plaintes de la cliente, les limitations fonctionnelles sont respectées au niveau de l’hygiène corporelle.
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Autonome. Les limitations fonctionnelles sont respectées. |
Habillage et déshabillage |
La travailleuse est autonome pour mettre et enlever ses blouses, ses sous-vêtements, ses pantalons, ses jupes et ses chandails. Elle est aussi autonome pour mettre ses bottes d’hiver et ses bas, malgré qu’elle affirme avoir de la difficulté à mettre et enlever ses bas et ses souliers.
Elle est en mesure de manipuler adéquatement les boutons, boutons-pressoirs, fermetures éclair, les lacets et les velcros.
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Autonome. Les limitations fonctionnelles sont respectées. |
Soins vésicaux et soins intestinaux |
La travailleuse est autonome pour se rendre à la salle de bain, effectuer ses transferts à la toilette, s’essuyer et replacer ses vêtements après la tâche.
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Autonome Les limitations fonctionnelles sont respectées. |
Alimentation |
La travailleuse est autonome pour assaisonner sa nourriture, appliquer une garniture sur du pain, couper sa nourriture, porter ses aliments à sa bouche, boire dans un verre et se servir à boire.
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Autonome. Les limitations fonctionnelles sont respectées. |
Utilisation des commodités du domicile |
Madame circule seule à l’intérieur du domicile. Elle est également autonome pour ouvrir et fermer les portes et les fenêtres, entrer et sortir du domicile.
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Autonome. Les limitations fonctionnelles sont respectées. |
Préparation du déjeuner et du dîner |
La travailleuse est autonome pour ouvrir et fermer le réfrigérateur, transporter un petit objet dans la cuisine, brancher un appareil au niveau du comptoir, réchauffer un petit plat, et compléter toutes les tâches en lien avec la préparation d’un sandwich, de rôties, d’une soupe ou de céréales. Elle dit pouvoir demeurer debout environ 5 minutes, ce qui est suffisant pour préparer un repas simple.
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Autonome. Les limitations fonctionnelles sont respectées. |
Préparation du souper |
La travailleuse est autonome pour ouvrir et fermer le robinet, ouvrir la porte du four, ouvrir et fermer les commandes du four et du poêle et ouvrir des sachets, des boites de nourriture.
La travailleuse rapporte être incapable d’atteindre les tiroirs, les tablettes inférieures de ses armoires et du réfrigérateur ainsi que ramasser un objet au sol. Elle note avoir beaucoup de difficulté à soulever les gros plats ou les plats trop lourds (ex : poulet au four). Elle mentionne qu’elle ne peut pas demander d’aide à son conjoint, car il n’est pas disponible. |
Les limitations fonctionnelles sont respectées, malgré les douleurs rapportées.
La travailleuse peut s’asseoir et même continuer d’utiliser sa chaise de bureau afin d’effectuer certaines tâches comme couper des légumes ou éplucher des pommes de terre. Elle n’a donc pas à demeurer debout plus de 30 minutes.
La travailleuse n’a pas à se mettre à genoux afin d’avoir accès à ses plats et chaudrons, même si ces derniers sont plus loin dans l’armoire. Elle pourrait demander à son conjoint ou à son « grand père adoptif » de lui sortir les chaudrons nécessaires le matin.
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Ménage léger |
La travailleuse rapporte être autonome pour laver la vaisselle. Elle est en mesure d’essuyer les comptoirs, l’évier et la table ainsi que de faire son lit. Elle se dit incapable de passer la vadrouille et l’aspirateur et ne pas être mesure de nettoyer la salle de bain dû à la position.
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Afin de respecter les limitations fonctionnelles, des aides techniques sont recommandées pour la salle de bain afin que la travailleuse n’ait pas à prendre des positions contraignantes.
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Lavage du linge |
Mme Sénéchal se dit en mesure de faire son lavage pourvu qu’elle effectue une petite brassée de linge à la fois, Elle utilise aussi un petit panier afin d’éviter un surplus de poids à transporter.
La laveuse et la sécheuse sont surélevées de 15 pouces afin de faciliter les tâches de la cliente. Lors de la visite, la travailleuse est observée. Elle prend du linge de la laveuse et la met dans la sécheuse. La travailleuse est en mesure d’accomplir la tâche sans problème particulier.
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Autonome. Les limitations fonctionnelles sont respectées. |
[73] Le 10 décembre 2013, madame Bélanger produit aussi le rapport d’évaluation du poste de travail. Elle rappelle les limitations fonctionnelles relatives à la colonne cervicale et au genou droit et énumère les tâches de l’emploi de commis-caissière selon la description faite par la travailleuse :
- Accueil des clients;
- Utilisation de la caisse;
- Nettoyer les tablettes;
- Nettoyer les réfrigérateurs;
- Nettoyer les congélateurs;
- Nettoyer la salle de bain;
- Faire les commandes (3 fois par semaine);
- Réception des commandes + placer les items aux endroits appropriés;
- S’occupe des vidéos, DVD + à l’ordinateur;
- S’occupe de la section des magazines;
- Remplir les chocolats, les gommes et les autres bonbons;
- Remplir les cigarettes, cigares;
- Vider les poubelles et changer les sacs;
- Faire l’entretien de la machine à crème glacée (été);
- Faire l’entretien de la machine à sluch puppie (été);
- S’occupe de la comptabilité journalière;
- Passe le balai et la vadrouille (incluant sous les tapis);
- Placer et compter les bouteilles vides;
- Déneiger la porte avant et le balcon arrière;
- S’occupe de vendre les billets de loterie;
- Va chercher la bière dans la chambre froide pour certains clients;
- Effectue les changements de bonbonne de propane.
[74] Selon le témoignage de la travailleuse, elle doit aussi :
- Transporter des caisses de bière pour les clients;
- Transporter des bonbonnes de propane.
[75] Madame Bélanger procède ensuite à l’analyse des tâches essentielles. En ce qui concerne le service à la clientèle (caisse, comptoir à chocolat, cigarettes), elle estime que les limitations fonctionnelles sont respectées et elle précise qu’elle suggère à la travailleuse de porter son orthèse de déchargement lors du travail afin de minimiser les douleurs.
[76] Concernant la tâche de laver les comptoirs, les étagères, les réfrigérateurs et les congélateurs, elle écrit qu’afin de respecter la limitation fonctionnelle de ne pas marcher ou rester debout plus de 30 minutes à la fois, elle suggère l’achat d’un banc assis-debout qui pourrait être placé derrière le comptoir. Elle ajoute que la travailleuse doit porter son orthèse de déchargement lors du travail afin de minimiser les douleurs. Cette dernière suggestion apparaît aussi pour les déplacements au sous-sol, pour le nettoyage de la salle de bain et pour la comptabilité. Pour cette dernière tâche, elle précise aussi que la travailleuse pourrait avoir à monter et descendre les escaliers de chez elle vers le dépanneur, mais que cette activité n’est pas effectuée de façon répétitive ou fréquente. Elle considère donc que la limitation fonctionnelle est respectée.
[77] Madame Bélanger conclut ainsi son rapport :
Conclusion
Suite à l’évaluation et à l’analyse du poste de travail d’une commis/caissière au dépanneur Proteau & Bélanger de Chéneville, nous observons que Mme Sénéchal serait en mesure de répondre aux exigences d’un tel emploi tout en respectant les limitations fonctionnelles émises par le médecin.
Nous suggérons toutefois l’achat de quelques pièces d’équipement afin de favoriser et sécuriser son retour au travail.
- Pince à long manche;
- Porte-poussière à long manche;
- Tabouret assis-debout.
De plus, nous suggérons à Mme Sénéchal d’utiliser son chariot au besoin et de mettre son orthèse au travail.
