Commission scolaire Marguerite Bourgeoys |
2014 QCCLP 3965 |
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[1] Le 23 août 2013, la Commission scolaire Marguerite Bourgeoys (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête en vertu de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi), par laquelle elle conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 20 août 2013, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 18 juin 2013 et « déclare que l’imputation du coût des prestations au dossier de l’employeur demeure inchangée ».
[3] Il était prévu que l’audience se tienne le 14 mars 2014, à Montréal.
[4] Par la lettre de sa représentante portant la date du 4 mars 2014, l’employeur a avisé de son absence à l’audience et demandé un délai additionnel pour déposer un complément de preuve documentaire accompagné d’une argumentation écrite.
[5] Ces documents ont été déposés le 11 avril 2014, date à laquelle l’affaire fut mise en délibéré.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[6] L’employeur demande au tribunal de déclarer que le coût des prestations d’assistance médicale dues en raison de la lésion professionnelle subie par l’une de ses employées (la travailleuse), le 21 septembre 2012, doit être imputé aux employeurs de toutes les unités.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[7]
Au soutien de sa demande, l’employeur invoque le fait que la lésion
professionnelle subie par la travailleuse ne l’a pas rendu incapable d’exercer
son emploi au-delà de la journée au cours de laquelle s’est manifestée sa
lésion, le tout conformément au deuxième paragraphe de l’article
327. La Commission impute aux employeurs de toutes les unités le coût des prestations :
1° […] ;
2° d'assistance médicale dues en raison d'une lésion professionnelle qui ne rend pas le travailleur incapable d'exercer son emploi au-delà de la journée au cours de laquelle s'est manifestée sa lésion.
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1985, c. 6, a. 327.
[8] La Commission des lésions professionnelles a maintes fois interprété les dispositions précitées, notamment quant au concept de la « capacité d’exercer son emploi ».
[9] Les principes suivants se dégagent du courant jurisprudentiel majoritaire sur la question :
- Pour permettre l’application desdites dispositions, il n’est pas nécessaire que la victime ait été capable d’exercer toutes et chacune de ses diverses tâches à la suite de sa lésion professionnelle. Il suffit que la preuve démontre que celle-ci a été en mesure d’accomplir « l’essentiel » de son travail habituel, et ce, même si elle a été temporairement incapable d’exécuter certaines de ses tâches, dans la mesure où son travail ne s’en est pas trouvé dénaturé[2] ;
- L’existence d’une assignation temporaire n’est pas un facteur déterminant[3], la durée de la période de consolidation de la lésion, non plus[4] ;
- Lorsque la travailleuse peut « accomplir la quasi-totalité de ses tâches habituelles » et que celles dont elle est incapable peuvent « l’être facilement par des collègues, sans mettre en péril leur affectation ou leur prestation de travail », il y a lieu de conclure à sa capacité d’exercer son travail au sens de l’article de la loi concerné ; ce qui est, d’ailleurs, « essentiellement une question de fait »[5] ;
- Il en est de même lorsque la victime obtient l’aide de ses collègues de travail, pour des tâches plus lourdes, si cette aide est fournie sans que cela « affecte leur prestation de travail »[6] ;
- Le travailleur sera également considéré capable d’exercer son travail, aux fins de l’application des dispositions ici en cause, lorsqu’il n’est pas remplacé par un autre et qu’on lui permet simplement de « travailler à son rythme et de prendre des pauses supplémentaires »[7] ;
- La recommandation du médecin traitant « d’effectuer des travaux légers » et « l’assistance occasionnelle d’une technicienne » ne constituent que des ajustements qui n’ont pas pour effet de « dénaturer l’essentiel de son emploi »[8].
[10] Certes, un autre courant jurisprudentiel adopte la position opposée[9] suivante : pour conclure qu’un travailleur est demeuré capable d’exercer son emploi, le tribunal doit être satisfait que la preuve administrée démontre que le travailleur a pu s’acquitter de toutes et chacune des tâches comprises dans son travail régulier. De plus, la présence d’une assignation temporaire serait même incompatible avec une telle conclusion.
[11] Avec respect, le soussigné ne partage pas cette dernière approche, pour les motifs déjà explicités dans d’autres décisions[10], et adhère plutôt au courant jurisprudentiel majoritaire qui prévaut d’ailleurs encore aujourd’hui[11].
[12] Dans le présent cas, la preuve révèle que la travailleuse a continué à occuper la fonction d’« enseignante en classe d’accueil à l’école Ste-Catherine-Labouré » qu’elle occupait au moment où sa lésion professionnelle s’est manifestée, et ce, sans interruption jusqu’à la consolidation de celle-ci, le 5 octobre 2012, sans atteinte permanente ni limitation fonctionnelle.
[13] Le seul aménagement dont la travailleuse a bénéficié a eu trait à la surveillance des élèves dans la cour de récréation que des collègues de travail ont accepté de faire à sa place, en deux occasions, sans modification aucune à leur propre prestation de travail habituelle[12]. Ces deux remplacements n’ont impliqué aucun apport de personnel supplémentaire. Un si léger ajustement de la tâche habituelle de la travailleuse n’a pas eu pour effet de dénaturer son emploi.
[14] La travailleuse a donc continué d’accomplir l’essentiel de son travail régulier et habituel, nonobstant sa lésion professionnelle.
[15]
Il s’agit là d’une situation visée par le deuxième alinéa de l’article
[16] La requête est bien fondée.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de la Commission scolaire Marguerite Bourgeoys, l’employeur;
INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 20 août 2013, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le coût des prestations d’assurance médicale dues en raison de la lésion professionnelle subie le 21 septembre 2012 par la travailleuse doit être imputé aux employeurs de toutes les unités.
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Jean-François Martel |
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[1] L.R.Q. c. A-3.001.
[2] Centre d’hébergement et de soins de longue durée
Biermans-Triest, C.L.P.
[3] Hôtel-Dieu de Lévis et CSST, C.L.P.
[4] Groupe de sécurité Garda inc., C.L.P.
[5] Hôpital Laval et Blanchette,
[6] Gestion Conrad St-Pierre inc., C.L.P.
[7] Ganotec inc., C.L.P.
[8] Hydro-Québec, C.L.P.
[9] Voir les décisions mentionnées à la note 2, sous la rubrique « CONTRA ».
[10] Centre de santé et de services sociaux du Cœur-de-l’île,
[11] Voir notamment : Métal Perreault inc.,
[12] Voir la lettre de la travailleuse en date du 9 avril 2014.
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