[soulignement ajouté]
[78] Le 3 février 2014, la CSST décide que la travailleuse n’a pas droit aux frais d’adaptation de son domicile ni à l’allocation d’aide personnelle à domicile. Ces décisions sont maintenues à la suite d’une révision administrative le 15 avril 2014, d’où la contestation de la travailleuse dans le dossier portant le numéro 541179-07-1405.
[79] Le 20 mars 2014, la travailleuse est dirigée vers le docteur Corey Richards, chirurgien orthopédiste, qui écrit dans ses notes cliniques du 6 mai 2014 que la travailleuse souffre de gonarthrose sévère et que l’orthèse ne fonctionne pas. Il écrit dans sa note de consultation ce qui suit :
J’ai parlé avec elle. Je pense qu’à mon avis, l’attelle ne va pas aider, donc j’ai décidé d’arrêter l’attelle, surtout avec son poids c’est difficile avec une attelle, et en même temps, je ne suis pas convaincu que cela va aider à cause qu’elle a de l’arthrose tricompartimentale.
[80] Le 16 mai 2014, la travailleuse fait parvenir au tribunal un historique pour le port de son orthèse du genou rédigé par monsieur Martin Saulnier, directeur de Pro-Orthotek. Cet historique se lit comme suit :
Historique pour le port de son orthèse de genou
10/01/2011 : Prescription du Dr Marc Miville Deschesne (orthopédiste) pour orthèse plantaire moulée et orthèse de genou pour déchirure LCA
13701/2011 : Prise de mesure pour orthèse de genou droite de type défiance et orthèse plantaire par Francois boivin orthésiste
14/01/2011 : Autorisation par Genevieve Gagnon pour l’orthèse plantaire et de genou
08/02/2011 : Essayage, ajustement et livraison de son orthèse de genou et de ses orthèses plantaires avec information sur le port des orthèses
15/02/2011 : Ajustement de son orthèse de genou, la patiente nous mentionne que son orthèse descend, l’orthésiste remarque qu’elle est mal installé donc remontre à Mme Sénéchal comment bien la mettre, après essayage tout semble correct en laboratoire
07/03/2011 : donner soft sleeve pour mettre, sous l’orthèse de genou pour empêcher l’orthèse de descendre
21/03/2011 : Patiente dit que l’orthèse descend toujours, ré-installer l’orthèse de genou avec Mme Sénéchal et indiquer l’importance de bien alignée l’axe du genou avec le haut de l’articulation et suggère de lui installer une courroie à la taille comme moyen de suspension pour maintenir [illisible] fait le test en laboratoire et tout fonctionne bien.
Appel de Mme Martine Dubois pour savoir la problématique au sujet de l’orthèse qui ne reste pas en place, en mentionne à l’agent que la forme de la jambe conique et les chaires molles occasionne le plus gros problème pour Mme sénéchal.
01/09/2013 [lire 2011] : Ptiente dit que l’orthèse ne tient pas bien, donc nous lui suggérons de fabriqué une orthèse tibio-pédieuse articulée comme moyen de suspension a son orthèse de genou ainsi l’orthèse ne glissera pas
08/09/2011 : Soumission pour orthèse tibio-pédieuse et accepté par Céline Lafontaine le 26 Septembre 2011
06/10/20 11 : Prise d’empreinte platrée du bénéficiaire pour orthèse tibio-pédieuse
27/10/2011 : Essayage, ajustement et livraison de son orthèse tibio-pédieuse de type suspension
24/11/2011 : Orthèse fonctionne bien mais Mme Sénéchal se plaint de douleur a l’intérieur du genou suite à une vérification de l’orthèse tout semble correct et lui suggère de revoir son médecin pour sa douleur.
16/01/2012 : À la demande de Mme Sénéchal, elle veut une orthèse souple avec effet de compression sur le genou donc on lui fournit le modèle 302159 xxI et autorisé par Mme Céline Lafontaine
26/03/2013 : Appel téléphonique de Mme Tremblay de la Csst pour discuter du dossier de Mme Sénéchal et nous avons mentionné qu’on avait utilisé toute les solutions nécessaires pour aidé la patiente et que nous pouvons rien faire d’autre.
[sic]
[81] La travailleuse témoigne à l’audience. Elle décrit l’événement du 29 août 2010 ainsi que celui de 1998 alors que son genou lâche lorsqu’elle sert un client au comptoir du dépanneur. Lors de cet événement, une orthèse stabilisatrice en plastique moulé lui est prescrite, mais elle ne peut la porter parce qu’elle descend tout le temps et son genou ne tient pas. Elle reprend son travail et refait ses tâches, mais en veillant à se protéger parce que son genou lâche souvent. En 2002, son genou lâche à nouveau et elle tombe par terre, cette lésion professionnelle n’entraîne pas de limitations fonctionnelles ni d’atteinte permanente à l’intégrité physique et psychique. Depuis l’événement du 29 août 2010, son genou lâche de plus en plus souvent.
[82] À la suite de l’accident de 2010, une nouvelle orthèse stabilisatrice lui est prescrite par le docteur Miville Deschenes et la travailleuse explique qu’elle informe madame Dubois qu’elle a déjà eu une orthèse moulée et que cela n’a pas fonctionné. Madame Dubois la rassure et la travailleuse a confiance qu’elle pourra recommencer à travailler avec la nouvelle orthèse.
[83] Sans reprendre dans les détails le témoignage de la travailleuse au sujet de cette orthèse stabilisatrice, le tribunal en retient que plusieurs tentatives ont été faites afin que cette orthèse tienne puisque la morphologie de la travailleuse fait en sorte qu’elle glisse et que son genou n’est pas stabilisé par l’orthèse, mais que ces tentatives ont été infructueuses. Mentionnons qu’un bas a été essayé, mais il glissait. Ensuite, une ceinture à la taille pour attacher l’orthèse a été ajoutée, mais l’orthèse glissait tout de même et le genou n’était pas supporté. Ensuite, l’orthésiste a suggéré le port d’une botte rattachée à l’orthèse, mais elle glissait un peu et le genou n’était toujours pas stabilisé.
[84] Quant au fait que l’orthésiste aurait fait des tests en laboratoire consistant à 2 marches de 20 minutes environ, la travailleuse nie vigoureusement cette affirmation et dit que les marches étaient plutôt de 2 minutes et qu’elle montait 4 ou 5 marches et en descendait.
[85] Finalement, lors de la visite du 16 janvier 2012, l’orthésiste lui fait monter et descendre quelques marches pour constater que l’orthèse ne tient pas et il lui dit que cette orthèse n’est pas faite pour elle. Il ne lui propose aucune solution. Cela est confirmé par le témoignage de madame Stéphanie Sénéchal Tremblay, fille de la travailleuse, qui l’accompagne lors de cette rencontre ayant pour but de réévaluer l’orthèse. Cette dernière témoigne que l’orthésiste fait faire quelques exercices à sa mère, soit de monter et descendre des escaliers. À la fin des exercices, il vérifie l’orthèse et constate qu’elle bouge et il dit qu’elle ne tient pas bien.
[86] Madame Sénéchal Tremblay ajoute que sa mère demande à l’orthésiste s’il y a une solution et il répond qu’il a tout essayé, qu’il a fait plusieurs changements et qu’il ne sait plus quoi faire. La travailleuse se met à pleurer et l’orthésiste dit qu’il ne peut rien faire de plus.
[87] La travailleuse poursuit son témoignage en relatant qu’elle montre son orthèse à la docteure Perron le 30 septembre 2011 et que cette dernière lui lit qu’elle n’est pas faite pour elle. Il en est de même du docteur Richard lors de la consultation du 6 mai 2014.
[88] La travailleuse précise qu’elle doit utiliser une canne lorsqu’elle se déplace à l’extérieur et qu’elle se tient sur les meubles à l’intérieur.
[89] Par la suite, elle décrit dans les détails les tâches de l’emploi de son emploi prélésionnel et ce que ses tâches impliquent. Lors de l’exécution de ses tâches, mentionnons, entre autres, qu’elle est souvent en marche; qu’elle doit être debout à la caisse pour l’accueil des clients; qu’elle travaille debout et doit s’accroupir pour nettoyer les tablettes, les réfrigérateurs, les congélateurs et la chambre froide; qu’elle doit prendre un escabeau pour placer les livres et les revues sur les étagères; qu’elle travaille debout et doit parfois être sur la pointe des pieds lorsqu’elle fait l’inventaire pour préparer les commandes des fournisseurs; qu’elle doit passer le balai et la vadrouille tous les jours; qu’elle doit manipuler des caisses de bière et des bonbonnes de gaz pour certains clients, etc.
[90] La travailleuse explique au tribunal que pour exercer l’emploi de commis-caissier dans le dépanneur, il faut être polyvalent et être en mesure de faire toutes les tâches, ce qu’elle est incapable de faire.
[91] De plus, elle s’occupe de la comptabilité qu’elle fait généralement dans un bureau situé dans son domicile à l’étage. Parfois, elle fait la comptabilité dans le dépanneur, sur le comptoir. Elle précise qu’elle travaille présentement huit heures par semaine, dont trois heures pour la comptabilité.
[92] Concernant les chaussures orthopédiques, elle explique que le docteur Miville Deschenes lui prescrit des orthèses plantaires pour faire moins de pression sur son genou. La CSST en rembourse le coût ainsi que le coût des chaussures orthopédiques sauf la troisième paire au motif que ces chaussures sont pour des orthèses prescrites pour une fasciite plantaire. La travailleuse affirme ne jamais avoir eu d’orthèses pour cette lésion.
[93] Concernant l’adaptation du domicile, la travailleuse témoigne qu’elle ne peut enjamber le bain moulé et que c’est dangereux qu’elle tombe. Elle serait déjà tombée, car son genou a lâché.
[94] Elle voudrait une étagère dans la salle de lavage parce que si elle utilise un panier, elle doit le mettre par terre et s’accroupir ou s’accoter sur la laveuse dans une posture instable.
[95] Elle désire aussi un tiroir et une étagère tournante dans les armoires de cuisine parce qu’elle n’a pas accès à ses tablettes, car elles sont trop profondes et qu’elle doit s’accroupir, mais son genou est instable.
[96] Quant au fauteuil élévateur, elle estime qu’il est nécessaire, car elle est toujours dans les escaliers, soit pour sortir ou pour se rendre au dépanneur. Elle estime emprunter les escaliers une cinquantaine de fois par jour.
[97] Concernant le ménage hebdomadaire, elle explique au tribunal que ça lui prend une journée pour nettoyer le plancher de la salle de bain, de la cuisine et de la salle à manger; elle doit s’arrêter toutes les deux ou trois minutes parce qu’elle a mal au dos et au genou. Elle estime qu’aucune des tâches domestiques ne peut se faire sans qu’elle soit debout ou en mouvement.
[98] La travailleuse affirme qu’elle ne peut s’accroupir, car elle tombe à la renverse. Elle croit que si l’orthèse avait fonctionné, cela l’aurait aidée à s’accroupir parce que l’orthèse est articulée.
[99] Madame Martine Dubois, conseillère en réadaptation témoigne à son tour. Elle relate la rencontre qu’elle a eue avec la travailleuse le 15 mars 2011 afin d’évaluer sa capacité de travail sans visite de poste, visite qui s’effectue lorsqu’elle a des doutes par rapport à la description de tâches faite par le travailleur, ce qui n’est pas le cas dans le présent dossier. Elle affirme que la travailleuse ne lui a pas parlé d’une problématique avec l’utilisation des escaliers. Elle conclut que la travailleuse est capable de refaire l’emploi de commis-caissière et autorise l’achat d’un chariot pour le transport de charges et d’une nouvelle chaise orthopédique. La travailleuse serait d’accord avec cette conclusion.
[100] Elle ajoute que la travailleuse lui mentionne les difficultés qu’elle a avec son orthèse stabilisatrice, mais qu’elle estime qu’avec les réparations, la travailleuse sera en mesure de reprendre son travail. Étant donné que la travailleuse n’a pas eu l’opportunité de revoir l’orthésiste, la date de retour au travail est fixée au 28 mars 2011.
[101] Madame Dubois dit qu’elle a eu quelques contacts par la suite avec la travailleuse concernant différents sujets, soit un rendez-vous chez l’orthésiste, les craintes de la travailleuse de rechuter, les traitements de viscosuppléance, la possibilité d’une chirurgie, mais la travailleuse ne mentionne pas que les tâches pourraient contrevenir à ses limitations fonctionnelles, elle formule seulement des craintes par rapport à l’augmentation du nombre d’heures de travail.
[102] Par la suite, le tribunal entend madame Stéphanie Bélanger, physiothérapeute et ergonome, qui agit à titre de témoin expert pour la CSST. Elle explique au tribunal comment s’est déroulée la visite au domicile et au lieu de travail de la travailleuse ainsi que la méthodologie employée. Elle commente son Évaluation du poste de travail et conclut que les tâches respectent les limitations fonctionnelles.
[103] Madame Bélanger commente aussi l’Évaluation des besoins en aide personnelle à domicile. Elle explique au tribunal que les besoins sont analysés selon la grille de la CSST et les limitations fonctionnelles qui découlent des lésions professionnelles. Elle estime que les limitations fonctionnelles sont respectées.
[104] Elle témoigne que lors de la visite du domicile et du poste de travail, la travailleuse ne portait pas son orthèse stabilisatrice.
[105] En contre-interrogatoire, elle dit que, selon elle, le port de l’orthèse n’est pas une limitation fonctionnelle en soi, qu’il ne s’agit que d’une recommandation du médecin, qu’il est de la responsabilité de la travailleuse de la porter et qu’elle n’a pas analysé la nécessité de porter l’orthèse pour exécuter les tâches.
[106] Interrogée sur la limitation fonctionnelle de ne pas faire de mouvement du genou droit et le fait de s’accroupir, madame Bélanger répond que cette limitation est évaluée seulement avec la montée fréquente d’escaliers.
[107] Concernant l’orthèse, elle explique qu’il s’agit d’un stabilisateur qui empêche les mouvements de côté au niveau du genou, mais qui permet une flexion. Selon elle, l’orthèse pourrait stabiliser la travailleuse lors d’une flexion, mais il ne favorise pas la flexion comme telle.
[108] Elle précise que le ligament croisé antérieur empêche l’hyperextension et que dans l’accroupissement, il joue un rôle de stabilisateur.
L’AVIS DES MEMBRES
Dossier 452175-07-1110
[109] Les membres issus des associations d’employeurs et des associations syndicales accueilleraient la requête de la travailleuse, car ils sont d’avis que le port de l’orthèse constitue une limitation fonctionnelle et que, dans les circonstances particulières de la présente affaire, cette limitation fonctionnelle ne peut être respectée dans l’exercice de l’emploi prélésionnel de commis-caissière; la travailleuse n’est donc pas capable d’occuper cet emploi à compter du 28 mars 2011.
Dossier 473623-07-1206
[110] Les membres issus des associations d’employeurs et des associations syndicales accueilleraient la requête de la travailleuse puisque, selon eux, cette dernière a droit au renouvellement des chaussures orthopédiques réclamé puisque ces chaussures sont en relation avec les orthèses plantaires prescrites pour sa lésion au genou droit en relation avec le fait accidentel du 29 août 2010.
Dossier 541179-07-1405
[111] Le membre issu des associations d’employeurs rejetterait la requête de la travailleuse. D’une part, il estime que la travailleuse n’a pas droit à de l’aide pour le ménage léger étant donné qu’elle est capable de prendre soin d’elle-même. D’autre part, il considère que la travailleuse n’a pas droit aux adaptations de son domicile, car la preuve prépondérante ne démontre pas que ces adaptations sont nécessaires ni qu’elles constituent la solution appropriée.
[112] Quant au membre issu des associations syndicales, il est du même avis en ce qui concerne les adaptations au domicile de la travailleuse, mais il accueillerait en partie sa requête, car il estime que la travailleuse a droit au remboursement des frais qu’elle engage pour l’entretien courant de son domicile, soit le ménage léger, puisqu’elle a subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique en raison de la lésion professionnelle et que la preuve démontre qu’elle est incapable d’effectuer ces travaux.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
Capacité d’occuper l’emploi habituel
[113] La Commission des lésions professionnelles doit décider si la travailleuse est capable d’occuper son emploi habituel de commis-caissière dans un dépanneur à compter du 28 mars 2011.
[114] Pour ce faire, le tribunal doit d’abord statuer si le port de l’orthèse stabilisatrice constitue une limitation fonctionnelle alors que le docteur Varin, médecin désigné par la CSST, écrit dans la rubrique Existence de limitations fonctionnelles de son rapport d’évaluation médicale que la travailleuse devrait porter une orthèse stabilisatrice et que la docteure Charbonneau, médecin qui a pris charge de la travailleuse, se dit d’accord avec les conclusions du docteur Varin.
[115] Dans l’affaire Bardeaux Lajoie inc. et Castonguay[1], dont la décision est déposée par la CSST à l’appui de ses prétentions, la Commission des lésions professionnelles écrit que la jurisprudence a établi qu’une orthèse n’est pas une limitation fonctionnelle. Le tribunal réfère alors à l’affaire Raffo et Pro Star Logistic[2] et, plus précisément, à la décision Dufresne et Listuguj Mi’gmaq First Nation Council[3] alors que la Commission des lésions professionnelles explique ainsi le concept de limitation fonctionnelle :
[34] Le concept de limitation fonctionnelle a en effet été défini dans la jurisprudence comme étant une limitation d’une fonction (telle que se pencher, marcher, effectuer certains mouvements, etc.), que ce soit par incapacité ou par vulnérabilité (soit par risque d’aggraver la lésion ou de s’exposer à un danger), laquelle implique de devoir éviter certains mouvements ou situations3.
__________
3 Voir notamment : Air Canada et Schanck, [1998] C.L.P. 11; Grignano et Récital Jeans inc., [2000] C.L.P. 329; Entreprises agricoles et forestières de la Péninsule inc. et Després, C.L.P. 162554-01B-0105, 19 août 2002, L. Desbois; Blanchette et Cie d’échantillon National ltée, C.L.P. 236942-64-0406, 21 avril 2006, J.-F. Martel.
[116] Or, il y a deux courants jurisprudentiels qui subsistent au sein du tribunal quant à cette question, comme le démontre la jurisprudence déposée par la travailleuse. Dans la décision Commission scolaire English-Montréal et Thivierge[4], la Commission des lésions professionnelles est saisie d’une contestation de l’employeur lui demandant de déclarer que l’atteinte permanente à l’intégrité physique et psychique est de 3,3 % et que la travailleuse n’a pas besoin de porter une orthèse. Référant au tableau 9 du Règlement sur le barème des dommages corporels[5] (le barème) qui traite des instabilités des genoux, la Commission des lésions professionnelles précise que le déficit prévu au tableau 9 compense l’instabilité du genou et non la nécessité du port d’une orthèse, qui est la conséquence de cette instabilité, et déclare qu’« Il n’y a pas de limitations fonctionnelles, compte tenu qu’il n’y a pas d’instabilité ». C’est donc dire, a contrario, qu’en présence d’instabilité, le port de l’orthèse peut être considéré comme étant une limitation fonctionnelle.
[117] Dans l’affaire Gallo et Les Marchés Bonanza RDP inc.[6], la Commission des lésions professionnelles se questionne sur la nature de la recommandation quant au port d’une orthèse au genou gauche et conclut que les limitations fonctionnelles sont les suivantes :
[21] Bref, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que les limitations fonctionnelles découlant de la rechute, récidive ou aggravation du 22 juin 2004 sont d’éviter de soulever, porter, ou pousser des charges de plus de 7 kg, éviter de se déplacer dans des échelles, échafauds ou escabeaux, éviter les déplacements fréquents dans les escaliers, éviter de marcher sur des terrains glissants, en pente ou inégaux, éviter de travailler en position accroupie ou agenouillée, éviter la station debout statique pour plus de 20 minutes à la fois, éviter d’activer des mécanismes de pédale avec le membre inférieur gauche et avoir la possibilité de porter une orthèse en tout temps.
[soulignement ajouté]
[118] Dans l’affaire Labelle et P & B Transport[7], la Commission des lésions professionnelles conclut que la lésion professionnelle entraîne la limitation fonctionnelle de porter une orthèse à la cheville droite pour effectuer son travail régulier.
[119] Dans l’affaire Lévesque et Express Golden Eagle inc.[8], la Commission des lésions professionnelles écrit que :
[42] Il y a lieu de maintenir le déficit anatomo-physiologique de 2 % (code 107 048) retenu par le membre du Bureau d’évaluation médicale puisque la preuve ne démontre qu’une légère laxité ligamentaire symptomatique selon tous les examinateurs.
[43] Le docteur Guimond-Simard recommande le port d’une orthèse stabilisatrice mais laisse au travailleur le soin de juger au cours de quelle activité son port est nécessaire. Cette recommandation n’établit pas que le port d’une orthèse est médicalement jugée nécessaire pour certain type d’activité. Le pourcentage de 10 % recommandé par le docteur Guimond-Simard n’est donc pas justifié.
[44] En conséquence, il y a lieu de maintenir l’avis du Bureau d’évaluation médicale à l’effet qu’il ne subsiste pas de limitation fonctionnelle concernant le genou gauche. Les docteurs Blanchet et Bourdua n’en recommande [sic] pas et la seule recommandation faite par le docteur Guimond-Simard concerne le port de cette orthèse. Tel qu’expliqué précédemment, le fait de laisser au patient le choix de l’utilisation de son orthèse n’établit pas que le port de cette orthèse soit médicalement jugée nécessaire pour certain type d’activité.
[soulignement ajouté]
[120] C’est donc dire que si le port de l’orthèse est médicalement jugé nécessaire, comme en l’espèce, cela peut constituer une limitation fonctionnelle.
[121] Il y a aussi d’autres décisions de la Commission des lésions professionnelles qui reconnaissent que le port d’une orthèse peut constituer une limitation fonctionnelle. Mentionnons la décision Moisan et Vitrerie Côté DM inc.[9] alors que la Commission des lésions professionnelles, analysant un emploi convenable, se questionne à savoir comment le travailleur pourra exécuter toutes les tâches de l’emploi convenable alors que l’une de ses limitations fonctionnelles est qu’il « devra pouvoir travailler avec son orthèse ».
[122] Finalement, dans l’affaire Corriveau et Récupération verglas 1975 (fermé)[10], le port de l’orthèse n’est pas retenu par le membre du Bureau d’évaluation médicale, mais la Commission des lésions professionnelles, analysant la capacité du travailleur à refaire son travail de camionneur, prend en considération que l’amélioration fonctionnelle est attribuable à l’orthèse prescrite par le médecin qui a pris charge du travailleur, cette orthèse diminuant grandement les douleurs au membre inférieur droit. La Commission des lésions professionnelles estime que, dans les circonstances, « le port de l’orthèse est nécessaire et comme la conséquence en est l’immobilisation de la cheville droite, le tribunal conclut que le travailleur ne peut conduire un camion dans ces conditions puisqu’il ne peut plus appuyer sur l’accélérateur ». Conséquemment, la Commission des lésions professionnelles déclare que le travailleur est incapable d’occuper son emploi de camionneur.
[123] Tout comme dans la décision rendue par la Commission d’appel en matière de lésion professionnelle dans l’affaire Mestiri et Étiquette Nationale[11], la soussignée estime que le port d’une orthèse peut constituer une limitation fonctionnelle et fait siens les propos de ce tribunal alors qu’il s’exprime ainsi :
La notion de limitations fonctionnelles se définit, selon l’Organisation Mondiale de la Santé, comme une réduction de capacité d’accomplir une activité d’une façon ou dans les limites considérées normales pour un être humain. Or, l’obligation de porter un gant au travail a été imposée au travailleur à cause de dysesthésie et d’hyperesthésie et s’applique en toutes circonstances où il a à manipuler certains objets. Cet usage d’un gant ne peut être considéré "normal" et constitue une contrainte, la fonction d’un gant étant, habituellement, de protéger contre le froid ou, en milieu de travail, contre les traumatismes. Le travailleur conserve donc véritablement une limitation fonctionnelle.
[124] Il en est de même dans la présente affaire alors que la travailleuse se voit dans l’obligation de porter une prothèse stabilisatrice pour toutes les activités, cet usage constitue une contrainte de la nature d’une limitation fonctionnelle. La soussignée estime aussi que le port d’une orthèse est une limitation fonctionnelle au sens de la décision Fittante et Ital Forges Ornemental[12] déposée par la CSST et qui réfère à l’affaire Farruggia et Raval Lace Co. (Fermée)[13] alors que la Commission des lésions professionnelles écrit qu’« Une limitation fonctionnelle correspond à une réduction de la capacité d’un travailleur d’exécuter certains mouvements, d’adopter certaines positions, de subir certaines charges ou certaines contraintes », la capacité de la travailleuse d’exécuter certains mouvements et d’adopter certaines positions est réduite étant donné qu’elle doit porter une orthèse pour les faire.
[125] Par ailleurs, la CSST allègue que le fait que le docteur Varin écrit que la travailleuse devrait porter une orthèse plutôt qu’elle doit porter une orthèse stabilisatrice commande de conclure qu’il s’agit d’une suggestion et non d’une limitation fonctionnelle.
[126] Or, cet argument ne tient pas la route, car il faut lire le rapport du docteur Varin dans son ensemble et le tribunal ne peut occulter que le docteur Varin retient un déficit anatomo-physiologique de 15 % pour une instabilité du genou droit nécessitant le port d’une orthèse pour toutes activités, l’atteinte permanente et la limitation fonctionnelle étant deux notions intimement reliées[14].
[127] Par conséquent, la Commission des lésions professionnelles estime que le port d’une orthèse pour toutes activités constitue une limitation fonctionnelle et que cette limitation fonctionnelle doit être prise en considération dans l’analyse de la capacité de la travailleuse à refaire son emploi prélésionnel de commis-caissière dans un dépanneur.
[128] La preuve démontre sans équivoque que la travailleuse ne peut porter son orthèse stabilisatrice étant donné sa morphologie. De nombreuses tentatives ont été faites afin de permettre à travailleuse de porter cette orthèse, mentionnons l’ajout d’un bas, l’essai d’une courroie de suspension et d’une botte rattachée à l’orthèse, mais toutes ces tentatives se sont avérées vaines.
[129] Il n’en va pas ainsi à cause d’une mauvaise volonté de la travailleuse, mais bien d’une difficulté réelle qui a été constatée par l’orthésiste qui, selon le témoignage de la travailleuse qui est corroboré par celui de sa fille, a conclu que l’orthèse n’est pas faite pour elle après avoir procédé à quelques tests en laboratoire.
[130] Le tribunal retient aussi le témoignage de la travailleuse voulant que les tests faits par l’orthésiste se soient limités à des marches de deux minutes et la montée et descente de quatre ou cinq marches, puisque ce témoignage concorde avec celui de sa fille et que le tribunal n’a aucune raison de mettre en doute la fiabilité de ces témoignages.
[131] De plus, la docteure Charbonneau écrit dans son Rapport médical du 25 février 2011 que l’orthèse est plus ou moins ajustée et qu’elle n’est pas efficace pour le moment. Le 10 mars 2011, elle écrit que l’orthèse pour le genou n’est pas fonctionnelle et qu’elle glisse. Le 15 août 2011, elle souligne dans son Rapport médical que la travailleuse doit avoir une orthèse stabilisatrice qui ne glisse pas et qui empêche les mouvements du genou.
[132] Par ailleurs, la docteure Perron est d’avis que les limitations fonctionnelles sont adéquates, mais qu’en raison du volume de la cuisse, il est absolument impossible pour la travailleuse de déambuler avec cette orthèse, ce qui devrait être pris en considération dans les limitations fonctionnelles. Quant au docteur Richards, il est d’avis que l’orthèse ne fonctionne pas.
[133] Du coup, la Commission des lésions professionnelles conclut que la limitation fonctionnelle exigeant le port de l’orthèse pour toutes activités ne peut être respectée. Il faut analyser les limitations fonctionnelles dans leur ensemble et comprendre que la travailleuse ne peut les respecter que pourvu qu’elle porte l’orthèse stabilisatrice pour toutes les activités qui sollicitent le genou. À titre d’exemple, le tribunal infère qu’elle ne peut marcher ou rester debout moins de 30 minutes à la fois si elle ne porte pas l’orthèse stabilisatrice.
[134] Étant donné la nature du travail de commis-caissière dans un dépanneur dont les tâches sollicitent le genou, mentionnons être debout et en marche pour différentes activités (accueil des clients; utilisation de la caisse; nettoyage des étagères, réfrigérateurs, congélateurs, salle de bain, remplir les étagères, passer le balai et la vadrouille, déneiger, etc.), s’accroupir (mettre la marchandise sur les tablettes, nettoyer, etc.), utiliser un escabeau (présentoir pour les journaux et revues), la Commission des lésions professionnelles conclut que la travailleuse est incapable d’occuper l’emploi prélésionnel de commis-caissière dans un dépanneur.
Ménage léger
[135] Pour les mêmes motifs, le tribunal estime que la travailleuse ne peut faire le ménage léger, puisqu’elle est incapable, sans orthèse stabilisatrice, d’être debout et en marche pour passer le balai et la vadrouille et qu’elle est aussi incapable de laver le plancher, de s’accroupir pour laver la toilette, etc.
[136] L’article 151 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[15] (la loi) précise le but de la réadaptation sociale alors que l’article 152 en détaille le contenu :
151. La réadaptation sociale a pour but d’aider le travailleur à surmonter dans la mesure du possible les conséquences personnelles et sociales de sa lésion professionnelle, à s’adapter à la nouvelle situation qui découle de sa lésion et à redevenir autonome dans l’accomplissement de ses activités habituelles.
__________
1985, c. 6, a. 151.
152. Un programme de réadaptation sociale peut comprendre notamment :
1° des services professionnels d’intervention psychosociale;
2° la mise en œuvre de moyens pour procurer au travailleur un domicile et un véhicule adaptés à sa capacité résiduelle;
3° le paiement de frais d’aide personnelle à domicile;
4° le remboursement de frais de garde d’enfants;
5° le remboursement du coût des travaux d’entretien courant du domicile.
__________
1985, c. 6, a. 152.
[137] La CSST plaide que la travailleuse n’a pas droit à l’aide personnelle à domicile étant donné qu’elle n’est pas incapable de prendre soin d’elle-même. Les articles 158 à 162 de la loi traitent de l’aide personnelle à domicile :
158. L’aide personnelle à domicile peut être accordée à un travailleur qui, en raison de la lésion professionnelle dont il a été victime, est incapable de prendre soin de lui-même et d’effectuer sans aide les tâches domestiques qu’il effectuerait normalement, si cette aide s’avère nécessaire à son maintien ou à son retour à domicile.
__________
1985, c. 6, a. 158.
159. L’aide personnelle à domicile comprend les frais d’engagement d’une personne pour aider le travailleur à prendre soin de lui-même et pour effectuer les tâches domestiques que le travailleur effectuerait normalement lui-même si ce n’était de sa lésion.
Cette personne peut être le conjoint du travailleur.
__________
1985, c. 6, a. 159.
160. Le montant de l’aide personnelle à domicile est déterminé selon les normes et barèmes que la Commission adopte par règlement et ne peut excéder 800 $ par mois.
__________
1985, c. 6, a. 160; 1996, c. 70, a. 5.
161. Le montant de l’aide personnelle à domicile est réévalué périodiquement pour tenir compte de l’évolution de l’état de santé du travailleur et des besoins qui en découlent.
__________
1985, c. 6, a. 161.
162. Le montant de l’aide personnelle à domicile cesse d’être versé lorsque le travailleur :
1° redevient capable de prendre soin de lui-même ou d’effectuer sans aide les tâches domestiques qu’il ne pouvait effectuer en raison de sa lésion professionnelle; ou
2° est hébergé ou hospitalisé dans une installation maintenue par un établissement visé par la Loi sur les services de santé et les services sociaux (chapitre S-4.2) ou par un établissement visé par la Loi sur les services de santé et les services sociaux pour les autochtones cris (chapitre S-5).
__________
1985, c. 6, a. 162; 1992, c. 21, a. 79; 1994, c. 23, a. 23.
[138] L’évaluation des besoins en aide personnelle à domicile faite par madame Bélanger démontre que la travailleuse est capable de prendre soin d’elle-même. Quant au Rapport d’évaluation des besoins d’adaptation à domicile produit par madame Noël, il ne met pas en évidence une incapacité à cet égard et le témoignage de la travailleuse ne va pas en ce sens. Force est de conclure que la travailleuse est capable de prendre soin d’elle-même.
[139] Dans l’affaire Charron et Marché André Martel inc.[16], dont la décision est déposée par la CSST à l’appui de ses prétentions, la Commission des lésions professionnelles écrit à bon droit que :
[244] Pour avoir droit à l’aide personnelle à domicile un travailleur doit donc satisfaire à trois conditions :
1) être incapable de prendre soin de lui-même et;
2) être incapable d’effectuer sans aide les tâches domestiques qu’il effectuerait normalement;
3) l’aide doit s’avérer nécessaire à son maintien ou à son retour à domicile.
[245] La jurisprudence36 a interprété les deux premières conditions comme étant indissociables l’une de l’autre en raison du mot et entre les deux. Le seul fait de ne pouvoir effectuer seul les tâches domestiques est donc insuffisant.
__________
36 C.S.S.T. et Fleurent, [1998] C.L.P. 360.
[soulignement dans le texte]
[140] Dans la présente affaire, la travailleuse étant capable de prendre soin d’elle-même, elle ne peut prétendre à l’aide domestique. Mais, la jurisprudence majoritaire du tribunal[17] depuis l’affaire Lebel et Municipalité Paroisse de Saint-Éloi[18], veut que les travaux d’entretien ménager puissent aussi être octroyés en vertu de l’article 165 de la loi :
165. Le travailleur qui a subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique en raison d’une lésion professionnelle et qui est incapable d’effectuer les travaux d’entretien courant de son domicile qu’il effectuerait normalement lui-même si ce n’était de sa lésion peut être remboursé des frais qu’il engage pour faire exécuter ces travaux, jusqu’à concurrence de 1 500 $ par année.
__________
1985, c. 6, a. 165.
[141] La soussignée fait sienne l’interprétation faite par la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Lebel précitée alors qu’elle écrit ce qui suit :
[26] Ce que la travailleuse demande cependant, c’est l’application de l’article 165 précité et elle soutient que l’entretien ménager qu’elle ne peut plus faire en raison des deux chirurgies au niveau lombaire, (passer l’aspirateur, laver les planchers, nettoyer les salles de bain, les vitres, etc.) constitue des « travaux d’entretien courant du domicile ».
[27] La représentante de la CSST soutient le contraire, et à ce sujet, dépose une décision rendue par la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles (la Commission d’appel) en 1992. Dans celle-ci, le commissaire fait une distinction entre les « travaux d’entretien courant du domicile » (art. 165) et « les tâches domestiques » (art. 158). Après avoir fait état des définitions des mots « domestique » et « entretien » par le dictionnaire Petit Robert, le commissaire conclut ainsi :
« À la lumière des définitions précitées, la Commission d’appel est d’avis que le déplacement de meubles et de lavage de planchers se retrouvent davantage dans la catégorie des tâches domestiques et qu’il apparaît difficile de les relier à des soins, réparations ou dépenses qu’exige
le maintien en bon état d’un bien. En somme, il s’agit de travaux requis pour la propreté, le confort et la commodité des lieux et qui ne se justifient pas au titre du maintien en bon état physique d’un bien.
(…) »
[28] Avec égard, la soussignée ne partage pas cette interprétation étroite de la notion de « travaux d’entretien courant du domicile ». Revoyons les définitions courantes et usuelles des mots « domestique » et « entretien «, que l’on retrouve au Larousse :
« Domestique : 1. Qui concerne la maison, le ménage.
Entretien : 1. Action de maintenir une chose en bon état, de fournir ce qui est nécessaire pour y parvenir3. »
[29] La Commission des lésions professionnelles estime que l’on doit également examiner la définition du mot « courant » afin de préciser de quel genre de travaux d’entretien on parle à l’article 165 :
« Courant, e : 1. Qui est habituel; ordinaire, banal. Les dépenses courantes. C’est un mot tellement courant ! Un modèle courant. »
[30] Le tribunal ne peut conclure, comme le fait le commissaire Roy, que l’entretien ménager participe uniquement à « la propreté, le confort et la commodité des lieux ». Qu’il suffise d’imaginer un intérieur mal entretenu, des planchers et des tapis sales et poussiéreux, des salles de bain encrassées, des vitres et des miroirs qui ne sont pas nettoyés régulièrement, une cuisinière et un réfrigérateur malpropres pour se convaincre qu’il ne s’agit pas ici seulement de confort ou de commodité. Si un entretien régulier n’est pas fait, il est manifeste que le domicile ne sera pas « maintenu en bon état ». Il lui faut donc des soins réguliers, habituels, ordinaires, courants.
[31] Même si, à l’article 158, on parle de travaux domestiques, il faut comprendre que cette disposition s’applique à « l’aide personnelle à domicile », qui inclut certes ce genre de travaux, mais qui vise plutôt des situations beaucoup plus graves en terme de conséquences immédiates, puisqu’on associe cette aide au fait qu’un travailleur soit incapable de prendre soin de lui-même dans des activités de base comme se laver, aller à la toilette, etc. On a qu’à examiner la grille d’évaluation pour constater que l’on vise ici des cas lourds.
[32] L’article 165, quant à lui, n’est pas conditionnel à l’impossibilité de prendre soin de soi-même mais vise plutôt les cas où un travailleur demeure avec une atteinte permanente grave et, généralement, avec des limitations fonctionnelles importantes, qui l’empêchent de reprendre certaines activités pré-lésionnelles qu’il effectuait auparavant, soit des travaux d’entretien courant. De l’avis de la Commission des lésions professionnelles, cette interprétation va dans la logique de la loi, qui « a pour objet la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu’elles entraînent pour les bénéficiaires4 ».
__________
2 Roy et Brasserie Charny inc. 78743-03-9604, 97-06-20, J. G. Roy, commissaire.
3 Il est intéressant de noter que la définition de « entretenu » donne l’exemple suivant : Tenu en bon état, tenu en état : maison mal entretenue.
4 Article 1 LATMP.
[soulignement dans le texte]
[142] Il va de soi, dans la présente affaire, que la travailleuse a subi une atteinte grave à son intégrité physique en raison de sa lésion professionnelle et qu’elle est incapable d’effectuer le ménage léger de son domicile qu’elle effectuerait normalement elle-même si ce n’était de sa lésion professionnelle; elle a donc droit d’être remboursée des frais qu’elle engage pour faire exécuter ce ménage léger, sous réserve du maximum prévu à l’article 165 de la loi compte tenu des sommes qui pourraient être déjà allouées par la CSST en vertu de cette disposition.
Adaptation du domicile
[143] La travailleuse formule quatre demandes à ce chapitre :
- Une douche sans seuil;
- Une étagère à proximité de la laveuse et de la sécheuse;
- Des tiroirs dans les armoires sous le comptoir de la cuisine ainsi que l’installation d’une étagère tournante dans l’armoire du coin;
- Un fauteuil élévateur à trajectoire unique de l’étage où se situe le commerce au deuxième étage où se situe le domicile.
[144] Pour avoir droit à l’adaptation de son domicile, la travailleuse doit remplir les trois conditions prévues à l’article 153 de la loi :
153. L’adaptation du domicile d’un travailleur peut être faite si :
1° le travailleur a subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique;
2° cette adaptation est nécessaire et constitue la solution appropriée pour permettre au travailleur d’entrer et de sortir de façon autonome de son domicile et d’avoir accès, de façon autonome, aux biens et commodités de son domicile; et
3° le travailleur s’engage à y demeurer au moins trois ans.
Lorsque le travailleur est locataire, il doit fournir à la Commission copie d’un bail d’une durée minimale de trois ans.
__________
1985, c. 6, a. 153.
[145] La travailleuse a subi une atteinte permanente grave à son intégrité, mais la Commission des lésions professionnelles estime que les adaptations demandées ne répondent pas aux exigences du deuxième paragraphe de l’article 153 de la loi pour les raisons qui suivent.
[146] Madame Noël, ergothérapeute mandatée par la travailleuse, écrit dans son Rapport d’évaluation des besoins d’adaptation à domicile que la douche actuelle ne peut accommoder une chaise de douche et que la travailleuse a besoin de s’asseoir pour faciliter ses soins d’hygiène, car elle risque de chuter si elle demeure debout. Elle recommande aussi une douche sans seuil estimant le risque de chute en présence d’un seuil pour accéder à la douche. La travailleuse témoigne au même effet.
[147] Or, madame Brousseau, ergothérapeute mandatée par la CSST, recommande certaines modifications afin de permettre à la travailleuse d’effectuer ses soins d’hygiène aux installations existantes, soit un banc de transfert, un tapis de bain antidérapant, une barre d’appui verticale et une douche téléphone avec crochet. Elle ajoute qu’elle a vérifié auprès de plusieurs experts et spécialistes en équipements spécialisés qui affirment qu’un bain moulé peut accommoder un banc de transfert.
[148] La Commission des lésions professionnelles retient l’opinion de madame Brousseau étant donné que son analyse est plus complète et précise que l’évaluation faite par madame Noël. De plus, s’il est possible qu’une douche sans seuil puisse être utile, le tribunal estime que la travailleuse n’a pas démontré que cette solution est nécessaire ni qu’elle constitue la solution la plus appropriée.
[149] Il en est de même de la suggestion de madame Noël d’installer des tiroirs dans les armoires sous le comptoir de la cuisine afin d’éviter la position accroupie pour rejoindre des objets ainsi qu’une étagère tournante dans l’armoire du coin de la cuisine. Cette opinion n’est pas motivée contrairement à celle de madame Boudreau qui suggère de relocaliser les chaudrons et poêles les plus souvent utilisés, d’utiliser une chaise d’ordinateur et de s’y asseoir pour se baisser à une hauteur plus convenable ainsi que d’utiliser les techniques alternatives pour s’accroupir.
[150] Quant à l’opinion de madame Noël voulant qu’il soit opportun d’installer une étagère sur le mur à proximité de la laveuse et de la sécheuse pour permettre à la travailleuse d’y placer son linge à la sortie de la sécheuse en vue d’éviter la position accroupie, cette recommandation ne semble pas nécessaire étant donné que lors de l’évaluation des besoins en aide personnelle à domicile faite par madame Bélanger, ergonome mandatée par la CSST, la travailleuse dit être en mesure de faire son lavage pourvu qu’elle effectue une petite brassée de linge à la fois. De plus, madame Bélanger constate que la laveuse et la sécheuse sont surélevées de 15 pouces afin de faciliter les tâches de la travailleuse. Cette dernière est observée lors de la visite et madame Bélanger constate qu’elle est en mesure d’accomplir la tâche sans problème particulier; l’aménagement demandé n’est donc pas nécessaire.
[151] Finalement, la travailleuse demande un fauteuil élévateur à trajectoire unique de du commerce au domicile. Cette demande est appuyée par l’opinion de madame Noël qui se contente de dire à ce sujet que, dans le but de limiter l’utilisation des escaliers, elle recommande l’installation d’un fauteuil élévateur à trajectoire unique; c’est bien peu pour motiver cette demande.
[152] La travailleuse témoigne qu’elle utilise les escaliers une cinquantaine de fois par jour, mais la soussignée estime que cette estimation est peu réaliste et qu’étant donné la conclusion du tribunal voulant que la travailleuse ne puisse faire l’emploi habituel, elle n’aura pas à emprunter les escaliers aussi souvent qu’elle le prétend.
[153] Il est vrai que la preuve démontre que le genou de la travailleuse lâche et qu’il est nécessaire de sécuriser les escaliers, mais la Commission des lésions professionnelles estime que l’installation d’une deuxième main courante permettra d’atteindre cet objectif. La preuve est insuffisante pour démontrer que l’installation d’un fauteuil élévateur à trajectoire unique est nécessaire et constitue la solution appropriée pour permettre à la travailleuse d’entrer et de sortir de façon autonome de son domicile.
[154] Par conséquent, la Commission des lésions professionnelles conclut que la travailleuse n’a pas droit aux adaptations de domicile qu’elle demande.
Chaussures orthopédiques
[155] La Commission des lésions professionnelles doit maintenant décider si la travailleuse a droit au renouvellement des chaussures orthopédiques réclamé.
[156] Les chaussures orthopédiques constituent des orthèses au sens des articles 188 et 189 de la loi. Pour qu’un travailleur ait droit au remboursement du coût d’achat de chaussures orthopédiques, la preuve doit démontrer que le port de telles chaussures est relié à la lésion professionnelle[19].
[157] Les articles 188 et 189 de la loi se lisent ainsi :
188. Le travailleur victime d’une lésion professionnelle a droit à l’assistance médicale que requiert son état en raison de cette lésion.
__________
1985, c. 6, a. 188.
189. L’assistance médicale consiste en ce qui suit :
1° les services de professionnels de la santé;
2° les soins ou les traitements fournis par un établissement visé par la Loi sur les services de santé et les services sociaux (chapitre S-4.2) ou la Loi sur les services de santé et les services sociaux pour les autochtones cris (chapitre S-5);
3° les médicaments et autres produits pharmaceutiques;
4° les prothèses et orthèses au sens de la Loi sur les laboratoires médicaux, la conservation des organes et des tissus et la disposition des cadavres (chapitre L-0.2), prescrites par un professionnel de la santé et disponibles chez un fournisseur agréé par la Régie de l’assurance maladie du Québec ou, s’il s’agit d’un fournisseur qui n’est pas établi au Québec, reconnu par la Commission;
5° les soins, les traitements, les aides techniques et les frais non visés aux paragraphes 1° à 4° que la Commission détermine par règlement, lequel peut prévoir les cas, conditions et limites monétaires des paiements qui peuvent être effectués ainsi que les autorisations préalables auxquelles ces paiements peuvent être assujettis.
__________
1985, c. 6, a. 189; 1992, c. 11, a. 8; 1994, c. 23, a. 23; 1999, c. 89, a. 53; 2001, c. 60, a. 166; 2009, c. 30, a. 58.
[158] Dans le dossier à l’étude, la preuve non contredite démontre que le port des chaussures orthopédiques est relié à la lésion professionnelle du 29 août 2010. En effet, ces chaussures sont nécessaires pour loger les orthèses plantaires prescrites à la travailleuse. Or, ces orthèses plantaires ont été prescrites pour la lésion au genou droit et non pour la fasciite plantaire. La travailleuse témoigne qu’elle n’a jamais porté d’orthèses plantaires en lien avec la fasciite plantaire.
[159] Par conséquent, la Commission des lésions professionnelles conclut que la travailleuse a droit au renouvellement des chaussures orthopédiques réclamé.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
Dossier 452175-07-1110
ACCUEILLE la requête de madame Chrystine Sénéchal, la travailleuse;
INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 13 septembre 2011 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que la travailleuse n’est pas capable d’exercer l’emploi de commis-caissière occupé habituellement, et ce, à compter du 28 mars 2011.
Dossier 473623-07-1206
ACCUEILLE la requête de madame Chrystine Sénéchal, la travailleuse;
INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 15 mai 2012 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que la travailleuse a droit au renouvellement des chaussures orthopédiques réclamé.
Dossier 541179-07-1405
ACCUEILLE en partie la requête de madame Chrystine Sénéchal, la travailleuse;
MODIFIE la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 3 février 2014 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que la travailleuse a droit, en vertu de l’article 165 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, au remboursement des frais engagés pour faire exécuter les travaux d’entretien ménager léger de son domicile;
DÉCLARE que la travailleuse n’a pas droit au remboursement des frais suivants :
- Une douche sans seuil;
- Une étagère à proximité de la laveuse et de la sécheuse;
- Des tiroirs dans les armoires sous le comptoir de la cuisine ainsi que l’installation d’une étagère tournante dans l’armoire du coin;
- Un fauteuil élévateur à trajectoire unique de l’étage où se situe le commerce au deuxième étage où se situe la maison.
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Suzanne Séguin |
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Me Marie-Josée Beaulieu |
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Lapointe, Beaulieu Avocats |
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Représentante de la partie requérante |
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Me Julie Perrier |
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Vigneault Thibodeau Bergeron |
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Représentante de la partie intervenante |
JURISPRUDENCE DÉPOSÉE
PAR L’EMPLOYEUR
Mestiri et Étiquette nationale, C.A.L.P. 81317-60-9607, 22 septembre 1997, J.-G. Raymond.
Delisle et Résidence Champlain centre-ville, C.A.L.P. 59351-61-9405, 23 février 1996, L. Thibault.
Commission scolaire English-Montréal et Thivierge, C.L.P. 357307-71-0809, 18 janvier 2010, Y. Lemire.
Gallo et Marchés Bonanza RDP inc. (Les), C.L.P. 284472-71-0603, 15 mai 2007, D. Beauregard.
Labelle et B Transport, C.L.P. 304254-71-0611, 11 septembre 2007, Y. Lemire.
Lévesque et Express Golden Eagle inc., C.A.L.P. 251999-64-0412, 12 décembre 2006, L. Crochetière.
JURISPRUDENCE DÉPOSÉE
PAR LA CSST
Charron et Marché André Martel inc., C.L.P. 373569-64-0903, 19 juillet 2010, I. Piché, révision rejetée, 2011 QCCLP 5854, révision judiciaire rejetée, 2012 QCCS 6958.
Ashby et C.H.U.S.- Hôtel-Dieu, 2014 QCCLP 999.
Bardeaux Lajoie inc. et Castonguay, C.L.P. 377777-01A-0905, 26 février 2010, C.-A. Ducharme.
Mongelli et Distribution Alimentaires Frank & Dino, C.L.P. 390560-71-0909, 23 juillet 2010, R. M. Goyette.
Dubé et Assemblée Nationale, 2014 QCCLP 6000.
Lavoie et Air Canada, C.A.L.P. 221400-64-0311, 20 mars 2006, J.-C. Danis.
Fittante et Ital Forges Ornemental, C.L.P. 100225-71-9804, 11 février 1999, D. Taillon.
[1] C.L.P. 377777-01A-0905, 26 février 2010, C.-A. Ducharche.
[2] C.L.P. 319338-71-0706, 1er mai 2008, Anne Vaillancourt.
[3] C.L.P. 314219-01B-0704, 4 avril 2008, L. Desbois.
[4] C.L.P. 357307-71-0809, 18 janvier 2010, Y. Lemire.
[5] RLRQ, c. A-3.001, r. 2.
[6] C.L.P. 2884472-71-0608, 15 mai 2007, D. Beauregard.
[7] C.L.P. 304254-71-0611, 11 septembre 2007, Y. Lemire.
[8] C.L.P. 251999-64-0412, 12 décembre 2006, L. Crochetière.
[9] C.L.P. 154344-62-0103, 24 septembre 2001, L. Boucher.
[10] C.L.P. 229595-63-0403, 8 septembre 2004, D. Besse.
[11] C.A.L.P. 81317-60-9607, 22 septembre 1997, J.-G. Raymond.
[12] C.L.P. 100225-71-9804, 11 février 1999, D. Taillon.
[13] C.L.P. 82346-60-9608, 13 août 1998, L. Thibault.
[14] Delisle et Résidence Champlain Centre-Ville, C.A.L.P. 59351-61-9405, 24 octobre 1995, L. Thibault.
[15] RLRQ, c. A-3.001.
[16] C.L.P. 373569-64-0903, 19 juillet 2010, I. Piché, révision rejetée, 2011 QCCLP 5854, révision judiciaire rejetée, 2012 QCCS 6958.
[17] Voir notamment : Frigault et Commission scolaire de Montréal, C.L.P. 142721-61-0007, 25 mai 2001, L. Nadeau; Castonguay et St-Bruno Nissan inc., C.L.P. 137426-62B-0005, 21 novembre 2001, Alain Vaillancourt; Richer et Le Médaillon d’or enr., C.L.P. 167765-64-0108, 18 janvier 2002, D. Martin; Letiecq et Lama Transport & Manutention, C.L.P. 183139-04B-0204, 8 septembre 2003, F. Mercure; Dupuis et Super Marché Etop inc., C.L.P. 193517-62C-0211, 5 novembre 2003, M. Sauvé; Charlebois et G-Net Universel ltée, [2005] C.L.P. 266; Pitre et Entreprises Gérald Pitre enr., C.L.P. 251305-01C-0412, 16 décembre2005, J.-F. Clément; Dagenais et Centre d’accueil Lasalle (Fermé), C.L.P. 304322-61-0611, 25 septembre 2007, L. Nadeau; Paquet et Caisse Desjardins de Haute-Gaspésie, C.L.P. 341702-01C-0702, 9 octobre 2008, M. Carignan, révision rejetée, 12 octobre 2010, L. Desbois; Paul et Garderie chez Tatie, C.L.P. 370403-71-0902, 29 septembre 2009, Anne Vaillancourt; Bernier et Construction A.S. Filiatreault inc., C.L.P. 380002-01A-0906, 2 mars 2010, M. Sansfaçon; Gélinas et Centre hospitalier régional de Trois-Rivières, C.L.P. 381196-04-0906, 21 avril 2010, J. Degré; Pelletier et Résidence de la Gappe, C.L.P. 375517-07-0904, 8 juin 2010, S. Séguin; Côté et Pulvérisateur MS inc., 2011 QCCLP 3169; Delisle et Allianz Madvac inc. (fermée), 2011 QCCLP 5144; Lessey et Raymond, Chabot & associés, Syndic, 2014 QCCLP 5055; Wade et St-Lambert (Ville de), 2014 QCCLP 6978.
[18] C.L.P. 124846-01A-9910, 29 juin 2000, L. Boudreault (00LP-29).
[19] Duval et Blais & Langlois inc., C.L.P. 352335-08-0806, 20 mars 2009, C.-A. Ducharme.
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